interview adrien devyver, papa « zéro pression

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entrées libres n°164 - décembre 2021 - mensuel - ne paraît pas en juillet/août - bureau de dépôt : 1099 Bruxelles X - n° d’agréation : P302221 PÉDAGOGIE Un pigeonnier au cœur de l’école Adrien Devyver, papa « zéro pression » INTERVIEW Réinventer les cours de récré DOSSIER VIVRE ENSEMBLE

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Page 1: INTERVIEW Adrien Devyver, papa « zéro pression

entrées libres n°164 - décembre 2021 - mensuel - ne paraît pas en juillet/août - bureau de dépôt : 1099 Bruxelles X - n° d’agréation : P302221

PÉDAGOGIE

Un pigeonnier au cœur de l’école

Adrien Devyver, papa « zéro pression »

INTERVIEW

Réinventer les cours de récréDOSSIER VIVRE ENSEMBLE

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2 entrées libres | n°164 - décembre 2021

entrées libresDécembre 2021 / N°164 / 16e annéePériodique mensuel (sauf juillet et août)ISSN 1782-4346

entrées libres est la revue de l’Enseignement catholique en Communautés francophone et germanophone de Belgique.www.entrees-libres.be

[email protected]

Rédacteur en chef et éditeur responsableChristian Carpentier (02 256 70 30)avenue E. Mounier 100 - 1200 BruxellesSecrétaire de rédactionJean-François LauwensSecrétariat et abonnementsLaurence Dupuis02 256 70 55Création graphiquePAF!

Mise en page et illustrations

Catherine Jouret

Membres du comité de rédactionCharline Cariaux Frédéric CochéVinciane De Keyser Alain DesmonsLuc De Wael Hélène GenevroisBrigitte Gerard Fabrice GlogowskiGengoux Gomez Pierre Henry Oleg Lebedev Anne Leblanc Marie-Noëlle Lovenfosse Luc Michiels Christophe Mouraux Anne-Marie Scohier Guy Selderslagh François Tollet Stéphane Vanoirbeck

Publicité02 256 70 30

Impression IPM Printing SA Ganshoren

Les articles paraissent sous la responsabilité de leurs au-teurs. Les titres, intertitres et chapeaux sont de la rédaction.

3ÉDITO

Quelle éducation religieuse, philoso-phique et citoyenne ?

4L’ ACTU

Écoles et Covid : des mesures très belgo-belges

6DOSSIER

Cours de recréation : « Améliorer la cour, c’est améliorer le vivre en-semble »

12À L’ÉTUDE

Comment le mérite s’est transformé en tyrannie

14OUTILS

Comprendre les évolutions des mé-tiers en immersion

16CONFIDENCES

Christophe Gillet : « Gamin, je jouais déjà à l’école dans ma chambre »

18 MÉMOIRE D’ÉCOLE

L’histoire du Collège Notre-Dame de Gemmenich

20COULISSES

Vincent Depaepe, économe au Col-lège Saint-Joseph à Chimay

21 CAS D’ÉCOLE

Un pigeonnier qui donne des ailes

23 CHRONIQUE

Noël : Dieu à l’école de l’humanité

24 LIVRES

• Adrien Devyver : « Je suis un papa zéro pression, je veux que mon fils ressente sa liberté »

• « Jacques Brel » pour les petits

• « Marcher vers l’inconnu »

• « Mon séjour dans la fosse aux lions de la politique belge »

26 SERVICES

28 HUMOUR

Intercours, la BD de Jacques Louis

SOMMAIRE

OutilsDes profs en immersion

ActuCodeco : quid des écoles ?

DossierRecréer sa cour de récréation

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3entrées libres | n°164 - décembre 2021

L a question de l’évolution possible de l’éducation religieuse, philosophique et citoyenne revient à l’avant-plan du débat politique à la faveur d’un rapport éta-bli au sein du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Que peut-on, au-

jourd’hui, exprimer de pertinent à ce sujet à partir du point de vue de l’enseignement catholique ?

Des évolutions importantes ont été concrétiséesDepuis 2015, date de la dernière réforme, des référentiels inter-réseaux d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté ont été établis. Ils ont donné lieu, dans l’enseigne-ment catholique, à l’élaboration de programmes correspondants qui ont été déclinés au sein des différentes disciplines, dont le cours de religion lui-même. Des initiatives ont été prises en matière de formation des enseignants, nombre de projets d’établis-sements ont révélé la richesse des pratiques actuelles et nombre d’outils pédago-giques ont été développés et mis à disposition des équipes éducatives. On citera à titre d’exemple l’excellent et récent ouvrage Au phil de l’art1.

Progresser davantage ?Du débat récent, nous identifions en particulier trois éléments qui ont du sens et qui trouveraient pleinement leur place dans le projet éducatif de l’enseignement catho-lique, en particulier dans les dernières années du secondaire où l’âge et la maturité des élèves est plus grande : une introduction plus systématique aux grands courants de pensée et à la diversité des références religieuses, la pratique du dialogue in-ter-convictionnel et, le cas échéant, l’introduction à la philosophie comme discipline scolaire.

Des erreurs à éviterDans l’enseignement officiel, l’organisation d’un cours de philosophie et de citoyen-neté à raison d’une heure par semaine se heurte, on le sait, à une critique généralisée des acteurs de terrain en raison des difficultés pédagogiques et organisationnelles qu’elle induit. Nous n’envisageons donc pas la transposition de ce modèle dans l’en-seignement catholique au moment précis où l’enseignement officiel tente de s’en affranchir.

Une autre erreur serait de vouloir organiser l’enseignement religieux de manière op-tionnelle, le cas échéant en dehors de la grille horaire. Suivant le propos de Régis Debray, «  la disparition chez de nombreux élèves de toute référence à une culture religieuse leur rend inaccessible et inintelligible une part essentielle de leur propre héritage, mais aussi du monde contemporain.  »2 Une raison ultime, si besoin en était, pour situer l’éducation religieuse au cœur des missions de l’école et non à sa marge. ■

1 Jean Brunelli et Pascal Otten, Créons notre éducation citoyenne. Au phil de l’art, Éditions Erasme, 2021.

2 Régis Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’École laïque, rapport adressé à Monsieur le Ministre de

l’Éducation nationale, février 2002.

Étienne MICHELDirecteur général du SeGEC

Le 23 novembre 2021

Édito Quelle éducation religieuse, philosophique et citoyenne ?

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4 entrées libres | n°164 - décembre 2021

L’ACTU

CHRISTIAN CARPENTIER

Il aura fallu trois Codeco en deux se-maines pour commencer à prendre des mesures fortes concernant les écoles. Des changements incessants de règles qui sont mal passés, chez nombre de parents concernés comme dans les écoles chargées de les appli-quer. Ce dossier aura de surcroît four-ni un bon condensé de la Belgique et de sa structure complexe, sur fond de conception de la protection de la san-té qui ne semble plus uniforme.

Covid : des changements incessants qui passent mal

Le Codeco du 17 novembre était très attendu. Mais il n’avait rien donné pour les écoles, sauf une

décision d’y placer des détecteurs de CO2 dont il avait fallu attendre encore une semaine pour obtenir les premières contraintes techniques. Et sans date d’entrée en vigueur réelle, pour cause de pénurie d’appareils sur le marché. Un signe que cette mesure était totalement impréparée, dans le but de donner tout de même un message de protection accrue des écoles tout en n’y imposant pas le masque, à l’usage controversé.

Convoqué à la hâte une semaine plus tard sur fond de nouvelle envolée des chiffres des contaminations, le Codeco du 26 novembre n’avait, lui non plus, rien donné pour les écoles. Même la réunion des ministres de la santé du lendemain n’avait pas placé les enseignants dans les catégories prioritaires pour l’injec-tion de la troisième dose, malgré leur exposition aux risques.

Reconvoqué à la hâte une semaine plus tard sur fond de nouvelle envolée des chiffres des contaminations, le Codeco du 3 décembre a finalement pris de nou-velles mesures. Quatre, principalement. La première  : obligation du port du masque dès 6 ans, y compris cette fois dans les écoles. La deuxième : suspen-sion des cours au fondamental, mais seulement à partir du 20 décembre. La troisième : retour des cours en hybride pour le secondaire le 8 décembre, sauf durant la session d’examens. Et enfin la quatrième  : norme de fermeture d’une classe ramenée à 2 cas Covid.

Ces mesures n’ont de nouveau pas été exemptes de critiques. Changements incessants sans fil conducteur, tardivi-té, doutes sur l’efficacité, inapplicabilité, manque d’adhésion sociale… Les écoles se sont une fois encore retrouvées au centre d’obligations qu’elles n’avaient pas toujours les moyens d’assumer. Que faire en cas de refus des parents d’un enfant de lui faire porter le masque

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L’ACTU

Des mesures à l’impact limitéQue penser des mesures prises ? « Ce qui est regrettable, c’est le change-ment fréquent des règles à appliquer, ce qui n’est pas évident et même par-fois lourd pour les directions et les enseignants, même si la cause principale en est bien entendu l’évolution de l’épidémie », a réagi le directeur général du SeGEC, Etienne Michel. « Le port du masque dès 6 ans est un geste citoyen, je pense que les enfants sont capables de le comprendre et de s’y habituer. »

« La suspension des cours une semaine avant Noël en maternel et en pri-maire n’est pas une chose réjouissante en soi, mais elle aura un impact limité sur une semaine de 4 jours et demi. Quant aux cours en hybride en secon-daire à partir du 8 décembre, cela concernera les écoles n’organisant pas de sessions d’examens, qui vont devoir se réorganiser. Pour les autres, on sera à quelques jours et parfois même quelques heures de l’entame des examens, où le présentiel reste autorisé et où les épreuves n’ont le plus souvent lieu que le matin. »

« Quant aux détecteurs de CO2, les budgets ne sont pas encore disponibles, à l’image des détecteurs eux-mêmes qui le sont difficilement sur le marché. Il faudra donc un certain délai avant que la mesure entre totalement en vi-gueur. »

Une évaluation de la mesure « port du masque » a été prévue par la ministre Désir pour ce 20 décembre. Quant aux cours en hybride, il n’a pas été prévu de les prolonger au-delà des vacances de Noël à ce stade.

L’objectif, depuis la rentrée, était de tout faire pour maintenir les écoles ou-vertes et assurer le maintien des cours en présentiel. Il n’est désormais plus atteint. ■

en primaire ? Ou dans l’incapacité de lui en procurer un au vu des stocks insuffi-sants ? Comment respecter la circulaire pas toujours très claire sur l’étendue précise de cette obligation ? Comment respecter celle de placer des détecteurs CO2 dans les classes alors que ces ap-pareils sont en rupture de stock ?

