la revue socialiste n°49 l'europe: un problème, une solution

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  • 8/13/2019 La Revue socialiste n49 L'Europe: un problme, une solution

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    Revue

    Socialiste

    La

    49

    LEurope :

    un problme,une solution

    1ertrimestre

    2013

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    2 Sommaire

    Introduction

    Alain Bergounioux,LEurope : un problme, une solution p. 5

    Grand texte

    Jacques Delors,La construction europenne, hier, aujourdhui et demainAcadmie des Sciences morales et politiques, 5 janvier 2004 p. 9

    Le dossier

    Harlem Dsir,LEurope de demain p. 19

    Martin Schulz, Nous devons imposer la primaut de la politique sur les marchs p. 23

    Bernard Cazeneuve, Le 6 mai a t vcu par les socialistes dEuropecomme une raison desprer p. 33

    Jean-Christophe Cambadlis,Notre Europe ! p. 37

    Hubert Vdrine, Henri Weber,Quel avenir pour larchitecture europenne ? p. 43

    Catherine Trautmann,Le Parlement europen : forces et faiblesses p. 51

    Christian Mestre,Le Conseil et la Commission, une double logique institutionnelle p. 59

    Stphanie Novak,Le Conseil des ministres, un rouage essentiel et mal connu p. 65

    Jean-Louis Bianco,Le rapport France-Allemagne aujourdhui p. 71

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    3Sommaire

    Lim Hoang Ngoc,Quelle nouvelle union conomique et montaire ? p. 77

    Pierre Larrouturou,

    Entschuldigung p. 83

    Pervenche Bers,Vices et drives de la construction europenne,

    le risque de lordo-fdralisme p. 89

    Elie Cohen,Europe : une crise darchitecture institutionnelle p. 97

    Zaki Ladi,Faire puissance, une ide neuve en Europe p. 103

    Renaud Dehousse,Lunion politique est dj en marche p. 109

    lisabeth Guigou,Europe : quel saut institutionnel ? p. 115

    Estelle Grelier,

    Convention sur lEurope : tous mobil iss pour un projet europensocialiste clair et fdrateur p. 121

    Dclaration de principes du Parti socialiste europen24 novembre 2011 p. 125

    propos de Luuk van Middelaar, Le Passage lEurope, 2012

    Emmanuel Maurel,Europe : une histoire sans fin ? p. 131

    Matthias FeklFaire comprendre lEurope p. 135

    Intervention du Prsident de la Rpublique devant le Parlement europenMardi 5 fvrier 2013 p. 141

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    Alain Bergouniouxest directeur deLa Revue socialiste

    LEurope : un problme, une solution

    lus aucun socialiste aujourdhuinutiliserait la fameuse formule

    dAlexandre Bracke, dans les premiers jours

    du Front populaire : Enfin, les difficultscommencent ? . Elles ont commenc depuisde longues annes pour les socialistes etpas seulement depuis le printemps 2012

    Lquation, en fait, est connue depuis les annesquatre-vingt : dans une conomie ouverte lchelledu monde, alors que le libralisme conomiquedominant a remis en cause les rgles qui assuraientles quilibres entre les marchs et les tats depuis

    1945, et que se sont multiplies les innovationsdans la production et le commerce, nous devonsassumer et conduire la mutation de notre systmeproductif, avec tous les effets sociaux que celainduit, sans remettre en cause notre systme social,principal acquis des luttes passes. La recompo-sition en marche depuis trente ans des quilibresgopolitiques et go-conomiques dans le monde,avec la monte croissante de lAsie, et tout particu-

    P lirement de la Chine, les difficults des tats-Unis,qui demeurent malgr tout la premire puissancemondiale, la faiblesse actuelle de lEurope, et les

    ncessaires adaptations un monde de dveloppe-ment plus cologique, complexifient la tche.Nous devons avoir en tte ces donnes qui struc-turent le cycle historique dans lequel nous sommes,pour comprendre la porte de la construction euro-penne. Au-del de lambition initiale, viter dsor-mais tout conflit entre les peuples europens etqui demeure une finalit hautement souhaitable ,elle est apparue comme devant donner des moyenssupplmentaires aux tats europens ds la fin des

    annes cinquante, et aujourdhui, comme tant unedimension indispensable pour refonder les basesde notre dveloppement conomique et social.Les tats demeurent videmment, et beaucoup sejoue dans les politiques nationales. Mais les poli-tiques communes sont indispensables, et seulelUnion europenne a la taille critique pour faireface aux mutations en cours. Ctait la vision deFranois Mitterrand quil a affirme clairement de

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    LAREVUESOCIALISTEN 49 - 1ERTRIMESTRE2013

    nombreuses reprises. La crise budgtaire actuelle,

    et les diffrends au sein de lUnion entre les gouver-nements ne doivent pas faire oublier ces finalits etles ralisations accomplies.Seulement, le chemin na pas t linaire, cest lemoins que lon puisse dire, et les interrogations pourlavenir sont relles. Sans mme revenir au desseindes pres fondateurs , avec lide dun fdra-lisme qui couronnerait la dmarche europenne vision sur laquelle Franois Mitterrand demeuraitprudent , les socialistes avaient et ont en partage

    un volontarisme politique pour btir une Unioneuropenne protectrice et innovante. Cette ambitionsuppose un primat donn au politique un peu btisur le modle de laction tatique. Elle sest heurte des conceptions diffrentes chez ses principauxpartenaires (et je ne parle mme pas de lAngleterre)privilgiant plutt le primat de lconomie et de largle. Le libralisme dominant a confort cette posi-tion. Mais il ne lexplique pas seul. Les diffrencesculturelles et les intrts galement sont aussi

    une donne. Nous avons donc construit un espacemontaire sans relle souverainet politique. Et,par l mme, lindispensable coordination fiscalemanque, crant ainsi des tensions entre les pays.Leuro na donc pas favoris le rapprochement desconomies, les diffrenciations se sont au contraireaffirmes entre lEurope du Nord et lEurope du Sudpour lessentiel. La stabilisation en cours de la zoneeuro sest faite ainsi dans la douleur et toujours sur

    LEurope : un problme, une solution

    le fil. Peut-tre ne peut-on pas faire autrement dansles conditions actuelles. Et les rsultats, un mca-nisme de stabilit, une Union bancaire, la taxationsur les produits financiers, sont apprciables. Maispour arriver une relle rgulation financire,

    une mutualisation des dettes, une parit mieuxajuste de leuro, une coordination des politiquesconomiques pour remdier aux dsquilibresentre les pays et les territoires, le chemin ne serapas facile et sera sans doute long. Il ny a cependantpas dalternative raliste un approfondissement delUnion europenne.Le Parti socialiste a dcid de prparer et detenir une Convention sur lEurope avant la fin dupremier semestre. Il nous a donc paru utile de

    consacrer un dossier complet de la Revue sur laquestion europenne en prsentant les dimensionsdu dbat ncessaires, partir de contributions etde points de vue diffrents. La crise prsente etla complexit de ltat de lUnion europenne, laquelle nous ont conduit des volutions souventimprvues, demandent que nous soyons capablesde redfinir notre projet, avec les moyens qui vontavec, pour lui donner la clart qui a fait dfautdans les annes passes. Il faut le faire en tenant

    compte des ralits, mais en partant galement denos valeurs. La France a tendance trop intrio-riser ses difficults actuelles, sa force, historique-ment, a t souvent dintroduire dans un faisceaude contraintes, qui apparaissent comme autant dedterminations, des propositions nouvelles. nous,les socialistes, puisque nous sommes en responsa-bilit, de (re)prendre linitiative.

    Les tats demeurent videmment, et beaucoupse joue dans les politiques nationales. Mais les

    politiques communes sont indispensables, etseule lUnion europenne a la taille critique

    pour faire face aux mutations en cours.Ctait la vision de Franois Mitterrand quil aaffirme clairement de nombreuses reprises.La crise budgtaire actuelle, et les diffrendsau sein de lUnion entre les gouvernements ne

    doivent pas faire oublier ces finalitset les ralisations accomplies.

    La France a tendance trop intrioriser sesdifficults actuelles, sa force, historiquement,a t souvent dintroduire dans un faisceau de

    contraintes, qui apparaissent comme autantde dterminations, des propositions nouvelles.A nous, les socialistes, puisque nous sommesen responsabilit, de (re)prendre linitiative.

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    Grand texte

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    Que faire aprs la Seconde Guerre mondiale pourassurer la paix et le relvement conomique et social

    du continent europen ?

    Que faire... si ce nest btir lEurope.

    Le Parti socialiste franais y a pris une part dtermi-

    nante : rflexions pendant la Seconde Guerre mondiale,

    rflexions et action ensuite, avec quelques moments

    dterminants, de la signature des traits de Rome en

    1957 au dveloppement de lUnion europenne.

    Les divisions nont bien sr pas manqu, comme la

    crise de la CED en 1954 ou les polmiques sur le trait

    constitutionnel en 2005. Longtemps thme porteur

    pour la gauche socialiste, la construction europenne

    semble tre devenue aujourdhui un sujet embarras-

    sant.

    Deux ouvrages de synthse (respectivement parus en

    aot 2007 et novembre 2008) publis par lEncyclo-

    pdie du socialisme permettent de revenir sur cette

    question de lunion de lEurope au prisme des socia-listes franais.

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    La construction europenne,

    hier, aujourdhui et demain

    Acadmie des Sciences morales et politiques,

    5 janvier 2004

    l tait vident que ce dossier dela Revue Socialiste sur lEurope

    ne pouvait paratre sans le concours de

    Jacques Delors. Nous avons choisi de lefaire en publiant une de ses nombreusescontributions au dbat europen. Il sagitdun texte de janvier 2004, alors que le

    projet dun Trait constitutionnel pourlUnion europenne tait en question.Souvrait ainsi une priode dinterroga-tions, dont on sait que nous ne sommes passortis, aprs lchec du Trait, avec la criseconomique et financire qui est toujours

    notre prsent. Jacques Delors, dans cediscours, en sappuyant sur le pass, traceune perspective qui affronte les grandsdfis de la construction europenne quisont toujours devant nous. Il le fait avecambition et pragmatisme ce qui est lamarque de sa pense et de son action.

