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Approche ethnobotanique d’une pharmacopée tibétaine dans le Kham (Est du Tibet) Jean-Pierre Nicolas * et Aline Mercan ** Association “Jardins du Monde” INTRODUCTION Le travail a été effectué au cours de deux séjours dans le Kham durant les étés 2002 et 2004, dans le cadre d’une mission de santé de Jardins du monde en partenariat avec l’as- sociation Tharjay. Le travail suivant résulte de deux séjours dans le Kham durant les mois de juillet et août 2002 et 2004, dans le cadre d’une mission de santé de l’association «Jardins du monde» en partenariat avec l’association «Tharjay». L’objectif était d’identifier les différentes plan- tes médicinales locales ainsi que leurs usa- ges. La méthode a consisté à parcourir le ter- rain avec divers informateurs tibétains et à recueillir des échantillons de plantes pour constituer un herbier, les photographier, col- lecter leurs noms vernaculaires et les diffé- rents savoirs s’y rapportant selon le savoir de l’informateur. Les photos et l’herbier ont été soumis au professeur Jean-François Dobremez de l’université de Chambéry ainsi qu’à Cédric Basset botaniste au parc de la tête d’or à Lyon pour préciser les identifica- tions les plus délicates. Serge Aubert et Roland Douzet du laboratoire de biologie végé- tale de l’université de Grenoble ont également apporté leur contribution. Les informateurs appartenaient aussi bien au secteur populaire (population nomade au savoir non spécialisé, nonnes et moines non prescripteurs) que traditionnel ( tradiprati- ciens locaux) ou savant (thérapeutes et étu- diants en médecine tibétaine formés en insti- tution). Les informateurs fournissaient un savoir populaire ou plus spécialisé. Les uns étaient des nomades utilisant les plantes pour des maux de la vie quotidienne ou les collec- tant pour les commercialiser. Les autres, tel- les les nonnes, collectaient les plantes pour un lama du monastère qui exerçait des activités thérapeutiques. Les derniers étaient des thé- rapeutes locaux qui ramassaient ou faisaient ramasser des plantes pour constituer leur pharmacopée. Nous avons été accompagnés par Tsehla, jeune étudiante en médecine tibé- taine, originaire du plateau qui assurait les tra- ductions, tibétain - anglais. Divers ouvrages ont permis d’approcher les indications et la taxonomie savante : le pre- mier est un précis en langue tibétaine que tous les thérapeutes, y compris les moins aca- démiquement formés, possèdent et consul- tent. Le second est l’ouvrage de référence en matière de pharmacopée en usage à l’école de médecine ibétaine de la préfecture de région, études médicales suivies par Tsehla à Yushu. Edité dans le Quinghai, il présente les plantes médicinales de cette région sous la forme de descriptions textuelles traditionnel- les (faisant largement appel au mode analogi- que et évoquant également les biotopes) cou- plés à une iconographie photographique. Cet ouvrage illustre l’Est du Tibet, il possède une riche iconographie avec les dénominations tibétaines savantes ainsi que scientifiques (avec quelques erreurs). Une description de la plante, de son biotope et de son indication figure également, en tibétain classique. Cet ouvrage illustre parfaitement la modernisa- tion de la médecine tibétaine avec une simpli- fication des classifications et l’intégration d’in- dications «néo-traditionnelles». Enfin nous avons consulté divers ouvrages de langue anglaise, flores (le plus souvent édités en Inde et faisant référence à une flore de l’Himalaya de l’ouest très différente), indiquant des végé- taux assez différents de ceux de l’Est du Tibet), précis de pharmacopées, traduction des 47 M édecine tibétaine Actes de la Journée du 8 avril 2006 - Metz La Sources, concepts et pratique actuelle * Ethnopharmacologue Association “Jardins du Monde” Faculté de Pharmacie de Lille 2 Laboratoirede botanique ** Médecin anthropologue Association “Jardins du Monde” RÉSUMÉ Les diverses représentations de la médecine tibétaine et de sa riche pharmacopée trouvent actuelle- ment un écho dans le domaine scientifique comme le prouvent les nombreuses publications récentes. Ceci se traduit par un engouement des consommateurs et la crois- sance de l’apprivoisement de mar- chés passés d’une échelle locale à une échelle mondiale. Mais qu’en est il réellement sur le terrain ? Les éléments d’une pharmacopée traditionnelle ne peuvent être étu- diés hors de leur contexte d’usage. Ils n’existent que dans leurs rap- ports aux différents éléments constitutifs de leur société. Nous avons pu effectuer un état des lieux in situ sur un plateau d’al- titude du Kham et avons constaté une évolution rapide de la société tibétaine traditionnelle locale. Nous tentons aujourd’hui de vous appor- ter quelques éléments descriptifs d’un paysage humain en mutation.

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Approche ethnobotanique d’une pharmacopéetibétaine dans le Kham (Est du Tibet)

Jean-Pierre Nicolas * et Aline Mercan **Association “Jardins du Monde”

INTRODUCTION

Le travail a été effectué au cours de deuxséjours dans le Kham durant les étés 2002 et2004, dans le cadre d’une mission de santéde Jardins du monde en partenariat avec l’as-sociation Tharjay.

Le travail suivant résulte de deux séjours dansle Kham durant les mois de juillet et août2002 et 2004, dans le cadre d’une missionde santé de l’association «Jardins du monde»en partenariat avec l’association «Tharjay».

L’objectif était d’identifier les différentes plan-tes médicinales locales ainsi que leurs usa-ges. La méthode a consisté à parcourir le ter-rain avec divers informateurs tibétains et àrecueillir des échantillons de plantes pourconstituer un herbier, les photographier, col-lecter leurs noms vernaculaires et les diffé-rents savoirs s’y rapportant selon le savoir del’informateur. Les photos et l’herbier ont étésoumis au professeur Jean-FrançoisDobremez de l’université de Chambéry ainsiqu’à Cédric Basset botaniste au parc de latête d’or à Lyon pour préciser les identifica-tions les plus délicates. Serge Aubert etRoland Douzet du laboratoire de biologie végé-tale de l’université de Grenoble ont égalementapporté leur contribution.

Les informateurs appartenaient aussi bien ausecteur populaire (population nomade ausavoir non spécialisé, nonnes et moines nonprescripteurs) que traditionnel ( tradiprati-ciens locaux) ou savant (thérapeutes et étu-diants en médecine tibétaine formés en insti-tution). Les informateurs fournissaient unsavoir populaire ou plus spécialisé. Les unsétaient des nomades utilisant les plantes pourdes maux de la vie quotidienne ou les collec-

tant pour les commercialiser. Les autres, tel-les les nonnes, collectaient les plantes pour unlama du monastère qui exerçait des activitésthérapeutiques. Les derniers étaient des thé-rapeutes locaux qui ramassaient ou faisaientramasser des plantes pour constituer leurpharmacopée. Nous avons été accompagnéspar Tsehla, jeune étudiante en médecine tibé-taine, originaire du plateau qui assurait les tra-ductions, tibétain - anglais.