CacophonieCes mesures controversées au-raient-elles pu être évitées ? Dès la fin du congé de la Toussaint, la branche la plus «  rigoriste  » du gouvernement fédéral – le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke en tête – avait en tout cas déjà placé la barre haut, appelant à un nouveau tour de vis dans plusieurs secteurs, dont les écoles. Le vice-Pre-mier Vooruit (ex-SP.A) préconisait notamment déjà le retour du port du masque imposé aux enfants dès 9 ans pour contrer une nouvelle envolée de la pandémie.

Mais il avait essuyé un refus caractéri-sé de la ministre francophone Caroline Désir (PS). La Bruxelloise arguait no-tamment que la pertinence d’un port de masque pour des enfants de cet âge ne faisait pas l’objet d’un consen-sus scientifique. Son homologue fla-mand Ben Weyts (N-VA) lui avait rapi-dement emboîté le pas. Enfin un retour à un unisson fédéral  ? Les propos du nationaliste étaient trompeurs. Car la Flandre, elle, avait déjà préalablement décidé de restaurer l’obligation du port du masque pour les deux dernières an-nées de l’enseignement primaire tout en… en exemptant ses élèves du secon-daire. Alors que du côté francophone, le primaire restait totalement exempté… à l’inverse du secondaire  ! Là, l’obliga-tion de porter le masque même pour les élèves assis à leur banc avait fait son retour en Wallonie au lendemain du congé de Toussaint, rejoignant ain-si la situation en vigueur à Bruxelles. Comme si la progression du Covid et la façon de l’endiguer s’étaient, elles aus-si, progressivement pliées à la structure fédérale du pays…

Le 17 novembre, le Codeco avait bien tenté de franchir un pas de plus, mais en vain. On n’y demandait pas aux Com-

munautés de modifier leurs règles. Le port du masque était en effet dé-sormais imposé par le fédéral à partir de 10 ans aux enfants dans tous les lieux fermés… sauf quand ils étaient à l’école ! Et sauf en Flandre, donc, où les élèves de 5e et 6e primaire demeuraient concernés par la contrainte décidée par

le gouvernement de Jan Jambon (N-VA). Pas simple à suivre. Encore moins à comprendre, dans cette saga des Codeco dont le politique n’est pas for-cément sorti grandi et où les écoles se sont retrouvées au centre d’un jeu qui les dépasse. ■

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JEAN-FRANÇOIS LAUWENS

Plus verte, plus mixte, plus inclusive, moins genrée, moins bétonnée, plus apaisée, plus durable, plus ludique, plus conviviale, plus confortable, plus stimulante et créative, plus ouverte sur l’extérieur…  : l’heure est venue de réinventer la cour de récréation. En-couragée à la fois par le réchauffe-ment climatique, les confinements et les évolutions d’une société qui a de plus en plus de mal à appréhender le vivre ensemble, la recréation de la cour est devenue un enjeu majeur.

©DR

La cour de récréation a longtemps été le parent pauvre de la géographie sco-laire. Aujourd’hui pourtant, les initiatives ne manquent pas pour rendre ce lieu (plus) agréable à vivre. À Bruxelles, les écoles peuvent s’appuyer sur un guide

extrêmement détaillé émis par la Région. En Wallonie, c’est autour de l’opération « Ose le vert » que la Région, Goodplanet et Natagora collaborent. Pour sa part, l’as-sociation Garance intervient autour des questions de harcèlement dans le cadre du programme « Enfants CAPables ».

D’une façon ou d’une autre, tous se réfèrent aux travaux de Bruno Humbeeck et de Willy Lahaye, professeurs de psychopédagogie à l’UMons et auteurs d’un manuel sur le sujet, Aménager la cour de récréation : un espace où il fait bon vivre (De Boeck, 2019). Bruno Humbeeck fait le tour de la cour en notre compagnie.

On a l’impression que l’intérêt pour l’espace central qu’est la cour de récréation est nouveau alors qu’on ne s’en est pas occupé durant 150 ans…

« Vous avez totalement raison : la cour de récréation est un espace qui a été totalement désinvesti des pédagogues. C’était un endroit de non-pédagogie. À présent, c’est de-venu la vitrine de l’école. Lorsqu’une école met en place un projet sur le harcèlement par exemple, elle le fait au départ de la cour pour le rendre visible. Le film Un monde

« Améliorer la cour, c’est améliorer le vivre ensemble »

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DOSSIERCours de recréation

de Laura Wandel est remarquable car il met la cour de récréation à hauteur d’en-fant pour que l’on comprenne comment ça se passe quand on laisse les enfants livrés à eux-mêmes. C’est immédiate-ment de l’agressivité hiérarchique qui se met en place. Certains enfants ont peur de ce qui s’y produit… ou de ce qui peut s’y produire. On a eu récemment le cas Squid Game : le problème, ce n’est pas tant la série et son potentiel violent que d’entendre des enfants considérer comme envisageable de frapper d’autres enfants ainsi que des enfants considérer cette menace comme cré-dible. C’est que la ‘loi’ n’est pas présente dans la cour, il faut alors réguler. Mais réguler ne suffit pas, c’est un dispositif complet qu’il faut mettre en place, largement au-delà de la cour de récréation. »

Repenser la cour de récréation, c’est améliorer le vivre ensemble ?

« Oui, ou plus précisément encore, c’est améliorer les conditions du vivre en-semble. C’est un microcosme, il faut faire société. Réguler une cour, c’est juste mettre en place un code de la route, faire en sorte que les choses se passent bien, qu’on ne doive pas ‘gagner’ sa place. Mais, au-delà de ça, il faut faire en sorte de stimuler la cour de récréa-tion, veiller à ce que tout le monde s’y retrouve et pas juste les petits garçons qui jouent au foot. Et qu’il y ait des en-droits apaisés, des endroits sans bruits ou mouvements excessifs. La régulation n’est pas une fin en soi, c’est fait pour stimuler et apaiser. »

Le foot figure sur le banc des accusés. Finalement, comme dans la société, prend-il trop de place  ? Plusieurs di-recteurs nous disent : « Si cela ne te-nait qu’à moi, je l’interdirais. »

«  Ce n’est pas le foot en tant que tel qui prend de la place, ce sont les petits garçons qui prennent toute la place. D’ailleurs, peut-on vraiment parler de foot ? Si vous voulez voir à quel point les cours de récré sont genrées, demandez à une petite fille de 4 ans de traverser la cour : elle va faire le tour en longeant les murs. Demandez-lui pourquoi elle n’a pas traversé, elle répondra que les gar-çons y sont. À 10 ans, quand on lui de-

mandera de dessiner une cour de récréation, elle commencera par dessiner un terrain de foot. Elle donnera ainsi 80% du territoire à 20% des enfants. C’est une manière pour les garçons de prendre le pouvoir. La cour est un lieu qui doit être compris comme un territoire que des adultes mettent à disposition des enfants et non un territoire dont certains enfants sont les maîtres, comme dans Squid Game. »

Les écoles qui ont mis en place des espaces calmes sont surprises de leur suc-cès. Est-ce qu’on ne voit pas trop souvent la cour de récré comme une sorte de défouloir ?

« Exactement ! Il y a un cliché fort répandu : on ouvre les portes à la récréation et on voit une horde d’enfants déferler en hurlant. En fait, cela dure quelques

mètres ! Les enfants ne se comportent pas de la sorte durant les 15 mi-nutes de la récré, sinon ce sont de grands malades. La principale activité des enfants dans une cour, c’est parler et se promener. C’est un endroit de ressourcement. Selon les études, seuls 6,9% des enfants courent en récréation, en incluant là-dedans tous ceux qui courent derrière un

ballon. La plupart sont donc bien dans des jeux, dans la lecture, dans la conversation. C’est bien la raison pour laquelle la cour doit être pour chacun

et pas uniquement pour ceux qui font du bruit. »

La cour de récréation de 2021 est-elle vouée au harcèlement, aux violences ?

« C’est un endroit difficile pour beaucoup d’enfants. Y compris pour les profs qui dé-testent surveiller la cour : c’est un endroit invivable s’il n’est pas régulé. Je me refuse à parler de harcèlement tant qu’on ne parle pas de cyberharcèlement. L’un ne va pas sans l’autre. La vraie cour de récréation d’aujourd’hui, elle est virtuelle, ce sont les réseaux sociaux. La cour est la porte d’entrée du dispositif mais, à un moment, il faut agir sur l’usage asocial des réseaux sociaux. Et c’est une question de sanctions. Si l’on se contente d’aménager la cour, on ne lutte pas contre le harcèlement, même si on y voit des résultats positifs et immédiats. Ce ne doit être que le premier pas. »

Harcèlement, genre, violence, environnement : la cour idéale semble devoir rele-ver tous les défis à la fois. C’est faisable ?

« Les ambitions doivent être là. On est à un tournant car c’est la première fois que les cours sont l’objet de tant d’attentions. Tous ces objectifs sont réalisables. Mais dans l’ordre  : si vous n’apaisez pas votre cour, cela ne sert à rien de la rendre plus verte car on va marcher sur vos fleurs. Il ne faut pas faire que cela : c’est important mais la cour de récréation n’est pas non plus passée d’un coup de lieu de non-pédagogie à épicentre de la pédagogie, elle fait partie d’un ensemble. Et si vous ne gérez pas le climat de vos classes, réguler votre cour ne servira à rien. Beaucoup d’écoles pensent que réguler la cour se résume à créer trois zones différentes, mais cela ne suffit pas, il faut clairement expliquer les règles. » ■

©DR

Bruno Humbeeck

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À Sprimont, des enfants aux besoins spécifiquesÉcole Saint-Joseph de Dolembreux

Il y a une décennie, la petite école Saint-Joseph de Dolembreux (Spri-mont) a failli disparaître. Elle ne comptait plus que 20 élèves. Pour la sauver, sa directrice, Véronique Hanssen, a opté pour le développe-ment d’une pédagogie inclusive qui rayonne aujourd’hui bien au-delà du village. « C’est ce qui donne l’en-vie de se lever chaque matin  », dit cette passionnée. L’école accueille aujourd’hui 82 élèves, 70% d’entre eux sont des élèves à besoins spé-cifiques, des enfants « dys » ou souf-frant de troubles de l’apprentissage. « C’est un peu déséquilibré, c’est trop même mais, avec une petite équipe hyper motivée, on s’est dit que cela ne pouvait être un frein. Alors, ce qu’on a fait, c’est qu’on a décidé que les accommodements raisonnables qu’on mettait en place pour certains deviendraient… systémiques. Autrement dit, chaque enfant peut

profiter de ce qui a été mis en place pour l’un ou l’autre.  Nous sommes une ‘vraie’ école inclusive. »

Autour de son bâtiment d’école ru-rale, l’école jouit d’un grand parc. « En réalité, les enfants ont délimité eux-mêmes, via ce que leurs repré-sentants ont remonté au conseil d’école, les différentes zones de récréation  : une zone papote, une zone nature, une pour le foot ou les balançoires. Ils nous ont dit ce dont ils avaient envie. Et, avec le parc, pas besoin de marques au sol, les choses se définissent naturellement. Les en-fants ont intégré naturellement les zones. »

Les spécificités de la pédagogique inclusive ne se limitent évidemment pas aux classes. « Nos enfants sont des enfants à besoins spécifiques, rappelle Véronique Hanssen. Ce sont des enfants ‘dys’ ou à haut potentiel.

