la gazette des libraires n°4

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la Gazette des libraires Édito Avec la rentrée littéraire, son lot d'inévitables et incontournables sorties que tout le monde attend (plus ou moins). Cette rentrée 2015 ne fait pas figure d’exception en ce sens. Il y a donc immanqua- blement, le nouvel Amélie No- thomb : Le crime du comte Neville, un 23 ème roman qui paraît chez Al- bin Michel. Sur ce point l'auteure belge fait presque cas d'école puisqu'il semble qu'à chaque ren- trée, un nouveau roman soit pu- blié. Obligation contractuelle de productivité ou plume insatiable, nous vous laissons le loisir d'en décider par vous même... On note- ra aussi dans le bal des sorties at- tendues la présence de Christine Angot, Mathias Enard, Delphine de Vigan ou encore Carole Marti- nez. En attendant, en bon acteur du « monde du livre » que nous sommes, nous jouons le jeu sans trop nous faire prier, puisque comme pour notre premier numé- ro ( un an déjà ! ), c'est bien de la rentrée littéraire que nous allons vous parler. Au programme pour cette année, Javier Cercas, Toni Morisson ou Simon Liberati. Des noms déjà biens connus me direz-vous. Mais puisqu'ils nous ont plu, après tout notre métier n'est-il pas de les défendre (même quand ils n'en ont pas besoin) ? Nous vous ferons voyager de l’Écosse avec Peter May, à Detroit avec les éditions Allia, en passant le Liban de Charif Majdalani ou encore l'Israël de Kashua. Nous vous parlerons aussi de la rentrée littéraire des éditions Verdier avec Mathieu Riboulet. Côté sciences-humaines aussi, de belles sorties à prévoir avec un tour d'horizon ou il sera question notamment de Michel Pastoureau et Jean-Pierre Filiu, entre autres. De même pour la bande-dessinée avec le très réussi Piano Oriental, le retour de Pénélope Bagieu avec California Dreamin'... et d'autres. Enfin la rentrée littéraire du côté enfants et adolescents vous ré- serve aussi quelques belles sur- prises dont nous allons nous faire un plaisir de vous parler. À vos lectures ! N ° 4 Pour cette rentrée 2015, déjà deux belles rencontres à notre actif : à l'occasion d'une soirée organisée autour de le question des réfugiés en Méditerranée (avec La Cimade, SOS Méditerranée...), puis quelques jours après pour une rencontre où il fût question de la Guerre d'Espagne avec Elsa Osorio et Charles Jacquier. Ce n'était que le début, nous vous préparons d'ici la fin de l'année d'autres beaux moments. En octobre pour commencer, le 8 précisément et dans le cadre de notre partenariat avec Les Amis du Monde Diplomatique, Anne-Cécile Robert présentera le n°143 de Manière de voir publication d'une centaine de pages qui tout les deux mois « met en perspective un sujet d’actualité en recourant aux meilleurs articles du Monde diplomatique », un numéro consacré pour cette fois à l'Afrique . Le 23 octobre, Hubert Ripoll présentera Enquête sur le secret des créateurs (Payot,2015), en s’intéressant à 24 artistes tous aussi différents les uns que les autres (Angelin Prejelocaj, Rudy Riciotti, Robert Guédigian, Enki Bilal...) l'auteur tente dans cette enquête de répondre à la question du pourquoi de la création. Auront lieu aussi courant octobre une rencontre autour de l'édition marseillaise avec notamment Le Bec en l'air, Parenthèses, Wildproject et le Mot et le Reste. Enfin, devant le succès de l'Atelier création d'herbier organisé en juillet, Georges sera de retour à la librairie pour un atelier autour de son nouveau numéro : le n°shampoing. Pour la suite, les dates sont à confirmer et le seront rapidement (Facebook, Twitter, site internet... les moyens ne manquent pas), mais nous pouvons d'ores et déjà vous annoncer une rencontre avec Julien Salingue autour de la publication de son livre La Palestine des ONG (La Fabrique éditions) ; une autre à l'occasion de la parution d' Un siècle de céramique d’art en Tunisie aux éditions de l’Éclat, en lien avec la deuxième partie de l'exposition Traces. À l'occasion de la journée mondiale de la lutte contre le SIDA (1 er décembre) nous aurons le plaisir de recevoir l'association le TAMIS qui publie La Main devant le soleil, Expériences militantes et homosexualités en Afrique francophone. Avec son nouveau « roman sans fiction » comme il le désigne lui même, Javier Cercas décrypte pour nous un mensonge si gros qu’il parait incroyable, et en met à jour les soubassements, bien plus profonds que la simple anecdote d’un manipulateur de génie, systématiquement à la recherche du feu des projecteurs. La nouvelle a fait l'effet d'une bombe en Espagne et même au delà en 2005, quelques jours avant les commémorations du soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration. Le très médiatique et charismatique président de l'amicale des déportés de Mauthausen est un imposteur : ni héros de la résistance antifranquiste, ni rescapé des camps de la mort. À partir de cette révélation, fruit des travaux d’un historien à qui certains détails avaient mis la puce à l’oreille, le château de cartes patiemment bâti s'effondre, dévoilant une imposture à tiroirs qui aura duré près de trente ans, dans laquelle le mensonge lié aux camps de concentration est loin d'être le seul. Après avoir tourné autour, hésité, recommencé, renoncé, Javier Cercas a finalement réussi à écrire son roman sur cette affaire, à la fois fascinante et inquiétante, pour laquelle il semble être allé chercher très loin en lui même. Toujours aussi précis et exigeant, il déroule et dénoue pas à pas la longue pelote de la vie d'Enric Marco, avec qui il s’est longuement entretenu, pour en extraire ce récit réel, exploration minutieuse de la zone grise entre mensonge et vérité, héros et escroc. Convoquant tour à tour Truman Capote, Claudio Magris et Emmanuel Carrère, ainsi que d'autres cas de supercheries similaires, il alterne entre éléments biographiques et réflexions sur le pouvoir de la littérature, et sa place face au mensonge (ou plutôt juste à côté). Sans parler d'aboutissement dans son travail, on ne peut que saluer le tour de force de ce roman, où son acuité fait des merveilles, embrassant à partir du parcours, certes extraordinaire, d'un seul, les non dits et impensés de l'Espagne depuis presque quatre-vingt ans dans laquelle Enric Marco n'est qu'un parmi tant d'autres. Ainsi, une des clés de compréhension que Cercas développe fait de Marco l’Espagnol « type » du vingtième siècle, à chaque fois du côté de la majorité, comme une incarnation des amnésies successives qui y ont eu cours, profitant des flottements et doutes de ce « passé qui ne passe pas » pour construire sa légende. L'aveuglement des proches de Marco, voir même la complicité inconsciente et passive de ceux qui ont croisé sa route devenant ainsi symptomatique de toute une période. Défense et illustration des potentialités infinies de l'imagination, qu'elle soit mise au service d'une ambition personnelle ou de la littérature tout autant qu’enquête historique, L'imposteur est une pierre de plus dans l’œuvre de Javier Cercas, dont la cohérence et la pertinence s'affirment de livre en livre, tout comme le plaisir du lecteur : son apport pour comprendre et ressentir l'histoire récente de l'Espagne est essentiel. (Version remaniée d'un article paru dans Page des Libraires n° 173) L'imposteur , Javier Cercas traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujic, Elisabeth Beyer Août 2015 – Actes sud (23,50€) la rentrée des romans AGENDA Vies d'un menteur J.B.

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Au programme : la rentrée littéraire ! De Simon Liberati, en passant par Javier Cercas, Toni Morisson, Mathieu Riboulet et d'autres côté littérature. Mais aussi des sciences-humaines, de la bande dessinée, de la jeunesse... il y en a pour tout le monde !

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Page 1: la Gazette des libraires n°4

la Gazette des libraires

ÉditoAvec la rentrée littéraire, son lot d'inévitables et incontournables sorties que tout le monde attend (plus ou moins). Cette rentrée 2015 ne fait pas figure d’exception en ce sens. Il y a donc immanqua-blement, le nouvel Amélie No-thomb : Le crime du comte Neville, un 23ème roman qui paraît chez Al-bin Michel. Sur ce point l'auteure belge fait presque cas d'école puisqu'il semble qu'à chaque ren-trée, un nouveau roman soit pu-blié. Obligation contractuelle de productivité ou plume insatiable, nous vous laissons le loisir d'en décider par vous même... On note-ra aussi dans le bal des sorties at-tendues la présence de Christine Angot, Mathias Enard, Delphine de Vigan ou encore Carole Marti-nez.En attendant, en bon acteur du « monde du livre » que nous sommes, nous jouons le jeu sans trop nous faire prier, puisque comme pour notre premier numé-ro ( un an déjà ! ), c'est bien de la rentrée littéraire que nous allons vous parler.

Au programme pour cette année, Javier Cercas, Toni Morisson ou Simon Liberati. Des noms déjà biens connus me direz-vous. Mais puisqu'ils nous ont plu, après tout notre métier n'est-il pas de les défendre (même quand ils n'en ont pas besoin) ? Nous vous ferons voyager de l’Écosse avec Peter May, à Detroit avec les éditions Allia, en passant le Liban de Charif Majdalani ou encore l'Israël de Kashua. Nous vous parlerons aussi de la rentrée littéraire des éditions Verdier avec Mathieu Riboulet.