Divers ouvrages ont permis d’approcher lesindications et la taxonomie savante : le pre-mier est un précis en langue tibétaine quetous les thérapeutes, y compris les moins aca-démiquement formés, possèdent et consul-tent. Le second est l’ouvrage de référence enmatière de pharmacopée en usage à l’écolede médecine ibétaine de la préfecture derégion, études médicales suivies par Tsehla àYushu. Edité dans le Quinghai, il présente lesplantes médicinales de cette région sous laforme de descriptions textuelles traditionnel-les (faisant largement appel au mode analogi-que et évoquant également les biotopes) cou-plés à une iconographie photographique. Cetouvrage illustre l’Est du Tibet, il possède uneriche iconographie avec les dénominationstibétaines savantes ainsi que scientifiques(avec quelques erreurs). Une description de laplante, de son biotope et de son indicationfigure également, en tibétain classique. Cetouvrage illustre parfaitement la modernisa-tion de la médecine tibétaine avec une simpli-fication des classifications et l’intégration d’in-dications «néo-traditionnelles». Enfin nousavons consulté divers ouvrages de langueanglaise, flores (le plus souvent édités en Indeet faisant référence à une flore de l’Himalayade l’ouest très différente), indiquant des végé-taux assez différents de ceux de l’Est du Tibet),précis de pharmacopées, traduction des

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Médecine tibétaineA c t e s d e l a J o u r n é e d u 8 a v r i l 2 0 0 6 - M e t z

La

Sources, concepts et pratique actuelle

* EthnopharmacologueAssociation “Jardins du Monde”Faculté de Pharmacie de Lille 2Laboratoirede botanique

** Médecin anthropologueAssociation “Jardins du Monde”

RÉSUMÉ

Les diverses représentations de lamédecine tibétaine et de sa richepharmacopée trouvent actuelle-ment un écho dans le domainescientifique comme le prouvent lesnombreuses publications récentes.Ceci se traduit par un engouementdes consommateurs et la crois-sance de l’apprivoisement de mar-chés passés d’une échelle locale àune échelle mondiale. Mais qu’enest il réellement sur le terrain ?

Les éléments d’une pharmacopéetraditionnelle ne peuvent être étu-diés hors de leur contexte d’usage.Ils n’existent que dans leurs rap-ports aux différents élémentsconstitutifs de leur société.

Nous avons pu effectuer un étatdes lieux in situ sur un plateau d’al-titude du Kham et avons constatéune évolution rapide de la sociététibétaine traditionnelle locale. Noustentons aujourd’hui de vous appor-ter quelques éléments descriptifsd’un paysage humain en mutation.

quatre tantra de médecine. Deux ouvragess’inspirent particulièrement du Shel gong shelphren, l’ouvrage de Materia medica tibétainede référence. Le premier est l’ouvrage deChrista Kletter et Monica Kriechbaum :Tibetan Medicinal Plants, qui analyse pour unesoixantaine d’appellations tibétaines et l’étatdes connaissances floristiques, en partant deconstatations de terrain faites au Ladakh. Lesecond est le Dictionary of Tibetan MateriaMedica du Dr Pasang Yonten Gyatso. Il s’agitd’une traduction en anglais du Shel gong shelphreng dans lequel l’auteur affirme avoir amé-lioré les correspondances entre dénominationscientifique et tibétaine.

A l’exception du premier, leur méthodologiereste cependant floue. Ces ouvrages ontamené quantité d’informations complémentai-res. Leur étude nous a permis de constaterd’une part la grande richesse et variabilité desappellations pour une même plante, d’autrepart que des plantes négligées ou quasimentignorées localement par les informateurs,jouent néanmoins un rôle important dans lapharmacopée tibétaine.

Il est ainsi possible de décrire plusieursniveaux d’informations : plantes ramasséespour une utilisation locale, plantes ramasséesdans un but commercial, plantes non ramas-sées localement mais connues pour leurs pro-priétés médicinales. Le va-et-vient entre lesdonnées de terrain, les ouvrages de materiamedica et les compléments d’informationfournis par les médecins tibétains permet dedresser un bilan floristique le plus étoffépossible, à défaut de pouvoir jamais êtrecomplètement exhaustif.

Deux problématiques sont d’emblée apparueset feront l’objet d’une discussion à la phase deprésentation des résultats : la complexité dela taxonomie ou plus précisément des diffé-rents niveaux taxonomiques tibétains, et sanon-superposition à la taxonomie latine.L’infinie richesse de la flore himalayenne avecson corollaire, entraine une variabilitéextrême des plantes désignées par unemême dénomination d’un bout à l’autre del’aire culturelle tibétaine.

Sur le plan pharmacologique, nous avonsconsulté toutes les bases de données acces-sibles par Internet et avons pu recenser uncertain nombre de travaux relatifs à certainesdes plantes présentes dans le Kham. Larecherche chinoise est particulièrement per-formante dans ce domaine. En effet la valori-sation de la médecine tibétaine, considérée

comme une des branches de la médecine chi-noise traditionnelle, répond à des attentes à lafois culturelles et économiques qui expliquentle dynamisme de celle-ci. L’université deLanzhou, dans la province du Gansu voisine decelle du Qinghai, est tout particulièrementactif pour les plantes qui nous intéressent.Hélas la plupart des publications sont en chi-nois. Nous n’avons pas encore pu trouver d’in-terprète pour ce type d’articles, mais cela per-mettrait d’étayer encore les données pharma-cologiques. L’ouvrage de C. Kletter essaie defaire le point sur toutes les données pharma-cologiques disponibles actuellement, mais ilne couvre qu’une petite partie de la flore médi-cinale tibétaine. Un second ouvrage seraitcependant en préparation.

PRESENTATION DU TERRAIN

A. Situation géopolitique

1- Données géographiques, démographiques et climatiques

Le territoire de culture tibétaine est répartientre plusieurs provinces chinoises : Le U, leTsang et Lhassa appartiennent à la «RégionAutonome du Tibet». Le «Tibet intérieur» com-prend l’Amdo et le Kham, morcelés entre lesprovinces du Sichuan, Yunnan, Gansu etQuinghai. La capitale de cette dernière estXining, une ville d’un million d’habitants, carre-four historique de la Mongolie, du Tibet et dupays Ouïgour. A 700 Km au sud-ouest deXining, se trouve la préfecture de Yushu(Jyekundo en tibétain), divisée en 6 comtés,48 townships, et 258 villages. Sa populationtotale est de 210 000 habitants et sa super-ficie est de 267 000 km2, soit une densitéinférieure à 1 habitant par km2. La populationtibétaine était majoritaire en 1997 mais estinégalement répartie selon les zones urbaines

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Sources, concepts et pratique actuelle

Après quelques rappels théoriquessur la médecine traditionnelle tibé-

taine, nous nous efforcerons dedécrire le système de santé local,

en utilisant la grille de lectureanthropologique qui distingue lessecteurs traditionnels, populaires

et biomédical.

Ensuite, à partir d’une méthodolo-gie adaptée, nous présenterons

brièvement un certain nombre d’in-formations ethnobotaniques et

botaniques que nous avons collec-tées sur place.

Ce travail d’investigation repré-sente la trame d’un bilan floristique

qui sera publié ultérieurement.

© Jardins du Monde

Hippophae tibetana

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ou rurales avec, toutefois une nette tendanceà l’exode rural. Le reste de la population estconstituée de chinois Hans ou Huis (musulmans).

L’altitude varie entre 2 000 et 5 000 mètres.Les températures sont généralement trèsvariables, allant de – 30 °C à + 30 °C suivantles saisons et l’altitude, avec une moyenne de– 2 °C, dépassant 0 °C de mars à octobre.Tous les dix ans environ, la région souffre d’unsur-enneigement dont les conséquences sontdramatiques. Le dernier hiver le plus rigou-reux fut celui de 95/96 (et à moindre échellecelui de 97/98), entraînant la disparition deplus de la moitié du cheptel par manque defourrage. Les précipitations sont concentréesde mai à octobre. Trois grands fleuves - leMékong, le Fleuve Jaune, le Yangze - prennentleur source dans la région de Yushu.

Situé au sud de la préfecture de Yushu, lecomté de Nangqian serait le plus pauvre. Sapopulation est évaluée à 60 000 habitants en1997. Il est formé de 10 townships, centresadministratifs locaux. La population tibétaineest essentiellement nomade, en particulier àl’Ouest du comté, plus élevée. Le «sous village»de Drogshok est situé à 70 km au sud-ouestde Nangqian, accessible par une piste caillou-teuse parfois coupée par les crues de rivièreou les éboulements. Il compte une vingtaine demaisons, une écol, et un relais de l’administra-tion locale. A 10 km environ se trouve l’an-cienne nonnerie, l’école et l’ancien centre deretraite spirituelle. Il faut encore parcourir 5Km de piste pour parvenir au monastère,entouré d’une dizaine de maisons et du dis-pensaire. C’est un lieu de rassemblementsocial important pour les nomades.