Cela se matérialise aussi à la récréa-tion où ils n’ont pas nécessairement les mêmes envies. Par exemple, ce sont un enfant dyspraxique et un enfant dysphasique, des enfants qui ont plus de mal à tisser des liens so-ciaux, qui nous ont demandé d’ins-taller un ‘banc des amis’. Il est arrivé qu’un élève présente des troubles du comportement, cela insécurise les autres. On doit y être attentifs, de même qu’on ne peut jamais penser être à l’abri des risques de harcèle-ment vis-à-vis d’élèves ‘différents’. » ■

Cours de recréation

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DOSSIERBlues des directeursCours de recréation

À Chastre, la petite école dans la prairiePetite École de Gentinnes

©DRDifficile d’imaginer cadre sco-laire plus idyllique que celui de la Petite École de Gentinnes (Chastre), dans le Brabant wal-lon. Face à l’ancien couvent qui abrite le Mémorial Kongolo, au milieu des champs et des bois, la petite école villageoise a reçu tout récemment la visite de la ministre wallonne de l’Environ-nement Céline Tellier (Écolo), comme pour mieux en souligner le caractère de modèle.

À trois reprises déjà, l’établisse-ment a bénéficié des subsides de l’appel à projets wallon « Ose le vert, recrée ta cour ». De l’autre côté de la rue est aménagée la prairie offerte par un parent. Aujourd’hui, mare, pré, compost, feu, arbres frui-tiers et potager en permaculture accueillent les enfants durant les heures sco-laires, mais aussi les parents et voisins en dehors des heures. Surtout, Joffray Poulain, instituteur de 6e primaire actuellement détaché à temps plein sur le projet « Vivre l’éveil au dehors », y reçoit, deux heures par semaine, chacune des 11 classes de l’école et leur institutrice. Aujourd’hui, les petits bouts réunis autour de lui apprennent à alimenter un feu… L’école en plein air.

La prairie est évidemment un projet durable. Pourtant, la réflexion ne se limite pas à la cause de la nature et de la biodiversité. « Nous avons beau être dans un cadre enchanteur et favorisé, nous avons observé il y a quelques années que les problématiques liées au vivre ensemble devenaient plus complexes, qu’il y avait des problèmes de violence, qu’il fallait changer de paradigme par rapport à la place de l’autorité, de l’adulte et donc du prof », explique Dimitri Crickillon, directeur de la Petite École de Gentinnes.

Automatiquement, cela a amené à une réflexion sur le lieu de vie même qu’est l’école. « D’autant que l’école a connu une grosse croissance. Avec 220 élèves

aujourd’hui, nous sommes à l’étroit, nous avons déjà agrandi deux fois, une troisième est pré-vue. Nous avons une cour en ma-ternelle et une cour primaire pas très grande autour des bâtiments. C’est très serré, or les problèmes de type harcèlement se passent à la récréation. La gestion de l’espace est donc centrale. Nous avons réaménagé la cour avec des couleurs  : jeux dynamiques, calmes, foot. On a rendu le jardin accessible (les enfants y laissent leurs bottes toute l’année). Et, à présent, la prairie où nous avons installé un terrain de foot. L’effet est réel  : on voit une très nette amélioration. Le midi, les élèves ont le choix entre le pré et les cours en béton, la plupart choi-sissent la nature. »

La prairie de la petite école n’a que des vertus. «  Tout cela n’a que du positif sur tous les plans. Sur le plan de l’environnement et du climat évidemment, sur le plan pédagogique, pour les en-fants comme pour les profs qui sortent de la classe, et sur le plan des relations, du respect et du vivre ensemble », conclut Dimitri Crickillon. ■

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Cours de recréation

À Bruxelles, le droit au rêve reconnu d’utilité publiqueCampus Saint-Jean 2 de Molenbeek-Saint-Jean

Cet après-midi de novembre, les deux directrices du fondamental au Campus Saint-Jean à Molenbeek, Laetitia Halbardier (maternelles, primaires 1-2) et Sa-mantha Kezbari (primaires 3-6, DASPA), viennent de terminer une réunion cru-ciale avec l’ensemble des acteurs de leur école. Leur établissement est un des 20 (sur 67 candidats) retenus par la Région bruxelloise dans le cadre de l’opé-ration « Ré-création ». Ce matin, PO, directions, enseignants, ouvriers, éduca-teurs et parents rencontraient les architectes et les ASBL désignés par la Ré-gion pour les accompagner. Quelques jours auparavant, les élèves de l’école avaient fait remonter leurs désirs. Tous leurs désirs. « Nous nous sommes ac-cordés le droit de rêver », disent les deux directrices : « Le plus étonnant, c’est que chacun, enfants en tête, à qui l’on demandait les ingrédients idéaux de leur cour de rêve, se limitait un peu en se disant ‘Oui, mais ça, c’est trop cher’ alors qu’à ce stade, la question ne se posait pas encore en ces termes. »

Chaque projet se verra accorder maximum 300.000 euros, sauf besoins spé-cifiques. Mais dans ce quartier dense et précarisé qu’est l’ancien cœur indus-triel de Molenbeek (quartier Duchesse-Birmingham), on ne sait que trop ce qu’économiser un euro veut dire. Dès le plus jeune âge.

En janvier 2019, la section fondamentale a quitté son bâtiment centenaire pour s’installer juste à côté. Un bâtiment rénové mais, côté cour de récréation, une disposition bizarre. « Ici, on l’appelle ‘le couloir’, rigolent Laetitia Halbardier et Samantha Kezbari en regardant les plans : La cour est longue et très étroite, deux façades de maisons, 900m2 de cour pour une école qui a connu une impor-tante croissance de sa population, 550 enfants, c’est vraiment serré. »

Aujourd’hui, le projet est entre les mains du bureau d’études. Il sera réalisé d’ici 2024. Les demandes communes aux enfants et aux adultes ? « Un mur végétal, des couleurs sur les murs et au sol, des fontaines d’eau potable, des coins calmes pour la lecture, le déguisement, la musique, des tables et des chaises pour se parler, des arbres fruitiers… Voilà un bon exemple : nous avons des caves, difficile de planter des arbres mais le bureau d’architectes nous a expliqué qu’il y avait plein d’autres façons de végétaliser ou rafraîchir une cour, des chemins d’écorce, du sable, peindre les murs en bleu ciel… »

La végétalisation n’est pas une fin en soi, c’est «  une porte d’entrée  », insiste notre duo de directrices. « L’objectif de notre plan de pilotage, c’est le bien-être de chacun. Rendre la cour plus verte ne résout pas la violence ou le décrochage scolaire mais cela contribue à créer un cli-mat plus serein. Dans ce quartier, les enfants ont parfois été confinés des mois dans un petit appartement, la cour est le jardin qu’ils n’ont pas. Ce sont des milieux défavorisés, il y a des enfants laissés à eux-mêmes, dont les parents ne parlent pas du tout français. Il y a aussi des élèves de DASPA qui arrivent directement de Syrie où ils n’ont connu que la guerre. Alors oui, cela crée des ‘violences’. Mais, le plus souvent, elle est due au fait de ne pas être capable de se comprendre ou de trouver les mots pour dire à l’autre que ça suffit. Notre école a été formée comme ‘école ci-toyenne’ et cela nous aide beaucoup : nos séances de ‘parlotes’, de jeux de société ou de cours de français pour les parents rencontrent un franc suc-cès. »

La cour, ainsi, n’est plus un projet d’école, c’est un projet de société. ■

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Laetitia Halbardier et Samantha Kezbari ©DR

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DOSSIERBlues des directeursCours de recréation

À Mouscron, une cour totalement apaiséeÉcole Saint-Charles de Dottignies

Le 1er septembre, l’école fondamentale Saint-Charles, à Dottignies (Mouscron), a inauguré sa toute nouvelle cour de récréation. Selon un principe simple, inscrit dans le plan de pilotage : « Développer un climat d’école où tous nos élèves se sentent accueillis, en sécurité et respectés par tous. »

Benoît Delloye, directeur, raconte : « Ce qui nous a pous-sés à agir, c’est qu’on avait de plus en plus de conflits, de bagarres dans la cour, avec pas mal de bobos à soigner. On s’est rendu compte que la sanction n’était pas la solu-tion aux problèmes, en tout cas pas à la majorité d’entre eux.  On a eu un retour des enfants qui correspondait à notre ressenti à nous.  Réfléchir sur l’aménagement des cours était une des stratégies définies du plan de pilotage. Des acteurs extérieurs sont intervenus, qui nous ont pro-posé un accompagnement spécifique. On a commencé à travailler durant un an dans les classes, de la 3e mater-nelle à la 6e primaire, sur la communication non-violente. »

Avant d’agir, les membres de l’équipe pédagogique ont observé leurs élèves durant les récréations. «  Notre avantage, c’est d’avoir deux grandes cours. On a voulu voir à quoi jouaient les enfants, comment ils se compor-taient dans la cour. Beaucoup jouaient au ballon, d’autres jouaient à deux ou trois et puis certains avaient besoin

d’être au calme, voire de rester seuls. On a donc créé les trois espaces (jeux, sport, calme). On a refait tous les mar-quages au sol et on a installé des malles avec du matériel (ballons, balles, raquettes…). Mais avec des règles  : des jours sont attribués pour telle ou telle activité, on ne joue pas au foot à chaque récré, des responsables de range-ment du matériel sont désignés. Dans l’espace calme, il y a des tableaux, des craies, des bancs, des livres. Pour qu’un maximum d’élèves puisse profiter du matériel, on a scindé les heures de récré l’après-midi. On est allé dans chaque classe expliquer les règles du système mais aus-si détailler les règles des jeux disponibles, au sol, par exemple, dans les différentes cours. »

L’effet ? Après trois mois, Benoît Delloye en est sidéré : « C’est énorme ! Les petits conflits dans la cour ont dimi-nué de manière incroyable. On a mis 6 petits goals pour éviter que le football ne prenne toute la place  ! Ce n’est plus du tout la même cour de récréation, la dynamique est totalement différente. Les choses sont apaisées et la surveillance s’en ressent. On voit des enfants jouer plus ensemble, agir de manière plus collaborative. Ce qui m’étonne le plus, c’est le nombre d’enfants qui vont dans l’espace calme pour lire, discuter, dessiner. Il faut le voir pour le croire ! » ■

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12 entrées libres | n°164 - décembre 2021

À L’ÉTUDE

ANNE LEBLANC

Comment le mérite s’est transformé en tyrannieBrexit, Trump, Gilets jaunes, montée de l’extrême droite… Dans son livre La tyrannie du mérite paru chez Albin Michel, Michael J. Sandel, professeur de philosophie à Harvard, s’interroge : qu’est-ce qui a mal tourné ? Pour lui, il est temps d’interroger le rôle de l’uni-versité et la dignité du travail.

