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0 La création de la Grande Loge de Londres et de la Grande Loge de France, à la lumière du conflit Whigs-Jacobite 1685-1738 Louis TREBUCHET 5 juillet 2013

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La création de la Grande Loge de Londres et de la Grande Loge de

France, à la lumière du conflit Whigs-Jacobite

1685-1738

Louis TREBUCHET 5 juillet 2013

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Peut-être en raison de l’attrait du mystère du mot de maçon ou del’existence de loges permanentes de maçons opératifs en Écosse1, ou en raison del’absence d’archives des loges anglaises, nous trouvons dans les archives des logesÉcossaises2 de nombreuses mentions de membres de la gentry reçus dans ces logesécossaises au cours du XVIIème siècle, alors que les témoignages anglais sontbeaucoup plus rares. On recense3 une dizaine de ces acceptations sous le règne deCharles 1er, une trentaine sous le règne de Charles II, pour la plupart desprotecteurs du métier, tels que lord Alexander et son frère, maître de travaux desa majesté en 16344, ou des confrères tels que David Ramsay, «his majestie’sspecial servand», l’horloger du roi, le premier Maître de la Worshipful Company ofClockmakers en 16315.

L’accession au trône de Jacques II, éclosion de la franc-maçonnerie symbolique

Le panorama des loges d’Ecosse très largement opératives va changer àpartir de la mort de Charles II. Le nombre de personnalités non opératives reçuesdans les loges écossaises entre l’accession au trône de Jacques II, 1685, et lacréation de la Grande Loge de Londres, 1717, s’élèvera à une centaine, soit letriple de celles reçues pendant la totalité du règne de Charles II, pour une périodede temps sensiblement équivalente. Six loges seront même constituées enmajorité, voire fondées, par des non opératifs : Dunblane, Hamilton, Kelso,Haughfoot, Aberdeen, Dumfries.

Parmi les treize membres cités dans la première minute connue de la loge deDunblane6, on trouve seulement quatre maçons opératifs, et une majorité degentilshommes tous liés à la cause Jacobite. John Drummond, Vicomte Forth, puisduc de Melfort, sera Vénérable Maître de cette loge en 1743, quelques annéesavant sa mort.

A la Saint Jean d’hiver 1695, 13 maîtres « de la loge d’Hamiltons’établissent en une "incorporation" »7. Le petit bourg d’Hamilton regroupe à cetteépoque quelques maisons autour d’un palais. Car la regality d’Hamilton est le siègedu duché du premier pair d’Ecosse8, le duché de Hamilton, sur lequel veillera de1651 à 1716 la duchesse Anne de Hamilton, grande amie de Sir Robert Moray9, lepremier franc-maçon vraiment spéculatif, qui fut portée sur les fonts baptismauxpar Charles 1er Stuart, son parrain10. Cette loge regroupera entre 1695 et 1715 unnombre, et une qualité, impressionnants de non opératifs11.

La loge de Kelso comprendra au total, entre 1701 et 1706, 14 membres nonopératifs, majoritairement opposés au « papiste » Jacques II, à l’image de lapopulation presbytérienne de ce comté frontalier12.

Le registre de la loge d’Haughfoot, un petit village disparu proche deGalashiels, parfaitement tenu jusqu’en 1738 commence à la Saint Jean d’hiver170213, et l’on peut facilement y identifier la très faible minorité d’opératifs aumontant de leurs droits d’entrée. Elle donne systématiquement en même temps lesdeux degrés d’apprentis et de compagnons, ce qui confirme bien son caractère nonopératif en comparaison des sept ans d’apprentissage à Edimbourg par exemple.

Ce qu’on appelle Le livre des marques de la loge d’Aberdeen, est un recueilde textes, de minutes, d’écritures comptables, contenant une liste des membresde la Loge et de leurs marques de maçons, magnifiquement relié et calligraphié, etdaté de 167014 qui porte la mention « Ecrit par James Anderson, vitrier et maçon,

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et secrétaire de notre honorable Loge » et la marque qui apparait à la fin du texteest bien la marque de James Anderson, non pas l’auteur des Constitutions, mais sonpère15.

Cette loge reçoit 49 frères entre 1670 et 1699, 30 d’entre eux n’appartenantaucunement aux métiers de la construction. Parmi ceux que l’on peut clairementidentifier, on relève la présence de six Jacobites, cinq quakers16, et deux whigs.