Le plateau, situé à 4 300 mètres d’altitude,est recouvert d’une prairie alpine qui cède laplace à des éboulis au-delà de 4 800 mètres.

B. Données socioculturelles

1- Le nomadisme

Les pasteurs nomades vivent essentiellementdes produits de leurs troupeaux. La bouse deyack séchée sert de combustible à une alti-tude ou le bois est inexistant. Les tentes et lesvêtements traditionnels sont tissés en poil deyack. La tsampa (farine d’orge grillée que l’onadditionne de thé salé, de beurre, parfois defromage et de sucre), le lait, le beurre, le fro-mage, les racines de Potentilla anserina fraî-ches ou séchées, et la viande séchée repré-sentent l’alimentation de base. Certains culti-

vent un peu de navets,Brassica rapa pour le bétail etleur alimentation personnelle.Les produits alimentaires chi-nois sont de plus en plusconsommés : riz, soupe depâtes instantanées, sucreries,sodas, bière etc.

Le nomadisme tibétain selimite à des déplacementsannuels n’excédant pas 20 à70 km. Les changements decamps ont lieu deux à trois foispar an, une fois la réserve en herbe d’un sec-teur épuisée. Il y a alternance entre deux outrois lieux habituels, dont l’un est privilégié,selon une stratégie de gestion des pâturagesadaptée au type de troupeaux (chèvre, mou-ton, yack), à l’évaluation permanente desstocks d’herbe l’hiver et de leur régénérationpotentielle l’été. Des villages de maisons enterre crue servent de lieux de stockage pourdivers biens et aussi de lieu de résidence l’hi-ver. L’herbe pour les troupeaux est alors ren-due accessible sur les versants exposés ausoleil, l’enneigement restant modéré. Il s’agittoutefois d’une herbe sèche pendant 8 à 9mois de l’année. Les récentes campagnes desemi-sédentarisation (obligation de disposerd’un lieu d’habitation fixe) ont conduit lesnomades du Kham soit à l’exode rural, soit à laconstruction de groupements d’habitations endur. Sur le plateau de nombreuses maisonssont en construction mais beaucoup de noma-des disent que cela ne changera rien à leurmode de vie. La maison se substituera à latente du campement principal, occupé 8 à 9mois de l’année. Les mouvements pastorauxresteront les mêmes, avec les mêmes campe-ments satellites. Mais cela n’est possible quepour les familles suffisamment larges pour ylaisser des membres dans ces derniers, ousuffisamment riches pour s’adjoindre des ser-vices extérieurs. Le fait de posséder une mai-son n’est d’ailleurs pas perçu comme la fin dunomadisme, mais un symbole d’aisance. Lesmaisons visitées ont une organisation trèssimple : une à deux pièces d’habitation et unepièce de stockage pour le combustible etdiverses fournitures. En ce sens elles ne révo-lutionnent pas le mode d’organisation spatialet comme le dit le nomade Yeshi : «C’estcomme une tente en pierre».

Pour les familles modestes, tant en revenuqu’en progéniture, l’exode rural semble êtresouvent préféré. Entre l’été 2002 et 2004, dela moitié aux deux tiers des tentes du plateauavaient disparu. A Nangqian 200 maisons

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Village d’hiver

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sont en construction. Les familles nomadescampent à côté du chantier pour le moment.Elles ont bénéficié d’une aide gouverne-mentale, qui paie en partie leur nouvellerésidence. On dit sur le plateau qu’environ150 familles sont parties pour la ville enl’espace de trois ans.

2- Organisation sociale

Sous une même tente vit une famille nucléairesouvent élargie à trois générations et diverscollatéraux. Les groupes de tentes abritentdes familles unies par des alliances matrimo-niales, ou des liens de parenté divers. Lesunions obéissent surtout à des objectifs patri-moniaux, avec une grande variété de possibi-lité allant de la monogamie à la polygamiesororale (plutôt réservée aux classes domi-nantes) ou à la polyandrie fraternelle. Cesdeux derniers modes d’union ont été interdits,puis à nouveau autorisés par les Chinois, maisne semblent plus concerner que 10 % environdes mariages à Nangqian. La transmissionest patrilinéaire à l’exception des biens meu-bles dont la transmission est matrilinéaire, pri-vilégiant l’aîné. La résidence est le plus sou-vent virilocale sauf quand une famille necompte que des filles, alors le gendre vienthabiter dans la famille de sa femme. Dawa,une de nos principales informatrice, indique queles unions sont de moins en moins arrangéespar les familles et que les divorces, bien qu’ayanttoujours existé, soient de plus en plus fréquents,en particulier chez les jeunes citadins.

Le clergé tibétain comporte deux types de reli-gieux : les moines ordonnés qui vivent dansles monastères et suivent les règles de la dis-cipline bouddhique telle qu’elle a été léguéepar le bouddhisme indien ; ils prononcent ungrand nombre de vœux, dont ceux de célibat,de pauvreté, d’abstinence d’alcool, etc. L’autrecomprend aussi bien des prêtres de villagemariés, des anachorètes, des conteurs ambu-lants, des thérapeutes etc. Ils prononcent desvœux plus simples de «disciple laïc» et le vœu«d’être promis à l’éveil». Ils peuvent fonder unefamille, boire de l’alcool etc. Le lama est unmaître spirituel détenteur d’une lignée detransmission tantrique lui permettant de pra-tiquer enseignement et initiations. La confu-sion est fréquente entre les uns et les autres,pour l’oeil occidental, car tous portent lemême vêtement.

L’ancien système féodal répartissait les ter-res par famille. Il n’y avait aucun pâturagecommunautaire, de telle sorte que les familles

fréquentaient toujours les mêmes lieux et netissaient de liens d’interconnaissance qu’avecles familles voisines. Les données sont raressur l’organisation sociale durant la phase decollectivisation communiste. La décollectivati-sation des terres a pris effet au début desannées 80. Le gouvernement, bien que res-tant l’ultime propriétaire, redevable à ce titred’un impôt en nature et en argent, a distribuéterres et bêtes à des collectivités allant d’unefamille à un village. Le «contrat» est établipour 30 à 50 ans, et reproduit une attributionverticale, toutefois sujette à des réarrange-ments locaux (Bank, 2003).

La décollectivatisation s’est traduite aussi parun retour à la hiérarchie traditionnelle, lesnouveaux nomades pauvres sont issues desfoyers modestes sous l’ancien régime et lesfamilles riches sont redevenues aisées(Goldstein, 1980 : 638) Le système féodalétait basé sur un ratio de bêtes (différent deyacks à chèvres ou moutons) par unité de sur-face de pâture. Il prévoyait des fluctuationsd’attributions en fonction des variations ducheptel. Cette mobilité du système permettaitde limiter les effets des catastrophes climati-ques et d’éviter le surpâturage.

Le système actuel repose sur des cheptelsévalués en 1980, mais qui ont considérable-ment évolué depuis. Il obéit aux lois du marchéavec une tendance à l’accroissement desgrandes propriétés aux dépends des petites.Constatant que 90 % des prairies sont dégra-dées en Chine, de nouvelles politiques d’attri-bution des terres plus égalitaires et durablessont à l’essai depuis 2002, en concertationavec les différents niveaux d’autorité, dans l’at-tente d’une loi générale. Il en résulte locale-ment un sentiment d’insécurité formulé parPema : «On ne sait pas combien de temps onva avoir la terre, ni si on pourra garder nostroupeaux». Nous avons constaté sur le ter-rain, entre 2002 à 2004 la progression de

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1. IDH du programme des NationsUnies pour le développement :

intègre des données sur le revenu,l’espérance de vie et l’éducation

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Yack

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végétaux marqueurs de surpâturage(Caragana, Morina, certaines Potentilla etc.)sur des surfaces conséquentes, témoignageau niveau local de cette problématique.Paradoxalement les hivers particulièrementrigoureux régulent le surpâturage par les per-tes de cheptel occasionnées. Mais c’est auprix de la ruine de certains éleveurs, puisqu’en1996, 1 500 000 animaux sont morts sur les2 600 000 que compte la préfecture.