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La pandémie nous a plongés dans une crise mondiale, mais en se greffant sur des systèmes démocratiques fragilisés. Des deux côtés de l’Atlantique, les paysages politiques sont polarisés et marqués par le ressentiment profond à

l’égard de toutes les classes dirigeantes. Comment comprendre cette rancune et cette défiance ? À partir de son analyse historique, Michael Sandel en arrive, éton-namment, à contester le principe méritocratique. Celui-ci est pourtant au cœur de nos pratiques scolaires depuis des lustres. Nous considérons cette méritocratie juste parce qu’elle s’accompagne du combat permanent pour l’égalité des chances. Cette idée porte un implicite partagé  : « Si tout le monde a une chance égale, les gagnants méritent leur victoire ». Cette vision fait partie de notre héritage chrétien. Il fallait mériter son salut éternel. Sandel montre aussi comment elle s’est imposée par glissement dans le monde anglo-saxon protestant et comment elle a participé à l’émergence de l’économie capitaliste. Même dans la Grèce antique et la Chine ancienne, il était entendu que le pouvoir revenait aux plus méritants. Mais ceux-ci devaient faire preuve des vertus civiques et morales nécessaires pour œuvrer au bien commun. C’est ce sens du bien commun que nos démocraties occidentales auraient perdu.

Le marché, instrument du bien commun

Les années d’après-guerre ont conduit à une amélioration plutôt générale des condi-tions de vie en Occident. Jusqu’à ce que, initiée par Reagan et Thatcher, la politique

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Comment s’en sortir ? Pour Sandel, il faut un tournant moral et spirituel. Nous devons interroger le rôle de l’université et la dignité du travail. C’est une folie d’avoir créé une économie qui fait du diplôme universitaire le seul sésame pour un travail digne et une vie décente quand cela ne concerne qu’un tiers de la population. Il faut sortir de cette tyran-nie méritocratique qui tourne mal pour tout le monde. Nous avons besoin d’un nouveau contrat civique centré sur la di-gnité du travail. Nous ne travaillons pas seulement pour gagner notre vie. Nous contribuons tous au bien commun et à la vie citoyenne de notre communauté. En soutenant une grève des éboueurs en 1968, Martin Luther King avait in-sisté  : leur métier est aussi important que celui des médecins, car s’ils ne le font pas bien, la communauté entière risque d’être malade. La crise sanitaire l’a montré. Tout le monde a reconnu l’importance des métiers socialement moins considérés. Qui s’en souvient ? L’« hubris » méritocratique a mis à mal le sentiment d’appartenance à une communauté solidaire. Il faut retrou-ver les vertus civiques d’humilité et de solidarité. Et sortir de l’éthique brutale du succès. Elle sépare et blesse tout le monde. Nos démocraties ont besoin de reconstruire une vie publique moins rancunière et plus généreuse. ■

de la globalisation marchande s’instaure progressivement. On considère dès lors que les mécanismes du marché sont les meilleurs instruments du bien commun. Mais les inégalités sociales se sont fortement aggravées depuis quarante ans. Tous les partis de gauche comme de droite, en Europe comme aux USA, ont adopté cette politique et ce qui en découle. D’abord, on confie aux experts les problèmes d’intérêt public que le citoyen ne peut pas comprendre. Le débat public est vidé de sa subs-tance au profit de gouvernements technocratiques. Ensuite, l’idée s’est imposée que la seule voie pour être capable de conduire les affaires du pays était la formation universitaire couronnant les plus méritants. Dans un monde où l’on proclame l’éga-lité des chances, celui qui n’y arrive pas est le seul responsable de sa mauvaise fortune. Or, le mérite n’est pas le seul garant de la place que l’on occupera dans la société. Mérite-t-on nos talents ? Un joueur de basket US gagne des millions de dol-lars. Il a certes des dons athlétiques et s’entraîne beaucoup. Mais il a la chance de vivre dans une société qui valorise ses talents particuliers. Le champion du monde de bras de fer a probablement autant de qualités physiques que le joueur de basket. Mais tout le monde s’en moque. Reconnaître que de multiples contingences parti-cipent à leur réussite individuelle y compris la chance devrait inciter les gagnants à se sentir redevables vis-à-vis des moins chanceux. On en est loin.

« Hubris » méritocratiqueLa fraternité et la solidarité ont cédé la place à une forme d’hubris (orgueil) parmi les classes dirigeantes qui les aveugle. Elles manquent d’humilité et de respect. Quand Hillary Clinton traite les électeurs de Trump de « bande de déplorables », elle montre qu’elle n’a rien compris à ce qui se joue réellement. Les malchanceux, les perdants, les humiliés du système ne contestent pas la méritocratie. Avant, quand le combat se pensait sous la forme de la lutte des classes, ceux qui n’y arrivaient pas étaient victimes d’un jeu pipé à la base. Maintenant, on affirme que tout est mis en place pour que les règles soient justes. Pourtant, les chiffres prouvent qu’actuellement, la mobilité ascendante est quasiment inexistante. Celui qui n’y arrive pas est non seulement responsable de sa condition mais également méprisé par les élites. Le terreau est prêt pour le ressentiment et la rancune. Le Parti démocrate a depuis longtemps perdu ses électeurs de la classe ouvrière. Son discours légitime sur la discrimination positive à l’attention des femmes et des minorités raciales passe mal auprès de ceux qui se sentent stigmatisés et abandonnés. C’est ce que Trump a, lui, bien compris. Dans les années 60, 25% des parlementaires américains n’avaient pas de diplôme universitaire. Aujourd’hui, il n’y en a quasi aucun. Comme en Europe. Nos parlements ressemblent à ce qu’ils étaient à la fin du XIXe siècle.

Parents-hélicoptères Tout le poids de ce projet politique repose sur l’enseignement : « On demande tou-jours plus à l’éducation, comme si elle devait expier tous les péchés de la société», écrit Sandel. L’appareil éducatif devient la machine à trier. Mais rien ne garantit aux rejetons de l’élite qu’ils gagneront le combat méritocratique. Il faut maximiser leurs chances de réussite aux concours d’admission des universités. Des consultants pri-vés, au coût aussi cher qu’un cursus de quatre ans à Yale, aident les parents. Les adolescents doivent suivre des cours de spécialisation, des tutorats, faire du sport, de la musique, de la danse. Les « parents-hélicoptères », obsédés par la réussite de leurs enfants, « planent » au-dessus d’eux sans cesse, se précipitant à leur secours dès qu’un problème se pose. Les psychiatres alertent sur les conséquences de ce comportement parental. Outre leur manque d’autonomie, les études montrent l’aug-mentation, chez ces adolescents, de la dépendance à l’alcool et aux drogues. Elles constatent aussi une épidémie de maladies mentales. « Ceux qui l’emportent sur le champ de bataille s’en sortent triomphalement mais blessés », note l’auteur.

À L’ÉTUDE

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Tout le monde est gagnant », résume Patricia Robert, coordinatrice des formations des supermarchés Carrefour : « C’est aussi important pour les enseignants qui passent du temps chez nous de voir com-ment évoluent notre métier et notre secteur, que, pour nous, de décou-

vrir des points d’attention que nous amènent des gens qui sortent de chez nous avec un regard neuf sur notre métier, ses pratiques, son jargon, ses exigences. S’ils ont fait la démarche de venir, c’est qu’ils voulaient se remettre en question. Leur regard est enrichissant pour nous aussi. » Carrefour est une entreprise fidèle depuis plusieurs années au programme Entr’apprendre créé en 2014.

Cette formation permet aux enseignants du qualifiant de se rendre en entreprise afin d’appréhender la réalité des métiers d’aujourd’hui. Si, chez Carrefour, ces stages portent par exemple sur la boucherie ou la boulangerie, l’offre de formation continue 2021-2022 propose des filières aussi diverses que les métiers de la forêt à la So-ciété royale forestière de Belgique ou les métiers de soudeur chez Engie, de maçon chez Thomas & Piron, de technicien agroalimentaire chez Lutosa ou Hesbaye Frost, d’électromécanicien chez Lhoist, chez Prayon, à l’UCB ou à la Stib. Des formations d’autant plus pertinentes dans le contexte évoqué ici même (Entrées libres n°163 de novembre) des métiers en pénurie ou à tout le moins sous tension.

Depuis sa création en 2014, sous l’égide de la Fondation pour l’enseignement et en collaboration avec le CECAFOC (Conseil de l’enseignement catholique pour la formation en cours de carrière) qualifiant du SeGEC, elle a permis à plus de 400 enseignants d’étendre leurs compétences et connaissances aux métiers tels qu’ils se pratiquent en entreprise. Trente sociétés partenaires accueillent donc pour deux jours d’im-mersion des enseignants souhaitant remettre à jour leurs connaissances des métiers pour les transmettre à leurs élèves.

Très souvent, ce qui est découvert lors de stages concerne moins le métier en tant que tel que tout ce qui l’entoure  : les applications techniques, les normes

OUTILS

Depuis 2014, les stages Entr’apprendre permettent aux enseignants du qualifiant de s’immerger deux jours durant dans des entreprises à la pointe de leur métier. Une nouvelle fois, son catalogue de formations s’étoffe pour permettre d’appréhender la réalité du terrain et donner une plus-value incontestable à l’enseignement.

Comprendre les évolutions des métiers en immersion

JEAN-FRANÇOIS LAUWENS

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de sécurité et d’hygiène, les mesures liées à la transition énergétique et éco-logique, l’organisation du travail (ho-raires, présence…). Le monde de l’en-treprise regrette souvent l’importance du fossé entre l’univers de la formation et celui du travail  : Entr’apprendre per-met justement aux différentes parties de combler ce fossé. D’autant que son offre s’inscrit désormais dans une combinaison école/entreprise/centre de formation technique ou de compé-tences (CTA, CDC).

Cette année, 16 métiers sont ouverts à la formation dans 6 grands secteurs : la construction, les sciences appliquées, l’économie, l’hôtellerie-alimentation, l’industrie et l’agronomie. ■

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Story-me veut développer la fibre entrepreneuriale

On connaît depuis longtemps le prin-cipe des mini-entreprises présentes dans de nombreuses écoles. C’est un peu dans le même esprit (Les Jeunes Entreprises font d’ailleurs partie de ses associations créa-trices) que le projet Story-me a pris son envol à la dernière rentrée après quelques années expérimentales. En 2019, le roi Philippe a d’ailleurs visi-té le collège technique Roi Baudouin à Schaerbeek pour y rencontrer les jeunes inscrits dans le projet pilote (6.000 élèves, 11 écoles, 200 ensei-gnants entre 2017 et 2020).