    Alain Bergouniouxest directeur dela Revue socialiste

    Le texte

    Alors que dbute cette anne que votre acadmie adcid de consacrer lEurope, on ne peut pas direque la situation soit trs engageante. Certains sin-terrogent ; dautres parlent dune priode de doute,dailleurs partage par les gouvernements ; dautresenfin parlent de crise. Cest pourquoi il est impor-tant de jeter un regard sur le pass pour essayerden tirer les enseignements qui pourraient treutiles aujourdhui.Je ne rsiste pas, au dbut de cet expos, au plaisir

    de citer Robert Schuman, qui disait devant lAssem-ble nationale du Conseil de lEurope, le 13 aot1950, cest--dire quelques semaines aprs lafameuse dclaration du 9 mai : Nous ne croyonspas tre prsomptueux en disant que la propositionqui a t faite et accepte, si elle devient une ralit,implique des virtualits que nous ne pouvons pasencore mesurer, mais qui se dvelopperont rapide-ment dans le sens de lunification complte, cono-

    Jacques Delors

    I

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    mique et politique, de lEurope. On trouve dans cetexte cette combinaison de vision, de foi, de ralismeet de prudence qui ont toujours inspir les phases lesplus dynamiques et les plus heureuses de lEurope.

    Je vous soumets trois enseignements tirer du passen ayant dj un regard sur le futur. Le premier : laCommunaut ne pouvait que slargir, si lon veutbien accepter en permanence la confrontation deson idal avec les exigences de lhistoire. Le second :la question de la mthode et donc des institu-tions a toujours t au cur de la problmatiqueeuropenne. Le troisime : certains historiens ontparl de miracle propos de moments dcisifsde la construction europenne. Si lon accepte cette

    formule audacieuse, do peut venir au aujourdhuile miracle ?

    La Communaut ne pouvaitque slargir

    Au commencement taient lidal et la ncessit.Lidal, ctait bien entendu la paix. Noublionsjamais que ceux qui ont relanc lide europenne

    vivaient lpoque dans un climat de peur, demfiance de lautre, et que la guerre allait sedclarer en Core. Pour reprendre une formule quina t utilise que plus tard, par Hannah Arendt,lidal, ctait le pardon et la promesse . Lepardon, qui nest pas loubli, ceux qui avaientprovoqu ces sinistres vnements ; la promesse,que ceux qui suivraient les gnrations intres-ses ne seraient pas jamais carts de la commu-

    naut humaine. Pour ce qui est de la ncessit, onretrouve, ds les annes de guerre, chez les inspi-rateurs de lEurope, le refus du dclin de lEurope.On ne soulignera jamais assez ce point si lon neparle que de la paix.

    Puis vinrent beaucoup dvnements, dont uneadhsion qui est encore assez discute, celle dela Grande-Bretagne, et une russite exemplaire :ladhsion de lEspagne et du Portugal. proposde ladhsion de la Grande-Bretagne, quand RobertSchuman lance son projet charbon-acier, Mac Millanlui rpond schement que les Anglais ne laisserontjamais une autorit extrieure dcider de la ferme-ture des puits ou des aciries. Nous commenons six. La Grande-Bretagne cre alors lassociation

    europenne de libre-change, ce qui est un acte decomptition, sinon dhostilit. Puis vient la priodedu gnral De Gaulle (1963-1967) et son doublerefus de la Grande-Bretagne. Enfin avec Wilson,puis Pompidou et Heath, un accord est conclu en1973, qui aboutit lentre de la Grande-Bretagneavec lIrlande et le Danemark. Si jen parle, cestparce que, pour tous les Europens convaincus, laGrande-Bretagne est une nigme. Est-ce quun jourou lautre elle se convertira lEurope ou lint-

    gration europenne, pour parler en termes insti-tutionnels, ou bien restera-t-elle toujours un pieddedans, un pied dehors ? Cette question importantea toujours proccup ceux qui avaient en charge laconstruction europenne. Je rappellerai dailleursquun des discours les plus clbres en faveur delEurope est celui de Winston Churchill Zurich,mais que, quelques semaines plus tard, Churchillprcisait que ce projet concernait lEurope conti-nentale et quen aucun cas la Grande-Bretagne

    nadhrerait un projet dintgration totale oumme partielle. Puis vint la russite exemplaire delentre de lEspagne et du Portugal. Ces deux paysavaient longuement prpar le passage de systmesde dictature et dconomie corporatiste un systmede dmocratie et dconomie ouverte. Ce fut lobjetdun dbat passionn en France. Je pourrais citerdes dclarations de responsables actuels hostilesjadis ces adhsions.

    Pour reprendre une formule qui na tutilise que plus tard, par Hannah Arendt,

    lidal, ctait le pardon et la promesse .Le pardon, qui nest pas loubli, ceux quiavaient provoqu ces sinistres vnements ;

    la promesse, que ceux qui suivraient lesgnrations intresses ne seraient pas

    jamais carts de la communaut humaine.

    La construction europenne, hier, aujourdhui et demain

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    La question de la mthode

    Si elle intervient en deuxime lieu dans mon expos,cest parce quon peut certes parler du quoi faire .L-dessus, et sur les finalits de lEurope, tout a t

    dit. Que de discours lyriques avons-nous entendus !Mais on nglige trop souvent le commentfaire . Sur le comment faire , la matrice exem-plaire reste le trait de la Communaut Europennedu Charbon et de lAcier. Il marque la naissancedu triangle institutionnel Parlement-Conseil desministres-Commission et la mise lpreuve de lamthode communautaire, celle qui permet uneinstitution qui a le monopole du droit dinitiative deproposer, au Conseil des ministres de dcider, et au

    Parlement, lpoque, dtre consult, aujourdhui,dtre co-dcideur. Cette mthode communautaire,quil ne faut pas confondre avec la stratgie commu-nautaire, est mon sens fondamentale. Cest celaqui explique quelle a t reprise par le trait deRome et quelle a bien fonctionn jusquen 1962.Rappelons-nous les dbats en France propos dutrait de Rome, les rticences du patronat franais,mais aussi lacceptation du gnral De Gaulle, quiavait pourtant dit beaucoup de vilaines choses sur

    lEurope, de le ratifier et de le mettre en uvre.Aprs ont commenc les querelles. Jen rappellerailes points essentiels : une querelle strictement poli-tique, savoir le rapport Fouchet, demand par legnral De Gaulle, en 1960-1962 ; lhostilit deplus en plus grande des pays du Benelux, de lItalieet de lAllemagne ce projet, rectifi en dernierressort de la main mme du gnral De Gaulle ; lesaudaces imprudentes de la Commission, ce qui narien arrang, le prsident de la Commission ayant

    cru bon de prsenter un projet quil avait conu surla politique agricole europenne un Parlementeuropen purement consultatif, avant mme denparler au Conseil des ministres. Cela a conduit dela part de la France reprsente par Maurice Couvede Murville la politique de la chaise vide pendantsix mois.De cette crise a rsult un des textes les plus ton-nants de lhistoire europenne, le compromis de

    On peut dater le moment dindcision en 1992, auConseil europen de Lisbonne, o la Commission,sur un rapport de lun de mes prsidents, sestdemande sil ne convenait pas dabord, avant dac-cueillir de nouveaux candidats, de revoir lorganisa-

    tion de la maison. Ce pralable fut cart dun reversde main par le Conseil europen, pour des raisonsmultiples. Depuis lors, on a le sentiment dune fuiteen avant et dun refus de rflchir sur la faon donton doit prparer une dcision, la prendre et lex-cuter. Ces questions sont aujourdhui au cur de laproblmatique europenne. Enfin est arriv le dfihistorique rsultant de la chute du mur de Berlin.Jai toujours soutenu que le dernier largissement jentends celui qui va venir tait un bonheur pour

    lEurope, mais que nous ny tions pas prparspolitiquement, ni mme institutionnellement. Onpeut ajouter quen France nous nous sommes peuproccups de prter attention aux pays candi-dats et dexpliquer nos concitoyens la ncessithistorique, mais aussi le bonheur de llargisse-ment. Voil o nous en sommes aujourdhui, avecune perspective qui ne doit pas tre trop franaise.Le fait que llargissement soit considr par beau-coup de nos concitoyens comme un objet de crainte

    nest pas partag par dautres pays qui sont djdans lEurope.

    Enfin est arriv le dfi historique rsultantde la chute du mur de Berlin. Jai toujours

    soutenu que le dernier largissement taitun bonheur pour lEurope, mais que nous nytions pas prpars politiquement, ni mmeinstitutionnellement. On peut ajouter quenFrance nous nous sommes peu proccupsde prter attention aux pays candidats et

    dexpliquer nos concitoyensla ncessit historique,

    mais aussi le bonheur de llargissement.

    Grand texte

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    La construction europenne, hier, aujourdhui et demain

    nique. Cest ainsi quayant rgl les querelles defamille, un nouveau dpart fut possible. Cest cequi a t tent par lengrenage de lobjectif 92 duGrand March, de lActe Unique et des politiquescommunes. Mais cet engrenage ne doit pas faire

    oublier, sur le plan institutionnel, le bon fonction-nement du duo entre le Conseil des ministres et laCommission. Cest ce duo qui a travaill et qui aprpar des Conseils europens o seul lessentieltait lagenda, et non le superflu, ce qui permettaitau Conseil europen de dcider.Puis le systme sest gripp nouveau. Pourquoi ?Est-ce que cela tenait aux limites de lengrenage,cest--dire le fait quaprs le march unique il yavait la monnaie unique ? Il faut en effet bien se

    rendre compte que lintgration conomique nen-trane pas ipso facto intgration politique. Ensecond lieu, il faut remarquer que le triangleinstitutionnel est pass au second plan. En dpitdes pouvoirs nouveaux du Parlement europen, ilsemble quaujourdhui ce triangle institutionnel nesoit plus capable de prparer des dcisions ni deles faire prendre par le Conseil europen, quandcela savre ncessaire. Celui-ci sest imagin quilpouvait tout faire.

    partir de l on peut se poser trois questions qui,jusqu prsent, nont pas t rsolues :1. Peut-on faire un pas de clarification par rf-rence la double ralit Europe des nations et Europe des peuples ? Je parle ici dun pointde vue purement institutionnel. Cest pour cela quejavais propos la Fdration des tats-nations,persuad que les nations ne sont pas appeles disparatre et persuad aussi que la fdration estla seule mthode qui permette de prparer une

    dcision, de la prendre et de lexcuter. De ce pointde vue, on peut dire que la Convention est un pasen avant et une russite. Il est quand mme assezpositif de voir tous ces parlementaires nationauxprendre peu peu de limportance et aboutir ce large consensus qua pu constater le prsidentGiscard dEstaing.2. Lingnierie du triangle institutionnel peut-ellerevenir en force ? Pour cela il faudrait que lon

    Luxembourg agree to disagree. Cette situationa dur pendant des annes. On na pas avanc,mais on na pas non plus recul. Et lorsque sontarrivs les vnements trop forts pour lEurope tellequelle tait le dgagement du dollar par rapport

    lor, la hausse du prix des produits ptroliers en dpit des avis et des analyses trs lucides de laCommission, et notamment de M. Raymond Barre,les gouvernements furent incapables de prendredes dcisions. Ils ont oscill en matire montairede serpent en non-serpent montaire, de cadrageen non-cadrage, jusqu un vnement qui tientdu miracle, savoir laccord entre Valry GiscarddEstaing et Helmut Schmidt, sur une propositionde M. Jenkins, le prsident de la Commission, pour

    la cration du systme montaire europen.On peut dire que sans ce systme montaire euro-pen, tel quil a fonctionn, il et t impensablede songer une union conomique et montaire.Cela nous amne une priode de relatif opti-misme, mais pas pour longtemps, car la Grande-Bretagne se rveille et Mme Thatcher ne veut paspayer autant pour un budget europen qui, dit-elle,comporte 50 % de dpenses agricoles nintressantnullement la Grande-Bretagne. Cette querelle a

    dur de 1981 1984. Il a fallu tout le talent de laprsidence franaise et en particulier de FranoisMitterrand pour rsoudre les diffrents contentieuxqui staient ajouts la querelle du chque britan-

    Cest ainsi quayant rgl les querelles defamille, un nouveau dpart fut possible.