3- Vie économique

Pour la première fois, les revenus de l’indus-trie au Tibet ont dépassé ceux de l’agriculture(élevage compris). La médecine tibétaine estun des piliers de cette évolution. Le tourismedevrait en devenir un autre avec 1,4 millionsde touristes attendus en 2005 (ChinaBusiness information, 2002). La Chine auraitpermis cette croissance économique par sesaides directes et par la «libération» du sys-tème féodal (Xinhua, 2004). L’indice de déve-loppement humain1 n’est cependant que de0,404 à Lhassa contre 0,861 à Pékin.(Buffetrille 2002, 332). La population chi-noise est essentiellement urbaine et la popu-lation tibétaine rurale, à 87 % (Courrierinternational, 2005 : 33).

Le Qinghai est très peu industrialisé, en retardsur le reste de la Chine. Les principales res-sources économiques pour les éleveurs ducomté, sont les produits de leurs troupeaux(viande, peaux, cuir, os, laine, poils de yak, pro-duits laitiers,...) et la cueillette de plantes médi-cinales (Caterpillar Fungus et Ginseng fruit)aux mois de mai et juin (dont la rentabilité estcroissante bien que non chiffrée). Ces revenusleur permettent d’acheter de l’orge dans les«grain stations» disséminées dans la préfec-ture. L’élevage représente 86 % des revenuséconomiques, l’agriculture 9 %, ces deux acti-vités bénéficiant d’une fiscalité avantageuse, lereste est partagé entre commerce et petitesentreprises.

L’économie nomade repose essentiellementsur la viande et les produits laitiers. Les bêtessont tuées à la fin de l’été, au maximum deleur prise de poids. Le prix de la viande a aug-menté de façon presque exponentielle. Ainsi leprix d’un mouton est passé de 100 à 300yuans en 5 ans, le prix de la livre de viande deyack de 3,5 à 8 yuans durant la mêmepériode. Une vingtaine d’entreprises transfor-ment le yack en Chine (la viande réputée «toni-que», riche en protéines et pauvre en graisseest très demandée à Hongkong et Macao,

mais aussi le lait, le yaourt, la laine, et mêmeles cornes). Dans le Kham des «coopérativeslaitières» collectent le lait pour produire desfromages qui sont intégralement destinés aumarché états-unien2. Le patrimoine des famil-les correspond à son cheptel. Les membresde famille pauvres vendent leur puissance detravail à d’autres familles ou essaient de diver-sifier les revenus grâce à des collectes deplantes, à la chasse, à l’exécution de bassestâches comme l’abattage, etc. ou bienparticipent à l’exode rural.

Un autre produit prend de plus en plus d’im-portance dans l’économie locale : Cordycepssinensis, un champignon médicinal dont lemarché asiatique et international explose.Beaucoup de familles de Nangqian comptentmaintenant sur cette récolte pour subvenir àtout ou partie de leur besoin. Rhodiola crenu-lata semble également faire l’objet d’un com-merce croissant, avec des conséquences,tant écologiques. L’accroissement de lademande en plantes médicinales crée denouvelles ressources dont la pérennité esttoutefois problématique.

4- Vie religieuse

Nous l’évoquerons brièvement en renvoyant lelecteur intéressé par le sujet à la multituded’ouvrages disponibles sur le sujet.

Le bouddhisme lamaïste, dit aussi tantrique,et également désigné sous le nom deMaharayana ou «véhicule de diamant», est lareligion pratiquée localement et il imprègnetous les actes de la vie quotidienne. LesTibétains du plateau sont des gens pieux.Dans aucune maison, ou aucune tente, nemanquent l’autel et les photos de lamasreconnus, ainsi que les tankas ou les ima-ges pieuses, représentant les divinités dubouddhisme tibétains.

Les bénédictions et initiations dispensées parles dignitaires sont des moments forts et trèssuivis de la vie communautaire. Sur le mêmeplateau cohabitent des monastères d’autresécoles, tels des Sakyapas. Il ne semble pas yavoir de bön (religion prébouddhique quiconcernerait encore 10 à 20 % des tibétains).

Le monastère compte environ 70 moines de6 à 75 ans car il est d’usage d’envoyer aumoins un enfant au monastère ou à la nonne-rie. A l’âge adulte celui-ci ou celle-ci choisira deprononcer des vœux définitifs ou bien deretourner à la vie laïque.

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Sources, concepts et pratique actuelle

2. Autour de Yushu, pas moins detrois usines les fabriquent souscontrôle administratif de Xining

3. Ouvrage chinois destiné à justi-fier la sinisation du Tibet, formuléen cent questions-réponses.

La médecine tibétaine, à l’image de toute lasociété tibétaine, est profondément ancréedans la philosophie bouddhiste lamaïste. Elleest souvent exercée par des religieux, maisaussi par des moines «laïques» en tenuemonastique mais pouvant se marier et n’étantsoumis qu’au respect d’un nombre minimumde «vœux». De nombreux autres thérapeuteslaïques pratiquent des soins. La répartitiondes secteurs de santé sera exposée plus loin.

C. Données épidémiologiques générales

D’après les sources officielles : l’espérancede vie est passée de 35,5 ans avant 1950 à63,7 ans en 1988 (question 31 des «centquestions»3), mais ce chiffre ne tient proba-blement pas compte de la mortalité infantileque certains pensent deux à trois fois plus éle-vée au Tibet que dans le reste de la Chine.L’organisation «Save the children» a menéune étude en 1986 et trouvé des retardsde croissance chez 40 % des enfants tibé-tains (de 33 % pour les citadins à 65 %pour les ruraux).

Les données de nos observations, malgré leurempirisme convergent globalement avec cel-les de MSF. MSF - Suisse a assuré une mis-sion médicale de 1998 à 2001 dans le dis-trict de Nangqian à environ une centaine dekilomètres de Drogshok, dans une zone où lapopulation sédentaire est légèrement supé-rieure à la population nomade. Nous dispo-sons des différents rapports d’activité de cesquatre ans de présence- et de la littérature(Meyer, 2002) : les pathologies les plus fré-quemment rencontrées sont les pathologiesrhumatismales aiguës (grande fréquence durhumatisme articulaire aigu) et chroniques(arthrose, rachialgies, radiculalgies), lespathologies digestives en particulier gastri-ques et hépatiques, les pathologies infectieu-ses (tuberculose, infections de la sphère ORL,infections ophtalmologiques, grande fré-quence des maladies vénériennes). Les patho-logies thyroïdiennes en particulier les goitres(nous n’en avons identifié aucun, mais le selconsommé à présent ne provient plus ducommerce traditionnel et est enrichi en iode),des cataractes et des blépharites dues à l’in-tensité du rayonnement solaire.L’hypertension artérielle est fréquente etsemblerait associée à la consommation de sel(abondantes quantités de thé salé consom-mées quotidiennement). L’enquête MSF meten évidence la forte mortalité maternelle etinfantile en périnatalité. Le Tibet serait d’ail-leurs une des régions du monde où le taux de

maternité périnatale materno-fœtal est parmiles plus élevés. Dans les causes de décèsrecensées par MSF sur une année dans undistrict proche de Nangqian, on retrouve parordre décroissant : hémorragie du post-par-tum, accident, tuberculose, affections gastri-ques, décès d’enfant en période néo-natale etsuspicion de tétanos.