En 2021-2022, Story-Me  est entré dans sa phase de croisière. Il s’adresse aux écoles techniques et professionnelles de la Région bruxelloise. Sont parties prenantes à

ce stade : le Collège Roi Baudouin (Schaerbeek), l’Institut des Filles de Marie (Saint-Gilles), l’Institut Don Bosco (Woluwe-Saint-Pierre), l’Institut Saint-Vincent de Paul (Uccle, Forest) et l’Institut Saint-Adrien-Parnasse (Ixelles, Auderghem).

Tronc commun

Les élèves du technique et du professionnel étaient déjà fortement fragilisés avant la crise du Covid. Celle-ci n’a évidemment pas amélioré les choses. Pour sa première année de fonctionnement effectif, Story-me voit 150 enseignants de 13 établissements accompagner 1.500 élèves. Il faut dire un mot des par-ties prenantes à ce projet qui, dans un premier temps, couvre la période 2011-2024 : à côté des écoles et des acteurs associatifs et institutionnels (comme le SeGEC ou la Fédération Wallonie-Bruxelles), le projet est rendu possible grâce à l’investissement de 7 fondations philanthropiques. Le projet a égale-ment pour but de faciliter la transition vers le Tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire instauré par le Pacte d’excellence, pour une entrée en vigueur progressive d’ici 2029.

Le véritable enjeu de Story-me est de mettre en résonance des défis aussi ambitieux que la lutte contre le décrochage scolaire, la connaissance de soi au profit d’une meilleure orientation et, au bout du compte, la connexion au monde professionnel et le développement d’une approche entrepreneuriale. Si le décrochage scolaire est largement considéré comme multifactoriel, le lien avec le processus d’orientation ne fait pas de doute car l’orientation est vécue comme une relégation dans une situation d’échec.

Le projet est destiné aux 2e et 3e secondaires d’écoles à filières qualifiantes. En 2e, elle consiste essentiellement dans la découverte des métiers par l’intermé-diaire d’animations en classe et de la visite de Startech’s Days. En 3e, outre les animations en classe autour de la « rencontre de soi » et de la mise en projet, une journée est organisée hors de l’école. ■

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Le jour où j’ai décidé de devenir prof :

« Gamin, je jouais déjà à l’école dans ma chambre alors que j’étais un élève en difficulté. Je me souviens que je faisais passer des dictées à mes cousins qui n’avaient pas trop le choix… Mes parents se sou-viennent aussi des murs du grenier que j’avais rempli à la manière

d’un tableau noir ainsi que toutes les pages de garde des livres de cuisine de ma maman. »

Le jour où je suis devenu prof :

« C’était le 18 février 2002. Un remplacement de 5 mois en 6e primaire à l’école Saint-Thomas dans le centre-ville de

Bruxelles. Quand mes 26 élèves ont appris que je venais de Bastogne, ils pensaient que, là-bas, on vivait dans des grottes et qu’on s’éclairait encore à la lampe à pétrole ! »

Le jour où je cesserai d’être prof :

« Quand j’aurai fait le tour de la question (ce qui risque d’être quasi impossible) ou si on me pro-

pose une fonction à laquelle je ne pourrai pas dire non. »

Au début de l’année scolaire, je suis… :

« Excité comme une puce, motivé. »

À la fin de l’année scolaire je suis… :

« Satisfait du travail accompli et un peu fatigué aussi.»

CONFIDENCES

« Gamin, je jouais déjà à l’école dans ma chambre »

LAURENCE DUPUIS

Chaque mois, Entrées libres part à la rencontre d’un enseignant de notre réseau et lui soumet à son tour un devoir : notre questionnaire de Proust ou plutôt de profs !

Christophe Gillet est un instituteur des temps modernes, actif à l’Institut Notre-Dame de Bastogne. Amoureux de la pédagogie active et de la créativité, il partage ses pratiques et ses coups de cœur pédagogiques via Facebook (« Le cartable de Monsieur Christophe ») à des centaines d’abonnés. Maître de formation pratique à l’Henallux et intervenant dans la formation continuée des enseignants, il est auteur de la méthode Éveil & moi Géo 5-6, de S’entraîner au CEB et S’entraîner pour être pro en maths, mais aussi co-auteur du nouvel  Atlas de Base et des Lignes du temps. Il collabore par ailleurs aux revues Bonjour, Dauphin et Tremplin.

MON ANNÉE©DR

Ma première décision si j’étais mi-nistre de l’Éducation :

« Instaurer un cours de créativité. »

ET SI... ?

CARRIÈRE

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Ma plus grande honte :

« Une panne de réveil… Mes élèves qui m’attendent seuls en rang sur la cour avec ma directrice qui me fait de gros yeux. Et moi, tout confus avec, sur le visage, une belle trace d’oreiller et un vieux pull trouvé à la hâte. »

Le jour où j’ai détesté mon prof :

« Quand mon prof de mathématiques de 2e secondaire a dit à mon père : ‘Il est juste bon à rejoindre l’école technique.’ »

Ce qui me pèse le plus dans l’enseignement :

« Les corrections, les réunions stériles et les collègues qui se plaignent constam-ment. »

Mon pire souvenir de spectacle d’école :

« Un élève absent alors que la chorégraphie ne pouvait pas s’en passer. »

Mon réconfort préféré :

« Une tablette de chocolat aux noisettes. »

CONFIDENCES

Le jour où j’ai adoré mon prof :

« Mon prof de 4e primaire, lorsqu’il m’avait réconforté après le décès de mon grand-père. »

Une école idéale selon moi est une école où… :

« La créativité, l’esprit d’entre-prendre et les relations sociales constituent la charpente de l’en-semble. »

Une lecture qui m’a marqué dans ma pratique :

«  Frankenstein pédagogue de Phi-lippe Meirieu. »

Un prof célèbre (cinéma, BD) qui m’a inspiré serait… :

« Aucun  : ils sont trop caricatu-raux. »

IDÉAL

La phrase que j’aimerais entendre de la part de ma direction :

«  Mon directeur est tellement sou-tenant et partenaire que je les en-tends déjà. »

HIÉRARCHIE

DIFFICULTÉS

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Ma plus belle satisfaction :

« Je la vis souvent à la fin d’une année scolaire. Quand je me rends compte à quel point certains élèves ont fait des bonds de géants, ont progressé dans des domaines pour lesquels ils avaient moins d’affinités ou de facilités. »

Au quotidien, mes élèves m’apportent… :

« Du dynamisme, une énergie positive, une envie de toujours faire mieux. »

Mon premier souvenir d’école :

« La très longue tresse de mon institutrice maternelle, Madame Carine ! »

Mon dernier souvenir d’école :

« Une ‘mise au vert’ à Ambly en compagnie de mes élèves et de Maud Roegiers dans le cadre de la création d’un album jeunesse. »

La qualité que je préfère chez un élève :

« Son sens de l’effort, sa persévérance. »

ÉPANOUISSEMENT

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On pensait être tout au bout de la Belgique mais on est au centre de la com-plexité du pays  : village wallon, Gemmenich (Plombières) est distant d’à peine 9 km du premier bourg de Flandre. On repart du village vers le sud, on

roule 3 minutes et voici déjà La Calamine, en Communauté germanophone (Ostbel-gien). Sans jamais faire de bruit, Plombières présente d’ailleurs cette bizarrerie qua-si unique d’être une commune à facilités tant pour les néerlandophones que pour les germanophones.

On pensait être loin de tout mais on est au cœur de l’Europe. Gemmenich, belge de-puis 1830, abrite les fameuses Trois-Frontières, point où se rejoignent les territoires de la Belgique, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Jadis, elles étaient même quatre quand, jusqu’après la Première Guerre mondiale, les 3,4 km2 du Moresnet-Neutre servaient à préserver le plus grand gisement de calamine (minerai de zinc) d’Eu-rope des appétits belge, néerlandais et prussien. « C’est vrai », se souvient Benoît Hilligsmann, directeur du Collège Notre-Dame de Gemmenich  : «  Mon grand-père

est né ‘neutre’ en 1914, il n’a pas pu être mobilisé en 40. » Comme ces gens cités par David Van Reybrouck dans Zinc, il aura eu 5 nationalités sans jamais quit-ter son village.

Kulturkampf Benoît Hilligsmann est prof d’histoire en immersion en allemand. L’Histoire et le melting-pot linguistique, voilà qui résume parfaitement l’endroit  ! «  Nous avons ici à la fois des élèves néerlandais, qui habitent à 5 minutes, quelques Alle-mands mais aussi des germanophones. Plus exactement des gens bilingues qui finalement sont un peu tout à la fois. Les gens d’ici parlent un patois, le platt (ou

JEAN-FRANÇOIS LAUWENS

Collège Notre-Dame de Gemmenich

Chaque mois, nous vous proposons de remonter le temps et de partir à la découverte de l’histoire de nos écoles. Ce mois- ci : le Collège Notre-Dame de Gemmenich, un écrin de verdure aux confins des terres nationales… et internationales.

MÉMOIRE D’ÉCOLE

À Gemmenich, un collège au cœur de l’Europe

Collège avant l’incendie de 1963 ©DR

Tombes des religieux de Notre-Dame©DR

platdütsch) qui mélange un peu tout ça. Très tôt, dès 1999, nous avons ouvert de l’immersion en allemand. Théorique-ment, c’est destiné aux francophones mais il faut avouer que certains germa-nophones s’y inscrivent pour apprendre le français ou parce qu’ils parlent le pa-tois plus que l’allemand. » Ce qui, entre parenthèses, pose question quant à la réforme des rythmes scolaires  : «  Ici, c’est assez courant que des enfants aillent en primaire à La Calamine et en secondaire chez nous.  Demain, ce se-ront deux calendriers différents. »

L’histoire de l’établissement est égale-ment fortement liée à l’histoire de ces régions disputées. En 1871, Bismarck lance le Kulturkampf en Allemagne, une politique qui vise à mettre au pas l’Église catholique, notamment en in-terdisant les congrégations religieuses et leurs écoles. Cette politique se sol-dera par un échec cuisant mais elle verra la congrégation des Sœurs du pauvre Enfant Jésus, présentes depuis 1837 à Aix-la-Chapelle, s’installer de l’autre côté de la frontière, à Moresnet, en 1877. À cinq exceptions près, le pensionnat n’accueille que des jeunes filles allemandes. À l’étroit, les sœurs construisent un nouveau couvent en 1904-1908, Maria-Hilf (Marie-Auxilia-

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MÉMOIRE D’ÉCOLE

Votre école a une histoire ?Contactez-nous !

