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JEAN-FRANÇOIS PEYRET La Fabrique des monstres ou Démesure pour mesure d’après Frankenstein ou le Prométhée moderne de MARY SHELLEY Création au Théâtre Vidy-Lausanne, janvier 2018 Livret interactif d’accompagnement du spectacle

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Page 1: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

JEAN-FRANÇOIS PEYRET

La Fabrique des monstresou Démesure pour mesure

d’après Frankenstein ou le Prométhée moderne

de MARY SHELLEY

Création au Théâtre Vidy-Lausanne, janvier 2018

Livret interactif d’accompagnement du spectacle

Page 2: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

Ce document a pour objectif de témoigner d’un spectacle en train de se faire, La Fabrique des monstres ou Démesure pour mesure, de Jean-François Peyret. Parce qu’il s’agit d’une création, ce document est lui-même évolutif et pourra être augmenté au fil des représentations de nouveaux documents textuels, visuels ou sonores. Il est conçu par Julie Valero, dramaturge du spectacle, en étroite complicité avec Jean-François Peyret et l’ensemble de l’équipe. Il est également le fruit d’une série de rencontres et d’échanges avec un groupe de spectateurs grenoblois, organisée dans le cadre d’un projet intitulé Fablab. Leurs questions, leurs remarques, leurs attentes ont été prises en compte pour tenter de transmettre ce qui n’existe pas encore, ce qui est en train de s’élaborer… Les pages qui suivent doivent aussi beaucoup aux étudiants du Master 2 Création artistique de l’Université Grenoble Alpes, avec lesquels Jean-François Peyret a mené une résidence artistique autour de la figure de Percy B. Shelley ; qu’ils en soient ici remerciés.

Les pages que vous allez découvrir ont été imaginées comme une immersion dans notre fabrique et dans l’univers des Shelley, dont il est difficile de rendre compte en quelques lignes ou photos, tant leur oeuvre fut prolixe et leur vie, aventureuse. Ces pages n’ont ainsi ni de vertu projective sur le spectacle ni d’ambition d’exhausitivité. Elles sont un témoignage en cours de notre promenade en terre shelleyenne.

Narration enchâssée cliquez ici pour en savoir plusCette page reprend des extraits de Frankenstein à partir desquels les comédiens ont improvisé à plusieurs reprises, comme pour donner à voir les différentes escales faites dans cette narration enchâssée, dont la frise essaie de rendre compte. Le document n’est pas exhaustif mais sera augmenté de nouvelles haltes, au fur et à mesure des répétitions.

Arbre généalogique des Schelley cliquez ici pour en savoir plus

Eléments didactiques cliquez ici pour en savoir plusCette page est composée de captures d’écran réalisées à partir du logiciel Scenoptique développé par l’équipe IMAGINE de l’INRIA Grenoble (auteurs : Frédéric Devernay, Vineet Gandhi, Alexandre Gauthier, Michael Gleicher, Moneish Kumar, Rémi Ronfard) et issues de prises de vue réalisées en répétitions. Elle sera augmentée au fur et à mesure de celles-ci.

JULIE VALERO, DRAMATURGE

Générique

Ircam

Soutiens

Dates de tournée

Bibliographie

Note d’intention

SOMMAIRE

Narration enchassée

Arbre généalogique

Élements didactiques

AU CŒUR DE LA NARRATIONà propos de ce livret interactif

Tout au long du

livret, cliquez sur la flèche rose pour afficher du contenu

complémentaire

Introduction au spectacle à écouter

Page 3: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

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Frankenstein ou le prométhée modernede Mary Shelley (1816)

Walton écrit à sa sœur Margaret

4 lettres Journal

Chapitres I à X

Chapitres XI à XVI

Chapitres XVII à XXIV

Je n’ai pas d’ami

L’histoire du maître d’équipage

Libide Sciendi

Les derniers moments de mon existance

La danse de haine

Je suis un être misérable

Je suis Genevois de naissance La nuit venue

La découverte du language

L’arrivée de Safie

Une valise en cuir

C’était votre journal

V. Frankenstein parle à Walton

La créature parle à V. Frankenstein

NARRATION ENCHASSÉE

Page 4: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

Mary Wollstonecraft William Godwin Elizabeth Pilfold Sir Timothy Shelley ( 1759 – 1797 ) ( 1756 – 1836 ) ( 1763 – 1846 ) ( 1753 – 1844 )

Mary Wollstonecraft - - - - - - - - - épouse - - - - - - - - - -Percy Bysshe Shelley - - - - - - - - Harriet Westbrooke ( 1797 – 1851 ) ( 30 Décembre 1816) ( 1792 – 1822 ) (1811 – 1816 ) ( 1795 – 1816 )

Se suicide enceinte

Clara William Clara Everina Percy Florence Charles Ianthe ( 1815 – 1815 ) ( 1816 – 1819 ) ( 1817 – 1818 ) ( 1819 – 1888 ) ( 1814 – 1826 ) ( 1813 – 1876 ) Morte au bout de Mort du Choléra Morte de dysenterie

13 jours

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Page 5: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

Notes d’improvisations

Costumes et accessoires

Travail à la table

Décors

Paroles de spectateurs

A l’issue d’une série de rencontres et d’ate-liers, un groupe de spectateurs grenoblois rend compte de cette expérience d’accompagnement vers la création de La Fabrique des monstres…

« Entre exercice empirique et mise en abyme critique, nous avons fait l’expérience d’un entre-deux théâtral rarement accessible au spectateur.Une action à renouveler autant que possible ! »

« Auparavant pour choisir un spectacle je suivais mon impression à la lecture des synopsis. Je lisais ensuite des ouvrages s’y référant.[Durant le Fab lab] J’ai découvert une nouvelle approche. J’aime à présent m’imprégner des écrits avant la vision du spectacle. Cela permet une approche plus profonde et intime du spec-tacle mais aussi du travail des artistes. »

« J’ai trouvé beaucoup d’intérêt à s’interroger sur l’argumentaire à développer pour susciter l’inté-rêt des spectateurs potentiels. Créer une attente transformable en une attractivité, donner envie. Sur le contenu, sur la démarche, sur l‘auteur ? A partir de l’intérêt que l’équipe artistique y a trou-vé (la passion ?) En fonction de quels publics ? Est-ce que le tout public, ça existe en com ? ».

« On naît pas spectateur de théâtre, on le de-vient.

C’est la conclusion de cette expérience de FABLAB. C’est un apprentissage, dépasser la po-sition de spectateur consommateur à spectateur, acteur de sa position de public.

