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La revue de l’AQIP L’interprétation du patrimoine N°4 Tome II Juillet 2014 Montréal Interprétation ; parcours et pratiques particulières aux lieux scientifiques, technologiques et en milieu naturel ISSN 1923-614X

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La revue de l’AQIP

L’interprétation du patrimoine

N°4 Tome IIJuillet 2014Montréal

ISSN 1923-614X

Interprétation; parcours et pratiques particulières aux lieux scientifiques, technologiques et en milieu naturel

ISSN 1923-614X

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Équipe éditoriale:Véronique Vermette, biologiste, M. Env. Denis Lavoie, consultant en patrimoine, Louvicourt

Graphiste-designer:Frida Franco Concept Design

Révision linguistique:Thérèse BélandCéline Desjardins

Nous tenons à remercier sincèrement tous les auteurs qui ont participé à cette édition de laRevue de l’interprétation. Leur générosité à notre égard et leur intérêt à l’endroit de la pro-fession méritent d’être soulignés.

Toute correspondance d’ordre rédactionnel sera acheminée à l’adresse suivante: [email protected]

Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2014

L’équipe de rédaction

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Sommaire

TOME II

• Avant-propos 5Denis Lavoie

• Interpréter la nature en milieu urbain 7Anne-Marie Lavoie, agente de développement et de marketing, © GUEPEGabrielle Normand, directrice-générale, © GUEPE

• Les aléas du métier: la dynamique client-consultant 13Alain Foisy, concepteur-réalisateur, Groupe GID Design

• L’art au service de l’interprétation de l’environnement 19Thérèse Baribeau, Consultante en muséologie, formation, éducation, anciennement Gestionnaire, Musée de l’environnement La Biosphère & K (Karine Lanoie-Brien), artiste, éco-communicatrice et designer d’exposition

• Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production 26Léopoldine Marcotte, chargée de projet en patrimoineMélanie Séguin, directrice-générale Martin Trudel, assistant-meunier

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Sommaire

• Le Saint-Laurent en direct!: une façon originale de faire de l’interprétation au parc marin du Saguenay-Saint-Laurent 33Valérie Busque, agente, promotion et médias non personnalisés, Parcs CanadaStéphanie Gagnon, directrice aux opérations, biologiste, Explos-NatureAngelle Rodrigue, agente, gestionnaire de l’expérience du visiteur, Parcs CanadaStéphane Roy, agente, chef d’équipe, services aux visiteurs, Parcs Canada

• Cité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle 40Laure Barrachina, médiatrice, Cité Historia

• L'Interprétation en France: une pratique avérée ou seulement une démarche intellectuelle? 48Michelle Sabatier, ancienne rédactrice en chef de la revue Espaces Naturels

• 10 questions posées à M. René Rivard, muséologue 53Paule Renaud, muséologue, CulturaDenis Lavoie, Louvicourt

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Avant- propos

Avant- propos:

le neuf et le vieux

Denis Lavoie

Ce numéro de la Revue poursuit la réflexion amorcée

dans notre dernière parution sur les pratiques de mise en œuvre

par les interprètes (et médiateurs) du patrimoine naturel, scien-

tifique et technologique québécois. Le numéro est écrit au

passé composé puisque les articles qu’on y lira ont été livrés à la

rédaction en même temps que ceux de l’édition précédente; ils

n’ont pas cessé d’être pertinents. Le numéro est surtout écrit au

conditionnel, le temps qui exprime les réussites exemplaires dont

on pourrait s’inspirer pour bien faire son métier.

Les textes sont signés de collaborateurs d’ici et

d’ailleurs. Ils témoignent de l’importance du métier qu’ils font,

de la nécessité de bien le faire et de la générosité qu’il faut mettre

à le faire.

Tous font état d’un problème et de la solution qu’on y

a apportée. Chacun pose la question du neuf et du vieux dans

la transmission de connaissances. Tous conviennent qu’il faut

innover pour susciter attirer l’attention de leurs interlocuteurs;

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chacun amène à penser que le nouveau n’est souvent que de

l’ancien dans des habits différents. C’est la logique de l’acte pé-

dagogique qui le veut: tout savoir nouveau n’est jamais construit

que sur ce qui est déjà acquis. C’est aussi la logique du champ

patrimonial qui est transmission de connaissances et valeurs

anciennes dans les façons du temps présent.

Tous les articles de cette parution ont été lus et commen-

tés par les membres du Comité de rédaction de la Revue. Leurs

remarques ont été transmises aux auteurs qui, tous, en ont tenu

compte. Nous remercions les uns et les autres. Ce travail d’équipe

est signalé par un astérisque qui suit le titre d’un article.

Véronique Vermette, anciennement de la Sépaq (Parc

national d’Oka), a été éditrice-en-chef associée de cette parution.

L’équipe de la Revue lui en est des plus reconnaissantes.

Avant- propos Denis Lavoie

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Interpréter la nature en milieu urbain Anne-Marie Lavoie, Gabrielle Normand

Interpréter la nature en milieu urbain

Anne-Marie Lavoie

Agente de développement et de marketing, © GUEPE Gabrielle Normand

Directrice-générale, © GUEPE

Il existe encore sur l’île de Montréal des lieux naturels

qui ont été épargnés par le développement urbain. Certains de ces

lieux sont parties intégrantes du réseau des grands parcs de la

Ville de Montréal. Espaces verts, parcs urbains, parcs nature,

réserves écologiques sont essentiels au bien-être physique et psy-

chologique des habitants des villes. Le réseau est une mosaïque

composée de milieux humides, de friches, de boisés, et d’espaces

gazonnés facilement accessibles aux habitants de Montréal et de

la région métropolitaine.

Un parc-nature est, à la fois, un lieu de récréation et

un lieu de conservation. Visiter un de ceux-là, c’est se donner

l’occasion de constater la diversité des espèces qui y vivent et le

stress que fait subir à un écosystème la proximité de l’homme et

de ses oeuvres.

C’est aux usagers de certains de ces parcs que, depuis

20 ans, GUEPE1 enseigne à mieux voir la nature, à mieux la com-

prendre et à mieux la respecter. Les naturalistes de l'organisme

souhaitent que leurs interventions amènent les visiteurs à poser

un regard neuf sur les lieux qu’ils habitent. Citoyens mieux

informés, ils sauront faire un choix éclairé lorsqu’ils devront se

prononcer sur les questions environnementales.

Les naturalistes de GUEPE servent le public à titre

d’éducateurs, d’animateurs et de guides-interprètes. Ce qui suit

est le résultat d’une réflexion sur leur métier à laquelle ils se

sont prêtés.

1 http://www.guepe.qc.ca; consulté le 24 avril 2014.

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À quelles fins sensibiliser les usagers d’un parc aux sciences

de la nature?

Pour combler le «déficit nature» des jeunes

GUEPE reçoit chaque année quelques 30,000 écoliers

de niveau préscolaire et primaire. La clientèle scolaire forme une

part importante des visiteurs des parcs dont le groupe assure

l’animation/l’interprétation. Les naturalistes de GUEPE sont ainsi

en mesure de corroborer ce qui a été observé et décrit ailleurs:

aujourd’hui, les enfants jouent de moins en moins à l’extérieur

de la maison. Quand ils le font, ils y passent moins de temps que

leurs parents avant eux.

Vivre «en dedans», entre quatre murs, est plus sécu-

ritaire; apprendre à vivre de ses machines, plus divertissant.

Dehors serait ennuyeux et dangereux. Pourtant ne plus jouer de-

hors, c’est se priver de l’Autre, de la société de ses compagnons

de jeu d’abord et d’un lieu d’apprentissage à la vie: la Nature2.

L’expérience de la nature est en voie de disparition

comme le sont certaines espèces3. Les sociétés souffrent d’un

déficit de la nature4. Les enfants ne jouent plus dans ces lieux:

champs vagues, petits boisés, mares et fossés, ni urbains, ni

sauvages, où d’autres avant eux ont appris la curiosité, l’initiative,

la créativité et le droit de vie et de mort sur ce que s’y trouve.

Les pertes qui s’ensuivent sont importantes pour les in-

dividus et la société: troubles de perception et d’estimation de ses

capacités; troubles de concentration et d’attention, de l’hyperac-

tivité; difficultés à contrôler ses impulsions et comportements

agressifs et excès de poids.

Appelés à combler ce déficit-nature chez leurs jeunes

visiteurs, les naturalistes de GUEPE se butent à deux obstacles:

© G

UE

PE

Interpréter la nature en milieu urbain

2 Cardinal, François Perdus sans la nature - Pourquoi les jeunes nejouent plus dehors et comment y remédier, Québec Amérique,Montréal,2010; http://www.espaces.ca/categorie/actualites/entrevues/article

/512-francois-cardinal-perdus-sans-la-nature; consulté le 25 avril 20143 Simmons, I. G. Interpreting Nature: Cultural Constructions of the En-vironment, Routledge, London 1993. 4 http://www.educ-nature.fr/eduqueralanature.php?z=1; consulté le 25avril 2014.

Naturaliste lors d'une randonnée grand public, Parc-nature du Bois-de-Saraguay

Anne-Marie Lavoie, Gabrielle Normand

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l’ignorance de connaissances les plus élémentaires sur lesquelles

établir leurs présentations et la réticence avouée à vouloir corriger

la situation. Réticence à s’engager dans un exercice qui demande

un effort physique, perte de résistance à l’effort. Méfiance à

l’endroit de ce qui n’est pas familier en général et des autres en

particulier, ces non/connus, sources de tous les embarras, sources

de tous les dangers. Les dommages ne seraient pas causés seule-

ment par la perte de la-vie-au-dehors mais par ce qui la remplace:

la-vie-en-dedans.

Les programmes scolaires d’initiation aux sciences de

la nature ont été mis en place pour combler le déficit de connais-

sances sur la nature; les naturalistes de GUEPE enseignent en

continuité de ce qui est montré en classe. Les programmes de sen-

sibilisation à l’environnement sont offerts pour contrer le déficit

d’expérience de la nature: les natura-listes de GUEPE invitent à

faire ce qui ne peut pas l’être en classe – reprendre contact avec

la nature in situ.

Le déficit-nature est l’expression d’un bris dans la trans-

mission du savoir d’une génération à une autre. Une nouvelle

tradition a remplacé la première: il y avait jadis transmission

du devoir de connaître, il y a aujourd’hui transmission du droit

d’ignorer.

Le déficit-nature n’est pas le seul fait des visiteurs éco-

liers. Ce que les enfants ne savent pas, ils le tiennent entre autres

de leurs parents. Le déficit-nature des enfants et d’abord celui des

parents. Les naturalistes de GUEPE l’ont reconnu et ont agi en

conséquence. Les activités d’observation qui sont proposées aux

familles en visite au parc ont les enfants comme cible avouée:

Interpréter la nature en milieu urbain

© G

UE

PE

Naturaliste lors d'une visite scolaire, Parc-nature du Bois-de-Liesse.

elles sont axées sur le jeu, la découverte et l’expérimentation.

Mais elles s’adressent tout autant aux adultes qui les accompag-

nent. Sous prétexte d’enseigner les enfants, on instruit et on

éduque leurs parents.

Pour vaincre la peur et ses peurs

Ce qui est inconnu fait peur. Les naturalistes de GUEPE

sont à même de constater combien «entrer dans le bois», dans le

boisée d’un parc-nature, peut inquiéter les écoliers qui ne l’ont

jamais fait.

Anne-Marie Lavoie, Gabrielle Normand

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La prudence à l’endroit de ce qui est sauvage est salu-

taire en soi. Mais avoir peur est débilitant comme le dit le natu-

raliste Claude Roy: «La peur de l’inconnu, nourrie des fausses

croyances associées à la forêt, est assurément le plus grand

obstacle à la compréhension de phénomènes observés en milieu

naturel. On ne peut comprendre et aimer une chose si la peur nous

habite»5

La peur de la Nature est un trait de culture: elle s’ap-

prend dans les contes qu’on récite aux tout-petits. C’est un trait

de société: elle s’apprend en même temps que toutes ces règles

qui défendent de faire une chose de peur de subir les conséquences

qui pourraient en découler. La Nature est bien accidentelle dans

le paysage urbain. Elle apparaît toutefois au télé-journal de fin de

soirée qui la montre dans toute sa violence; elle est vue dans toute

sa férocité dans les belles images des émissions-nature.

La crainte que suscitent les milieux naturels ne connaît

pas d’exception: elle est aussi observée chez les visiteurs nou-

veaux arrivants pour qui la forêt de ce pays serait toute aussi

hostile et inhospitalière que celle de leur pays d’origine.

La randonnée en forêt que proposent les naturalistes de

GUEPE est l’occasion d’apprivoiser sa peur. C’est une activité

structurée qui a lieu dans un espace aménagé à cet effet. Tout y

est prévisible. Elle s’accomplit sous la direction prudente d’un

guide. Elle ne promet rien d’alarmant. Elle permet même de

dissiper d’autres peurs, bien conservées au grenier de la culture

populaire.

C’est ainsi que les libellules ne «crèvent pas les yeux»,

les crapauds ne «donnent pas de maladies» au toucher et les

chauves-souris ne «s’agrippent pas à la chevelure» des gens.

Et il faut bien se résoudre à croire les études les plus savantes

lorsqu’elles démontrent que Canis lupus magnus maleficus ne

peut avaler la petite-fille après avoir dévoré sa grand-mère6.

Pour convaincre un individu à s’engager à protéger

son environnement

Toutes les activités dans lesquelles s’engagent les

naturalistes de GUEPE ont pour but de sensibiliser les visiteurs

à l’importance du patrimoine naturel.

La nature est un tout, l’homme est partie intégrante de

ce tout; c’est son milieu de vie. À l’interprète de le démontrer

comme le fait Claude Roy:

Interpréter la nature en milieu urbain

6 Perrault, Charles, Histoire du temps passé, avec des moralités, 1698;Grimm, J, et Grimm, W. «La capuche rouge» in Contes des Enfants etdu Foyer, 1812 7 Notes des auteurs.

5 Notes des auteurs.

«Je ne parle jamais des oiseaux sans faire des liens

avec leur nourriture, leurs prédateurs, leurs moyens

de défense, des relations qu'ils ont avec nous, etc.

Plus il y a de composantes dans l'illustration d'un

phénomène, plus je suis satisfait du travail accompli.

Dans la nature, tout est intimement lié. J'aime com-

prendre la nature dans sa globalité, donc j'aime la

faire découvrir de la même façon.»7

Anne-Marie Lavoie, Gabrielle Normand

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Ce qui est dit dans un parc doit servir à libérer le visiteur

de son ignorance à l’égard de la nature. C’est aussi un plaidoyer

en faveur d’une plus grande responsabilité de chacun à l’égard

d’un bien commun: son milieu de vie.

Comment réussir l’interprétation d’un lieu naturel

L’apprentissage par l’expérience (des groupes scolaires)

Les parcs naturels sont des lieux d’émerveillement.

C’est le rôle du guide-interprète d’expliquer et de donner un sens

à ce qui peut y être vu. Ce qu’il sait, il doit savoir le transmettre

avec efficacité.

Il n’y a rien d’improvisé dans la visite d’un parc: le

guide-interprète sait pour l’avoir planifié que là où il les mènera,

ses visiteurs trouveront connaissance, plaisir et l’occasion d’exercer

leur jugement.

L’expérience qu’il leur propose relève de l’évidence: de

ce qui tombe sous les sens. Le guide-interprète indique, il montre

du doigt; il décrit brièvement ce qui est montré, puis s’écarte

laissant à l’objet de faire son œuvre et au visiteur, de se mettre à

l’ouvrage.

Au visiteur, il revient d’interpréter ce qu’il voit: de le

comparer à ce qu’il connaît de semblable, de lui trouver une place

parmi tout ce qu’il sait déjà et de lui donner un sens. À l’inter-

prète, il reviendra d’ajouter un supplément d’information, de

commenter et de solliciter des commentaires avant de passer à

une autre étape de la visite.

Le caractère remarquable de certains lieux et de certains

objets suffit à retenir l’attention de l’observateur, à marquer son

imagination avant d’être «porté à sa mémoire». Ce qui étonne est

plus facile à retenir; ce qui est retenu porte à vouloir «en savoir

plus».

L’adaptation

Le guide-interprète n’est jamais bien éloigné de son

visiteur; il en est de même, en tout temps, tout proche. Le visiteur

est l’objet de toutes ses attentions; il se prépare rigoureusement

à sa venue; il le reçoit à l’entrée; il l’accompagne dans sa visite;

il le guide «en forêt», celle du boisé dans lequel il pénètre et

celle des connaissances scientifiques dans laquelle il s’engage; il

est attentif à toutes ses réactions; en fin de visite, il le reconduit

à la sortie.

