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Page 1 sur 18 Infléchissement du droit à l’oubli et cohérence de la procédure pénale… BDE (2017) 2 Infléchissement du droit à l’oubli et cohérence de la procédure pénale de traitement du délit de blanchiment de capitaux Papa Keyi Abel Ndong Table des matières Introduction 1. L’emprise de la prescription sur l’ouverture des poursuites pénales en matière de blanchiment de capitaux 1.1 L’absence d’autonomie de la notion de prescription de l’action publique 1.1.1 Une institution essentielle des procédures judiciaires applicables 1.1.2 Une notion juridique temporelle instituant l’oubli 1. 2 Une prescription indifférente à la clandestinité des infractions de blanchiment de capitaux 1.2.1 La computation rigide du point de départ des délais de prescription 1.2.2 La limitation des poursuites due à l’acquisition de la prescription 2. La rationalisation du droit à la prescription de l’action publique en matière de blanchiment de capitaux 2.1 Les conditions de la rationalisation de l’oubli imposé par la prescription 2.1.1 Le report ou allongement des délais de prescription 2.1.2 L’élargissement du domaine des actes interruptifs et suspensifs de prescription 2.2 La mise en œuvre du processus d’adaptation de la procédure pénale applicable 2.2.1 La mise en cohérence des actes d’instruction et de poursuites attachés au procès pénal Docteur en droit, Maitre-assistant, Faculté des Sciences juridiques et politiques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal. (2017) 2 Résumé Le blanchiment de capitaux, phénomène transnational, est classé parmi les infractions soumises, pour une large part, à un régime spécial. Pour autant, les dispositions pénales qui le consacrent, ne semblent pas opter pour un régime de prescription dérogatoire de l’action publique. Il se singularise par son caractère sanctionnateur, reflet d’une perception essentiellement négative de la prescription et de la non prise en compte de la dimension clandestine des infractions. Leur traitement est très complexe en raison principalement des mécanismes procéduraux, en vigueur. Cet article interpelle sur les difficultés à concevoir la prescription comme la sanction de la négligence de la société et de ses organes d’instruction et de poursuites à exercer l’action publique. Son infléchissement est tel qu’un accent particulier devra être mis sur la mise en cohérence de l’ensemble des éléments établissant les fondements et dispositions organisationnelles présidant à la lutte contre le blanchiment de capitaux.

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Infléchissementdudroitàl’oublietcohérencedelaprocédurepénaledetraitementdudélitdeblanchimentdecapitauxPapaKeyiAbelNdong∗TabledesmatièresIntroduction1. L’emprisedelaprescriptionsurl’ouverturedes

poursuitespénalesenmatièredeblanchimentdecapitaux

1.1 L’absenced’autonomiedelanotiondeprescriptiondel’actionpublique

1.1.1 Uneinstitutionessentielledesprocéduresjudiciairesapplicables

1.1.2 Unenotionjuridiquetemporelleinstituantl’oubli1.2 Uneprescriptionindifférenteàlaclandestinitédes

infractionsdeblanchimentdecapitaux1.2.1 Lacomputationrigidedupointdedépartdesdélais

deprescription1.2.2 Lalimitationdespoursuitesdueàl’acquisitiondela

prescription2. Larationalisationdudroitàlaprescriptiondel’action

publiqueenmatièredeblanchimentdecapitaux2.1 Lesconditionsdelarationalisationdel’oubliimposé

parlaprescription2.1.1 Lereportouallongementdesdélaisdeprescription2.1.2 L’élargissementdudomainedesactesinterruptifset

suspensifsdeprescription2.2 Lamiseenœuvreduprocessusd’adaptationdela

procédurepénaleapplicable2.2.1 Lamiseencohérencedesactesd’instructionetde

poursuitesattachésauprocèspénal

∗Docteurendroit,Maitre-assistant,FacultédesSciencesjuridiquesetpolitiques,UniversitéCheikhAntaDiopdeDakar,Sénégal.

(2017)2

Résumé

Le blanchiment de capitaux, phénomènetransnational, est classé parmi les infractionssoumises, pour une large part, à un régimespécial.Pourautant,lesdispositionspénalesquile consacrent, ne semblent pas opter pour unrégime de prescription dérogatoire de l’actionpublique. Il se singularise par son caractèresanctionnateur, reflet d’une perceptionessentiellementnégativedelaprescriptionetdela non prise en compte de la dimensionclandestine des infractions. Leur traitement esttrès complexe en raison principalement desmécanismesprocéduraux,envigueur.Cetarticleinterpelle sur les difficultés à concevoir laprescriptioncommelasanctionde lanégligencedelasociétéetdesesorganesd’instructionetdepoursuites à exercer l’action publique. Soninfléchissement est tel qu’un accent particulierdevra être mis sur la mise en cohérence del’ensemble des éléments établissant lesfondements et dispositions organisationnellesprésidant à la lutte contre le blanchiment decapitaux.

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2.2.2 LesdispositifstendantàfavoriserlacollaborationentreorganesdelachaînepénaleIntroductionSigne des temps, effet de mode oucontrainte, certains États membres de lazoneUEMOAcommeleSénégal,montrentdepuis quelque temps, une certainevolontépolitique favorableà l’émergencede politiques criminelles allant dans lesens du renforcement des mesures deprévention et de lutte contre leblanchiment de capitaux. Elle entendsaisir un phénomène particulièrementcomplexe, protéiforme et évolutif. Il sedécline sous une multitude de formes etde comportements aussi divers et variésque les situations dans lesquelles il sematérialise. Il est saisi toutefois, commedes opérations visant à procéder, àfaciliter par tout moyen, la justificationmensongèrede l’originedesbiensoudesrevenus de l’auteur d’un crime ou d’undélit ayant procuré à celui-ci un profitdirectouindirect.Leblanchiment,àcausede la banalité et la multiplicité desmoyens d’y parvenir, constitue uneactivité socialement nuisible et difficile àprouver.Ilsesingulariseparl’absencedevictimedirecte1ou,dumoins,unevictimequi réalise que des agissements etpratiquesontétécommisàsonpréjudice.Ces pratiques font partie de cesinfractions occultes, déterritorialisées,dépassant souvent les strictes frontières1 En principe tout comportement infractionnellaisse une tracedans lesmémoires,même s’il estvrai que tout fait délictueux ne marque pas lamémoire collective avec la même intensité, lecorpssocialétantaffectéparlacommissiond’uneinfraction, Voir Stéphanie ROTH, Clandestinité etprescription de l’action publique, thèse, Universitéde Strasbourg Faculté de droit, de sciencespolitiquesetdegestion,2013.

des États membres de l’UEMOA2. Ellesfontl’objetd’uneattentionparticulièreenraison du contexte politique sécuritaireinternational qui milite pour unrenforcement de la répression dufinancement du terrorisme et donc pourl’adoption de système de lutte contrel’impunité. Il serait inopérant si la chainepénalen’étaitpasassezprompteàréagir.À ce propos, on verra que toutes lesstratégies et politiques reposentprincipalement sur le régime de ladéclaration de soupçon 3 et sur lecaractère volontariste de l’usage de cerégime des soupçons. Une défaillancedans lamaîtrisede l’usagedesprocessusorganisationnels 4 de déclaration de

2 Créée le 10 janvier 1994 à Dakar, l’Unionéconomique et monétaire Ouest Africaine(UEMOA)apourobjectifessentiel,l’édification,enAfrique de l’Ouest, d’un espace économiqueharmonisé et intégré, au sein duquel est assuréeunetotalelibertédecirculationdespersonnes,descapitaux,desbiens,desservicesetdesfacteursdeproduction, ainsi que la jouissance effective dudroit d’exercice et d’établissement pour lesprofessions libérales, de résidence pour lescitoyens sur l’ensemble du territoirecommunautaire.3 Le soupçon reste une opinion défavorable àl'égard de quelqu'un, de son comportement,fondée sur des indices, des impressions, desintuitions,maissanspreuveprécise.«Rapportdel'assembléegénérale»,(2003)RevueduConseilnationaldesbarreauxàMontpellier.4 «Il s’agit ici d’un ensemble d'élémentsétablissant les fondements et dispositionsorganisationnelles présidant à la conception, lamise en œuvre, la surveillance, la revue etl'amélioration continue dumanagement durisquedans tout l'organisme.» Voir,«Management du risque- Vocabulaire», (2009),ISO/Guide73:2009(fr), en ligne:

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soupçon et donc dans lemanagement durisque de blanchiment de capitaux faitpeser des risques avérés. Il s’agitnotammentderisque«pourlasociétédufait du recyclage des profits liés à desactivitéscriminelleset terroristespour lefinancementd’autresactivitéscriminelleset terroristes ; des conséquenceséconomiques négatives liées auxperturbations des flux internationaux decapitaux, à la contraction desinvestissements et à une croissanceéconomique plus lente; ou encore lerisque d’instabilité des marchésfinanciers, un problème d’image et deperte de confiance et des risquesprudentiels»5.Ilseraitalorsparadoxalquelarépressiontrouve un obstacle supplémentaire enl’institution de la prescription et tombedansl’«abîmedutemps»6.Levocabulairejuridique publié par l’association HenriCapitant définit la prescription comme«un mode de l’extinction de l’action enjusticerésultantdunon-exercicedecelle-ci avant l’expirationd’undélai fixépar laloi et peut en ce sens concerner laprocédure civile et la procédure pénale.Elle touche alors l’action publique ainsique l’action civile exercée devant les

inhttps://www.iso.org/obp/ui/fr/#iso:std:iso:guide:73:ed-1:v1:fr(consultéle21décembre2016).5COMMISSION EUROPEENNE, Proposition de directivedu Parlement européen et du Conseil relative à lapréventionde l’utilisationdusystème financierauxfinsdublanchimentde capitauxetdu financementdu terrorisme et Proposition de règlement duParlement européen et du Conseil sur lesinformationsaccompagnantlesvirementsdefonds,2013, p. 2, en ligne: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1398280387178&uri=CELEX:52013SC0022(consultéle11mai2017).6 Jean CARBONNIER, Flexible droit. Pour unesociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris,L.G.D.J.,2001,p.210.

juridictionsrépressives»7.Laprescriptionde l’action publique se définit dans cetteperspective comme « un moded’extinctiondel’actionpubliquerésultantdu non-exercice de celle-ci avantl’expirationdudélaifixéparlaloi,dontlasurvenancerésulteduseulécoulementdutemps»8.Malgrél’assertiondeM.JeanDeLaBruyèrequiconsidéraitque«ceuxquiemploient mal leur temps sont lespremiersàseplaindredesabrièveté»9,ilestpossibledereleverdesincertitudesetdesambiguïtésquirendentlaquestiondela prescription pénale beaucoup pluscomplexe.Ce point qui focalise l’attention estaujourd’hui le terrain d’innombrablesincohérencesquiappellentunedémarcheprospective, une réflexion globale sur letempsdelajustice,surlapromptitudedecette institution à agir et traiter lesconflits au sein de notre société. Ildemeureque:

«lasociétén'édicteetn'infligedespeines que pour sauvegarder sonexistence en sauvegardant la loi,quin'adepuissanceetdeviequ'àlaconditiond'unesanction.Ellenemenace et ne frappe que parcequ'elle a intérêt à prévenir et àréprimer la violation descommandements auxquels elledoitlemaintiendesrapportsquilaconstituent.»10

7Henri CAPITANT,Vocabulaire juridique, 4e éd. parl’Association Henri CAPITANT avec lacollaboration de Gérard CORNU, Paris, ÉditionsPressesuniversitairesdeFrance,2011.8Id.9Jean DELABRUYERE, Les caractères ou lesmœursdece siècle, 3ème édition, Paris, 1688. Cet ouvrageestunecontinuationdel’ouvragedeThéophraste,intitulé:Caractères,Nuremberg,Éditionprinceps,1527.10AlfredBERTAULD,Leçonsdelégislationcriminelle,appendice au «Cours de code pénal», Paris,ÉditionHachette,1854,p.2.

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Leur répression implique une attentionparticulière pour analyser efficacementleurphénoménologie.Dèslors,laquestionseposede savoir, quelle est la portéedel’infléchissement du droit de laprescription de l’action publique sur lacohérence de la réponse pénale auxinfractions de blanchiment de capitauxdansl’espaceUEMOA?La réponse pénale repose certes sur uncaractère stricto impératif, fondé sur ledroit de punir 11 , objectif premier, quifonde l’essence même de l’actionpublique, mais cette réponse ne peutrevêtir son efficacité qu’à traversl’exécution des peines 12 , qui constituel’unique aboutissement de la mise enœuvredel’actionpublique.Laportéedoitêtremesuréeentermesd’efficacité;étantentendu qu’en principe, une normejuridique est efficace lorsqu’elle estadaptée aux fins poursuivies. Laprescription de l’action publique sembleinadaptée parce qu’un effet pervers,contraire à celui escompté, risque de seréaliser. Il s’agit alors de procéder à uneévaluation de la prescription de l’actionpublique par une prise en considérationsystématique de ses effets sur la luttecontre le blanchiment de capitaux. Cetteprescription exerce une emprise perçuede plus en plus négativement, sur leprocessus de traitement judiciaire desinfractions de blanchiment de capitaux(1), ce qui nécessite une certainerationalisation du régime de cetteprescription (2). Cette rationalisation seprésente comme un des instruments delégitimationdudroit.11 Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, Paris,Gallimard, 1975; Xavier BEBIN, Pourquoi punir?L’approcheutilitaristede la sanctionpénale, Paris,l’Harmattan,2006.12Martine HERZOG-EVANS, Droit de l’exécution despeines, 3e éd., coll. «Dalloz Action», Paris, Dalloz,2007.

1. L’emprise de la prescription surl’ouverture des poursuites pénales enmatièredeblanchimentdecapitauxL’absence d’autonomie de la notion deprescription qui est considérée commeune institution essentielle dans lesprocéduresjudiciaires(1)etsoncaractèreindifférent à la clandestinité desinfractions de blanchiment de capitaux(2), participent de son emprise surl’ouverturedetoutespoursuitespénales.1.1L’absenced’autonomiedelanotiondeprescriptiondel’actionpubliqueLa difficulté qui permet de caractériserl’emprise de la prescription ne vient pasde la qualification en elle-même de laprescriptionmaisbiendupérimètredelaprescription que ces textes entendentconsacrer ; et aussi du décalage entre laconsécration théorique du statut dutemps et son statut en pratique, dans lesfaits (1.1.1). Elle constitue une véritableinjonctionàl’oubli(1.1.2).1.1.1 Une institution essentielle desprocéduresjudiciairesapplicablesLaplupartdespaysmembresdel’UEMOAont choisi, comme le Sénégal, d’instaurerun délai pour exercer l’action publique.L’efficacité 13 de la lutte contre leblanchiment des capitaux est de plus enplus tributaire du temps de réaction desorganes de poursuite qui interviennentconformément au Code de procédurepénale.Cetextenefondepaslapoursuitemais la conditionne. Tant que laprescription n’est pas acquise, lespoursuites sont envisageables. Bien13Estefficace«unproduit, (…)uneméthode (…)quiproduitl’effetattendu»ouunepersonne«quiremplitbien sa tâche, sedit de sonaction,de sesparoles qui atteignent leur but, qui aboutissent àdes résultats utiles», Dictionnaire Le GrandLarousse Universel, Paris, Larousse, 1989, «V°Efficacité».

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qu’ellenefassel’objetd’aucunedéfinitionlégaleetmalgrélescritiquesacerbesdontelle a fait l’objet de la part d’auteurscomme Cesare Beccaria14, la prescriptionestutiliséeàdenombreusesreprisesparla plupart des Codes des procédurespénales qui en font un critère deréférence, notamment, en matièreprocédurale, de mise en mouvement del’action publique. C'est principalementdans le Code de procédure pénale que semanifestent les tendances que suit leprincipe de la prescription des délits. Latendancelaplusvisibleestdanslesensdel’absence de flexibilité du principe de laprescription de l’action publique 15 . Ceprincipeaétéconsacréparlaplupartdesdroits nationaux comme le Sénégal et leMali.AuMali,lerégimedelaprescriptionde l’action publique est défini par la Loino01-080du20août200116portantCodedeprocédurepénaleensesarticles9pourles crimes, 10 pour les délits et 11 pourles contraventions. En l’occurrence,suivant les dispositions de l’article 10 dece texte, «en matière de délit, laprescription de l’action publique est detrois années révolue»17. Ces dispositionssontsensiblementsimilairesauxarticles6à 8 du Code de procédure pénale duSénégal. Au Sénégal, en vertu de l’Article8 18 du Code de procédure pénale, en