Les conditions c’est d’être en salle de spectacle pendant environ 2 heures, temps unique, les uns à côté des autres dans une forme d’anonymat. Or le FABLAB permet de mettre en mot cette « communauté » du public, une forme de « so-cialité » du théâtre. »

« Nous étions que 12 personnes. ET ce n’est surtout pas un problème ! C’est une parcelle de la population, mais tant pis. En tant qu’élément d’un ensemble, on joue sur cet ensemble. Rien de ce qui s’est produit dans cette expérience ne peut se « dé-produire »

Nous en sortons « différents ». Et cette inventi-vité et cette audace à interpeller notre « mons-truosité » aura un impact sur la conscience de la société dans son ensemble. Sous un certain angle, cette performance unique pour seulement une douzaine de personnes est incomparable-ment plus importante qu’un feuilleton de télé vu et commenté par le pays entier !

Enfin , nous ne sommes pas seulement des gens anonymes qui vont au spectacle, mais nous nous rendons à un spectacle que nous attendons, qui nous permet de dépasser les apparences et d’ap-procher les nœuds de l’existence humaine … »

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ÉLÉMENTS DIDACTIQUES

Page 6: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

JE SUIS GENEVOIS DE NAISSANCE…

« Je suis Genevois de naissance, et j’appartiens à l’une des familles les plus distinguées de ladite république. Durant de longues années, mes ancêtres furent conseillers ou syndics, et mon père assuma, avec honneur et considération, plusieurs fonctions officielles. Il était respecté de tous ceux qui le connaissaient pour son intégrité et l’infatigable dévouement qu’il apportait à la chose publique. Il passa sa jeunesse perpétuellement absorbé par les affaires de son pays. Diverses circonstances l’avenir empêché de se marier jeune, et ce ne fut que tard dans la vie qu’il convola en justes noces et devint père de famille.Comme les circonstances de son mariage illustrent sa personnalité, je ne puis les passer sous silence. L’un de ses meilleurs amis était un négo-ciant qui, après avoir connu une situation florissante, tomba dans la pauvreté, à la suite de multiples revers. Cet homme, qui ne nommait Beau-fort, avait une nature fière et intransigeante. Il ne put supporter de vivre dans le besoin, oublié de tous, dans cette même ville où il avait brillé par son rang et sa magnificence. Pour cette raison, après avoir très honorablement payé ses dettes, il se retira avec sa fille à Lucerne où il vécut, inconnu, dans une situation proche de la misère. Mon père vouait à Beaufort la plus profonde amitié, aussi fût-il fort affecté par la nouvelle d’une retraite accomplie dans des circonstances aussi pénibles. […] Il se mit immédiatement en devoir de le rechercher, espérant le persuader de rétablir sa situation, avec son aide et son crédit.Beaufort avait pris des mesures efficaces, afin qu’on ne le retrouvât point. Ce ne fut qu’au bout de dix mois que mon père découvrit enfin sa re-traite. Plein de joie, il se hâta vers la maison de son ami. Celle-ci était située dans une rue pauvre, près de la rivière Reuss. Hélas ! Lorsqu’il y pé-nétra, il n’y trouva que misère et désespoir. Beaufort n’avait sauvé du naufrage qu’une très minime somme d’argent. Celle-ci lui avait néanmoins suffi à assurer leur subsistance à tous deux, pendant quelques mois. Il espérait, avant qu’elle ne fût épuisée, obtenir un emploi respectable dans une firme de négoce. En attendant, il demeurait forcément inactif. Son chagrin ne devint que plus intense et plus pénible à supporter, lorsqu’il eut tout le loisir de s’abandonner à ses sombres pensées. Celles-ci l’obsédèrent à tel point qu’au bout de trois, il tomba sérieusement malade et fut obligé de garder le lit, incapable du moindre effort.Sa fille le soigna avec une immense tendresse, mais elle fut prise de désespoir lorsqu’elle vit avec quelle rapidité fondait leur maigre pécule, sa-chant qu’ils ne pouvaient compter sur d’autres ressources. Cependant, Catherine Beaufort avait une nature d’une trempe peu commune, et son courage s’affermit dans l’adversité. Elle trouva une occupation modeste, qui consistait à tresser la paille, et, par divers moyens, elle s’arrangea pour gagner une pitance à peine suffisante pour assurer leurs besoins essentiels.Plusieurs mois s’écoulèrent de la sorte. L’état de son père ayant empiré, elle dut consacrer une plus grande partie de son temps à le soigner. Ses moyens de subsistance décrurent en même temps et, au cours du dixième mois, son père mourut dans ses bras, laissant derrière lui une orphe-line totalement démunie. Ce dernier coup du sort l’anéantit. Mon père la trouva, agenouillée devant le cercueil, versant des larmes amères. Il ap-parut à la pauvre fille comme un génie providentiel. Elle mit son sort entre ses mains. Après l’enterrement, mon père l’emmena avec lui à Genève, et la confia à un parent. Deux ans plus tard, Caroline devint sa femme. »

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. de J. Ceurvorst, Paris, Librairie Générale Française, 2009, p. 85-87.

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Page 8: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

1816« L’été 1816, nous visitâmes la Suisse et devînmes les voisins de Byron. Au début nous passâmes des heures agréables sur le lac, ou à nous promener sur les rives […] Mais l’été s’avéra humide et inclé-ment, et une pluie incessante nous confina des jours durant à la mai-son. Quelques volumes d’histoires de spectres, traduites de l’allemand en français, tombèrent dans nos mains. […]« Chacun de nous va écrire une histoire de spectres », déclara lord Byron, et sa proposition fut adoptée. […]Je m’occupai à penser une histoire - une histoire capable de rivaliser avec celles qui nous avaient excités, et dicté cette tâche. Une qui parle-rait aux peurs mystérieuses de notre nature et susciterait un frisson d’horreur - une qui ferait que le lecteur redouterait de tourner la tête, qui glacerait le sans, et accélèrerait les pulsations de son coeur. Si je n’accomplissais point ces choses, mon histoire de fantôme serait indigne de son nom. Je réfléchis, méditai - en vain. Je ressentais cette totale incapcité d’inventer qui est la plus grande misère des auteurs, quand le morne Néant répond à nos anxieuses invocations. « As-tu trouvé une histoire ? » me demandait-on chaque matin, et chaque matin j’étais forcée, mortifiée, de répondre par la négative. »

Mary Shelley, Introduction de l’auteur à l’édition des standards novels (1831), Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. de J. Ceurvorst, Paris, Librairie Générale Française, 2009, pages 49-50-51.