Toutes les activités que l’interprète planifie le sont en

fonction de ce qu’il sait des connaissances et des attentes d’un

visiteur. Il connaît son visiteur de ce qu’en disent des études spé-

cifiques et des sources éclairées (les enseignants, les animateurs

culturels); il le connaît de son expérience acquise en société; il le

connaît parce qu’il l’a observé attentivement dans son «milieu

naturel»: l’espace-temps de la visite.

Son discours n’est jamais la répétition du scénario de

visite qui lui a été remis en début de saison. Tout interprète

compétent doit savoir s’adapter à tous les groupes et à toutes

circonstances.

Interpréter la nature en milieu urbain Anne-Marie Lavoie, Gabrielle Normand

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AQIP12

C’est le propre de l’interprète de dire son propos dans

langue que parlent ses visiteurs. Il traduit en termes accessibles à

tous ce qu’il a appris dans une langue étrangère: celle des

hommes de sciences. Son discours n’est pas plus la reprise

textuelle des savantes leçons qu’il a reçues à l’université.

Il est habituel que le naturaliste-interprète transcrive

sans les reprendre les notions qui sont enseignées dans les classes

de sciences. Cette capacité à s’adapter aux circonstances et

aux gens a été mise à profit lorsque les guides-interprètes de

GUEPE ont préparé des programmes à l’intention d’une clientèle

qui n’a plus rien d’exceptionnel: les communautés culturelles

montréalaises.

En 2010, plus de la moitié (55,8%) des élèves du pri-

maire et du secondaire du réseau public sur l’île de Montréal

étaient d’origine culturelle diversifiée8. Adultes et enfants des

communautés culturelles montréalaises ont des référents culturels

particuliers (valeurs, croyances, façon de voir le monde)9 qu’il

convient de connaître pour mieux établir ses présentations.

GUEPE a préparé un programme destiné aux jeunes

de ces communautés. «Passeport sciences» tient compte des

connaissances qu’ils ont déjà acquises en sciences de la nature et

de l’environnement.

Transmettre sa passion

En toutes saisons, chaussés de souliers de randonnée, de

raquettes ou de skis nordiques, les écoliers en visite dans un parc-

nature partent à la découverte de formes de vie et de paysages

qui leur étaient jusqu’alors inconnus. Ils reviennent changés par

l’expérience qu’ils viennent de vivre.

En cours de visite, ils ont appris en observant ce que leur

guide-interprète leur a montré. Ils ont aussi appris d’un autre objet

qui était mis en évidence: le guide-interprète lui-même. Le guide-

interprète est une composante importante de toute expérience de

visite; certaines visites sont mémorables parce que la perfor-

mance du guide est tout aussi remarquable que les objets qu’il

montre.

La compétence, la conviction et la passion qu’il met à

faire son travail rendent plus crédible encore la cause qu’il

défend. S’il est convaincu, sa seule présence démontre qu’il est

faisable, raisonnable et souhaitable «de faire ce qu’il le dit» et,

surtout, «de faire comme lui». Le guide-interprète prêche par

l’exemple; il est objet d’émulation.

Tous les naturalistes, ceux des parcs urbains et des autres

lieux du patrimoine culturel, oeuvrent ainsi à corriger une ten-

dance de notre époque qui veut que la nature soit exploitable à

merci. Bien conduite, une visite à un parc-nature est l’occasion

de repenser son rapport au monde.

Interpréter la nature en milieu urbain

8 Fondation du Grand Montréal, Signes vitaux 2010 du Grand Montréal:Éducation in http://www.fgmtl.org/fr/signesvitaux2010/education.php;consulté le 25 avril 2013.9 http://en.wikipedia.org/wiki/World_view; consulté le 25 avril 2014.

Anne-Marie Lavoie, Gabrielle Normand

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Les aléas du métier: la dynamique client-consultant Alain Foisy

Les aléas du métier:

la dynamique client-consultant

Alain Foisy

Concepteur-réalisateur en ingénierie culturelle, Groupe GID Design

Tout, dans un lieu muséal, est affaire d’exposition. De

tous les instruments dont une institution dispose pour se faire

entendre du public, c’est le plus important. C’est aussi le plus

difficile à concevoir, le plus dispendieux à produire et le plus

onéreux à corriger lorsqu’il se révèle défectueux.

C’est à l’institution muséale qu’il revient de concevoir

et de réaliser ses expositions. À l’occasion, quand l’affaire est

complexe, l’enjeu, important et son personnel, occupé ailleurs,

l’institution fait appel à une entreprise privée pour le faire.

Je suis à l’emploi de Groupe GID Design – ingénierie

culturelle, depuis 20 ans. Je mets à la disposition des clients de

l’entreprise mes connaissances académiques et mon expérience

en animation et en conception d’activités pédagogiques en milieu

muséal. À ce titre, je fais partie d’une équipe multidisciplinaire

comme le veulent les pratiques actuelles du métier.

Le chargé de projet

Le chargé de projet en interprétation scientifique est

un vulgarisateur qui doit s’assurer que son propos est compréhen-

sible au plus grand nombre et qu’il serve bien les intérêts de

l’institution cliente.

Il est un intermédiaire entre hommes de sciences,

administrateurs d’une institution et leur public. Il lui arrive même

d’agir en arbitre entre des factions opposées d’une même institu-

tion qui diffèrent d’opinion sur ce qui devrait être dit et fait en

son nom.

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roup

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Parc national du Mont-Tremblant

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AQIP14

De vulgarisateur à concepteur d’exposition

Les réflexions qui suivent sont un reflet de mon parcours

professionnel; j’ai reçu une formation en sciences, j’ai été ani-

mateur et créateur d’activités pédagogiques et j’ai participé à la

conception et à la réalisation d’expositions de toutes sortes.

Au cours de 25 années de pratique, j’ai constaté que tous

mes chantiers avaient eu trois choses en commun: des clients ou

des promoteurs passionnés par l’objet de leur travail, des sujets

riches et complexes, souvent difficiles à rendre en peu de mots et

un budget «fermé». Le manque à dépenser aura une incidence

sur tout ce qui sera décidé en cours de chantier, sur le choix des

médias en particulier. Quant aux délais accordés pour mener un

projet à bien, ils sont toujours trop courts, à plus forte raison

lorsque le temps est gaspillé à des vétilles.

L’interprétation est un art; à l’interprète de choisir ce

qu’il dira et de l’inscrire dans un ensemble plus large, celui de la

culture scientifique et de culture tout court. À lui aussi de ne rien

laisser voir de la lourde démarche qui a mené à un résultat.

Un chargé de projet doit connaître les notions élémen-

taires du sujet qu’il mettra en montre. Au cours des dernières

années, je me suis intéressé d’aérospatiale, d’anthropologie,

d’archéologie, de biologie, de botanique, de géologie, de paléon-

tologie et de mécanique. Bref, du latin à l’atome. Je n’ai pas la

science infuse et ce que je ne sais pas, je l’apprends. Et il arrive

souvent que ce soit mes clients qui deviennent mes premiers

informateurs.

Les règles de l’art

Un chargé de projet doit faire son travail conformément

aux règles de l’art. Pour réussir une exposition, il faut savoir de

quoi on parle, dans quel but on en parle et à qui on en parlera. Il

faut pouvoir définir l’objet d’une exposition et les résultats qu’on

souhaite atteindre. S’agit-il d’éclairer le visiteur sur un sujet

pointu, de le toucher par une ambiance, de l’atteindre par la force

de l’argumentaire ou de le divertir un moment? S’agit-il de tout

cela à la fois?

Les aléas du métier: la dynamique client-consultant Alain Foisy

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Fossilarium, Notre-Dame-du-Nord

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Il faut avoir appris comment aborder son propos (le fil

conducteur) et comment choisir les moyens efficaces pour faire

passer son message. Il faut très certainement prendre garde de

s’égarer hors du cadre de réalisation que l’on s’est donné.

Au préalable, le chargé de projet devra s’être informé

des intentions de l’institution qui a choisi de s’exprimer par son

entremise. Il se sera surtout intéressé à la personne que l’insti-

tution a déléguée à la table de travail. Quel est son mandat?

Quelles sont ses attentes personnelles? Quel est son statut profes-

sionnel? S’agit-il d’un chercheur émérite ou d’un autodidacte?

S’agit-il d’un communicateur (animateur, guide-interprète) ou

d’un gestionnaire éclairé ou pas qui ne sera qu’une courroie de

transmission entre l’équipe de travail et les décideurs véritables/et

ses maîtres?

Le facteur humain

De tous ceux qui ont une incidence sur l’échec ou la

réussite d’un projet, c’est le facteur humain qui est le plus impor-

tant. C’est aussi celui qui est le plus souvent ignoré.

Que son propos soit simple ou complexe, une exposition

d’interprétation ne peut répondre avec le même bonheur aux

attentes de tous. Les visées des intervenants à un projet sont tou-

jours ambitieuses et les atteindre, malaisé. Les intervenants ne

manquent jamais de diverger d’opinion quant au but visé et à

la façon d’y parvenir. Il leur arrive même, en cours d’exécution,

d’oublier l’objet de l’exposition sur lequel ils s’étaient entendus

au départ.

La première rencontre d’un client et d’un consultant

relève de la «chimie pure», de l’intangible et de l’indéfinissable.

Ce qui vient par la suite est affaire de sagacité et de bonne volonté.

Ce contre quoi il faut être prévenu

Pour bien comprendre quelles difficultés rencontrent les

consultants – et tous ceux qui s’engagent dans tout projet de mise

en valeur patrimoniale, voici sept problèmes qu’ils rencontreront

en cours de réalisation.

Les aléas du métier: la dynamique client-consultant Alain Foisy

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Le jardin des mémoires, Parc national du Lac-Témiscouata

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Incertitude quant aux attentes et aux besoins du client

Lors de la première rencontre, il est difficile au consul-

tant de prendre la mesure de son client. Il ne sait de lui que ce

qu’il en a appris lors des préliminaires contractuelles: appel

d’offres, offre de service et entrevue de sélection de l’heureux

élu. Client et consultant doivent pourtant, sans beaucoup de

préliminaires, se mettre à l’œuvre et très vite définir le cadre d’un

projet. Une première rencontre maladroite portera à conséquence

sur la suite des choses.

Il faudra au consultant plusieurs rencontres avant

d’apprendre à qui il a vraiment à faire. Il lui faudra encore plus

avant de saisir les raffinements de la structure décisionnelle.

Entretemps, il lui faudra trouver une explication aux décisions

qui tardent à venir et décoder dans les propos des participants les

tensions qui ont cours au sein de l’institution-cliente.

Divergence quant à l’objet et à la forme de l’exposition

Le propos véritable de l’exposition n’est jamais évident.

Il y a ce qui est écrit dans les documents officiels, ce qui est lu

entre les lignes et ce qui s’entend en aparté. C’est ainsi qu’en

début de projet, le client voudra donner beaucoup d’importance

aux objets de sa collection alors que passe au second plan ce qu’il

convient d’en faire. Une exposition d’interprétation n’est pas un

écrin où déposer des objets d’une collection; c’est un cadre qui

sert à expliquer un phénomène – en faisant bon usage, entre

autres, des objets de cette collection.

En conséquence, on n’insistera jamais assez sur l’im-

portance de poser la question: «Que veut-on dire et pourquoi?».

Et les réponses qui me sont venues jusqu’à maintenant étaient

plus affaire de positions «politiques» que de connaissances En

tel cas, l’objet d’exposition tient-il de la propagande ou d’un

phénomène dont on croit parler?

Réticence à mettre à jour les termes de la commande initiale

Une meilleure connaissance des intentions du client et

le recentrage de l’objectif de l’exposition devraient normalement

mener à reformuler la commande initiale. L’idée en vient

rarement aux deux parties au contrat même si:

A.au moment de sa réalisation, le contexte propre à un projet est

très différent de celui qui prévalait, il y a déjà longtemps, au

moment de son dépôt à des fins de subvention;

B. de nouvelles données et de nouvelles perspectives ont été

acquises et convenues en cours de projet;

C. les discussions entre client et consultant ont modifié l’ap-

proche qui était privilégiée au départ;

D.le cadre de gestion s’est avéré inopérant à l’usage et qu’il doit

être modifié.

À la limite, il faudra même en arriver à se poser la

question: «L’exposition est-elle encore le meilleur médium pour

mettre en valeur ce sujet?»

Les aléas du métier: la dynamique client-consultant Alain Foisy

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Réticence à reconnaître la compétence du consultant

Chaque consultant apporte à un projet ses forces et ses

faiblesses; il importe de le reconnaître pour en tirer le meilleur parti.

Sous-estimer le talent d’un consultant qu’on paie «à prix

d’or», c’est vouloir faire le travail à sa place, donner dans le dé-

doublement des tâches et perdre son temps à convaincre un autre

de son incompétence. Au sein de toute équipe de projet, faire le

travail d’un autre est source de conflits larvés qui sont sans issue.

Tenter de soutirer d’une équipe plus que ce qui est

raisonnable, vouloir obtenir gratuitement des services qui ne sont

pas inscrits au contrat, c’est se préparer à récolter des résultats

médiocres. En demander trop peu, refuser sa confiance à une

équipe dont la capacité de réflexion et l’expérience sont recon-

nues, c’est bêtement se priver de son expertise et aussi mettre en

doute son honnêteté.

Hésitation quant à la «langue» qu’il faut parler

Tout chargé de projet doit transcrire dans un vocabulaire

accessible des notions qui lui ont été enseignées dans un voca-

bulaire qui l’était moins. Ce vocabulaire ingénieux, passionnant,

très précis fait de la transcription des idées qu’il véhicule une

chose complexe et délicate.

Dans quelle mesure ce vocabulaire doit-il être utilisé

dans un cadre de vulgarisation scientifique? Il n’y a de règle que

d’être compris par ceux à qui l’on s’adresse. Ceux-là se montrent

dans toute leur complexité: âge, provenance, niveau scolaire,

niveau socioéconomique et raison de visite. Tous ces facteurs sont

des arguments parfaits pour limiter à l’essentiel les mots de plus

de quatre syllabes et rendre au plus simple des notions complexes.

Alain Foisy

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Boréalis, centre d'histoire de l'industrie papetière

Les aléas du métier: la dynamique client-consultant

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Pour une idée, pour un mot savant que le chargé de

projet réussira à intégrer tel quel à l’exposition, beaucoup d’autres

devront être remplacés par un mot usuel, une périphrase et une

explication qui seront compris de tous.

Il faut donc que le chargé de projet devienne, un mo-

ment, son propre visiteur et qu’il se demande alors ce qui pourrait

le frapper et ce qu’il pourrait retenir dans ce qui est préparé. Il y

a fort à parier que ce ne sera ni les démonstrations, ni les phrases

savantes.

La tentation est de trop en dire, la difficulté est de bien

le dire et la facilité est de ne dire que l’essentiel. Il faudrait plus

souvent faire confiance aux connaissances du visiteur et à la force

des objets d’une collection, quelle qu’elle soit.

Évaluation erronée quant au temps nécessaire

Dans la conduite d’un projet, le consultant doit évaluer

le temps qui revient à chaque étape et à chaque membre de son

équipe. La part de chacun est fonction du temps consenti à

l’ensemble. Le temps est compté et précieux pour tous.

Mais qu’arrive-t-il lorsque de longues discussions et de

fréquents retours en arrière retardent une décision? La banque de

temps se vide, le temps nécessaire aux étapes à venir rétrécit

comme peau de chagrin et la charge des participants augmente

d’autant. Il faudra donc au consultant jongler avec son budget

quand ce ne sera pas travailler à peu de profit. Dès le début d’un

projet de mise en valeur, il est important que client et consultant

établissent des règles qu’ils devront suivre lors de leurs transactions.

Incertitude quant à ceux qui décident

Faute de règles très claires, la prise de décision sera

problématique à chaque étape de la conception et de la réalisation

d’une exposition.

Par exemple, lorsqu’il est question d’écrire les textes

d’une exposition, qui aura le dernier mot: le client, le consultant,

le réviseur, le traducteur ou un relecteur externe? Quand tout

va bien, le projet suit son cours paisible. Quand survient un

problème, il est prévisible qu’on se mette à douter de ce qui a

été décidé antérieurement. On constatera très vite que, faute de

temps, une décision irréfléchie a été prise ou qu’une décision a

été prise par qui n’en avait pas l’autorité.

Là comme ailleurs, chacun a son rôle à jouer. Si le client

ne joue pas le sien, s’il tarde à donner son approbation, un autre

devra le faire à sa place (délégation par défaut) avec les consé-

quences que l’on sait.

Cent fois sur le métier...

Mais qui décide de ce que devrait être l’exposition

d’interprétation? Le client qui a le nez collé dessus, le consultant

qui doit gérer un projet contraignant ou le visiteur à qui l’expo-

sition est destinée. Continuons de nous poser la question et ne

cessons pas de chercher la réponse.