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Bouli, l’artiste«  C’est Bouli  !  », s’exclame le père Buchet lorsqu’on lui montre la pho-to de cet élève sorti en 1984. «  Il voulait repeindre tout le deuxième étage qui le méritait bien mais l’abbé Edouard Thiry s’y est opposé. Ils s’entendaient pourtant bien.  » De son propre aveu, c’est là que Philippe dit Bouli Lanners, s’est ré-vélé artiste : « Je n’étais pas à ma place en math-sciences fortes. Je voulais faire les Beaux-Arts. Dans le cadre d’un cours d’esthétique, le père Thiry m’a fait découvrir l’his-toire de l’art : une révélation. (La Libre, 17 juin 2017)  » Parti vers la peinture et la BD aux Beaux-Arts de Liège, il deviendra le comédien et réalisateur que l’on connaît.

La merveilleuse soprano Céline Scheen, qui a poussé ses pre-mières vocalises dans l’église du village, est également une artiste née au Collège Notre-Dame. Elle a été la voix du Roi danse, de Gérard Corbiau, mais, surtout, excelle aux côtés des plus grands ensembles et chefs (Musica Antiqua Köln, Rousset, Herreweghe, Savall) dans les répertoires du baroque et de la musique ancienne. Dans un autre registre, le footballeur Jean-Marie Houben a quitté le collège pour al-ler faire les riches heures du grand FC Liégeois puis disputer la pre-mière Ligue des Champions avec Anderlecht aux côtés des stars Degryse, Nilis, Bosman et autre Oli-veira. ■

trice), nom que porte encore l’école pri-maire contiguë. Ce bâtiment est celui qui existe encore. Les religieuses ont résisté au premier conflit mondial mais les nazis fermeront l’établissement.

À l’école depuis 70 ans !À 83 ans, l’abbé Albert Buchet est tou-jours prêtre-auxiliaire dans l’unité pas-torale locale. Il est un des trois derniers pères oblats à vivre dans l’enceinte de ce collège arboré. « Les autres sont au cimetière », montre-t-il du doigt. Car, oui, caché sous les feuilles mortes de ce bel automne, aux confins du domaine et, probablement inconnues de la plupart des élèves, une vingtaine de tombes discrètes accueillent ces religieux qui, à partir de 1950, ont pris les destinées du Collège Notre-Dame des Grâces en mains. Albert Buchet y est arrivé en 1951, il ne l’a quasiment jamais quitté. Il raconte  : «  Le bâtiment des sœurs a été racheté pour 3 millions de francs de l’époque par les Pères oblats de Ma-rie-Immaculée, un ordre missionnaire français. Ils étaient installés à Dam-picourt, en Gaume, et cherchaient un endroit pour créer un petit séminaire et faire naître des vocations de mission-naires, ce qui a été mon cas. Nombre de mes coreligionnaires sont partis en Afrique, en Asie ou dans le Grand Nord canadien. Mais, moi, après mon ordina-tion, on m’a envoyé en mission… à Gem-menich. » Où il sera prof de religion et éducateur jusqu’en 1996.

Albert Buchet est la mémoire vivante du collège. Depuis 70 ans, il accumule pho-tos, cartes postales et documents dans des albums et des armoires. Directeur depuis septembre dernier, Benoît Hil-ligsmann a découvert une caverne d’Ali Baba. À tel point qu’il a octroyé une heure de coordination hebdomadaire à une professeure d’économie pour lan-cer le chantier de la numérisation de ces archives dans le cadre du plan de pilo-tage. « On a fait des tests sur Facebook en publiant d’anciennes photos  : cela marche bien parce que tout le monde dans le coin est passé par cette école et y a des souvenirs », dit Perrine Leur-quin. « Et on découvre chaque jour des choses. Ainsi, des gens nous ont parlé de l’aquarium exotique d’un père oblat qui faisait commerce de ses poissons tropicaux mais on n’en a aucune trace. »

La Vierge miraculéeS’il est un événement qui est encore bien présent dans la mémoire du col-lège et des habitants du village, c’est l’incendie du 9 mars 1963. Au départ d’une chambre d’interne (« une cigarette mal éteinte », jure l’abbé Buchet), le feu va ravager le troisième étage et totale-ment détruire les charpentes du qua-trième et dernier étage. Seule résistera la Vierge retrouvée dans les décombres. Aujourd’hui encore, elle veille, du haut de ce qui n’est plus un pignon, sur les 438 élèves de Notre-Dame. ■

Incendie du 9 mars 1963 ©DR

© Mariane Grimont

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COULISSES

« La reconnaissance est mon énergie »LAURENCE DUPUIS

Chaque mois, Entrées libres met en lumière un de ces métiers de l’ombre qui font tourner nos écoles et sans lesquels les élèves, les profs et les directions ne pourraient pas s’épanouir au mieux dans leur établissement. Cap sur Chimay et le Collège Saint-Joseph. Nous y rencontrons Vincent Depaepe, économe au service de cette institution, dans laquelle il évolue depuis de nombreuses années.

Quel est votre parcours scolaire ? « J’ai commencé par une formation initiale d’édu-cateur spécialisé et j’ai obtenu plus tard un master en sciences politiques et sociales à l’UCL, en horaire décalé. »

Quels sont les différents postes que vous avez occupés  ? Comment êtes-vous devenu économe dans cette école ? « Lorsque je suis arrivé dans l’établissement, j’ai commencé derrière la photocopieuse. Mes supérieurs ont vite compris que je n’y étais pas vraiment à ma place et m’ont offert un poste d’éducateur. Par la suite, j’ai pris en charge tout un degré, puis je suis devenu chef éducateur et enfin préfet de discipline. »

À ce stade de l’histoire, vous n’êtes pas encore économe… « J’avais l’impression d’avoir fait le tour de la pédagogie. J’ai eu envie de me diriger vers le monde écono-mique et politique, d’où l’entame de mon master. Depuis tout petit, j’ai baigné dans un esprit d’entreprenariat, mes parents étant indépendants. Le fait d’avoir occupé tant de postes différents au sein de mon établissement me permet en outre d’en maîtriser tous les rouages et donc le fonctionnement. Je suis devenu économe après avoir endossé le rôle de secrétaire de direction pour un temps. »

Quelles sont les tâches d’un économe au sein d’une école ? : « On peut les répartir en 3 grandes catégories : la gestion logistique, la gestion des bâtiments et celle du personnel. En logistique, je suis l’acheteur de notre structure scolaire qui comprend 4 écoles : une école maternelle-primaire, deux écoles secondaires qui organisent de l’enseignement général, technique et professionnel, et enfin un CEFA. J’achète tout le matériel pour le bon fonctionnement de l’école et je suis responsable du restaurant scolaire. En ce qui concerne la gestion des bâtiments, vous imaginez la quantité de travail au quotidien pour entretenir de telles infrastructures ! Sans parler de la législa-tion qui évolue continuellement, tant au niveau énergétique qu’urbanistique. Heureu-sement, nous pouvons compter sur l’aide du SeGEC, notamment, pour avancer dans la bonne direction. Je supervise également une équipe de 13 personnes chargées de l’entretien et de la cuisine. »

La charge de travail semble assez importante… « En effet  ! Notre école a une se-conde vie après 16 heures. Nos bâtiments sont régulièrement occupés en soirée jusqu’à 22 heures, le mercredi après-midi, le week-end et les vacances. Étant respon-sable des infrastructures, je dois être joignable à tout moment en cas de problème. Je n’éteins mon smartphone que 15 jours par an, lors de mes vacances en famille. J’essaie de déconnecter. Mais il y a aussi tout le travail de représentation de mon ins-titution à l’extérieur : je fais partie de la commission de la rénovation urbaine de la ville de Chimay, du groupement des entreprises du Sud-Hainaut. J’essaye d’être présent lors de certaines manifestations communales ou lors de lancements de nouveaux produits par nos fournisseurs. Ces échanges ont lieu en soirée. Heureusement, j’ai une direction qui m’accorde quelques flexibilités dans les horaires. »

Vous considérez-vous comme un travailleur de l’ombre  ? «  Absolument  ! Je l’ai d’ailleurs souvent dit. Il faut analyser et proposer mais c’est toujours la direction qui optera pour le meilleur choix dans l’intérêt de l’institution. Choix que je respecterai en toute circonstance. Cette confiance est primordiale pour moi, elle génère mon éner-gie. Si je n’avais pas autant de reconnaissance de la part de ma direction, ma mission serait un fardeau. »

Une anecdote à nous partager ?  : « Un dimanche matin, alors que je me pré-parais à partir rouler à vélo, mon smart-phone m’a averti que l’alarme de l’école s’était déclenchée. J’ai profité de cette sortie sportive pour aller vérifier que tout allait bien dans l’école en pariant inté-rieurement sur le fait qu’il devait s’agir d’un oiseau entré par une fenêtre ou-verte. Je me suis trouvé nez à nez avec un individu ayant apparemment quelque peu abusé de la boisson lors de la soirée précédente, organisée dans nos locaux ! Il m’a regardé, hébété, s’étonnant sans doute de rencontrer un cycliste en mail-lot de course un dimanche matin ! » ■

VINCENT DEPAEPE, 50 ans

Naissance

Métier

École

Passion(s)

1er mars 1971

Économe

Collège Saint-Joseph

à Chimay

Vélo

©DR©DR

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21entrées libres | n°164 - décembre 2021

CAS D’ÉCOLE

BRIGITTE GERARD

Un pigeonnier qui donne des ailes

À 12 ans, Benoit Laminne était déjà passionné de colombophilie, mais il rêvait aussi de devenir instituteur. Aujourd’hui enseignant en 3e primaire à La Providence, à Jodoigne, il a souhaité faire découvrir sa passion à ses élèves, en installant un pigeonnier avec une vingtaine d’oiseaux au milieu de la cour de récréation. Et les enfants y sont les maîtres des lieux ! 

©DR

Il y a trois ans, j’ai eu la chance d’avoir un élève féru de pigeons,  se souvient Benoit  La-

minne. L’occasion pour moi de me lancer dans un projet que j’avais en tête depuis longtemps : installer un pigeonnier dans la cour de l’école. » Pour sa construction, l’enseignant a trouvé de l’aide auprès de l’association des parents, tandis que la Fédération colombophile belge (RFCB) lui a octroyé un budget pour acheter des pigeons. 