Côté sciences-humaines aussi, de belles sorties à prévoir avec un tour d'horizon ou il sera question notamment de Michel Pastoureau et Jean-Pierre Filiu, entre autres. De même pour la bande-dessinée avec le très réussi Piano Oriental, le retour de Pénélope Bagieu avec California Dreamin'... et d'autres.Enfin la rentrée littéraire du côté enfants et adolescents vous ré-serve aussi quelques belles sur-prises dont nous allons nous faire un plaisir de vous parler.À vos lectures !

N ° 4

Pour cette rentrée 2015, déjà deux belles rencontres à notre actif : à l'occasion d'une soirée organisée autour de le question des réfugiés en Méditerranée (avec La Cimade, SOS Méditerranée...), puis quelques jours après pour une rencontre où il fût question de

la Guerre d'Espagne avec Elsa Osorio et Charles Jacquier. Ce n'était que le début, nous vous préparons d'ici la fin de l'année d'autres beaux moments.En octobre pour commencer, le 8 précisément et dans le cadre de notre partenariat avec Les Amis du Monde Diplomatique, Anne-Cécile Robert présentera le n°143 de Manière de voir publication d'une centaine de pages qui tout les deux mois « met en perspective un sujet d’actualité en recourant aux meilleurs articles du Monde diplomatique », un numéro consacré pour cette fois à l'Afrique. Le 23 octobre, Hubert Ripoll présentera Enquête sur le secret des créateurs (Payot,2015), en s’intéressant à 24 artistes tous aussi différents les uns que les autres (Angelin Prejelocaj, Rudy Riciotti, Robert Guédigian, Enki Bilal...) l'auteur tente dans cette enquête de répondre à la question du pourquoi de la création.Auront lieu aussi courant octobre une rencontre autour de l'édition marseillaise avec notamment Le Bec en l'air, Parenthèses, Wildproject et le Mot et le Reste. Enfin, devant le succès de l'Atelier création d'herbier organisé en juillet, Georges sera de retour à la librairie pour un atelier autour de son nouveau numéro : le n°shampoing.

Pour la suite, les dates sont à confirmer et le seront rapidement (Facebook, Twitter, site internet... les moyens ne manquent pas), mais nous pouvons d'ores et déjà vous annoncer une rencontre avec Julien Salingue autour de la publication de son livre La Palestine des ONG (La Fabrique éditions) ; une autre à l'occasion de la parution d'Un siècle de céramique d’art en Tunisie aux éditions de l’Éclat, en lien avec la deuxième partie de l'exposition Traces. À l'occasion de la journée mondiale de la lutte contre le SIDA (1er décembre) nous aurons le plaisir de recevoir l'association le TAMIS qui publie La Main devant le soleil, Expériences militantes et homosexualités en Afrique francophone.

Avec son nouveau « roman sans fiction » comme il le désigne lui même, Javier Cercas décrypte pour nous un mensonge si gros qu’il parait incroyable, et en met à jour les soubassements, bien plus profonds que la simple anecdote d’un manipulateur de génie, systématiquement à la recherche du feu des projecteurs.

La nouvelle a fait l'effet d'une bombe en Espagne et même au delà en 2005, quelques jours avant les commémorations du soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration. Le très médiatique et charismatique président de l'amicale des déportés de Mauthausen est un imposteur : ni héros de la résistance antifranquiste, ni rescapé des camps de la mort. À partir de cette révélation, fruit des travaux d’un historien à qui certains détails avaient mis la puce à l’oreille, le château de cartes patiemment bâti s'effondre, dévoilant une imposture à tiroirs qui aura duré près de trente ans, dans laquelle le mensonge lié aux camps de concentration est loin d'être le seul. Après avoir tourné autour, hésité, recommencé, renoncé, Javier Cercas a finalement réussi à écrire son roman sur cette affaire, à la fois fascinante et inquiétante, pour laquelle il semble être allé chercher très loin en lui même. Toujours aussi précis et exigeant, il déroule et dénoue pas à pas la longue pelote de la vie d'Enric Marco, avec qui il s’est longuement entretenu, pour en extraire ce récit réel, exploration minutieuse de la zone grise entre mensonge et vérité, héros et escroc. Convoquant tour à tour Truman Capote, Claudio Magris et Emmanuel Carrère, ainsi que d'autres cas de supercheries similaires, il alterne entre éléments biographiques et réflexions sur le pouvoir de la littérature, et sa place face au mensonge (ou plutôt juste à côté). Sans parler d'aboutissement dans son travail, on ne peut que saluer le tour de force de ce roman, où son acuité fait des merveilles, embrassant à partir du parcours, certes extraordinaire, d'un seul, les non dits et impensés de l'Espagne depuis presque quatre-vingt ans dans laquelle Enric Marco n'est qu'un parmi tant d'autres. Ainsi, une des clés de compréhension que Cercas développe fait de Marco l’Espagnol « type » du vingtième siècle, à chaque fois du côté de la majorité, comme une incarnation des amnésies successives qui y ont eu cours, profitant des flottements et doutes de ce « passé qui ne passe pas » pour construire sa légende. L'aveuglement des proches de Marco, voir même la complicité inconsciente et passive de ceux qui ont croisé sa route devenant ainsi symptomatique de toute une période. Défense et illustration des potentialités infinies de l'imagination, qu'elle soit mise au service d'une ambition personnelle ou de la littérature tout autant qu’enquête historique, L'imposteur est une pierre de plus dans l’œuvre de Javier Cercas, dont la cohérence et la pertinence s'affirment de livre en livre, tout comme le plaisir du lecteur : son apport pour comprendre et ressentir l'histoire récente de l'Espagne est essentiel.

(Version remaniée d'un article paru dans Page des Libraires n° 173)L'imposteur, Javier Cercas

traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujic, Elisabeth BeyerAoût 2015 – Actes sud (23,50€)

la rentrée des romans

AGENDA

Vies d'un menteur J.B.

Page 2: la Gazette des libraires n°4

La vie est faite d'événements qui se succèdent les uns aux autres dans un enchaînement apparemment non ordonné. Pourtant, une expérience traumatique vécue dans la petite enfance peut entraîner une série de faits plus ou moins logiques.

À travers son nouveau roman, Délivrances, Toni Morrison évoque la particularité de l'événement fondateur dans une vie, celui qui enclenche l'engrenage du déni de soi, de la soumission, de la violence infligée à soi-même et aux autres. L'auteure nous montre comment un accident, un imprévu auquel il faut faire face, construit une personnalité et comment ce moment prépare les choix et les comportements qui vont suivre. De la même façon il s'agit de comprendre comment le contexte familial, social, économique et culturel sont des facteurs important dans ces décisions à prendre. Construit sur une alternance de points de vue des protagonistes, le roman raconte le parcours de Bride, jeune femme noire vivant à l'époque actuelle. Dans une ville des États-Unis, cette femme à la peau plus noire que la suie, s'est construite une vie professionnelle avantageuse. Sa couleur de peau fait peur, attire le regard, jusqu'à créer le malaise de sa propre mère. La différence angoisse, et la mère de Bride le sait. Sweetness, son nom, est bien mal choisi : jamais elle ne montre un signe de tendresse envers sa fille. Bride a appris à défendre son originalité : par le succès professionnel d'abord mais aussi de part l'attrait qu'elle provoque chez les hommes. Pourtant, sa vie est bâti autour d'un mensonge, lequel ne sera pas sans conséquence pour elle, et autour d'elle. Ce mensonge encouragé implicitement par sa mère marquera le seul moment où celle-ci se

manifestera de la douceur envers sa fille. Une rencontre, puis une brève aventure avec un homme, Booker, là aussi provoqueront d'autres changements dans sa vie. Cet homme qui a également du mal à quitter son passé et qui vit dans ses souvenirs, va aimer Bride. L'aimer au point de lui dire la vérité, celle qu'elle ne veut pas entendre. Lui dire la vérité, et la quitter si elle ne change pas. Et la quitter aussi parce qu'il n'arrive pas à s'attacher à autre chose qu'un fantôme. Bride ira jusqu'au bout de cette supercherie, au point de se faire battre. Cet événement marquera la fin de sa souffrance : elle entreprend dès lors un voyage à la recherche de cet homme qu'elle a peur d'aimer ; mais aussi à la recherche d'elle-même et d'une rédemption. Ce « road trip » l'amène à changer physiquement, à diminuer, à redevenir petite fille, pour mieux renaître. Pour mieux se délivrer du poids de la vie passée. Toni Morrison nous entraîne dans un univers à la fois hyper-réaliste et universel. Nous avons tous une part cachée. Nous avons tous nos petites douleurs, ou nos grands traumatismes. L'auteure nous invite, comme Bride, à nous en défaire, ou à les apprivoiser pour mieux envisager l'avenir. À se préparer pour les « délivrances ».

Délivrances, Toni Morissontraduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière

Août 2015 – Christian Bourgois éditeur (18 €)

(Re)Naissances en blanc – M.d.F.

Avec Eva, Simon Liberati signe son cinquième roman. Déjà plébiscité pour les précédents, celui-ci constitue le plus abouti de ses textes. On y trouve tout ce qui nous faisait deviner un talent d'écrivain indéniable, la cohérence et la simplicité en plus. Journaliste de carrière, c'est avec Anthologie des apparitions, publié par Flammarion en 2004 que Liberati fait son entrée dans la littérature française. Dans ce premier livre on sent poindre chez l'auteur un vrai talent. Si la veine « glam-trash » à coup de nuits parisiennes, de susbstances illicites à tout va et de déchéance érigée en véritable mode de vie, n'a rien de follement original - on est alors en pleine « période Beigbeder » - il apparaît pourtant assez vite dans son écriture quelque chose de réellement plus intense : un ton, un style, une matière brute et sensible.