Les aléas du métier: la dynamique client-consultant Alain Foisy

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L’art au service de l’interprétation de l’environnement Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

L’art au service

de l’interprétation de l’environnement

Thérèse Baribeau

Consultante en muséologie, formation, éducation, anciennement Gestionnaire, Musée de l’environnementLa Biosphère & K (Karine Lanoie-Brien)

Artiste, Éco-communicatrice et Designer d’exposition

Chef-d’œuvre architectural et symbole d’Expo 67, la

Biosphère est située à Montréal, sur l’Île Ste-Hélène, au cœur du

parc Jean-Drapeau. Seul musée de l’environnement en Amérique

du Nord, la Biosphère1 a mandat de sensibiliser la population à

l’environnement et de susciter la participation de chacun à sa

préservation. Le musée se distingue par ses expositions à carac-

tère ludique et interactif et par ses programmes d’animation.

Pour la guider dans ses réalisations, la Biosphère

s’inspire d’un mot de Richard Buckminster Fuller, l’architecte du

bâtiment: «Façonner l’avenir – Design the Future». L’institution

invite ses visiteurs et tous les citoyens à inventer leur propre

avenir, à adopter des comportements éco-responsables et à

reprendre contact avec la nature

Le contexte

En 2010, la Biosphère souhaitait renouveler ses expo-

sitions; son équipe d’interprétation s’engage alors dans une

réflexion sur sa façon de présenter l’environnement.

Comment aborder de façon captivante, touchante et con-

vaincante, les changements climatiques, la surconsommation

d’énergie, la perte de la biodiversité, la pollution par le trans-

port, la pollution de l’eau par les produits pharmaceutiques et

d’hygiène? Comment ne pas reprendre les éléments du discours

scientifique ordinaire - données statistiques, analyses, études

d’impact et projections? Comment s’échapper du cadre narratif

habituel: problème, causes, solutions? Plusieurs projets sont alors

mis en branle. 1 ndrl: Cet article a été écrit en 2012. Depuis, la Biosphère vit une autremutation. Le Musée amorce le renouvellement de ses salles d’expositionsoù on traitera de météorologie, de climat, de la qualité de l’eau et de l’air.

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L’exposition

Un de ces projets, l’exposition O.N.E. | Objets Non

Enfouis, est inauguré en décembre 2010. C’était l’œuvre de K2

(nom d’artiste de Karine Lanoie-Brien) et des membres du groupe

Vous êtes ici3. L’embauche d’artistes en arts visuels allait changer

du tout au tout la manière de faire que la Biosphère avait pra-

tiquée jusque-là.

L’exposition met en scène 16 vêtements

féminins, des tenues4, qui ont été con-

fectionnées à partir d’objets rescapés du

dépotoir. Chaque tenue est appariée à

une vidéo; toutes les vidéos reprennent

en bande sonore l’œuvre d’un artiste

canadien. Un objet donné au musée par

une célébrité5 est donné en contrepoint

à chacune des tenues.

La part généreuse à la créativité

Sous la direction de K, 18 créa-

teurs ont collaboré au projet: artistes et

artisans, coiffeur, ébéniste, joaillières,

muséographes (le collectif gsmprjct°) et vidéographe (Valérie

Galarneau). Ils tireront des choses lumineuses de ce qui est la

face sombre de la société: sa production effrénée de déchets. K

souhaitait rejoindre les visiteurs de la Biosphère par les sens, en

touchant leur cœur et leur raison. O.N.E. | Objets Non Enfouis

allait retenir l’attention par la subtilité de son propos et

l’ingéniosité des créations qu’elle mettait en montre.

L’art au service de l’interprétation de l’environnement

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Tenues créées à partir d'objets récupérés.

2 http://www.rebutglobal.tv/cgi-bin/index.cgi?page=crg3_2_03 http://www.vousetesici.ca/vei.html; site en reconstruction.4http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/tenue/; consulté le 5 juin 2014.5http://www.ec.gc.ca/biosphere/default.asp?lang=Fr&n=8BCED24D-1#X-2013080714024817; consulté le 19 mai 2014.

Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

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sur le plan artistique

K a dit de l’exposition qu’elle était « un détournement

de rejets, d’objets orphelins, et de déchets des sites d’enfouisse-

ment» qui, à l’image de vêtements sortis de l’atelier d’un grand

couturier, serait «une collection d’œuvres sans pareille»6.

Ces choses orphelines avaient été des objets de consom-

mation courante: papier d’emballage, pièces d’appareils électron-

iques, matériaux de construction, rubans de cassette, contenants

d’aluminium, pièces d’automobile, sacs de plastique, livres,

rubans adhésifs etc. Par les bons soins de leurs créateurs, elles se

trouveraient métamorphosées en œuvres d’art porteuses d’un

message didactique.

Grand courant lumineux est fait de 2 5000 ampoules

de Noël désuètes que Chloé B. Fortin a tressées en ‘ceintures de

lumière’7. Peau de sirène de Geneviève Bouchard est composé

de 97 peaux de saumon, 40 coquilles de moules et de 300 m de

fil à pêche8.

Chacune des 16 tenues sert d’illustration à un enjeu environ-

nemental particulier. Peau de sirène rappelle la fragilité des

écosystèmes marins; Grand courant lumineux traite de la valeur

de l’énergie et de la nécessité de l’épargner. Ces 16 enjeux sont

expliqués dans les vidéos, des œuvres d’art en soi, qu’a produites

Valérie Galarneau.

Au contraire de ce qui se fait en société de consom-

mation, K pensait qu’il était possible d’inspirer au visiteur un

‘attachement à l’objet’, attachement que lui suggéraient les objets

de l’exposition et qui se transposerait aux siens. Plus respectueux

de ses objets il sera, plus il en prendra soin, moins il sera

enclin à les jeter à la poubelle, moins il devra dépenser pour s’en

procurer d’autres.

O.N.E. | Objets Non Enfouis pose en prémisse que la

transformation des comportements individuels est souhaitable

et faisable. L’exposition préconise «la récupération de l’Être par

la récupération des avoirs». Si le spectateur prend goût «à la con-

science de l’être», il lui sera plus facile « de transformer sa con-

science de l’avoir».9

sur le plan éducatif

Le recours à l’art pour éduquer à l’environnement n’était

pas nouveau à la Biosphère; ses activités éducatives faisaient déjà

la bonne part à l’esprit créateur de ses jeunes visiteurs. Certaines

de leurs œuvres avaient même fait l’objet d’une exposition. L’une

et les autres avaient été très appréciées. De là à poursuivre dans

la même direction, il n’y avait eu qu’un pas, facile à franchir.

Cette décision s’appuyait sur ce qu’on a écrit de l’édu-

cation aux arts plastiques : qu’elle permet de penser et d’agir en

faisant appel à la sensibilité et à la raison10. L’exposition par-

ticiperait de l’acte de création qui intègre l’expérientiel et le con-

ceptuel11. Ce qui vaut pour celui qui crée une oeuvre, vaudrait

pour celui qui vient la voir.

L’art au service de l’interprétation de l’environnement

6 ndrl: http://www.expoone.ca/expoone.html; consulté le 15 mai 2014.7 http://www.expoone.ca/expoone.html; consulté le 15 mai 2014.8 Idem;9 Ibidem;

10 Ratzel, F. 1999 «La science et l’art» in Carnet du paysage, No 3, ActesSud/ENS du paysage.11 Gosselin, P., «La pratique des arts et ses effets sur le développementde la pensée. L’apport de la culture à l’éducation» in Actes du Colloquede recherche: Culture et communications, ACFAS, 2000, Les éditionsnouvelles, pp. 75-83.

Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

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Le discours de l’art et celui de la science

ont peu de choses en commun. Le recours à des

œuvres d’art pour transmettre des données scien-

tifiques pouvait même déconcerter le visiteur :

c’était l’effet recherché. Beaucoup de visiteurs

à la Biosphère semblaient peu sensibles aux

questions environnementales: il fallait briser leur

indifférence.

Les éléments-surprise de l’exposition :

parti-pris muséographique, facture des vidéos,

nature des pièces musicales, ont pour but de sur-

prendre le visiteur, de le déstabiliser. L’insertion

de passages ludiques dans un récit didactique

brise le rythme de la visite; comme une porte

peut être mise hors de ses gonds, l’exposition

met le visiteur hors de ses façons de faire et de

penser habituelles. La prise de conscience de la

réalité, l’apprentissage de nouvelles connais-

sances, se fait sur deux modes: le ludique et le

didactique, qui, même contraires, deviennent

complémentaires. L’exposition est alors une in-

vitation au visiteur, une provocation dirait Tilden12, à vivre

autrement sa visite d’abord, son quotidien ensuite.

C’est la nature de l’objet muséal qui est mise en question

lorsqu’on fait d’un détritus, une œuvre d’art et d’un déchet voué

aux poubelles, un artefact qui sera logé à jamais au musée. C’est

la bonne façon de visiter une exposition qui est mise en cause

Mise en valeur technologique

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L’art au service de l’interprétation de l’environnement

Processus Expérientiels

• Sentir

• Prendre conscience de ses

sensations

• Intuition

• Évaluer ses intuitions

• Errance

Processus Conceptuels

• Savoir décider

• Transiger avec la matière

• Tirer parti des techniques

• Développer un savoir-faire

intelligent12 http://en.wikipedia.org/wiki/Heritage_interpretation; consulté le 15 mai2014.

Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

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lorsque, dans Mèches de cheveux/Hairdresser13, Roxane Cheibes

et Amélie Bruno-Longpré proposent au visiteur de prendre place

sous un séchoir de salon de coiffure avant de voir une vidéo de

type «bande dessinée» qui traite sur un mode humoristique de

l’effet polluant des produits cosmétiques dans l’eau. Par ailleurs,

au musée, toucher un artéfact du doigt, à plus forte raison s’assoir

dessus14, est chose strictement défendue. Enseigner avec humour

des choses importantes était, il y a peu encore, un accroc au

sérieux qui doit prévaloir dans un lieu de haut savoir.

L’exposition doit savoir inspirer : l’usager doit y trouver

ce qu’il doit faire et la résolution de le faire. De même qu’il a

appris des œuvres de l’exposition le pouvoir de l’esprit créateur,

de même il voudra mettre le sien en œuvre pour adopter des habi-

tudes respectueuses de l’environnement. L’exposition doit le con-

vaincre qu’il peut changer son sort et, conséquemment, contrer

le sort qui est fait à la planète. Qu’il prenne conscience du côté

sombre de la société de consommation est nécessaire mais qu’il

soit désireux de participer à l’œuvre collective, est essentiel ! La

participation à l’œuvre collective est déjà suggérée lorsque le

visiteur est invité à participer à l’œuvre qui clôt l’exposition en

ajoutant une touche de couleur (morceaux de ruban adhésif) au

Dessein15 collectif d’Isabel Vinuela16.

O.N.E. | Objets Non Enfouis est ainsi affaire d’exem-

plarité. Ce qui devient évident lorsqu’apparaissent à côté des

tenues, des objets donnés, entre autres, par Bernard Lemaire (une

boîte d’œufs en carton), (une pièce d’ordinateur), Hubert Reeves

(une pierre), Joé Juneau (un tapis d’exercice) et Margie Gillis

(un nid d’oiseau fait de mèches de ses cheveux)17. Un masque à

gaz rapporté de Corée par Jean-François Lépine ajoute au propos

de La robe de balles18, de Geneviève Flageol et de Geneviève

Dumas, qui évoque l’impact des conflits armés sur l’environ-

nement.

Chaque objet porte la signature de son donateur; il est

griffé comme le sont les robes de l’exposition et toutes celles d’un

atelier de haute-couture. Chaque objet-griffé représente le dona-

teur: il rappelle pourquoi il est connu et corrobore le propos de

l’ensemble dans lequel il est montré. Les objets-griffés rendent

l’exposition plus crédible encore. Ils ajoutent une dimension ému-

lation à chaque ensemble : comment ne pas suivre l’exemple

d’une personne aussi célèbre? Le faire, c’est un peu participer à

sa notoriété.

sur le plan technique et environnemental

Toutes les activités de la Biosphère visent à convaincre

ses visiteurs d’adopter des habitudes plus responsables à l’égard

de l’environnement. En conséquence, il était logique que tous les

créateurs d’O.N.E. | Objets Non Enfouis pratiquent eux-mêmes,

au moment de faire l’exposition, ce qu’ils proposeraient à ses

visiteurs.

L’art au service de l’interprétation de l’environnement

13 http://www.expoone.ca/expoone.html; consulté le 15 mai 2014.14 Note de l’éditeur; Denis Lavoie. Carnet de voyage. Musée Arlaten,mai 1981. 15 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dessein/24635?q=des-sein#24517.16 http://www.expoone.ca/expoone.html; consulté le 15 mai 2014.

17 https://www.mailoutinteractive.com/Industry/View.aspx?id=478268;consulté le 7 juin 2014.18 http ://www.ec.gc.ca/default.asp?lang=FR&n= Fr&n=8BCED24D-1#X-2013080714024817; consulté le 15 mai 2014.

Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

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K s’est procuré les objets qui ont servi à créer les tenues,

entre autres, dans un champ de tir (cartouches de fusil), un éco-

centre (lumières de Noël), un centre de tri pour les bouteilles et

canettes, des cimetières de voitures (banquettes de voitures acci-

dentées); suite à un appel à tous, elle a reçu du grand public les

1 200 piles du Maillot corrosif de Jennifer Bergeron LeCha et les

6 800 pots de pilules d’Ordonnance royale19 de Marie Line.

Les muséographes du collectif gsmprjct°, pour leur part,

ont voulu respecter les principes de l’éco-design au moment de

la conception du support de l’exposition: usage de matériaux plus

écologiques et réduction des déchets lors de la fabrication des

modules; conception de modules transportables à moindre coût

énergétique; fabrication de boîtes de transport qui devaient

d’abord servir de plates-formes aux montres. Toutes ces démar-

ches ont été portées à l’attention

du public visiteur; elles sont de-

venues un des éléments du mes-

sage même de l’exposition.

Conclusion

La Biosphère avait voulu

renouveler ses manières de faire

pour se démarquer des autres

institutions, médias et musées,

avec qui elle partage le même

champ d’intérêt. Le recours à des

artistes et à des artisans, a poussé

plus avant le parti-pris qu’elle

avait déjà adopté de mettre l’art

au service de l’environnement.

K et son équipe ont produit

une œuvre d’art dont les qualités

esthétiques, la rigueur scienti-

fique, l’habileté narrative (intégra-

tion du contenu et du contenant),

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L’art au service de l’interprétation de l’environnement

Mobilier d'exposition fait d'objets récupérés. 19 http://www.expoone.ca/expoone. html;consulté le 15 mai 2014.

Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

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servent bien les objectifs du Musée: renseigner le public sur les

grands enjeux environnementaux et lui proposer des façons

pratiques de vivre en éco-citoyen.

O.N.E. | Objets Non Enfouis devait d’abord profiter à un

public adulte, de jeunes adultes plus particulièrement. C’est ce

qui avait décidé du choix des œuvres – surprenantes; des textes

– concis, vidés de tout lieu commun. C'est ce qui avait décidé

aussi de la facture des vidéos au montage dynamique et à la bande

musicale très actuelle. Objectif atteint disent les statistiques

d’achalandage. Objectif dépassé puisque, à la surprise de beau-

coup, les enfants de 4-6 ans et ceux d’âge scolaire, filles et

garçons, se sont intéressés à ce qui intéressait les plus vieux. En

quittant, des garçons de 8 ans ont même proposé d’ajouter une

nouvelle tenue à l’exposition qui serait faite de rondelles et de

bâtons de hockey.

Le public ne serait pas le seul à apprendre d’O.N.E. |

Objets Non Enfouis. La Biosphère pourrait se renouveler en

faisant appel à des collaborateurs venus de l’extérieur du milieu

muséal habituel. Artistes et les artisans apportaient avec eux une

grande connaissance de leur médium et des façons de faire qui

allaient intéresser et influencer les interprètes du musée. A leur

tour, les artisans et les artistes sont repartis riches d’une expé-

rience vécue au service d’un organisme gouvernemental.

Énergique, convaincante, habile, K a mené le jeu avec

maîtrise et grande efficacité. Du scénario qu’elle et son équipe

ont réalisé, les interprètes de la Biosphère ont appris, entre toutes

choses, qu’il est possible, sans risquer de commettre une erreur,

de ne pas «tout dire» au visiteur, ni de «tout lui révéler». Il serait

ainsi souhaitable de suggérer plutôt que d’énoncer. Il serait même

profitable de laisser au visiteur de cheminer, physiquement et

intellectuellement, à son propre rythme, selon ce qu’il perçoit,

ressent et comprend de ce qui lui est montré.

Ce qui n’est pas rien.