    Cest ce qui a t tent par lengrenage delobjectif 92 du Grand March, de lActe

    Unique et des politiques communes. Mais cetengrenage ne doit pas faire oublier, sur le

    plan institutionnel, le bon fonctionnementdu duo entre le Conseil des ministres et laCommission. Cest ce duo qui a travaill et

    qui a prpar des Conseils europens o seullessentiel tait lagenda,

    et non le superflu, ce qui permettait auConseil europen de dcider.

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    avancs lpoque que ne le sont aujourdhui lespays de lEurope de lEst, imaginez que ces pays

    aient t plongs tout de suite dans la contrainte dela lgislation communautaire et du march. Donc ladiffrenciation a toujours exist. Sil ny avait pas eula diffrenciation, il ny aurait pas eu de trait deMaastricht. L je vous rappelle que lon a, selon uneformule emprunte langlais des opting-out, despossibilits de ne pas appliquer certains aspectsdu trait la Grande-Bretagne et au Danemark. LaGrande-Bretagne en a us pour lUnion conomiqueet montaire et pour le chapitre social que, depuis,

    M. Blair a ratifi. Et enfin, je vous pose la ques-tion, sil avait fallu attendre que les quinze payssoient daccord pour faire leuro, o en serions-nousaujourdhui ? Donc cest une mauvaise querellequi est en train de sengager. cause des intransi-geances des nouveaux candidats dont lavant-gardedit : LEurope deux vitesses, nous nen voulonspas, cest scandaleux , appuye dabord par laGrande-Bretagne.Et de lautre ct, les menaces implicites, notam-

    ment de lAllemagne et de la France pour dire,attention, si vous continuez comme a nous allonsfaire une avant-garde. Donc transformer ce qui estproblme de fond, vital pour lavenir de lEurope,en querelle tactique du moment, cest dgraderet mme condamner des ides qui ont permis lEurope davancer. Et cest dautant plus importantaujourdhui que, pour aller au fond de ma pense,je ne crois pas que lEurope des Vingt-Cinq, je lap-

    arrte de croire que lintergouvernemental a desmrites. Que lon refuse lintgration de certainsaspects de notre souverainet dans lEurope, cestun point. Et donc on peut dire que lEurope desnations et lEurope des peuples, cest un compromis

    entre lintergouvernemental et le communautaire.Mais que, en face de lintergouvernemental, onconsidre que cest la seule source possible de dci-sion en Europe, sous prtexte que les intrts natio-naux sont en cause, cest mon avis une impassepour lEurope. Pourra-t-on en outre faire revenir laCommission au cur du dispositif ? Ce qui signifieque celle-ci soit au service des compromis dgagerentre les pays membres, en usant le mieux quellepeut de son droit dinitiative.

    3. Le dfi du nombre peut-il tre surmont ? Cestune vraie question parce que dj 15, quand onfait un tour de table, on se heurte un problme detemps et dorganisation.Il faut juste de nouvelles mthodes de travail cause du nombre et ceci dpasse le Meccano insti-tutionnel mme si celui-ci a beaucoup dimportance.Mais on peut trouver des moyens et ce nest pas icique je vais les dcrire pour rsoudre le problmedu nombre du point de vue de la dlibration et de

    lexpression des opinions. En revanche, il y a unpoint sur lequel en ce moment, nous reculons, lesgouvernements sexasprent, cest ce quon appelledun mot que le gnral de Gaulle aurait pu inscriredans son volapk, la diffrenciation. Cest--dire lapossibilit pour certains pays daller plus vite oudaller autrement que les autres tout en maintenantle cap de lintgration europenne.Aujourdhui, quand on parle de diffrenciation, lesuns mentionnent lavant-garde, dautres les coop-

    rations renforces, pardonnez-moi, cest--dire lespossibilits minces offertes par les traits dAms-terdam et de Nice, de faire quelque chose, ct,et en plus. Et pourtant, Mesdames et Messieurs,la diffrenciation a toujours exist et cest elle quia permis lEurope davancer. La diffrenciation,cest dabord les annes de transition accordes lEspagne et au Portugal. Cette anne, imaginezque du jour au lendemain, ces pays qui taient plus

    La diffrenciation a toujours exist et cestelle qui a permis lEurope davancer. La

    diffrenciation, cest dabord les annesde transition accordes lEspagne et auPortugal. Cette anne, imaginez que du

    jour au lendemain, ces pays qui taient plusavancs lpoque que ne le sont

    aujourdhui les pays de lEurope de lEst,imaginez que ces pays aient t plongs toutde suite dans la contrainte de la lgislation

    communautaire et du march.

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    La construction europenne, hier, aujourdhui et demain

    pensaient que le trait dEuratom tait plus impor-tant que les traits du March Commun. Mais aprstout, lhistoire est faite comme a. Alors sagissait-il

    dun rapport bien fait, dune ambiance heureuse oubien encore de la pression des faits ? Je nose pasgarder pour moi cette formule de Christian Pinaultcar cela se passait au moment de lexpdition dsas-treuse de Suez. Christian Pinault a dit : Ce fut letournant du match. Et par consquent les paysse dirent : Quand mme, toujours la question dudclin ! Peut-on en rester l ? Mais en revanche pas de miracle quand sopposentdes conceptions intransigeantes lies une certaine

    conception de la nation dun ct, et un intgrismefdraliste de lautre. Car il existe, cet intgrisme.La relance de 1985, dont le prsident a aima-blement parl, est dans une certaine mesure unmiracle. Miracle dabord de Fontainebleau, o lesdiffrents contentieux ont t rgls, et miracle dufait que dire des pays qui dans les annes prc-dentes, Michel Camdessus le sait bien, avaient peude croissance, perdu 2,5 millions demplois pourdix pays, leur dire : Et si nous faisions un vrai

    March Commun qui nous permettrait de stimulernos entreprises, nos activits, la comptition entrenous ? . Cette ide venait au bon moment. Maiselle tenait quand mme un petit peu dune situationextrmement favorable et pour tout dire chanceuse.Et partir de l est n un nouvel engrenage.On peut parler dun autre miracle Maastricht, lencore, surtout avec lUnion conomique et mon-taire et les dbats de la dernire nuit du Conseil

    pellerai pour des commodits, la Grande Europe,puisse raliser tous les objectifs du trait deMaastricht dans les vingt ans qui viennent.Il me semble que si dici 2020-2025, lUnion euro-penne vingt-cinq et demain vingt-sept, grce

    Dieu, mme plus, si les pays de lex-Yougoslaviearrivent sadapter quelque peu, politiquement,dmocratiquement et conomiquement cettedonne europenne ; si en 2020-2025 ces pays ontconsolid la paix entre eux, ce qui veut dire lacomprhension mutuelle entre les peuples, ce quiveut dire le problme des rglements des mino-rits et Dieu sait sil y en a ! Sils ont fait de lUnioneuropenne un cadre pour un dveloppementdurable et solidaire offrant une solution partielle

    aux problmes poss par la mondialisation, et sienfin ils ont brillamment entretenu leurs diversitsculturelles, je pense que les historiens diront quelEurope a russi son pari.Quant lUnion conomique et montaire, la poli-tique trangre, la politique de la dfense, lais-sons a ceux qui peuvent et veulent le faire. Jedevrais mme changer les termes. Je devrais direqui veulent le faire et qui peuvent le faire. Mais uneide comme a, aujourdhui, dans le climat dexa-

    cerbation qui est celui entre les chefs dtat, cestavoir larrire-pense dune Europe deux vitesses.Si lon narrive pas retrouver un climat quipermette de discuter clairement et simplement deces options, alors je crains que lon senfonce dansdes compromis de plus en plus maigres et notam-ment quand on parlera des perspectives financiresde lUnion europenne. Dailleurs la bataille estdj lance comme chacun sait.Alors faut-il attendre un nouveau miracle ? Jai

    employ cette formule dun diplomate belge proposdune runion de Venise en mai 1956, avant le traitde Rome, des ministres des Affaires trangres. Untravail pralable avait t fait par un groupe dirigpar M. Spaak. Et, miracle ! en deux heures, ils sontarrivs se mettre daccord et prparer les voiespour ltablissement du trait de Rome, les traitsdu March Commun et de lEuratom. Je rappelleraiqu lpoque mme des Europens prestigieux

    Il y a toujours dans lhistoire de lEurope,la pression des faits, une ambiance, une

    conjoncture plutt favorableset des ides qui conviennent.

    Depuis Maastricht, les Europens nont pastrouv ou nont pas su crer une conjonction

    aussi favorable des esprits et des vnements.La chute du communisme ne les a pas inspirs

    autant que lhistoire le demandait.