Dans son premier roman, Eva est déjà présente, plus ou moins consciemment. Du propre aveu de l'auteur, Marina personnage central, s'inspire de l'Eva d'alors : 13 ans, iconique, colérique, perpétuellement perchée sur des talons aiguilles vertigineux, et le plus souvent droguée. Le seul réel souvenir que Simon Liberati garde de cette époque est celui d'une gamine éblouissante bruyante et lui hurlant dessus dans une DS une nuit en plein Paris. Il ne sait pas à cet instant que 30 ans plus tard Eva bouleversera sa vie, comme elle ne peut l'être que très rarement dans le cours d'une existence. C'est de cet amour, aussi imprévisible qu'il semble avoir été écrit depuis toujours, dont l'auteur va nous parler. Au milieu du Paris des années 70 , terrain des plus folles soirées, de la fulgurante ascension de la cocaïne, de l'héroïne et d'une certaine libération sexuelle, l'histoire d'Eva Ionesco semble cristalliser tout ce qui constitue à la fois la beauté et la perdition programmée d'une génération dite « no future ». Photographiée dès son plus jeune âge par sa mère, l'artiste Irina Ionesco, Eva se retrouvera bon gré, mal gré livrée en pâture dans des photographies dont le caractère sexuel et sexualisant de l'enfant qu'elle est alors, donneront lieu à de nombreux scandales. Cette histoire, Eva la raconte elle même, dans un film : My little Princess, long-métrage aussi splendide que dérangeant porté par une Isabelle Huppert bluffante dans le rôle d'Irina Ionesco. Le film a son importance dans le récit puisqu'il constitue une sorte de point de départ de ce qui donnera lieu à un amour démesuré – et en outre le voir ne peut qu'aider à comprendre l'histoire d'Eva. Néanmoins , il ne s'agit pas ici pour l'auteur de raconter encore l'histoire que tout le monde connaît. Loin d'étaler une fois de plus les frasques, les errances, et les perditions de l'enfant, de l'adolescente puis de la jeune femme que fut Eva, loin aussi d'en rajouter encore et encore sur la relation Irina-Eva, dont d'autres se chargent de relater le plus sordides détails, c'est un tout autre objet que poursuit Liberati. Celui de dresser le portrait d'une femme : Eva. Portrait qui va s'avérer à la fois réaliste, lucide et bouleversant. Si l'on observe dans le récit les même qualités d'instigateur qui lui ont valu le Prix Femina pour le sublime Jayne Mansfield, 1967 (Grasset, 2011), avec Eva ce que l'on sent par dessus tout dans les mots de l'écrivain, dans ses tournures et ses phrases, c'est un amour inconditionnel, absolu, et un sens aigu de la littérature en ce qu'elle peut avoir de plus brut. À propos de cet amour l'auteur écrit : « Il ne s'agit pas de dire "je t'aime", mais d'accepter au fond de soi d'aimer l'autre, c'est-à-dire de ne plus différencier le sort de l'autre du sien propre. ». La clé de cette histoire est probablement là. Le choc de ces deux narcissismes dont Eva Ionesco et Simon Liberati sont les proies conscientes, la collisions de ces deux personnages aussi forts que fragiles, donne lieu à un texte puissant, limpide et empreint de vérité. Entre passé et présent, sans jamais user ni de faux semblants, ni d'apparats, Simon Liberati tout au long de ces 277 pages et en même temps qu'il se décide à céder à un amour absolu remettant en question tout ce qu'est sa vie - des plus petites habitudes, aux peurs les plus profondes - libère aussi son écriture de certains travers, lui permettant ainsi de prendre corps et de s'incarner. De ce face à face amoureux entre deux esthètes – au sens le plus noble du terme – se dégage quelque chose d’éminemment beau et sans appel , aucune demie mesure n'est envisageable entre ces deux êtres que tout oppose et réunis en même temps. La dualité est finalement au centre de ce roman en forme d'élégie amoureuse : il y a l'homme qui aime, et l'écrivain qui choisi Eva comme sujet, il y a l'Eva d'hier et celle d'aujourd'hui, il y a l'enfant blessée et la femme courageuse, obstinée, téméraire, il y a enfin le dandy solitaire à l’égoïsme assumé et l'écrivain dont l'humanité transpire de toute part.

Eva, Simon Liberati Stock – Août 2015 (19,50€)

L'amour comme révélateur A.B.L.

Page 3: la Gazette des libraires n°4

Après la remarquée et remarquable Trilogie Écossaise, Peter May revient à sa terre natale et une partie de son histoire personnelle avec le roman Fugueurs de Glasgow. Cet ouvrage alterne successivement les années soixante créatrices, fougueuses et notre présent morne et nostalgique.Ce roman noir suit la vie de Jack et Maurie et commence par la volonté de ce dernier de dévoiler la vérité à son meilleur ami Jack concernant la mort d'un acteur en vogue des sixties. Pour cela ils vont refaire le périple à Londres comme celui qui les avait conduit dans la capitale du rock et de la pop' durant l'année 1965 afin de connaître la vérité concernant ce meurtre qui les hante depuis lors. Dès les premières pages, Peter May plonge le lecteur dans le milieu ouvrier de Glasgow, racine sociale indispensable à l'éclosion de la mouvance rock. Jack, Maurie et leurs trois amis, tous musiciens dans un groupe, naviguent entre les cours (et surtout leur envie d'y échapper) et les concerts dans des soirées locales. Leurs vies changent lorsque Jack est expulsé du lycée. Sa décision est prise, il va tenter l'aventure à Fog City avec ses quatre amis. Londres devient dès lors un eldorado où leurs rêves de rock éternel et de liberté vont pouvoir s'exaucer. Leur folle équipée sera bien vite contrariée par des personnes aussi troubles qu’énigmatiques. Entre un faux Elvis détrousseur de grand chemin, Rachel, la cousine de Maurie dont le personnage n'est pas sans rappeler une certaine Twiggy ainsi que le faussement généreux « Docteur Robert » accro au LSD et imprésario dans le monde de la musique, la galerie de portraits s'avère fantasque et déjantée. On retrouve à l'époque actuelle nos papy du rock dans une situation économique et sociale pauvre et sans avenir. Toutefois, les personnages appréhendent leur nouveau périple à Londres, cinquante années plus tard avec beaucoup plus d'ironie que leur voyage initial. Un petit côté comédie british bien venue pour adoucir la tragédie qui entoure les protagonistes. Est-ce une coïncidence si l’œuvre de Peter May regorge de références puisées dans la culture pop anglaise ? Toute ou partie des personnages et des situations ramènent à cette période culturellement riche. Tout au long du roman, l'auteur égraine des classiques du rock britannique tels les Kinks, les Rolling Stones, etc. Le contexte social dans lequel évoluent Jack et ses amis, à savoir des jeunes issus de la classe ouvrière peut faire penser au parcours des Beatles. Nos héros sont cinq tout comme les gars de Liverpool lors de leur début à Hambourg et comme eux ils dorment dans une cave à leur arrivée dans la capitale. Séquence pur plaisir : ils croisent le chemin de Bob Dylan lors de sa première tournée en Grande Bretagne ! Leur rencontre avec le «Doctor Robert » sera déterminante pour le destin de nos héros -en dire plus serait vous dévoiler une partie de l'intrigue. Ce personnage est une référence évidente à la chanson éponyme sur l'album Revolver des scarabées. Tout comme dans la chanson, l'obscur docteur est le pourvoyeur de toutes substances surtout celles illicites. Autre personnage important : le psychiatre J.P. Walker, médecin en chef de l'institut Victoria Hall aux méthodes expérimentales et controversées rappelant la figure mi-légendaire mi-tutélaire de Timothy Leary, scientifique de formation à qui l'on doit grâce aux sucres de LSD les plus grands titres de l'histoire du rock. L'ambiance nostalgique est évidente. En parfait scénariste, Peter May nous emporte grâce à une écriture maîtrisée. Le récit est festif, grave voire tragique et souvent cocasse et l'on plonge tête la première tel un danseur de Ska n'ayant d'autre choix de se mouvoir sur les rythmes chaloupés et cuivrés d'un titre de Trojan Records. Alors faites tourner les vinyles et partez avec Peter May dans l'âme du rock britannique.

Les fugueurs de Glasgow, Peter May, traduit de l'anglais par Jean-René Dastugue Ed. du Rouergue – Sept. 2015 (22,50€)

Dans son cinquième roman, intitulé Villa des femmes, l’écrivain libanais Charif Majdalani continue de sonder l'histoire tourmentée de son pays natal. Il nous emmène cette fois-ci dans le Liban des années 1960-1970, aux cotés des Hayek, une grande famille de Beyrouth qui a fait fortune dans le négoce de tissu et qui va connaître un inexorable déclin.