L’art au service de l’interprétation de l’environnement Thérèse Baribeau et La Biosphère & K

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Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production Marcotte, Séguin et Trudel

Le moulin Légaré:

concilier interprétation, conservation et production

Léopoldine Marcotte

Chargée de projets en patrimoine

Mélanie Séguin

Directrice-générale

Martin Trudel

Assistant-meunier à la Corporation du moulin Légaré

Le moulin Légaré a été construit en 1762, sur les bords

de la rivière du Chêne; il devait servir à moudre les blés des cen-

sitaires de la seigneurie des Mille-Îles. En Amérique du Nord,

c’est le plus ancien de tous les moulins à farine qui fonctionnent

encore. Il a conservé ses meules d’origine; l’appareil qui les

actionne est de la fin du 19e siècle. Il porte le nom de la famille

Légaré qui en a été le propriétaire exploitant de 1907 jusqu’à son

acquisition par la municipalité de Saint-Eustache. Le moulin est

géré par un organisme sans but lucratif, la Corporation du moulin

Légaré1.

La Corporation

La Corporation est un producteur de farine: bon an, mal

an, elle moud quelques 40 tonnes de farine de blé et de sarrasin

qu’elle vend à des habitués et aux visiteurs du Vieux Saint-Eustache.

Le moulin est un économusée à sa manière: producteur de savoir,

Vue du moulin Légaré depuis la rivière du Chêne.

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1 www.corporationdumoulinlegare; consulté le 27 avril 2014.

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producteur de denrées. La farine qui est produite au moulin est

tout autant un artefact que ceux qui sont montrés dans les musées.

La Corporation est le conservateur d’un monument his-

torique classé (Québec) et d’un lieu historique national (Canada).

En bon intendant, elle doit assurer l’entretien de biens matériels

qui nécessitent des soins constants et coûteux. C’est ainsi que,

bientôt, elle draguera le bassin de retenue et réparera la digue

qui assure l’amenée de l’eau de la rivière jusqu’à ses turbines.

La Corporation est aussi le conservateur de biens immatériels:

les très anciennes pratiques du métier de meunier, apprises d’un

maître, transmise à un apprenti, menacées d’extinction, tombées

en désuétude à l’avènement des minoteries industrielles au

19e siècle.

La Corporation est l’interprète de biens patrimoniaux,

dont elle explique la nature, le sens et l’importance de sorte qu’ils

soient transmis aux générations à venir. Elle est tenue de respecter

rigoureusement l’intégrité des tous les biens qui lui ont été confiés.

Le projet - réconcilier les contraires:

Le moulin est un lieu et plusieurs à la fois: lieu du temps

présent et du temps passé; lieu de gestes anciens, lieu d’activités

contemporaines; lieu de conservation, lieu de production et

d’usure; lieu de commémoration et lieu de commerce; lieu d’ap-

prentissage aux choses sérieuses; lieu de loisirs, et des choses

légères. Il est aussi un lieu de grande immobilité, de celle qui

convient à un monument, mais aussi lieu de grande fluidité, celle

de l’eau qui passe dans les turbines, celle du flux des visiteurs

qui circulent à l’intérieur du moulin.

Dans leurs pratiques, les responsables de l’interprétation

doivent donc réconcilier ce qui semble être contraire. Les moyens

de communication qu’ils pratiquent tiennent, en conséquence, du

traditionnel et de l’innovateur.

La manière traditionnelle - l’objet:

Le bâtiment, est le personnage principal du récit des

guides-interprètes. C’est ce que viennent voir les visiteurs; c’est

ce qui les étonnera, leur donnera plaisir. C’est aussi ce qui leur ins-

pirera regret de ce qui se perd et inquiétude de perdre encore plus.

Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production

Salle d'exposition et entrepôt des grains.

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Le moulin est étagé en quatre espaces, chacun corres-

pondant à une étape de la production de la farine. L’étage des

turbines plongées dans l’eau de la rivière du Chêne; la chambre

des machines, où se trouvent les poulies, courroies et roues d’en-

grenage; l’étage de la moulange, au-rez-de-chaussée; et, sous les

combes, le grenier où sont entreposés les sacs de blé et de sarrasin.

L’eau de la rivière met en branle chacune des trois

turbines; chaque turbine actionne un mécanisme qui imprime le

mouvement à un appareil du rez-de-chaussée, meule ou nettoyeur

de grains. Le grain descend de l’étage jusqu’à la meule dans un

dalot que le meunier ouvre ou ferme à volonté depuis son poste

de travail.

La visite à l’objet

La visite est la principale activité d’interprétation sur le

site. C’est l’affaire d’un guide-interprète qui accueille les visi-

teurs, les conduit au cœur même du moulin où il raconte l’histoire

du bâtiment et décrit le processus de fabrication de la farine. Une

fois la présentation terminée, il les mènera observer le fonction-

nement des machines du rez-de-chaussée avant de les confier au

meunier qui expliquera ce qu’il est en train de faire, anecdotes et

faits vécus à l’appui.

La visite au moulin est une visite au meunier puisque

l’artisan est indissociable de son outil. Le meunier est l’artisan

de l’expérience du visiteur à part entière. À lui aussi, il revient

d’instruire le visiteur, de le divertir, et de le convaincre de trans-

poser dans son quotidien, les leçons qui lui sont faites.

Le visiteur souhaitait «voir un vrai moulin»: tout ce

qu’on lui présente est authentique. Il voulait apprendre «comment

ça marchait»; il est étonné qu’on lui montre «une machine en

marche».

L’expérience de visite

La visite au musée est affaire d’énonciation, de démons-

tration et d’appréhension d’une suite de gestes, du mouvement

de machines en marche et du résultat d’un processus: la farine.

Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production

Salle d’animation. Exposition Un moulin au fil de l’eau.

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L’expérience de visite est aussi proche qu’elle puisse

l’être de l’expérience vécue par les meuniers de jadis et leurs

clients. Le moulin se voit: ses salles, son mécanisme. Le moulin

s’entend: le bruit lourd des machines en marche. Le moulin se

sent: l’odeur âcre du grain que l’on broie. Le moulin se touche:

la poussière qu’on essuie de ses vêtements en sortant. Le moulin

se goûte: la farine qu’on achètera à la fin de la visite.

Le moulin fabrique une denrée, des connaissances mais

aussi des convictions. Au moulin, on se fait promoteur de l’achat

de produits locaux; on y invite aussi le visiteur à réfléchir à ses

(mauvaises) habitudes de consommation. Il faut ainsi œuvrer à

faire un usage responsable de notre environnement comme il faut

préserver les biens hérités des ancêtres.

Le moulin fabrique une expérience patrimoniale com-

plexe et contradictoire: le visiteur avec l’intention de participer

à la conservation de l’héritage matérielle et immatériel, mais aussi

avec l’inquiétude de ne pouvoir y réussir et le regret anticipé de

l’échec qui semble inéluctable.

Comme le goût de la farine à l’ancienne est meilleur que

celui de la farine du centre d’achat, comme le geste de l’artisan-

meunier est plus vrai et plus noble que celui des minotiers, ainsi

du présent qui est moins bon, moins vrai et moins noble que le

passé. Ce qui est fabriqué au moulin est donc le sentiment d’une

perte: perte appréhendée de ce qu’on veut conserver parce que

c’est l’ordre des choses, perte de la représentation d’un temps

passé qu’on idéalise volontiers et dont on sait, à la sortie d’un

lieu patrimonial, qu’il n’a jamais été.

Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production

Arrière de la maison du meunier et du moulin suite aux travaux de restauration.

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La manière moins traditionnelle: les machines électroniques

Le moulin est bruyant, le moulin est poussiéreux; le

moulin est exigu, certaines pièces sont inaccessibles. La Corpora-

tion, par contre, est tenue de se faire entendre de tous également.

Tout près de ses anciennes machines, elle en a installé des machines

bien contemporaines pour y arriver.

Marcotte, Séguin et Trudel

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Acquisition et transmission du savoir

Le moulin est une fabrique de connaissances; ce qu’en-

seignent les interprètes doit être rigoureusement exact. Ils vont

chercher le matériau de leurs présentations en consultant les

archives que la Corporation a compilées depuis sa fondation.

Les copies des actes notariés les renseignent sur le bâti-

ment, sa construction, les modifications et les réparations qu’on

y a effectuées; elles disent encore les relations houleuses entre

les propriétaires du moulin et les meuniers qu’ils ont embauchés.

Les documents judiciaires rapportent les litiges entre les proprié-

taires et leurs voisins, à la suite de l’inondation de leur propriété

par exemple. Les articles de journaux anciens et les procès-

verbaux des délibérations du Conseil municipal permettent de

retracer l’histoire du moulin et de ses meuniers.

Les fouilles archéologiques effectuées à l’occasion des

travaux de réfection des murs du bâtiment, ont occasionné la

découverte d’artéfacts qui témoignent de la vie quotidienne et,

surtout, des techniques de construction en vigueur au cours des

siècles derniers.

Les résultats des travaux des étudiants en patrimoine

ethnologique de l’Université Laval ont été intégrés au programme

audio-visuel du moulin. L’équipe du professeur Laurier Turgeon

(Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique) a

déposé aux archives de la Corporation, une banque de données

portant sur la pratique du métier de meunier.

Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production

Un grand écran a été placé dans l’espace où s’assoient les

participants à la visite guidée. L’écran est connecté à un ordinateur

où sont stockés des fiches thématiques, des extraits de films et de

vidéos que le guide-interprète utilisera pour illustrer le propos.

Sous des titres plus accrocheurs, les mêmes données ap-

paraîtront sur l’écran d’une borne tactile munie de trois écouteurs.

Chaque programme présente ce qui ne peut être visité,

ce qui ne sera pas démontré en l’absence du meunier et ce qui

n’est pas entendu lors d’une visite sans guide-interprète. Passé et

présent, machines nouvelles et machines anciennes cohabitent

sans trop de heurt.

Marcotte, Séguin et Trudel

Maître et apprenti en discussion lors du piquage des meules.

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Le moulin illustre les pratiques d’un art qui se transmet

d’un maître à son apprenti. Daniel St-Pierre, le meunier du

moulin, tient son art de Philippe Légaré qui le tenait de son père

et de son grand-père. À son tour, Daniel St-Pierre transmet le sien

à Martin Trudel, son assistant. Chacun a profité du savoir de

Roland Tétrault, meunier à la retraite à Upper Canada Village et

piqueur de meule émérite. Tous les deux ont fait, en quelque sorte,

un «Tour des moulins du Québec», lorsqu’ils ont visité, l’un les

moulin de Saint-Roch-des-Aulnaies, des Éboulements, de l’Île-

Perrot; l’autre ceux de Kamouraska, des Éboulements, de la

Rémy et de l’Île-aux-Coudres.

Tous ces savoirs et toutes ces pratiques se retrouvent

dans les programmes d’animation scolaire du moulin de même

que dans le scénario de visites guidées du Vieux St-Eustache2.

Le moulin au village

Le moulin fait partie d’un ensemble

de lieux patrimoniaux dont la Corporation fait

la promotion et l’interprétation: l’église parois-

siale (1783): la maison Chénier-Sauvé et ses

jardins; le manoir Globensky tous situés dans le

Vieux Saint-Eustache.

Le Vieux Saint-Eustache, en toutes

saisons, est un lieu de festivités: Arts en fête,

fête du 24 juin, épluchette de blé d’inde, fêtes de

quartier, Festival de la galette et des saveurs du

terroir. Le moulin est un monument autour du-

quel les gens de la communauté se rencontrent.

Il est facteur d’appartenance à une

communauté; il est aussi un point de repère dans

l’espace et le temps des jours ordinaires et ex-

traordinaires. Le moulin appartient à la commu-

nauté; le savoir qu’on y trouve est la propriété

Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production

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Maison de la culture et du patrimoine (Manoir Globensky). Exposition Saint-Eustache: entre urbanité et ruralité. 2 www.vieuxsainteustache.com; consulté le 25 avril 2014.

Marcotte, Séguin et Trudel

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Page 32: Interprétation; parcours et pratiques particulières aux ... · Revue AQIP tomme 2/mai 2014_Mise en page 1 14-07-16 11:53 Page 1. 2 AQIP Équipe éditoriale: ... L’équipe de rédaction

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des gens de la communauté. Il est important qu’ils en aient la

pleine jouissance sans qu’il y ait de réticence de leur part à le

réclamer, sans qu’il y ait réticence à le rendre de la part de ceux

qui le conservent.

La Corporation se propose d’intensifier ses rapports

avec sa clientèle de proximité, non seulement pour assurer sa

présence au moulin mais pour l’aider à redéfinir ses programmes.

Les projets immédiats

Le moulin se tire bien d’affaires; sa production de farine

est stable et n’augmenterait qu’à trop grand coût pour son

personnel et ses machines; son programme d’entretien et de

restauration de ses bâtiments se poursuit; son importance patri-

moniale et ses activités lui ont valu la bienveillance des ins-

titutions subventionnaires; son taux de fréquentation est stable.

Un chargé de projet sera bientôt embauché pour mettre ses

programmes à jour. Toute programmation, si bien reçue soit-elle,

mérite restauration pour en contrer l’usure.

Le moulin devra évaluer son offre de service et la mo-

difier pour y intégrer les résultats de ses recherches sur l’histoire

du site et de ses enquêtes sur les besoins de la communauté. La

population sera consultée soit directement, soit par l’entremise

de ses représentants, groupes communautaires, organismes

culturels et enseignants qui ont mission de transmettre le savoir

et les valeurs assurant la continuité de la communauté. Son équipe

d’interprètes participera de près à l’exercice.

Le moulin Légaré: concilier interprétation, conservation et production

La tradition, le patrimoine immatériel

Le moulin poursuivra son inventaire des techniques et

des pratiques du métier de meunier. Plus qu’auparavant, ses

programmes seront élaborés à partir de l’idée de tradition, l’acte

de transmettre d’une génération à une autre: transmission du

savoir d’un maître à son apprenti, transmission du savoir d’un

guide-interprète à son auditoire et transmission du savoir de l’ins-

tituteur à ceux qu’il enseigne.

Ils lui permettront de concilier, par la force du discours,

le tangible et l’intangible et de révéler la noblesse et la beauté

d’un geste ancestral.

Marcotte, Séguin et Trudel

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Le Saint-Laurent en direct! Busque, Gagnon, Rodrigue et Roy

Le Saint-Laurent en direct! : une façon originale de faire de l’interprétation au parc marin du Saguenay-Saint-Laurent

Valérie Busque

agente, promotion et médias non personnalisés, Parcs Canada

Stéphanie Gagnon

directrice aux opérations, biologiste, Explos-Nature

Angelle Rodrigue

gestionnaire de l’expérience du visiteur, Parcs CanadaStéphane Roy

chef d’équipe, services aux visiteurs, Parcs Canada

Les régions marines et leur conservation

Les océans recouvrent une grande partie de la planète;

ils contribuent au bien-être de ses habitants et à leur survie. Ils

étaient un réservoir de richesses qu’on pensait inépuisables; ils

sont aujourd’hui gravement menacés. Les régions marines et

côtières ont joué un rôle déterminant dans l’histoire du Canada;

elles occupent encore une place prépondérante dans l’économie

d’un pays dont la devise est : «Ad Mare Usque ad Mare».

Soucieux de témoigner de cette importance, le gouver-

nement canadien a institué le Réseau d’aires marines nationales

de conservation qui, une fois complété, comprendra 29 de ces

lieux d’exception1. Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent est

la seconde aire marine qui ait été créée.

1 http://www.pc.gc.ca/fra/progs/amnc-nmca/pr-sp/index.aspx; consultéle 15 mai 2014

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Le parc occupe une superficie de 1 245 km2 ; il est géré

conjointement par le Gouvernement du Canada (Parcs Canada)

et par le Gouvernement du Québec (Parcs Québec)2. Le parc a

mission de rehausser le niveau de protection des écosystèmes

d’une partie représentative du fjord du Saguenay et de l’estuaire

du Saint-Laurent aux fins de conservation3. Il doit servir à des

fins scientifiques, éducatives et récréatives.

Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent est réputé

pour la beauté de ses paysages et la richesse de l’écosystème

qu’il protège. Situé là où les eaux douces du Saint-Laurent et du

Saguenay se mêlent aux eaux salées provenant du golfe, c’est un

lieu exceptionnel sur le plan écologique. Le plancton animal qui

s’y trouve en abondance attire quantité de poissons et leurs pré-

dateurs, oiseaux, phoques et baleines. Des centaines d’espèces

végétales et animales y ont été répertoriées dont au moins 5 es-

pèces de cétacés qui viennent s’y alimenter à chaque été.

C’est aussi un lieu exceptionnel pour les interprètes et

animateurs qui y exercent leur métier. Un circuit marin les con-

duit au large pour y observer les baleines, par exemple. Un circuit

terrestre compte plus de vingt sites riverains qui mettent en valeur

le patrimoine naturel et culturel du lieu. Gérés par des organismes

gouvernementaux ou privés, ces sites sont regroupés dans le

Réseau découverte du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent4.