L’idée du projet, c’est d’abord que les élèves des trois classes de 3e primaire gèrent le pigeonnier quasi en perma-nence. Tous les jours, ils doivent s’oc-cuper, à tour de rôle, de charges bien définies : le nettoyage du pigeonnier, le lâcher des pigeons ou le nourrissage. Tout au long de l’année, les enfants étudient l’anatomie des pigeons, leurs habitudes alimentaires, le système re-producteur… Ils peuvent alors assister à la ponte, à l’éclosion des œufs. Et, en fin d’année, c’est l’époque des entraîne-ments et des concours. Ces pigeons voyageurs ont en effet un sens inné de l’orientation. Les jeunes sortis du nid sont entraînés et lâchés à la frontière française 5 mois à peine après leur naissance. « Ça va vite ! Au début, les pi-geons volent autour de l’école et une fois qu’ils connaissent bien les alentours, on les lâche à 5, 10, 100 km. On ne peut tou-tefois éviter des pertes. L’année passée, on a perdu quatre pigeons lors du pre-mier lâcher, sur 22 au départ. Cela met parfois un peu de pression, on n’a pas envie de décevoir nos élèves... »

Un atout pédagogique L’autre objectif du projet est d’intégrer la colombophilie à l’ensemble des disci-plines scolaires, en créant un maximum de liens, que ce soit en maths, en fran-çais, en éveil...  « Cela nous permet de

travailler des textes informatifs, descriptifs, de rédiger des courriers lorsqu’on écrit à la Fédération ou aux firmes pour recevoir des sacs de nourriture gratuits ou du ma-tériel… En maths, on calcule les distances, la vitesse des pigeons, la durée de leurs voyages… » Ce projet redynamise les apprentissages. Les enfants sont plus vite inté-ressés par la matière, ça leur parle. « Comme en sciences, quand on voit le système reproducteur, c’est tellement plus simple quand on observe les choses en direct ! En histoire, j’ai fait le lien avec les mineurs, qui, dans le nord de la France et en Belgique, étaient presque tous colombophiles. C’était pour eux un moyen de profiter de la lu-mière du jour quand ils ne travaillaient pas.»  

En général, les élèves sont très enthousiastes. Seul l’un ou l’autre rechigne de temps en temps à assumer sa charge. L’instituteur veille en tout cas à les habituer progres-sivement au pigeonnier. En début d’année, un système de parrainage est instauré pour que les anciens élèves de 3e année puissent accompagner les nouveaux. Mais, même si Benoit Laminne parvient à insuffler un brin de sa passion à ses élèves, c’est lui qui est de la revue en été pour s’occuper du pigeonnier. « Cela reste un travail de 365 jours par an ! Et je suis en plus colombophile à la maison, avec 150 – 200 pigeons, dont une centaine voyagent tous les week-ends ! C’est une occupation exigeante et je comprends que les enfants préfèrent parfois aller jouer.» 

Mêler ainsi ses deux passions apporte à l’instituteur un certain équilibre. Le pigeon-nier lui permet de se ressourcer, lui procure une forme d’apaisement. « J’aime pou-voir communiquer ma passion aux enfants. J’admire chez ces oiseaux leur faculté de revenir aussi facilement auprès du colombophile, par amour du pigeonnier. C’est fascinant ! C’est un animal très intelligent et attachant. Je connais tous mes pigeons… Quand ils arrivent, en général, je les reconnais ! » ■

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22 entrées libres | n°164 - décembre 2021

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23entrées libres | n°164 - décembre 2021

CHRONIQUE

ÉRIC DE BEUKELAER

Noël : Dieu à l’école de l’humanitéEn réalisant Un monde, notre compatriote Laura Wandel n’aura pas volé son

prix du meilleur premier film, décerné par le festival de Londres. Cette fiction hyperréaliste fait entrer, par petites touches et à hauteur d’enfant, dans la vio-

lence ordinaire d’une cour de récréation. Là où les victimes parfois se muent en bourreaux, afin de se faire accepter par « les autres ». Cette histoire sombre et telle-ment banale guérit du mythe de l’innocence enfantine. Elle montre sans fard notre humanité. Entrez dans une salle pleine de profs, ou une sacristie remplie d’ecclé-siastiques, et – sous forme feutrée – une même violence parfois se déchaîne. « Je pense que la violence vient toujours d’une blessure qui n’a pas été écoutée », analyse Laura Wandel1. Le christianisme parle, lui, d’esclavage du cœur : la violence naît de notre besoin d’amour, dénaturé par l’ivresse d’accumuler, de dominer ou de briller, les trois grandes tentations qui séduisent l’humanité. L’intuition du péché originel ne signifie pas que nos premiers aïeux auraient mangé un fruit défendu. Elle est la prise de conscience qu’une brisure morale nous précède et nous submerge. « Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas », écrivait saint Paul (Épître aux Romains 7, 19).

Un monde  est aussi un film lumineux, rappelant que l’amour peut guérir les plus noires brisures. Chacun de nous est invité à en faire l’expérience. Et puis, il existe ces grandes âmes dont la puissance d’aimer réchauffe la terre et tire l’humanité vers le Haut : saint François d’Assise, sainte Teresa de Calcutta, Nelson Mandela, Denis Mukwege,... À sa manière également, la jeune Greta Thunberg. Car la sainteté peut se rencontrer sur les bancs de l’école. Ainsi, Carlo Acutis, adolescent de 15 ans, mort en 2006 d’une leucémie foudroyante. La vie de ce jeune bourgeois, fan de Bat-man et d’informatique, fut à ce point lumineuse et proche des pauvres, que l’Église l’a déclaré bienheureux…

Noël, nous le savons, n’est pas cette grand-messe du «  bling bling  », vendue par la société de consommation, afin que vive le commerce. Noël est ce moment où chacun – chrétien ou non – sent confusément qu’il est appelé à faire triompher le meilleur en lui. Car Noël est cette fête paradoxale qui proclame que l’Amour origi-naire et créateur – que les croyants nomment Dieu – s’est mis à l’école de notre humanité en devenant l’un d’entre nous dans une crèche. L’Infini assume la finitude. L’Éternel devient mortel. Dieu épouse notre condition, afin que Sa Lumière puisse briller au cœur des nuits hantées par le péché et le mal. Avec la condition humaine, Dieu se soumet aussi à l’école de la violence. Les icônes orthodoxes de la Nativité présentent Son berceau sous forme de cercueil, annonçant de la sorte Sa cruci-fixion. Quand l’Amour se fait chair, les hommes brisent Son corps sur une potence. « Car la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. » (Jean 1, 5). Rien, pourtant, n’arrête le pouvoir de l’Amour. Même pas la mort. Noël dirige ainsi notre regard vers le matin de Pâques.

Petits ou grands, mettons-nous à l’école de Noël. Nos vies sont fragiles et pétries de brisures, mais à celui qui écoute en son cœur la petite voix de l’amour, une joie sera donnée que rien – ni la violence, ni même la mort – non, rien ne pourra nous ravir. Telle est l’assurance qui autorise à se souhaiter – en vérité – un « joyeux Noël ». ■

1 La Libre, 17 octobre 2021.

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24 entrées libres | n°164 - décembre 2021

L’arrivée du nouveau-né est un cham-boulement pour chaque parent. Com-ment s’y prend-on, en tant que «  tor-nade », pour canaliser son énergie au service d’un bébé ? Diriez-vous que ce rôle vous a permis de vous apaiser ?

« De manière générale, cela m’a apaisé, oui. Cela m’a permis de devoir me foca-liser, me recentrer sur quelque chose d’essentiel. Nous sommes convaincus, mon épouse et moi, de l’importance d’instaurer une routine autour de l’en-fant. Le fait d’avoir des journées très structurées, quasi à la minute près, sans trop de flexibilité, m’a forcé à m’adapter

à ce rythme et à m’imposer une certaine rigidité par rapport à la gestion du temps. En revanche, le rôle de papa apporte également son lot d’anxiété et d’angoisses car les priorités changent et remettent en cause tout un système d’identification. Cet aspect de la paternité est moins évident à gérer en tant qu’hypersensible atteint de TDA/H. » (Ndlr : troubles de l’attention avec hyperactivité).

Quels sont les critères ayant déterminé le choix de l’école dans laquelle évolue votre fils, vous qui êtes particulièrement sensibilisé à l’univers pédagogique ?

« Nous souhaitions une toute petite infrastructure, à caractère familial, avec une prise en charge très humaine. En outre, nous apprécions la pédagogie de ‘l’école du dehors’, mise en place dans cet établissement. »

Comment imaginez-vous accompagner votre fils à l’adolescence, lorsqu’il sera confronté aux grandes décisions d’orientation qui influenceront son avenir ?

« Je suis un papa ‘zéro pression’ ! Je pense qu’il y a déjà beaucoup trop de choses compliquées à gérer au quotidien pour les enfants. Je lui apprendrai qu’il existe tout un tas de portes différentes et qu’il a le droit d’en ouvrir autant qu’il le souhaite. C’est vraiment quelque chose d’important pour moi, qu’il ressente cette liberté de choix. Je serai là pour l’accompagner au mieux. Ce qui me rend vraiment heureux, c’est de l’écouter parler, expliquer son vécu, exprimer ses arguments. Il n’y a rien de plus chouette ! »

Avez-vous une anecdote scolaire à nous partager ?

« Ce qui m’a le plus marqué en tant qu’élève de primaire, c’est le jour où j’ai été élu délégué de classe. Cet évènement m’a valorisé énormément et a également changé un peu la perception de mes pairs… ‘Adrien, c’est vrai qu’il a du bagout, il s’exprime facilement…’ Vu mes difficultés scolaires, je l’ai vécu comme une grande victoire. Je me suis affirmé autrement ! Je garde aussi en moi les précieux conseils d’une prof, en rhéto, à l’Institut de l’Assomption à Watermael-Boitsfort, qui m’ont énormément fait avancer. »

RÉTROVISEURLIVRES

« Je suis un papa zéro pression, je veux que mon fils ressente sa liberté »

LAURENCE DUPUIS

Adrien Devyver est une personnalité publique appréciée de tous. À la fois journaliste, chroniqueur, animateur (Le grand cactus sur Tipik, La grande forme sur VivaCité), bloggeur et auteur, celui que l’on surnomme affectueusement «  la tornade » ne s’arrête jamais. L’école Saint-Léon à La Hulpe se souvient sans doute de l’énergie débordante qui l’anime, encore aujourd’hui. Pourtant, l’arrivée d’un petit être a tout chamboulé. Dans Moi, papa (Kennes), le jeune père livre avec humour et tendresse un témoignage sans filtre au sujet de cette grande aventure qu’est la paternité.

Nous vous offrons 5 exem-plaires de ce livre d’Adrien De-vyver en participant en ligne, avant le 5 janvier, sur www.entrees-libres.be

Les gagnants du mois de no-vembre (Archie) sont : Olivier Brasseur, Monique Scheen et Marine Dedeken. Bravo à eux !

Adrien Devyver, Moi, papa,

Editions Kennes, 174 pages – 19,90 €

Si vous ne deviez donner qu’un seul et unique conseil à nos lecteurs, pour ne rien regretter en tant que papa, quel serait-il ?