À l’instar de ses précédents titres, Majdalani livre ici une superbe saga familiale où la grande Histoire - la guerre civile libanaise - rencontre la petite -celle des Hayek. Cette famille, jusque-là épargnée par les vicissitudes de la vie, sera elle aussi emportée dans le chaos de la guerre civile. Le récit du destin funeste des Hayek nous est conté par Noula, chauffeur de la famille: « Je me suis tenu là tout le temps nécessaire, gardien de la grandeur des Hayek, témoin involontaire de leurs déchirements et de leur ruine, assis en haut du perron de la villa, dans le carré de soleil, en face de l'allée qui menait au portail. » (Page 9). À leur service depuis sa plus tendre enfance, il est la mémoire et le passeur de leur histoire. La villa, au cœur du roman, est d'abord un havre de paix pour finalement se transformer en prison. Bordée d’orangeraies, de pinèdes et de champs d'oliviers, elle se situe aussi près d'un camp de réfugiés palestiniens ; lorsque la guerre civile éclate, la famille se retrouve en première ligne des combats et prise en tenaille entre les différentes milices. Comme dans ses précédents romans, Majdalani décrit la fin d'une époque, le passage d’un âge d’or à un monde de désolation et entreprend de faire concorder la chute de la famille à la trajectoire tragique du Liban. Pour les Hayek, le temps béni, celui de l'opulence et de la quiétude, coïncide avec la prospérité économique du pays ; le décès du père qui intervient aux débuts de la guerre marque le début du déclin. L’équilibre précaire que Skandar, le patriarche, parvenait à maintenir jusque là - tant au niveau politique qu’au sein de sa famille - se brise. Ainsi, lorsque à l’extérieur la situation explose, la famille quant à elle implose. À la mort du père, le fils aîné à qui revient la direction de l’entreprise et du patrimoine familial, se trouve être un piètre gestionnaire et entraîne les siens vers la perte. Le salut semble uniquement résider dans le retour au pays du plus jeune fils, parti explorer les contrées lointaines de l’Extrême-Orient et dont personne n’a de nouvelles. En attendant cet éventuel retour, les femmes prennent peu à peu les choses en main et deviennent les gardiennes de l’héritage familial. Villa des femmes, dans une écriture mélodieuse et portée par un extraordinaire souffle romanesque, dresse non seulement les portraits d'individus emportés malgré eux par la marche de l'Histoire mais se révèle aussi être un document foisonnant sur les années sombres du Liban.

Villa des femmes , Charif Majdalani Seuil – Août 2015 (12,90€)

Trip musical dans le Swinging LondonA.B.

En décidant de s'immerger à Detroit pendant plusieurs semaines, Alexandre Friedrich entamait une démarche littéraire prometteuse. L'immersion, loin d'être anodine, poursuit un but assez clair, et même énoncé , la quête d'une réponse: et si le présent de Detroit était notre avenir à tous ? Alarmant me direz-vous... pas tant que ça en réalité. Quoi qu'il en soit de cette enquête résulte un texte implacable, et aussi inéluctable que le destin de cette ville, déclarée en faillite officielle en 2014. On y suit l'auteur jour après jour dans ses déambulations le plus souvent sans but, à travers un Detroit aux prises avec le capitalisme le plus sommaire et le plus destructeur qui soit. Quid de l’être humain dans tout ça ? Là aussi la question est posée de manière plus ou moins indirecte. Pour parler de ce texte les éditions Allia formulent une idée tellement juste qu'il nous a semblé difficile de trouver mieux : « Détroit lui a inspiré un texte fulgurant, mi-récit d'aventure mi-reportage, forme qui lui permet, insidieusement, d'écrire un véritable roman d'anticipation. ». Cette impression de lire un roman d'anticipation persiste à chaque page, tant par le propos général du livre que par certaines scènes en elles même. On pense notamment à un passage dans les premières pages ou la description qui est faite de Detroit et de ses habitants a quelque chose de tout à fait surréaliste, mi-zombi, mi-extra-terrestre : « Ici nul ne comprend qu'un miroir sert à se regarder, ou plutôt à s'envisager. On dirait des individus vampirisés, incapables de se reconnaître. Corps pourtant exponentiels, hors gabarits. Il se croisent sans établir de contact ». Il est important de souligner que l'écriture d'Alexandre Friedrich joue un rôle majeur dans la puissance de ce texte. Il s'avère en effet que ce dernier fait preuve d'un sens de l'observation incroyablement fin et d'une justesse dans le choix de mots tout aussi pertinente. Aucune chance n'est laissée au lecteur d'échapper aux constats lucides et désarmants auxquels il fait face chaque jours dans ses pérégrinations. Un texte intelligent, vif et percutant publié par les brillantes éditions Allia dont la qualité du travail éditorial mérite une fois de plus d’être soulignée !

Fordetroit, Alexandre Friederich Allia – Août 2015 (6,50€)

Detroit : notre avenir à tous ?A.B.L.

Terre brûléeF.C.

Page 4: la Gazette des libraires n°4

Mathieu Riboulet a huit ans en Mai 68, douze ans en 1972 lors de la mort de Pierre Overney, ce militant de la Gauche prolétarienne tué par un vigile de Renault, dix-huit ans en 1978 lors de l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades Rouges. Autant de dates, symboliques et significatives dans l’éveil politique de Mathieu Riboulet, qui habitent et reviennent sans cesse hanter Entre les deux il n’y a rien. Il fut le témoin d’un d’entre temps, d’un d’entre-deux : de cette période située entre les luttes contestataires de Mai 68 et les années 1980 marquées par le cynisme et l’apparition de l’épidémie du sida. L’agitation des années 1970 menera à une impasse et nombreux sont les protagonistes de l’époque qui l’ont depuis renié et la dénigrent ouvertement. On peut d’ailleurs penser que c’est l’une des raisons qui pousse Mathieu Riboulet à écrire ce texte : rendre hommage et justice à ces personnes qui se sont engagées politiquement durant ces années-là et dont les questionnements sont toujours d’actualité.

« Je me refuse absolument à faire comme si rien ne s’était passé, comme si de 1967 à 1978 il n’y avait pas eu au cœur même de l’Europe en paix cette déflagration de violence qui laissa dans les rues les corps de centaines d’hommes et de femmes abattus comme des chiens. »

La prise d’otage aux Jeux Olympiques de Munich, Pierre Overney, Aldo Moro, Pier Paolo Pasolini, et tous les autres, « tous abattus comme des chiens ». Cette sentence répétée, martelée, scandée, tant de fois, comme pour honorer les morts et contraindre les vivants à se souvenir. « On tue dans les rues pacifiées ces gamins qui ont en travers la gorge d’être les fruits de ça : la guerre oblitérée et la course à l’oubli, rebaptisées prospérité. » Lors de ces années, l’Europe réunie et née des cendres de la Seconde guerre mondiale, connaît une période de violence larvée et étatique. Mathieu Riboulet s’interroge sur les différents moyens d’action du militantisme d’extrême gauche lors des années contestataires : pourquoi en Italie avec les Brigades rouges, et en Allemagne avec la Fraction armée rouge, prend-on les armes et entre-t-on dans la clandestinité ? Et pourquoi dans le même temps la France suit-elle une autre voie et bascule dans l’action violente ? Mathieu Riboulet n’a pas pris part à la lutte politique, du moins pas directement. Il entre en lutte par le corps, le sexe se révèlant être une arme et le symbole d’une intarissable soif de liberté. On assiste non seulement à la naissance d’une certaine conscience politique mais aussi sexuelle. Les deux sont intimement liées voire nouées, entremêlées : « Nous allions donc ici et là abriter nos amours, plutôt, pour être honnête, nos corps à corps rageurs, incendiaires, infinis, c’est-à-dire nos amours, le mot finalement juste, et les mêler de près aux réflexions brûlantes nées de la confusion qui nous environnait. »L’éveil des sens et de l’engagement politique sont concomitants et seront les deux piliers de ses années de jeunesse. Pris à bras le corps, vécus pleinement, sans restriction, portés par le désir de vivre et par cette farouche volonté de jouir du moment. Mathieu Riboulet s’est donc jeté à corps perdu, tout d’abord avec Martin à l’age de quinze ans, puis plus tard, à dix huit ans, avec Massimo, dans la lutte des classes et des corps. Avec eux, il découvre le désir homosexuel, la jouissance, l’abandon de soi dans les bras et le corps des hommes mais aussi le combat politique. Le sexe et l’action politique sont, à ses yeux, indissociables (« Conscience sexuelle et conscience politique c’est tout un, être pédé ça vous déclasse en un rien de temps. ») Entre les deux il n’y a rien est un triptyque qui mêle souvenirs d’enfance, de voyage et d’événements historiques. Ce n’est pas ce que l’on peut appeler un roman dans sa dénomination la plus commune, il s’agit d’un texte hybride à la frontière du récit de formation et de la fiction ; la chronologie et la temporalité y sont déconstruites et les codes brisées. Le tout forme un extraordinaire témoignage sur une époque, un récit d’apprentissage d’une beauté et d’une force renversantes et une œuvre fictionnelle à l’écriture épurée. Quand la lutte contestataire est étouffée que le sida fait son apparition, Mathieu Riboulet trouve un refuge dans les mots et reporte tout son engagement et sa rage dans la littérature.