Mais c’est d’un petit port de la côte ouest, sur la rivière Nith, à proximité dela frontière anglaise que viendra la plus grande surprise. Le 16 décembre 1686Jacques II impose dans ce bourg royal un prévôt jacobite et catholique, JohnMaxwell de Barncleugh,17 qui prendra ses fonctions le 6 Janvier 1687. Le 20 Maisuivant « l’honorable compagnie des maçons [s’assemble] pour l’établissementd’une loge appartenant au bourg de Dumfries...18» Cette loge ne semble guères’intéresser à la règlementation et à la régulation de la profession19. Par contreelle recevra comme compagnons, en 1688, le lieutenant John Livingstone, quimène avec ses dragons une brutale répression des presbytériens du comté, ainsique deux de ses camarades20. Exemple unique parmi les loges écossaises, ellementionne dans ses minutes recevoir des frères « en considération de leur bonnequalification de chrétienté 21» De quelle qualification s’agit-il ? Deux élémentsnous apportent la réponse, l’admission en 1712 de Francis Maxwell of Tinwald, unmembre de la « gentry papiste et jacobite » qui manifestera en faveur duprétendant Jacques III Stuart le 29 mai 1714 à Lochmaben22, et le manuscritDumfries N°4, qui stipule « vous serez loyaux et fidèles à la sainte églisecatholique. Vous serez loyal envers le Roi légitime du royaume et prierez pour sasécurité en toutes occasions ».

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La création de la Grande Loge de Londres, une reprise en main whig

Au total, en 1717, au moins une centaine de francs-maçons non opératifsvivants appartiennent à une loge en Ecosse23. Certains sont en exil en France ou enEurope, mais la plupart vivent en Ecosse, un seul exerce une responsabiliténationale : John Clerk of Penicuik, membre du Parlement pour Edimbourg, Baronde la cour de l’échiquier (commission des finances)24, et proche de Robert Walpole,leader whig au parlement et chancelier de l’échiquier. Quelques uns n’ont pu êtreprécisément identifiés, pour les autres l’analyse montre qu’un peu moins de lamoitié ne peuvent être clairement positionnés politiquement. 28 sont jacobites, 5quakers, et 24 sont whigs. Notons qu’il y a, à cette époque, une sorte d’accordpolitique tacite entre Jacques II et les quakers25, eux aussi honnis par le pouvoirprotestant. En comparaison de cette centaine de francs-maçons écossais connus,on ne recense qu’une dizaine d’anglais. Roger Dachez indique que la salle de lataverne l’Oie et le Grill dans laquelle se tint la Grande Loge de Londres à la St Jeand’été 1717 pouvait réunir au maximum une vingtaine de personnes26.

En 1723, lorsque parait La constitution des francs-maçons, contenantl’histoire, les devoirs, les règlements de cette très ancienne et très vénérablefraternité, Jean Théophile Désaguliers et James Anderson ne peuvent ignorer cettemaçonnerie d’Écosse que pourtant ils minimisent. Désaguliers a rendu visite à laloge d’Edimbourg le 24 Août 172127, et le père du Pasteur Anderson est toujourssecrétaire de la loge d’Aberdeen en 172628. Notre pasteur, qui a terminé ses étudesau Marischal College d’Aberdeen en 170629, ne peut pas ignorer l’appartenance de

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son père, dont il utilise la marque maçonnique dans ses propres armes30. Cetteoblitération des francs-maçons écossais est donc volontaire, pourquoi ?

L’étude de deux sermons du Révérend Anderson, de 1712 et 1715, estrévélatrice. Nous découvrons dans le sermon de 171231 un pasteur très engagé,engagé aussi bien en religion qu’en politique, on pourrait presque dire sectaire, quin’hésite pas à enrôler les foudres divines, et la destruction de Jérusalem par lesarmées de Nabuchodonosor, au service de sa lutte, qui semble acharnée, contre lesPapistes et les Jacobites, et pour la future succession de la Reine Anne par le trèsprotestant George de Hanovre, au détriment de Jacques III Stuart : « Ils sont parprincipe pour un Gouvernant civil étranger, le Prétendant de St. Germain, et pourun Gouvernant ecclésiastique étranger, le Pape, et si on les compte, avec lesautres ennemis de la succession protestante par la maison de HANOVRE, on entrouvera une vaste et épouvantable Légion. »

