hors-série beauté 2015

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Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 28 février 2015 BUONOMO & COMETTI BEAUTÉ MÉDITER, OASIS DE SILENCE PARFUMS DE LA JOIE NOTRE REFLET DANS LE MIROIR

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Ce numéro annuel dédié à la beauté est un manifeste pour la contemplation. Celle qui nous transporte au-delà des apparences grâce à la méditation. Retour sur une pratique toute d’intériorité qui nous ouvre au monde et dont le succès ne faiblit pas. Paroles d’experts. Et d’abord comment se voit-on? A quelle aune mesurons-nous notre attractivité physique? Enquête sur cette notion subjective qui, entre quête d’idéal et réalité assumée, garde sa part de mystère. Plongeons-nous aussi dans des univers plus volatils tel celui des fragrances qui ouvrent les sens à la joie et suivons l’inspiration très couture du parfumeur Francis Kurkdjian.

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2 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

ÉDITO

Individualités

Par Géraldine Schönenberg

Qui suis-je en mon miroir?L’implacable constat de masingulière différence? Cestraits particuliers quicomposent une entité uni-que dont je dois m’accom-moder, que je le veuille ounon. Ou alors le reflet enjo-livé et rêvé d’une époque auxnormes esthétiques standar-disées? Celle qui nouspousse à trafiquer le naturelpour afficher pommettessaillantes, lèvres ourlées etfront lisse, minimum vitalpour prétendre au regard del’autre. C’est l’option choisiepar les désabusées de leurapparence, celles qui voientleur nez comme un obstacleau bonheur ou leur ovaledevenu flou comme unéchec. Et qui font appel àl’autorité médicale, parfoisdésorientée par leur quêtedésespérée. (p. 20)

Mais avons-nous seulementle temps, pour nous conso-ler, de regarder au-delà del’apparence, source de dé-ception? L’époque est àl’inattention perpétuelle etaujourd’hui cela ne noussuffit plus de papillonner

d’activités virtuelles auxturbulences distractives, enpassant par la préoccupa-tion excessivede soi. C’est ainsi que l’onse tourne du côté de l’âme,en sondant ses espacesintérieurs par la voie dela méditation, sorte d’arrêtsur image, contemplationde l’instant. (p. 10)

Une discipline à la portée detous, à l’inverse d’une cure«Better Aging» à La Réservede Ramatuelle, parenthèseluxueuse de bien-être du-rant laquelle on restaureaussi son image de soi par lagrâce d’un personnel bien-veillant qui nous fait noussentir unique. (p. 4)

Une senteur peut aussi êtrepromesse de félicité tant elleévoque nos plus beaux sou-venirs, ceux qui sont liés à lajoie. (p. 16)

Qui sommes-nous sinon uncondensé d’un passé quinous façonne intérieure-ment, guide notre destintout autant qu’il infléchitnos traits. Le parfumeurFrancis Kurkdjian en témoi-gne, lui qui compose desfragrances pour les grandscouturiers, sorte de retouraux origines, lui-même ve-nant d’une famille de virtuo-ses de la confection. (p. 18)

Quant à Alberto Morillas, ils’est forgé son univers olfac-tif dès l’enfance, dans lesjardins d’Espagne ou enhumant l’eau de Cologneque portait son père, undandy. (p. 27)

Qui sommes-nous? Uneapparence, des souvenirs etun regard intérieur. Et toutcela est le reflet de la beauté,celle de notre individualité.

MYRIAM

RAMEL

4 PauseàLaRéservedeRamatuelleOù l’on découvre que pour bien vieillir, outre dormir,faire du sport et manger sainement, il faut savoirs’entourer de beauté et de gentillesse.Par Isabelle Cerboneschi

6 PlantesmiraculeusesLes onguents d’aujourd’hui recèlent au cœur de leurformulation des ingrédients botaniques, revendiquantune expertise tirée de la nature.Par Géraldine Schönenberg

8 Crèmes, la texturedu futurEnquête sur un domaine en pleine ébullition qui faitdu soin apporté à la peau unmoment de bonheur.ParMarie-France Rigataux-Longerstay

10 Laméditation, arrêt sur imageTour d’horizon d’une pratique anachronique, à reboursdes valeurs contemporaines.Par Géraldine Schönenberg

16 Parfumsde la joieA l’approche du printemps, les parfumeurs ouvrentnos sens à la gaieté.Par Valérie D’Herin

18 FrancisKurkdjian, garde-robeolfactiveEntretien avec un parfumeur aussi à l’aise dans lesvêtements les plus élégants que dans les belles senteurs.Par Valérie D’Herin

19 La santédes cheveuxRemèdes à l’alopécie, unmal qui touche à l’essencemême de la féminité.Par Catherine Cochard

20 Labeauté, notion subjectivePourquoi nous jugeons-nous avec autant de sévérité?Des experts nous aident à cerner ce terme, source de tantde préjugés.ParMarie-France Rigataux-Longerstay

24 Senteurs évocatricesLes parfums ont une histoire que leur «titre» résumeavec plus oumoins d’acuité. En quoi un nom est-ilcapable de créer une légende?ParMarie-France Rigataux-Longerstay

26 Lespalettes, cesboîtes àmaliceLes boîtiers coquets enjolivent pommettes, lèvresou prunelles et parfois tout enmême temps.Sélection: Géraldine Schönenberg

27 AlbertoMorillas et ses rêvesd’enfantPlongée dans lemonde imaginaire du parfumeur.Par Isabelle Cerboneschi

SOMMAIRE

6 Extrait de longévité

10 Pause silencieuse

18 Parfum couture

26 Boîte à couleurs

GET

TYIM

AGES

LAUREN

TROGER

DR

DR

Réalisation et photographieBuonomo&Cometti

MannequinLise@ IMG

MaquillageDior:Blush Diorskin NudeAir 004Fard à paupières DiorshowFusionMono 781 FarenheitMascara DiorshowIconic Overcurl 091Gloss Dior Addict FluidStick 229

Editeur Le Temps SAPlace Cornavin 3CH – 1201 Genève

Président du conseild’administrationStéphaneGarelli

Administrateur déléguéDaniel Pillard

Rédacteur en chefStéphane Benoit-Godet

Rédactrice en chefdéléguée aux hors-sériesIsabelle Cerboneschi

Rédactrice responsabledu hors-série BeautéGéraldine Schönenberg

RédacteursIsabelle CerboneschiCatherine CochardValérie D’HerinMarie-France Rigataux-Longerstay

PhotographesBuonomo&ComettiChristian CoignyPhilippe PacheSylvie Roche

Responsable productionNicolas Gressot

Graphisme, photolithosChristine ImmeléCyril DomonMathieu deMontmollin

CorrectionSamira Payot

ConceptionmaquetteBontron &Co SA

Internetwww.letemps.chGaël Hurlimann

CourrierCase postale 2570CH – 1211 Genève 2Tél. +41-22-888 58 58Fax + 41-22-888 58 59

PublicitéCase postale 2564CH – 1211 Genève 2Tél. +41-22-888 59 00Fax + 41-22-888 59 01Directrice:Marianna di Rocco

ImpressionIRL plus SA

La rédaction décline touteresponsabilité envers lesmanuscrits et les photos noncommandés ou non sollicités.Tous les droits sont réservés.Toute réimpression, toute copiede texte ou d’annonce ainsi quetoute utilisation sur des supportsoptiques ou électroniques estsoumise à l’approbation préalablede la rédaction. L’exploitationintégrale ou partielle des annoncespar des tiers non autorisés,notamment sur des services enligne, est expressément interdite.ISSN: 1423-3967

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4 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

PAUSE

MANGE,DORS,AIMEAprèsquatre jourspassésàLaRéservedeRamatuelle,on

découvrequepourbienvieillir, le secret,outrebiendormir, fairedusportetmangersainement(ons’endoutait), c’estdesavoirs’entourerdebeautéetdegentillesse.Par IsabelleCerboneschi

PHOTOS:G.G

ARDET

TE/

LARÉS

ERVE

Le seul choc que l’on subit àLa Réserve de Ramatuelle,encore que subir soit unmot mal choisi, c’est l’arri-vée. Comme dans une toilede Magritte, la porte n’est

pas une porte: c’est une fenêtre, quiouvre sur une autre fenêtre. Le re-gard choisit de prendre le large etde s’évader sur la grande bleue:une entrée avec vue sur l’infini.

Pas d’accueil frontal. Une sortede sas entre l’extérieur et l’inté-rieur, entre ce qu’on laisse derrièresoi et ce qui nous attend: devenir lapersonne la plus importante dumonde pendant quatre jours,durée du séjour pendant lequelLe Temps a été convié.

La Réserve de Ramatuelle est unhôtel village avec vue surplombantle Cap Camarat et le Cap Taillat.Douze villas, louées au mois ou àl’année – comme celle qu’occupede temps en temps Karl Lagerfeld –avec piscine privée et service hôte-lier, et puis l’hôtel à proprementparler, avec ses neuf chambres et19 suites ouvertes sur la mer. Cettebâtisse des années 70, avec son toiten demi-lune tel un réceptacled’ondes cosmiques, a été restauréepar l’architecte Jean-Michel Wil-motte. Les teintes sont volontaire-ment minimalistes: du blanc, dusable viennent en contrepoint duvert de la pinède et du bleu de lamer. Des meubles de designersémaillent les chambres et les par-ties communes: tapis de PaolaLenti et Tai Ping, rééditions de fau-teuils vintage. Le regard ne rencon-tre aucun écueil.

Pas ou peu de panneaux indica-teurs: même avec un GPS, le lieu estdifficile à trouver. Les hôtes vien-nent ici afin de s’isoler. Pour lesbains de foule, Saint-Tropez est àvingt minutes (en période creuse).

On m’a conviée quatre jours du-rant à tester la cure «better aging».