14En 1764, dans le paragraphe XXX de son traitédes délits et des peines, il considérait que laprescription avait pour tendance, lorsqu’elle étaitacquise, à favoriser le sentiment d’impunité ducriminel et l’engageait à commettre de nouveauxméfaits.: Cesare BECCARIA,Desdélitsetdespeines,coll.«GF»,Flammarion,1991,p.139etsuiv.15SergeGUINCHARD et ThierryDEBARD,Lexiquedestermesjuridiques,Dalloz,p.722.16Loi no01-080 du 20 août 2001 portant Code deprocédurepénale,2001.17Codemaliendeprocédurepénale, préc.,note16,art.9.18Loi no77-32 du 22 février 1977 portant Code deprocédurepénaleduSénégal,art.8.

matièrededélit,laprescriptiondel’actionpublique est de trois années révolues,suivant les distinctions spécifiées àl’article 7 dudit Code. Cependant, il estpossible de relever certains régimesdérogatoires nonobstant les dispositionsdel’article7duCodedeprocédurepénale.Ils concernent la prescription de l’actionpubliqueenmatièrededétournementdedeniers publics 19 , mais aussi laprescription de l’action publique et de lapeine20relativeauxinfractionsviséesauxarticles 95 à 103 du Code des drogues21.Ces différentes prescriptions sontacquises au bout de sept ans, à comptersuccessivement du jour où le faitdélictueux a été commis et de ladécouverte des faits. Par ailleurs, suivantles mêmes dispositions, «les peinesprononcées pour la répression desinfractionsviséesauxarticles95à103,seprescriventpar15ans,àcompterdujouroù elles deviennent définitives».Toutefois, dans certaines circonstancesdéfinies par la Loi uniforme, le délit deblanchiment peut être aggravé. Dans cecadre, il est soumis à la prescriptiondécennale(applicableauxcrimes).C’estledroit commun de la prescription del’actionpubliquequis’applique,malgrélaconsécrationdelaLoiuniforme,ilsembleque la prescription des agissementsconstitutifs de blanchiment de capitauxn’estpasétabliedemanièreprécise.Cetteprescription a donc vocation, lorsqu’elleest acquise, à neutraliser l’action enjustice,c’est-à-dire«ledroitpourl’auteurd’une prétention22, d’être entendu sur le

19Enmatièrededétournementdedenierspublics,laprescriptionestde7annéesrévoluesàcompterdujouroùlefaitdélictueuxaétécommis.20Loi no97-18 du 1er décembre 1997 portant Codedesdrogues,1997,art.144.21Id.22Le termedeprétentiondémontreparfaitementque toute personne qui est impliquée dans une

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fonddecelle-ciafinquelejugeladisebienoumalfondée».PourH.Motulskyl’actionest «la faculté d’obtenir du juge unedécisionsur le fondde laprétentionà luisoumise.»23Elle s’éteint notamment parla prescription qui empêche le jugementde l’action publique et la répression del’infraction. Ce principe est d’autant plusimportant que le juge est lié par ce délaide prescription. La prescription revêtdonc un caractère d’ordre public et doitêtrerelevéd’officeparlejuge.AuSénégal,le caractère d’ordre public de laprescription impose au juge de refuserl’exercice des poursuites 24 . La Loiuniforme sénégalaise de 2004-09 du 06février 2004 prévoit la possibilité pourl’autorité judiciaire compétente desouleverlaprescriptionetainsiderefuserl’exercicedespoursuites25.C’estd’ailleurssur ce fondement que l’autorité peutrefuser d’exécuter une condamnationprononcée à l’étranger, en raison de laprescription de l’action publiqueconformément à la Loi de l’Étatrequérant 26 . Cela pose la nécessairequestionde l’harmonisationdesdélaisdeprescription au moins dans l’espace

relationprocessuelle,qu’ellesoitdemanderesseoudéfenderesse, partie ou tiers intervenant, appeléou intimé, «agit»; à ce sujet, voir: Julie SEGAUD,Essai sur l’action publique, thèse de doctorat enDroit, Université de Reims Champagne - ArdenneUFRdroitetsciencespolitiques,2010,p.11.23Henry MOTULSKY, «Le droit subjectif et l’actionenjustice»,dansÉcrits,t.1,Dalloz,1973,p.95.24Codedesdrogues,préc.note21,art.48:«Refusd’exercice des poursuites: L’autorité judiciairecompétentenepeutdonnersuiteàlademandedetransfert des poursuites émanant de l’autoritécompétente de l’État requérant si, à la date del’envoi de la demande, la prescription de l’actionpublique est acquise selon la loi de cet État ou siuneactiondirigéecontrelapersonneconcernéeadéjàaboutiàunedécisiondéfinitive.»25Id.26 Id., art.48: le refus d’exécution de la Loiuniforme.

UEMOA. Ainsi donc l’écoulement tempsentraine l’extinction de l’action judiciairecontre le présumé délinquant et rend dece fait toute poursuite impossible à sonencontre.1.1.2 Une notion juridique temporelleinstituantl’oubliL’exercice des poursuites et desinvestigations est assez tributaire dutemps. Comme le soulignent M.Merle etA.Vitu:

«la prescription serait d’abordl’expression de la grande loi del’oubli, cet élément si puissant delaviedesindividusetdespeuples;l’opinionpubliqueneréclamepluslarépressiond’uneinfractiondontletempsaeffacélesconséquencesmatériellesetmorales,et jusqu’ausouvenir dans la mémoire desindividus; la vengeance sociale etl’expiationapparaissentinutiles,lapréventionsansobjet»27.

Letemps28juridiqueestmisauservicedela cohérence des notions, règles,prérogatives ou situations juridiques. Ilpermet l’oubli et définit la prescriptionqui correspond à la période de tempsdurantlaquellel'actionpubliquedoitêtreentamée faute d'extinction, reste «unmoyen (…) de se libérer par un certainlaps de temps» 29 . L’objectif de laprescriptionseraitde«produireunoubli27 Roger MERLE et AndréVITU,Traité de droitcriminel: procédure pénale, 8e éd., Paris, ÉditionCujas,2000,p.66.28 «Temps», dans Dictionnaire de la culturejuridique, sous la direction de Dénis ALLAND,Stéphane RIALS, 1ère éd., Quadrige, Paris, Lamy-PUF,2003,p.1472-1473:«Si l’officedudroitestbien de fixer des cadres à l’intérieur desquels lesrelations entre les hommes, il est naturel que ledroit établisse des certitudes sur le déroulementdutemps.»;voiraussiPaulCOUDERC,Lecalendrier,Que-sais-je?,Paris,PUF,1986,p.25,.29C.civ.,art.2219.

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programmé et fondé sur le seul fait que,lorsqu’un temps s’est écoulé depuis lacommission d’une infraction, il n’est plusnécessaire d’en poursuivre l’auteur et dele punir»30. Pour certains auteurs, elleconstitue un «oubli annoncé» du faitdélictueux qui n’a dès lors pas besoind’être connu au préalable. Cela aforcément une incidence sur lespoursuitesdesinfractionsdeblanchimentqui ont vocation à être clandestines. Cesinfractions sont dissimulées et nonimmédiatementrepérables,parnatureoupar volontédes auteurs. La spécificité deces infractions se mesure en termes demanœuvres et stratagèmes dedissimulation des actes illégaux pouréchapper aux sanctions. La prescription,institutiondel’oubliimposedeneplussesouvenir de l’infraction de sorte que lafixation du point de départ del’écoulementdutempsconstitueunenjeuessentiel.Enprincipe tout comportementinfractionnel laisse une trace dans lesmémoires,mêmes’ilestvraiquetoutfaitdélictueux ne marque pas la mémoirecollectiveaveclamêmeintensité,lecorpssocial étant affecté par la commissiond’une infraction 31 . Le plus souvent, letemps juridiqueproduituneffet,nonpasen raison de sa nature propre en tantqu’espace temporel organisé ou mesuré,mais en raison de sa définitionherméneutique, c'est-à-dire de lasignificationoude l’effetattachépendantouàl’issuedesonécoulement32.Telestlecas des délais en général et, notamment,

30Céline COQUIN, «Deux aspects de l’évolution duconcept d’oubli en droit pénal», (1998) 20Arch.pol.crim.34.31S.ROTH,préc.,note1.32Voir le décret du 5 novembre 1870relatif à lapromulgation des lois et décrets, (1870) 11-05Bull. des lois. Jacques GHESTIN et Gilles GOUBRAUX,Traité de droit civil, Introduction générale, 3e éd.,Paris,L.G.D.J.,1990,no345.