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    15Grand texte

    autres. Do natra donc le nouveau miracle ? Jelaisse de ct la diffrenciation. Jen ai parl, mais mon avis, il natra de la volont de lEurope desurvivre comme un ensemble gopolitique et cono-mique susceptible de matriser autant que faire se

    peut, la mondialisation, et, comme dans son acte denaissance au nom de lidal de paix, de faire reculerla guerre, lintolrance et le mpris de lautre qui nefait que ronger notre prsent.En conclusion, je voudrais dabord plaider pourprserver la mthode, et donc le moteur de lUnion.Et je le rpte pour la troisime fois en mexcusant,je madresse l aux petits inventeurs de gnie, denouveaux Meccanos, de nouvelles institutions, denouvelles instances, de nouveaux prsidents, il faut

    trouver un mcanisme qui permet de prparer lesdcisions, de les prendre, de les appliquer et de lesexpliquer avec une participation plus importante desParlements nationaux, ce qui devrait tre possiblepuisque la Convention la propos. Deuximement,ne pas attendre une nouvelle agression de lhis-toire qui nous pousserait nous unir pour mieuxagir. Quel drame devrait-il arriver lEurope, quelsignal au moins que quelques chefs dtat clair-voyants pourraient saisir pour nous permettre de

    nous ressaisir, de sortir de cette ambiance morose,ces petits jeux court terme qui ravissent dailleursnos diplomates, ceux du Quai dOrsay comme lesautres ? Mais surtout, Mesdames et Messieurs, cenest pas une proposition institutionnelle, ce nestmme pas une proposition politique, vous la trou-

    europen, mais avec un trait beaucoup moinsraliste et beaucoup plus flamboyant, un peu lafranaise, en ce qui concerne la dimension poli-tique de lEurope. L aussi les faits ont jou leurrle. Je vous rappelle que les Europens, devant la

    tragdie yougoslave, taient cruellement diviss etqu ce moment-l ils ont pens qutant diviss surla Yougoslavie, il fallait au moins que vis--vis dumonde et deux-mmes, ils trouvent un sujet dententepour faire progresser lEurope. Pardonnez-moi din-sister l-dessus, mais il y a toujours dans lhistoirede lEurope, la pression des faits, une ambiance,une conjoncture plutt favorables et des ides quiconviennent. Depuis Maastricht, les Europensnont pas trouv ou nont pas su crer une conjonc-

    tion aussi favorable des esprits et des vnements.La chute du communisme ne les a pas inspirsautant que lhistoire le demandait. Je ne parle pasdu lyrisme, je ne parle pas de ceux qui disaient ces pays : En 2000, vous serez en Europe . Je neparle pas de lchec fcheux, mais de linitiateur dela Confdration, de Franois Mitterrand.Et plus tard, dans le fond, les divisions sur lIrak,que la presse a accueillies comme une surprisenont fait que confirmer ce que lon savait depuis

    longtemps : nos pays sont diviss sur la politiquetrangre. Pour certains dentre eux, la nostalgie esttoujours ce quelle tait et, par consquent, ce quisest pass pour lIrak tait largement attendu. Face cette situation, est-ce que la capacit dindignationdes Europens est toujours la mme ? Je vous citerai ce propos un point de vue exprim par Paul HenriSpaak lorsque, aprs avoir fait beaucoup pour lEu-rope, il a dmissionn de la prsidence du Conseilde lEurope, en dcembre 1950. Ce sont ses propos

    qui, je pense, devraient nous inspirer : Devant untel spectacle (celui de lEurope lpoque), noussommes impassibles comme si lhistoire attendait,comme si nous avions le temps de transformer nosmentalits, de supprimer nos barrires douanires,dabandonner nos gosmes nationaux, comme sinous avions lternit devant nous. Ce thmeil faut le reprendre aujourdhui. Pour essayer desecouer la satisfaction des uns, lindiffrence des

    Il faut retrouver le trsor des fondateurs. Cetrsor des fondateurs, il tient en quelques

    mots : une vision de lavenir, une foi enlEurope et en son hritage, aussi divers fut-il,

    ce qui veut dire quon respecte le pass etquon le rappelle dans les traits. Le cur quivous rapproche de lautre, et enfin le ralisme

    dans la mise en uvre progressive de ce quidemeure, quon le veuille ou non, la grande

    aventure de lEurope contemporaine.

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    verez peut-tre idaliste. Il faut retrouver le trsordes fondateurs. Ce trsor des fondateurs, il tient enquelques mots : une vision de lavenir, une foi enlEurope et en son hritage, aussi divers fut-il, ce quiveut dire quon respecte le pass et quon le rappelle

    dans les traits. Le cur qui vous rapproche delautre, et enfin le ralisme dans la mise en uvreprogressive de ce qui demeure, quon le veuille ounon, la grande aventure de lEurope contempo-raine. Je vous remercie.

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    Le Dossier

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    et nos intrts, si nous voulons redevenir pionniersdans de grands domaines de la recherche, de lin-dustrie, du dveloppement durable, dont dpendent

    les emplois et la qualit de vie de demain, cestensemble quil nous faudra de plus en plus agir.Dans un monde dont les mutations sacclrent,lEurope doit saffirmer comme une force juste etsolidaire.Alors que les autres rgions du monde retrouvent lechemin de la croissance, lEurope doit se ressaisir.Elle doit changer de direction. Cest le sens dela rorientation propose par le Prsident de laRpublique ds le sommet europen qui a suivi

    son lection. Face lchec des gouvernementsconservateurs, les socialistes europens ont ledevoir de redonner un souffle lEurope et dla-borer, en lien avec les progressistes dans le monde,de nouvelles politiques qui puissent rpondre auxgrandes questions globales : quelle nouvelle crois-sance pour plus demploi, plus de solidarit et plusde droits sociaux ? Quel nouveau modle cologiqueet social ? Quelle rgulation mondiale ? Quel avenir

    Harlem Dsirest premier secrtaire du Parti socialiste

    LEurope de demain

    es subprimes la crise grecque, deLehman Brothers aux banques irlan-

    daises, la crise amorce en 2007, mme

    si elle est partie dailleurs, aura t unimpitoyable rvlateur des faiblesses euro-pennes. Crise de gouvernance de la zoneeuro, bien sr, de labsence de coordinationconomique, mais surtout crise de la volontpolitique, des valeurs communes et finale-ment de lesprit europen. La combinaisondu libralisme drgulateur, du conserva-tisme austritaire et des replis nationaux alaiss lEurope sembourber dans la spcula-

    tion, la rcession et le doute sur elle-mme.

    Parce quelle est une crise de systme et non deconjoncture, parce quaucun de nos pays nest detaille y faire face seul, la rponse la crise esteuropenne. Elle ne pourra passer par un repli surles tats-Nations. Si nous voulons peser dans lemonde de demain et matriser notre destin, si nousvoulons dfendre notre modle social, nos valeurs

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    pour notre plante, touche par des transformationssans prcdent, conomiques, sociales mais aussi

    cologiques et nergtiques ?LEurope traverse aujourdhui une crise sans prc-dent. Lide europenne elle-mme est en danger.Elle choue susciter lamour des peuples du conti-nent, leur redonner foi en lavenir. LEurope doitrpondre sa propre crise mais aussi celle dusystme bout de souffle qui la provoque : un capi-talisme financier sans contrle, la spculation follemme contre les tats, la tyrannie du court termeet de lhyper profit, au dtriment de lconomie

    relle, des travailleurs et de lenvironnement, lacomptition fiscale et sociale, y compris au sein delUnion europenne. Une grande part de lconomieet du tissu industriel de nos pays a t dtruite parcette logique. Une nouvelle oligarchie dargent aconfisqu le pouvoir et exhibe de manire indcenteses richesses quand lexclusion et la pauvret gran-dissent partout. Les fondements de ltat social sontsaps. Oui, Les drives du capitalisme financiermondial produisent sous nos yeux chaque jour leurs

    effets : chmage de masse, prcarisation, exacer-bation des ingalits, casse des solidarits et desservices publics, destruction de lenvironnement ettarissement des ressources naturelles.La crise qui secoue lEurope est donc celle dunelogique qui soppose ses valeurs et aux aspirationsde ses peuples mais cest aussi celle dune gouver-nance insuffisante. Les gouvernements libraux etconservateurs, majoritaires sur le continent, ont

    montr leur incapacit faire face la crise et nontfait que laggraver, en retardant la solidarit avecles pays en difficult, en freinant lintervention de laBanque centrale, en diffrant les mesures de rgu-lations comme lUnion bancaire et la taxe sur les

    transactions financires. Ils ont ajout lendette-ment des politiques daustrit qui ont accentu larcession. Leur gestion de la crise des dettes souve-raines a t un exemple dsolant dincomptenceconomique et de dsastre politique. Par manque devision politique, dexigence sociale et de confianceen ses propres atouts, le grand projet europen esten train de steindre. Nous ne nous y rsigneronspas. Nos peuples mritent mieux que des promessesvaines et des remdes dpasss. Ils mritent que

    nous vainquions avec eux la crise et que nous inven-tions avec eux un nouveau monde, plus juste et plussolidaire.Pour affronter la crise, une crise qui est la foisconomique, sociale et dmocratique, il faut biendavantage quune simple rforme institutionnelle,davantage que quelques mesures superficielles,davantage que lagitation contre-productive laquelle nous ont habitu en France nos prd-cesseurs. Les pays europens doivent poursuivre

    avec courage et tnacit sur le chemin trac par lePrsident de la Rpublique pour la rorientation delEurope. Franois Hollande a dj russi mobi-liser avec succs une partie des dirigeants de notrecontinent avec le pacte de croissance, la taxe sur les

    Pour affronter la crise, une crise qui est lafois conomique, sociale et dmocratique, ilfaut bien davantage quune simple rforme

    institutionnelle, davantage que quelquesmesures superficielles, davantage que

    lagitation contre-productive laquelle nousont habitus en France nos prdcesseurs.

    Les pays europens doivent poursuivre aveccourage et tnacit sur le chemin

    trac par le Prsident de la Rpubliquepour la rorientation de lEurope.

    LEurope de demain

    LEurope traverse aujourdhui une crise sansprcdent. Lide europenne elle-mme est

    en danger. Elle choue susciter lamour despeuples du continent, leur redonner foi en

    lavenir. LEurope doit rpondre sa proprecrise mais aussi celle du systme bout

    de souffle qui la provoque : un capitalismefinancier sans contrle, la spculation folle

    mme contre les tats, la tyranniedu court terme et de lhyper profit.