Apprendre à mieux vieillir enmoins d’une semaine relève de lagageure. Disons que le but est d’as-similer quelques bases. Si l’on ex-clut la partie médicale et le pro-gramme de nutrition, les soinsdiffèrent assez peu de ceux prodi-gués dans le fameux Espace HenriChenot à Merano, en Italie, pion-nier des cures de détoxination (lirele Hors-série Beauté du22.02.2014). Au menu chaquejour: bains bouillonnants drai-nants, enveloppement d’algues,douche au jet, massage «betterAging» et sport, soit une heure decoaching sportif (Pilate, marche,machines). Et matin, midi et soir,des plats allégés signés par le chefEric Canino, qui vient de décrocherune étoile au guide Michelin poursa cuisine du soleil.

A la fin du séjour, soyons hon-nête, je n’aurai perdu que quelquescentaines de grammes. Mais l’es-sentiel n’est pas là. Au fil des jours,c’est l’humeur qui a changé. Et jedécouvre que le secret du «mieuxvieillir», prôné à La Reserve, tienten quelques points.

MANGELe secret de la cuisine du chef EricCanino, c’est l’explosion de goûts.Chaque ingrédient est dans l’as-siette pour une raison: sa saveur, sacouleur, son apport calorique.L’étoile Michelin, c’était une sur-prise: «On ne s’y attendait pas. Nousn’avons pas joué la carte des guides.Nous avons travaillé essentielle-ment pour le client», relève le chef.

Eric Canino a banni les mots«minceur» et «régime» de son vo-cabulaire. Il fait une cuisine bien-être y compris pour le restaurantgastronomique. «On travaille avecde bons produits, les pêcheurs ducoin, toutes les ressources de larégion et les herbes aromatiquesde notre potager.» Le chef a apprisson métier chez Michel Gérardpendant sept ans, à Gréoux-les-Bains. «La cuisine «bien-être», c’estsurtout faire attention au gras. Onn’a pas besoin de mettre du beurreou de la crème pour que ce soitbon. On lie autrement. On tra-vaille le produit pour ce qu’il est eton le met en valeur avec des légu-mes. On garde tous les jus de cuis-son, on les réduit, on exalte lessaveurs.» Ses techniques de cuis-son? A la plancha, sous-vide, ou àla vapeur.

Les déjeuners, comme les dî-ners, sont toujours composésd’une entrée, d’un plat et d’un des-sert, à raison de 600 calories parrepas. Si on ajoute 300 caloriespour le petit déjeuner, cela donnedes journées à 1500 calories. Unexemple: Carpaccio de sériole auxagrumes en entrée, Suprême depoulet sans peau sur carpacciod’asperges et asperges grillées enplat principal et Gaspacho defruits rouges, sorbet à la mentheen dessert.

Les plats sont conçus pour leplaisir de l’œil et de la bouche. «Ondoit donner une idée de plaisirpas de frustration», souligne EricCanino. Pour arriver à si peu de

calories pour générer autant debonheur, le chef a des trucs: «Ilfaut savoir partager les quantités:on pèse tout, les viandes ou lespoissons c’est 80 à 100 grammesmaximum, entre 150 et 200 gram-mes de légumes, et pour les des-serts on élimine au maximum lesucre et la crème. Tout a été calculépar des diététiciens.»

DORS«Ici vous allez faire du sport, vousallez récupérer et surtout vous al-lez bien dormir, parce que la nu-trition le favorise», note Eric Ca-nino. Tout concourt à améliorer laqualité du sommeil: la nutrition,les soins, le sport. «Nous tra-vaillons d’ailleurs sur un projetd’accompagnement au sommeil,de cures spécifiques. Le sommeilest un facteur important pourl’équilibre, qui est souvent né-gligé dans les spas», explique Ma-rianna Heurtel, directrice du SpaLa Réserve à Genève, qui superviseles spas du groupe Michel ReybierHospitality. A Ramatuelle, on n’apas grand-chose à faire à partécouter les besoins de son corps etle mettre au repos quand il l’exige.Le cadre l’encourage. S’endormiren regardant la mer…

AIMEPasser à table est l’un des grandsmoments de la journée. Pour lesplats, certes, mais aussi parcequ’on y est accueilli avec un sou-rire. La majorité des employés durestaurant et de l’hôtel sont des

saisonniers. (La Réserve est ferméeen hiver). Ils n’ont pas été engagésparce qu’ils étaient les championsdu monde du placement de table,mais pour leur belle humeur, leurbienveillance et leur compréhen-sion de ce que le mot service signi-fie. Les sourires du matin sontpresque aussi importants que lespains sans gluten et la confituresans sucre qui arrivent dans l’as-siette.

Au spa aussi. On se sent en-touré, accompagné. Le pro-gramme sportif est conçu sur me-sure: il accompagne les élans et lesbaisses de régime. «L’idée quisous-tend nos programmes decure c’est l’écoute: comprendre leclient dans sa globalité afin de luiapporter ce dont il a besoin pourretrouver un équilibre, expliqueMarianna Heurtel. On doit ciblerles carences. Les clients qui fontune cure à La Réserve à Genève ontun «référent» qui les accompagnetoute la journée. Une sorte decoach qui va écouter, prendre encompte ses hauts et ses bas pourmodifier le programme du jour,qui peut déjeuner ou petit-déjeu-ner avec la personne si elle se sentseule.» Un concept qui va égale-ment être mis sur pied à Rama-tuelle. «Actuellement nous ac-cueillons une personne qui faitune cure de trois semaines. Il y aforcément un côté répétitif dansson programme. Et cela peut de-venir lassant. On se décourage trèsvite quand on ne voit pas tout desuite des résultats. La présenced’un tiers est importante.»

Tout concourt à entourer, enca-drer la personne, lui faire sentirqu’elle est l’être le plus importantdu monde pendant quelquesjours. Et le pari est sans doute ga-gné lorsqu’elle devient la per-sonne la plus importante à sespropres yeux.

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6 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

JARDINEXTRAORDINAIRE

BeautéchamaneLesonguentsd’aujourd’huipossèdent,biencachésaucœurde leur formulation,unouplusieurs ingrédientsbotaniques,revendiquantuneexpertise tiréede lanature.ParGéraldineSchönenberg

LiquidGlowSkin-Best,Biotherm.Huile bonnemine instantanée àl’astaxanthine, une

micro-algue de couleurrouge.

Plantes et fleurs inéditesaux propriétés miracu-leuses ont trouvé un ter-reau de luxe, celui descrèmes cosmétiques.Aujourd’hui, les mar-

ques rivalisent d’imaginationpour mettre en exergue, dans lacomposition de leurs nouveautés,des matières premières naturellesmystérieuses et évocatrices.

La botanique est un champd’exploration illimité pour lesscientifiques dont les découver-tes fleurissent d’année en année.Ce dont profitent les grandesmaisons qui possèdent leurs pro-pres laboratoires de recherche.Comme l’explique le professeurKurt Hostettmann, docteur enchimie et spécialiste des plantesmédicinales*: «Les plantes sontdes usines chimiques extraordi-naires. Chacune contient des di-zaines de milliers de substancesdont quelques-unes seulementsont responsables d’un effet thé-rapeutique.» Et les pôles de re-cherche des grandes marques nese contentent pas d’observer lesespèces communes que l’ontrouve sous nos latitudes maispartent les dénicher au bout dumonde. Les vertus de certainessont connues: le pouvoir hydra-tant de l’aloe vera, les propriétésantioxydantes de l’huile d’arganou les effets régénérants de lagrenade.

Mais la nomenclature des in-grédients naturels à partir des-quels naissent une crème, un sé-rum ou une lotion ne cesse des’étoffer. Chez Nuxe, pour lagamme Merveillance expert, oninvoque «une fleur jamais encoreutilisée en cosmétique: le lys d’unjour» et «ses capacités de renais-sance». Chez Chanel, dans Subli-mage L’Essence, c’est la fleur d’ord’Himalaya qui a la vedette, «lé-

gendaire reine des montagnes,rare, précieuse et incroyablementrésistante» ou encore l’harun-gana de Madagascar, une «plante«première» inestimable puis-qu’elle a le pouvoir de régénérerla forêt». Dior a jeté son dévolusur l’Hibiscus sabdariffa au «pou-voir détoxifiant d’une puissancenaturelle extraordinaire», utili-sée en décoction en Afrique, pourcomposer son sérum One Essen-tial. Chez Sisley, entre extraits defleur de guimauve et d’alguebrune contenus dans la Lotion deSoin Essentielle Sisleÿa, on trouveaussi le ginkgo biloba qui «toni-fie la peau pour la rendre plusréceptive au soin suivant».

Bouleau blanc, shiso japonais,camomille romaine, gingembrezerumbet, guarana: le jardin des

simples de la cosmétique estinfini. Et même lorsqu’il

s’agit de matières pre-mières aussi prosaï-

ques que le miel, onutilise celui qui pro-vient des ruches del’abeille noire del’île d’Ouessant,«l’un des plus purs

du monde» selonGuerlain, qui en fait

l’ingrédient phare desa gamme Abeille

Royale.Faire rêver, emmener

au cœur de contréesexotiques la consomma-

trice qui s’approprie unpeu de nature universelle

dans le territoire étroit de sasalle de bains est certaine-

ment davantage qu’un argu-ment marketing. Car l’évocationde ces végétaux mystérieux con-tenus dans nos onguents nousautorise à nous imaginer un peuchamanes, un peu sorcières… Encaressant son visage de quelques

Lift-AffineVisage,sérumcontour parfait,Clarins.Guarana,

gingembre zerumbetet kaki.

Belle de Jour,Fluide fantastique,Kenzoki. Sérumau lotus blanc.

Huile de jeunessedivine, à l’immortelledeCorse et aux

sept huiles végétales.L’Occitane.La feuille de ginkgo biloba, la plus

ancienne espèce d’arbre connue,est un puissant antioxydant.

Le lotus, symbolede la longévité.