Parallèlement à la sortie d’ Entre les deux il n’y a rien parait, toujours chez Verdier, un recueil de six portraits intitulé Lisières du corps. De Murat masseur dans un hammam à Istanbul, à l’éphèbe d’un sauna de Cologne, à Inti représenté sur une photographie, Mathieu Riboulet convoque des apparitions, rêveries, fantasmes, rencontres furtives et invite à la contemplation et à l’abandon. Dans une langue poétique, il parvient à somptueusement représenter le désir et la fascination pour le corps - masculin plus particulièrement. « Il faut avoir la force de s’arracher de là, de quitter la splendeur, de renoncer à elle, c’est-à-dire de rester rivé aux longs étiages où nous a déposé le désir éveillé. »

Entre les deux il n'y a rien, Mathieu Riboulet / Éditions Verdier – Août 2015 (14€)Lisières du corps, Mathieu Riboulet / Éditions Verdier – Août 2015 (11,50€)

Corps à CorpsF.C.

En mai 2014, les éditions de l'Olivier lancent une nouvelle collection intitulée « Replay » dont le but est d'offrir une seconde vie à des romans cultes mais indisponibles voire tombés dans l’oubli. C’est ainsi que des classiques modernes tels que L'homme-dé de Luke Rhinehart, J'ai tué Phil Shapiro d'Ethan Coen ou bien encore l’indispensable Banjo de Claude McKay ont d'ores et déjà été réédités. En ce mois de septembre, c’est Les Arabes dansent

aussi , premier roman du jeune écrivain et journaliste arabe-israélien Sayed Kashua, que nous avons la chance de (re)découvrir. Le titre, paru en Israël en 2002 et traduit dans de nombreuses langues dont le français en 2003 (Belfond), eut un grand retentissement et pour cause il s’agit d’un témoignage unique et sincère sur la place des arabes-israéliens dans un pays qui est le leur sans l’être vraiment.

Le texte, composé d’une succession de courts chapitres, retrace la vie du narrateur depuis sa jeunesse dans un village de Galilée jusqu’au début de sa vie d’adulte. Sayed Kashua puise directement dans son vécu pour narrer le parcours chaotique de ce jeune arabe-israélien qui tente vainement de trouver sa place dans une société israélienne sclérosée. Durant son enfance, deux personnalités exercent une forte influence sur lui : sa grand-mère qui le berce d’histoires glorieuses de résistance et l’élève dans le respect des traditions mais également son père, militant communiste, qui tente de lui inculquer le sens de l'honneur et de l'engagement patriotique. L’obtention d’une bourse pour intégrer un lycée huppé de Jérusalem marque le tournant majeur de son existence. Cette admission, à l'origine perçue par sa famille comme signe d'ouverture et de vie meilleure - ils l'imaginent même comme le premier Arabe à fabriquer une bombe atomique ! -, se révélera surtout être le début de l'errance pour le narrateur. En effet, constamment rejeté et raillé par ses camarades, l'intégration dans ce nouveau milieu est loin d’être évidente. Un événement va venir confirmer son statut de paria : lors d'un trajet en bus pour rentrer dans son village, un soldat israélien le fait descendre du véhicule et le fouille. Traumatisé par le contrôle, il cherche réconfort auprès de son père or ce dernier l'exhorte à clamer sa fierté d'être Arabe en toutes circonstances. Le fils adopte une toute autre vision des choses : il ne veut plus être pris pour un Arabe. Il met alors tout en œuvre pour se fondre dans la masse : il prononce l'hébreu mieux que les Juifs, se laisse pousser les cheveux, boit de l'alcool et a même une petite amie juive. Il ira jusqu’à renier ses racines et cultiver un dédain manifeste à l’encontre de sa famille. Il comprend

cependant assez vite qu'il reste - et restera - un Arabe aux yeux des Juifs. On assiste alors à l'aliénation progressive du personnage : à force de naviguer sans cesse entre deux mondes, il en va jusqu'à perdre une identité propre et devient étranger à lui-même. En ne trouvant pas sa place dans cette société qui ne fait -au mieux- que le tolérer, il sombre dans une spirale autodestructrice où il méprise les arabes et envie les Juifs.Sans jamais se départir d’un féroce humour noir, Sayed Kashua relate avec brio le chemin semé d’embûches de ce jeune homme à l’identité floue et multiple, en perpétuelle quête d’acceptation et qui n’est nulle part chez lui. Le jeune romancier, las de ce combat qui lui semble de plus en plus perdu d’avance, décide en 2014 - soit douze ans après la publication de Les Arabes dansent aussi - de s’exiler aux États-Unis. On comprend dès lors pourquoi il était urgent et nécessaire de rééditer ce roman plus que jamais d’actualité.

Les arabes dansent aussi - Sayed Kashuatraduit de l'hébreu par Katherine Werchowski

Ed. de l'Olivier – Sept. 2015 (12, 90€)

Lost in translationF.C.

Page 5: la Gazette des libraires n°4

Entre grands thèmes d'actualité, livres sur la Méditerranée et titres très attendus, nous vous proposons ici quelques parutions « phares » pour cette rentrée. Bien évidemment, selon la formule consacrée, n'hésitez pas à passer nous voir pour en découvrir de nombreux autres !Tout d'abord, à l'occasion de la réouverture prochaine du Musée de l'Homme, un très beau catalogue, préfacé par Yves Coppens (Une belle histoire de l'Homme, Flammarion) interroge avec de nombreuses contributions la singularité de l'Homme et ses caractéristiques. Un vaste chantier ! Une lecture qui pourra être complétée par Sapiens (Albin Michel) de Yuval Noah Harari, en passe de devenir une référence mondiale.Il nous tient également à cœur de présenter à l'occasion de la COP 21 à venir, quelques titres pour comprendre les enjeux de la crise climatique : ainsi, les éditions du Seuil publient dans la collection l'Anthropocène un ouvrage collectif intitulé Crime climatique stop, avec la participation, entre autres de Naomi Klein et Jean Jouzel. Dans le même ordre d'idées, La Ville Brûle a fait appel à Sylvestre Huet, de Libération pour un état des lieux fort utile, intitulé Les dessous de la catastrophe climatique. Et pour ne pas se contenter d'un regard centré sur l'espèce humaine, La sixième extinction, d'Elizabeth Colbert (Vuibert), replace la survie et l'évolution des espèces dans le temps très long de la vie sur Terre.À la marge du sujet, nous vous conseillons également le Manifeste contre le gaspillage de Arash Derambarsh chez Fayard, et surtout le très dense La faim de Martin Caparros chez Buchet-Chastel, une enquête de grande envergure pleine d'empathie, de révolte et d'humanité.Autour de la Méditerranée, et en écho à notre soirée consacrée aux migrants, un livre « en immersion » chez Fayard par Arthur Fraye (Dans la peau d'un migrant) permet de mieux comprendre ce qu'endurent tous les réfugiés. Une crise qu'aborde également Jean-Pierre Filiu, un de nos meilleurs connaisseurs du monde arabe, loin des exagérations et affabulations de certains, dans Les Arabes, leur destin et le notre (La Découverte). Enfin, Une histoire de la Mecque (Payot) par Ziauddin Sardar décrypte et éclaire près de 1500 ans de pèlerinage en Islam.En quelques mots pour finir, nous nous réjouissons de relire François Xavier Fauvelle Aymar qui nous avait enchantés avec Le Rhinocéros d'or, sur le moyen age africain, qui revient avec Convoquer l'Histoire (Alma), sur les discours de Nelson Mandela. Achille Mbembe, dont la conférence au MuCEM restera comme un grand moment, propose quand à lui un livre intitulé La pharmacie de Fanon aux éditions de La Découverte. Michel Pastoureau quant à lui dans Le Roi tué par un cochon (Seuil), revient sur un épisode méconnu de l'Histoire de France, auquel l'historien du symbole redonne toute sa portée et son ampleur avec son érudition habituelle. Un dernier pour la route ? David Graeber, qui, après sa somme sur la dette (Les Liens qui Libèrent), s'attaque dans Bureaucratie, l'utopie des règles, aux « boulots à la con ». Tout un programme !

Comment définir la liberté quand elle touche de près notre sphère privée? Quand est-on vraiment libre et à quel prix ? Ainsi se questionne Etienne, photographe de guerre, retenu comme otage plusieurs mois dans un pays en plein conflit.

Dès son retour en France, pour faire face au traumatisme de la captivité, il s'installe dans son village natal auprès de sa mère et de ses amis d'enfance, pour retrouver un monde familier à partir duquel reconstruire sa vie. Avec Enzo, le « fils de l'Italien », et Jofranka, « la petite qui vient de loin », Etienne creuse dans les souvenirs, obsédé par la question cruciale : quelle est la part d'otage en chacun de nous ?Jeanne Benameur nous livre dans ce roman une réflexion très intime sur la recherche identitaire et sur les choix et les contraintes qui conduisent à la définition de chacun dans le monde. La captivité d'Etienne n'est que le prétexte pour s'interroger sur les mécanismes qui emprisonnent les esprits : chaque personnage est un captif à sa façon, et nous suivons leurs parcours de libération émotionnelle et psychologique tout le long du roman. En toile de fond, deux univers opposés prennent forme : d'une part la guerre, avec son bagage d'horreurs et de violences ; d'autre part la nature sauvage qui échappe complètement à la volonté des hommes. Ces deux environnements se croisent mêlant les souvenirs d'enfance et les souvenirs de guerre. Ils accueillent aussi les parcours différents des personnages du récit: Irène, la mère d'Etienne, a passé sa vie à attendre, d’abord son mari perdu en mer, puis son fils constamment en mission ; Enzo l’ébéniste a choisi le calme et l'apaisement que lui donne le travail du bois. Etienne et Jofranka, au contraire, cherchent sans cesse l'ailleurs, lui comme reporter toujours en première ligne, elle comme avocate à La Haye, aidant les femmes victimes de guerre. À travers ces quatre personnages se définissent les liens, ceux de l’amour et de l’amitié, et le rapport entre la mère et le fils. La musique du trio - Etienne au piano, Jofranka à la flûte et Enzo au violoncelle - devient le point d’appui pour ne pas sombrer dans le désespoir lors de la captivité du photographe.L’écriture suit le rythme saccadé des souvenirs qui surgissent en éclair, elle alterne des phrases courtes et sèches à d'autres plus longues, où les pensées se mêlent au récit comme un flux de conscience. Le style de Jeanne Benameur a cette qualité d’être à la fois palpable et concret, donnant corps aux impressions vécues par les personnages, mais il est aussi par moments extrêmement poétique, et il entraîne le lecteur au cœur de la réflexion introspective de ces otages intimes. On vit à la fois une guerre intérieure, celle des personnages dans la recherche d’eux-mêmes, guettant la définition de leur « place dans le monde », et une guerre externe, qui est bien réelle et toujours d’actualité. Le temps s'anéantit, ainsi que l'espace, il n'y a pas de repères de dates ou lieux. Le pays où Etienne est pris en otage n'est jamais désigné: la guerre est partout pareille, destructrice de la même façon. Pour définir et affronter ces deux guerres, il faut trouver les mots justes, car la parole seule peut délivrer des âmes captives. Jeanne Benameur a su les trouver, nous offrant un roman émouvant et profondément humain.