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Page 9: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

JE N’AI PAS D’AMIS

« Je n’ai pas d’ami, Margaret. Alors que le succès me remplit d’enthousiasme, je n’ai per-sonne avec qui je puisse partager ma joie. Si un désappointement m’attend, nul ne sera à mes côtés pour me soutenir. Certes, je confierai mes sentiments au papier, mais c’est là un pauvre confident à qui communiquer ce que l’on ressent. J’aspire à la compagnie d’un homme qui puisse sympathiser avec moi ; un homme dont le regard répondrait au mien. Tu vas sans doute me juger romantique, ma chère soeur, mais je ressens cruellement ce manque d’ami. Je n’ai personne auprès de moi, qui soit aimable et cependant courageux, à la fois compréhen-sif et cultivé, personne dont les goûts soient pareils aux miens, et qui puisse approuver mes projets ou m’aider à les modifier. Mais comment un tel ami pourrait-il, s’il existait, réparer les fautes de ton pauvre frère ! J’apporte trop de fougue dans l’exécution de mes plans, et je témoigne trop d’impatience devant les difficultés. Mais ce qui m’est plus préjudiciable en-core, c’est que je me suis éduqué moi-même. »

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LA NUIT VENUE« La nuit venue, je me réfugiais finalement dans un misérable appentis, très bas et entièrement vide, qui contrastait pitoyablement avec les palais que j’avais vus au village. Cet appentis, cepen-dant, s’adossait à un grâcieux chalet, apparemment bien entretenu. Mais, après ma récente et désastreuse expérience, je n’osai m’y présenter. Mon nouveau refuge, construit entièrement en bois, était tellement bas que je pouvais difficilement m’y tenir assis, sans baisser la tête. Le sol, de terre battue, était heureusement sec et, bien que le vent entrât par d’innombrables fissures, je fus d’avis que l’endroit constituerait un agréable asile où je serais à l’abri de la pluie et de la neige. […]En examinant mon logis de plus près, je découvris qu’une des fenêtres du chalet avait jadis oc-cupé la paroi à laquelle il s’adossait, mais les vitres avaient été remplacées par des planches. Une de celles-ci était légèrement fendue, assez cependant pour permettre, en y appuyant l’oeil, de voir à l’intérieur. J’apercevois une petite chambre, propre et bien chaulée, mais presque vide de meubles. Dans un coin, près d’un petit feu, un vieillard était assis, la tête dans les mains. Son attitude trahissait un profond découragement. La jeune fille mettait de l’ordre dans la pièce. Puis, au bout d’un moment, elle alla retirer d’un tiroir quelque chose qui occupa ses mains. Elle alla s’assoir auprès du vieil homme qui, après s’être emparé d’un instrument, se mit à en jouer, pro-duisant des sons plus doux que le chant de la grive ou du rossignol. C’était un tableau charmant, même pour moi, pauvre misérable, qui n’avais jamais rien contemplé d’aussi beau ! »

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, Trad. De J. Ceurvorst, Paris, Librairie Générale Française, 2009, p. 181 et p. 183.

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LA DÉCOUVERTE DU LANGAGE

Graduellement, je vins à faire une autre décou-verte, bien plus importante que la première. C’est lorsque je me rendis compte que ces gens dispo-saient, en articulant des sons, d’un moyen de se communiquer mutuellement leurs expériences et leurs sentiments.

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L’ARRIVÉE DE SAFIE« Le jour dont je vais vous parler était un de ceux durand lesquels mes voisins se reposaient régulière-ment de leurs travaux. Le vieillard jouait de la guitare, et ses enfants l’écoutaient. Je remarquai que Félix était plus mélanoclique encore qu’à l’accoutumée. Il soupirait fréquemment. Son père finit par s’en aper-cevoir et s’arrêta de jouer. Je crus comprendre, par son attitude, qu’il demandait à son fils la raison de sa tristesse. Félix répondit d’un ton qui s’efforçait d’être enjoué, et le père se remit à jouer, lorsque tout à coup, quelqu’un frappa à la porte.C’était une cavalière, accompagnée d’un paysan qui devait lui servir de guide. La dame était tout de noir vêtue et portait un voile épais. Agathe posa une question à laquelle l’étrangère répondit en prononçant avec beaucoup de douceur le seul nom de Félix. Sa voix était mélodieuse, mais elle avait un autre timbre que celles de mes trois amis. A l’appel de son nom, Félix s’empressa auprès de la dame qui, le voyant approcher, leva son voile, révélant un visage d’une angélique beauté. Ses cheveux, très noirs et brillants, étaient curieusement tressés. Elle avait des yeux sombres et doux, cependant pleins de vie. Ses traist éaient réguliers et admirablement proportionnés. Son teint avait une ravissante fraîcheur, et ses joues étaient déclicatement rosées. »

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. de J. Ceurvorst, Paris, Librairie Générale Française, 2009, p. 192-193.

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UNE VALISE EN CUIR« Une nuit, au cours d’une de mes habituelles visites à la forêt proche, où j’allais chercher de quoi me nourrir et collecter du bois pour mes protecteurs, je trouvais une valise en cuir que quelqu’un avait perdue. Elle contenait quelques pièces d’ha-billement et des livres. Je m’en emparai avidement et me hâtai de l’emporter dans mon refuge. Heureusement, les livres étaients écrits dans la langue que l’on parlait au chalet. Ils avaient pour titres : Le Paradis perdu, Les Vies des hommes illustres, de Plutarque, et Les Souffrances du jeune Werther. J’étais enchanté de posséder pareils trésors. Sans attendre, je me mis à lire et à étudier ces histoires, à longueur de journée, et à exercer ainsi mon esprit, pendant que mes amis vaquaient à leurs occupations. »

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. de J. Ceurvorst, Paris, Librairie Générale Française, 2009, p. 206

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Page 16: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

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Cliquez pour écouter l’extrait

Page 17: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

C’ÉTAIT VOTRE JOURNAL...« Une autre circonstance vint encore confirmer et renforcer ces sentiments. Peu après mon installation dans l’appentis, je trouvai des papiers dans la veste que j’avais prise, au moment de quitter votre laboratoire. Je n’y accordai d’abord aucune attention, mais lorsque je fus devenu capable d’en déchiffrer les caractères dans lesuels ils étaient écrits, je me mis à les étudier attentivement. C’était votre journal se rapportant aux quatre mois précédant ma créa-tion. Dans ces papiers, vous aviez consigné, étape par étape, des progrès de vos travaux. Ce document était émaillé de faits de moindre importance, survenus dans votre vie quotidienne. Vous devez certainement vous rappeler ces papiers. Les voici. Tout y est relaté qui, de près ou de loin, a trait à mes maudites origines. Le processus des faits scandaleux ayant abouti à ma création y est expliqué en détail et mis en évidence. Une description minutieuse de mon af-freuse et répugnante personne y figure, rédigée en termes qui exprimaient bien votre horreur et qui allaient rendre la mienne ineffaçable. La lecture de ce document me souleva le coeur. « Maudit soit le jour qui m’a vu naître ! m’écriai-je, désespéré. Damné créateur ! Pourquoi avez-vous façonné un monstre à ce point hideux que même vous, vous vous êtes détourné de moi, plein de dégoût ? Dieu dans sa pitié fit l’homme beau et attrayant, à sa propre image ; mais mon être est une version immonde du vôtre, rendue plus horrible encore par cette ressemblance. Satan, lui, avait au moins des compagnons, d’autres diables pour l’admirer et l’encourager. Mais moi, je suis seul et déstesté de tous. »