des délais de prescription qui sontfonctionde la gravitédes infractions à laloi pénale, qu’elle soit un crime, un délitou une contravention, chacune ayant sonpropre fait générateur. En ce sens, laportéeeffectiveetconcrètedeladuréedelaprescriptionnedépendpasuniquementde ses caractéristiques techniques etobjectives, mais dépend également descaractéristiquesdelasituationjuridiqueàlaquelle elle s’applique. Cela permet desaisir la variabilité de ses contours enréférence au fait générateur. Le faitgénérateur désigne le moment à partirduquel les éléments déterminant lasituation juridique sont réunis et, parconséquent, lemomentàpartirduquel lasituation juridique est née. Le point dedépart de la prescription devrait alorsvarierselonquel’onestenprésenced’uneinfraction instantanée ou continue. Parexemple,lorsquelesfaitssontconstitutifsdedélitinstantanéconsomméaumomentoù tous ses éléments nécessaires à saqualificationsontréunis,c’estenprincipeàpartirdecemomentquedevrait courirle délai, ce qui ne correspond pasnécessairement au moment de ladécouverte des faits de blanchiment decapitaux. À ce propos, cette prescriptionse fonde généralement sur la nécessitépour la société de privilégier l’oubli à laplacedelamémoiremêmepourdesdélitsqui fragilisent le tissu social, les risquesélevés de dépérissement des preuves,maisaussietsurtoutparlanégligencedelasociétéàexercer l’actionpubliqueouàexécuterunepeine.Pourautant,l’oublienl’espèce est d’autant plus pernicieux quele blanchiment de capitaux fait partie deces infractions qui menacent l’ordresociale (distorsion de concurrence,inégalité, insécurité-continuation de lachainedelacriminalité,etc.).L’enjeuserade ne pas laisser le bénéfice d’uneimpunitéquiserait fondéesur lamiseen

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œuvre du jeu de la prescription. Avec laprescription tout se passe comme si lamémoire rapprochée des hommesconférait une légitimité croissante à dessituations dont la paix sociale réclamesans doute qu'elles ne soient pasbouleversées33. Suivant les systèmes, lanotion et la portée de prescriptionprésentent de grandes différences. Danscertains pays comme la France, lesinfractions de blanchiment de capitauxsont intégrées à la catégorie des délitsétant donné qu’elles sont punies d’unepeine d’emprisonnement d’un maximumde dix ans34. En conséquence, elles sontsoumises à une prescription triennale35dont le délai commence à courir, enprincipe, aumoment de leur commissionc’est-à-dire lorsque les élémentsconstitutifssontétablis.Ainsi,àlasuitedecertains auteurs, onpeut s’interroger surla question de savoir si le temps doitproduire ses effets sur l’action publiquemêmesil’infractionn’apasétéconnueousi,aucontraire,laconnaissancedufaitdudélit de blanchiment de capitaux est lepréalableindispensableàsonoubli.1.2 Une prescription indifférente à laclandestinité des infractions deblanchimentdecapitauxLaprescriptionconstitueune limitede larépression des délits de blanchiment decapitaux, tout processus tendant à son33François OST, Mémoire et pardon, promesse etremise en question. La déclinaison éthique destemps juridiques, 1997, en ligne:http://www.legaltheory.net/. (consulté le 11 mai2017)34Codepénal,art.131-3et131-4.35Agathe LEPAGE, Patrick MAISTRE DU CHAMBON etRenaud SALOMON, Droit pénal des affaires, coll.Manuels, 3e éd., Paris, Éd. Lexis Nexis, 2013,no465, p. 181; Brigitte PEREIRA, Entreprises etrisque pénal, les essentiels de la gestion, Caen,Éditions Management & Société - Ems, 2009, p.172.

adaptation devant être considéré commeune pratique contra legem. La loi fixe lepointdedépartdelaprescription,aujourde la commission de l’infraction. Cettecomputation rigide (1.2.1) tend vers lalimitation des poursuites dès que laprescriptionestacquise(1.2.2).1.2.1LacomputationrigidedupointdedépartdesdélaisdeprescriptionPour déterminer si une infraction estprescrite,ilfaudraitprendreencomptelepoint de départ du délai de prescription,ainsi que les motifs de suspension oud’interruption de la prescription s’ilsexistent. Ces différents paramètres ontvocation à exiger une réelle diligence etcélérité dans le traitement des données,surtoutquelaconnaissancedel’infractionn’est pas une condition préalable à sonoubli. En matière de blanchiment decapitaux,lepointdedépartpeutêtreplusdifficileàdéfinir,s’ilyaunetransmissionou conversion successive d’argent sale,chacune de ces actions pouvant êtreconsidérées comme acte de blanchiment,donc comme point de départ. Leblanchiment pouvant être considérécomme un délit continu, il n’existe pasvraiment de point de départ,mais plutôtd’acteautonome.Lepointdedépartdelaprescriptiondevraalors être retardé tantquel’infractionserenouvelle.Ils’yajouteaussi que dans certaines circonstancesdéfinies par la loi uniforme, le délit deblanchiment peut être aggravé. Dans cecadre, il est soumis à la prescriptiondécennale (applicable aux crimes). Ainsi,la durée dépend de la gravité du délit,mais ne peut dépasser 10 ans, ce quicorresponddansunecertainemesure,audélai administratif de conservation desdocuments par les assujettis36;mieux, laprescriptiondépendconsidérablementde

36Loi uniforme, art. 11 ch. 3: Conservation despiècesetdocumentsparlesorganismesfinanciers,

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l’infractiond’origine.Celainterrogesurlaconnexité du délit de blanchiment, lecrime et délit d’origine. Ainsi, ladétermination du point de départ enréférence au délit d’origine pose ladélicatequestiondelapreuvedelaliaisonde causalité et la connexion avec uneactivitécriminelleenamont.Onobserveraqu’iln’estgénéralementpasnécessairedeconnaître l’auteur principal. Seul le faitqu’il y ait eu une infraction suffit pourl’exercice de l’action publique. On peutpoursuivre pour délit de blanchimentmêmesi l’infractiondebasenepeutplusêtrepoursuivie37.Cetaspectdel’autonomiedublanchimentest d’ailleurs déjà reconnu en Francepuisque laChambrecriminellede laCourdeCassation,dansunarrêtdu24 février201038, confirme la condamnation d’unhomme d’affaire nigérian pour leblanchiment du produit d’activités decorruption pourtant exercées dans lecadre de ses fonctions politiques auNigéria.Danssadécision,laHauteCouraconsacré une très grande autonomie dudélit. Premièrement, elle a affirmé laresponsabilité pénale de l’hommed’affaire pour blanchiment, alors mêmeque l’infraction principale n’avait pas étécommiseenFrance.LaCourn’ad’ailleurspas recherché sa responsabilité pénalepour les faits de corruption; ce quiconfirme que le blanchiment peut êtrecaractérisé à partir du moment où lesrevenus illégaux ont été investis en37«D’ailleurs, la loi uniformeest assez claire à cepropos:«saufsi l’infractiond’origineafaitl’objetd’uneloid’amnistie,ilyablanchimentdecapitauxmême : si l’auteur des crimes ou délits n’a été nipoursuivinicondamné;s’ilmanqueuneconditionpouragirenjusticedesditscrimesoudélits».38 Cass. Crim, 24 février 2010, pourvoi no09-82.857,Bull.Crim.,2010,no37;JCPG,2010,no23,629,noteC.Cutajar ;RTDCom,2011,p.814,obs.B.Bouloc ;Droitpénal,2010,no4,comm.42,obs.MichelVéron.

France. Il suffit que les faits principauxsoient constitutifs d’une infraction selonledroit françaispourque le blanchimentsoit caractérisé sans qu’il ne soitnécessairederechercherlaresponsabilitépénale de l’auteur pour l’infractiond’origine39.Encesens,laCouraffirmequele blanchiment est une «infractiongénérale, distincte et autonome»40. Il enest également ainsi en matière deprescription.La jurisprudencene faitpasdépendre la prescription du blanchimentdecelledesoninfractionprincipale.Dansunarrêtdu31mai201241, laHauteCouraffirme très clairement « le blanchimentconstituant un délit distinct, laprescription qui le concerne estindépendante de celle qui s’applique àl’infractionoriginaire.»Danscetteaffaire,le prévenu avait blanchi des produitsd’une banqueroute qu’il avait lui-mêmecommise42. Il faudra alors savoir si aucours des poursuites, on devraitrechercher davantage l’infraction deblanchimentde capitauxaudétrimentdel’infraction primaire, soit l’acte illiciteétantlegénérateurduprofitquiconstituel’infraction sous-jacente. Celle-ci peuts’avérerdifficileàprouver.Cerisqueserade rendre toutefois la Loiporteuse«d’arbitraire», d’insécuritéjuridiquedans lamesureoù leprocureurou plutôt le juge sera appelé en

39Chambrecriminelle,24 fév.2010,Bull.crim. Surdécision de la Cour d’appel de Paris du 18 mars2009.40Chantal CUTAJAR, «Autonomie du blanchimentdans un contexte international», note sous arrêt,(2010)629-23JCPG.41Cass. Crim, 31 mai 2012, no12-80715; Dallozactualité,22juin2012.42 Or, si les faits de banqueroute étaienteffectivement prescrits au moment dudéclenchement des poursuites, les activités deblanchiment, en revanche, avaient été commisesmoins de trois ans avant l’ouverture de laprocédureetpouvaienttoujoursêtrepoursuivies.