LAURENTRO

GER

ANDREAS

PHOTOS:DR

gouttes d’Huile de Jeunesse Di-vine de L’Occitane à l’immortellede Corse. Ou du Fluide fantasti-que Belle de Jour de la gammeKenzoki au lotus blanc. Commesi ces ingrédients qui symboli-sent la force de la nature et sarégénération perpétuelle étaientinvestis d’un pouvoir indiscuta-ble, bien plus puissant qu’unesimple formule chimique.

A la manière des plus fameusesreines de l’Antiquité, Néfertiti ouCléopâtre, qui n’avaient à leurdisposition que des végétauxcomme promesses de beauté.Comme le souligne le professeurHostettmann: «Je me suis inté-ressé aux plantes utilisées dansl’ancienne Egypte, en particulierl’aloe vera. Pour moi, c’est lameilleure plante pour la cosméti-que. Car elle est hydratante, a uneffet antifongique et antibacté-rien. On sait que Néfertiti l’utili-sait. Le papyrus d’Ebers (traitémédical datant du XVIe siècle av.J.-C.) décrit la façon dont on de-vait en extraire le gel. Les proprié-tés de l’aloe vera étaient connueset sont aujourd’hui prouvéesscientifiquement. Quant à Cléo-pâtre, elle se plongeait dans unbain de lait d’ânesse dans lequeltrempaient des pistils de safran.»Une phytothérapie empiriquequi faisait déjà ses preuves. L’ex-pert cite encore les Grecs anciens,qui avaient l’habitude, pour ren-dre leurs enfants plus intelli-gents, de leur frotter la tempe etle front avec des brins de roma-rin. Des crèmes de beauté quiamélioreraient notre QI, voilàune belle promesse du futur…

*Professeur honoraireaux Universités de Genève,de Lausanne, de Nanjing,de Shandong et à l’Académiechinoise des sciences à Shanghai

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 7

CASSIOPÉE2010

Lamarque suisse Eva.J produit des cosmétiques à base de plantes et d’ingrédients naturels. Une ligne de soins luxueuse quiconjugue phytothérapie, relaxation émotionnelle et expertisemédicale. Interviewde sa fondatrice Eva Johnston.

«Lesplantesagissentsurlapeauetlesarômessurlecerveau»

Le Temps: C’est courageux delancer une nouvellemarque decosmétiques. Pourquoi ce choix?Eva Johnston: Les plantes et lanature m’ont toujours fascinée. Etaussi la santé, particulièrementcelle de la peau. Et la beauté.Après une carrière en économieet marketing, je me suis inscriteen phytothérapie médicinale àLausanne. En même temps, je mesuis formée en soins esthétiquespuis en nutrition humaine. J’aiouvert un spa et en commençantà pratiquer, je me suis renducompte que tout ce que l’on metsur la peau, on ne peut pas ledissocier de ce que l’on est àl’intérieur. La nutrition a, pourmoi, un rôle très important àjouer. Je me suis intéressée à labeauté au sens holistique. En meconcentrant sur le visage. Levisage et le cerveau. Les neuros-ciences m’ont toujours fascinée.

Mais là, vous vous éloignezde la beauté?Oui et non… C’est ce chemin quim’a amenée à créer des cosméti-ques qui prennent en comptecette interférence entre la peau etnos émotions à partir de notreperception de nous-même. En2007, j’ai découvert la psycho-dermatologie. A l’époque, onpensait que cela ne servait à rien.Mais aujourd’hui les dermatolo-

gues sont d’accord pour dire quel’acné ou la couperose peuventavoir des causes primaires ousecondaires qui sont psychologi-ques. Que ces affections soient laconséquence d’un stress ou qu’el-les le génèrent.La psychodermatologie étudiel’influence du stress psycho-socialsur la santé de notre peau. C’est leprincipe de mes produits: faire laliaison émotionnelle avec ce dontnotre peau a besoin au momentde l’application.

Votremarque est 100% suisse?Oui, de la fabrication au packa-ging. Et je collabore avec uneéquipe de recherche pharmaceu-tique dans le canton de Fribourg.

Vos produits sont sansconservateurs?Il s’agit de cosmétiques contenantdes actifs naturels rares extrême-ment concentrés dont l’efficacitéa été prouvée. Mais pour obtenir,cette efficacité, je suis obligée demettre des conservateurs dansune optique de pharmacopée,c’est-à-dire avec un minimum denuisance pour la peau. Tous lesingrédients sont certifiés bio ouécocert et chaque fournisseur esthabilité pour fournir la pharma-copée suisse. La gamme a subipendant cinq ans des tests trèsexigeants. J’ai choisi les pays les

plus sévères: Allemagne, France,Espagne. Les Français ont desstandards très élevés et m’ontattribué la mention Très bien. Laqualité commence avec les matiè-res premières. Avec l’eau du lac deThoune très riche en oxygène.C’est l’eau d’un glacier que nousfiltrons et même stérilisons pourune pureté exceptionnelle.

Quelle est votre philosophie?C’est que chaque produit corres-pond à un moment de votre vie. Jene propose que deux crèmes, parexemple: crème de jour et crèmede nuit. La crème de jour est sur-tout conçue pour les peaux nor-males mais aussi à tendancegrasse à mixte. Et pour ce type depeaux, on peut appliquer cettecrème le jour et la nuit. Parcequ’elle apporte confort et hydrata-tion. J’ai aussi créé des sérums. Ouencore la crème perfection à lavitamine C et au bleuet, une crèmeriche à l’odeur d’agrumes. Quicontient de l’huile de mandarine,de pamplemousse ou de citron.Les plantes agissent sur la peau etles arômes ont une importancefondamentale, car ils ont uneaction sur le cerveau (c’est la mes-sagerie entre la peau et le cerveau).

Vous utilisez beaucoup de plantes?Nous utilisons près de 40 plantesactives dans notre gamme, très

réduite, ce qui est énorme. Nousavons par exemple un produitpour les yeux à l’hamamélis, aubleuet et à l’euphrèse, une plantesuisse que j’adore. Les ophtalmo-logues l’utilisent depuis la Grèceancienne. Ou encore une lotion àla fleur d’oranger (qui était lesecret de beauté de Marie Antoi-nette) et à l’huile de pépins depamplemousse.

Vous insistez sur le rôle émotionneldes odeursOui, c’est très important, lesodeurs ont un rôle direct entre lecerveau et la peau. Elles interagis-sent avec les neuro-récepteurspour donner un signal au cerveauqui le traduit et renvoie un mes-sage particulier à notre peau.

Mais l’effet d’une odeurest toujours subjectif?Non, car nous cherchons le prin-cipe actif qui redonne de l’énergieà la peau, par exemple le principeimmuno-protecteur. Quand jeprésente mes sérums, je ne dé-voile pas leurs propriétés, car jesais qu’en fonction de l’odeur unefemme choisira ce qui lui con-vient. Par exemple si ma peau estfatiguée, je retiendrai incons-ciemment le sérum pour capillai-res fragiles qui va redonner del’élasticité à la peau. C’est votrepeau qui choisit. Les moléculesdes plantes naturelles pures, parleur fragrance, peuvent avoir ceteffet prononcé sur le cerveau. Jeme réfère aux travaux de LindaBuck et Richard Axel, qui ont reçule prix Nobel, car ils ont prouvél’importance de notre systèmeolfactif et limbique et le rôle dessenteurs dans notre systèmeimmunitaire et dans l’échangeentre le corps et le cerveau.Propos recueillis par G. S.

VisageCrèmeN° 3, contenant desextraits d’Herba chelidonii, Herbabidentis et de l’huile demandarine.

PHOTOS:DR

Intensive SkinSupplement,Bobbi Brown.A l’extrait

de bouleau blancet de raisin. Sisleÿa, Lotion de

soin essentielle,Sisley. Extrait deguimauve, d’alguebrune et de ginkgo

biloba.

Merveillance ®expert sérum,

Nuxe.A l’extrait de Lys

d’un jour.

Masque peelingglycolique,Caudalie.A la viniférine de

sève de vigne et auxenzymes de papaye.

Sublimage L’Essence,Chanel.A la fleur d’or

d’Himalaya età l’harunganadeMadagascar.

UltimuneConcentréactivateur énergisant,Shiseido.A l’extrait deginkgo biloba, de shisojaponais et de thym

sauvage.

Huile ExtraordinaireVisage, L’Oréal.

Aux extraits de huithuiles essentiellesdont la lavande et lacamomille romaine.

RemedermHuilecorporelle,

LouisWidmer.A l’huile d’amande,de jojoba et de tour-nesol et à l’extrait de

camomille. SupremeRecoveryOilCremaNera Extrema,GiorgioArmani. Extrait

deMyrothamnusflabellifolia,

huile de cumin noiret huile de camélia.

Gel illuminateurcontour des yeux,LaMer.Abased’alguesmarines.

One Essential, sérumdétoxifiant et énergisantfondamental,Dior.A

l’extrait d’hibiscus rougedu Burkina Faso.

Crèmepour le visage contre leséléments,Aésop.A l’extraitde racine de gingembre et auxhuiles essentielles de clou

de girofle, camomille duMarocet bois de santal.

Enlighten, Crème correctionéclat parfait, Estée Lauder.

A base de lentilles, de pastèqueet de pomme.

Abeille Royale, DailyRepair Serum,

Guerlain.Aumielde l’Abeille noired’Ouessant.

Le Lys d’un jour, ouHémérocalle, éclôt, faneet renaît le lendemain.

Page 8: Hors-série Beauté 2015

8 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

FUTUR

JEUXdetexturesDesmatièrescalquéessur ladouceurdecertains textiles,desgélifiantsetdesémulsionnantsde ladernièregénération.Enquêtesurundomaineenpleineébullitionqui faitdusoinapportéà lapeauunmomentdebonheur.ParMarie-FranceRigataux-Longerstay

Hydra BeautyMicroSérum,Chanel.