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. de J. Ceurvorst, Paris, Librairie Générale Française, 2009, p. 209-210

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Page 18: JEAN-FRANÇOIS PEYRET
Page 19: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

Conception et mise en scène : Jean-François PeyretComposition musicale :Daniele GhisiCommande Ircam-Centre Pompidou

Réalisation en informatique musicale :Robin Meier, IRCAMScénographie :Nicky RietiLumière :Bruno JoubertAssistanat mise en scène :Solwen DuéeCostumes :Maïly Leung Cheng Soo et Nicky Rieti

Avec :Jeanne BalibarJacques BonnafféVictor LenobleJoël Maillard

Collaboration dramaturgique : Julie Valeroavec le soutien de la Communauté universitaire Grenoble Alpes et IDEX Université Grenoble Alpes

Production :Théâtre Vidy-Lausanne Compagnie TF2 en collaboration avec l’IRCAMCoproduction :L’Hexagone - Scène Nationale Arts Sciences Meylan L’Estive - Scène Nationale de Foix et de l’Ariège Le Théâtre de Caen Avec le soutien de :MC93 - Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny

Création le 23 janvier 2018 au Théâtre Vidy-Lausanne

Que serait Frankenstein aujourd’hui ? Une invention scientifique, probablement. Ou bien un comédien ? La vie recréée de toute pièce par un cerveau génial : c’est un rêve de scientifique et un désir de théâtre. Mary Shelley serait sans doute aujourd’hui une scientifique de l’EPFL ou une metteuse en scène… Quand elle a écrit Frankenstein il y a 200 ans sur les bords du Léman, le climat était bouleversé par l’éruption d’un volcan indonésien et l’été suisse fut sans soleil. Avec quelques amis, pour passer le temps, ils jouaient à se raconter des histoires pour se faire peur. Aujourd’hui, les changements climatiques ont toutes les raisons d’inquiéter et la science joue avec le vivant, décryptant par exemple le cerveau pour mieux le connaître, le soigner et pourquoi pas l’imiter pour le dépasser en inventant une nouvelle informatique.

Jean-François Peyret « expose son théâtre à la science comme on s’expose au soleil » depuis de nombreuses années. Il ne cherche pas à illustrer ou à expliquer la science d’aujourd’hui.

Il met en scène l’espoir tragique du scientifique qui expérimente sur le vivant et contre la mort : le scientifique contemporain en Prométhée moderne. Pour La Fabrique des monstres, il met en scène des acteurs enfermés dans un théâtre pour cause de dérèglement climatique – deux comédiens habitués des plus grandes scènes et du cinéma, Jeanne Balibar et Jacques Bonnaffé, et deux jeunes artistes, l’auteur et acteur lausannois Joël Maillard et Victor Lenoble de L’IRMAR (Institut de Recherches ne Menant À Rien). L’un d’eux se souvient d’avoir joué dans Faust (un autre fameux Prométhée scientifique), l’autre se passionne pour les avancées de l’ambitieux Human Brain Project installé entre Genève et Lausanne, un troisième ne croit plus à ce qu’il fait…

Ils sont accompagnés par une machine musicale élaborée par l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) à partir d’un algorithme bientôt incontrôlable.

ERIC VAUTRIN

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La Fabrique des monstres

Théâtre de Vidy-Lausanne (CH) 23.01-04.02

L’Hexagone - Scène Nationale Arts Sciences Meylan (Fr) 08-09.02

L’Estive - Scène Nationale de Foix et de l’Ariège (Fr) 12-13.02

Théâtre National de Nice (Fr) 04-05.04

Le Théâtre de Caen (Fr) 10-11.04

MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny (Fr) 08-13.06

Ecoutez l’introduction au spectacle par Eric Vautrin dramaturge du Théâtre Vidy-Lausanne à l’occasion de la création du spectacle au Théâtre Vidy-Lausanne le 23.01.18

Voir en ligne la présentation du spectacle :vidy.ch/shelley

Page 20: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

MARY WOLLSTONECRAFT SHELLEY

2 Octobre 1822 [Après la mort de P. Shelley]

« Le 8 Juillet, j’ai achevé mon Journal. Quelle étrange coïncidence ! Il ne reste que cette date fatale : ce 8 : un mo-nument pour marquer que tout a fini alors. Et maintenant, vais-je recommencer ? Oh non ! jamais. Pourtant, bien des raisons me poussent à reprendre la plume. Lorsque le jour s’achève et que le silence revient autour de moi, j’éprouve le désir d’écrire mes sentiments et mes pensées. Avant tout, je n’ai pas d’amis. Pendant huit ans, j’ai communiqué avec une liberté absolue, avec un homme dont le génie bien supérieur au mien animait et guidait mon esprit. Je m’entretenais avec lui, rectifiais mes erreurs de jugement, de lui me venait une autre lumière, mon esprit était satisfait. Et à présent, à présent je suis seule ! Les étoiles peuvent voir mes larmes, le vent peut boire mes soupirs, mais mes pensées sont comme un trésor scellé que je ne peux confier à personne. Comment pour-rais-je donner la parole aux pensées et aux sentiments qui me traversent tels une tempête ?...Voilà ! Aujourd’hui je suis réduite à ces pages blanches que je macule de noires pensées. »

Mary W. Shelley, Fragments autobiographiques, trad. Marie-Françoise DESMEUZES, Paris, Ed. des femmes, 1984, pp. 207-208.

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Page 21: JEAN-FRANÇOIS PEYRET

PERCY BYSSHE SHELLEYIl n’y a pas de Dieu. [...] Tout esprit qui réfléchit doit concéder quil ny a pas de preuve de l’existence d’un Être divin. [...] Dieu est une hypothèse qui, en tant que telle, a besoin d’être prouvée.

[…]la croyance, donc, est une passion. Et son intensité, à l’instar de celle de toute autre passion, est très exactement proportionnée au degré d’excitation.