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permanenceàcaractériserdesinfractions«occultes» dissimulées ou«clandestines» et surtout porteusesd’inégalité. Toute infraction étant pardéfinition peu aisée à découvrir leursauteursn’agissantquerarementaugrandjour43.1.2.2Lalimitationdespoursuitesdueàl’acquisitiondelaprescriptionIl est donc constaté une démarcheuniforme et constante empruntée par lelégislateur en termesde prescriptiondesdélits sans une prise en compte de lanature occultes et des difficultés dedécouverte des infractions en causes,étonnement parce qu'il nous sembleobserver une particularité dans laconceptionde l’infractiondeblanchimentcaractérisée par la plupart du temps pardes opérations qui font l’objet demanœuvre assez complexe visant àdissimuler l’origine des capitaux. Ni ladissimulation des capitaux, la fraude, ledétournement de fonds public n’ontvocationàfaireéchecàlaprescription.La prescription s’attache aux faits44et nepart qu’une fois que sont réunis tous lesélémentsconstitutifsde l’infraction.Àcetégard, qu’importe la personne qui est encause, qu’elle soit bénéficiairedemandat

43 MichelVERON, «La clandestinité etprescription» (1998) Revue de Droit pénal, p. 4;Charles FREYRIA, «Imprescriptibilité du délit endroit pénal des affaires», (1996) 241 Semainejuridique,p.241.44 «Cass. crim. 27 octobre 1993», Bull. crim.1993.802, no320:«La prescription de l’actionpublique ôte aux faits poursuivis tout caractèredélictueux;Cass.crim.4décembre1952:Gaz.Pal.1953,I,jurispr.,p.92:«Laprescriptionenmatièrepénale ne constitue pas un bénéfice personnel,mais s’applique au fait lui-même; lorsqu’elle estacquise elle éteint l’action définitivement et àl’égard de tous les auteurs, coauteurs etcomplices».

électif45ou non, elle devrait pouvoir êtrepoursuivi. L’enjeu ne serait non pas des’intéresserauxpersonnesassujettiesqued’arriver à éviter l’extinction du droit depunir qui pourrait s’appuyer sur desmotifshypothétiques.Decepointdevue,laprescriptionnepeutêtre évitée sans une vigilance préalablesatisfaisantequipourradéboucher sur leprocèspénal.Onpréciseratoutefoisqueladéclaration46des soupçons n’est pas unecondition de recul de la prescription. Ledéclarant l'accomplit chaque foisqu'ilestenprésenced'uneopérationdouteuseoucarrémentatypique,auprèsdelaCENTIF.L’interruptiondudélaideprescriptiondel’action publique résulte d’un actejuridiquequianéantitledélaiécouléetlefait de nouveau courir entièrement. Lesactes qui possèdent cette vertu sont lesactesd’instructionetdepoursuite47.Iln’ya donc prescription qu’en l’absenced’action d’instruction et de poursuite.Ainsi par exemple, en Côte d’ivoire, enmatièrededélit,laprescriptiondel'actionpublique est de trois années révoluescertes, mais elle s'accomplit selon lesdistinctions spécifiées aux alinéas 1 et 2de l’article7duCodedeprocédurepénale

45Ciblerlestitulairesdemandatélectifseraitasseztendancieux et pourrait fausser l’esprit de larépressiondudélitdeblanchimentdecapitaux.46La déclaration est définie, dans le vocabulaireHenri Capitant, comme étant une révélation d'unfait souvent enfermé dans un délai, consistantpour celui qui l'accomplit à annoncer à uneautoritéuneinformationdontilapersonnellementconnaissance.47Codedeprocédurepénale, art. 7: On note aussique la prescription est suspendue par toutobstacle de droit ou de fait empêchant l’exercicedel’actionpublique,conformémentàl’article8(loino77-32du22 février1977).Enmatièrededélit,la prescription de l’action publique est de troisannées révolues ; elle s’accomplit selon lesdistinctionsspécifiéesàl’articleprécédent.

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de la Côte d’Ivoire 48 . À priori, cettedisposition en déterminant ainsi le pointdépart prend en compte l’interventiond’organessimilairesà laCellulenationalede traitement des informationsfinancières (CENTIF)49, tandis que dansdes pays comme le Sénégal, leurinterventionestdifficilementclasséedanslesactes«d’instructionetdepoursuite».Elles sont en rapport avec la mise enœuvredel’actionpublique,étantentenduque seule la partie lésée ou encore lesmagistrats détiennent le monopole dudéclenchement de l’action publique. Celaimpliquenotammentque«laprescriptionde l’action publique ne saurait courirlorsque ceux-ci sont dans l’impossibilitéd’agir au regard du caractère, occulte,dissimulé ou clandestin de l’infraction.Sauf à admettre, l’ineffectivité de la loipénale dans ces cas et l’impunité quasi-systématique de l’auteur des faits, ce quionenconviendra,n’estpourlemoinspassatisfaisant, si ce n’est choquant.»50Enl’absence de partie civile, le ministèrepublic ne pourra être saisi. Cela pose laquestion de la qualification de cetteintervention en acte d’instruction,d’investigation, susceptible de suspendreoud’interromprel’écoulementdudélaideprescription.À la lumière de ce qui précède, il estnécessaire de trouver une meilleurearticulation entre la réponse pénale et48Loino60-366du14novembre1960portantcodedeprocédurepénale.49Elle a pour mission notamment de recevoir,d’analyser et de traiter les renseignementspropres à établir l’origine des transactions ou lanature des opérations faisant l’objet dedéclarations de soupçons auxquelles sontastreinteslespersonnesassujetties.50M. CORDIER, «avocat général sur l’Arrêt no597du 20 mai 2011», 2011, en ligne:https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/cordier_avocat_20213.html.(Consultéle11mai2017).

l’écoulement du temps. Cela permetd’obtenir un «droit flexible»51et surtoutde rationaliser les conditions permettantl'exercicedel'actionpublique.2. La rationalisation du droit à laprescription de l’action publique enmatièredeblanchimentdecapitauxPourcela,lessystèmesjudiciairesdoiventadopter un dispositif qui mette l’accentsur l’efficacité de la lutte. Un régimespécial pourrait ainsi être adopté etconstituer une expression forte de lavolonté politique de lutter contrel’impunitésurtouslesplansenmatièredeblanchimentdecapitaux.Aprèsavoirmisen relief les conditions de larationalisation de l’oubli imposé par laprescription(2.1),l’accentseramissurlesmodalitésdemiseenœuvreduprocessusd’adaptation de règles processuellesapplicables(2.2). 2.1Lesconditionsdelarationalisationdel’oubliimposéparlaprescriptionLa rationalisation va se poser en termesde report oud’allongement des délais deprescription(2.1.1)etd’élargissementdudomaine des actes interruptifs etsuspensifsdeprescription(2.1.2).2.1.1LereportouallongementdesdélaisdeprescriptionCela consiste en ladétermination flexibledes points de départ pour s’adapter auxtypologiesdemécanismesdeblanchiment51Le doyen Jean Carbonnier, dans son ouvrageréférencePourunesociologiedudroitsansrigueur,Paris, L.G.D.J., 10ème éd., 2001, p. 8; l’une de sespensées était qu’un «système de législation doitsans cesse s’adapter aux changements de lasociété, sans les précipiter, ni tenter de lesarrêter.», dans Verdier RAYMOND, TOSSELO- BANCALJean-Émile(dir.), JeanCarbonier,1908-2003,Artet sciencede la législation.Colloque international(5 et 6 novembre 2008), Paris: Sénat, DalmonSébastienetHurinvilleFranck(éd.),2012,p.87.