Et son sermon de 171532 renvoie au passé la question « qui assassina le roiCharles 1er ? », mort qu’il justifierait presque par ses « nombreuses et haineusesprovocations commises envers le Peuple de Grande Bretagne », pour la remplacerpar la question nouvelle « quel Parti est le plus Loyal au Roi George ? » On sedemanderait presque si les règles et constitutions d’Anderson interdisant lesdiscussions politiques n’ont pas pour objet principal de « réprimer avec grandegravité et science le chant "Let the King enjoy his own again", nostalgique chansonJacobite33 ».

Jean Théophile Désaguliers, l’animateur des premières années de la GrandeLoge de Londres, Grand Maître en 1719, orateur du jour lors de l’installation du ducde Montagu en 1721, député Grand Maître en 1722 et 172334, n’est pas d’uneopinion différente mais il est, lui, bien placé à la cour du nouveau roi, George deHanovre. Appointé en 1714 comme chapelain de l’église St Laurent à LittleStanmore35 par le futur duc de Chandos, payeur-général des armées, il obtientaussi une rente du Lord High Chancelier, William Cooper. Ces relations brillantes,et whigs, lui permettent de se rapprocher de la famille royale qu'il tient informéedes derniers développements en matière de pensées philosophiques36.

Le ton du récit de 1717 par James Anderson dans ses constitutions de 1738est assez clair. Il commence ainsi : « Le roi George 1er entra à Londres de lamanière la plus magnifique le 20 septembre 1714. Après que la rébellion futterminée en 1716, les loges de Londres se trouvant négligées par Sir ChristopherWren…37» Précisons que Sir Christopher Wren, ainsi décrié, s’est toujours montréun serviteur dévoué, quoique modéré, des Stuart. Le premier Grand Maître noblede la Grande Loge de Londres, en 1721, John 2ème duc de Montagu, est un whigconvaincu, décoré en 1718 par George 1er dans l’ordre très sélectif de lajarretière38. Il lèvera spécialement un régiment de cavalerie pour s’opposer à latentative du prince Charles Edward Stuart en 174539.

Tout cela ressemble fort à la reprise en main par le pouvoir whig d’unefraternité où les whigs sont minoritaires, à une époque où la récente accession autrône de George de Hanovre, trois ans plus tôt, ne fait pas l’unanimité. Weegerman laddy, le petit gars allemand, comme l’appelle les écossais, n’est pasaimé40. Churchill relève que le Maréchal de Berwick estimait à cette époque que 5écossais sur 6 étaient Jacobites41. Qu’un gouvernement totalement whig, dominépar les deux beaux-frères Lord Townshend, secrétaire d’état, et Robert Walpole,chancelier de l’échiquier, après avoir porté sur le trône George de Hanovre à la

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place de Jacques III Stuart en 1714, après avoir maté le soulèvement militaireJacobite à Sheriffmuir en 1715, après avoir assuré sa prédominance au parlementpar le Septennial Act en 171642, ait en 1717 la même volonté de contrôler lasociété civile, et donc la franc-maçonnerie, que Napoléon 1er et Napoléon IIIquelques lustres plus tard n’a rien d’étonnant. On ne s’étonnera donc pas qu’en1722, quelques jours avant la St Jean d’été qui ratifiera les constitutionsd’Anderson publiées l’année suivante, la Grande Loge de Londres se rende endélégation auprès de Lord Townshend, pour « l’assurer de son zèle envers lapersonne de sa majesté et son gouvernement », ce à quoi le secrétaire d’étatrépond « qu’ils ne craignent aucune molestation de la part du gouvernement, aussilongtemps qu’ils ne s’occuperont que des anciens secrets de la [maçonnerie]43».

La réaction jacobite ne se fera pas attendre. Le duc de Wharton, de retourd’Europe où il s’est converti à la cause jacobite44, prend la Grande Maîtrise en 1722par un mini coup de force45. Il la perdra l’année suivante, mais la lutte d’influence,perdue à Londres par les jacobites, se poursuivra sur le sol français.