Parcs Canada gère trois de ces sites dont un, le Centre de décou-

2 http://www.sepaq.com/pq/ssl/; consulté le 15 mai 2015.3http://www.pc.gc.ca/fra/progs/amnc-nmca/ pr-sp/index.aspx; idem.4 http://www.pc.gc.ca/fra/amnc-nmca/qc/saguenay/activ/activ1.aspx; ibi-dem.

5 http://www.pc.gc.ca/fra/amnc-nmca/qc/saguenay/natcul/natcul3.aspx; ib.

verte du milieu marin5, présente une activité toute particulière:

«Le Saint-Laurent en direct!»

Une randonnée particulière

La randonnée en compagnie d’un guide-interprète est

l’activité qui est associée le plus souvent à un lieu du patrimoine

naturel; l’interprétation d’un milieu naturel est d’abord l’obser-

vation des éléments d’un écosystème là où ils se trouvent. C’est

chose plus difficile dans un parc marin: la plupart des ressources

qui justifient son existence se retrouvent sous la surface. «Le

Saint-Laurent en direct!» est une adaptation ingénieuse de la

randonnée traditionnelle là où elle n’est pas possible.

Le Centre de découverte du milieu marin est situé aux

Escoumins, sur la Côte-Nord, à quelques 35 kilomètres de

Tadoussac. Les fonds marins, à cet endroit, sont reconnus des

plongeurs comme étant parmi les plus beaux d’Amérique du

Nord. Parcs Canada propose aux visiteurs du Centre de découvrir

la faune et la flore de l’Estuaire sans se mouiller.

Assis devant un écran qui est installé à l’intérieur du

Centre, dans une salle de 73 places, les participants à l’activité

accompagnent un plongeur-interprète dans sa randonnée sous-

marine. L’expé-rience qui était réservée jusqu’alors à un petit

nombre, les amateurs de plongée, devient ainsi accessible à tous.

Le Saint-Laurent en direct! Busque, Gagnon, Rodrigue et Roy

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L’usage judicieux de la technologie

Les images des fonds marins sont transmises depuis une

caméra insérée dans un caisson étanche. Cette caméra est reliée

par un câble de 250 mètres à la salle de projection. Des pro-

jecteurs sont fixés au caisson. Le plongeur porte un masque qui

lui couvre le visage en entier. La bouche dégagée, il peut alors

communiquer avec les spectateurs à l’aide d’un microphone et

d’écouteurs fixés à l’intérieur de son

masque. Le plongeur peut ainsi commenter

ce qu’il transmet, répondre aux questions

des gens de la salle ou s’approcher à leur

demande de ce qu’ils viennent d’aperce-

voir en cours de balayage de la caméra.

Le visiteur cesse ainsi d’être un specta-

teur; il devient, pour peu qu’il le veuille,

un participant.

L’équipe d’interprétation

L’équipe du Saint-Laurent en di-

rect ! est composée de cinq personnes:

trois plongeurs, un chef de plongée et un

chef de mission.

Le plongeur-caméraman et le

plongeur-interprète mènent la randonnée;

un troisième plongeur reste en surface

prêt à se porter à leur rescousse en cas

d’un accident toujours possible. Le chef

de plongée est responsable du maniement du câble qui relie la

caméra aux appareils de la salle de projection. Il assure la sécurité

des plongeurs et les rappelle si les conditions météoro-

logiques (orages et foudre, tempête et fortes vagues), les mettaient

en péril. C’est lui qui met un terme à la randonnée.

Le chef de mission, l’interprète de surface, reçoit les

visiteurs dans un amphithéâtre aménagé sur la berge, à quelques

mètres du fleuve. Il les prépare à l’expérience qu’ils vivront et

Le Saint-Laurent en direct! Busque, Gagnon, Rodrigue et Roy

Chef de mission à l'amphithéâtre, en début d'activité

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présente l’équipe de plongée au moment

de la vérification des appareils et de

l’équipement. Il les conduira à l’intérieur

du Centre, dans la salle de projection où

il poursuivra sa présentation jusqu’à ce

que les plongeurs arrivent sur les lieux à

visiter.

La présence du chef de mission est

importante au bon déroulement de l’ac-

tivité. C’est lui qui mène le jeu, assure

la communication entre plongeurs et

participants et, advenant un (bris) de

transmission, poursuit la présentation

jusqu’au retour de l’image. Comme tout

interprète, c’est un vulgarisateur compé-

tent, un improvisateur alerte et un anima-

teur attentif à ses interlocuteurs.

Les conditions de l’interprétation

Le succès du Saint-Laurent en direct!

dépend du savoir et du savoir-faire de

toute l’équipe d’interprétation. Les

plongeurs doivent être en bonne forme

physique puisque, hors de l’eau,

l’équipement qu’ils portent est lourd.

Caméraman et interprète doivent bien

connaître la structure narrative de l’activ-

Le Saint-Laurent en direct! Busque, Gagnon, Rodrigue et Roy

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Vérification du bon fonctionnement de l'équipement avant la plongée

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ité: recherche d’un organisme, captation par l’image, identifica-

tion et bref exposé sur ce qui est vu avant de laisser la parole à

l’interprète en salle qui ajoute à leur explication. Tout au long de

l’activité, les plongeurs doivent retenir l’attention d’un auditoire

dont ils ne peuvent lire les réactions comme le ferait un guide-

interprète durant une randonnée terrestre.

Le plongeur-caméraman doit faire face à des conditions

de plongée qui ne sont pas toujours favorables: marées, courants

marins changeants qui empêchent la prise d’une image stable,

plancton trop abondant qui occupe toute l’image, froid (4 degré

Celsius) qui vient à diminuer, en fin de plongée, sa capacité à

manier la caméra avec dextérité.

L’activité

Le Saint-Laurent en direct! est à l’affiche en haute sai-

son seulement, quatre fois par semaine, à raison d’une prestation

par jour. Une prestation dure 60 minutes environ dont 10 minutes

sont consacrées respectivement à l’introduction sur la grève et à

la conclusion en salle et, 40 minutes, à la visite sous-mer. Durant

le Festival marin des Escoumins qui a lieu à la fin de l’été, l’ac-

tivité est présentée le soir : il est alors possible d’observer des

phénomènes de bioluminescence, et d’observer le zooplancton et

les bancs de poissons attirés par la lumière des lampes.

Pas moins de 15 organismes font l’objet d’une présen-

tation au cours d’une randonnée. La prestation des plongeurs,

toute didactique, est allégée par des balayages de caméra sur le

paysage environnant et par une courte session de questions que

posent les gens de la salle.

Le Saint-Laurent en direct!

Plongeur-caméraman

Busque, Gagnon, Rodrigue et Roy

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Les plongeurs couvriront un périmètre de la grandeur

d’un terrain de tennis; ils descendront jusqu’à 15 mètres de pro-

fondeur. À mesure qu’ils s’éloignent de la rive, ils rencontreront,

dans les 3 premiers mètres de profondeur, des algues et des

moules bleues, des littorines rugueuses et des papillons de mer;

plus bas, jusqu’à 5 mètres, des étoiles de mer polaires, des crabes

araignées et des oursins verts qui broutent

tout ce qui y pousse; plus bas encore,

jusqu’à 15 mètres, des invertébré - soleils

de mer épineux, anémones, concombres de

mer, éponges, framboises de mer et des

vertébrés - stichée arctique, petite poule de

mer atlantique, crapaud de mer. À cette

profondeur, il arrive de rencontrer des loups

atlantiques, des morues de roche et des

sébastes acadiens.

L’expérience qui s’offre aux visi-

teurs est inattendue et spectaculaire. Elle est

d’ordre sonore: commentaires des plongeurs,

bruit de leur respiration, bruissement de

l’eau lors de leur déplacement. Elle est

surtout visuelle: mouvement, formes et

couleurs: rose des algues coralines qui

couvrent le fond et rouge, rouge pourpré,

orangé, mauve des organismes qui y vivent.

L’expérience sollicite d’abord les sens des

participants; elle fait appel à leur raison (la

logique du récit des interprètes) mais aussi

leurs émotions: surprise, étonnement et,

souvent, émerveillement. La convergence

de tous ces facteurs fait de la visite un mo-

ment qui restera gravé dans la mémoire des

participants.

Le Saint-Laurent en direct!

Chef de plongée, aide et plongeurs

Busque, Gagnon, Rodrigue et Roy

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Ce qu’il faut en tirer

La règle d’or du métier veut que tout interprète réponde

aux besoins et aux attentes du visiteur, quels qu’ils soient. Ce qui

lui est donné à voir et entendre doit lui paraître authentique. Ce

qui lui est présenté, doit l’être de façon dynamique et engageante.

Ce qui lui est transmis, matière et manière, doit lui sembler inédit.

Les activités plus traditionnelles (randonnées, exposi-

tions, démonstrations), se retrouvent partout dans le réseau de

Parcs Canada: elles sont reconnues par tous les usagers, attendues

et prévisibles – ce qui fait leur efficacité. Des façons plus inha-

bituelles de transmettre des connaissances y ont aussi cours – ce

qui répond encore plus que les autres au besoin de nouveauté chez

le visiteur.

C’est ce que fait «Le Saint-Laurent en direct!» qui est

affaire de technologie toute nouvelle mais qui reprend à bon

escient les pratiques éprouvées de l’observation directe et de la

communication personnalisée.

L’activité devait s’adresser aux usagers habituels des

parcs naturels. Au Centre de découverte du milieu marin, elle a

aussi attiré des visiteurs qu’on n’y avait pas encore vus: les gens

curieux de technologie et les amateurs de plongée sous-marine.

«Le Saint-Laurent en direct!», et tout ce qui est offert au Centre,

leur a permis de découvrir, de comprendre et d’apprécier un lieu

exceptionnel. Ce que le visiteur a appris et ressenti, ce qu’il a

compris au contact du lieu, a pu lui inspirer un sentiment

d’attachement à ce lieu et susciter chez lui le désir de faire siens

les efforts consentis pour le conserver.

C’est ainsi que le discours de l’interprète se transforme

en engagement chez celui qui le reçoit.

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Cité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle Laure Barrachina

Cité historia au Sault-au-Récollet :

le choix de la médiation culturelle

Laure Barrachina

Médiatrice culturelle, Cité historia

Le village du Sault-au-Récollet fait partie de l’arron-

dissement Ahuntsic-Cartierville, à Montréal. Il est situé sur la rive

sud de la Rivière-des-Prairies.

Son histoire est très ancienne: en 1625, un père récollet

s’y noye au passage des rapides qui s’y trouvent (un rapide se dit

un «sault» en ancien français); en 1696, les Sulpiciens, seigneurs

de l'île de Montréal, y établissent une mission amérindienne; un

voyageur suédois décrit, en 1749, le mécanisme d’un des trois

moulins qu’ils y ont fait construire1.

Maison du meunier

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1 Voyage de Perh Kalm au Canada; folio 870, 25 septembre 1749;http://www.biographi.ca/fr/bio/kalm_pehr_4F.html; consulté le 29 avril2014.

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Son patrimoine bâti est remarquable; l’église de la Visi-

tation date du 18e siècle (avec augmentation au siècle suivant).

Plusieurs résidences du village sont du 19e siècle. Les premiers

moulins servaient déjà les censitaires en 1726. L’aspect du village

n’a cessé de changer tout au long du 20e siècle2.

Les résidences et autres bâtiments du Village illustrent

l’évolution de l’architecture religieuse, industrielle, résidentielle

et commerciale du Québec; les ruines des moulins évoquent les

machines qui, de la roue à aube des moulins à farine aux turbines

des barrages, ont servi à transformer le courant d’un cours d’eau

en énergie motrice.

Le parc-nature de l’Île-de-la-Visitation qui occupe la

rive sud de la rivière, est un des plus agréables du réseau des

parcs-nature montréalais3.

Cité historia

C’est à Cité historia, un organisme sans but lucratif, que

les autorités de la Ville de Montréal ont confié en 1998, la mise

en valeur du lieu4. Rendre justice à l’histoire et au patrimoine

s’est avéré une tâche à la fois complexe et passionnante. L’ex-

périence vécue par Cité historia ces dernières années mérite d’être

connue de ceux qui, comme l’organisme, doivent mettre leurs

pratiques à jour.

Cité historia présente ses activités dans les rues du vil-

lage, dans les sentiers du parc et dans deux bâtiments, la maison

du Pressoir (1806) qui abrite le Musée du Sault-au-Récollet et la

maison du Meunier (1726). Le rez-de-chaussée de la maison du

Meunier est occupé par le Bistro des moulins qui est géré par

l’organisme. L’étage est réservé à l’animation des programmes

éducatifs et culturels que Cité historia présente en haute saison.

Laure Barrachina

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Jeux

2 http://patrimoine.ville.montreal.qc.ca/inventaire/fiche_zone.php?&id=1031; consulté le 29 avril 2014.3 http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=7377,91013574&_dad=portal&_schema=PORTAL; consulté le 29 avril 2014.4 http://www.citehistoria.qc.ca/; consulté le 29 avril 2014.

Cité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

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Le parti-pris d'animation original: plaisir et immersion

Dès sa création, Cité historia a placé le plaisir du visiteur

au cœur de son dispositif de mise en valeur. On voulait enseigner

en amusant: le plaisir rendrait l'apprentissage plus facile.

L’organisme privilégierait le jeu dans ses activités: jeux

destinés aux groupes scolaires, jeu des animateurs-comédiens

vêtus de costumes d’époque qui menaient les visiteurs d’un lieu

à un autre, d’un décor à un autre, en interprétant des personnages

historiques. On faisait alors le pari que le jeu donnerait vie au

passé et que le passé en représentation serait moins ennuyant

que celui des autres lieux patrimoniaux. Toute activité sur le site

serait moins affaire d’énonciation (de faits) que d’immersion et

d’atmosphère.

Le jeu, les joueurs

C’est ainsi qu’on a reconstitué à l’étage de la maison du

Meunier, le décor d’un magasin général où étaient présentées des

marchandises – objets authentiques ou fac-similés ainsi que des

denrées alimentaires (collation, bonbons, farine) qui pouvaient

être achetées par les visiteurs. C’était un commis qui recevait le

visiteur. Le visiteur devait être plongé dans l’atmosphère d’un

passé mis au temps présent.

En haute saison, un garde-moteur (un conducteur)

menait la visite à bord d’un train-balade reproduisant un tramway

des années 1920. Des personnages tirés de l’histoire de la Nou-

velle-France et parlant la parlure de l’époque, animaient les

visites du village et du site des moulins ainsi que les soirées de

contes.

Les programmes scolaires invitaient les enfants à

«voyager dans le temps». Les animateurs menaient des jeux qui

évoquaient ce qui était appris en classe. Un jeu de tague, par

exemple, illustrait la course aux fourrures et une chasse au trésor,

le fonctionnement des moulins.

Les animateurs embauchés pour jouer ces personnages

n’avaient pas tous une formation en histoire même s’ils démon-

traient un intérêt certain à l’endroit de la matière première de leur

prestation. Ils devaient d’abord jouer un rôle, ils étaient choisis

en conséquence.

Limites et dérives d'un parti-pris

Ces activités ont fait plusieurs années durant le plaisir

des visiteurs et le succès de Cité historia. Toutefois, dix ans après

leur mise en train, la fréquentation commençait à diminuer et les

animateurs, à s’essouffler. L’organisme avait du mal à mettre

à jour son offre de service. Si les expositions restaient très

fréquentées, c’est parce qu’elles se trouvaient à l’entrée du parc;

les programmes éducatifs l’étaient de moins en moins et la tenue

de certaines activités culturelles avait dû être annulée, faute de

participants.

On s’était beaucoup investi à divertir le visiteur et on

avait moins réussi à l’instruire. On avait voulu faire moins en-

nuyeux, on avait offert des activités ludiques. On voulait divertir,

on faisait diversion. Ce qui était donné à l’attention du visiteur

n’était pas un objet devant lequel l’animateur s’effacerait mais

un comédien occupant un décor où il prenait toute la place. Ce

qui était mis en scène n’était plus un récit à teneur historique mais

une prestation théâtrale à trame historique.

Laure BarrachinaCité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

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Une correction s’imposait; l’occasion

s’en est présentée, en 2011, lorsque Cité historia

a embauché à plein temps un médiateur culturel

qui remplacerait le responsable de l’animation. Il

y avait eu dérive; le médiateur serait chargé de

corriger le cap. Il devait évaluer la situation, cor-

riger les anciens programmes ou en concevoir,

planifier et réaliser de nouveaux.

L'exposition: le magasin-général

À la maison du Meunier, les règles de

l’exposition immersive n’étaient plus respectées.