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decapitaux.C’estessentieldanslamesureoù la CENTIF pourrait procéder auxtraitements des informations financièrespour une durée assez longue sans avoircetteépéedeDamoclèsdenepluspouvoirtransmettre les rapports au parquet, enraisondesdélaisdeprescription.Lepointdedépartdelaprescriptionpeutsesituersoitàladatededécouvertedesfaitsouàladatedeleurcommission.Il faudra tenir compte de la date dedécouvertedesfaits.C’estlemomentdelacommissionde l’infractionquiestprisencompte pour déterminer le cours de laprescription.Àceteffet,uneinfractionestcommisedès lemomentoù l’auteuraagiou bien aurait dû agir, quel que soit lemoment où l’effet s’en fait sentir. Il vasans dire qu’il n’est nul besoin quel’infraction soit connue ou encorelégalement constatée pour déterminer lepoint de départ des délais. S’il n’est pasbesoind’enarriverlà,iln’endemeurepasmoins vrai que la consécration d’unedisposition similaire pourrait être untempéramentapportéaurégimeactueldela prescription et permettre de validerl’action des CENTIFS comme tendant àconstater des indices de blanchiment, àconfirmerl’existencedudélit.D’ailleurs cette consécration neconstituerapasune innovationau regarddurégimede laprescriptiondecertainesinfractions consacrées par le Code desdrogues du Sénégal52. Ce n’est pourtantpas la position de la Cour de Cassation

52Suivantlesdispositionsdel’article144duCodedes drogues:«Nonobstant les dispositions del’article 6 du Code de procédure pénale, l’actionpublique relative aux infractions visées auxarticles 95 à 103 se prescrit par sept ans, àcompter de la découverte des faits. Les peinesprononcées pour la répression des infractionsvisées aux articles 95 à 103, se prescrivent par15ans, à compter du jour où elles deviennentdéfinitives».

françaisequi,étendantsasolutiondepuislongtemps dégagée enmatière d’abus deconfiance53,adansunpremiertemps,fixélepointdedépartdudélaideprescription«aujouroùledélitestapparuetapuêtreconstaté.» 54 La Chambre Criminelle a,dans un deuxième temps, complété saformule en mentionnant, dans unedécision du 10 août 1981, que le délaiétaitfixéaujouroùledélitestapparuetapu être constaté « dans des conditionspermettant l’exercice de l’action publique»55.Le maintien de la date de commission,tout en fixant des délais butoirs à touteslesautoritésenchargesdespoursuitesetinstructionsenmatièredeblanchimentdecapitaux, peut être fixé à10anspour lesinfractions de blanchiment occultes. Cedélai de prescription dit absolu pourraitpermettre de contourner le caractèreassezcourtdeladuréedeprescriptionquine tient pas compte forcement de lacomplexitédesattributionsde laCENTIF,laquelle doit notamment organiser etexploiter les informations en vued’optimiser les recherches permettant laconfirmation ou la levée des soupçons.Dans la mesure où le délai commence àcourir à partir de la réalisation desinfractions, on pourrait déterminer undélai butoir à partir duquel toutepoursuiteestimpossiblesurlefondementde la prescription. Ces dates pourraientpermettre d’assurer une certainecohérencedurégimedeprescriptionetdes’adapter aux évolutions constantes destypologies de réalisation de l’infraction,

53GabrielRoujouDEBOUBEE,«Fixationdupointdedépart du délai de prescription: une péripétieplutôtqu’unévènement»,Dalloz,2001.2351.54Cass. Crim, 7 décembre 1967,Bull. Crim., 1967,no119,Dalloz,1968.619,noteJ.M.R.55 Cass. Crim, 10 août 1981, Bull. Crim., 1981,no244; Gazette du Palais, 1981, 2, p. 696, noteJ.COSSON.

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car, en fonction des typologies, il y auradesincidencessurlesdifférentsdélaisdedécompte du point de départ de laprescription. Elles permettent dedéterminer le caractère instantané oucontinude l’infractiondeblanchimentdecapitaux. Le législateur devrait pouvoirapporter une certaine souplesse enpermettantdereporterlepointdedéparten fonction des modalités de réalisationde l’infraction, qu’elle soit instantanée,d’habitude ou contenue, ou constitutived’actes répétés relevant d’une mêmerésolution délictuelle, voire criminelle,etc. Si une activité délictueuse seprolonge, la prescription ne devrait donccommencer à courir que du jour où elleprendfinpourlesinfractionscontinues56,et les infractions instantanées 57 , lesinfractionspermanenteset les infractionssuccessives 58 . Ainsi, lorsque l'élémentmatérielestconstituéd'actesindivisibles,laprescriptionnepartiraitquedudernierdesactesperpétrés.Par ailleurs, il est possible de procéder àladéterminationdudélaideprescription56Cass. crim. 28mars 1996 (Gaz.Pal. 1996 II Chr.crim.130):«Ilestdeprincipequelaprescriptiondureceldechosescommenceàcourirdu jouroùladétentionaprisfin.».57 Suivant la Cour supérieure de justice duLuxembourg17janvier1957(Pas.Lux.1957-1959105):«Laprescriptioncourt,pour les infractionsinstantanées, à partir du jour où le fait incriminépar la loi a été commis, tandis que, pour lesinfractions continues, elle ne commence à courirquedujouroùl’étatdecontinuitéaprisfin».58Cereportpermettraitaussibienunallongementdu délai de prescription, mais aussi de pallierl’inadaptation des délais actuels de prescriptiondevant les attentes de la société menacée par lephénomène; surtout que les craintes dedépérissement ou de fragilisation des preuves nepeuvent être invoquées. Sinon, il seraitinopportun, voire quasiment inutile de demanderauxassujettisdeconserverlesdocumentspendant10 ans alors que les faits qu’ils permettent dejustifier sont tombés sous le coup de laprescription.

fixéeà7ansàcompterde lacommissiondes faits. En effet, pour les infractionsdeblanchiment non dissimulées, nonoccultes, ledélaideprescriptionpourraitêtre allongé pour tenir compte de lacomplexitédesinfractionsdeblanchimentdecapitaux,maisaussiêtreencohérenceavec lesdifférentes initiativesdestinéesàlutter contre des infractions telles ledétournement de denier public. Il s’agit,en l’espèce, d’instituer des régimesdérogatoires applicables nonobstant lesdispositions de l’article 6 du Code deProcédure pénale. Par exemple, laprescription de l’action publique enmatière de détournement de denierspublics est acquise à partir de 7 ansrévolues à compter du jour où le faitdélictueux a été commis. Il en est demême de la prescription de l’actionpublique et de la peine 59 relative auxinfractionsviséesauxarticles95à103duCode des drogues. Ces dernièresinfractions se prescrivent par sept ans, àcompter, cette fois, de la découverte desfaits. La différence entre ces dispositionset ceux applicables au délit deblanchiment de capitaux peuvent créerdesmalaises,voiredesdifficultéslorsqu’ils’agira de déterminer les liens deconnexitéentrel’infractiond’origineetlesfaits constitutifs de délit de blanchimentde capitaux. Les délais de prescriptiondoivent être harmonisés pour tenircomptedelagravitéetdelaspécificitédel’infraction de blanchiment de capitaux,surtoutlorsqu’ellessontcommisesparlesmêmes personnes. Le blanchiment decapitaux n’est pas une infraction demoindreimportancequeledétournementde denier public ou encore le trafic destupéfiants,mêmesibiensûraujourd’hui,le législateur avait procédé à la

59Loi97-18du1erdécembre1997portantCodedesdrogues,1997,art.144.