[…]Mais pourquoi des peuples entiers se sont-ils mis à genou ? C’est que dans les temps éloignés leur législateur et leur guide leur en ont fait un devoir : adorez et croyez, ont-ils dit, des dieux que vous ne pouvez comprendre ; rapportez-vous-en à notre sagesse profonde ; nous en savons plus que vous sur la divinitéUne absurdité aussi monstrueuse et répugnante ne porte-t-elle pas elle-même sa propre infamie comme sa propre réfutation […] La théologie est vraiment le tonneau des Danaïdes[…] Si Dieu est infiniment bon, quelle raison aurions-nous de le craindre ?S’il est infiniment sage, pourquoi nous inquiéter sur notre sort ?S’il sait tout, pourquoi l’avertir de nos besoins, et le fatiguer de nos prières ?S’il est partout, pourquoi lui élever des temples ?S’il est maître de tout, pourquoi lui faire des sacrifices et des offrandes ?S’il est juste, comment croire qu’il punisse des créatures qu’il a remplies de faiblesses?Si la grâce fait tout en elles, quelle raison aurait-il de les récompenser ?S’il est tout-puissant, comment l’offenser, comment lui résister ?S’il est raisonnable, comment se mettrait-il en colère contre des aveugles, à qui il a laissé la liberté de déraisonner ?S’il est immuable, de quel droit prétendrions-nous faire changer ses décrets ?S’il est inconcevable, pourquoi nous en occuper ?S’il a parlé, pourquoi n’a-t-il convaincu ?Si la connaissance d’un Dieu est la plus nécessaire, pourquoi n’est-elle pas la plus évidente et la plus claire ?

Percy B. Shelley, La Nécessité de l’Athéisme, trad. Albert Savine, in Ecrits de combat, Montreuil, L’Insomniaque, 2012.

Notes de La Reine Mab, note 9

L’amour est libre : promettre d’aimer toujours la même femme n’est pas moins absurde que de promettre de croire toujours au même credo – dans les deux cas, un tel engagement nous exclut par avance de toute vérification. […]L’amour se fane sous la contrainte. Son essence même est la liberté : il est incompatible avec l’obéissance, la jalousie, la crainte ; il est d’autant plus pur, plus parfait et plus illimité que ses fervents vivent entre eux en confiance, dans l’égalité et sans la moindre réserve. […] Le présent système de contrainte ne fait rien d’autre, dans la majorité des couples, que produire des hypocrites ou des ennemies déclarés. […] La conviction que les liens du mariage sont indissolubles engendre la plus forte des tentations pour les esprits pervers : ils se complaisent, sans se contraindre, dans l’acrimonie et s’adonnent à toutes les petites tyrannies de la vie domestique dès lors qu’ils ne trouvent plus séduisant leur conjoint, devenu leur souffre-douleur. […] La prostitution est l’enfant légitime du mariage et des erreurs qui vont de pairs. […]Le génie du bonheur humain doit déchirer chaque feuillet du livre maudit de Dieu avant que l’homme puisse lire ce qui est inscrit dans son propre cœur. […]

Percy B. Shelley, Notes de La Reine Mab, note 9, trad. Philippe Mortimer, in Ecrits de combat, Montreuil, L’Insomniaque, 2012.

Notes de La Reine Mab, note 17

« La prédominance de l’homme est, comme celle de Satan, une prédominance de la douleur. »

« JE CONSIDÈRE que la dépravation de la nature morale et physique de l’homme trouve son origine dans ses habitudes de vie contraires à la nature. »

« J’en appelle à tout ce qui est sacré, dans nos espoirs de progrès humains, pour conjurer ceux qui aiment le bonheur et la vérité d’accorder un jugement loyal au régime végétal. »

« La structure de l’organisme humain n’est donc adaptée qu’à une alimentation strictement végétale ; et ce, en chacune de ses particularités. Il est vrai que la réticence à s’abstenir de manger de la viande, si répandue parmi ceux qui sont habitués à ses facultés stimulantes, atteint, chez certaines personnes de peu d’esprit, de telles proportions qu’on ne peut la surmonter. »

« Quelle est la cause des troubles pathologiques dans le règne animal ? Ce n’est pas l’air que nous respirons, car les autres enfants de la nature respirent le même air sans en pâtir, ce n’est pas l’eau que nous buvons (lorsqu’elle coule loin des pollutions de l’homme et de ses inventions), car les animaux en boivent aussi ; ce n’est pas la terre que nous foulons, ni le spectacle lumineux de la nature dans toute sa gloire, avec ses forêts et ses landes, avec l’immensité du ciel et de l’océan ; ce n’est rien que nous partageons avec les hôtes des bois, de poil ou de plume, épargnés par la maladie. »

« On ne saurait être plus clair ! Prométhée (qui représente l’espèce humaine) rendit possible de grands changements dans la condition de sa nature, et l’appliqua d’abord à des fins culinaires. Il inventa ainsi un expédient pour cacher à son dégoût le spectacle horrible de la tuerie. Dès lors, ses organes vitaux furent dévorés par le vautour de la maladie. Laquelle consuma l’être humain sous toutes les formes de son infinie et détestable variété, incluant les ravages terrifiants de la mort violente et prématurée . Tous les vices naquirent sur les ruines de la saine innocence. La tyrannie, la superstition, le commerce et l’inégalité furent les premiers à apparaître, alors même que la raison tentait vainement de guider les errances de la passion exacerbée. »

« N’absorbez jamais dans l’estomac une substance qui a eu vie.Ne buvez d’autre liquide que l’eau rendue à sa pureté originelle par la distillation. Et cet appendice : Des personnes suivant un régime végétal ont eu une longévité remarquable. Les premiers chrétiens s’abstenaient, selon le principe de la mortification de leur propre chair, de manger celle des animaux.

Le Vieux Parr, 152 ansMarry Patten, 136 ans

Un berger de Hongrie, 126 ansPatrick O’Neale, 113 ansJoseph Elkins, 103 ans

Elisabeth de Val, 101 ansAurangzeb, 100 ans

Saint Antoine, 105 ansJacques l’Ermite, 104 ans

Arsène, 120 ansSaint Epiphane, 115 ans

Siméon, 112 ansRombald, 120 ans »

Percy B. Shelley, Notes de La Reine Mab, note 17, trad. Philippe Mortimer, in Ecrits de combat, Montreuil, L’Insomniaque, 2012.