On y entrait tout autant pour chercher les toilettes,

des renseignements sur le parc, des victuailles

pour son lunch que pour participer à une activité

patrimoniale. L’apparition de cartels à côté des

artéfacts du magasin général rompait le charme

du parti-pris immersif.

L’animateur qui recevait les visiteurs

vêtu en commis, était remplacé à l’occasion par

une bourgeoise en chapeau fin du 19e siècle ou

par un préposé à l’accueil en habit contemporain. Ni l’un ni

l’autre n’était à sa place.

La visite en train-balade

La visite en train-balade faisait les beaux jours de Cite

historia mais le garde-moteur avait été remplacé par le curé du

Sault, Jean-Jacques Vinet, décédé en 1895, juste avant l’arrivée

des tramways au village. L’auditoire pouvait bien se divertir à la

prestation de l’animateur-comédien, réputé pour son humour

caustique mais, à force d’invraisemblances, d’anachronismes et

d’embrouillaminis chronologiques, l’histoire perdait au compte.

Laure Barrachina

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Maison du Pressoir

Cité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

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Les programmes éducatifs

Lors de très rares sondages, des enseignants avaient

regretté la pauvreté, sur le plan historique, des activités scolaires.

Les jeux destinés aux élèves du primaire avaient perdu, avec le

temps, tout intérêt pédagogique : sans explication en début ou en

cours de jeu, le jeu de tague ou la chasse au trésor n’étaient plus

que cela: des jeux. Avec le temps, la dimension historique s’était

perdue.

Corriger le cap:

l’inventaire de la clientèle

Si Cité historia espérait retrouver sa clientèle, il lui

faudrait prendre en compte que le lieu est éloigné des grands

circuits touristiques montréalais, qu’il est mal desservi par les

transports en commun et mal identifié sur les panneaux des prin-

cipaux axes routiers. Par contre l’organisme pouvait compter sur

les nombreux promeneurs du parc de l’Île-de-la-Visitation et sur

les clients du Bistro, attirés par une des cinq plus belles terrasses

de Montréal.

L’organisme pourrait refaire sa clientèle en sollicitant

les résidents de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville; les occu-

pants des maisons de retraite des environs; les familles immi-

grantes qui fréquentent volontiers le parc durant les fins de

semaine, et les enseignants des écoles du quartier qui trouveraient

à proximité une alternative à des sorties scolaires plus coûteuses.

Laure Barrachina

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Localisation et plan du site

Cité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

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La formation des animateurs

Les animateurs sont les principaux intermédiaires entre

Cité historia et ses visiteurs. Il était important qu’ils aient tous

les outils nécessaires pour effectuer leurs tâches avec compétence

et rigueur. Le médiateur a recommandé la refonte du programme

de formation des saisonniers de Cité historia.

Anciens et nouveaux employés bénéficient dorénavant,

en début de saison, d’une session de formation de trois jours. Au

programme, théorie (notions d’histoire et de géographie relatives

au site, techniques d’animation et lecture des scénarios des pro-

grammes en vigueur), et pratiques (observation de la prestation

d’un animateur, participation en doublon à une activité menée par

un animateur d’expérience, prestation de sa propre activité avec

évaluation de la performance par un pair en fin d’activité).

Le nouvel employé peut suivre l’exemple des plus an-

ciens et compter sur leurs conseils en cours de saison. Les bonnes

pratiques s’apprennent au contact de ceux qui les maîtrisent bien.

La création d’un centre de documentation virtuel

Les prestations des animateurs devaient être plus

efficaces, plus respectueuses des données historique et plus uni-

formes d’une journée à l’autre, d’un animateur à l’autre.

En conséquence, Cité historia a mis de l’ordre dans tous

les documents qu’elle avait colligés au cours des années. Certains

de ces documents se retrouvent dans la bibliothèque virtuelle

que les animateurs peuvent consulter en tout temps. L’organisme

s’est ainsi constitué une mémoire d’entreprise; ses animateurs y

retrouvent des références historiques (photos de maisons ancien-

nes, fiches documentaires) et de pratiques (règles des jeux,

canevas de contes et scénarios/synopsis des activités offertes dans

le passé). Leurs prestations ont gagné en assurance; leur propos,

en rigueur et l’ensemble des activités, en cohérence.

Bien formés, mieux informés, les animateurs de l’orga-

nisme peuvent assumer avec compétence leur rôle d’intermé-

diaires entre l’organisme et ses clients; entre leur auditoire et les

historiens dont ils sont les porte-parole; et entre les gens du

présent et ceux du passé qui se rappellent à leur souvenir dans les

traces matérielles qu’ils ont laissées.

La mise à jour des programmes

Prenant le parti de la rigueur, Cité historia allait corriger

ses écarts aux bonnes pratiques de la mise en valeur patrimoniale

sinon pour augmenter sa clientèle, du moins conserver celle qu’il

avait déjà.

Le magasin général perdait ses clients; on l’avait déjà

fermé au moment de l’embauche du médiateur et l’étage de la

maison servait depuis à recevoir les groupes scolaires. L’agent

d’accueil qui y tenait le rôle de commis est devenu un animateur

historique qui va à la rencontre des visiteurs là où ils se trouvent,

parmi les promeneurs du parc et les clients du Bistro.

L’animation historique et la visite en train

A chaque semaine, en haute saison, l'animateur conduit

dorénavant des visites guidées au parc, au village et à l’église, et

au du site des moulins. L’animateur avait occupé trop de place

Laure BarrachinaCité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

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par le passé; ce serait maintenant à l’objet patrimonial de se

trouver au cœur des trois parcours offerts au public.

À chacun de ces trois parcours, un récit particulier: lors

de la promenade dans les sentiers du parc, l’histoire naturelle

d’un lieu redonné à la nature; lors de la visite aux ruines des

moulins, l’histoire de la technologie hydraulique; lors de la visite

aux maisons du village, l’histoire du Sault-au-Récollet, à toutes

les époques.

À chaque visiteur, le soin de choisir un parcours qui lui

convienne. A tous les parcours, des éléments communs mais, à

chaque parcours, des éléments spécifiques qui éviteront la redon-

dance à celui qui voudrait suivre tous les trois.

On porte encore le costume d’époque à Cité historia;

l’organisme n’allait pas remiser au vestiaire ce qui, dans le passé,

lui avait bien réussi. C’est ainsi que le garde-moteur (le conduc-

teur de tramway)est revenu à bord du train-ballade; il a hérité du

curé qui s’y trouvait un ton humoristique. On porte le costume

là où c’est pertinent: au moment d’interpréter des contes, par ex-

emple. Ailleurs, les guides-interprètes portent un chandail aux

couleurs de la Ville de Montréal et de l’organisme.

Les activités pédagogiques

Une nouvelle activité scolaire est désormais proposée

qui exploite le site des moulins pour couvrir deux aspects du pro-

gramme de formation du primaire: l’univers social et les sciences

et technologies.

L'activité «Turbines et manivelles» se déroule en trois

temps. Un premier, à la maison du Meunier, au cours duquel les

enfants apprennent le rôle du moulin dans le système seigneurial

en plaçant sur une carte des modules aimantés qui représentent

les différentes composantes de la seigneurie (chemin, église,...)

puis, à l’aide d’une trousse, les céréales qu’on cultivait en

Nouvelle-France, et l’usage qu’on faisait de la farine dans le

régime alimentaire du temps. Un second, sur le site des moulins,

au cours duquel les enfants abordent l’aspect plus technologique

de la meunerie en manipulant des machines simples servant à

broyer le grain (engrenage, sens de la rotation, rapport entre

chacune des parties de l’engrenage). Un troisième, à la Maison

du meunier, où ils reviennent construire un moulin avec des blocs

d’un jeu de construction.

Un nouvel outil: l’application mobile «Destination Sault»

À l’été 2013, Cité historia a ajouté à son dispositif de

communication des circuits géo-référencés auxquels le visiteur a

accès en téléchargeant sur son portable l’application «Destination

Sault»6.

«Destination Sault» propose sept parcours de visite –

trois parcours chronologiques, trois parcours thématiques et un

parcours en visite libre au cours duquel le visiteur s’arrête devant

un des 30 lieux où le mène sa promenade. Le programme reprend

essentiellement le propos des visites guidées. Il s’adresse à la

même clientèle mais présente l’avantage d’être disponible, en tout

temps du jour et en toutes saisons, en hiver surtout.

Laure BarrachinaCité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

6 http://www.citehistoria.qc.ca/application-mobile.html; consulté le 29avril 2014.

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Chaque lieu fait l’objet d’une fiche composée d’un texte

et d’illustrations. Certaines de ces illustrations reconstituent des

éléments disparus du site et leur contexte. C’est ainsi que les

clients du Bistro apprendront qu’ils sont assis là où se trouvaient

les engrenages du moulin à farine et que les meules à grain étaient

situées au-dessus de leur tête.

Bilan

Les outils proposés par le médiateur ne sont pas nou-

veaux; ils n’en sont pas moins efficaces.

Ses choix dépendent de plusieurs facteurs très connus.

Le champ patrimonial, si riche, si varié dit-on, est celui du

manque et de la pénurie. C’est ainsi que la conception et la mise

en place de programmes destinés à la clientèle de proximité

sont en suspens – faute de revenus pour embaucher du personnel

d’animation à l’année longue, faute de temps, en haute saison,

quand le personnel est tout occupé aux programmes culturels et

aux camps de jour.

Le résultat des choix d’un médiateur, à défaut d’éva-

luation formelle, peuvent être constatés à l’achalandage d’une

activité ou aux remarques entendues en fin de visite. Mais tout

médiateur compétent le sait: les résultats tardent toujours à venir.

Tout pressé qu’on soit de se raccommoder avec sa clientèle, il

faut donner le temps au temps.

Certains des nouveaux programmes de Cité historia

donnent bien d’autres seront corrigés après usage. Il y a eu succès,

assurément: Cité historia est lauréat des Grands Prix du Tourisme

2014 pour la région de Montréal, dans la catégorie Attractions

touristiques de moins de 25 000 visiteurs.

Mais plus encore, le succès se mesure au fait que les

animateurs de l’organisme comprennent mieux qu’en toute

prestation, il faut faire la part égale au ludique et au didactique.

Médiateurs de plein droit, il leur revient de servir d’in-

termédiaires entre l’organisme et ses clients. Il leur faut chercher

à satisfaire, d’une part, l’institution et son besoin de transmettre

des connaissances qui justifie son existence et, d’autre part, le

visiteur, sa capacité et son désir d’apprendre qui expliquent sa

présence dans un lieu patrimonial.

Ce qui est complexe, difficile, exaltant et jamais accom-

pli comme il a été démontré dans les premiers paragraphes de cet

article.

Laure BarrachinaCité historia au Sault-au-Récollet: le choix de la médiation culturelle

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L'Interprétation en France: pratique avérée ou seulement une démarche intellectuelle? Michelle Sabatier

L'Interprétation en France:

pratique avérée ou seulement

une démarche intellectuelle?Michelle Sabatier

(Anciennement) rédactrice en chef de la revue Espaces Naturels

À quel titre suis-je invitée à m'exprimer sur le thème de

l'interprétation en France? À celui d'ancêtre sans doute! En effet,

j'ai vu poindre la notion d'interprétation au début des années 1980,

importée par Jean-Pierre Bringer de l’Aten1, après plusieurs

voyages aux États-Unis et ensuite mise en oeuvre dans de rares

centres d'interprétations dont la dénomination laissait perplexes

les publics qui les fréquentaient (et continue de...).

Presque un demi-siècle plus tard, je ne suis pas sûre que,

même dans les milieux professionnels concernés, on sache spon-

tanément donner une définition de la démarche interprétative et,

à plus forte raison, qu'on puisse se mettre d'accord sur une liste des

réalisations où l’approche interprétative ait été mise à en oeuvre.

Spécificité et méconnaissance

Qu'est-ce qui fait la spécificité de l'interprétation par

rapport à d'autres démarches pédagogiques, démarche de décou-

verte ou de sensibilisation par exemple?

Les nombreux articles qu’on a écrits sur l’interprétation

n’ont pas réussi à préciser le terme, au contraire pourrait-on dire,

lorsqu’ils provenaient du milieu universitaire. Les praticiens sont

rarement des universitaires, et les universitaires rarement des

pratiquants au sens de «réalisateurs»... C'est qu'il y a en France

1 Atelier technique des espaces naturels, un groupement d'intérêt publiclié au ministère responsable de l'environnement).

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une faille considérable entre le domaine de la pratique et celui de

la réflexion sur l'interprétation.

À preuve, le dossier «Reconnecter nature et société»

que publiait, en 2012, la revue professionnelle Espaces Naturels2.

Dans ce dossier consacré à l'approche pédagogique, il n’est pas

fait référence à l'interprétation de façon explicite, bien qu'un

certain nombre de concepts présentés sont liés à l'approche inter-

prétative (prendre en compte la personnalité et l'expérience du vi-

siteur, privilégier non seulement l’information ou la connaissance

rationnelle, mais les impressions, les sensations et les émotions).

Au début des années 2000, une mise à jour et une adap-

tation des principes énoncés par Tilden avait été tentée par des

gestionnaires d'espaces naturels qui ouvraient des perspectives

encourageantes pour le développement de la pratique. Cette

tentative d’intégration à la culture latine d’un mode d'approche

exotique (parce qu'anglo-saxon) voulait qu’on prenne en compte:

• le lien avec le lieu où une activité se déroule (esprit des lieux),

l'évolution que le site a connue (et connaîtra peut-être) de

même que les acteurs locaux passés et présents qui avaient par-

ticipé à cette évolution;

• la situation du public visé (qu'il faut séduire en lui procurant

du plaisir et de l'émotion) et les objectifs poursuivis par les

gestionnaires d’un site: révéler un sens lié aux particularités

du site, jusqu'à provoquer une prise de conscience des enjeux

de sa gestion;

• l'approche créative et artistique, l'essence même de l’approche

interprétative, dans les supports utilisés, mais aussi dans la

médiation (visite guidée);

• les vecteurs de liens à créer: susciter l'émotion, accrocher

l'attention en faisant appel aux sens, privilégier l'imagination,

la poésie, l'humour, le conte, le récit ; entrer en relation avec le

visiteur (lien avec son vécu, mise en situation, approche inter

active...);

• la nécessité de s'appuyer sur un savoir-faire professionnel,

cohérent qui soit reconnu par les interprètes de terrain, mais

aussi par les concepteurs et les réalisateurs des équipements.

Reconnaissance professionnelle

Tous ces beaux principes n’ont pas donné les résultats

escomptés faute d’une définition précise du métier d’interprète

et des qualifications nécessaires pour bien l’exercer; faute d’une

filière professionnelle qui en serait le porteur et faute d’un con-

sensus sur la façon d’intégrer efficacement dans le processus de

planification d’un site.

Les médiateurs culturels eux sont reconnus; l’animation

théâtrale est de plus en plus pratiquée en cours de visites touris-

tiques et les centres d'interprétation sont équipés de dispositifs de

communication 3 qui font appel à des scénarios de visite élaborés,

et à une scénographie astucieuse et techniquement pointue.

Michelle Sabatier

2 https://boutique.espaces-naturels.fr/productpublishing/espaces-natu-rels-n%C2%B0-37; consulté le 25 avril 2014.

3 comme Alpha-Loup dans le Mercantour, pour n'en citer qu'un

L'Interprétation en France: pratique avérée ou seulement une démarche intellectuelle?

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Toutefois, dans les plans d'interprétation (à l'échelle du

territoire) ou d’équipement d'interprétation (à l'échelle d'un site)

qui sont portés à l’attention du public, l'accent est mis le plus sou-

vent sur les équipements, plus précisément sur les panneaux ou

tables d'interprétation. Les décideurs s’offrent ainsi du tangible

d’abord qu’ils pourront offrir en évidence de leur bonne gestion

à qui voudraient la mettre en doute. L'équipement justifie donc

l'investissement; l'approche privilégiée est informative sans plus,

mais l'interprétation en tant que telle n'y apparaît pas de façon

significative.

Esprit d’interprétation, esprit de musée

Elle se fait même rare, pourrait-on dire! Les employés

d’institutions publiques agissant en partenariat avec les Musées

de France, ne peuvent faire valoir ce qu’ils ont appris lors de

stages de formation en interprétation de l’Aten. Ce que peut

apporter à un projet une démarche interprétative n’est pas reçu à

la table des décisions; la démarche interprétative contredirait

la démarche labellisée Musée de France! Il y a même un choc

des cultures!

Pourtant les musées ont fait appel à la scénographie pour

mettre en valeur leurs collections (ceux qui en ont les moyens).

Certains proposent astucieusement la découverte ludique de leurs

œuvres; d’autres donnent tout au long de leurs expositions à

suivre un fil conducteur, un récit, souvent original.