LE SYSTEME DE SANTE LOCAL

A. Rappels théoriques sur la médecine tibétaine

Nous ne ferons ici qu’une description rapidedu système théorique de la médecine tibé-taine à partir d’ouvrages écrits par ou pourdes Occidentaux, choisis parce que cités parles membres de l’équipe (Clark 1995, Clifford1986, Donden 2000 et 2001, Khangkar1998, Meyer 1988). La pratique est parfoistrès loin de l’image véhiculée par ces écrits.

Historiquement la médecine tibétaine puiseaux sources de la médecine indienne, chinoiseet tibétaine. A la première, elle emprunte sathéorie humorale, sa conception d’une anato-mie et d’une physiologie mystique et une par-tie de sa matière médicale. De la deuxième,elle tire l’examen du pouls, la moxibustion4 etune autre partie de sa matière médicale. Latroisième est à l’origine de l’examen des uri-nes, de rituels d’exorcisme, de divination, depratiques chamaniques, de la causalité démo-nologique de certaines maladies et, selon cer-taines sources, d’une matière médicale locale(Clifford, 1986). Les influences spirituellessont majeures : bouddhisme, tantrisme, cul-tes aux divinités prébouddhiques apportentdifférents niveaux d’explications (Janes,2001 : 209)

La tradition historique attribue au roi Srong-btsan sgam-po (7ème siècle) les empruntsfaits aux «quatre grands pays des points car-dinaux» (Chine, Inde, Népal, pays Ouïgour). Apartir de cette période furent traduits de nom-breux ouvrages médicaux : chinois, indiens etperses (eux-mêmes inspirés de la médecinehellénique), cependant que des médecins deces horizons se succédaient à la cour tibé-taine. Le Tibétain Vairocana traduisit au 8èmesiècle de nombreux ouvrages sanscrits dontle fameux Rgyud-bzhi («Quadruple traité» com-posé de quatre volumes), traité de base de lamédecine tibétaine qui serait issu en droiteligne de l’enseignement du Bouddha de méde-cine (Clifford, 1986 : 74). Il a été enrichi parde nombreux autres traités par la suite, dont

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4. Acte thérapeutique consistanten la combustion en un point déter-

miné d’un cône d’armoise ou depoudre d’edelweiss. Pratique extrê-mement courante au Tibet où toutTibétain présente un nombre par-fois impressionnant de cicatrices

dues à cette pratique

Enfant au dispensaire

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le Shel-gong Shel-phreng, précis de pharmaco-pée. Le développement de la médecine étaitinséparable des milieux monastiques.

Il s’agit d’une médecine humorale où la mala-die résulte d’un déséquilibre. Le vent, la bile etle phlegme sont des éléments physiologiquesdont l’excès ou le manque détermine la patho-génie, ce sont les causes proches. On distin-gue des causes lointaines qui sont associéesaux humeurs qu’elles déséquilibrent, et quisont respectivement le désir, l’agressivité etl’obscurité mentale. Toutes dérivent de l’igno-rance, obstacle à l’éveil. Enfin les causesdéclenchantes sont l’alimentation, le mode devie, l’habitat, le comportement etc. (Meyer,1988). Le chaud et le froid sont des facteursimportants de la pathogénie comme de la thé-rapeutique. S’ensuivent des classificationscausales complexes et une classification en404 maladies divisées en quatre catégoriesde 101 : celles qui résultent de l’influence desactions (karma) des vies antérieures, cellesqui sont la manifestation tardive d’actionsantérieures de la vie présente, celles qui sontdues aux esprits (ou démons selon les ouvra-ges, les esprits semblent l’appellation réser-vée à l’audience occidentale), celles dues àdes perturbations superficielles et répondantà un comportement et un régime adapté(Donden 2000).

La démarche diagnostique est très codifiée,techniquement (recherche anamnestique etcontextuelle, prise des pouls, examen des uri-nes) mais aussi quant aux attitudes propresau thérapeute avec le souci constant de saréputation (utilisation de la feinte pour le diag-nostic, absence de traitement pour les mala-des susceptibles de ne le suivre, ou haineux,ou mourants {Clark,1995}).

La thérapeutique comprend des conseils surle mode de vie (activité physique, hygiène géné-rale et sexuelle, adaptation aux saisons), des

prescriptions diététiques (selon les catégo-ries, les qualités et quantités des aliments),des médicaments (classés par potentialités,saveur de base et saveurs post-digestives,composés de mélanges complexes de plan-tes, minéraux et, à moindre échelle, produitsanimaux, sous forme de pilules ou de poudres(certaines pilules dites précieuses, sont prisesdans un cadre rituel particulier) et enfin lesinterventions que sont les saignées (encoreabondamment pratiquées), la moxibustion(idem), les applications externes de chaud oude froid, les bains médicaux et la chirurgie(plus utilisée, aussi bien selon Meyer que selonnos constatations). Elle comprenait aussi desrituels tantriques, tel les skurim, réapparusrécemment (Janes 2001 : 209), des divina-tions et des rituels religieux. Enfin le théra-peute doit satisfaire aux «six exigences pri-mordiales» : «Posséder de vastes connaissances, présenter unesprit pur d’Etre destiné à l’Eveil qui se consacreau bien de toutes les créatures, être tenu par desliens de consécration, posséder une certaineadresse de corps, de parole et d’esprit, être assiduà la tâche et se conformer aux coutumes de cemonde tout en pratiquant la Noble Loi reli-gieuse» (Meyer, 1988 : 191).

Si tous les thérapeutes se réclament des qua-tre tantras, les interprétations qu’ils en fonten sont multiples. (Janes, 1995 : 20) Lamédecine tibétaine ne peut se concevoircomme un ensemble homogène et cohé-rent : de part l’étendue géographique, la varia-bilité épidémiologique et botanique qu’ellerecouvre, comme de par l’hétérogénéité deses praticiens, tant au niveau de leur forma-tion, des systèmes de sens qu’ils mobilisent, etdes techniques qu’ils pratiquent. Samuel(2001 : 261), montre comment l’exercicede la médecine tibétaine dans la diasporautilise des procédures pragmatiques qui ledécalent considérablement de la théoriedes Quatre tantras, et de son corollaire

présenté en Occident.

B. Le système de santé local

1- Les différents secteurs

Nous utiliserons la classification propo-sée par Chrisman et Kleiman (1983) etdistinguerons les secteurs profession-nels qui comprennent les cliniques, hôpi-taux, dispensaires, centres de santé etcabinets médicaux. Les acteurs y ontbénéficié d’une formation reconnue et

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Manuscrits médicaux tibétains

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ont un statut de «professionnels» quel quesoit le type de médecine exercée puisque lesmédecines chinoise, tibétaine et biomédecine,jouissent de la même reconnaissance offi-cielle et d’un enseignement institutionnalisé.

Le dogme de l’accès universel aux soins pro-clamé par Mao Zedong a fait long feu, le sys-tème de sécurité sociale qui permettait la gra-tuité des soins pour les employés gouverne-mentaux et les habitants des campagnes aété remplacé à travers toute la Chine par unsystème de marché depuis les années 80.Les fonds publics pour les hôpitaux, les clini-ques et les dispensaires ont été décentraliséset ont drastiquement diminué (Janes,2001 : 203). Tout traitement est maintenantpayant (une nuit dans un hôpital à Lhassacoûte deux mille yuans en 2002, soit 6 moisd’un salaire moyen). On compte au Tibet unpraticien de biomédecine pour 1 094 person-nes et un praticien de médecine tibétainepour 4 817 personnes (Ibid : 200).

Le secteur traditionnel recouvre les praticienss’inscrivant dans un système de soins et deformation non officiel : formation suivant unlien de parenté le plus souvent dans notre cas,en dehors des structures éducatives recon-nues, mais aussi les thérapeutes religieux» quibien que non médecins, n’en dispensent pasmoins des soins.