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[Ce montage est le fruit d’un travail mené conjointement par Jean-François Peyret, Julie Valero et les étudiants du Master 2 Création artistique de l’Université Grenoble Alpes, dans le cadre d’une résidence artistique]

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HARRIET WETSBROOKE

« À HarrietQuelle est celle dont l’amour, illuminant le monde, sait parer la flèche empoisonnée de son mépris ? Quelle est celle dont la chaude et partiale estime est la plus douce récompense de la vertu ?Sous les yeux de qui mon âme renaissante a-t-elle mûri en hardiesse vertueuse ? Dans quels yeux ai-je regardé tendrement, et aimé le plus l’espèce humaine ?Harriet ! Dans les tiens… Tu as été mon esprit purificateur ; tu as été l’inspiration de mon chant ; elles sont tiennes, ces prmières fleurs sau-vages, quoique tressées par moi.Alors presse dans ton sein ce gage d’amour ; et sache qu’en dépit des vi-cissitudes du temps et de la révolution des années, toute fleurette cueillie dans mon coeur est consacrée au tien ! »

Percy B. Shelley, Dédicace de La Reine Mab, trad. Félix Rabbe, in Ecrits de combat, Montreuil, L’Insomniaque, 2012.

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EPOUSE

« A Mary…

IMa tâche de l’été est achevée, Mary,

Et donc je reviens à toi, foyer de mon coeur,Comme à sa reine un preux déérique et vainqueurApportant de brillants trophées dans leur castel

Enchanté. Or tu ne dédaignes pas qu’avantQue mon nom, s’il peut fendre son obscurité

Native, ne brille dans le ciel étoiléDes mortels, j’unisse sa douteuse promesse

A ton nom bien-aimé d’enfantDe l’amour et de la lumière.

IILe labeur qui t’a dérobé toutes ces heuresEst fini : j’en dépose le fruit à tes pieds !

On ne me verra pas plus longtemps dans ces boisOù les rameaux entrelacés font des berceaux,

Ni dans ces îles vertes où des cataractesSauvages chantent comme autant de voix houleuses,

En composant une retraite isolée d’herbesEt d’arbres moussus pour ma barque solitaire ;

Mais me voici auprès de toi,Là où mon coeur n’a cessé d’être. »

Percy B. Shelley, La Révolte de l’Islam, Dédicace, trad. De Jean Pavans, Paris, Gallimard, 2016

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LES ENFANTS

CLARA

« Exténuée, Mary accouche deux mois avant terme d’une petite fille qui meurt onze jours plus tard. Exactement le temps que Mary Wollstonecraft a mis à s’éteindre après la naissance de sa fille. Tandis que Shelley s’absente, c’est à Hogg qu’elle écrit : « Mon très cher Hogg, mon bébé est mort. Viendrez-vous auprès de moi aussi vite que vous le pourrez ? Je désire vous voir. […] Viendrez-vous, vous un être si calme et Shelley a peur d’une fièvre du lait, car je ne suis plus une mère, désormais. » Les notes du journal sont sobres et pathétiques : « Restée à la maison et pensé à mon petit bébé. C’est une folie d’être laissée ainsi, seule avec mes pensées. » » (p. 63)

CLARA EVERINA

« Le 30 août, jour des vingt ans de Mary, Shelley est avec Claire. Lorsque Mary entre dans Este le 5 septembre, la petite Clara est malade. Ils vont à Padoue consulter un médecin, poursuivent à Venise, où ils cherchent à joindre celui de Byron. L’état de la petit s’aggrave. Dans une grande détresse, seule à la lueur des bougies, Mary veille Clara, tremblante de fièvre : « La fatigue a donné à ma petite Clara une attaque de dysenterie. Elle est encore dans un état de faiblesse et de fièvre effrayant, et se trouve réduite à une telle maigreur en ce court laps de temps que vous auriez peine à la reconnaître. » Au retour de son père, Clara meurt. Mary écrira plus tard : « Notre premier malheur, parmi ceux encore plus terribles que nous avons connu ensuite, s’est déroulé ici. Notre petite fille, un bébé dont j’imagine avoir tracé les traits délicats en grande ressemblance avec son père, a montré les premiers symptômes d’une souffrance due à la chaleur. Elle faisait ses dents, ce qui a accru son mal et l’a mise en danger. Nous étions à Este : nous nous sommes alarmés et sommes partis en hâte à Venise afin de prendre conseil. Nous étions à peine arrivés à Venise que la vie a quitté la petite malade, et nous sommes rentrés à Este pleureur sa perte. » (p. 111)

WILLIAM

« Jours ensoleillés, jours d’écriture. Terrible printemps. William est pris de fièvre. Puis, comme Clara, il a des convulsions. Shelley et Mary se relaient jour et nuit auprès de lui. Mary, enceinte, fatiguée, ne dort plus. Elle passe trois nuits à masser et frotter le petit corps glacé. L’enfant meurt le 7 juin. » (p. 128)

PERCY FLORENCE

« Mary, qui a perdu deux enfants, est à la fin de sa quatrième grossesse. Le 12 novembre naît Percy Florence, qui reçoit le prénom de son père, suivi du nom de son lieu de naissance. L’ambiance n’est pas joyeuse. » (p. 136)

Tous les extraits ci-dessus sont issus de : Judith Brouste, Le Cercle des tempêtes, Paris, Gallimard, 2014.

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NARRATION ENCHÂSSÉE

« Cette construction enchâssée, d’une symétrie parfaite, est des plus courantes dans la littérature du XVIIIe et XIXe siècles, et se rencontre en abondance dans les récits fantastiques. Le but en est simple : on peut en effet douter a priori de la parole du personnage, héros de l’aventure fan-tastique, d’abord parce qu’il n’a peut-être pas toute sa raison, ensuite parce que les événements qu’il rapporte sont déjà un peu éloignés dans le temps. Pour couper court à cette éventuelle suspicion, l’auteur imagine un autre personnage, celui-ci totalement digne de foi et plus proche du lecteur à tous les points de vue, qui recueille directement les propos du héros, à moins qu’il ne découvre son témoignage manuscrit, et qui sert de garant à l’authenticité de l’histoire rapportée. »

Joël Marieu, Dossier, in M. Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. P. Couturier, Paris, Gallimard, 1997, pp. 331-332.