DIO

R

Anne-Marie Pensé-Lhéritier est doc-teure en pharmacie.Responsable du pôleformulation et ana-lyse sensorielle à

l’Ecole de biologie industrielle deCergy-Pontoise, elle a participé audéveloppement des nouvellescrèmes multi-régénérantes de Cla-rins, qui souhaitait que leur tex-ture se rapproche de celle d’uneétoffe ultra-douce. Une collabora-tion s’est tissée entre l’Ecole de bio-logie et l’Ecole nationale supé-rieure des arts et industries textilesde Roubaix, qui a permis cetteprouesse. «Clarins souhaitait me-ner une réflexion sur l’universalitédes velours, dans l’espoir ensuited’en rapprocher la texture de leursoin, résume-t-elle.» A l’issue d’unevaste investigation au niveau tac-tile, des critères sensoriels ont étéfixés, que l’on retrouve désormaisdans les crèmes multi-régénéran-tes. «Une fois appliquée, la crèmelaisse sur la peau un fini qui s’appa-rente à un velours.»

L’expérience n’est pas unique. Letout nouveau sérum Hydra Beautyde Chanel crée une vraie révolu-tion dans le monde de la cosméti-que. Profitant de la science de lamicrofluidique, une nouvelle gé-nération d’hydratants est née quigorge la peau en un geste incroya-ble d’hédonisme.

La subtilité des molécules…Science remontant aux années 60,la microfluidique connaît déjànombre d’applications dans lesdomaines médical et pharmaceu-tique. C’est elle qui a rendu possi-ble la création de ces bulles d’actifsqui, en s’écrasant sur la peau, y dé-posent, à la manière d’une soie, unvoile sans alcool qui rassasie lapeau. Une fois de plus, ce sont despolymères (substances composéesde macromolécules) agissantcomme des Velcro moléculaires,qui ont permis cette prouesse. Bri-gitte Noé, biophysicienne, direc-trice Développement et innova-tion galénique du groupe LVMH,évoque l’importance de ces poly-mères, d’origine naturelle ou syn-thétique, qui permettent d’adoucirles touchers de tous les produits,mais aussi d’obtenir un ma-quillage longue tenue avec unmaillage très léger et de gommervisuellement les rides. Evoquant lafamille très large et très diverse dessilicones, dont les moins bons ontété supprimés pour des questions

d’écotoxicité, elle relève qu’ils sontindispensables pour obtenir cestouchers agréables qui créent l’at-tractivité des produits contempo-rains, soins ou maquillage.

Pour Lionel de Benetti, conseillerscientifique auprès de la marqueRadical Skincare, les silicones, ex-cessivement diabolisés par les mé-dias, sont inoffensifs pour la peau.Leur caractère occlusif dépendantde la longueur de la chaîne et de laproportion qu’ils occupent dans leproduit. Le problème vient plutôtde leur biodégradabilité. Jamais deleur tolérance.

Les gélifiants ont, eux aussi, jouéun grand rôle dans l’améliorationdes textures. «Une émulsion c’est del’eau, des corps gras, un émulsion-nant et des gélifiants. Ceux-ci sontlà pour stabiliser et donner une cer-taine consistance à l’ensemble. Audépart, ils savonnaient l’applica-tion. Désormais les familles de géli-fiants, molécules chimiques inof-

fensives, n’ont plus du tout ce côtécollant.» Eric Gooris, directeur deslaboratoires Clarins, se veut très op-timiste. «Les spécialistes en textu-res, nos fournisseurs, ne cessent denous proposer de nouveaux typesd’émulsionnants. Ils sont de plusen plus stables et très bien suppor-tés, sans aucun risque d’allergies.Nous avons tous en tête un souci deperfectionnement dans la tolé-rance, la stabilité, l’efficacité et leconfort.» Car une texture, ce n’estpas qu’une apparence, elle a aussides vertus. Il cite le sérum: «S’il ren-ferme très peu de phase grasse, ilaura un effet lissant. Une fois qu’ilest étalé, l’eau qu’il renferme s’éva-pore et les polymères provoquentune sensation de tension. Pour uneffet comblant, on mise sur cer-tains types de cires.» Quant à l’épi-neuse question des parabens, cesconservateurs si décriés, elle provo-que chez les professionnels lemême type de réponse: «Tous nesont pas à mettre dans le mêmepanier. Pas mal d’industriels ont agidans la précipitation en y renon-çant et ont recours à de nouvellesmolécules qui seront peut-êtreclouées au pilori d’ici à quelquesannées.» Comme le résume bienAnne-Marie Pensé-Lhéritier, «cha-que avancée est susceptible d’avoirses défauts. Le naturel aussi. Il y atoujours une relation bénéfice-ris-que à mesurer, mais chaque pro-duit fait l’objet d’un grand nombrede tests et d’évaluations. Nous de-vrions, bientôt, repartir sur unenouvelle étude, en collaborationavec Clarins, pour imaginerd’autres sensations.»

La filière nipponeD’autres sensations, ce sont aussicelles réclamées par les Asiati-ques, spécialement exigeantes,comme le confirme Eric Gooris, aupoint d’avoir poussé les grandessociétés de cosmétique à dévelop-per des structures différentes quirépondent à leurs revendications.«Le type de peau n’est plus désor-mais le seul critère de choix. Ultra-sensibles à la légèreté au pointqu’une texture pour peaux nor-males en Europe sera employée,en Asie, par des peaux sèches, lesAsiatiques, exposées à un climatchaud et humide, ne se conten-tent plus des produits élaborés enEurope.» Et cette exigence profiteau monde entier: toujours plusaériennes, délicates, ces formulesallégées, mais dopées en actifs,font école.

>Une série de critèresAfin de déterminer les critères sensoriels auxquels les femmes aspi-rent, lesmarques de cosmétique se livrent régulièrement à des enquê-tes dans lemonde entier et prennent aussi en compte les réactions surles blogs ou sur les points de vente. La sensorialité d’une texture est unvéritable critère de séduction, relève Brigitte Noé. «Un sérum doit êtrebu rapidementpar lapeauet la laisser unpeupulpée, prête à recevoir lacrème de jour sans que cette superposition de produits soit lourde. Unproduit hydratant pour le corps doit pénétrer instantanément pour quece geste quotidien soit vécu comme un plaisir. Grâce à son parfum, lasensualité de l’application, le fini d’une peau hydratée, toute douce,juste satinée. En revanche, un produit de maquillage du teint quis’appliquerait trop vite ne permettrait pas une application parfaite-ment homogène. Il faut donc que les critères cosmétiques s’adaptent àchaque fonction. Et nous soignons toutes les facettes de cette senso-rialité depuis la goutte au sortir d’une pompe ou la crème dans son potjusqu’au résultat final.»M.-F. R.-L.

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10 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

s’endort. Et nous, on est dans cetétat-là toute la journée. En es-sayant d’être toujours plus effica-ces, performants, actifs, on de-vient extrêmement fatigués etstressés. Le burn-out est la mala-die de notre temps.Dans la méditation, on apprend àêtre attentif en gardant cons-cience de sa présence corporelle,c’est une attention beaucoup plusouverte. L’intérêt de cette prati-que se mesure aussi socialement,on a absolument besoin de re-trouver des espaces-temps pourêtre avec soi-même, savoir cequ’on veut, ce qu’on sent.

C’est une question de survie?Absolument. Nos ancêtres,quand ils regardaient leur feu decheminée, peut-être qu’ils cou-saient en même temps mais ilsétaient posés, il y avait du silencequi leur permettait de se ressour-cer. Et d’un certain point de vue,méditer c’est réapprendre ce quefaisaient nos grands-parents.Réapprendre à vivre au présent, àêtre synchronisé avec soi-même.Lors d’une enquête aux Etats-Unis, l’on a demandé auxparticipants, à certains momentsde la journée, s’ils étaientprésents à ce qu’ils faisaient. 60%d’entre eux ont répondu par la

MÉDITATION

Secretdebeautédel’âme

Tourd’horizond’unepratiqueanachronique,à reboursdes valeurscontemporaineset qui remet l’âmeà sa justeplace,bien au-dessusdes apparences.ParGéraldineSchönenberg

>Suite en page 12

SYLV

IEROCHE

Pratique spirituelle an-cestrale, la méditation atraversé les siècles pours’enraciner dans le XXIe,déployant ses effets ver-tueux, de calme, de

silence et d’intériorité. Tel un on-guent protecteur apaisant notrepsychisme bouillonnant d’inter-rogations existentielles univer-selles, sur fond de sollicitationsnumériques, de narcissismeincontrôlé et d’insécurité am-biante.

Méditer c’est d’abord contem-pler. L’intérieur de soi comme lemonde qui nous entoure avecd’autres yeux que nos rétinesultra-sollicitées par des images ensurimpression perpétuelle. Tels lesmood boards alimentés par Pinte-rest, les infimes moments de vieexposés sur Facebook, lesconsidérations minute sur Twee-ter. Flot d’informations jusqu’à enperdre la raison et le sens de l’exis-tence. La contemplation, arrêt surimage. Un peu à la manière d’un

voyageur qui ne regarderait riend’autre que le paysage défiler sousses yeux. Un paysage qui ne secomposerait pas de maisons etd’arbres mais de pensées et de sen-sations corporelles. D’impressionspersonnelles. De soi, pas de l’ego.Non des jugements de valeur maisdes observations de nos émotionséprouvées, des productions de no-tre esprit. Une «pleine conscience»de soi et pour soi. Pourquoi? Et àquoi ça sert? Comment arriver à«ne rien faire» d’autre qu’être ré-

ceptif à soi-même pendant vingtminutes chaque jour?

Nous avons demandé à des ex-perts de la «pleine conscience»,laïcs ou religieux, de nous évo-quer leur pratique, une disciplinequotidienne qui leur est aussi vi-tale que boire ou manger. Et quileur permet d’affronter l’exis-tence en toute lucidité. La clépour le bien-être de l’âme expur-gée du brouhaha des préoccupa-tions parasites et du brouillarddes illusions.