La création de la Grande Loge de France, œuvre des Jacobites

Les deux plus anciennes loges de France pourraient être deux loges arrivéesà Saint Germain en Laye en 1689 dans les bagages, si je puis dire, des régiments dela garde de Jacques II accompagnent leur Roi en exil, La Parfaite Egalité, loge duRégiment de la Garde Irlandaise du Colonel Lord William Dorrington, et La BonneFoi, loge du Régiment écossais du Colonel Dillon, mais les éléments décisifs depreuve manquent.

Le 24 Octobre 1776 la loge La Parfaite Egalité, dont le régiment stationnealors à Bapaume, aux ordres du Colonel Comte de Walsh-Serrant, d’une familleJacobite Irlandaise de la première heure, demande au Grand Orient de France unerégularisation de sa constitution. Le 13 mars 1777 le Grand Orient admet que sesconstitutions primitives datent du 26 mars 1688, époque où le régiment se battaitpour Jacques II Stuart en Irlande, et qu’elles ont été renouvelées par la GrandeLoge de France le 9 octobre 177246. Nous n’avons malheureusement pas lesdocuments sur lesquels fut fondée cette décision, mais il y a là au minimum uneforte présomption que la Parfaite Egalité soit la plus ancienne loge introduite surle sol français, puisque son régiment débarqua à Brest le 9 Octobre 1689 sous lesordres du Colonel Lord William Dorrington47 et tint garnison à Saint Germain enLaye jusqu’en 1698.

Et à posteriori, un demi-siècle plus tard, Bertin de Rocheret soutient cetteancienneté : « Frées maçons ou francs-maçons, Société ancienne d’Angleterre…introduite en France à la suite du Roy Jacques II en 1689, y devint fameuse sousMilord Comte de Derwenwater élu grand Maitre Catholique en 1737. J’y fus reçucette année le 9 Septembre à la Loge du Vénérable frère Duc d’Aumont. 48»

La première loge française prouvée indiscutablement fut fondée en 1725 parCharles Radcliffe of Derwentwater, James-Hector McLeane of Duart et DominiqueO’Heguerty, ainsi que l’indique l’article Franc-Maçonnerie rédigé pour lesupplément de l’Encyclopédie par le Frère Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande49.Cet article fut un temps mis en cause, mais il semble que les meilleurs historiensjugent maintenant raisonnable d’y accorder un certain crédit50. Ce que ne dit pasnotre savant astronome, et néanmoins Vénérable fondateur de la loge Les NeufsSœurs, c’est que les fondateurs de 1725 sont tous trois fervents jacobites, très

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actifs à la cour de Saint Germain. Charles Radcliffe of Derwentwater est le petit-fils de Charles II Stuart. Il sera décapité à la Tour de Londres le 8 Décembre 174651,comme son frère aîné James l’avait été en 171652. Dominique O’Heguerty est lecorrespondant à Paris de la famille Walsh, armateurs et corsaires à Nantes53,neveux du Capitaine Jacques Walsh qui commandait le navire qui transporta vers laFrance Jacques II Stuart en 169054. Antoine-Vincent Walsh mettra le navire Dutilletà la disposition du Prince Charles Edouard à l’été 1745 et l’accompagnera lui-mêmejusqu’à LochNaNuagh en Ecosse55. Hector MacLean, le fils de Sir John MacLean quiprépara le retour de Jacques II en Irlande56, est fait pair d’Ecosse par Jacques IIIStuart le 17 décembre 1716 en raison « particulièrement des bons services de feuSir John McLean au cours du dernier soulèvement en Ecosse 57». Jacques III prendrale soin tout particulier de lui accorder des moyens financiers, de le faire éduquer àEdinburgh, puis de le faire venir à Paris en 171858.

La concurrence whig s’est transportée sur le sol français avec la loge AuLouis d’argent rue des Boucheries le 3 avril 173259 et la tenue à Paris en 1734 d’uneloge concurrente où la Grande Loge de Londres était représentée par le duc deRichmond et Jean Théophile Désaguliers, en présence de l’ambassadeurd’Angleterre, Lord Waldegrave, membre de la loge londonienne l’oie et le grill60.