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    transactions financires et laccord sur la supervi-sion bancaire.LEurope a besoin dune mise en uvre rapide delUnion bancaire et des mesures du pacte pourla croissance. Pour protger lconomie relle et

    librer lEurope de la pression des marchs, il esturgent de consolider les instruments qui stopperontla spculation sur les dettes souveraines et poserontdes rgles claires permettant de rguler les drivesdu secteur financer. Au-del de lUnion bancaire,nous devons btir une vritable coordination despolitiques conomiques axe sur la priorit lacroissance et lemploi et sur le refus de la dflationsalariale. Elle doit contribuer soutenir les inves-tissements publics et privs, ainsi que la demande,

    en particulier dans les pays dont le commerceextrieur est excdentaire, comme lAllemagne.Cette coordination doit galement tre fonde surdes rgles dharmonisation des fiscalits. Si nousdevons viser la rduction des dficits en quilibrantles dpenses publiques, il nous faut tablir partouten Europe une fiscalit juste, qui rpartit les effortsde manire quitable, met contribution le capitalet les hauts revenus. Il nous faut aussi lutter avecdtermination et de faon rellement coordonne

    contre lvasion fiscale et les paradis fiscaux, danset hors Europe, ces territoires dimpunit o lacriminalit conomique donne la main des orga-nisations mafieuses et criminelles.Ce dont lEurope a besoin, cest aussi de grandsprojets davenir, capables dapporter des rponsesaux dfis sociaux et environnementaux qui seposent nous, et de tirer sa croissance et sesinvestissements industriels. Nous devons dfendreune Banque centrale qui soutienne notre priorit

    absolue, lemploi, renforcer les capacits de laBanque europenne dinvestissement pour soutenirdes projets communs dans les rseaux numriqueset les technologies vertes et innovantes. Nousdevrions lancer une Communaut europenne delnergie pour promouvoir en particulier lefficacitnergtique et les nergies renouvelables, et pourainsi limiter notre dpendance aux nergies fossiles.Nous crerons des millions demplois, amliorerons

    la qualit de la vie des citoyens et lutterons contrela dgradation de la plante.Cette Europe de linnovation doit aussi tre uneEurope sociale qui refuse, en son sein comme lchelle mondiale, les dumpings sociaux, fiscaux etenvironnementaux et qui promeut le juste change.Ce nest quen crant une gouvernance europennequi porte une vritable politique de croissancedurable et respectueuse de lenvironnement, quenous ferons de lEurope un espace de progrs pour

    ses peuples, un moteur et un modle sur la scneinternationale.Enfin, ce dont lEurope a besoin, cest dun bigbang dmocratique. Une Europe politique forte nepeut exister sans un renforcement de la dmocratie,sans llan et la participation des citoyens. Ce sonteux les premiers acteurs du changement, en Europecomme partout dans le monde. Le Parlementeuropen doit lire directement le Prsident de laCommission europenne en fonction du choix des

    citoyens lors des lections europennes. Il devratravailler plus troitement, comme il a commencde le faire, avec les parlements nationaux pour lecontrle dmocratique des politiques conomiquescommunes et de la coordination budgtaire dans lecadre du semestre europen . Le Parti socialiste,comme les autres partis socialistes europens, doitmobiliser ses militants, ses sympathisants autour dela politique europenne que nous menons.

    Ce dont lEurope a besoin, cest aussi de grandsprojets davenir, capables dapporter des

    rponses aux dfis sociauxet environnementaux qui se posent nous,

    et de tirer sa croissance et ses investissementsindustriels. Nous devons dfendre une Banquecentrale qui soutienne notre priorit absolue,lemploi, renforcer les capacits de la Banque

    europenne dinvestissementpour soutenir des projets communs

    dans les rseaux numriqueset les technologies vertes et innovantes.

    Le Dossier

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    Mais le renouveau de la gauche progressiste enEurope impose un dbat de grande ampleur,runissant tous les partis progressistes, les gouver-nants, mais aussi les syndicats, les intellectuels etlensemble des citoyens. Rconcilier les citoyens

    avec la dmocratie et avec lEurope doit tre notreobjectif quand les politiques dsastreuses menespar les gouvernements conservateurs nont fait quedonner une vigueur nouvelle aux populismes xno-phobes et lextrme droite. Le renouveau de lagauche europenne exige aussi que nous fassionsvoluer nos institutions, lInternationale socialisteet le Parti socialiste europen. Cest une des clspour que la voix dune Europe progressiste saffirmeplus clairement et plus distinctement, sur les grands

    sujets transnationaux comme le rchauffementclimatique, laide au dveloppement, les droits delhomme et les combats des travailleurs. Refondernotre doctrine et nos organisations en les ouvrantdavantage sur le monde, cest ainsi que nous rin-sufflerons lEurope lnergie dont elle manquepour sortir de la crise et pour, enfin, se rinventer.Mme dans une priode aussi difficile, nous refu-sons la fatalit. Nous ne nous rsignerons pas uneEurope faible dans un monde sans rgle ! LEurope

    ne mrite pas seulement un Prix Nobel, elle mritenotre engagement total dans la ligne de tous ceuxsans qui lidal et lunit europenne nauraientjamais vu le jour. Comme le disait Willy Brandt,le temps est venu que grandisse ensemble, cequi doit tre ensemble . Avec nos camarades ducontinent, unis dans la diversit, nous avons ledevoir de redonner un souffle la flamme euro-penne. Reprenons ensemble le flambeau, celui deWilly Brandt, de Franois Mitterrand et de Jacques

    Delors, pour une Europe en mouvement, inventive,audacieuse, solidaire, au service du monde. Contreles gosmes nationaux et la tentation du repli sursoi, parachevons le rve europen, ce rve anciende paix et de progrs humain, dont le destin,aujourdhui plus que jamais, dtermine la vie de nospeuples et notre place dans le monde.

    Mais pour changer lEurope, pour quelle renoue

    avec lefficacit conomique, la solidarit et la vita-lit dmocratique, cest la social-dmocratie quenous devons changer et faire voluer. Pour cela,il nous faut repenser notre doctrine et nos insti-tutions en vue de prparer et de faire advenir unmonde nouveau, celui de laprs-crise. Le mondeque nous connaissons est en train de se transformeren profondeur, par la crise que connat le capita-lisme nolibral, par la rarfaction des ressourcesnaturelles, par lmergence de nouveaux gants et

    de nouveaux quilibres et dsquilibres mondiaux politiques, conomiques, dmographiques, cultu-rels , par des mutations cologiques sans prc-dent dont nous devons plus que jamais tenir comptesi nous voulons offrir un avenir nos enfants et notre plante. Cest donc un nouveau modle dedveloppement et de progrs que doit imaginerla social-dmocratie revenue de la tentation blai-riste. Ce nouveau modle, ce nest quavec tousles progressistes dEurope et du monde que nous

    pourrons le btir. Ce nest quavec eux que nouspourrons redfinir une doctrine alternative globale,un progressisme qui dans la mondialisation fait delinclusion, du progrs social et de lcologie lesmoteurs de la croissance et de linnovation. Entrele refus incantatoire de la mondialisation et sonacceptation bate, nous avons un chemin tracer.

    LEurope de demain

    Mais pour changer lEurope,pour quelle renoue avec lefficacit

    conomique, la solidarit et la vitalitdmocratique, cest la social-dmocratie que

    nous devons changer et faire voluer.Pour cela, il nous faut repenser notre doctrine

    et nos institutions en vue de prpareret de faire advenir un monde nouveau, celui delaprs-crise. Cest donc un nouveau modle de

    dveloppement et de progrsque doit imaginer la social-dmocratie

    revenue de la tentation blairiste.

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    tat membre, les Europens connaissent un systmede sparation des pouvoirs hrit des Lumires etde Montesquieu avec des comptences partages

    entre le gouvernement, les autorits rgionales, leParlement et la Justice. Au niveau de lUE, nousavons transfr des lments de souverainet natio-nale, mais sans ce cadre de rpartition. Jappelle

    Martin Schulzest prsident du Parlement europen.

    Nous devons imposer la primaut de lapolitique sur les marchs

    enri Weber : Je veux bien prter macarte de crdit mes voisins en diffi-

    cult,a dit Jens Weidmann, prsident de la

    Bundesbank, mais condition de pouvoircontrler ce quils en font. Il voulait signi-fier par l que davantage de solidarit enEurope, exigeait davantage dintgrationpolitique. Cette demande est lgitime. Ilfaut mettre profit la crise paroxystiqueque traverse lUnion europenne depuis2008, pour parachever la constructioneuropenne, reste au milieu du gu, et, en

    particulier pour amliorer la gouvernance

    politique. Mais comment concevoir cetteUnion politique ? Quelle doit tre son archi-tecture institutionnelle ? Comment procder

    pour la mettre sur pied ?Martin Schulz :Depuis plus de trente ans, nousavons cr une souverainet transnationale auniveau de lUnion europenne. Nous navons cepen-dant pas mis en place un cadre fonctionnel et dmo-cratique de rpartition des pouvoirs. Dans chaque

    H

    Dans chaque tat membre, les Europensconnaissent un systme de sparation des

    pouvoirs hrit des Lumires et de Montesquieuavec des comptences partages entre le

    gouvernement, les autorits rgionales, leParlement et la Justice. Au niveau de lUE, nous

    avons transfr des lments de souverainetnationale, mais sans ce cadre de rpartition.

    Jappelle cela une Europe la Frankenstein :nous avons construit un corps trange, qui

    fonctionne mal et qui effraie nos concitoyensqui ny retrouvent pas leurs repres.

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    dcisions et nous dmontrent quelles sont justi-

    fies. Cela doit valoir aussi pour les responsablesdu dispositif europen de gestion des crises finan-cires de la zone euro : le Mcanisme europende stabilit (MES), ainsi que les membres de laBanque centrale europenne qui seront chargs dela supervision des banques en Europe. De mme,si on augmente les comptences du commissaire encharge des Affaires conomiques et montaires, saresponsabilit devant le Parlement doit galementtre renforce.3 Voici selon moi le saut institu-

    tionnel et dmocratique qui doit tre ralis pouraller vers une Union politique.

    H. W. : Certains considrent que la commis-sion sest disqualifie, loccasion de lacrise, comme centre de gravit possibledune gouvernance de lUnion europenne.

    Elle aurait fait la dmonstration de sesfaiblesses structurelles insurmontables :son mode de dsignation un commissaire

    nomm par chaque tat membre (qui nydlgue pas toujours les plus comptentset les plus performants de ses nationaux) entrane sa lourdeur et sa mdiocrit.