Fondateur de l’Ecole occidentale deméditation, prônant une pratique laïque

FabriceMidal:«Laméditationestuneformed’hygiènementale»

Le Temps: Pourquoi ne jure-t-onplus que par cette disciplineaujourd’hui, dans le cadredu développement personnel?FabriceMidal: La méditation,depuis quelques années, s’ensei-gne de manière pédagogique etlaïque. Il a fallu du temps pourréussir à transmettre au grandpublic ce que l’on avait reçu demaîtres bouddhistes. Le travail deJon Kabat-Zinn, de Jack Kornfieldou en France, plus récemment, lemien suivent la même ligne. JonKabat-Zinn est le fondateur de la«pleine conscience», qui estun aspect thérapeutiquede la méditation.Il faut de longues années detravail et de pratique de laméditation pour la retransmettreà partir de son expériencepersonnelle, de manière simple,pédagogique. Qu’on reçoive unenseignement d’un maîtrejaponais ou tibétain, celui-ci atoujours pour nous, Occidentaux,un aspect étranger. Ce qui faitque si l’on répétait intégralementcet enseignement, celaintéresserait peu de monde. Ceque l’on a fait, c’est reformuler, àpartir de notre expérience et enrapport avec notre cultureoccidentale, ces différentesmanières de présenter laméditation, un travail qui a prisdes décennies.

C’est donc une disciplinebouddhiste à l’origine?Oui, toutes les méthodes deméditation que l’on connaîtviennent de la tradition bouddhi-que. Il faut savoir qu’en Orient,cette pratique qui était très ré-pandue à l’origine s’est raréfiée aucours des siècles. Les maîtresbouddhistes qui ont transmis laméditation, qu’ils soient Tibé-tains, Vietnamiens ou Japonais,étaient en rupture avec leur tradi-tion. Le bouddhisme est devenusocial et religieux, et aujourd’huia perdu cette dimension médita-tive. C’est ce travail de digestioneffectué par les Occidentaux quifait qu’actuellement la médita-tion apparaît de manière rigou-reuse et laïque.

Vous diriez donc que laméditationest une sorte de spiritualitélaïque?Oui, si cette pratique a du succèsc’est qu’à un certain niveau, lesgens sont touchés par cette di-mension spirituelle, et à un autreparce que c’est quasiment uneforme d’hygiène mentale.

Ce sont quandmême des termesantinomiques?Mon cheval de bataille, c’est del’envisager comme la quintes-sence de toute voie spirituelleaussi bien au sein d’une pratique

religieuse que hors religion. Parexemple, à Genève, j’ai animé unséminaire sur la méditation et lapoésie et j’ai montré que, selonmoi, les poètes ont un rapportméditatif au monde et que tousont une dimension spirituellesans être particulièrementreligieux.

Vous faites un pont entreméditation et contemplation?Oui, je parle de la contemplationau sens ordinaire du terme. Danstoute tradition religieuse, on a vudes formes qui ressemblaient à dela méditation, et cette pratiquepermet de revenir à la quintes-sence de toutes les religions.

Saint François d’Assise devait êtreun grandméditant?Absolument. Actuellement, nousvivons une époque qui est telle-ment marquée par la manièredont notre esprit est fragmenté,nous sommes tellement privésd’attention que la méditationnous est nécessaire. De la mêmemanière que nos arrière-grands-parents ont découvert la gymnas-tique lorsqu’ils sont devenuscitadins, se rendant compte qu’ilsn’utilisaient plus tellement leurcorps dans leur vie quotidienne,comme le font les paysans.En ce début du XXIe siècle, avecl’apparition des nouvelles tech-

nologies qui conditionnentnotre mode de vie, on a perdunotre rapport à l’attention. Etméditer c’est apprendre à faireattention. Quand on sait qu’unadolescent américain envoie enmoyenne 100 SMS par heure deveille et que nous consultons nose-mails toutes les 7 mn, c’est unphénomène qui est étudié parles scientifiques: nous avonsperdu notre capacité à faireattention. Et lorsqu’on demandeà un enseignant à quel problèmemajeur il est confronté en classe,il répond que c’est de maintenirl’attention des élèves pendantune période donnée.

Les nouvelles technologies neprovoquent-elles pas plutôt unehyper-attention, un éveil continuelau cours de la journée?Oui, c’est une forme de concen-tration extrêmement focalisée surun point. Or l’attention impliqued’être ouvert à ce que vous faitesen ayant conscience de l’environ-nement tout entier.Quand nous sommes devant nosmails auxquels nous répondonstrès rapidement, nous sommestrès concentrés et tendus. Cettemanière d’être nous fatigue.C’est comme le lion qui chasse lagazelle: il est complètementconcentré sur sa proie, le reste dela réalité disparaît, et ensuite il

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12 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

Membre de laCommunautémondiale pour laméditation chrétienne

CatherineCharrière:«Onaperduladimensiondusilence»

Le Temps: Laméditation chrétienneest une prière?Catherine Charrière: Oui, à l’ori-gine, c’est une forme de prière,qu’on appelle aussi prière pure ouprière du cœur. Le fondateur de laCommunauté mondiale pour laméditation chrétienne est leprêtre catholique John Main, quiest mort en 1982. En relisant lespères du désert et en particulierJean Cassien (IVe siècle), il atrouvé dans les conférences n° 9et n° 10 une référence à cetteprière continue qui, grâce à larépétition d’une formule ou d’unmot sacré, nous permet de des-cendre de la tête au cœur, d’êtreen silence et à l’écoute. Les moi-nes bénédictins utilisent cetteformule, au début des prières desheures, qui est «Dieu viens à monaide, Seigneur à notre secours».Jean Cassien recommandait cetterépétition, ce qu’il appelait, lui, laprière continue ou prière ducœur.

Cetteméditation était donc àl’origine pratiquée par desmoines,pas par des laïcs?John Main disait que Jésus nes’adressait pas à des moines ou àdes prêtres, mais à tout le monde:aux Romains, aux Philiciens, etc.John Main, qui a pratiqué laméditation chrétienne des an-nées 70 jusqu’à sa mort, pensaitqu’elle n’était pas seulementdestinée aux religieux et religieu-ses dans les monastères, mais àtous. A partir du IVe siècle, petit àpetit, la méditation a été aban-donnée par l’Eglise pour uneforme de prière parlée, liturgi-

que. Suite au Concile Vatican IIqui recommandait la prièrecontemplative, il y a eu une re-naissance de cette pratique quiauparavant était réservée auxmoines.

Pourquoi pensez-vous que cettenotion de «contemplation»revienne avec force dans la sociétéaujourd’hui?Il y a beaucoup de gens qui igno-raient l’existence de la méditationchrétienne et viennent après êtrepartis vivre en Inde, certains seconvertissant au bouddhisme, caril leur manquait dans la religioncet aspect contemplatif. Je croisque c’est l’avenir de l’Eglise et quele chrétien du futur sera contem-platif, car on ne pourra pluscontinuer sur ce rythme fou.

Comment se pratique laméditationchrétienne?Nous recommandons aux per-sonnes de méditer deux fois parjour. John Main prônait la répéti-tion de la parole «maranatha» quiest de l’araméen, la langue deJésus, et qui signifie «Viens Sei-gneur» ou «le Seigneur vient».Cette parole ne nous amèneaucune pensée et nous aide dufait de ses sons ouverts et aussi dufait de pouvoir la diviser en qua-tre syllabes de longueur égale.Chacun trouve son proprerythme et cela va nous aider dansce pèlerinage de la tête au cœur,dans cette écoute. Car en répétantcette parole, on essaie aussi del’écouter. Nous pratiquons deuxfois par jour pendant vingt àtrente minutes. John Main disait

que vingt minutes était un mini-mum, car il nous fallait souventdix-neuf minutes pour réussir àatteindre le silence et une minuteoù l’on était vraiment concentré…

Cette pratique spirituelle peut-elleavoir un effet thérapeutiqueaumême titre que la «pleineconscience» ou «Mindfulness»?Oui, on a découvert qu’elle a desbénéfices: dans la santé, contre lestress. LeMindfulness est ensei-gné dans le business, par exem-ple, car les gens ont besoin de secalmer. Nous allons plus loin, carà partir d’un certain temps depratique, se produira une ouver-ture qui nous amènera aux fruitsde la méditation. Et c’est là qu’onfait une différence entre les

bénéfices et les fruits de l’espritqui, selon saint Paul, sont: lapaix, la joie, l’amour, la généro-sité, la compassion. Ce que l’onsouhaite c’est «polir son ego», carc’est notre ego qui nous empêched’avancer. John Main dirait por-ter attention à notre vrai soi, àqui on est réellement. L’idée estde petit à petit s’abandonnerdans les mains de Dieu et dans laprière du Notre Père: «Que tavolonté soit faite.»

La notion d’acceptation de la réalitéest importante?Oui, mais aussi vivre le momentprésent. On s’abandonne complè-tement en s’appuyant sur la foi etsans savoir quel sera le résultat.C’est un acte de courage au début,mais aussi un acte de foi. Parceque s’asseoir matin et soir etrépéter une parole à l’infini peutsembler absurde.

Actuellement, on passe d’unepratique spirituelle à une autre…La religion telle qu’on la connaît(aller à lamesse, etc.) devientanachronique et on cherched’autres formes de spiritualité?Passer d’une chose à l’autre, c’estla grande maladie du siècle, caron veut des réponses toutde suite.

Cesmoments de retour sur soi,cette pratique contemplative telleque la vivent lesmoines, on ne sel’autorise pas dans notre vie?Je crois que chacun de nous estappelé à être moine, malgré nossituations de vie différentes. C’estimportant que chacun vive une

certaine forme de vie monacalemême si c’est dans le monde.Dans notre communauté, l’idéeest de vivre sa pratique avecd’autres personnes.