Enfin le secteur populaire recouvre approxi-mativement tout ce qui relève de l’automédi-cation, du savoir et des pratiques relatives à lasanté dans le cadre privé.

2- Le secteur professionnel

2.1. L’Hôpital de Yushu : la ville de Yushu pos-sède un hôpital de 150 lits qui est la réfé-rence médicale pour toute la préfecture.Il offre les services de consultationsexternes, hospitalisation, chirurgie, méde-cine interne, gynécologie et maternité.Son éloignement (220 km du plateau) etle coût des soins, le rendent inaccessibleà beaucoup de familles pauvres

2.2. L’Hôpital de comté de Nangqian : il com-porte 50 lits gérés par 14 médecins pré-sentés comme polyvalents, de l’extractiondentaire à la chirurgie, ainsi que 7 infir-mières. Mais pour diverses raisonsconjoncturelles, l’hôpital ne totalise enmoyenne que 30 à 40 hospitalisationspar mois et la maternité ne reçoit que20 accouchements par an

2.3. Les cliniques de «médecine tradition-nelle» de Nangqian : dans la rue princi-pale se trouvent une clinique de MTC etune de médecine tibétaine. Elles sontsous tutelle étatique et reçoivent un bud-get du bureau sanitaire préfectoral et du«bureau des médecines traditionnelles»de Pékin. Ces structures ne dispensentque des soins ambulatoires payants etdistribuent des bio médicaments en plusdes thérapeutiques traditionnelles

2.4. Les praticiens «privés» : nous avons pudénombrer deux échoppes de médecinetibétaine et une de médecine chinoise,tenues par des praticiens qui dispensentleurs soins et vendent les prescriptionssur place. Ils jouent également un rôle depharmacie, approvisionnant les prati-ciens ruraux en médications diverses.Eux-mêmes en ont acheté la majeure par-tie dans des réseaux de distribution quinous restent encore opaques

2.5. Les cliniques de communauté : danschaque township il y avait théoriquementune clinique gérée par un médecin «local»et financé par le gouvernement, mais cesstructures sont les premières touchéespar les restrictions budgétaires aussi laplupart ne sont plus fonctionnelles. Parmanque de matériel et de médicaments,l’activité est très réduite et la plupart descliniques, dont celle de Drogshok, sontfermées. Quand elles fonctionnent, ellesn’ont pas de registre de consultation(rapport MSF 1998)

2.6. L’antenne MSF Suisse : en fonctionne-ment de 1997 à 1999 sur le comté deNangqian dans les townships de Xiangdaet Baizha (soit à une centaine de kilomè-tres de Drogchok), avec 3 expatriés et 17personnels locaux, ses objectifs étaient : «d’améliorer la qualité des soins, et le sys-tème d’approvisionnement des médicamentsen introduisant le système de médicamentsessentiels ; réhabiliter les cliniques et leuréquipement. Améliorer l’accessibilité auxsoins des populations les plus démunies enformant du personnel médical à la consulta-tion et à la prescription et assurer la viabi-lité financière des cliniques en instaurant unsystème de recouvrement des coûts» (rap-port MSF, 1998). Elle suivait en cela l’ini-tiative de Bamako5. Elle prévoyait enoutre une évaluation continue du pro-gramme à travers un système de surveil-lance sanitaire (annexe 2).

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5. L’OMS souhaitait initier une poli-tique de recouvrement des coûts

des thérapeutiques par leur venteaux patients

Meconopsis horridula

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3- Les tradipraticiens : à cheval sur sec-teur traditionnel et officiel

Les médecins de villages anciennement appe-lés «agents de santé» sont pour la plupart desmédecins traditionnels. Ils ont généralementreçu une formation par filiation ou par d’au-tres médecins traditionnels. Certains ont faitdes stages dans des hôpitaux de comté ou depréfecture. Ils ne touchent plus de salaire dugouvernement, mais perçoivent un bénéficiesur la vente de médicaments (environ 15 %).

La population se dirige généralement vers cesagents de santé, auprès desquels elle obtientparfois crédit pour recevoir les traitements.La majorité des patients ne pouvant paspayer, beaucoup d’agents de santé ont actuel-lement abandonné leur activité et se rabattentsur leur activité paysanne ou pastorale.Autour du monastère on dénombre 5 prati-ciens en activité. Tous ont été formés par unparent médecin. Ils dispensent des médica-ments tibétains qu’ils fabriquent eux-mêmesou, de façon croissante, achètent à Nangqian,ainsi que des médicaments chinois et des pro-duits biomédicaux. Ces derniers sont essentiel-lement des antibiotiques (ampicilline, métroni-dazole et amikacine dans 80 % de nos obser-vations, dont près de 50 % pour l’ampicilline).

Nous n’avons pu rencontrer que deux de cespraticiens directement. Certains lamas ontune activité de «gestionnaire du malheur» quipeut englober la maladie et pratiquent diversrituels pour libérer des influences démonia-ques. De nombreuses plantes sont utiliséespour ces pratiques.

4- Le secteur populaire

La plupart des nomades connaissent et utili-sent au moins une vingtaine de plantes qu’ilsramassent et utilisent couramment dans desindications simples, ainsi que de nombreusesrecettes pour les maux quotidiens. Ainsi lafleur de pavot bleu, Meconopsis horridula,cuite dans du lait, est bonne pour les douleursde dos de même que la consommation defruits frais d’argousier, Hippophae tibetica. Labouse de yack appliquée fraîche améliore lesdouleurs des doigts et des orteils.

On rangera dans ce secteur populaire, l’ac-couchement. Ce dernier a lieu à domicileavec l’aide des femmes les plus expérimen-tées de la famille ou de l’entourage immé-diat. Il n’est fait appel à un thérapeute qu’encas de complications.

Dans son enquête de janvier 1999, MSFavait comptabilisé les thérapeutes. Ils étaient81/21 500 personnes, soit un thérapeutepour 265 personnes. Le profil de 61 d’entreeux avait pu être précisé : 36 % pratiquaientla médecine tibétaine, 10 % la biomédecine et54 % les deux. Seuls 9 de ces praticiensavaient une formation biomédicale institution-nelle. Le questionnaire de MSF posait unequestion sur l’action effectuée par les person-nes ayant été malades dans la dernièreannée. Elle livrait la réponse sous forme d’untableau indiquant un recours unique. Ce débutd’approche qualitative, s’il a le mérite de mon-trer que le recours à la médecine tibétaine estle plus commun, ne rend aucunement comptede leur dynamique. Les patients se limitentrarement à une thérapeutique et un systèmeunique. Seule la notion d’itinéraire thérapeuti-que permet de la mettre en évidence, enouvrant à l’expression de choix multiples,simultanés ou consécutifs (annexe 3).

B I L A N F L O R I S T I Q U E

A. Les informateurs

Dans un premier temps, nous avons été diri-gés vers les nonnes qui connaissent et ramas-sent les plantes. Des la première «sortie bota-nique» c’est par dizaines que les espècesmédicinales nous sont présentées. Les nomsprécisés par la plus lettrée, qui parfois connaîtquelques indications. Globalement il apparaîtqu‘elles ramassent pour d’autres tels leslamas du monastère ou pour leurs propresfamilles qui revendent la plupart de ces plan-tes sur le marché chinois. Les plantes sontramassées, lavées à la rivière, séchées ausoleil le jour et dans le temple la nuit puismises dans des sacs de toile avant d’êtreremises à leurs utilisateurs. Une sortie à plusde 5 000 mètres d’altitude confirme quemême les jeunes nonnes savent reconnaîtreet collecter de nombreuses espèces.

Tselha, jeune étudiante en médecine tibétaineà Yushu nous a montré son herbier de 200plantes médicinales et nous a permis de nousprocurer l’ouvrage de médecine tibétaine quisert de base d’enseignement dans son école.Elle reconnaît ne pas être très performanteen reconnaissance botanique et préférer apriori laisser la tâche de collecte et de prépa-ration des médications à d’autres, ce quiconfirme le morcellement des tâches faisantévoluer le système médical tibétain vers unfonctionnement ou le prescripteur est le col-lecteur-préparateur sont dissociés.