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criminalisation de certaines formes detrafic de stupéfiants. Il aurait étéregrettable de poursuivre des faitsconstitutifs de trafic de drogues sanspouvoir procéder au gel des avoirs etconfisquer le produit blanchi dans lecircuit légal pour la seule raison que cesactes ne peuvent être poursuivis sur lechef de blanchiment de capitaux. Lacommission suite à l’infraction(blanchiment) peut intervenir aussitôtaprèsla1ere(traficdrogue).Lesdélaisdeprescription commenceront à courir,mêmesi lesdeuxrégimessontdifférents.Dans la mesure où le blanchiment decapitauxseprescritauboutdetroisans,ilsuffira que l’action publique ne soit pasexercée que les dispositions relatives augel,soitlaconfiscationdecesproduits,nepuissentplusêtreappliquées.Il est donc important de pallier cetteinsuffisance et incohérence pourpermettreunelutteefficace.2.1.2L’élargissementdudomainedesactesinterruptifsetsuspensifsdeprescriptionIl aurait été judicieux de privilégier uncritère finaliste, en ayant en perspectivede l’objetde l’actemisenœuvredès lorsque cela permet les poursuites oucontribue à l’instruction. Cette positionrejoint celle de M. Garçon qui considèreque «pour repousser lemoyen tiré de laprescription, il faut constater qu’au jouroù le prévenu fait remonter celle-ci,ileûtété impossible de lepoursuivreparcequelapreuvedel’undeces éléments du délit aurait encoremanqué.» 60 Dans cette perspective, oninsistera moins sur la personne quiengagelespoursuitesquesurlesactesen

60 Maurice GARÇON, Code pénal annoté, éditionrefondueparMarcelRousseauetMauricePatin,2eéd.,Paris,RecueilSirey,p.926.

tant que tels.Dans ce cadre, dès l’instantque ces actes61ontpourbut la rechercheetlaréuniondespreuvesd’uneinfraction,nous sommes devant des actesd’instructions. De sorte que cetteintervention pourrait être uneopportunité et non une contrainte, parceque simplement un organe spécialisé,censé faciliter le travail d’investigationdes organes judiciaires, aurait effectuésontravaildurantledélaideprescriptiondontlepointdedépartestfixéaujourdela commission de l’infraction 62 . Celadevraitpermettreuneflexibilitédesactesinterruptifs ou suspensifs des délais deprescription. Les modifications devraientépouser certaines préoccupations dulégislateur français qui suivant lesdispositions63del’article41-2,alinéa1duCode de procédure pénale à disposer que«touslesactestendantàlamiseenœuvreouàl’exécutiond’unecompositionpénaleinterrompaient la prescription». Lelégislateur sénégalais pourrait ainsis’inspirer de la jurisprudence française,pour noter que les actes pourraient êtreperçusnotammentcomme«ceuxquiontpour objet de constater une infraction,d’en rassembler les preuves et d’enrechercher les auteurs.»64L’interventionde la CENTIF s’apparente à un acte deprocédure, elle fait courir un nouveaudélai.Seulement,ellenel’estpas.Ilseraitalors important de déterminer avecprécisionlesensdesnotionsd’instructionetdepoursuitesquiproduisent leureffet

61 Il va sans dire que les actes de pured’administration seront exclus. Ce qui pourraitlaisserperplexe,lorsquel’onsaitquelaCENTIFestun organe administratif. Il faudra peut-êtrepréciser la nature des actes qu’elle dresse outransmet.62Loi no77-32 du 22 février 1977 portant Code deprocédurepénaleduSénégal,art.7.63Loin°2004-404,2004.64C.crim.,1936,Bull.crim.

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interruptif ou suspensif sur le délai deprescription. L’intervention de la CENTIF(un service administratif) devrait êtreconsidérée comme un acte interruptif deprescriptiontendantàfaireconstateruneinfraction aumême titreque les actesdepoursuite et d’instruction. Et qui devraitfaire courir un nouveau délai deprescription?«Laréférenceàunactedepoursuite ou d’instruction aurait vouluque l’on retienne un critère organiquepourconsidérerquesontinterruptivesdelaprescriptiontouteslesdécisions,quelleque soit leur nature, juridictionnelle ounon,dès lorsquecelles-ciémanentd’uneautoritédepoursuiteoud’instruction.Telest bien le cas en pratique, maisseulement à titre subsidiaire,» 65L’adoption de cette recommandationpourra contribuer à crédibiliser lesinterventions de la CENTIFqui ne peutvalablementexercer l’actionpubliqueparl’application des peines. Elle demeure unservice administratif et à ce titre qui nedoit pas en principe empiéter sur lesmissions naturelles de la justicesénégalaise. Sur leprincipe, le traitementdes informations financières opérées parla CENTIF n’est pas contenue dans lesactes d’instruction, ni de poursuitelimitativement énumérés par lelégislateur. Cela est d’autant pluspertinent qu’il aurait été paradoxal deconféreruneffetmoindreàuneinitiativeprise directement par un organespécialisé dans le traitement desinformations financières et qui joue unrôle central enmatière de lutte contre leblanchiment de capitaux. La prise en65 Henri HELFRE, «Essai de liste des actesinterruptifs et des actes non interruptifs deprescription de l’action publique», (1987) Gaz.Pal.427;PatrickMAISTREDUCHAMBON,«L’hostilitéde la Cour de cassation à l’égard de laprescription», note sous Cass. crim.,2002, affairedesdisparuesd’Auxerre,JCP2002.935,II,10075.

compte de l’intervention de la CENTIF,comme acte suspensif de prescription:réviserouadapterlaloisénégalaisesurlaprescription du délit de blanchiment decapitauxpeut apparaître pour la CENTIF,à tort ou à raison, comme une nécessitépour préserver la cohérence des actesd’instruction et de poursuite. Laprescription applicable devrait intégrerl’intervention de la CENTIF commesuspensive des délais de prescription,surtout que les preuves ne peuventdépérir, sauf négligence coupable desassujettis.Il est ainsi véritablement fourni lesressources d’un renouvellement et doncde l’opérationnalisation de la législationpénale sur la question de la prescriptionde l’action publique tendant à larépression des délits de blanchiment decapitaux.2.2Lamiseenœuvreduprocessusd’adaptationdelaprocédurepénaleapplicableCette adaptation aura pour finalitéd’améliorer la qualité de larèglementation grâce à une meilleuregestionetàunemeilleureplanificationduprocessus. Cela représente un netinfléchissement de la réglementation quiprend désormais une orientation plusstratégique et est envisagée de façonintégréepourune réelle expressionde lavolonté manifestée par des actes depoursuivrel’infraction.Ilfautalorsmettrel’accent d’une part sur la mise encohérence des actes permettantl’instruction et la poursuite (2.2.1) etd’autrepartdesmodalitésdecoopérationentre lesorganesconcernésparcesactes(2.2.2).2.2.1Lamiseencohérencedesactesd’instructionetdepoursuitesattachésauprocèspénal

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Lapositionconsisteàconsidérerlesactes,notamment ceux qui ont pour objet deconstater une infraction, d’en rassemblerles preuves et d’en rechercher lesauteurs66enrapportaveclaluttecontreleblanchiment de capitaux comme unensembletendantàlamiseenœuvreouàl’exécutiond’unecompositionpénale.Celasuggère larévisiondustatutde l’enquêtepénalecommeundespiliersdudispositifglobal67. Le législateur devra porter uneattentionparticulièreàlanaturejuridiqueparticulière de l’enquête faite par laCENTIF.Cettedernière estune cellulederenseignement financier (CRF) de typeadministratif, placée sous la tutelle duMinistredel’Économie,desFinancesetduPlan. Cela implique a priori que cetteCENTIF, une forme de cellule derenseignement financier (CRF) n’est pasde type policier, intégrée à une autoritechargée de l’application de la loi(ministère chargé de l’intérieur ou de lasécurite) ou encore de de type judiciairedotée de pouvoirs de poursuite, créée ausein du pouvoir judiciaire et relevant leplus souvent de l’autorite du ministèrepublic. Cela dit, même si la CENTIF eststatutairement un service administratif,sonimplicationdanslamiseenœuvredel’actionpubliqueneportaitpasatteinteauprincipe de la séparation des pouvoirs.Celapourraêtreunenouveautédanstous

66Ch.crim.,9mai1936,Bull.crim.67La règle de la prescription, si elle trouve sonorigine dans l’oubli et lamoindre nécessité de larépression eu égard au temps écoulé, se fondeaussiessentiellementsur l’inertieou ledésintérêtde ceux qui peuvent exercer lespoursuites.Dominique-Noëlle COMMARET(avocatgénéralàlaCourdeCassation),(2004)RSC897;Frédéric DESPORTES et LaurenceLAZERGUES-COUSQUER,Traitédeprocédurepénale,2eéd.,Paris,Économica, no993, 2012; R.MERLE et A.VITU,préc.,note27,p.71.

