jurisprudence

7
À l’époque, c’était pas dur de devenir propriétaire par rapport à aujourd’hui. À Brétigny, mes parents avaient des terrains familiaux. C’était des terrains comme ici, en zone naturelle, y avait rien. On vivait un coup chez un frère, un coup chez une tante… toujours en caravane. J’ai fait le collège jusqu’en quatrième. Après, mon père a décidé de faire les foires et je l’ai rejoint. Il voulait plus aller de place en place, il en avait ras-le-bol. Il voulait se sédentariser, pour avoir ses emplace- ments attitrés sur les marchés. Donc il a arrêté la ferraille…. Il s’est mis à faire les nappes sur les marchés. Dans la famille on est connus pour ça, les nappes. Les neveux, les cousins, ils font tous ça…

Upload: julien-revenu

Post on 23-Mar-2016

214 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

BD-Reportage sur une famille de Voyageurs en Essonne.

TRANSCRIPT

Page 1: Jurisprudence

À l’époque, c’était pas dur de devenir propriétaire par rapport à aujourd’hui. À Brétigny, mes parents avaient des terrains

familiaux. C’était

des terrains comme ici, en zone

naturelle, y avait rien.

On vivait un coup chez un frère, un coup chez une tante… toujours en caravane. J’ai fait le collège jusqu’en quatrième. Après, mon père a décidé de faire les foires et je l’ai rejoint.

Il voulait plus aller de place en place, il en avait ras-le-bol. Il voulait se sédentariser, pour avoir ses emplace-ments attitrés sur les marchés.

Donc il a arrêté la ferraille…. Il s’est mis à faire les nappes sur les marchés. Dans la famille on est connus pour ça, les nappes. Les neveux, les cousins, ils font tous ça…

Page 2: Jurisprudence

Quand j’ai rencontré le père de mes enfants, On s’est installés sur le terrain de ses parents. Eux, ils vivaient en maison. Nous, on avait la caravane au fond du terrain pour être tranquille, mais bon… t’es pas chez toi quand même.

Zone D’intimité

Bienvenue à la maison !

Quand j’ai décidé de partir, j’ai emmené mes deux enfants avec moi. Je suis venu chez mon père. Lui, il a acheté en zone constructible, il voulait pas d’ennuis. Mais il a construit 15 ans après, parce qu’il avait pas l’argent tout de suite.

Puis je suis venu ici parce que ça appartient à un copain de mon père. Avant, c’était des petits jardins, des potagers à l’abandon. Quand je suis arrivée, il a fallu tout nettoyer. C’était de la friche.

J’ai pu recommencer à zéro parce que j’ai beaucoup de famille

autour. Ils sont venus, ils m’ont bien aidée.

Passe moi la clef

de 12 !

Même les voisins, faut pas croire… Pourtant c’est pas des Gens du Voyage. Le voisin d’en face, il est couvreur. Quand il avait de la tôle, des

chutes de PVC, il venait me les donner…

Page 3: Jurisprudence

De là , j’ai demandé un branchement à EDF. Ils ont fait un raccord provisoire. Ils m’ont installé un compteur forain, un compteur de chantier quoi. Et j’ai été tranquille pendant deux ans.

Mais aujourd’hui, on est dans un contexte ou les maires n’autorisent pas la viabilisation des terrains en zone naturelle. 10 ans en arrière, il y avait possibilité d’avoir l’eau et l’électricité. Aujourd’hui, il y a beaucoup de maires qui travaillent avec les promoteurs. Ici ça doit être pris, c’est en projet…

À côté, ils sont propriétaires, mais c’est un héritage. C’est des jeunes

qui sont sur Paris, ça ne les intéresse pas un terrain comme ça. Nous oui,

par contre…

Le problème c’est que la commune fait préemption. Le maire leur en donne 1200 €. Du coup, ils préfèrent pas vendre. Comme c’est la commune qui fixe les prix, c’est évalué à 1€ ou 1,5€ le m2 ici. Une fois le terrain viabilisé, le mètre carré fera 100 € à peu près…* Le calcul est vite fait !