Mais lorsque «l'esprit de musée» rencontre le territoire,

il se prend les pieds dans «l'esprit de sérieux» et s’objecte à toute

approche en légèreté. Il se refuse même à ce qui est posé en

Michelle Sabatier

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Panneau interprétatif à l'écomusée Paysalp dans le cadre d'une expositionsur le thème de l'alimentation (en l'occurrence la «fondue savoyarde»)

L'Interprétation en France: pratique avérée ou seulement une démarche intellectuelle?

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prémisse de toute bonne interprétation: qu’avant d’informer, il

faut créer les conditions propices à la transmission de la connais-

sance. Et, selon Tilden, qu’il faut d’abord «provoquer» selon

Tilden; mais le sens à donner à: «to provoke» peut être sujet à...

interprétation!

Si, en théorie, plus personne ne se réclame de l’ancienne

manière de faire: instruire du haut vers le bas, de l'éducateur à

«l'apprenant», en pratique, c’est toujours chose courante: une

réponse est encore souvent donnée avant que la question ne

vienne à l'esprit du visiteur, et c'est donc un coup pour rien!

Plus le gestionnaire est proche du territoire, moins il se

sent disposé à laisser cours à l’imagination, à la créativité, à

l’inattendu dans ses aménagements d'interprétation. Du concret,

des maquettes, des panneaux, des photos, de la technologie (GPS,

audioguide, etc.): oui. De la signalétique, en veux-tu, en voilà,

dans des sentiers qui n'en demandaient pas tant! En revanche, de

l'impalpable, de l'humour, de la déstabilisation? Surtout pas.

Réussites

On trouve bien en France quelques îlots plus ou moins

précaires de créativité. Le fameux « nombril du monde » dans le

non moins célèbre village du Poitou bien nommé «Pougne-

Hérisson»! en est un bel exemple4. Mais, comme c’est étrange,

c'est justement un artiste conteur et chanteur qui en est à l'origine,

Yannick Jaulin.

Michelle Sabatier

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L'antre du découvreur de la source des légendes à Pougny-Hérissonavec un animateur-interprète

4 http://www.nombril.com/Pougne-Herisson; consulté le 25 avril 2012.

L'Interprétation en France: pratique avérée ou seulement une démarche intellectuelle?

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L’Aten, de son côté, a tiré profit l’expérience de dé-

marche pédagogique qu’elle a menée depuis quinze ans en

collaboration avec Cairn Interprétation lorsqu’elle a mis en ligne

une vingtaine de fiches de sites avec analyse des contenus de

l'interprétation 5.

Formation

Mais l'Aten ne forme que les professionnels d'espaces

naturels qui sont déjà en poste. En France, la plupart du temps,

c'est l'université qui forme les interprètes, plus exactement qui

leur apprend l'essence de l'interprétation, toutes ses subtilités et

ses références, mais pas la pratique, puisque l'université ne forme

pas aux métiers, mais aux savoirs.

Lorsqu’il est question de formation initiale, un apprenti

interprète du patrimoine aurait intérêt à se tourner plutôt vers le

Canada pour y vivre une démarche approfondie même si, de

retour au pays, il aurait beaucoup de mal à faire valoir ses acquis.

Il n’y a aucune institution qui s'adresse, comme le font les cégeps

du Québec, à de très jeunes étudiants et qui façonnerait un état

d’esprit et une culture professionnelle commune.

Les compétences acquises seraient pourtant bienvenues

dans le milieu rural, du moins, dans les territoires valorisés par

le tourisme patrimonial, là où beaucoup de natifs et autres immi-

grants peinent à créer leur propre emploi faute d'y trouver une

embauche salariée.

L'UNESCO, qui a labellisé en France de nombreux sites

«Patrimoine mondial de l'humanité», ne pourrait-elle pas se

préoccuper de cette culture en devenir qu'est l'interprétation et en

favoriser l'apprentissage dans son réseau?

Car il faut sortir de la vision uniquement mémorielle et

pédagogique des sites, et cultiver une créativité à risque certes,

mais sans quoi rien de contemporain ne méritera de durer.

Michelle SabatierL'Interprétation en France: pratique avérée ou seulement une démarche intellectuelle?

5 Cahier technique n° 86 de janvier 2012.

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10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

10 questions posées

à René Rivard, muséologue

Une entrevue menée, en deux temps, par Paule Renaud

muséologue, CulturaDenis Lavoie

muséologue, Louvicourt

René Rivard fait le point sur ses sources d’inspiration,

ses réussites passées et sur l’avenir de l’interprétation du patri-

moine au Québec

LES SOURCES D’INSPIRATION

1

Dans un texte de Paule Renaud, votre associée chez Cultura,

vous vous êtes reconnu deux mentors – Jacques Languirand et

Georges Henri Rivière. Que devez-vous à chacun?

Sans définir ce que je suis devenu, ils m’ont indiqué des

pistes m’amenant à m’intéresser à la muséologie et au patrimoine,

et à développer ma pensée dans ces deux domaines qui semblent

apparentés, mais ne le sont pas vraiment. À preuve, l’UNESCO

rassemble les muséologues au sein de l’ICOM et ceux qui œu-

vrent en patrimoine au sein d’ICOMOS.

Je suis arrivé à Québec en juillet 1972 comme surinten-

dant des Lieux historiques fédéraux au Québec. Quelques mois

plus tard paraît le livre de Jacques Languirand De McLuhan à

Pythagore1. Je m’empresse de le lire et c’est une révélation. Tant

de choses dans ce livre sur la communication s’appliquaient de

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1 Languirand, Jacques: De McLuhan à Pythagore. Ferron éditeur. Montréal. 1972.

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manière inductive aux lieux historiques nationaux. Je décidai de

prendre contact avec son auteur pour savoir comment transformer

ces lieux patrimoniaux en de véritables médias de communica-

tion, à la fois «chauds» et «froids». Je voulais aussi savoir quelle

était la «troisième dimension» de ces lieux, celle qui amènerait

le visiteur vers leur sens caché, vers le développement d’une

«matière à réflexion» utile et stimulante.

Parcs Canada fut créé quelques mois plus tard, le 1er avril

1973, et je devins chef des services d’interprétation pour le

Québec. Dix-huit mois plus tard, j’avais formé une équipe

d’une trentaine de personnes – plusieurs œuvrent encore en

muséologie et patrimoine – et j’ai organisé pour eux des sessions

de formation. J’ai fait venir Jacques Languirand comme forma-

teur et une longue amitié s’est alors amorcée, car nous avons

travaillé ensemble à plusieurs reprises… Pour résumer, je peux

dire que Languirand m’a initié à la lecture ternaire du monde –

ce n’est pas pour rien que j’utilise plusieurs grilles triangulaires

d’analyse dans mon travail – et il m’a appris à me servir du

macroscope de Joël de Rosnay2 comme outil de visualisation des

problématiques de programmation auxquelles je suis encore au-

jourd’hui confronté.

Georges Henri Rivière – GHR pour les intimes – je l’ai

connu à la suite d’une lettre que j’avais envoyée au Musée du

Vigan, dans le sud de la France. Je voulais mieux connaître la for-

mule des écomusées qui se développaient à plusieurs endroits en

France, notamment dans les Parcs Naturels Régionaux. Je pensais

alors à l’avenir de Grande-Grave, au Parc national Forillon. GHR,

père des écomusées, me répondit lui-même en m’invitant à un

colloque à Paris, en octobre 1974. J’y ai rencontré Claude-Lévi

Strauss et tout le réseau d’avant-garde qui œuvrait alors dans les

écomusées: Duclos, Collin, Gestin, Joubert et bien d’autres qui

sont devenus par la suite mes amis et le sont encore. Durant ce

colloque, GHR mena une réflexion capitale sur l’équation for-

mulée par Hugues de Varine: Écomusée = territoire + patrimoine

+ population.

Cette réflexion correspondait bien à la problématique de

développement des lieux patrimoniaux que gérait et développait

Parcs Canada à l’époque. GHR a peu écrit, mais sa présence et

sa maïeutique surprenante soulevaient les plus grandes réflexions

et aspirations. Il m’a appris la rigueur, la vision multi-optique, la

lecture des paysages... GHR était aussi un grand musicien – or-

ganiste à la Sainte Chapelle à Paris à 17 ans, compositeur,

jazzman… Le monde, comme la musique, était pour lui structuré

avec rigueur, mais il devait être amplifié, développé et ennobli

par la créativité… Une vision qui m’a toujours inspiré!

2

Vous rappelez votre passage à Parcs Canada – Région du

Québec. Vous y avez été quelques années avant de vous lancer

en affaires. Se recommander de Parcs Canada est encore une

référence prestigieuse dans le milieu. Beaucoup d’interprètes,

muséologues et médiateurs sont redevables de leur bonne

fortune à cet organisme. Quel rôle le Parcs Canada des belles

années a-t-il joué dans l’institution du métier de muséologue

au Québec?

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

2 De Rosnay, Joël: Le macroscope: vers une vision globale. Éditions duSeuil. Paris. 1975.

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En 1973, PARCS CANADA fut créé pour mettre sous une

même direction les Parcs nationaux et les Lieux historiques

nationaux, et surtout pour régionaliser les grandes fonctions

opérationnelles alors centralisées à Ottawa: recherche, conserva-

tion, interprétation, service aux visiteurs et aménagement.

Quelle belle occasion ce fut pour les Québécois de faire

valoir leur créativité et de développer de nouvelles approches en

interprétation et en muséographie. Il faut rappeler qu’à cette

époque, il n’y a pas de tradition, ni même de réalisations muséo-

graphiques dignes de ce nom au Québec. Pour généraliser, les

musées d’art faisaient de l’accrochage et les musées d’histoire et

d’ethnographie les imitaient, multipliant vitrines et cartels à la

manière du dictionnaire visuel.

Quelle belle époque pour innover, surtout que PARCS

CANADA me fournit les budgets et le personnel nécessaires à de

grands projets, comme le Parc de l’Artillerie, la Bataille de la

Chateauguay, les Forges du Saint-Maurice, les forts Chambly et

Lennox, les maisons de Wilfrid Laurier, George-Étienne Cartier,

Louis S. Saint-Laurent…, le village de Grande-Grave et le centre

d’interprétation de Forillon, celui du Parc national de la Mauricie,

etc.

Quelle belle époque, celle où l’homme de culture Jean-

Jacques Séguin était directeur régional, avant que des ingénieurs

n’occupent ce poste. Si je me rappelle bien, je disposais de

quelque six millions de dollars par année, en 1977 et 1978,

uniquement pour l’interprétation et les aménagements muséo-

graphiques des lieux historiques et des parcs naturels. Imaginez

ce que cela représente aujourd’hui. Il y en aurait bien pour

20 millions!

J’ai ainsi pu engager plus d’une trentaine de plani-

ficateurs d’interprétation, réalisateurs d’exposition, designers,

graphistes, spécialistes en audiovisuel… Parmi ceux-ci, Marie-

Thérèse Bournival, Nicole Catellier, Ron Gauthier, Paul Janelle,

Denis Lavoie, Francine Lelièvre et Jean-Paul Desjardins.

Le service d’interprétation de PARCS CANADA à Québec

devint ainsi la meilleure école de muséologie au Canada et ses

résultats se firent vite sentir. Partout naissaient des centres

d’interprétation, une formule que privilégie l’organisme fédéral

et qui se développe à fond et partout. Sous l’égide de Denis

Vaugeois, alors ministre de la Culture et pour qui travaillait

René Milot, mon ex-adjoint en interprétation historique, le MUSÉE

DE L’HOMME D’ICI – plus tard appelé: MUSÉE DE LA CIVILISATION –

s’inspire dès ses débuts de la démarche d’interprétation de PARCS

CANADA. C’est d’ailleurs une équipe formée surtout d’anciens de

PARCS CANADA – dont nous faisions partie, vous et moi – qui a

fait en 1985-1986 la première programmation des expositions de

ce musée, alors dirigé par Guy Doré. Je suis assez fier de ce que

nous avons alors accompli de 1973 à 1986.

3

Parcs Canada, comme tant d’autres institutions fédérales, a

perdu beaucoup de son personnel ces dernières années. Qu’ad-

vient-il de Parcs Canada?

J’ai quitté PARCS CANADA en 1980, bien conscient que

s’amorçait une période moins prospère, moins glorieuse. Les

budgets alloués à l’interprétation diminuaient à vue d’œil et la

mentalité ingénieurs-comptables prenait le dessus, et le contrôle...

La créativité devint suspecte. De plus, mon départ fut suivi par

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

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plusieurs autres, ce qui affaiblit l’équipe car ils ne sont pas tou-

jours remplacés. Les deux décennies suivantes – 1983 à 2003 –

voient l’interprétation ralentir, puis s’immobiliser et prendre le

chemin du déclin, de l’étiolement, de la dévalorisation...

Quelques derniers soubresauts ont lieu pour mettre en valeur de

nouveaux sites, mais la plupart des réalisations des années 1975

à 1990 sont laissées en plan, sans renouvellement, sans adaptation

du discours aux nouvelles clientèles, sans l’apport pourtant néces-

saire de nouvelles technologies de communication…

Aujourd’hui, l’avenir est encore moins prometteur pour

les professionnels de l’interprétation, vu les coupures program-

mées et inconscientes chez PARCS CANADA depuis plusieurs an-

nées, les dernières mettant à sac et en péril ce que trois décennies

– 1973 à 2003 – avaient construit. À mon avis, PARCS CANADA

est un organisme en plein désarroi. Le gouvernement fédéral –

surtout depuis le régime conservateur – n’a pas compris que la

fierté engendrée par la culture et le patrimoine est un des plus

puissants moteurs de satisfaction et d’identité nationales et, je

dirais même, de développement socio-économique créatif. Je suis

sûr que chaque dollar investi en patrimoine vaut cinq dollars et

peut-être plus en «bonheur national», comme se plaisent à le

proclamer le roi et le gouvernement du Bhoutan.

4

Vous avez beaucoup voyagé – plus de 35 pays et 276 traversées

de l’Atlantique, dit votre biographie – et vous avez visité beau-

coup de lieux patrimoniaux qui ont servi à votre réflexion et

à votre travail. Vous avez dit du Sentier à Farinet, à Saillon, en

Valais suisse, qu’il était remarquable sur le plan interprétation.

Pourquoi?

C’est un sentier en l’honneur d’un bandit, d’un faux-

monnayeur et il n’y en pas beaucoup de lieux dans le monde qui

honorent des criminels, même s’ils ont un «grand cœur». Le sen-

tier à Farinet part de la place du village de Saillon et se termine

à la vigne à Farinet, après avoir passé au-dessus du précipice

où Farinet3 aurait trouvé la mort. Tout au long du sentier, le

promeneur a une vue spectaculaire sur la plaine aux grandes cul-

tures, sur les coteaux où s’alignent les vignobles et sur les som-

mets enneigés qui bordent la vallée.

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

3 http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Samuel_Farinet

Paysage du Valais vu du sentier à Farinet

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Le parcours est ponctué de 21 stations marquées cha-

cune par un vitrail aux couleurs lumineuses posé sur un piètement

fait d’un bout de rail4. Chacun illustre une étape charnière dans

la vie de Farinet. C’est un parcours «matériel», bien sûr, mais

aussi «immatériel», car il évoque l’expérience propre à tout être

humain, l’Humaine Condition qui mène de la naissance à la mort,

au rythme des grandes étapes de la vie. Ici, la Mort est représentée

par le précipice qu’il ne put franchir pour atteindre l’Immortalité.

Le sentier se termine au vignoble à Farinet – trois ceps seulement

– où sont venus travailler quantité de gens célèbres qui partagent

les valeurs qu’il défendait.

Parcourir le sentier, c’est d’abord une expérience bien

physique: une promenade sur un chemin en forte pente ascen-

dante. C’est aussi une expérience esthétique qu’inspirent les

paysages et les vitraux du graphiste Robert Héritier et du sculp-

teur Théo Imboden. C’est surtout une expérience spirituelle, une

initiation comme celle que vivaient les pèlerins sur les chemins

de Compostelle ou les participants aux Mystères de l’ancienne

Grèce5. C’est, par analogie, une expérience semblable à celle du

visiteur d’un site patrimonial, passant d’un objet à un autre, d’un

enseignement à un autre, d’une révélation à une autre. Les con-

cepteurs du Sentier à Farinet ont mis à profit tout un ensemble

de représentations collectives qui sont les nôtres à titre d’héritiers

de la culture occidentale.

Trois éléments font la réussite du sentier. L’objet de con-

naissance y est profond et inusité, bien loin de l’académisme et

combien riche en enseignements sur le 19e siècle et ses menta-

lités ; en plus, c’est une histoire troublante. L’esprit du lieu y est

magnifiquement mis en valeur; il accompagne le visiteur tout au

long du sentier. La matière à réflexion suscitée par le sentier et

surtout par le vignoble à Farinet et ses enseignements, accompa-

gnera le visiteur jusqu’à la fin de sa vie, comme elle m’habite

depuis que je l’ai fait! Très ingénieux, très subtil et efficace. Très

réussi!