    Penses-tu que lon peut rformer cet tat dechose, afin que la Commission soit effecti-vement un centre dinitiative et de pouvoir ?M. S. :Nous avons besoin que le Parlement et laCommission agissent ensemble, comme un centre

    cela une Europe la Frankenstein : nous avonsconstruit un corps trange, qui fonctionne mal etqui effraie nos concitoyens qui ny retrouvent pasleurs repres.Dans le cadre du March intrieur, lEurope possde

    par exemple une justice indpendante : la Cour deJustice de Luxembourg. Ses jugements sont contrai-gnants, ni le Parlement europen, ni la Commission,ne peuvent les modifier. En labsence de lgislationou du fait des dfaillances de celle-ci, ce sont lesarrts de la Cour de Justice qui font loi. Nous avonsvu les dgts que cela pouvait causer avec les casViking et Laval1, o la Cour a fait primer le principede libert de circulation sur les droits sociaux. Dansle systme fdral allemand, au contraire, les juge-

    ments de la Cour de Karlsruhe ninterdisent pas aulgislateur den tirer dautres consquences.Nous devons jouer carte sur table avec les citoyenset leur expliquer que la souverainet transnationalencessite un cadre transnational de rpartition despouvoirs, sous la forme dun gouvernement europen,dsign par le Parlement et responsable devant lui.Nous devons aussi renforcer le Parlement europen,pour confrer davantage de lgitimit dmocratiqueaux dcisions communautaires. Ce renforcement

    dmocratique a galement vocation stendre auxParlement nationaux qui doivent jouer leur partitiondans le concert institutionnel de lUnion. titredexemple, la collaboration entre dputs nationauxet europens pour le nouvel exercice de coordinationbudgtaire entre les tats membres, le Semestreeuropen 2 porte dj ses fruits. Il faudraitrendre contraignante cette collaboration et linscriredans les Traits.Nos propositions ne sarrtent pas l. La lgiti-

    mit dmocratique doit concerner tous les organeset tous les processus mis en place dans le cadrede cette nouvelle Union conomique et mon-taire. Nous demandons que des instances commela Troka, cest--dire les experts reprsentant laCommission europenne, la Banque centrale euro-penne et le FMI, chargs de vrifier les financespubliques et de prendre des mesures pour la Grcenous rendent rgulirement des comptes sur leurs

    Nous devons imposer la primaut de la politique sur les marchs

    La lgitimit dmocratique doit concernertous les organes et tous les processus mis enplace dans le cadre de cette nouvelle Unionconomique et montaire. Nous demandonsque des instances comme la Troka, cest--dire les experts reprsentant la Commissioneuropenne, la Banque centrale europenne

    et le FMI, chargs de vrifier les financespubliques et de prendre des mesures pour la

    Grce nous rendent rgulirement des comptessur leurs dcisions et nous dmontrent

    quelles sont justifies.

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    tique, cette situation est inadmissible. En 2000,Jacques Chirac et Grard Schrder ont d parexemple se rendre Bruxelles pour demander aucommissaire la Concurrence la permission dac-corder un soutien tatique des entreprises en diffi-

    cult. La Commission est donc une institution quiaccorde, ou non, une autorisation un tat souve-rain. Elle a certaines prrogatives dun gouverne-ment, mais sans pour autant tre responsable devantun parlement. Les citoyens ressentent confusmentce dcalage qui nourrit, lui aussi, le dficit dmo-cratique europen. long terme, il faudra modi-fier, dans un futur trait, le rle de la Commissionpour en faire un vritable gouvernement europen,qui en ait le nom et les fonctions. Elle lest dj en

    ralit, mais sans pouvoir se nommer de la sorte. LaCommission serait alors organise comme un vraipouvoir excutif, avec sa tte un prsident dispo-sant de tous les leviers pour la diriger.

    H. W. : Le prsident de la Commission estaujourdhui coopt par les principaux tatsmembres, et, en ralit, choisi de sorte ne

    pas leur faire trop dombre, le Parlementeuropen est appel ratifier ce choix. Cest

    ainsi quen 2004, Barroso a t prfr Guy Verhofstadt, lex premier ministrebelge, actuel prsident du groupe parle-mentaire des dmocrates libraux (ALDE),

    jug trop fdraliste par Tony Blair. Vousnous avez dcrit les consquences nfastesde cette procdure. Un prsident de la

    de coordination de lEurope. Mais pour cela, laCommission doit retrouver sa mission premire ettoujours rechercher un quilibre entre les souve-rainets nationales et la souverainet europenne.Nous le savons, les intrts des tats et ceux de

    la Communaut ne sont pas toujours compatibles :les gouvernements nationaux ont dabord le devoirde dfendre les intrts de leur pays, ce quils nese privent pas de faire au Conseil europen quiregroupe les chefs dtat et de gouvernement et auConseil de lUnion qui regroupe les ministres. Noussommes aujourdhui dans une situation de ds-quilibre car la Commission na pas, ces derniresannes, assum son rle de gardienne des intrtscommunautaires, cest un chec politique majeur.

    Nous voquons souvent la question de la structuredu Conseil et du Parlement, mais jamais celle dela Commission. Je souhaite que nous dbattionsau niveau europen de cette problmatique. Pourremettre lEurope sur les rails, celle-ci doit treincarne par quelquun qui dit haut et fort quelUnion europenne est la meilleure protectionpossible pour les tats membres : cest le rle duPrsident de la Commission. Il est devenu indispen-sable de modifier en profondeur le fonctionnement

    de cette institution.Trois lments me semblent primordiaux.Le rglement interne de la Commission date de1958, poque o lUE tait compose de 6 tatsmembres ! Il faut assurment le modifier. Dans uneEurope 27, o certains se considrent dabordcomme dfenseurs de leurs intrts nationaux,comment encore esprer parvenir une dcisioncollective ?En second lieu, limpossibilit parvenir des

    dcisions politiques collgiales renforce le poidsde la technocratie europenne. Les consquencesde cette prise de dcision bureaucratique sont lunedes composantes de l Europe Frankenstein dontje parlais prcdemment, qui alimente le dficitdmocratique de lUE.Enfin, la Commission a un pouvoir excutif consi-drable, mais sans tre responsable devant leParlement europen. Dans un systme dmocra-

    La Commission a certaines prrogativesdun gouvernement, mais sans pour autanttre responsable devant un parlement. Les

    citoyens ressentent confusment ce dcalagequi nourrit, lui aussi, le dficit dmocratique

    europen. long terme, il faudra modifier,dans un futur trait, le rle de la Commission

    pour en faire un vritable gouvernementeuropen, qui en ait le nom et les fonctions.

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    Nous devons imposer la primaut de la politique sur les marchs

    de vice-prsidents de super-commis-saires , ou commissaires seniors surle modle de la haute reprsentante aux

    Affaires extrieures de lUE, Lady Ashton ?En particulier, pourrait-il dsigner, avec

    laccord des institutions, un haut reprsen-tant aux Affaires conomiques et montaires,cumulant les fonctions de commissaire ces questions, la prsidence de lEcofin,la vice-prsidence de lUE, et ventuelle-ment la prsidence de lEurogroupe ? Et sioui, quels seraient, ou devraient tre les

    pouvoirs dun tel ministre de lconomie etdes Finances de lUE ? Pourrait-il, commela demand Wolfgang Schuble, le ministre

    des Finances allemand, retoquer les budgetsdes tats membres, non conformes, selonlui, au TSCG ? Pourrait-il imposer des modi-

    fications dans ces budgets afin de les rendreconformes ?M. S. :Il y a actuellement des vues divergentes surle poste qui devrait tre renforc pour optimiser lagouvernance conomique : celui du prsident delEurogroupe, donc intergouvernemental, ou celuidu Monsieur Euro au sein de la Commission euro-

    penne. Javoue que mon cur penche plus pour laseconde option, sous rserve que la responsabilitaccrue de la Commission dont je parlais plus hautsoit garantie. Pour moi lintgration accrue dontnous avons besoin et qui se traduit par une meil-leure coordination ex-ante des politiques budg-taire, conomique et sociale nest tenable qu deuxconditions : quelle aille de pair avec de nouvelles

    Commission lu au suffrage universel indi-rect cest--dire lu par les dputs euro-

    pens, parmi les ttes de liste des principalesfamilles politiques aux lections euro-pennes , est-ce la bonne solution ? Dans

    quelle mesure cela changera-t-il la donneen matire de lgitimit dmocratique et derpartition du pouvoir dans le triangle insti-tutionnel que sont le Conseil, le Parlementet la Commission ?M. S. :Nous devons obtenir que la nomination duprochain prsident de la Commission soit le rsultatde la volont du Parlement europen et non plus decelle des chefs dtats : les Traits nous y autorisentdsormais. Les tats membres feront une proposi-

    tion par un vote la majorit qualifie mais, contrai-rement ce quil se passe aujourdhui, ce prsidentaura besoin dune majorit parlementaire pour trelu. Ce sera le premier prsident de la Commissionissu indirectement dun vote populaire, puisquele Parlement reprsente les peuples dEurope, etnon plus un diktat des gouvernements. Il sera lefruit dune coalition qui laura lu sur la base dunprogramme ngoci. Il aura face lui, pendant lalgislature, une majorit ainsi quune opposition

    parlementaire. Il sagit dun pas trs important surla voie de la constitutionnalisation de lEurope.Cette nouvelle procdure dlection donnera auprsident de la Commission un pouvoir consid-rable, compar celui de ses prdcesseurs. Ilaura ainsi la lgitimit pour mettre en place lesrformes sur lesquelles il sest engag et pourrarappeler au Conseil, chaque fois que ncessaire,que son action est soutenue par une majorit auParlement europen. Cette rforme permettra das-

    surer un quilibre entre la volont des peuples etcelle des tats. Nous retrouvons ainsi un centrede gravit et de coordination optimal. Je comptebeaucoup sur cette nouvelle procdure, large-ment sous-estime par les chefs dtats et degouvernement.

    H. W. : Un prsident de Commission ainsi luaurait-il, tes yeux, le pouvoir de dsigner

    parmi les Commissaires un certain nombre

    Lintgration accrue dont nous avons besoin etqui se traduit par une meilleure coordination

    ex-antedes politiques budgtaire, conomiqueet sociale nest tenable qu deux conditions :

    quelle aille de pair avec de nouvelles formes desolidarit, cest lide dune capacit financire

    pour la zone euro, et que lorientation soit lersultat dun choix dmocratique.

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    du Parlement europen. Quel devrait trele rle du Conseil et celui des Conseils des

    ministres dans cette optique ?M. S. : Je partage cette opinion sur le Conseil :cest justement parce quil ne dcide jamais ouquil dcide sur la base du plus petit dnomina-teur commun, que nous sommes aujourdhui danscette situation. Nous nous tions tous flicits, lpoque de ladoption du Trait de Lisbonne davoirconserv du Trait constitutionnel le principe duvote majoritaire, et la prdominance de la codci-sion en Europe. Le Conseil a cependant rintroduit

    en son sein le principe de la dcision lunanimit ;cest ce principe qui est responsable depuis trenteans de l eurosclrose . Contrairement lopi-nion couramment rpandue, les vraies solutions,les solutions techniques et oprationnelles pourrsoudre la crise Pacte de croissance, taxe sur lestransactions financires, directive contre les dficitsexcessifs et les dsquilibres macroconomiques,interdiction des ventes dcouvert nont pas tlabores par le Conseil, mais bien par le Parlement

    europen sur proposition de la Commission. Lescitoyens ont le sentiment que les chefs dtat et degouvernement sont les seuls agir pour lutter contrela crise car ces derniers disposent des instrumentsde publicit et de linformation. Il est, en effet,beaucoup plus simple pour les journalistes de direque le Prsident ou le chef de gouvernement a connu un succs sur la scne europenne ou unchec, plutt que dexpliquer le fonctionnement de

    formes de solidarit, cest lide dune capacitfinancire pour la zone euro, et que lorientationsoit le rsultat dun choix dmocratique. Quandvous parlez de budgets retoqus et de rformesimposes, le problme est double : il y a dun ct

    laspect intrusion dans ce qui est considr commerelevant de la souverainet nationale, et de lautrelorientation politique, je dirais mme, idologique,des prconisations de Bruxelles.Lorsque la Commission recommande certainstats membres dabolir lindexation automatiquedes salaires sur les prix, elle le fait sur la basede critres dont elle sest elle-mme dote et quichappent toute concertation avec les partenairessociaux ainsi qu la reprsentation parlementaire,

    quelle soit nationale ou europenne. Pour moi,cest ce combat-l quil faut mener, plus que celuisur la pertinence ou pas de certains transferts desouverainet.