les pays qui disposent d’une CENTIFMali68,Côted’Ivoire,etc.Au cours de l’enquête, l’action publiquen’apasétéexercée.L’enquêteestdestinéeà éclairer le ministère public sur ladécision de poursuivre, de ne paspoursuivre ou d’avoir recours à unemesure alternative. Elle se situe doncnécessairement en amont de la mise enmouvement de l’action publique. Lafixation du point de départ du délai deprescriptiondublanchimentjettedèslorsun sérieux aléa pour les autorités depoursuites.Si,aucoursdel’enquête,ilestétabliquedespaiementsontbieneu lieumaisqu’ilsontétéversésplusdetroisansaprès la découverte des faits, tout letravail d’investigation se trouve réduit ànéant. D’un point de vue opérationnel,l’absence ou le report des délais deprescription ferait peser une chargeexcessive(tempsetcoûtsdesrecherches)sur lesservicesde laCENTIFet la justicesénégalaise. En conséquence, si l’enquêteest indubitablement une étape de laprocédure pénale, elle ne peut êtreconsidérée comme une phase du procèspénal lui-même. Plus encore, la décisionest laissée à la libre appréciation duministèrepublic;c'est-à-diredudirecteurd’enquête,quis’apprêteàexercerl’actionpublique69 . Par contre s’il s’agit d’une«information », les autorités d’enquêtesn’auront pas un quelconque pouvoird’appréciation et seront dans l’obligationd’ouvrir une enquête. En toute logique,elles devraient être également dansl’obligation d’en avertir le Parquet. Lecode de procédure pénale insiste68Loino62-66AN-RMdu6août1962portantCodedeprocédurepénale.69EtienneVERGES,«L’enquêtepénaleaucœurd’unchangement de paradigme : le statut et les droitsde la personne mise en cause dans la procédurepénale», (2009) Revue pénitentiaire et de droitpénal4-9

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beaucoupplussurlesautoritésenchargede l’action publique et de l’instruction etnonsurlecontenudesactesd’instruction.D’ailleurs la CENTIF ne figuremême passur la liste de ces autorités etfonctionnaires. On notera qu’un textespécialpourraitpermettredepalliercetteinsuffisance, avec le risque toutefoisd’éroderl’autonomiedelaCENTIFdanslachaine pénale. En conséquence, onpourrait recourir dès l’intervention de laCENTIF au principe d’interruption de laprescription. Il s’agira de donner uneinterprétation particulièrementgénéreuse à la notion d’acte«d’instruction ou de poursuite». Unsimple soi-transmis du procureur à laCENTIF afin de s’informer du sort desdossiersreçusdevraitsuffireàconstituerun acte interruptif de prescription. Ainsichaque interruption de prescription feracourirunnouveaudélaisansqu’iln’existededélaibutoir70.2.2.2LesdispositionstendantàfavoriserlacollaborationentreorganesdelachaînepénaleLa prescription est souvent considéréecomme la sanctionde la négligencede lasociété à exercer l’action publique ou àexécuterlapeine,d’oùl’importanced’uneréellediligencedesorganesdepoursuite.Cela dit, le traitement des infractions deblanchiments de capitaux est trèscomplexe en raison principalement desmécanismes procéduraux, en vigueur. Lapriseenchargepar l’institutionjudiciairedesconduitesdeblanchimentdecapitauxque la société réprime par lacondamnation à unepeine, nécessite uneprise en compte des aspects «chaines

70 Serge GUINCHARD et Jacques BUISSON,Procédurepénale, 8ème édition, Paris, LexisNexis,2012,n°1386,p.916.

pénales»etdesaspectsexternesliéesàlacoopérationdanslespoursuites.Relativement à la chaine pénale,aujourd’hui aucun acteur ne dispose detableau de bord 71 , encore moins d’unsystème statistique informatisépermettant de suivre en temps réel lesprocédures et résultats des poursuitesdepuis la saisine du parquet, leurenregistrementetclôture.Cesstatistiquesdevraient porter sur les déclarationsd’opérations suspectes reçues, traitées ettransmises au parquet; les enquêtes, lespoursuites et condamnations liées aublanchiment de capitaux et aufinancement du terrorisme; les biensgelés, saisis ou confisqués; et l’entraidejudiciaire ou les autres demandesinternationales de coopération. Celaimplique pour le parquet chargé del’administration de la justice, deprovoquerdeséchangespermanentsavec«une série d’acteurs extérieurs à lajuridictionàsavoirnotammentlaCENTIF,les servicesdepolice, lesadministrationsconcernées, etc. Les rapports entre cesacteursnegagnentpasàêtreconflictuelsmais plutôt s'établir sur un modecoopératif (non sur un modehiérarchique), quel que soit par ailleursles difficultés de communications autourdesdossierstransmis.Leparquetresteleprincipal aiguilleur des affaires pénalesqui donne le privilège de requérirl’application de la loi. De ce fait, latransmission des rapports au Parquet71 Le terme même n’est pas consacré par lestextes organisant la procédure pénale. Cesexigencessontuneoccasiondelamiseenjouretlaconsolidation des méthodesd’investigation.Werner ACKERMANN et BenoitBASTARD, «La modernisation de l’institutionjudiciaire : la surprenante diffusion des tableauxde bord», dans Catherine GREMION et RobertFRAISSE(dir),Leservicepublicenrecherche.Quellemodernisation ?, Paris, La Documentationfrançaise,1996,p.187ets.

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marque la fin de la compétence de laCENTIF.Leprocureurainsisaisitransmetobligatoirement l'affaire au juged'instruction pour réquisitoire afin del’informer.Aprèsenquête,cemagistratdusiège informe le procureur des résultatsobtenus. Il peut, par la suite, mettre ledossierenétatd'êtrejugé.Àceniveau,ledéfi est de permettre un traitement entempsréeldesdossiers.Le traitemententempsréelestuneméthodedetraitementde l’action publique visant à faciliter lagestion du dossier en garantissant uneréponsepénaleetàaccélérerlecoursdesprocédurespénalesetàenaméliorersonefficacité. Elle se caractérise notammentparlerecoursauxcontactsdirectsaveclaCENTIF, voir avec les officiers de policejudiciaire. Le dispositif législatif neprévoit pas que les juges d’instructionprennent l'attache de la Cellule poursolliciter ses avis ou conseils sur desaffairesdeblanchimentdecapitaux,etce,même après leur saisine pour permettreune meilleure compréhension desdossiers et donc une réponse pénalerapideetadaptée.Au plan externe, la nature continuée dudélit assure la compétence territorialedel’État sur lequel les fonds ont étédécouverts, mais il faudra que cet Étatprouve que des infractions ont étécommisesdanslepaysdedépart,quipeutêtren’importeoùsur lasurfaceduglobe.À ce propos, «il n’est pas d’ailleursnécessaire que tous les élémentsconstitutifs de l’infraction soient réaliséssur le territoire de l’État en question; ilsuffit tout simplement qu’un actecaractérisant un de ces éléments ait étéaccompli sur son territoire pourdéclenchersacompétence».Or,mêmes’ilfut retenu 72 des techniques de

72L’obligation de coopération est posée par lesrecommandationsduGAFI,parlesarticles39à41

coopération, telles que l’extradition etl’entraide judiciaire en matièred’investigation et de procédures, lesrègles sont soumises au principe de laterritorialité, alors que certainesdépositions pénales de fond ont vocationà s’appliquer à des infractions commiseshors du territoire national. 73 Enconséquence, les actes procéduraux quidébordent le territoire national nepeuvent être accomplis qu’avec l’aideapportée par les autorités étrangères. IlestvraiquelesdifférentspaysquiontdesCENTIF (Côte d’Ivoire, Mali 74 , Togo),l’infraction est délictuelle75, et ces Étatsontpratiquement lesmêmesdispositionsrelatives aux délais de prescription desdélits. Néanmoins, le blanchiment decapitauxdébordedanscespays.

delaDirectiveno7de2002(applicablesauxpaysdel’UEMOA)etparlaLoiuniforme2004-09quiadéfini les modalités de cette coopérationinternationale en matière lutte contre leblanchimentdecapitaux.73 Abdoullah CISSE, «La compétencejuridictionnelle des juridictions pénalesénégalaise: l’affaire Hissene Habré», (2002) 41Africajuris.74Loino62-66AN-RMdu6août1962portantCodede procédure pénale duMali, art. 8: «Enmatièrededélit,laprescriptiondel’actionpubliqueestdetrois années révolues; elle s’accomplit selon lesdistinctionsspécifiéesàl’articleprécédent».75Loi no06-066/ du 29 décembre 2006 portantloi uniforme relative à la lutte contre leblanchimentdescapitaux :article37 :«sanctionspénalesapplicablesauxpersonnesphysiques.Lespersonnes physiques coupables d’une infractionde blanchiment de capitaux, sont punies d’unemprisonnement de trois (03) à sept (07) ans etd’uneamendeégaleautripledelavaleurdesbiensou fonds sur lesquels ont porté les opérations deblanchiment. La tentative de blanchiment estpuniedesmêmespeines.