Otages intimes, Jeanne BenameurActes Sud – Août 2015 (18,80€)

Bien évidemment d'autres livres nous ont enthousiasmés et nous vous invitons à suivre nos coups de cœur et sélections à la Librairie tout au long de la rentrée et à venir en discuter avec nous ! Voici donc une liste d'autres parutions que nous tenions à partager avec vous dans cette gazette. Il y a pour commencer, Petit piment d'Alain Mabanckou (Seuil), un livre qui nous plonge dans l'atmosphère congolaise des années 60-70, en suivant le parcours d'un orphelin recueilli dans un centre dirigé par des hommes peu scrupuleux, puis à travers les quartiers pauvres de Pointe noire, les bandes de jeunes voyous et les prostituées. On suit avec délectation celui que l'on nomme Petit piment jusque dans sa folie, bercé par l'écriture d'Alain Mabanckou, écrivain et professeur de littérature francophone aux États-Unis, couronné du Grand prix littéraire de l'Afrique noire en 2005, avec son premier roman Bleu-blanc-rouge et du prix Renaudot en 2006 avec Mémoires de porc-épic.L'Infinie comédie de David Foster Wallace (traduction de Francis Kerline – Éd. de l'Olivier), traduction tant attendue d'un des plus grands chef d’œuvres de la littérature américaine, une vingtaine d'années après sa sortie aux États-Unis. Dans ce roman, qui est selon l'auteur le plus triste qu'il ait voulu écrire, c'est toute une galaxie de personnages que nous croisons sur 1500 pages. Il y a un fameux diagramme monstre (que vous pouvez retrouver dans le Matricule des Anges n°166) qui expose le labyrinthe narratif utilisé par l'auteur, les chemins qui se frôlent et ne se croisent pas, les opposés se serrant les coudes. Cette comédie humaine et du langage se rapproche de La vie mode d'emploi, appliqué à une vision des États-Unis futuriste et logiquement déconnectée d'une vision du collectif aimant et chaleureux. Un incontournable de la rentrée. Vient ensuite, Charøgnards de Stéphane Vanderhaege qui paraît aux éditions Quidam. Le livre s'ouvre sur un chapitre provenant du futur écrit dans une langue proche de la notre. Nous comprenons, qu'il s’agit du langage de ceux qui survivrons à la catastrophe. Celle qu'est en train de vivre l'auteur du journal évoqué dans la première phrase de la préface : Il est de l’hystoire tréfọnds que nous provient ce documens hørs pær que le lectans apprėte à consọmmer. Dans ce journal, le personnage consigne scrupuleusement une lente et inexorable invasion de corbeaux dans son village. Pur délire paranoïaque, véritable fin du monde ? Nous suivons, la lente descente de cet homme dans un univers anxiogène jusqu'à la perte même de l'usage des mots. Un premier roman surprenant tant dans sa forme que dans la langue parfaitement maîtrisée : auteur à suivre !Très attendu à la librairie : Vertige de la lenteur une anthologie publiée par les audacieuses éditions du Tripode qui célèbre les vingt ans de la revue littéraire La Femelle du requin, et proposera une somme de ces fameux entretiens. À l'honneur, Antoine Volodine, Pierre Michon, Russel Banks pour n'en citer que quelques uns !

Et aussi : Le 1 « Hors-série Rentrée littéraire » dans lequel Jérémie B. vous parle de La profession du père de Sorj Chalandon. L’Oiseau du Bon Dieu de James McBride chez Gallmeister (National Book Award en 2013, Quand le diable sortit de la salle de bain, Sophie Divry / les Éditions Noir sur Blanc

Et tous ceux dont on aimerait aussi vous parler...

Les sorties Sciences-humainesJ.B.

Esprits captifsV.G.

Page 6: la Gazette des libraires n°4

la rentrée des BD

Zeina Abirached n'en est pas à son coup d'essai avec Le Piano oriental. À son actif déjà plusieurs ouvrages dont le très réussi Mourir, partir, revenir – le jeu des hirondelles (Cambourakis, 2007). Il y a eu aussi, Moutons, album pour enfant, Catharsis, 38 rue Youssef Semaani, Je me souviens ,Beyrouth – bande dessinée où elle évoquait la ville à la manière du « je me souviens » de Georges Perec – bref, tout ça pour souligner que le parcours éditorial de cette jeune dessinatrice libanaise de 34 ans est déjà remarquable. Le piano oriental ne fait que confirmer une fois de plus tout le talent de Zeina Abirached. En nous racontant l'histoire d'Abdallah Kamanja, inventeur du

piano oriental, l'auteure s'inspire d'une personnage bien réel : son arrière grand-père, Abdallah Chahine, pianiste, accordeur de piano, et véritablement inventeur du piano oriental dans les années 50. Néanmoins, il est important de préciser que cette formidable bande dessinée n'a pas valeur de biographie, si son personnage principal est inspiré de son arrière grand-père, cette inspiration est tout à fait libre, et l'auteure tisse tout au long du récit un canevas fait à la fois de faits réels et de fruits de son imagination.Ce piano oriental donc, qu'a-t-il de particulier ? Un détail en vérité, mais non des moindres : il joue un quart de ton tout à fait unique, celui qui permettra à qui l'utilise, de jouer de la musique orientale, avec ce que cela induit d'originalités sonores, et tout ça sur un clavier tout à fait occidental. Il fait le lien entre deux cultures en somme. Zeina Arbiched aussi. Pendant tout le récit s'entrecroisent deux voix narratives. D'une part il y a celle qui raconte l'histoire d'Abdallah Kamanja, sa passion incommensurable pour la musique - qui le poussera à fuir une incompréhension paternelle pesante - ses questionnements, ses joies, Odette, le tarbouche de son oncle Khalil, la musique qui joue dans sa tête en permanence, ses recherches pour arriver au quart de ton parfait, son voyage à Vienne chez les frère Hofgang... D'autre part celle de l'auteure, bien autobiographique cette fois, qui raconte comment la langue française et la langue arabe n'ont eut de cesse de s'entremêler dans sa pensée pour finalement construire une identité riche et foisonnante. La musique est dans chaque page, presque même dans chaque mot. Si certaines planches sont au sens propre construites et imaginées comme des partitions, c'est en réalité l'ouvrage lui même qui est construit comme tel. Tout y est musical, du rythme narratif, à l'alternance des cases en passant par le texte qui considéré du point de vue de la sonorité fait preuve d'une véritable musicalité. Les mots de Zeina Abirached quand elle évoque le français comme « langue refuge », ceux qu'elle choisit lorsqu'il s'agit de parler de son départ pour la France (« en arrivant en France il a fallu séparer les deux jeux de mikado, attraper délicatement chaque petit bâtons, sans détruire l'édifice ») tout est teinté de douceur, de poésie, de finesse, d'émotion et de subtilité. Comme le quart de ton qu'inventa son arrière grand père et qui fait toute la différence, la sincérité, la virtuosité et l'intelligence des mots et du dessin de Zeina Airached donnent à n'en pas douter à ce Piano oriental une dimension précieuse et rare.

Le piano oriental, Zeina AbirachebCasterman – Sept. 2015 (22 €)

Julia Wertz est une jeune auteure de bande dessinée américaine. Dans Whiskey & New-York (Alter Comics, 2011, malheureusement épuisé à ce jour), elle racontait son arrivée à New York et ses nombreuses déconvenues, avec un humour et une auto-dérision qui rendaient un propos banal absolument hilarant. Dans L’attente infinie, elle raconte sous la forme de 3 récits distincts ses années de petits boulots galères jusqu’à ses débuts dans la BD, qui la mèneront dans différents états américains mais aussi le lupus qui lui a été diagnostiqué à 21 ans et la convalescence qui en a découlé et qui lui a permis de découvrir le monde de la BD. Enfin, dans une dernière histoire très touchante, elle évoque la bibliothèque de sa ville natale qui a laissé en elle un souvenir impérissable. Dit comme ça, pas grand-chose d’original dans le monde de la BD actuelle…sauf que Julia Wertz est toujours dotée de cet humour corrosif qui avait fait tout le sel de son premier livre et ses remarques grinçantes et pince-sans-rire provoque de véritables éclats de rire. Son frère, personnage récurent de ses pérégrinations, tire lui aussi plus vite que son ombre et ses deux là nous font l’honneur de joutes verbales extras ! Même clouée au lit par un mal qu’elle ne connaît pas encore, Julia garde son sens de la dérision et son flegme. Bien sûr, on devine que cela sert souvent à cacher sa peine ou sa difficulté à trouver sa place mais cela ne la rend que plus attachante. Alors n’attendez pas infiniment et plongez-vous dans ce livre !