    H. W. : Certains commentateurs pensentque la faiblesse de lUnion relve non de laCommission mais plutt du Conseil des chefsdtats et de gouvernement. Par construc-tion, disent-ils, celui-ci serait le lieu o

    chaque tat membre viendrait faire valoirses intrts particuliers, envers et contretous, au dtriment de lintrt gnral euro-

    pen. Compos de chefs dtats et de gouver-nements lus, sa lgitimit dmocratique neserait pas en cause, mais son efficacit seraitsujette caution. Lieu de la confrontationdes divers intrts nationaux sexprimant en

    Europe, il produirait des compromis mini-malistes, hors de proportion avec les enjeux

    auxquels les Europens sont confronts. Lebilan de la dmarche intergouvernementalequi prvaut en Europe depuis 15 ans, cestle trop peu, trop tard , que nous dplo-rons dans la gestion de la crise des detteset des banques. Vous prconisez, on lavu, le retour la mthode communautairedans la construction europenne, fondesur le renforcement de la Commission et

    Contrairement lopinion courammentrpandue, les vraies solutions, les solutionstechniques et oprationnelles pour rsoudre

    la crise Pacte de croissance, taxe sur lestransactions financires, directive contreles dficits excessifs et les dsquilibres

    macroconomiques, interdiction des ventes dcouvert nont pas t labores par le

    Conseil, mais bien par le Parlement europensur proposition de la Commission.

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    Nous devons imposer la primaut de la politique sur les marchs

    Snat, on dcide au vote majoritaire. Les grandsBundeslnder, comme la Rhnanie-Westphalie oula Bavire, se font rgulirement battre.

    H. W. : Beaucoup, en France, prtendentquil existe dsormais deux Europe : celle delUnion 27, qui ne peut tre quune zonedtats de droit commun dans quelquesdomaines limits ; et lEurozone, 17, qui

    parce quelle sest donne une monnaie

    unique, doit devenir une zone dharmoni-sation fiscale et sociale, dunion budg-taire et bancaire, et de grands projets. Ils

    proposent de distinguer les institutions deces deux Europe, lEurozone se donnant unereprsentation autonome pour traiter de sesdossiers propres. On ne va pas donner ledroit ceux qui sont hostiles ou indiffrents lUE, de grer les affaires de la monnaieunique, disent-ils. Vous vous tes lev ner-

    giquement contre cette orientation, mais necomporte-t-elle pas un noyau rationnel ?M. S. :Nous avons aujourdhui 17 pays qui utilisentleuro ; 7 qui veulent lintroduire rapidement ; untat, le Royaume-Uni, qui a exig et obtenu uneclause dexemption, un opt-out pour sa parti-cipation, et deux autres, le Danemark galementexempt, mais qui adhre au mcanisme du tauxde change6 et la Sude, qui pourraient adopter

    lUE, et pourquoi, cest lUnion dans son ensemblequi a gagn. Cette paresse se fait au dtriment delide europenne car les messages sont toujoursrapports au travers du prisme national.

    H. W. : Comment alors articuler et parquelle rforme du Conseil , la dmarchecommunautaire et la dmarche intergou-vernementale, toutes les deux ncessaireset lgitimes, dans la nouvelle tape de laconstruction europenne ?M. S. : Depuis le dbut de la crise, les chefsdtats et de gouvernement, bloqus par la rglede lunanimit, avaient instaur un systme qui sepassait de lavis du Parlement, donc de lavis des

    citoyens : la mthode intergouvernementale. Unesorte de directoire de crise franco-allemand impo-sant des dcisions drastiques au reste de lUnion.Nicolas Sarkozy a parfaitement jou cette partitiondurant la campagne prsidentielle : le gouverne-ment europen, cest Angela Merkel et moi poursindigner dans la mme phrase lEurope est malgouverne . Cette seconde partie visait fustigerlincomptence de la technocratie de Bruxelles, maisen ralit il avait raison, une Europe gouverne par

    le seul couple franco-allemand ne fonctionne plus.Cest dailleurs la raison pour laquelle je suis unfranc partisan du triangle de Weimar , qui ajouteau couple franco-allemand la Pologne, locomotiveconomique et politique des tats ayant adhr en2002.Le Conseil reprsente les intrts des tatsmembres. Dans ses propositions pour lavenir delUnion, Angela Merkel fait toujours rfrenceau systme fdral allemand : la Commission

    serait le gouvernement ; le Parlement europen, leBundestag4, la reprsentation des peuples ; et leConseil, le Bundesrat5, la reprsentation des tats.Le Conseil devrait peu peu se rapprocher decette organisation. Nous devons toutefois expliqueraux grands tats, que, dans ce systme qui fonc-tionne la majorit, ils pourraient ne pas toujourstre du ct des gagnantsCar au Bundesrat, parexemple, qui est plus un Conseil fdral quun

    Dans ses propositions pour lavenir de lUnion,Angela Merkel fait toujours rfrence au

    systme fdral allemand : la Commission seraitle gouvernement ; le Parlement europen, leBundestag, la reprsentation des peuples ;

    et le Conseil, le Bundesrat, la reprsentationdes tats. Le Conseil devrait peu peu se

    rapprocher de cette organisation. Nous devonstoutefois expliquer aux grands tats, que, dans

    ce systme qui fonctionne la majorit, ilspourraient ne pas toujourstre du ct des gagnants

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    le consensus. Depuis lpoque des fondateurs, cettemthode a t efficace. Elle seule est le garantde la lgitimit et de lefficacit. Dans les dbatsactuels sur la rforme du trait, il est donc totale-ment superflu de vouloir rinventer la roue. Il est

    surtout superflu de crer de nouvelles unions etde nouvelles institutions parallles. Lintgrit desinstitutions communautaires doit tre garantie, ycompris pour la gouvernance de leuro. En revancheil convient de rflchir une certaine adaptation denos institutions pour quelles refltent cette nouvelleralit issue du renforcement de la zone euro. AuParlement europen nous avons par exemple entamla discussion sur une sous-commission euro au seinde la commission conomique et montaire, dont les

    dcisions seraient prises par des dputs issus dela zone euro. Pourquoi perdre du temps rflchirsur une ventuelle division entre zone euro et zonehors euro simplement parce quun pays se serait misen retrait de lUnion montaire ? Nous serions doncplus inspirs de concevoir des rformes permettantaux 25 tats qui le souhaitent, de participer effecti-vement toutes les politiques, plutt que de dman-teler lUnion sous la pression de pays qui refusentde jouer le jeu. Au lieu, par exemple de discuter

    sans fin de lexclusion de la Grce, qui reprsente1,9 % du PIB de la zone euro, nous ferions mieuxde permettre la Pologne, qui connat la croissancela plus forte en Europe, dadopter rapidement lamonnaie unique.

    H. W. : On parle beaucoup dassocier lesParlements nationaux et le Parlementeuropen dans llaboration et le contrlebudgtaire. Le Parlement europen a

    mme vot la proposition dune conf-rence parlementaire qui suivrait chaquetape, le droulement du Semestre euro-

    pen. Comment concevez-vous larticula-tion entre ces Parlements nationaux et le

    Parlement europen, et avec le Conseil etla Commission ? Que se passe-i l en cas dedsaccord ? Qui aurait ou qui devrait avoir le dernier mot, cest--dire le pouvoir

    la monnaie unique par voie de rfrendum. Il nefaut donc pas parler de 17 + mais de 27 - :nous navons pas 17 pays de la zone euro, plus tousceux qui veulent adopter la monnaie unique, mais27 pays de lUnion europenne qui ont, ou vont

    adopter leuro, terme : ils sy sont engags, saufle Royaume-Uni. Larticle 3 point 4 du Trait surlUnion europenne est clair : lUnion cre uneUnion conomique et montaire dont la monnaieest leuro Leuro est la monnaie de lUnion euro-penne, le Parlement europen est le Parlementde cette Union, donc le Parlement europen est leParlement de leuro.Nous devons aujourdhui combattre toute tendance la division. Parmi les propositions qui sont sur

    la table, certaines contiennent des menaces departition au sein de lUnion, entre les institutionscommunautaires telles quon les connat actuel-lement, et de nouvelles institutions dvolues auxprises de dcisions concernant la zone euro. Unclub de premire classe : la zone euro, et un clubde sous division, les pays qui nen font pas partie.Nous ne voulons pas de cette sparation. La recettede la russite europenne celle qui nous a valule Prix Nobel de la paix est la mthode commu-

    nautaire. Elle consiste atteindre un quilibreentre les petits et les grands pays, entre les tatspauvres et les tats riches, entre ceux du Nord etceux du Sud, ceux de lEst et ceux de lOuest ; elleconsiste rsoudre les conflits par le dialogue et

    La recette de la russite europenne cellequi nous a valu le Prix Nobel de la paix est

    la mthode communautaire. Elle consiste atteindre un quilibre entre les petits et les

    grands pays, entre les tats pauvres et les tatsriches, entre ceux du Nord et ceux du Sud,

    ceux de lEst et ceux de lOuest ; elle consiste rsoudre les conflits par le dialogue et leconsensus. Depuis lpoque des Fondateurs,

    cette mthode a t efficace. Elle seule est legarant de la lgitimit et de lefficacit.

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    Nous devons imposer la primaut de la politique sur les marchs

    prsente en novembre et qui est adopt par le Conseileuropen au printemps. Lobjectif est de faire vivrele dbat parlementaire sur les orientations et prio-rits contenues dans cet examen de croissance caril sous-tendra les recommandations individuelles

    que la Commission fera ensuite aux tats membres.Dans lidal, le Parlement devrait avoir un vrai rlede co-lgislateur en la matire, cest--dire avec lapossibilit damender les grandes orientations de laCommission. Je note que dans son rcentBlueprintle Prsident Barroso a fait un pas dans cette direc-tion, mais malheureusement cela a t renvoy auxcalendes grecques par le Conseil qui semble prfrerpasser sous les fourches caudines dun technocrateque de celles dun Parlement.