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Le théâtre de Jean-François Peyret

Jean-François Peyret. « Le théâtre et la recherche scientifique », in revue Hermès, 2015/2 (n°72), pp. 139-142

Jean Jourdheuil, « Pour un théâtre ouvert sur les médias », Les cahiers de médiologie 1996/1 (n°1), pp. 243-249

Philippa Launay, « Le devenir d’Hamlet-machine. Une expérience théâtrale », Sociétés 2001/1 (n°71), pp. 103-111

Daniel Raichvag et Michel Valmer, « Figures de cirque versus figures de science  », Études de communication [en ligne], 24 | 2001, mis en ligne le 12 octobre 2009, consulté le 24 mai 2016En ligne : http://edc.revues.org/979

Jean-Claude Vuillemin, « Réflexions sur la réflexivité théâtrale », in L’Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, (n°45), 2009, pp. 119-135. En ligne : http://id.erudit.org/iderudit/044277ar

Michel Valmer, « Entretien avec Jean-François Peyret (metteur en scène, écrivain et universitaire) », paru dans Alliage, (n°47) , juillet 2001, mis en ligne le 31 août 2012En ligne : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3818

Entretien avec la Cie TF2 sur le spectacle Ex vivo/In vitro à la Fondation AgalmaEn ligne : https://www.agalma.ch/entretien-avec-la-compagnie-tf2/

Entretien avec Jean-François Peyret, par les professeurs Pierre Magistretti et François Ansermet de la Fondation Agalma:En ligne: https://www.youtube.com/watch?v=m6UNaQMO5hw

Site de la compagnie tf2 - Jean-François Peyrethttp://www.theatrefeuilleton2.net

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POUR ALLER PLUS LOIN

Les sources du spectacle

Qu’est-ce que le vivant ? - Alain Prochiantz, Seuil, 2012

Les Variations Darwin - Jean-François Peyret, Odile Jacob, 2005

La Génisse et le pythagoricien - Jean-François Peyret, Odile Jacob, 2002

Alternative Théâtrale n°102-103, Alternatives théâtrales, 2009

Que les étoiles contemplent mes larmes - Mary Shelley, Finitude, 2017

Mathilda - Mary Shelley, Les éditions du 38, 2016

Les Ecrits de combat - Percy Shelley, L’insomniaque, 2010

La Révolte de l’Islam - Percy Shelley, Gallimard, 2016

Défense des droits des femmes - Mary Wollstonecraft, Gallimard, 2016

Le Cercle des Tempêtes - Judith Brouste, Gallimard, 2014

La Fabrication des Enfants - François Ansermet, Odile Jacob, 2015

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NOTE D’INTENTION

Tout le monde sait ici que Mary Shelley a eu l’idée de son roman au bord du Léman, un soir de juin 1816. Personne n’a oublié cette «année sans été» où le climat avait été déréglé (déjà) par l’éruption historique d’un volcan indonésien. Temps pourri à ne pas mettre un poète dehors. Byron, que les Shelley avaient rejoint au bord du lac, propose alors à ses hôtes d’écrire une histoire à se faire peur. Mary prendra la chose au sérieux, écrira son Frankenstein, profitant de l’occasion pour inventer un des rares mythes de la culture moderne. À dix-neuf ans.

Pourquoi alors ne pas imaginer une situation analogue : des comédiens se re-trouvant enfermés ensemble dans un théâtre et qui décident de se raconter (ou de jouer) une histoire de spectre. Imaginons aussi qu’ils tombent sur Frankenstein, ce spectre qui hante la science moderne et inquiète toujours nos consciences. Imagi-nons qu’ils vont eux-mêmes hanter ce livre et découvrir qu’il est une fabrique de monstres. C’est d’abord Mary Shelley elle-même qui se demande comment elle a pu engendrer une si « hideuse créature »; puis Victor Frankenstein expliquera com-ment s’est forgée sa passion fatale, son désir de percer les secrets de la nature qui le lancera dans l’aventure que l’on sait, sans qu’il ait le courage d’en assumer les conséquences. Il abandonnera horrifié sa créature sans nom. Celle-ci, enfin, dans son étrange confession à son créateur lui expliquera comment au bout du compte elle s’est faite elle-même, a dû faire par elle-même son apprentissage des premières sensations offertes par le monde jusqu’à la plus haute culture. Jusqu’au crime aus-si.

Voilà qu’au cœur de ce roman on trouve une curiosité pour le cerveau humain (pas très humain ou trop humain), pour sa nature et pour ses fonctionnements, ses ap-prentissages: c’est une résonance de plus qu’il entretient avec notre époque qui sait bien que le seul vrai monstre est le cerveau de sapiens, et qui s’est fabriqué tout seul.

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EN COLLABORATION AVEC L’IRCAM

Daniele Ghisi (compositeur)

et Robin Meier (réalisateur en informatique musicale)

Quelle variation trouver pour la musique du spectacle sur le thème frankensteinien, à savoir celui du créateur à qui sa créature échappe, se retourne contre lui et devient un monstre?

En parlant avec le jeune compositeur italien Daniele Ghisi (cf. danieleghisi.com) qui a l’habitude composer avec des machines et qui, comme mathématicien, crée lui-même ses algorithmes, l’idée est venu de mettre en place une machine musicale, la Machine (comme on dit la Créature) qui apprenne à faire elle-même de la musique à partir, certes, des instructions qu’elle reçoit mais à mesure que cet apprentissage “tourne“, la maîtrise du résultat, l’écriture si on veut, échappe imprédictiblement au compositeur. Le musicien comme champion de jeu de go ?

Ce travail s’inscrit dans le contexte actuel de la recherche en informatique dominée par les Big Data et l’apprentissage profond (deep learning) et pourrait constituer une première réplique artistique à la toute puissance algorithmique, au risque de s’y prendre. Victor Frankenstein sait de quoi nous parlons. Et il n’y a pas d’art sans risque, comme on dit…

PROCESSUS 

A un premier niveau, il s’agit de constituer la base des data. Ce corpus est à la discrétion du compositeur : ce peut être un corpus musical d’œuvres contemporaines de Frankenstein mais il peut être arbitrairement augmenté, diversifié, augmenté.

A un deuxième niveau, celui de l’apprentissage, ces data sont analysées algorithmiquement selon des critères ou cribles déterminés par le compositeur, et le “cerveau de la machine“ – ses réseaux de neurones – commence à combiner les éléments produits, commence à apprendre.

Le troisième niveau est celui de la génération en temps réel (via un patch Max) : c’est le moment de l’écriture de la machine.

RÉSULTAT 

Ce résultat, justement, on ne peut le connaître d’avance, et il sera différent à chaque représentation. Le champ des variations possibles est très grand : on peut se dire que l’on peut obtenir un discours musical recevable, acceptable, consommable pour l’auditeur, mais que ça peut se gâter jusqu’à devenir insupportable, terrible, monstrueux (ou sublime? La question du sublime étant tapie derrière toute cette histoire).