L'attente infinie, Julia WertzL'Agrume – Sept. 2015 (20 €)

« je tricote depuis l'enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux » A.B.L.

À chaque rire malheur est bonC.R.

The Mamas & The Papas… “California Dreamin'” ...“Dream a little dream of me » : des classiques de la musique du milieu des années 60 que tout le monde a fredonné un jour. Mais derrière les tubes se cache surtout une voix et une personnalité : Cass Elliot alias Ellen Cohen, une jeune fille de Baltimore, fille d’épicier, qui a toujours rêvé de spectacles, de théâtre, de chant et qui a force d’ambition et de culot, a su imposer sa voix et son physique. Car depuis toute petite, Cass a un problème de poids, seule façon (selon elle) d’attirer encore l’attention de ses parents depuis la naissance de sa petite sœur. Mais finalement, ce problème, il n’y a que les autres qui le voient… Cass est bien dans sa peau, coquette, sûre de ce qu’elle veut et de son talent. Elle séduit, son charisme et sa bonne humeur lui permettent de faire partie de plusieurs groupes avant de s’imposer au sein du trio existant Magic Circle, qui deviendra le quatuor The Mamas & The Papas. Derrière toute cette énergie, on découvre l’histoire d’une femme au grand cœur, qui autant en amour qu’en amitié, donne tout, tout le temps et se laisse porter par ses pulsions.Par les voix des membres de son entourage, on découvre les coulisses du groupe et du monde de la musique de l’époque en général mais surtout la personnalité exceptionnelle de celle qui s’était rebaptisée Mama Cass et qui croqua la vie à pleine dents… L’occasion, au fil de votre lecture, de (re)découvrir ses chansons et sa voix tout en nuances.

California dreamin' , Pénélope BagieuGallimard BD – Sept. 2015 (24 €)

The Mama Cass dream C.R.

Derrière chaque femme, il y a une histoire… c’est en somme l’idée qui nous traverse en refermant cette nouvelle BD de Catel (Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges co-écrits avec José-Louis Bocquet et paru chez Casterman, Ainsi soit Benoîte Groult chez Grasset), auteure dont les portraits en BD sont toujours si réussis. Accompagnée ici de Claire

Bouilhac, elle adapte Les lilas de Kharkov, récit de l’actrice Mylène Demongeot dans lequel elle narrait la vie de sa mère. Atteinte d’un cancer, celle-ci raconta sa vie à sa fille avant de s’éteindre, en lui faisant promettre d'en faire une histoire. Klavdia (Claudia) naît à Kharkov en Ukraine en 1904. Très jeune, elle veut prendre sa vie en main, ne pas suivre la voie de sa mère, tellement dans l’ombre d’un mari qui la faisait souffrir. Aller à l’école par exemple est un combat qu’elle ne lâchera jamais. À 15 ans, elle rencontre son premier mari qu’elle épousera à 18 ans, échappant ainsi à sa famille. Klavdia sait ce qu’elle veut, connaît sa beauté dont elle se sert pour arriver à ses fins et a beaucoup d’ambition. Les rencontres, les déconvenues puis l’Histoire influenceront sa vie. L’amour aussi, le vrai, en la personne de Fred Demongeot, futur père de Mylène, avec lequel elle déménagera à Nice. Une vie riche, dure, forte qui fera d’elle une femme froide et intransigeante avec sa fille, les blessures et les obstacles la rendant incapable de transmettre son amour, de le dire. Comme souvent, c’est dans les derniers moments que ces sentiments éclateront… En parallèle de ce passionnant portrait (dessiné par Bouilhac), on effleure aussi la vie de Marie-Hélène (dessinée par Catel), devenue Mylène et star à l’époque de la grande BB. Une autre génération et des combats qui se rejoignent avec deux portraits qui se répondent pour une lecture passionnante et vibrante.

Adieu Kharkov – Mylène Demongeot, Catel, Claire BouilhacDupuis – Août 2015 (22 €)

De mère en fille...C.R.

Page 7: la Gazette des libraires n°4

la rentrée de la littérature jeunesse

Dans un futur proche, la Terre telle que nous la connaissons n'est plus. En effet, Linka, notre jeune hé-roïne, et sa petite sœur Oksa, toutes deux orphelines appartenant à la 16e Maison des enfants n'ont ja-mais vu d'animaux de leur vie.

« Linka souriait. C'était la plus belle histoire qu'elle avait jamais entendue. Et puis, c'était une histoire vraie, une histoire de la vie. Personne ne racontait d'histoires à la 16 eMaison des enfants. Les histoires du passé, quand on s'en souvenait encore, on les gardait serrées dans sa tête comme des choses un peu honteuses. »

Les animaux ont été exterminé deux décennies auparavant afin d’empêcher la propagation d'un virus, le PIK3. Ce mystérieux virus décima des millions de bêtes, qui une fois contaminées ne s'alimentaient plus. Les humains commencèrent à attraper la maladie au contact des bêtes infectées. Ce fut l’épidémie la plus meurtrière jamais connue et tout le règne animal dû être détruite pour éviter l'extinction humaine. Cette mesure sanitaire radicale ne fut pas sans conséquences, et petit à petit, les humains durent réapprendre à vivre non sans instaurer des règles strictes comme l'Article 1 où « toute personne en contact avec une vie non humaine doit l'éliminer ».Le passé est anéanti, le futur est plus qu'incertain, et il règne dans le présent un climat de terreur, où les lois intransigeantes conditionnent les humains à vivre avec un sentiment de peur omniprésente. Ceux qui sont contre les précetptes sanitaires imposées ou qui n'obéissent pas disparaissent sans laisser de traces. Il y a aussi des rumeurs qui circulent sur une horde d'enfants sauvages avec à leur tête un certain Docteur Fury. Ils sont craints car ils remettent en question l'ordre établi pour le bien de tous : ils refusent de tuer les vies non humaines par exemple !À pas feutrés, ils se rapprochent... Devinez-vous le murmure de révolte qui gronde? Les enfants sauvages et tous ceux qui refusent ce matraquage de mensonges, n'entendent pas se laisser faire. Ils se préparent à révéler à tous les supercheries des autorités publiques. Ils n'oublient pas que le sort qu'a subi l'espèce animale et l'origine du PIK3 résultent des conditions inavouables et inhumaines dans lesquelles on élevait les bêtes vingt ans plus tôt ! Suivez le destin de la jeune Linka et de la mystérieuse « bête » qu'elle trouve, un après-midi comme les autres, lors d'une virée interdite dans un zoo désaffecté pas très loin de l'orphelinat.Un très beau roman qui dénonce notre société d’hyper-consumérisme et sur industrialisée, peu respectueuse de la nature et ce, au détriment de la pluralité foisonnante de la faune et de la flore qui tend peu à peu à disparaître au profit de la rentabilité économique. C'est une célébration de la nature, de la vie dans ce qu'elle a de plus beau et une prise de conscience de l'importance d'être éco-responsable au plus vite pour éviter des conséquence dramatiques aujourd'hui, mais aussi pour nos générations futures. Elles aussi ont le droit d'avoir la chance et le privilège de vivre au contact des animaux. Pour tous les adolescents soucieux de l'écologie et de l’environnement, férus de roman d'anticipation et de rébellion. (de 12 à 16 ans)

Nous, les enfants sauvages, Alice de PonchevilleÉcole des loisirs – Août 2015 (19,50€)

Un nouveau venu dans la très belle collection « Encrages » de la Joie de Lire. On y a avait déjà beaucoup aimé Autopsie d'un papillon, Pampa Blues ou encore Freak City... Ce nouveau titre ne fait qu'ajouter à un catalogue réussi pour cette collection adressée aux adolescents, qui se démarque par la qualité de ses publications et de ses choix éditoriaux.

Ici, Joao Anzanello Carracscoza nous entraîne dans le Brésil d'aujourd'hui dans une série de nouvelles tour à tour drôles, tristes, émouvantes, poétiques et qui, quoi qu'il arrive résonnent toujours avec beaucoup de justesse.

Il a Edou dont son grand frère nous parle avec tendresse et un amour démesuré que le destin brisera pourtant. Il y a ce petit garçon amoureux de la mer, qui parti en vacances avec son frère et ses parents raconte le bonheur intense du face à face avec la mer, et la

panique qui le saisit quand il oublie de descendre du bus. Cette mère débordante de bonheur à l'idée d'investir une nouvelle maison et un nouveau lieu de vie.…Destins différents et histoires propres à chaque narrateur mais qui finalement et grâce aux qualités d'écriture de l'auteur construisent le portrait d'un pays contemporain. De ces plus ou moins petites choses qui font une vie, événements insignifiants ou faits irréversibles, Joao Anzanello Carracscoza en fait un roman qui nous emporte et nous transporte.