Mais la Grande Maîtrise de la Grande Loge de France restera jacobitejusqu’en 1737. Le 27 décembre 1736, « il y eut au Grand St Germain rue du Paonune assemblée générale de la très ancienne et très honorable société des maçonslibres pour procéder à l’élection d’un grand maître après les cérémonies ordinaireson a proclamé avec de grandes acclamations le très haut et puissant SeigneurCharles Ratcliff comte de Derwentwater pair d’Angleterre à la place du haut etpuissant seigneur Hector Macleone Chevalier Baronet d’Ecosse, qui avait étécontinué dans cette honorable charge par élection pendant plusieurs années aucontentement de la société 61».

Les relations ne sont pas faciles en 1736 entre la loge du Grand Maître et lesloges créées en France sous l’égide de la Grande Loge de Londres depuis 173262, lesuns, c'est-à-dire la loge du Grand Maître jacobite, accusant la loge Coustos-Villeroy, constituée par la Grande Loge de Londres « d’avoir tenu une assembléedans la rue du Four et une autre à Passy des plus tumultueuses, et cela dans lecarême et même dans la semaine de la passion de notre Seigneur, et dans laquelleon a vu régner tout ce que la débauche et bombance peuvent produire 63», lesautres intervenant politiquement auprès du Cardinal de Fleury, premier ministre deLouis XV par l’intermédiaire de l’ambassadeur d’Angleterre, Lord Waldegrave,membre de la loge londonienne l’oie et le grill64.

Le 24 mars 1737 le Vénérable Maître Coustos « a reçu une lettre du très V.G. M. Milord … par laquelle il propose de remettre l’assemblée de la Grande Logevû certaines conjonctures fâcheuses qui ne seront pas déduites. Il suffit de direque les maçons libres sont menacés de n’avoir plus la liberté de s’assembler 65».

L’abbé de la Garde indique dans son gazetin du 19 Septembre 1737 « Lesfreys-massons politiques disent que cette déffense de s’assembler a été sollicitéepar l’ambassadeur d’Angleterre, de l’ordre de son maître [le premier ministreWalpole, lui-même franc-maçon] qui appréhende que Mylord Derwenhouater grandmaître de cet ordre et jacobite outré, ne se serve de toutes ses associations enfaveur du Prétendant et contre son gouvernement66». L’intervention sera efficacepuisqu’à partir du 24 juin 1738 le Grand maître ad-vitam sera un pair de France, le

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duc d’Antin, initié avant Septembre 173767 à Aubigny par un passé Grand Maître dela Grande Loge de Londres, le duc de Richmond 68.

Mais entre-temps le 25 Novembre 1737, Lord Derwentwater aura accordépatente au Baron Frederik Scheffer69 de « constituer une ou plusieurs Loges dans leRoyaume de Suède, de faire des Maîtres Maçons, et de nommer les Maîtres etSurveillants des Loges qu’il constituera, lesquelles seront subordonnées à laGrande Loge de France… ». Il s’agit là d’une des toutes premières mentions du titrede Grande Loge de France. Bien plus, d’après Robert Freke Gould70 et Carl LudvigHenning Thulstrup71, un document des archives de la Grande Loge de Suèdeconfirmerait que le Baron Scheffer reçut aussi cette année-là « les deux autresgrades de Saint Jean ainsi que deux grades écossais ». Ainsi non seulement laGrande Loge de France, mais aussi les premiers degrés Ecossais nous auraient étéapportés par les Jacobites en exil.

Il existe en effet un rituel manuscrit de Maître Ecossais, qui appartient àl’époque primitive pendant laquelle le grade d’écossais était le degré suivantimmédiatement celui de Maître. Il s’agit de l’Ecossois Anglois ou le parfait MaîtreAnglois72, appartenant à la collection laissée par le grand historien allemand GeorgFranz Burkhard Kloss. Ce manuscrit commence ainsi : « Ce grade est à peu prèsconforme à l’apprentif Ecossois François, il êtoit peu connu en France avant laguerre de 1740. Quelques prisonniers Anglois en reconnaissance de l’urbanité aveclaquelle ils avoient été traités, le donnèrent à ceux auxquels ils avoient desobligations… le prince Edouard Stuard, prétendant au trosne d’angleterre, l’aaussi conféré à quelques officiers Généraux qui l’avoient accompagnés en Ecosse ».