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Lavage de plantes

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Le terme amchi ne désigne que les médecinstibétains de l’Est et du Sud du Tibet, locale-ment on parlera de men ba ou de ladji littéra-lement «médecine homme».

Teu’Tok, lama du monastère, nous donne lesnoms locaux des plantes que nous lui mon-trons et nous renseigne sur certaines deleurs indications. Il participe volontiers à laréalisation de l’herbier où il écrit les noms desplantes. Il nous montrera fièrement les sacsen peaux d’ours de son père qui contiennenttoute la pharmacopée héritée depuis desgénérations.

Tchepa, en tenue de lama lui aussi mais laïc,est le frère de l’homme à tout faire de la clini-que. Il ne peut ou ne veut me donner de ren-seignement sans consulter un ouvrage depoche qu’il emmène partout avec lui.

La population locale ayant appris notre intérêtpour les plantes, quasiment tous les Tibétainsavec qui nous avons pu cheminer se sontefforcés de nous montrer les plantes qu’ilsconnaissaient et de nous dire tout ce qu’ils ensavaient. Un simple passage dans une tentede nomade nous permettait parfois dedécouvrir jusqu’à sept nouvelles espèces.

B. Collecte des données

Nous avons délibéré-ment concentré notrerecherche sur lesabords proches dumonastère ou de la non-nerie (une journée demarche maximum pourune collecte). Nous noussommes intéressés pré-férentiellement auxplantes vues en plu-sieurs exemplaires etde préférence en abon-dance. Les plantes nonramassées localementmais présentes dansles ouvrages de phar-macopée tibétaine ontété consignées aumême titre que lesautres.

Pour chacune des loca-lisations, sont notées,la date de la floraison,le nom tibétain local,le(s) nom(s) tibétain(s)

savant, lorsque celui-ci ou ceux-ci sontconnus, ainsi que le mode de préparation etles indications.

Les sites de cueillette et l’abondance de cha-que espèce sont notés de façon approxima-tive, reflétant surtout nos pérégrinations loca-les. Cependant certaines plantes sont à l’évi-dence ubiquitaires et d’autres uniquementprésentes dans des stations très localisées.En l’espace de deux ans certaines espècessemblent avoir régressées, mais il faudraitdes séjours répétés pour pouvoir l’affirmer.

Nous avons prélevé un échantillon et pris desphotos de presque chaque espèce mention-née. Sur le terrain, les échantillons de plantesont été rangés dans une presse mobile, afind’éviter leur détérioration, puis rassemblésdans une presse fixe. Le séchage de l’herbiers’est révélé difficile compte–tenu du hautdegré d’hygrométrie local.

Les données chimiques et pharmacologiquesproviennent de diverses bases de donnéespharmacognosiques telle celle de Duke. Lesdonnées provenant de recherches effectuéesdans les laboratoires chinois sont abondan-tes, hélas beaucoup d’articles ne sont pas tra-duits. L’ouvrage de Christa Kletter réalise unetrès bonne synthèse des données actualiséespour les quelques espèces communes à nosinvestigations.

C. Taxonomies

Nous avons choisi d’établir une classificationbotanique scientifique et d’établir les corres-pondances avec la taxonomie tibétaine qui nela recouvre pas, afin de rendre compte d’unemateria medica purement locale. L’ouvragede pharmacopée tibétaine moderne, commetous ceux que nous avons consultés, fonc-tionne sur le même parti pris en assignant àun nom tibétain un seul nom scientifique cequi explique la dispersion des espèces demême genre, mais oblige le commentateur àrépéter les mêmes indications pour plusieursespèces et à «écraser» en quelque sorte, lacomplexité de la nomenclature tibétaine.

En effet la taxonomie tibétaine est basée surdes critères à la fois d’aspect de la plante, debiotope dans lequel on la trouve et de ses pro-priétés. Une même appellation peut donc dési-gner des spécimens appartenant à des espè-ces, des genres, voire des familles scientifi-ques différentes. Cependant leur regroupe-ment obéira à une logique différente, par

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Identification et mise en herbier :Teu’Tok, Aline et Jean-Pierre

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exemple, elles pousseront sur un même ter-rain comme un pierrier d’altitude exposé aunord. Par ailleurs la plupart des ouvragesdécrivent la flore médicinale de l’Ouest duTibet, comme l’excellent travail de ChristaKletter, effectué au Ladakh. Les plantes del’Est du Tibet ont été peu et mal décrites. Deplus la taxonomie tibétaine n’est pas unifiée etil serait plus approprié de parler des taxono-mies tibétaines. Les différences de biotopedonc de flore médicinale, la multiplicité destraditions et des modes de transmissions, quenous avons évoqués, conduit à des classifica-tions multiples et variables, selon les régions,mais aussi selon les praticiens, la tradition àlaquelle ils se rattachent et la façon dont ilsont été formés. Nous aurons l’occasion demettre en évidence des différencesimportantes entre taxonomie savante ettaxonomie vernaculaire.

Il existe en Chine un ambitieux projet de refontede l’ensemble de la pharmacopée tibétaine dansun corpus actualisé de référence de matièremédicale dit «Livre noir». A notre connaissancecet ouvrage n’a pas encore vu le jour.

Les noms tibétains y ont été écrits en tibétainet retranscris en alphabet latin en suivant lesystème dit «Wilie» qui rend compte de l’ortho-graphe et non de la phonétique, et permet ainside comparer rigoureusement les sources écri-tes et parfois de mettre en évidence les fautesd’orthographe de certains informateurs.

Pour certaines plantes nous disposons desindications populaires et savantes, pour d’au-tres l’information n’est que partielle, voireinexistante. Ce travail et inachevé à ce jour.Nous le poursuivons avec régularité.

Pour être complets, signalons que les indica-tions formulées par les thérapeutes ou lesouvrages ne reflètent pas l’ultime niveau decomplexité de la science pharmaceutique tibé-taine. Les plantes ne sont jamais utilisées seu-les, à l’exception des pratiques populaires.Elles entrent dans la composition de prépara-tions complexes alliant en moyenne de 5 à 35composés, végétaux, mais aussi minéraux etanimaux. Ces médications complexes sont cel-les utilisées par les thérapeutes, sous formede poudres ou de pilules la plupart du temps.Leurs indications diffèrent bien sûr sensible-ment de la somme des indications de l’ensem-ble de leurs composés. Nous mentionneronsdonc à chaque fois que possible, les droguesauxquelles une plante participe. Cependant ils’agit là d’un travail monumental, tant le

nombre de traités de pharmacologie est élevéet diffère d’une école et d’une région à l’autre.

E. Liste des identifications botaniques

La flore tibétaine compte 6 000 espèces pourla région autonome du Tibet et jusqu’à10 000 espèces en prenant en compte legrand Tibet historique, c’est à dire englobantle Bouthan, le Ladakh, une partie du Yunnan etdu Sichuan, du Nord du Népal, et del’Himachal Pradesh (Nord de l’Inde). La listesuivante correspond à une première appro-che botanique. Certaines espèces ne sont pasencore identifiées. Pour Artemisia sp. parexemple, il reste au moins quatre espèceslocales à déterminer. Pour procéder aux iden-tifications nous nous sommes servis des livresde Materia medica chinoise et tibétaine citésdans la bibliographie pour déterminer les gen-res et une première approche des espèces,puis nous avons soumis ces identifications àdes spécialistes des flores alpines et asiati-ques. A l’aide des deux herbiers, des photos etdes plantes obtenus à partir de certaines grai-nes confiées à des jardins d’altitude, un cer-tain nombre d’espèces ont pu être dûmentidentifiées.