C’est pour se connecter à cettedimension spirituelle que l’ona perdue dans notremondemoderne?Oui. Et il y a cette dimension dusilence qui est très importante etque l’on a perdue. On a toujoursbesoin d’allumer la radio ou latélévision, ce gavage d’informa-tions continues dont on devientdépendant (de la musique, desnouvelles, etc.).Nous faisons des retraites d’unesemaine en silence et il en ressortune force qui ne vient plus desoi-même. C’est là qu’on touche àune dimension mystique.

Laméditation permet de retrouverle sens de la vie finalement?Oui, je crois qu’on l’a perdu danscette société de consommation àl’extrême qui nous rend malheu-reux. On veut toujours plus pourcombler ce manque alors que lasolution est plutôt dans lecontraire, il faut arrêter de vouloirsatisfaire ses désirs et combler unvide à l’intérieur de soi. Les livressur la spiritualité se vendentcomme des petits pains, maisJohn Main disait: «A un momentdonné, arrêtez de lire et faitessilence, asseyez-vous et prati-quez.» Il faut pratiquer toute savie. C’est comme lorsqu’on veut semaintenir en forme: on marchetous les jours.Propos recueillis par G. S.

négative, mais qu’ils se sentaientplus heureux quand ils n’étaientpas distraits.

Autrefois, lorsqu’on était pris pardes tâches quotidiennes, on étaittoujours présent à ce que l’onfaisait?Oui, on était plus présent à soi-même parce qu’on avait un rap-port réel au monde, un rapporttangible aux choses. Le problèmeaujourd’hui c’est que le mondevirtuel nous déconnecte de cetteprésence. On voit par exempleque ce n’est pas la même chosed’écrire une lettre que de répon-dre à des mails… C’est une atten-tion différente, répondre auxmails implique que je perds lerapport avec mon corps.

Laméditation telle qu’on la prati-que actuellement est une vraiediscipline?Oui, c’est très difficile de méditer:c’est prêter attention de manièredélibérée au moment présent telqu’il est, dans la plénitude de sonêtre avec l’entièreté de son corps.Il faut être complètement attentifà ce que l’on vit, à ce que l’on sent,sans jugement et en accueillantles pensées parasites. Pendant cetemps, l’on est submergé par despensées, on a mal au dos, car ondoit rester immobile. Pratiquer laméditation, c’est entrer enrapport avec ce qui vient sans s’endébarrasser. Ce qui estdéconcertant: il n’y a rien àréussir ou à rater, mais on estconfronté à notre difficulté à êtrejuste présent à ce que l’on fait. Etc’est une discipline quotidiennesingulière qui ne ressemble àaucune autre de ce qu’on a connuces dernières années en Occident.

On est justement aujourd’huidans une ère de la distraction,de la gratification immédiate?Absolument, et la méditationc’est exactement le contraire. C’estpour cela que moi, qui pratiquedepuis vingt-cinq ans, je suis trèsétonné de son impact. Mais ças’explique parce que les gens

souffrent intensément et serendent compte qu’ils ne peuventpas continuer comme ça. Il y abeaucoup de gens qui s’ymettent, et même s’ils pratiquentpeu, ça change profondémentleur vie. Parmi ceux qui suiventmes séminaires, il y en a quiviennent parce qu’ils sont tropstressés, d’autres pour seretrouver, d’autres pourdécouvrir un rapport plus ampleavec le monde, d’autres veulentfaire la paix avec eux-mêmes ouguérir de leur enfance. Et toutcela est possible grâce à laméditation

Peut-on considérer laméditation àla fois comme thérapie et commehygiène de vie?Oui, mais aussi commequintessence de la dimensionspirituelle. Aujourd’hui,beaucoup de gens de différentestraditions spirituelles,particulièrement dans lechristianisme, se tournent vers laméditation, qu’ils intègrent à leurfoi. En découvrant qu’il y avait deséquivalents de la méditation dansla pratique religieuse qui ont étéoubliés au cours des siècles.

Pourquoi cette perte?Je dirais que cela tient au fait quela religion, au cours des siècles,surtout au XIXe, s’est beaucoupconcentrée sur la morale et lesocial et a un peu abandonné sadimension authentiquementspirituelle.

Qui n’était censée être réservéequ’auxmoines et aux saints?Oui, mais c’étaient des exercicestout simples qui existaient dansla tradition chrétienne, ce n’étaitpas juste prier pour demanderquelque chose mais pour être enprésence de Dieu, ce qu’onappelait les pratiques d’oraisonet qui ont quasiment disparu autournant du XVIIe siècle. Dans lejudaïsme et dans l’islam aussi.Dans toutes les traditions, onvoit des formes de pratique oùl’on apprend à être présent,ouvert, sans intention,désintéressé, sans rien attendre,

en étant au cœur de son être eten abandonnant la volontéimmédiate de ce qui va êtrebénéfique pour moi. Cetteattitude est profondémentspirituelle.

Donc laméditation a plusieursdimensions?Oui, elle en a troisprincipalement: elle est hygiènede vie, comme on prend sadouche le matin ou on se lave lesdents, comme on prend soin deson corps, pourquoi neprendrait-on pas soin de sonesprit? Elle a aussi une dimensionthérapeutique: elle permet desurmonter nos difficultés et defaire la paix avec nos blessures. Etenfin une dimension spirituelle:elle nous ouvre à quelque chosede plus grand que le «moi, moi-

même et encore moi». Vouspouvez appeler ça l’amour, larencontre, l’espoir.

Mais, paradoxalement, lamédita-tion nous apprend à être à l’écoutede nos perceptions, de nos sensa-tions?Oui, mais ce n’est pas un travaild’introspection égocentrique.Vous entrez en rapport avec cequi est, l’important c’est d’êtreouvert au monde et de mieuxl’apprécier.

En restant centré sur soi-même?La finalité c’est d’être ouvert à cequi est. Le rapport de présence estabsolument décisif. Et l’hyper-connexion montre qu’on a perduquelque chose qui est évident: êtreavec l’autre pour de bon, entière-ment. La méditation change aussi

beaucoup les rapports des parentsavec leurs enfants.

Selon vous, tout lemonde devraitintégrer laméditation à sa viequotidienne?Oui, sauf à la rigueur à la campa-gne où on a un rapport naturelavec le temps. Mais nous, dans lesvilles, on doit réapprendre ce quetout être humain savait faire il y aencore trente ans…

Ce qui signifie garder notre partd’humanité qui se dilue dans nosactes?Oui, absolument.

N’a-t-on pas l’impressionque laméditation, c’est aussidu temps perdu?Vingt minutes par jour, c’est unsacrifice qui va changer toute la

«Le chrétiendu futur seracontemplatif.»CatherineCharrière

>Suite de la page 10

PHILIPPE PACHE

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 13

Instructrice de «Mindfulness» (méditation de pleine conscience) au centre RessourceMindfulness àGenève

LaurenceBovay:«Privilégierunequalitéd’êtreplutôtquedefaire»

Le Temps: En quoi consiste votreprogramme?Laurence Bovay: Il est destiné àréduire le stress pris d’une ma-nière générale et s’affine en mo-dules spécifiques, telle la préven-tion de rechute pour personnesdépressives, ou dépendantes, ouencore confrontées au stress liéau monde du travail. Ce pro-gramme de huit semaines nepermet pas de former des médi-tants mais de donner une boîteà outils.

Qui a imaginé cette boîte à outils?C’est le docteur Jon Kabat-Zinnqui l’a structurée il y a 35 ans auxEtats-Unis. Il était de formationscientifique et, à titre personnel,pratiquait la méditation boudd-histe. Il a pensé à introduire desrudiments de méditation à l’inté-rieur des hôpitaux, lieux desouffrance, pour accompagner lesuivi des patients. Il a mis dutemps à convaincre les institu-tions, les médecins, qui étaientsceptiques au départ, mais il a euà cœur de systématiser quelquesoutils pour pouvoir les insérerdans ce contexte médical.Par des tests systématiques, il adémontré que les patients quipratiquaient la méditation adhé-raient avec davantage de cons-cience au traitement. On pouvaitainsi réduire leurs doses médica-menteuses. Il y avait une relationà l’expérience qui était diffé-rente, même à la douleur. Pren-dre acte dans un premier temps:la douleur est là. Et dans unsecond temps s’attacher à mieuxla connaître, mieux vivre avec.

Et non pas l’éliminer?On arrivedonc à apprivoiser l’expérience?Absolument. Souvent on peutaugmenter une souffrance parrejet, par crainte. Avec la médita-tion, le but est d’observer le phé-nomène et petit à petit on arrive àmieux le connaître. C’est commele deuil: il ne s’agit pas d’annuler

notre souffrance, mais de trouverle moyen pour qu’elle ne soit pasintolérable. Car on est démuniface à elle…

La réduction du stress est donc lepilier de la pratique deméditationà vocation thérapeutique?Oui. Après que Jon Kabat-Zinneut fondé une clinique de réduc-tion du stress par la méditationde pleine conscience aux Etats-Unis il y a trente-cinq ans, cetteméthode a été expérimentée pard’autres praticiens de santé, despsychologues, des psychiatres telChristophe André, de l’HôpitalSainte-Anne à Paris, par exemple,qui en est devenu un desspécialistes.

Tout d’un coup cette approche s’estvulgarisée . Qu’est-ce que celarévèle sur notremode de vie?Je dirais que ce succès grandit cescinq dernières années. Il y a peut-être un effet de mode, mais çarépond à un besoin, une de-mande croissante due à notre vieen milieu urbain. Il y a deuxstress: un positif, vital, nécessairequi est la manière dont l’énergiese mobilise pour nous permettred’agir, d’entreprendre, de créer.Mais il y en a un autre plus négatifqui, lorsqu’il devient chronique,finit par faire des dégâts au ni-veau de la santé physique etpsychique de l’individu, dugroupe, de la collectivitéet de la société.