Le cours des choses, Joao Anzanello CarracscozaLa Joie de Lire – Août 2015 (13€)

C’est là que vivent la Petite, ses parents et une troupe de cirque. Voilà des années qu’aucun spectacle n’a été monté sous le chapiteau mais c’est là qu’ils vivent toujours, dans ce lieu nommé le Puits aux Anges, à l’écart du Village et à l’abri des regards.

« Au Puits aux Anges, le temps s’écoule, fluide, léger, sans brisure autre que celle du basculement de la lumière sur les carcasses des voitures (…), et l’ombre de la Petite est pareille à celle des Pins, mouvante, parfois minuscule parfois infinie. Si bien qu’elle ne peut mesurer le temps passé depuis sa naissance jusqu’au jour présent. Voilà pourquoi, de sa toute petite enfance, elle ne saurait dire si c’était juste hier ou il y a des millions d’années. »

Même s’il s’agit plus de survie que de vie, ces années que l’on pourrait nommer « les années de félicité », vont bientôt s’achever. En effet, la petite communauté est menacée d’expulsion. Des hommes du Village plantent des centaines de piquets orange en vue de l’établissement d’une nouvelle voie rapide. La Petite et les siens ont beau saboter le travail des ouvriers, la construction trouvera malgré tout son achèvement. Le Village et ses habitants, les Sauvages (ainsi les nomment ceux du Puis aux Anges), vont peu à peu imposer leurs conditions de vie et leurs manières de faire à la Petite et à sa famille. La Petite va devoir aller à l’école, mais pour elle, qui vit depuis sa naissance au son des légendes, être confrontée à un monde dont elle ne maîtrise pas les codes est plus que perturbant. Elle tente de maintenir à flot le plus longtemps possible ce qu’on lui a raconté et appris depuis sa petite enfance. Elle veut continuer à croire en la puissance des mots et des histoires, elle veut connaître la langue des bêtes, mais celle-ci existe-t-elle vraiment ? Elle monte un spectacle, elle raconte des histoires aux filles de sa classe, aux enfants du Village ; mais cela ne fait qu’attiser les craintes des villageois et précipiter la chute du Puits aux Anges. La Petite devra partir en quête de ses origines et apprendre la vérité sur sa venue au monde avant de mieux retomber dans les histoires, la magie et les légendes. Elle va devoir en quelque sorte se placer « contre » ceux qui l’aiment et s’affranchir de ce qui fut érigé afin de la protéger pour trouver son chemin. Situé dans un temps immémorial, La langue des bêtes est un de ces récits qui vous happent à peine commencé et vous habitent plusieurs jours une fois terminé. Les personnages de Stéphane Servant sont forts, l’ambiance est envoûtante et l’on voudrait se lover entre les lignes de certains paragraphes – mon exemplaire est d’ailleurs largement surligné afin de mieux retrouver ces passages, comme celui-ci :

« (...) elle s’était abritée tout contre la petite bibliothèque et elle avait cherché des mots apaisants. Les mots qui étaient la soupe de l’âme. Les livres pour enfants étaient remplis de choses merveilleuses. (…) Au fil des pages, elle avait découvert que les mots de ces livres avaient une saveur particulière. Contrairement aux récits d’aventures de Colodi, les livres pour enfants regorgeaient de mots exotiques, amusants et rassurants à la fois. Epaminondas, barbichette, babouin, canari, ogrelet, hippopotame, clapote. Elle les avait dévorés, un à un. Jusqu’à être rassasiée. »

Laissez-vous emporter par la magie des mots de Stéphane Servant et savourez… À conseiller sans modération dès 14 ans.

La langues des bêtes, Stéphane ServantLe Rouergue Jeunesse – Août 2015 (15,90€)

Quelque part au fond des bois, il y a le Puits aux Anges… G.F.

Le temps d'inventer une vieM.D.

Nouvelles brésiliennesA.B.L.

Page 8: la Gazette des libraires n°4

Et si les touts petits aussi avaient leur rentrée littéraire ? Nous accordons beaucoup d'importance aux parutions d'albums et quelles parutions pour cette rentrée ! Alors, raison de plus pour vous en faire part dans cette gazette et qui sait, cela deviendra peut-être un rendez-vous annuel ? On parie ?Premier matin, texte et dessins de Fleur Oury – Éd. Les fourmis rougesVoici un premier album plein de douceur sur le tout premier jour d'école de petit ours. Les illustrations au feutre sont joyeuses et magiques à la fois : on voit peu à peu les peurs de l'ourson s'envoler tandis que c'est toute la forêt qui s'anime pour cette journée très importante dans la vie de nos enfants, et ce, tout simplement.Je veux enlever la nuit, texte d’Hélène Gaudy et dessins de Simone Rea – Éd. Cambourakis

Oskar ne veut pas aller dormir, la nuit on s'ennuie et tout est noir ! Seulement ses parents eux aimeraient bien que celui ci s'endorme pour pouvoir enfin se reposer. Alors, la maman utilise son imagination et beaucoup de poésie pour lui montrer que la nuit peut aussi lui réserver de bonnes surprises... en énumérant toutes les nuances du noir par exemple. Il y a de la douceur dans les mots et dans les dessins au crayon qui raviront petits et grands à l'heure du coucher, afin de reprendre les bonnes habitudes de la rentrée.Le loup et la petite fille, texte d'Yves Jaffrennou et images d'Evelyne Mary – Éd. Rue du mondeTrès bel album aux éditions Rue du monde, les traits, le graphisme et les couleurs de ces linogravures sont inoubliables. C'est l'histoire d'une grande amitié au sort terrible : une petite fille rencontre un loup dans la forêt. Ces derniers s'amusent beaucoup ensemble et la petite fille décide d'inviter son ami le lendemain au village où il pourra rencontrer sa famille et faire de la bicyclette. Quelle drôle d'idée un loup sur une bicyclette ! Mais que diront les adultes ?

Ours et Gouttes, texte d'Elsa Valentin et dessins d'Ilya Green – Éd. Didier JeunesseEncore une fois, nous avons un énorme coup de cœur pour les illustrations d'Ilya Green qui accompagnent merveilleusement bien ce texte farfelu, d'une imagination débordante qui rend honneur à celle des enfants qui s'inventent des histoires ! Ici, Lilou nous entraîne dans ses jeux et impossible de résister à l'envie de retomber en enfance.Le voleur des mers, texte et illustrations de Julien Magnani – Éd. Magnani« Au village tout le monde se doutait qu'il devait s'agir d'un véritable forban. D'étranges rumeurs couraient sur cet individu discret qui n'apparaissait qu'à la nuit tombée, les poches remplies d'or. » Sublime fable sur une amitié singulière qui naît entre un flibustier drôlement fagoté qui se ballade en

sous-marin et le fils du pêcheur un peu trop curieux !Et aussi … Barbe bleue, une adaptation du conte de Charles Perrault par Frédéric Bélonie aux éditions Actes sud junior. Frédéric Bélonie y remet au goût du jour le conte et sa morale, à lire à toutes les filles (et aux garçons aussi d'ailleurs !)Une île, texte et dessins de Fanny Michaëlis chez Thierry Magnier. Une très belle allégorie écologique sur le lien entre la nature et les hommes, et leurs idéaux. Les dessins et l'histoire de cette toute petite fille sont magnifiques !

Ont participé à ce numéro de la Gazette

des libraires

Anaïs Ballin-Lecoq (Librairie du MuCEM)

Jérémie Banel (Librairie du MuCEM)

Alexandre Biville (Librairie du MuCEM)

Floriane Caprioli (Librairie du MuCEM)

Marion de Foresta(Librairie du MuCEM)

Marion Duhoux (Librairie du MuCEM)

Gaëlle Farre (Librairie Maupetit)

Valéria Gonzalez Y Reyero

(Librairie du MuCEM)Claire Rémy

(Librairie Maupetit)

Conception graphique et mise en page :

Anaïs Ballin-Lecoq

Comme des grandsM.D.

Horizontal3. Sa mère le plongea dans les eaux du Styx pour le rendre invulnérable5. Aphrodite pour les grecs, Vénus pour les romains, et pour les égyptiens ?7. Roi de Macédoine et personnage célèbre de l'Antiquité8. Déesse égyptienne de la joie et du foyer, représentée sous les traits d'un chat9. Il a écrit le voyage d'Enée depuis sa fuite de Troie jusqu'à son arrivée au Latium10. Plus haute montagne de Grèce et traditionnellement domaine des Dieux12. Dieu de la vigne, du vin, de la folie et de l'excès dans la mythologie grecque13. Dieu égyptien le plus souvent représenté avec une tête de faucon couronnée du pschent14. Divinité antique orientale puis romaine16. Nom du temple consacré aux dieux et déesses à la fois chez les grecs et chez les romains17. Inventeur de l'agriculture et de la religion dans la mythologie égyptienne18. Œuvre majeure de Virgile

Vertical1. Épouse de Zeus2. Poséidon chez les grecs, et chez les romains ?4. Nom de l'exposition consacrées aux mythologies, actuellement en cours au MuCEM5. Fils de Zeus et Alcmène6. Jupiter chez les romains, et chez les grecs ?7. Déesse de la chasse, associée à la lune dans la mythologie grecque11. L'auteur des Vies minuscules15. Il a écrit les célèbres aventures d'Ulysse

Mots croisés : Mythologie et cie.