«  Activer son système de passivité. Ne pas être toujours dans l’action. Ap-prendre à se poser… Pour ma part, c’est un cadeau du confinement. Cela m’a permis de comprendre l’importance de s’arrêter de temps en temps. » ■

CONCOURS©DR

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RUBRIQUERUBRIQUE

MON SÉJOUR DANS LA FOSSE AUX LIONS DE LA POLITIQUE BELGELes livres de souvenirs d’hommes et de femmes po-litiques restent peu fréquents, au centre et au sud du pays. C’est dommage : ils permettent souvent de se replonger dans les racines d’une histoire dont les conséquences restent très actuelles, permettant de mieux comprendre certains ressorts des enjeux et débats d’aujourd’hui. C’est le cas de l’épais ouvrage de Paul-Hen-ry Gendebien, militant wallon qui deviendra un ardent dé-

fenseur d’un rattachement à la France, après avoir présidé le Rassemblement wallon. Si l’ancien député fédéral, régional et européen puis Délégué général de la Communauté française à Paris s’y montre désabusé quant aux chances d’une Belgique apaisée, il nous offre surtout une plongée sans concession et régulièrement savoureuse dans les querelles communautaires de ces quarante dernières années, qui n’ont pas pris une ride.

MARCHER VERS L’IN-CONNUFrère Jack Mardesic, francis-cain d’origine australienne, habite à Bruxelles, au couvent Saint Antoine, à proximité de la Gare du Midi.  Suivant la grande tradition franciscaine, frère Jack part régulièrement en mission avec un autre frère dans les quartiers défavorisés, sac au dos, sans programme, sans argent, sans savoir où ils dormiront le soir. La Provi-dence organise alors les ren-contres les plus improbables… Dans ce récit plein d’humour et d’espérance, frère Jack nous raconte quelques-unes de ses

incroyables aventures. Il nous invite à changer de regard sur ceux qui sont apparemment loin de nous mais aussi sur l’Église et sa mission. Une vraie ode à la rencontre, à l’image de saint François dont les textes parsèment le livre. Une lecture qui brûle le cœur !

RÉTROVISEURLIVRES

Les éditions Auzou proposent une nouvelle collection de documentaires ludiques et pratiques, intitulée «  Mes docs de Belgique  ». Riches en photos, illustrations et anecdotes, ces ouvrages font découvrir la Belgique aux enfants avec humour et dynamisme. Ils sont agrémentés de quiz qui permettent de tester les connaissances à des jeunes lecteurs après leur lecture. À ce jour, la collection compte trois tomes : Les rois et reines des Belges, Pieter Bruegel l’An-cien et Jacques Brel.

À travers ce dernier volume signé par sa fille France qui assume son héri-tage, l’enfant se plonge dans l’histoire et l’œuvre du grand Jacques Brel. À la fois chanteur, compositeur, acteur et réalisateur, il a exercé de multiples mé-tiers avec talent. Au fil des pages, les enfants découvrent les grandes étapes de sa vie ainsi que ses œuvres les plus marquantes.

Frère Jack Mardesic et Claire Denoël, Marcher vers l’inconnu,

Éditions Emmanuel 180 pages - 16 €

CONCOURS

France Brel et Coraline Rivière, Jacques Brel,

Éditions Auzou Belgique,32 pages - 6,95 €

Nous vous offrons 5 packs de cette col-lection « Mes docs de Belgique » com-prenant chacun un exemplaire des 3 titres déjà parus (Brel, Bruegel, Mo-narchie)  ! Envoyez-nous un courriel à l’adresse [email protected] en mentionnant vos coordonnées. Vous serez prévenu si le sort vous a désigné.

Paul-Henry Gendebien, Mon séjour dans la fosse aux lions de la

politique belge,Éditions Weyrich, 359 pages - 25 €

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26 entrées libres | n°164 - décembre 2021

AUX ORIGINES DU RACISMEVoici un siècle encore, les populations d’Afrique, d’Asie ou les Indiens d’Amérique étaient exhibés dans de véritables zoos humains aux quatre coins du monde occidental. Si le racisme n’est pas une idée neuve au XIXe siècle, les zoos humains ont contribué à la popularisation d’un discours « scientifique » et officiel sur la hiérarchie des « races ». Les expositions internationales de Bruxelles mais aussi d’Anvers, de Liège (en 1905, photo ci-dessus) ou de Gand ont accueilli leur lot de villages «  indigènes » ou « congolais ». Nombre de ceux qu’on a faits venir du Congo comme « attractions » sont morts chez nous.  Jusqu’au 6 mars, l’Africa Museum de Tervuren (dont les jardins ont accueilli le zoo humain de l’Expo 1897) accueille la remarquable exposition du Mu-sée du Quai Branly à Paris, « Zoo humain. Au temps des exhibitions coloniales ». Une façon passionnante d’appré-hender la question du racisme et de la colonisation. La vi-site est gratuite pour les moins de 18 ans et le musée orga-nise des visites pour les écoles à partir de 14 ans.

Intéressé ? Rendez-vous sur le site www.africamuseum.be.

SERVICES

CONTRE LA PAUVRETÉ, CHOISIR LA SOLIDARITÉ Action Vivre Ensemble fait appel à vous pour faire exister sa campagne d’Avent 2021 intitulée Urgences sociale et écologique, à la croisée des chemins dans les paroisses de Wallonie et de Bruxelles. Ils mettent à disposition des outils qui ramèneront la solidarité au cœur de ce temps fort de l’année liturgique. Cette fois, ce sont 101 asso-ciations de lutte contre la pauvreté qui seront aidées à Bruxelles et dans toute la Wallonie grâce à l’argent récol-té.

Comment participer à cet élan de solidarité  ? Par une affiche exposée, un dossier thématique, des outils d’ani-mation, un texte pour un bulletin paroissial...

Le dossier de campagne est téléchargeable gratuitement ou à commander au prix de 3 euros via l’adresse [email protected]. Visitez le site vivre-ensemble.be et découvrez les outils en ligne ou appelez le 02/227.66.80.

LES CONTES DE MYRTILLE Quoi de plus efficace qu’un spectacle pour faire bril-ler les yeux des enfants  ? Institutrice et logopède de

formation, l’art sous toutes ses formes a toujours eu une grande place dans la vie de Catherine Dirckx, créatrice du concept «  Les Contes de Myrtille  ». Le théâtre, tout d’abord, mais aussi la musique qui rythme chacune de ses prestations. Cette conteuse propose aux écoles de joyeux spectacles autour de différents thèmes, à destination d’un public d’enfants de 2,5 à 7 ans.

Vous souhaitez organiser un tel moment dans votre école ? Rendez-vous sur le site internet www.lescontesdemyrtille.be.

KIDZIT, UN JEU COOPÉRATIFVous souhaitez aborder la question du travail humani-taire avec vos élèves  ? Médecins sans frontières pré-sente un nouveau jeu gratuit et coopératif à exploiter avec les élèves de 5e et 6e primaire. Une séquence de jeu dure environ une heure, à organiser en classe par petits groupes d’élèves. Outre le jeu «  Mission Impossible  », vous recevrez une brochure explicative au sujet de cette problématique à utiliser avec les enfants.

Intéressé  ? Rendez-vous sur www.msf.be et comman-dez votre pack Kidzit. Vous pouvez également poser vos éventuelles questions à l’adresse [email protected].

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SERVICES

VACANCES À LA FERMESituée à Liège, la ferme des enfants invite les pe-tits amateurs d’air frais à venir s’amuser au contact de la nature. Pendant le

stage, les enfants auront notamment l’occasion de nour-rir chaque jour les animaux de la ferme  ! Deux thèmes différents sont proposés durant ce congé de Noël. Les groupes sont organisés par tranche d’âge, accessibles de 4 à 12 ans.

La semaine du 27 au 31 décembre : « À vos souhaits ! »

La semaine du 3 au 7 janvier  : «  Sur les traces du Roi Narcisse ».

De plus amples informations sont disponibles sur le site internet www.lafermedesenfants.be. Inscrivez-vous sans tarder via l’adresse [email protected]. Prix par enfant : 100 euros.

« RÉFLÉCHIS AVANT DE TEXTER ! » Child Focus souhaite interpeller les enseignants au sujet d’une problématique d’aujourd’hui : la gestion des échanges (très) privés entre adolescents, via les réseaux sociaux ou des SMS. Afin de guider les professeurs d’élèves âgés de 12 à 18 ans dans cette démarche de façon saine et prudente, un outil a vu le jour.

Le « sexting » (contraction des mots anglais « sex » et «texting ») devient en effet de plus en plus un sujet d’actualité, à la fois en ligne et hors ligne. Dans certaines situations, les choses tournent mal. En tant que professeur, que peut-on faire et comment doit-on réagir ? Pour répondre à ces questions, Child Focus, Sensoa, Jong & Van Zin, Mediawijs et la troupe de théâtre O’kontreir ont uni leurs forces pour aider les jeunes et leur entourage immédiat dans le but de prévenir ou traiter des cas de sexting ayant mal tourné.

Le site web www.sexting.be rassemble un nombre d’idées, de résultats de recherche, de conseils et d’outils sur le sexting.

VA Y AVOIR DU SPORT POUR LES 50 ANS !Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles lance la dixième édition de son concours des écoles. À cette occasion et dans le cadre du 50e anniversaire de sa création, le Bureau du Parlement a voulu mettre en avant le sport en proposant un challenge de marche et de course à pied qui se déroulera du lundi 21 février 2021 à 0h00 au dimanche 3 avril à 23h59 (42 jours). Ce challenge s’adresse aux élèves de 5e et 6e secondaire. La classe lauréate sera invitée à une activité sportive et ludique ou à un événement sportif important.

Inscriptions en ligne jusqu’au 31 décembre 2021. De plus amples informations sont disponibles sur le site www.pfwb.be, dans l’onglet «  infos pratiques » ou au 02/506.38.73.

LA MALLETTE CLIMATIQUE Le CNCD-11.11.11 (Centre national de coopération au développement, la coupole des ONG d’aide

au développement) présente sa nouvelle mallette pé-dagogique Justice climatique, à destination des jeunes à partir de 15 ans, jusqu’à l’âge adulte. Cette mallette a été réalisée en 2011, actualisée et rééditée en 2018, puis en 2021. Certains outils de l’époque sont toujours d’actualité, d’autres sont tout à fait nouveaux. Ils ont été pensés pour permettre de donner des chiffres, de comprendre le phé-nomène actuel de réchauffement climatique, ses causes, ses effets et ses solutions. D’autres outils pédagogiques proposent d’analyser ensemble les pistes de transitions possibles en donnant aux élèves la possibilité de réfléchir, d’argumenter, de construire ensemble un avenir viable. La mallette regroupe des outils pédagogiques sous plu-sieurs formats.

Intéressé ? Surfez sur www.cncd.be, rubrique « campagne ». La mallette est à commander au prix de 25 euros, directe-ment sur le site internet ou via l’adresse [email protected].

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HUMOUR