Donc au-delà desmaladiesdiagnostiquées, notremal-êtreaujourd’hui dans les sociétés

occidentales vient uniquementdu stress?De manière plus large, on vit dansune société en remous, en redéfi-nition, il y a une perte de repèrespour tous les âges. Il y a un em-ballement, des rythmes qui s’ac-célèrent à tous niveaux et on abesoin de silences, de pausespour faire le point, pour ques-tionner ce qui est essentiel àchacun.

Comment y arriver?Ce que nous enseignons dans nosgroupes, c’est d’abord de ralentir,de nous arrêter, de privilégier unequalité d’être plutôt que de faire.En prenant conscience instantaprès instant de ce qui se passe ennous sans jugement, et avecbienveillance. Et aussi d’être pluslucide sur nos automatismes, nosconditionnements, nosréactivités.

Ce sont des arrêtsmentaux?Il ne s’agit pas forcémentde s’asseoir et de s’isoler?Non, cela peut durer quelquessecondes ou quelques minutes demanière à être conscient de cequ’on éprouve, de manière à nepas laisser s’accumuler trop detensions.

C’est aussi pour améliorer l’estimede soi?En tout cas restaurer uneconfiance et s’autoriser à pren-dre du temps pour être plus àl’écoute autant de soi que desautres. La gestion du stress est lepoint de départ d’une démarcheplus profonde, d’une connais-

sance de soi et donc d’unemeilleure relation au monde.

La bienveillance est une notionimportante?Oui, c’est le socle qui consolidetoute cette démarche. Si l’onarrive à être ami avec soi-même,cela déteint sur les relations dansnotre entourage. Car ce que jerejette dans l’autre c’est aussi ceque je rejette en moi.

Ce silence obligatoire est-il facileà vivre?Il faut être prêt à questionnerson hyperactivité, sa peur del’ennui, sa peur du vide qu’on vaforcément côtoyer une fois qu’onaura pu diminuer son niveaude stress.

C’est aussi ouvrir la porte à sa vieintérieure, valoriser la viecontemplative?Oui, absolument. Le méditant,ce n’est pas forcément unepersonne qui sait s’asseoir enlotus sur un zafu. C’est quelqu’unqui sait admirer une fleur ou unvisage, regarder un oiseau quipasse. Là, on est dans l’espritcontemplatif.

C’est donc s’ouvrirà la beauté?Mais oui! Il n’y a pas une formerigide, figée. C’est une invitation àralentir, à goûter la vie et à lacontempler dans sa simplicité.Tenter de cultiver la beauté de laprésence, ici, dans l’instant,même au contactde la souffrance…Propos recueillis par G. S.

Moniale enseignante résidente duCentreMéditationKadampaAtisha deGenève

KelsangJigkyob:«Trouverdelasérénitéetdelaforceintérieure»

Le Temps: Comment s’enseignelaméditation au Centre Atisha?Kelsang Jigkyob: Les cours sontaccessibles à tous, débutants ounon, bouddhistes ou non.Les enseignants sont tous despratiquants et disciples de Véné-rable Guéshé Kelsang Gyasto, lefondateur de la Nouvelle Tradi-tion Kadampa.

Quels bienfaits procure cettediscipline pour un bouddhiste?La méditation est une méthodepermettant de familiariser notreesprit avec ce qui est cause debonheur, et qui a pour fonctionde le rendre calme et paisible.Libérés des soucis et del’inconfort mental, nous noussentons heureux. Lorsque notreesprit n’est pas paisible, il nousest très difficile d’être heureuxmême si nous vivons dans lesmeilleures conditions. Si nousnous entraînons à la méditation,peu à peu notre esprit deviendrade plus en plus paisible, positif,jusqu’à le rester, même dans lescirconstances les plus difficiles.La pratique de méditationvise à nous transformerintérieurement en apprenant àcultiver les états d’esprit causesde bonheur pour nous-même etles autres, comme l’amoursincère, la sagesse, la patience, lacompassion et à identifier, àréduire et à éliminer ceux quinous font souffrir tels la colère,l’attachement et l’ignorance.

Pourquoi cet engouement croissantpour laméditation?De plus en plus de personnes serendent compte, par leur propreexpérience, que la poursuiteeffrénée de bonheur dans lesconditions extérieures a seslimites, ne fonctionne pas. Qu’ilmanque quelque chose. Dansnos sociétés modernes, on

tonalité de votre journée et votrerapport avec les autres. C’estindispensable d’apprendre àméditer. Son succès est dû au faitqu’elle est enseignée de manièretrès pédagogique. C’est aumoment où on a commencé àfaire des CD que la méditations’est démocratisée parce qu’onpouvait la pratiquer chez soi.

Vous disiez avoir commencé àpratiquer laméditation il y a vingt-cinq ans, ce n’était pas du toutà lamode pourtant?Ah non, pas du tout. Quand j’aicommencé (j’étais adolescent àl’époque), je n’osais pas le dire àmes parents pensant qu’ils mecroiraient dans une secte… Je nepouvais pas imaginer que, vingt-cinq ans plus tard, je serais appelédans les plus grandes entreprises,dans les hôpitaux et que laméditation allait rendre un telservice. Je fais partager monexpérience dans mon livre Frappele ciel, écoute le bruit* où je raconteaussi mes difficultés, monenfance.

Pourquoi avoir choisi cette pratiqueadolescent?J’ai essayé une fois par hasard etj’ai trouvé ça formidable. J’étaismauvais élève, je n’arrivaisjamais à faire tout ce qu’on medemandait et je me suis dit queje relèverais toujours plus dedéfis dans ma vie en méditant.C’était loin d’être de la paresse,c’était un vrai travail et quirendait plus ouvert. A la base, jeressentais un manque de sensdans ma vie. La méditationpermet de retrouver du sens. J’aitrouvé que c’était «juste» et j’aisuivi cette discipline.

Et aujourd’hui ça parle à tout lemonde?Oui, parce qu’on l’a démocratisée,parce que notre monde va plusmal.

Pour vous, ce doit être passionnantde voir à quel point ça répond auxbesoins des gens et que de pratiqueconfidentielle elle est devenueuniverselle?

Absolument, moi cela m’émeut.Je reviens d’un colloque au seind’une faculté de médecine. Tousétaient des professionnels desanté qui voulaient comprendrecomment la méditation pouvaitaider leurs patients, je trouve quec’est exaltant.

Parce que cette audience d’expertsvalide votre pratique?Surtout parce que ça aide pro-fondément les gens. J’aimeraisévoquer cette enquête améri-caine censée prouver que laméditation aide en cas de dé-pression: à la première expéri-mentation, le résultat était nul!Les enseignants n’ayant jamaispratiqué la méditation, ça nepouvait pas marcher…Après avoir suivi des stages, cesprofessionnels ont de nouveauenseigné la méditation à cespatients et le résultat a étéprobant. L’on sait aujourd’hui quechez les dépressifs cette pratiquepermet d’éviter les rechutesde 50%.

Il y a donc une part de sincérité,d’intégrité qui est liéeaux bienfaits de l’enseignement?Ça ne peut pas être une espècede recette?Absolument.

De quand date exactement ce picd’intérêt pour laméditation au seindu grand public?De quatre-cinq ans et on estencore au début, car il faut unepratique de plusieurs annéespour pouvoir enseigner laméditation de manière solide.C’est du reste l’une des raisonsqui m’a conduit à fonderl’Ecole occidentale deméditation, pour former denouveaux enseignants car cettepratique s’intègre à tous lesniveaux de la société: dans lesécoles, les prisons, les hôpitaux,les entreprises, etc.Propos recueillis par G. S.

FabriceMidal vient de publier«Comment la philosophie peutnous sauver» aux EditionsFlammarion.

«C’est uneinvitationà ralentir,à goûterla vie et àla contemplerdans sasimplicité.»LaurenceBovay

expérimente un progrèstechnologique et un confortmatériel constants, maispourtant, en regardant nos vies,nous voyons qu’il n’y a pasd’accroissement proportionneldu bonheur, ni moins desouffrances. La vie semble deplus en plus compliquée,stressante. Et notre capacité àfaire face aux situations difficilesest limitée. L’engouement pour laméditation vient sans doute dubesoin de trouver de la sérénitéet de la force intérieure.

Pourquoi le fait deméditerrégulièrement est la cléd’une pratique spirituelleréussie?Sans la méditation, notre espritrestera instable, plein de distrac-tions, et notre compréhensiondes instructions spirituellesrestera intellectuelle. Elles netoucheront pas notre cœur, etn’auront donc pas le pouvoir denous aider dans notre vie quoti-dienne parce que nous ne lesmettrons pas en pratique oudifficilement.La méditation améliore notreconcentration, notre esprit de-vient plus puissant, et nous trans-formons nos compréhensions desinstructions spirituelles en res-sentis. Le principal est d’essayer,du mieux que l’on peut, avecpatience, joie et une bonnemotivation.Propos recueillis par G. S.

«Nous avonsbesoinde trouverde la sérénitéet de la forceintérieure.»Kelsang Jigkyob

GETTY IMAGES

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1,2,3…SOLEIL!

HYMNEÀLAJOIEUnparfumquiéclatederireaudébouché,une fragrancequi fait sourireetsautiller, voilàcequiattend lesnez frileuxà l’approcheduprintemps.Lesparfumeursontdécidéde leurouvrir lessensà lagaieté.ParValérieD’Herin

DolceVita,Dior.

SCOTTLO

WDEN

/CORBIS

Une avalanche de fleurset de fruits inonde lemarché. «Humez cinqfruits et fleurs parjour» devrait être ladevise des parfu-

meurs à l’approche des beauxjours. Pour autant, cela rend-il heu-reux? Si l’on en juge par le succèsde La Vie est Belle de Lancôme, unedes meilleures ventes de parfumsau monde depuis 2012, oui. Cecondensé de félicité séduit davan-tage que les parfums dits «sen-suels». Les femmes veulent se sentirheureuses.