Les promoteurs veulent s’acquérir de tous les terrains pour pouvoir faire des im-meubles, des lotissements… Forcément, ça ramène plus d’argent à la ville. Ici, le jour ou il commence à y avoir des appartements ici et là, automatiquement les impôts vont grimper. Du coup on nous pourrit la vie…

* estimation moyenne pour 93 terrains constructibles à moins de 7km de Brie-Comte-Robert = 400 € par m2 (NDLA)

Page 4: Jurisprudence

Déjà, j’ai pas l’eau. Je suis obligée d’utiliser des containers, mais l’eau gèle en hiver. Mais en plus, ils m’ont fait enlever mon compteur de courant. Ils se sont dit : « Bah… ils seront obligés de partir comme ça ! »

On m’a enlevé l’électricité par ordre du Maire. ERDF, ils ont appelé un matin à 08h00.

On vient vous débrancher vers 16H.

Viens vite Maman, ils veulent nous débrancher !

Qu’est-ce qui se passe ?!

Y avait plusieurs familles dans le même cas. On était en plein mois d’octobre. Donc là, il a fallu courir partout. Finalement ils m’ont pas coupé le jour même, mais trois semaines plus tard. Donc j’ai passé 4 mois sans électricité en plein hiver.

L’adjoint au maire m’a dit que si ça avait été que de lui, y aurait pas

eu de problème…

Parce qu’il passe de temps en temps l’adjoint au maire…

Il voit bien qu’il y a pas de conneries dans sa rue,

il habite au coin…

Page 5: Jurisprudence

De là, j’ai passé au tribunal. Et il y a eu un conflit entre ERDF et la mairie. Ils se sont rejetés la faute.

C’est faux !

M. le Maire n’a rien à voir

là-dedans !!!

C’est la mairie qui nous a demandé de

couper l’électricité !

Nous, on a pas demandé de dommages et intérêts… On a simplement dit qu’on payait nos factures comme tout le monde. On a demandé à avoir le minimum vital.

Comme ils ont vu qu’on se laissait pas faire et qu’on commençait à aller chercher dans les articles de loi, la mairie s’est déchargée… Ils ont dit qu’ils étaient concernés que par les branchements fixes. Et le siège social d’ERDF a confirmé.

les raccords

provisoires, ça ne

regarde pas les

mairies !

La juge a exigé que l’électricité me sois rétablie*. Ils m’ont remis le rac-cord provisoire mais ils m’ont pas dit pour combien de temps. Depuis je touche du bois…

* La décision du tribunal fait jurisprudence aujourd’hui (NDLA)

Page 6: Jurisprudence

Là tous les plans d’urbanisme sont en train de changer donc on attend… Au mois d’octobre il y a

eu une réunion en mairie et il n’y avait que des promoteurs.

Ils ont dit qu’ils achèteraient les terrains aux propriétaires, qu’ils

proposeraient des logement aux habitants.

Mais moi, ça m’intéresse pas d’aller en logement. Je fais les marchés, je peux pas laisser mon camion de marchandise en bas sur un parking. Je dois travailler, comme tout le monde. Et j’ai pas de local pour stocker mes nappes.

Après, si ils me donnent une petite parcelle avec l’eau, l‘électricité, les

toilettes, une douche… moi ça me va… L’idéal, ça serait un mobilhome avec tout dedans. C’est plus adapté pour l’hiver. Ma voiture, mon camion et avoir mes enfants qui puissent être chez eux… C’est tout ! C’est

simple, on en demande pas trop.

Page 7: Jurisprudence

Aujourd’hui je suis membre de l’ANGVC*. Avant je m’en rendais pas compte, mais

maintenant que je suis toute seule je m’aperçois qu’on a beaucoup de chemin à faire

nous, Gens du Voyage.

Quand j’étais gamine, chez mes parents, on a toujours eu l’eau et l’électricité.

Quand j’étais

en ménage, pareil…

C’est en arrivant sur un terrain ou il y avait rien que j’ai réalisé

que j’étais privilégiée parmi les Gens du Voyage. Moi j’ai une caravane, mais on peut même pas dire que je suis

« Gens du Voyage », puisque je voyage pas !

On est comme tout le monde, on est pas des animaux. Maintenant les gamins vont à l’école, ils ont pratiquement tous internet. Mais

aujourd’hui dans toutes les commu-nes de France, même d’Europe, arriver

avec une caravane ça passe mal.

Si on essaie pas de faire quelque chose maintenant, mes

enfants rencontreront les mêmes difficultés que moi à 44 ans.

Alors que mes enfants, ils veulent juste une vie comme

tout le monde…

* Association Nationale des Gens du Voyage Catholiques