    H. W. : ct du saut institutionnel ncessaire pour lUE, comment renforcerlindispensable adhsion des citoyens euro-

    pens lEurope ?M. S. :Les Europens ne voient plus en quoi lUnionles protge. Ils se dtournent de la constructioneuropenne. La lutte contre la crise se caractriseactuellement par un manque de cohrence et deparalllisme entre les mesures prises. Les citoyens

    europens supportent la majeure partie du poids dela crise, cause des actions de sauvetage qui ont tfinances par leurs impts et des restrictions socialessvres que leur imposent les gouvernements. Toutcela a t dcid dans lurgence. En revanche, largulation des marchs financiers, la contributiondes responsables aux cots de la crise, et les mesuresde croissance, toutes ces mesures ncessaires sontau point mort. Il est naturel que les Europens servoltent contre le fait que les conomies ralises

    grce leurs lourds sacrifices disparaissent directe-ment dans les poches des spculateurs.Nous devons tout dabord imposer la primaut de lapolitique sur les marchs. Pour viter la rptitiondune telle crise, tous les acteurs, tous les produitset tous les marchs financiers doivent tre soumis un contrle, afin de briser lengrenage de la spcu-lation, et de laugmentation des taux dintrt pour lerefinancement des dettes publiques. Le Parlement

    effectif ? Quadvient-il de la souverainet

    budgtaire des tats membres dans le cadrede ce dispositif et du TSCG ?M. S. :La crise nous a contraints agir dans lur-gence, souvent en limitant le temps du dbat et dela dlibration parlementaire. Ctait sans doutencessaire, mais nous courons aujourdhui le risquedriger cette situation exceptionnelle durgence ennormalit. Cest dautant plus surprenant quau dbutde la crise, en 2008, le retour du politique et lecontrle dmocratique de lexpertise faisaient partie

    des principaux enseignements tirs. Ce risque ded-parlementarisation est particulirement sensibledans le domaine de la coordination des politiquesbudgtaires, le Semestre europen , que jai djvoqu. Larticle 13 du TSCG appelle lorgani-sation et la promotion dune confrence runissantles reprsentants des commissions concernesdu Parlement europen et les reprsentants descommissions concernes des parlements natio-naux afin de dbattre des politiques budgtaires et

    dautres questions rgies par le prsent trait .Au Parlement europen, nous avons lanc le prin-cipe dune semaine europenne lors de laquelledes membres des commissions de lconomie, dubudget et des affaires sociales du Parlement euro-pen et des Parlements nationaux se runissenten dbut danne en groupes politiques, puis encommission et enfin en plnire pour parler delexamen annuel de croissance que la Commission

    La crise nous a contraints agir danslurgence, souvent en limitant le temps dudbat et de la dlibration parlementaire.

    Ctait sans doute ncessaire, mais nouscourons aujourdhui le risque driger

    cette situation exceptionnelle durgence ennormalit. Cest dautant plus surprenant quau

    dbut de la crise, en 2008,le retour du politique et le contrle

    dmocratique de lexpertise faisaient partiedes principaux enseignements tirs.

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    H. W. : Franois Hollande, a propos, dansune interview au Monde, une chronologie du

    processus de solidarit-intgration-dmo-cratisation quil appelle de ses vux : unedialectique entre solidarit et intgration

    politique qui se dploierait dans le temps.Dans son agenda, le saut institutionnel proprement dit, interviendrait aprs leslections europennes de juin 2014, dontil constituerait lun des enjeux. Certains

    proposent encore que le Parlement europenissu de ces lections srige en Assembleconstituante pour confrer cette nouvelle

    gouvernance europenne toute sa lgiti-mit. Quel est votre avis sur ce calendrier du

    prsident franais et la dmarche quil envi-sage et sur les propositions alternatives ?M. S. : Lorsque je parle de la campagne desEuropennes en 2014 comme dun grand momentde dbat sur lorientation de lEurope cest en accordcomplet avec ce squenage dfini par FranoisHollande. Cest laune des majorits et des rsul-tats de cette grande consultation citoyenne queseront les Europennes que nous devrons entamerle chantier de la rforme institutionnelle.

    H. W. : Les deux tiers des Allemands, selonles sondages, considrent que leur pays a

    pti de linstauration de leuro. Une majo-rit dentre eux verraient dun bon il unretour au mark. LAllemagne a acceptles compromis ncessaires il y a dix ans,

    pour constituer EADS, elle sy est refuseaujourdhui pour mettre en uvre la fusionentre EADS et BAE, qui aurait donn nais-

    sance un champion europen de laviationcivile et militaire LAllemagne reste-elleattache lentreprise europenne, ou bienest-elle en train de se donner un nouveau grand dessein historique : celui de jouersa propre carte de puissance autonome en

    Europe ?M. S. : Les Allemands demeurent profondmentattachs au projet europen. Mais comme partout

    europen a demand, sans succs, la mise en placedeuro-obligations et dun fonds de rdemption desdettes. Afin dobtenir une totale transparence desmarchs, nous militons galement pour interdire letrading haute frquence ; limiter la spculation sur

    les matires premires ; interdire des dark pools,ces nbuleux systmes de ventes et dachats de titresalternatifs ceux des grandes bourses ; veiller ceque les liquidits servent lconomie relle et nesoient pas utilises par les spculateurs pour maxi-miser leurs propres profits.Nous devons ensuite redonner espoir la population. ct des politiques budgtaires, nous avons besoindobjectifs contraignants pour les tats membresdans le rapport annuel sur la croissance, en matire

    de politique sociale et de politique de lemploi.LUnion europenne doit aussi se doter dun budgetsuffisant pour investir dans ces domaines. Nousdevons intgrer un pilier social dans cette Unionconomique et montaire renforce. Nous devonsfaire la preuve aux yeux des citoyens que lEuropeest leur service et quils nen sont pas les victimes.La future campagne des Europennes en 2014donnera, pour la premire fois, par lenjeu que repr-sentera la confrontation des candidats la tte de la

    Commission europenne, loccasion de dbattre desdiffrentes propositions pour lavenir de lEurope, etnon de laction de tel ou tel gouvernement national Bruxelles. Il sagit dune opportunit unique dasso-cier vritablement les citoyens la dfinition du cappolitique que doit prendre lUnion.

    Nous devons imposer la primaut de lapolitique sur les marchs. Pour viter la

    rptition dune telle crise, tous les acteurs,tous les produits et tous les marchs financiers

    doivent tre soumis un contrle, afinde briser lengrenage de la spculation, etde laugmentation des taux dintrt pourle refinancement des dettes publiques. Le

    Parlement europen a demand, sans succs, lamise en place deuro-obligations et dun fonds

    de rdemption des dettes.

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    Nous devons imposer la primaut de la politique sur les marchs

    attiser les populismes. LAllemagne a profit nor-mment de leuro, en partie sur le dos des pays etdes citoyens qui vont mal aujourdhui. Avec lautoritdont elle jouit en Allemagne, la Chancelire auraitd tenir ce langage de vrit ds le dpart et refuserque les Grecs, Espagnols et Italiens soient traits defainants et dassists.

    dans les pays fondateurs de lUnion europenne,lengouement presque romantique a cd le pas aupragmatisme. Cela est d un changement gnra-tionnel, avec la disparition de la gnration qui avaitconnu la guerre et pour laquelle la paix nest pas

    un mot creux, une vidence. Mais cest aussi d la situation conomique. Lintgration europenne alongtemps t assimile aux Trente glorieuses , une priode de croissance et de bien-tre. Je partagepleinement lavis de Helmut Schmidt, lorsquil ditque lAllemagne sera toujours un cas part, quellena pas droit la normalit et que son destin est doncintrinsquement li au projet europen. Il parle delintgration europenne version communautaire,et non pas intergouvernementale avec prdomi-

    nance allemande, comme dune protection contreles vieux dmons. Cependant, ce discours nestpas, ou plutt, plus audible par une large partie delopinion publique. Cest pour cette raison que jenveux beaucoup Angela Merkel : au lieu dagir enresponsable politique qui entrane le peuple dansson sillage et en appelle la raison, elle a laiss

    1.Ces deux affaires concernent une action collective de syndicats contre le dumpingsocial : dans laffaire Viking ,contre le changement de pavillon dun navire finlandais en navire estonien dans le but dappliquer des normes infrieuresaux membres dquipage ; dans laffaire Laval , contre lapplication de salaires et de conditions de travail lettons destravailleurs lettons employs par une socit lettone sur un chantier de construction sudois.Dans laffaire Laval , la CJCE a donn raison lentreprise plaignante : elle a estim que le trait CE et la directivede 1996 sopposent ce quun syndicat tente, par un blocus, de contraindre une entreprise tablie dans un autre tatmembre engager une ngociation sur les salaires, ds lors que la loi de ltat daccueil ne fixe pas de salaire minimum,ou adhrer une convention collective prvoyant des conditions plus favorables que celles figurant dans la loi.Dans larrt Viking , la CJCE sest abstenue de trancher sur le fond de laffaire : elle a renvoy la juridiction comp-tente au Royaume-Uni le soin de dterminer si les emplois ou les conditions de travail taient srieusement menacs,puis de vrifier que laction collective tait adapte et proportionne lobjectif poursuivi.2.Le Semestre europen est une priode de coordination des politiques structurelles, macroconomiques et budg-taires des tats membres, se droulant chaque anne de janvier juin, pendant six mois. Il vise permettre aux tatsmembres de tenir compte des orientations de lUE un stade prcoce de llaboration de leurs budgets nationaux etdautres politiques conomiques.3.Voir le Rapport Thyssen contenant des recommandations la Commission sur le rapport des prsidents du Conseileuropen, de la Commission europenne, de la Banque centrale europenne et de lEurogroupe, Vers une vritableUnion conomique et montaire (2012/2151-INI).4 Un nouveau mcanisme de taux de change europen, dit MCE II, a t mis en place en 1999 pour les tats membresne participant pas la monnaie unique europenne. Tous les pays aspirant intgrer la zone euro doivent dabordsouscrire au MCE II.

    Je partage pleinement lavis de HelmutSchmidt, lorsquil dit que lAllemagne sera

    toujours un cas part, quelle na pas droit la normalit et que son destin est doncintrinsquement li au projet europen.

    Il parle de lintgration europenneversion comm