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

4 http://www.saillon.ch/tourisme/culture/farinet/le-sentier-des-vitraux.aspx5 http://www.cosmovisions.com/$MysteresGreceAntique.htm

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Farinet est fait prisonnier, vitrail de Theo Imboden

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5

Trois auteurs, parmi plusieurs autres, ont accompagné votre

réflexion jusqu’à aujourd’hui: l’Américaine Alma Wittlin

(1899-1990) et les Canadiens Michael Ames (1933-2006), an-

cien directeur du Museum of Anthropology de l’université de

Colombie-Britannique à Vancouver, et Robert Janes, rédacteur-

en-chef de la revue Museum Management and Curatorship.

Leurs opinions sont plutôt tranchées, voire radicales, à propos

d’un milieu muséal prudent de nature et réfractaire à ce qui

bouleverserait des pratiques reçues. Pourquoi serait-il utile de

les lire?

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

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Commençons par Alma Wittlin6, cette grande dame uni-

versitaire américaine, contemporaine de GHR puisqu’elle est née

en Autriche en 1899. Sociologue de la connaissance, elle a publié

en 1970 des réflexions très pertinentes sur les musées et leur

avenir. Lors d’une visite au bureau-chef des Parcs nationaux

américains en 1971 à Harper’s Ferry, quelqu’un m’a remis son

livre7 qui venait de paraître. Je dois dire que je n’avais jamais

trouvé dans la littérature muséologique quelque chose d’aussi

concis, d’aussi rigoureux et avant-gardiste sur ce qui devait être

fait pour avoir de bons musées, d’excellents musées.

Dans ce livre, elle établit un programme en douze points

que j’ai tôt fait d’intégrer dans mes réflexions et ma pratique. En

quelques pages, elle résume l’essentiel de la pratique muséale.

Ce sont surtout les points 6 et 7 de ce programme – Who is who

in a museum et Exposure is not enough – qui m’ont convaincu

que pour réaliser une bonne exposition, pour faire de la bonne

interprétation ou pour bien aménager un site patrimonial, il faut

toujours constituer un triumvirat – encore une façon trilogique

de faire les choses – composé d’un spécialiste du contenu, d’un

spécialiste de la mise en forme et des médias, et d’un spécialiste

en communication qui porte les chapeaux de défenseur des visi-

teurs et d’arbitre entre savoir et esthétique, afin de rendre acces-

sible et captivant le discours présenté aux visiteurs.

L’anthropologue Michael Ames fut, quant à lui, un

grand muséologue et directeur de musée que j’admirais pour son

La vigne à Farinet

6 http://museumstudies.si.edu/Hadwig%20Kraeutler%20Report%20on%20Alma%20Wittlin.doc.7 Wittlin, Alma S.: Museums: In Search of a Usable Future. Cambridge,The MIT Press.1970.

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indépendance, voire sa délinquance... Dès 1985, suite à la traduc-

tion en anglais de mon livre Que le musée s’ouvre…, nous avons

échangé sur plusieurs points avec lesquels il n’était pas d’accord.

Quelques années plus tard, en 1992, il publie «Cannibal Tours

and Glass Boxes»8, un livre qui propose ouvertement à ceux qui

œuvrent dans les musées et en patrimoine d’examiner et même

de critiquer les systèmes sociaux, politiques et économiques dans

lesquels et pour lesquels ils travaillent.

Pour lui, les musées sont au centre d’une forte contro-

verse parce qu’ils prétendent être « les gardiens autoproclamés

du patrimoine des autres et les interprètes auto-désignés de leur

histoire». Pour lui, ce sont des «machines de décontextualisa-

tion» qui en disent beaucoup sur la culture dominante et sur ses

prétentions, ses valeurs, ses convictions… Un des points forts

maintenus par Michael Ames, c’est que les musées et les lieux

du patrimoine sont des éducateurs «moraux» et non seulement

des lieux de présentation et des amuseurs publics. Ils ont donc

l’obligation, avec les autres institutions d’enseignement, de

rechercher la vérité, de bien informer le public, de poser des

questions et surtout d’en provoquer.

J’ai connu Robert Janes en 1985, à Yellowknife, lors de

la conférence Heritage North qui se tenait au Prince of Whales

Heritage Centre, dont il était alors de directeur-fondateur. Par la

suite, il fut directeur du Musée Glenbow à Calgary, remplaçant

le réputé Duncan Cameron. Nous avons, tous deux, été nommés

«fellow» de l’AMC en 2002. Il est aujourd’hui éditeur-en-chef

de la revue Museum Management and Curatorship. Son dernier

livre9 poursuit la réflexion de Michael Ames en donnant divers

moyens de redonner aux musées et aux sites patrimoniaux de

«dire les vraies choses», celles dont ils détiennent les savoirs :

changements climatiques, faim dans le monde, dégâts environ-

nementaux, moyens de s’en sortir.... Ils devraient se concentrer

sur la prise en charge par la population de son milieu et de son

avenir, sur la prise de décision dans notre prétendue démocratie,

sur les moyens constructifs d’améliorer qualité de vie et qua-

lité… Dans la même veine, il faut lire Rethinking the Museum10

de Stephen Weil, décédé il y a une dizaine d’années. Je déplore

que ces excellents livres n’aient pas encore été traduits en

français.

LES REALISATIONS ET LES RÊVES

6

À titre de consultant ou de maître d’œuvre, vous pouvez faire

état de nombreuses réalisations, soit au Québec ou à l’étranger.

Entre toutes, sans diminuer la valeur d’aucune, quelle est celle

qui vous semble aujourd’hui la plus réussie? Pourquoi?

La Maison de l’Émigration française au Canada11 à

Tourouvre, dans l’Orne, est pour moi une belle réussite profes-

sionnelle et personnelle. J’y ai travaillé presque dix ans et le

produit de ce labeur, même s’il n’attire pas les foules, est à la fois

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

8Ames, Michael M.: Cannibal Tours and Glass Boxes: The Anthropologyof Museums UBC Press, 1992.

9 Janes, Robert R.: Museums in a Troubled World. Renewal, Irrelevanceor Collapse? London & New York: Routledge. 2009. 10 Weil, Stephen E.: Rethinking the Museum and Other Meditations.Washington: Smithsonian Institution Scholarly Press. 1990.11 www.hautperche.fr/muséales

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unique et d’une grande pertinence pour les Québécois qui sont

les descendants des quelque 7 000 Français qui ont fait souche

en Nouvelle-France et dont près de 25 millions de Nord-Améri-

cains portent aujourd’hui les gènes.

Au niveau personnel, j’ai pu faire de ce projet un «acte

de piété filiale» car c’est de Tourouvre qu’est parti mon ancêtre

Nicolas Rivard pour s’établir au pays. Au niveau professionnel,

mon associée Paule Renaud et moi avons accompagné de A à Z

les élus de la Communauté du Haut-Perche dans une démarche

de programmation, d’architecture, d’interprétation et de muséo-

graphie tout à fait exceptionnelle. Pour le bâtiment, nous avons

collaboré avec un des meilleurs architectes français, Jacques

Ferrier, et pour l’exposition permanente, avec une équipe de

muséographes très compétents, l’agence Com&Graph de Caen.

Il faut rappeler qu’à cette époque la muséologie québé-

coise était, par ses positions d’interprétation et de services aux

visiteurs, à l’avant-garde de la discipline dans les pays franco-

phones. Ce qui n’est plus vrai aujourd’hui. J’aimerais toutefois

dire qu’il y a une grande différence entre servir un client français

et un client québécois. En France, si on confie un mandat à un

consultant, on lui fait entière confiance beaucoup plus qu’au

Québec et on s’applique à écarter toute difficulté, administrative

ou autre, qu’il pourrait rencontrer en cours de projet.

Mais il a plusieurs autres réalisations dont je suis aussi

très fier… La dernière en liste, c’est l’exposition Vivre aux Îles,

vivre les Îles réalisée au Musée de la Mer, aux Îles de la

Madeleine.

7

Vous avez fait carrière en servant de courroie de transmission,

interprétation oblige, entre ce qui se faisait au Québec et à

l’étranger. La muséologie québécoise, par ailleurs, semble

devoir peu à ce qui se fait au Canada et en Amérique du Nord.

Est-ce juste? Pourquoi?

C’est vrai, la muséologie québécoise est bien différente

de celles du «Rest of Canada» et des États-Unis. Elle rejoint, je

pense, non pas les muséologies française, britannique ou ita-

lienne, mais plutôt la muséologie des pays scandinaves avec

lesquels nous avons beaucoup d’affinités. Je peux dire – après

tout ce que j’ai vu par mes voyages et mes lectures – que la

formule muséale que nous avons développée au Québec est forte-

ment imprégnée des pratiques de l’interprétation, de nos modes

rapprochés de communication et des créations et développements

issus de notre «révolution tranquille»..

Expo’67 y est certainement pour quelque chose. La

création de Parcs Canada et de son bureau à Québec l’est aussi

et fortement. Je pense qu’étant francophone, nous avons peu

consulté ce qui s’écrivait en anglais, nous inspirant peu des

muséographies canadienne et américaine. Bref, nous avons voulu

faire les choses différemment, inventer une nouvelle muséologie,

plus sociale, même socialiste, et donner aux sites patrimoniaux

et à nos musées une dimension douce de développement culturel.

Et nous l’avons fait. Le Mouvement pour une nouvelle muséolo-

gie - le MINOM – a été créé au Québec lors du colloque

Écomusées/Nouvelle muséologie en 1984. Il est encore fleurissant

aujourd’hui au Portugal, en Espagne, au Brésil…

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

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Il me semble que la réflexion et la manière de faire de

Parcs Canada au Québec ont eu beaucoup plus de peine à tra-

verser l’Outaouais que l’Atlantique. Si elles ont été graduellement

adoptées en France, malgré des réticences bien franco-françaises,

elles sont restées presque lettre morte dans les autres provinces

canadiennes, à l’exception peut-être de la Nouvelle-Écosse.

8

Le métier d’interprète, de muséologue ou de médiateur, s’ap-

prend à l’Université, au Cégep, auprès de maîtres, et, sur le

terrain, au contact des visiteurs… Vous l’avez déjà enseigné.

Qu’est-ce qu’il faut apprendre, que faut-il savoir et savoir faire,

aujourd’hui pour s’assurer une carrière valorisante et profi-

table?

En peu de mots, il faut surtout apprendre l’art subtil

et engageant de «conter et raconter». Il faut aussi apprendre la

lecture du paysage et les techniques de thématisation des

équipements et des activités que l’on dirige. Il faut bien connaître

et utiliser les moyens efficaces de communiquer avec les jeunes

générations, les nouvelles technologies, la communication

personnelle directe… Il faut apprendre comment se servir du

feedback, comment être créatif dans la rédaction des scénarios et

des textes d’interprétation, dans le graphisme…

Il faut surtout sortir de son milieu. Aller voir ailleurs. Se

placer inlassablement en situation d’instabilité et de précarité

communicationnelle. Explorer l’indicible, les sous-entendus, les

non-dits… Il faut aborder l’interprétation du patrimoine avec

brio, et aussi avec humilité. Toujours miser sur les valeurs subs-

tantielles, fonctionnelles et même politiques du patrimoine à

interpréter. Toujours conjuguer l’objet de connaissance avec un

grand respect de l’esprit du lieu et avec l’apport d’une matière à

réflexion des plus significatives pour le visiteur. Toujours être en

mode didactique, tout en le dosant d’esthétique et de ludique…

Bref, faire de la bonne interprétation, la plus créative et la

meilleure qui puisse se faire!

9

Nous vivons dans l’ère des musées. Le ministère de la Culture

l’aura compris, lui qui a investi des sommes importantes ces

dernières années pour renouveler tant d’expositions dans les

musées du Québec. Nous vivons dans une ère de grande atten-

tion aux choses du patrimoine, comme en font foi tous ces

programmes et groupes de recherche qui le circonscrivent et

l’étudient. Mais nous vivons également dans une ère de

désaffection prononcée à l’égard de ce qui pourrait être appris

du passé. Les investissements dans les affaires patrimoniales ne

seraient justifiables que si le patrimoine devenait une marchan-

dise (tourisme) ou un divertissement semblable à tant d’autres.

Pourquoi faire le métier d’interprète du patrimoine aujour-

d’hui? Quel avenir faut-il envisager à l’interprétation-muséolo-

gie-médiation?

Faire le métier d’interprète du patrimoine aujourd’hui

découle certainement d’un idéal, d’une vision pour un monde

meilleur… Lui sont rattachées des valeurs créatives et généreuses

qui sont tout à l’honneur de ceux qui le pratiquent. Mais ce métier

a besoin non seulement d’un milieu et d’outils propices à son

exercice, mais aussi d’un avenir prometteur pour le développe-

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

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ment de la trilogie interprétation-muséologie-médiation, le tout

étant rattaché à la valeur que la société donne et donnera au

patrimoine dans les années à venir.

Le patrimoine et son interprétation auront un avenir

prometteur, pourvu qu’on les fasse évoluer avec le «mental» de

la société qui se propulse résolument dans le 21e siècle. C’est

prometteur face à l’immense besoin sociétal de connaître le

présent et de mieux percevoir l’avenir de notre planète et de ses

réactions à nos actions inconsidérées à son égard et à celui des

gens qui l’habitent, avec l’assassinat par la faim de millions parmi

les plus pauvres, avec les guerres trop souvent reliées au triba-

lisme engendré par les religions, avec les catastrophes naturelles

qui, de plus en plus souvent, assaillent la planète à cause des

changements climatiques, tant perceptibles qu’imperceptibles.

Mais cet avenir n’est pas très prometteur pour les pro-

fessionnels de l’interprétation, vu les coupures programmées et

irréfléchies chez PARCS CANADA depuis plusieurs années, les

dernières mettant à sac et en péril ce que trois décennies – 1973

à 2003 – avaient construit. Le futur de l’interprétation dans les

organismes provinciaux et semi-publics ne semble pas, lui aussi,

très rose. Mais soyons optimistes. Je suis sûr qu’à moyen ou long

terme la situation va changer et que le patrimoine, tant naturel

que culturel, tant matériel qu’immatériel, sera de plus en plus un

«objet de fierté» pour un plus grand nombre de Québécois. Si

seulement nos gouvernements supérieurs pouvaient comprendre

la force sociétale du patrimoine dans le développement éco-

nomique et durable!

10

Vous venez de faire un acte patrimonial en dressant «l’inven-

taire de vos biens»: rencontres, livres et réalisations. Chacun

est soucieux de laisser un héritage à ses descendants. Quel sera

le vôtre, croyez-vous?

J’ai déjà écrit qu’au plan personnel, ma plus belle

réalisation sera de laisser à ma descendance un «petit coin de

paradis», les 60 hectares de mes terres dans les Bois-Francs. J’y

travaille depuis plus de 30 ans avec Marielle, mon épouse. Ce

sera dans quelques années une splendide érablière de près de

25 000 entailles. Il faut dire que je suis un rural incurable et pour

qui l’érablière est une nécessité, un lien essentiel avec mes origi-

nes dans les «Bois-francs».

Au plan professionnel, j’aimerais laisser à tous ceux qui

œuvrent en interprétation ou à l’essor de musées et d’équipements

culturels citoyens les valeurs que j’ai développées au cours de

ma carrière. Ces valeurs d’ouverture, de générosité, de création

et de volonté de changement, je veux les laisser en héritage à ceux

qui me sont chers, à ceux que j’ai inspirés ou formés, à ceux avec

qui j’ai travaillé ou collaboré… Pour qu’ils les reprennent et les

appliquent aux nouvelles situations qui émergent et qui paraîtront

dans les années 2020 et même plus loin. Je veux être un

«passeur» d’idéal, de vision…

Au plan héritage ou legs, mon âge m’obligeant main-

tenant à penser à ces choses-là, je me dis souvent qu’il me faut

laisser des traces tangibles et pertinentes de tout ce «vécu»

professionnel dont j’ai eu la chance de jouir et de profiter. J’ai

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

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un projet, celui d’écrire un nouveau Que le musée s’ouvre…, ce

livre, écrit en 1984, mériterait bien d’être repris pour y ajouter

et analyser ce qui s’est passé dans le monde de l’interprétation et

des musées au cours des trente dernières années. Sur la page de

gauche, je placerais le texte original; sur celle de droite, j’écrirais

comment je vois les choses aujourd’hui. Ce projet, que je dis

«testamentaire», en vaut-il la peine? En aurai-je le temps?...

10 questions posées à René Rivard, muséologue Paule Renaud et Denis Lavoie

© P

hoto

: R. R

ivar

d

Banc sur le sentier à Farinet

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