L’appartenance à la franc-maçonnerie de Jacques III, le prince EdouardStuart, est attestée par un témoin de poids, le Comte de Clermont lui-même dansune lettre de 1767 au Marquis de Gages à propos de sa « Royalle Loge » : « cen’est que par considération pour la mémoire de notre cher F…… le Prince Edouart,que cette Loge subsiste encore dans notre Oriant. 73»

Pour conclure cette étude de l’apparition de la Franc-maçonnerie vue sousl’angle de la saga extraordinaire des Stuart, cette dynastie soutenue par desmilliers de loyaux et fidèles serviteurs Ecossais et Irlandais, voire Anglais, quidonneront leur vie sans hésiter au service de leurs Rois, je citerai rapidement deuxordres maçonniques, l’un Britannique, l’Ordre de Heredom of Kilwinning74 quideviendra plus tard The Royal Order of Scotland, l’autre Français, l’ordre Sublimedes Chevaliers Elus75, deux ordres qui s’évanouirent abruptement en 1752-1753,comme par coïncidence, au moment où les derniers espoirs Jacobites s’éteignaientavec l’échec du complot d’Elibank76. Comment peut-on ne pas comprendre queHeirdom, en anglais et en écossais, signifie Héritage, cet héritage que troisgénérations de Stuart s’acharnèrent à reconquérir, avec malheureusement lesuccès que l’on sait !

Comme l’écrivait Pierre Chevallier, «l’origine jacobite de l’ordre n’est[décidément] pas facile à écarter 77».

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Notes

1 A history of British Freemasonry 1425-2000 Andrew PRESCOTT2 en particulier celles de Mary’s Chapel History of the Lodge of Edinburgh (Mary’s Chapel) N°1 David Murray-Lyon3 The first freemasons Scotland’s early lodges and their members David Stevenson4 History of the Lodge of Edinburgh (Mary’s Chapel) N°1 David Murray-Lyon 1873 page 795 The Charter of the Fellowship of the Art or Mystery of Clockmaking of the City of London6 History of the Lodge of Edinburgh (Mary’s Chapel) N°1 David Murray Lyon 1873 p.4157 The first freemasons David Stevenson p.838 The Scottish nation, or the surnames, family, literature, honors and biographical history of the people ofScotland Vol.2 William Anderson 1867 p.4239 The days of Duchess Anne Rosalind K. Marshall p.13110 The days of Duchess Anne Rosalind K. Marshall p.1411 The first freemasons David Stevenson p.8512 History of freemasonry in the province of Roxburgh, Peebles, and Selkirkshires W. Fred. Vernon 1893 p.8513 History of freemasonry in the province of Roxburgh, Peebles, and Selkirkshires W. Fred. Vernon 1893 p.28214 Notes on the early history and records of the lodge, Aberdeen A. L. Miller 1919 p. 1915 Idem p. 7416 Memoirs of the rise, progress and persecution of the people called Quakers John Barclay 1835 p.92-116-143-19017 History of the burgh of Dumfries William McDowall 1867 p.505-50718 History of the old lodge of Dumfries James Smith 1892 p. 819 The first free-masons Scotland’s early lodges and their members David Stevenson 1988 p.8120 History of the burgh of Dumfries William McDowall 1867 p.48721 History of the old lodge of Dumfries James Smith 1892 p. 1422 The History of the late Rebellion raised against His Majesty King George by the Friends of the Popish PretenderRev. Peter Rae Edinburgh 1718 p.4923 Cf tableau in fine24 Memoirs of the life of Sir John Clerk of Penucuik, Baronet, Baron of the Exchequer, Commissioner of the UnionJohn M. Gray 189225 The quakers in Great-Britain and America Charles Frederick Holder 1913 p.183-196-200-21326 L’invention de la franc-maçonnerie Roger Dachez 2008 p.16027 History of the Lodge of Edinburgh (Mary’s Chapel) N°1 David Murray Lyon 1873 p.15128 The history of freemasonry Robert Freke Gould 1885 Vol.4 p.29029 Fasti academiae mariscallanae Aberdonensis Peter John Anderson 1898 Vol.2 p.28630 James Anderson, man and mason David Stevenson Heredom 2002 Vol.10 p.9531 A sermon preached on the National Fast-Day James Anderson 171232 No King-Killers a sermon preach’d in Swallow-street, St James’s, on January 30 1714/13 James Anderson 171533 Eloge de l’Ebriété Samber 172334 The new book of constitutions of the Ancient and Honourable Fraternity of free and accepted Masons JamesAnderson 1738 reprint p. 110, 113, 115 et 11635 The environs of London Vol.3 Parish of Whitchurch36 Jean Théophile Désaguliers Michel Baron The rough ashlar 200537 The new book of constitutions of the Ancient and Honourable Fraternity of free and accepted Masons JamesAnderson 1738 reprint p. 10938 Memorials of the most noble order of the garter George Frederick Beltz 1841 p.CC39 Transactions in Scotland in the years 1715-16 and 1745-46 George Charles Vol.2 p.740 The first George in Hanover and England Lewis Melville 1908 Vol.1 p ;219-22041 A history of english-speaking people Vol II Sir Winston Churchill42 Walpole John Morley 1899 p.5443 The masonic delegation of 1722 T. Fuller AQC99 198644The life and times of prince Charles Stuart Alexander Charles Ewald 1883 p.4045 The history of freemasonry Robert Freke Gould CH.XVI in A library of Freemasonry 1906 Vol. III p.4146 Loges et Chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France Loges de Province Alain Le Bihan edition 1990p.32947 La franc-maçonnerie en France Gustave Bord 1908 page 49148 Fonds Bertin de Rocheret Bibliothèque Georges Pompidou de Châlons-en-Champagne, ms 125, folios 240 et 241