Dramaturgie : le processus décrit ci-dessus implique une temporalité particulière, de l’entrée des données à la sortie du ou des résultats. Ce déroulement temporel sera un des principes d’organisation du spectacle. Les comédiens interagiront avec lui, de même que la fabrication de la partition textuelle sera d’inspiration algorithmique, comme parallèlement à ce qui se passe pour la musique, par métaphore ou analogie (il faut imaginer le démon de l’analogie en dramaturge). Chaque comédien sera confronté à son devenir-machine : au commencement, il est un sujet parlant ; à la fin il n’est plus que réseaux de neurones… BACK

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Notes d’improvisations

Les « notes » du metteur en scène après une im-provisation sont tout sauf une évaluation de ce qui vient d’avoir lieu. Elles ont en général deux buts : parcourir à rebrousse chemin l’ensemble des actions effectuées - pour se remémorer aussi les textes qui sont « sortis » - et lancer la discussion autour de la façon dont ces textes ont pu être interprétés. Elles se font toujours sous la forme de la discussion, à laquelle tout le monde prend part, les comédiens pouvant aussi revenir sur certaines intentions, certains essais. Elles ont toujours une dimension de reconstruction temporelle ; le metteur en scène cherchant, le plus souvent à partir des notes prises par son assistante, à reconstruire la trame mise en place par les comédiens, comme aussi pour s’inter-roger ensemble sur la pertinence, l’efficacité de certaines articulations dramaturgiques, du passage de telle scène à telle autre. Les ques-tions qui reviennent alors le plus souvent sont : « qu’est-ce qui a amené la scène du feu ? », « à quel moment tu es revenue en enfant ? », etc.

Travail à la table

Le travail à la table est un moment important des répétitions ; il désigne habituellement les premiers jours, ou premières semaines - en fonction des équipes, des pratiques artistiques etc. - de travail en répétitions, durant lesquelles l’ensemble de l’équipe travaille autour d’une table sans nécessairement passer au plateau. Ces moments peuvent être faits de discussions, de lectures ou encore de rencontres avec des personnalités extérieures.Pour La Fabrique des monstres, le travail exclu-sivement à la table a duré une semaine entière mais cette modalité d’échange reste importante jusque tard dans le processus de création. Même après quelques passages au plateau, l’équipe se retrouve autour de la table pour échanger sur les improvisations qui ont eu lieu, revenir sur des passages de textes lus, échanger des anecdotes, etc. La table c’est aussi un peu la « bibliothèque » du spectacle ; on y trouve ainsi les ouvrages essen-tiels au travail dramaturgique et à la construc-tion de celui-ci. Dans notre cas évidemment, plusieurs traductions et versions originales du roman de Mary Shelley, mais aussi : les Ecrits de combat de Percy B. Shelley (Montreuil, L’Insomniaque, 2012), sa poésie, le roman de Judith Brouste, Le Cercle des tempêtes (Paris, Gallimard, 2014), L’Innomable de Beckett (Paris, Editions de Minuit, 2004), La Ballade du vieux marin de Coleridge (Paris, Ad Solem, Trad. De J. Darras, 2005), l’Histoire d’un voyage de six semaines écrit à quatre mains par Mary et Percy (Aix-en-Provence, Presses Universitaires, Trad. d’A. Rouhette, 2015), quelques biographies d’elle et de lui, etc.

Improvisation

L’improvisation est le mode privilégié de passage au plateau chez Jean-François Peyret ; c’est à partir des improvisations que s’élabore, au fur et à mesure, le squelette du spectacle.Jean-François Peyret laisse beaucoup de libertés à ses comédiens dans ce jeu des improvisations. Mais il y a toujours des « règles du jeu » qui va-rient d’un spectacle à l’autre ; pour La Fabrique des monstres, ces règles sont plus ouvertes qu’habituellement, les comédiens pouvant librement citer le texte de Mary Shelley ou le paraphraser. Ponctuellement, ils peuvent éga-lement insérer d’autres textes évoqués durant le travail à la table : La ballade du vieux marin de Coleridge par exemple, ou le poème Mont Blanc de Percy B. Shelley. A ces règles viennent s’ajouter des directions données au début de chaque improvisation qui permettent d’orienter, de donner une direction au travail jour après jour. Ces directions peuvent être thématiques - « faire entendre la scène de l’aveugle» - scé-niques - «dès que vous grimpez sur l’escabeau, la musique se déclenche » - ou de distribution - « Jacques commence seul sur le paysage, vous le rejoignez petit à petit ».

Costumes et accessoires

Les costumes et les accessoires ont fait leur apparition assez tôt dans le processus de créa-tion, dès la troisième semaine de répétitions. Ils semblaient nécessaires à l’élaboration des situa-tions de jeu et à l’inventivité des improvisations ; les premières pièces étaient tout simplement dénichées par les comédiens eux-mêmes dans le fond du théâtre de Vidy. En fonction des propo-sitions, les costumes étaient revus, améliorés ou remplacés par des pièces achetées ou dégotées ailleurs. Chaque comédien possède sa propre « réserve » : ici on retrouve par exemple l’imperméable porté par Joël Maillard lorsqu’il s’empare du texte de La Créature, ou encore l’anorak vert kaki qui caractérise Jacques Bonnaffé dans son rôle de Robert Walton, le marin, narrateur d’une partie du roman de Mary Shelley. Toutefois, certains costumes sont susceptibles de migrer d’un comédien à l’autre ; c’est le cas de cette cape de pluie camouflage que porteront tour à tour Jacques Bonnaffé et Jeanne Balibar.

Décor

Si la scénographie est une des premières étapes de la création d’un spectacle, les premières semaines de répétitions se font traditionnelle-ment sans décor, dans des salles différentes de celle où sera crée le spectacle. La Fabrique des monstres s’est répété dans trois lieux différents avant d’arriver sur le grand plateau de Vidy (salle René Apotheloz) : la MC93 de Bobigny, l’Espace Scénique transdisciplinaire du Campus de l’Uni-versité Grenoble Alpes, et enfin la salle René Gonzalez du Théâtre de Vidy.Dans ces trois salles, seulement quelques éléments réels du décor sont apportés au fur et à mesure, comme ici ce fauteuil à roulettes que vous retrouverez sur le plateau de la Fabrique. Il s’agit alors de proposer aux comédiens de commencer à se familiariser avec certains de ces objets importants pour la construction de leur jeu. Mais l’entrée dans le décor est traditionnel-lement une étape très importante du processus de création en cela qu’elle ouvre de nouvelles possibilités et/ou impose des déplacements, des corporalités, inexpérimentables dans l’espace vide qu’est le plus souvent la salle de répétitions.

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La production de ce document a été rendue possible grâce aux soutiens suivants :

Texte et choix des extraits : Julie ValéroImages du spectacle  : Mathilda Olmi / Théâtre Vidy-Lausanne, droits réservésImages des répétitions : INRIA