Nous remercions donc Jean-FrançoisDobremez de l’Université de Chambéry, spé-cialiste reconnu de la flore himalayenne,Cédric Basset, botaniste du jardin du parc dela tête d’or, Serge Aubert et Roland Douzet,botanistes de l’UEFR de biologie végétale deGrenoble, associés au jardin d’altitude duLautaret ainsi que Christian Chauplannaz,chef-jardinier du jardin de la Jaÿsinia àSamoëns, pour leurs avis, leurs conseils etleur connaissances mis généreusement auservice de ce travail.

CONCLUSION

Face aux problématiques rencontrées sur leterrain, en particulier l’évolution de la sociététraditionnelle tibétaine et le changement dumilieu naturel, on comprend bien l’urgencequ’il y a à collecter les informations concer-nant l’usage du végétal et les pratiquesmédicales s’y rapportant.

Les contraintes inhérentes aux étudesethnobotaniques sont de plus en plusimportantes. Ces dernières subissent des

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pressions endogènesde part l’évolution dessociétés traditionnel-les et exogènes depart les problémati-ques du marché.

Par ailleurs, ceconstat, avec les limi-tes méthodologiquesqui s’imposent, nousapparaît éloquent. Laconfrontation de deuxsystèmes de pensée,inévitable dans le

monde actuel, devrait nous interroger et nouspousser à agir pour arrêter l’hémorragie dessavoirs. La médecine tibétaine est profondé-

ment liée à son environnement naturel, sa cul-ture et son histoire. Assistera t-on à la renais-sance d’une médecine tibétaine portée par lamise en scène de ses propres représenta-tions symboliques ? Comment son identité etses pratiques évolueront-elles au contact dusystème scientifique occidental et du formida-ble marché économique qui engloutit une par-tie de sa matière médicale ?

En ce qui nous concerne il nous paraît indis-pensable de mettre en place une correspon-dance botanique scientifique face aux élé-ments issus de la pharmacopée végétale tibé-taine. Ainsi, à partir de cette plate forme nouspourrons classer les plantes et leurs utilisa-tions en fonction de leur propre représenta-tion dans le système de soins tibétains.

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Saussurea stella

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LISTE DES PLANTES COLLECTÉES

Aconitum gymnandrum Maxim.Aconitum naviculare Stapf.Aconitum richardsoniarum LauenerAjuga lupulina Maxim.Allium carolinianum Delar Allium fasciculatum RendleAllium prattii C.H. WrightAllium przewalskianum RegelAllium sikkimense Baker.Androsace fasciculate Wild.Anemone rivularis Buch.-Ham. ex DC.Anisodus tanguticus Pascher Antennaria sp.Artemisia sp.Artemisia siversiana Ehrh. Aster sp.Aster stracheyi Hook.Aster yunannensis Franch. sous espèced’Aster diplostephioides C.B. ClarkeAstragalus sp.Brassica rapa Linn. Capsella bursa-pastoris Medic.Caragana brevifolia Kom.Caragana tibetica Kom.Chenopodium album L.Cirsium souliei Matt.Chrysanthemum tatsienense Bureau & Franch.Clematis tangutica Korsh.Codonopsis nervosa Nannf. Corydalis sp.Corydalis boweri Hemsl.Corydalis conspersa Maxim.Corydalis melanochlora Maxim.Corydalis nigro-apiculata C.Y.Wu

Cremanthodium sp.Cupressus sp.Cyananthus sherriffii CowanCyananthus sp.Delphinium albocoeruleum MaximDelphinium caeruleum Jacquem.Delphinium trichophorum Franch.Doronicum falconeri C. B. Clarke, ex Hook.f.Dracocephalum bullatum Forrest ex DielsDracocephalum heterophyllum Benth.Dracocephalum tanguticum Maxim.Elsholtzia sp.Epilobium sp.Eriophyton wallichianum Benth.Eritrichium sinomicrocarpum W.T.WangErysimum diffusum Ehrh.Euphorbia fischeriana Steud.Euphorbia stracheyi Boiss.Euphrasia sp.Fritillaria delavayi Franch.Gentiana algida Pall.Gentiana stipitata Edgew.Gentiana straminea Maxim.Gentiana szechenyii KanitzGentiana urnula H. Smith.Gentiana veitchiorum Hemsl.Gentianopsis grandis (H.Smith) MaxGeranium pratense Linn.Halerpestes cymbalaria Greene. Halenia elliptica D.DonHedysarum sikkimense Benth. Hippophae tibetana Schlecht.Hippuris vulgaris L.Hordeum vulgare L.Heteropappus crenatifolus (Hand.-Mazz.) Griers.Hypecoum leptocarpum Hook.f. & Thoms.

Corydalis sp.

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Médecine tibétaineA c t e s d e l a J o u r n é e d u 8 a v r i l 2 0 0 6 - M e t z

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Sources, concepts et pratique actuelle

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Incarvillea compacta Maxim.Iris goniocarpa BakerJuniperus formosana HayataLagotis yunannensis W.W.SmithLamiophlomis rotata KudoLancea tibetica Hook. f. & Thoms.Ligularia virgaurea (Maxim.) Mattf. Leontopodium francheti Beauverd. Aff himalayanumLeontopodium monocephalum Edgew.Leontopodium stracheyi C.B.Clarke ex. Hemsl.Lomatogonium sp Lonicera saccata RedherLonicera tibetica Bureau & Franch.Meconopsis horridula Hook.f. & Thoms.Meconopsis integrifolia Franch.Microura tibetica Benth. Morina alba Hand.-Mazz.Morina kokoronica HaoMorina coulteriana RoyleNepeta sp.Oxytropis ochrocephala BungeOxytropis sp.Parnassia cabulica Planch. Ex C.B. ClarkePedicularis corymbifera H.P. YangPedicularis cranolopha Maxim.Pedicularis longiflora Rudolph.Pedicularis oliveriana PrainPedicularis przewalskii Maxim.Petasites tricholobus Franch.Plantago depressa Willd.Pleurospermum spPolygonum sibiricum Laxm.Polygonum sphaerostachyum Meissn. Polygonum viviparum L.Potentilla anserina L.Potentilla arbuscala D.Don.aff.Primula secundiflora Franch.Primula sikkimensis Hook.Primula sp.Przewalskia tangutica Maxim.Ranunculus japonicus Langsd. ex DC.Rheum officinale Baill.Rheum pumilum Maxim.Rheum spiciforme RoyleRhodiola crenulata (Hook.f. & Thoms.) H. Ohba.Rhodiola kirilowi RegelRhodiola sp.Ribes orientale Desf.Rumex crispus L.Sabina przewalskii Kom.Salix xerophyla FloderusSalvia prattii Hemsl.Salvia roborowski Maxim.Saxifraga melanocentra Franch.Saussurea gossypiphora Wall.Saussurea graminea Dunn.Saussurea hieracioides Hook.f.Saussurea medusa Maxim.Saussurea pachyneura Franch.Saussurea stella Maxim.

Saussurea taraxacifolia Wall.Saxifraga melanocentra Franch.Saxifraga stelaris L.Sedum tatarinowii Maxim.Senecio sp.Silene tenuis Turcz.Sisymbrium heteromallum C.A. MeySoroseris glomerata (Decne.) StebbinsSoroseris hookeriana (C.B.Clarke) StebbinsSoroseris sp.Spiraea canescens D. DonStellera chamaejasme L.Swertia sp.Syncalathium kawaguchii LingTanacetum nubigenum Wall. ex DC.Taraxacum sikkimense GandogerTaraxacum tibetanum Hand.-Mazz.Thlaspi arvense L.Trachydium purpurascens Franch.Urtica triangularis Hand.-Mazz.Urtica tibetica W.T.Wang ex C.J. ChenVeronica ciliata Fisch.

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Ci-contre : Incarvillea compacta

Ci-dessous : Pedicularis cranolopha