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49 Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers Tome 15 Troisième édition 1779 p.35750 Les Ducs sous l’acacia Pierre Chevalier édition 1994 Chapitre premier p.9 à 4351 Dilston Hall or memoirs of the Right Hon. James Radcliffe Earl of Derwentwater W. S Gibson 1850 Chapitre XIV52 Dilston Hall or memoirs of the Right Hon. James Radcliffe Earl of Derwentwater W. S Gibson 1850 Chapitre X53 Une famille royaliste Irlandaise et Française 1901 Pages 7 et suivantes54 Ireland and the Irish in maritime history John de Courcy 1986 page 15655 Une famille royaliste Irlandaise et Française 1901 Pages 21 et suivantes56 The battle of the Boyne D. C. Boulger 1911 page 11157 Calendar of the Stuart papers belonging to His Majesty the King Vol.III page 32158 Calendar of the Stuart papers belonging to His Majesty the King Vol.V59 A list of Regular Lodges according to their seniority & constitution I. Pine engraver 173460 Whitehall Evening Post 5-7 Septembre 1734 cité par Une certaine idée de la franc-maçonnerie Alain Bernheim2008 p.14861 Fond Bertin de Rocheret Bibliothèque d’Epernay, ms 124, folios 58 et 5962 A list of Regular Lodges according to their seniority & constitution I. Pine engraver 173463 B. N. Collection Joly de Fleury n°184 folio 12964 Une certaine idée de la franc-maçonnerie Alain Bernheim 2008 p.14865 B. N. Collection Joly de Fleury n°184 folio 140 Verso66 Les ducs sous l’acacia Pierre Chevallier 1964 p.10867 Les ducs sous l’acacia Pierre Chevallier 1964 p.11468 A library of freemasonry Vol 3 Robert Freke Gould 1906 page 39569 Manuscrit des archives de la Grande Loge de Suède, reproduit dans Statuten und Ordensregeln der Freimaurer K.C. F. Feddersen page 585 et suivantes70 Histoire abrégée de la Franc-maçonnerie Robert Freke Gould 1989 p.39771 Thulstrup, Aufzeichnungen zur geschichte der Schwedischen Freimaurerei, page 1172 Ecossais Anglais ou le parfait Maître Anglais manuscrit Kloss XXV-334 Grand Orient des Pays-Bas 192.A.8073 Lettre du Comte de Clermont 1767 The rise of the Ecossais degrees J. F. Smith 1965 page 3674 The Royal Order of Scotland Robert Strathern Lindsay A.J.B. Milborne 3e édition 2003 page 6375 Un haut grade templier dans les milieux Jacobites en 1750 André Kervella et Philippe Lestienne RT n°112Octobre199776 The young pretender Charles Sanford Terry 1903 p.15977 Histoire de la franc-maçonnerie française Pierre Chevallier 1974 Tome 1 p.5