Mais comment peut-on, par unparfum, transmettre un sentimentde joie? Selon Jean-Michel Duriez,parfumeur de la maison Rochas,«les sentiments en général, et la joieen particulier, se prêtent bien auparfum, car on associe toujours lesodeurs à des expériences. Le par-fum est basé sur l’odorat et l’odoratest basé sur la mémoire olfactive etla mémoire tout court.» Pierre Né-grin, créateur de Joie-Eclat pour Va-leur Absolue, ajoute: «Pour mettrela joie en flacon, il faut que chacundes éléments joue son rôle. Dans lecas de Joie-Eclat, l’éclat et le fusantdu parfum sont également servispar la couleur du pack d’un jaunelumineux, qui rappelle le soleil,ainsi que par le nom du produit,très explicite. Tout cela aide à véhi-culer le sentiment de la joie.»

Une petite fille de notreconnaissance, âgée de 6 ans, a testé«à l’aveugle» tous les parfums de lacollection Explosions d’Emotionsde L’Artisan Parfumeur. Le défi deBertrand Duchaufour, dans cettecollection, était de travailler sur lepouvoir d’évocation du parfum,chacun devant suggérer une émo-tion précise. La fillette a fermé lesyeux et humé chaque fragranceavec comme consigne de décrireen quelques mots ce qu’elle ressen-tait. Face à Haute Voltige, elle s’estécriée: «Ça sent le rire, comme siquelqu’un était joyeux et excité, unpeu foufou.» Dans la fragrance,une grenade juteuse mêlée à une

pivoine sensuelle se cogne à desnotes métalliques. L’explosion estassourdie par des notes boisées. Etc’est justement dans cet opus de lacollection que Bertrand Duchau-four a travaillé autour de la joie etde l’euphorie.

Concrètement comment com-pose-t-on un parfum qui exhale lagaieté? «Avec des matières premiè-res qui évoquent, instinctivement,l’extraversion, la lumière, l’efferves-cence et la pétillance», répond Ber-trand Duchaufour. Jean-MichelDuriez, le créateur des Cascades deRochas, renchérit: «Dans mon la-boratoire, j’ai 2000 matières pre-mières réunies par catégoriesd’odeurs: florales, fruitées, épicées,océaniques… Chacune à sa ma-nière va être capable d’apporter dela joie, car il ne faut pas oublierqu’il y a un effet commun dans cegenre d’association, et aussi, tou-jours, quelque chose de personnel.Les agrumes me viennent en pre-mier à l’esprit quand je pense à lajoie, mais il se peut que certainespersonnes trouvent que cela neleur correspond pas. Quelqu’unqui a vécu une très mauvaise expé-rience en sentant du pample-mousse, par exemple, ne va pas seretrouver dans ces mots.» Pour-quoi les odeurs agrumes sont-ellesattractives pour la plupart desgens? Pour Jean-Michel Duriez,«c’est une odeur qui pétille, et parsa fraîcheur, ouvre les sens, ce quipeut apporter une forme de bon-heur puisque la joie est une ouver-ture, une forme d’exaltation, con-trairement à la tristesse qui est uneforme de repli. Les notes fruitéesviendront en second. Même si lesfruits ont une certaine fraîcheur.L’odeur d’abricot ou de fraise véhi-cule quelque chose d’un peu ré-gressif qui nous ramène à des joiesinfantiles, plus pures, plus naïves.»

Mathilde Laurent puise dans cesjubilations enfantines une eupho-rie adulte qui mène tout droit à laDixième Heure de Cartier, L’HeureFolle, un parfum bourgeonnant desourires par le biais de baies encore

The Sexiest Scentof the Planet Ever,4160Tuesdays.

Love lesCarottes,Honoré des Prés.

Joie-Eclat,ValeurAbsolue.

MissDior eaude toilette,Dior.

Le Parfumde Jeanne,Ys-Uzac.

L’Heure Folle X,collection LesHeuresde Parfum,Cartier.

Jour d’HermèsAbsolu,Hermès.

Daisy,Marc Jacobs.

Confiance,ValeurAbsolue.

HauteVoltige, collection Explosionsd’Emotions, L’Artisan Parfumeur.

Pleats Please,IsseyMiyake.

Chance, Eau fraîcheet Eau tendre,Chanel.

PHOTOS:DR

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 17

vertes et de fruits rouges. Quant àGraine de Joie d’Eau d’Italie, ils’ouvre comme une bouteille de li-monade et se répand comme unlait à la grenadine sur la peau où semêlent les accents suaves du free-sia en hommage au sentimentamoureux le plus pur, celui qui faitpousser des ailes et des souriresmême sur les lèvres les plus pudi-ques. D’autres fruits sont synony-mes de bonne humeur: la noix decoco comme dans Love Coconut;l’abricot composant Le Jour d’Her-mès Absolu; le nashi, un fruitoriental dont le parfum oscille en-tre poire et pomme, dans PleatsPlease. Au milieu de ce joli marché,fleurit cette année la carotte, it-girlde ce printemps, l’ingrédientphare d’une gaieté frondeuse ima-ginée par Olivia Giacobetti pourHonoré des Prés. La fragrance s’in-titule simplement Love les Carot-tes, mais elle redynamise un genrequi jusqu’ici ne laissait pas beau-coup de place aux légumes.

On est loin, finalement, de lajoie que distillait Jean Patou dansle mythique Joy. Une fragrance,explique Jean-Michel Duriez, quifut parfumeur chez Patou, qui «sevoulait l’antidote à la crise de 1929.

Elle était proposée comme unélixir de joie qui insufflait de labonne humeur, mais c’était unejoie caractéristique de l’époque,très Art déco, un peu plombée,avec un flacon carré, une joie fleu-rie mais qui n’explosait pas.» La joies’exprime-t-elle donc différem-ment selon les époques? «En unsens oui, répond le parfumeurPierre Négrin, car on ne composeplus aujourd’hui de la même façonqu’il y a vingt ou trente ans. Mais lechoix de toutes ces fleurs dans Joy,qui se targuait à l’époque d’être leparfum le plus cher du monde,montre bien que le parfumeuravait lui aussi pensé à des mo-ments de vacances sur des rivagesensoleillés. Il y a eu plus tardHappy de Clinique, qui, bien queconstruit différemment, proposaitune tête très juteuse, «jusd’orange», sur un corps floral-mu-

guet, ce qui constitue encore uneautre façon d’interpréter la joie, enmettant en scène des citrus et desfleurs.»

De la pivoine à l’iris, les fleurs nesont donc pas étrangères à l’idée dela joie. «Je pense que l’on associeaussi à la joie un sentiment de légè-reté, déclare Jean-Michel Duriez.Toute odeur volatile, telle l’odeurd’une fleur, va parfaitement s’yprêter, car elle nous élève.» Maislorsqu’on questionne le créateurd’Eclat d’Agrumes sur les odeursqui lui inspirent le plus l’allégresse,la réponse peut surprendre. «Jecrois que pour moi l’odeur de lajoie la plus forte est celle du paingrillé et du café le matin. Vousvoyez à quel point c’est personnel?Quelqu’un qui n’aime pas le café,qui n’a mangé que des céréales aupetit-déjeuner durant son enfancene pourra pas partager mon res-senti. Ce ne sont pas des odeursfraîches mais montantes, péné-trantes. Ce que j’adorais quandj’étais gamin, c’était de me réveilleret de savoir qu’il y avait déjà de lavie dans la maison. Cela me rendaitheureux de me lever, de descendredans la cuisine et de voir qu’il yavait déjà plein de choses quim’attendaient: mes parents, le pe-tit-déjeuner dont l’odeur du paingrillé et du café m’avait sorti du lit.J’ai d’ailleurs mis une partie de cessouvenirs olfactifs dans un parfumque j’ai créé pour la maison YohjiYamamoto, Yohji Homme, qui aété réédité il y a quelques mois. Ceparfum contient cette odeur decafé très réactive pour moi, trèspersonnelle. C’était un petit clind’œil à mon enfance, avec des ac-cords de réglisse pour les bonbons,de rhum… Petit, j’aimais le goût durhum dans certaines pâtisseries,les cannelés, les crêpes que mamère préparait. C’est un parfumdont je suis très fier parce que j’y aimis beaucoup de mon patrimoineolfactif personnel.»

Une autre parfumeuse, la Bri-tannique Sarah McCartney pour4160Tuesdays, tire elle aussi de sesréminiscences enfantines de joliesrecettes aux noms évocateurs.Sunshine and Pancakes contientdes effluves de petit-déjeuner quifont sourire comme dans les publi-cités télévisées, The Sexiest Scenton the Planet Ever évoque le ca-rambar… Des fragrances «tongue-in-cheek» qui montrent que lesparfumeurs s’amusent autant àdonner de la joie qu’à l’exprimerdans leurs créations.

>Recettes de parfumeurs

Jean-Michel Duriezparfumeur de lamaison Rochas«On a souhaité chez Rochas que lapremière Cascade, Eclat d’Agrumes,soit celle de la bonne humeur, del’énergie. Instinctivement, j’ai pensé àun accord de mandarine et de poivre.Le poivre pour le côté piquant del’énergie, et lamandarinepour sacha-leur. Peu de temps auparavant, j’étaistombé sur un extrait de mandarineque je trouvais très intéressant, plusvert, plus pétillant et gai que les ex-traitsclassiques. J’ai élaboréunesortede«chaud-froid»pourcasserceteffetde fraîcheur en introduisant le poivredu Sichuan. Mon défi était de faire ensorte que le poivre vienne, comme enalimentation, faire pétiller un peu plusl’accord sans peser par sa chaleur. J’aichoisi le poivre du Sichuan parce quec’estun fauxpoivre. Il ne faitpaspartiede la famille du poivre noir, par exem-ple, qui est celle des pipéracées. Sonarbre appartient à la famille des hes-péridés, comme les agrumes. Finale-ment, je ne faisais qu’assembler desingrédients qui s’accordaient naturel-lement pour créer de l’émotion.»

Pierre Négrinau sujet de la création de Joie-Eclat«Il s’agissait pour moi de m’inspirerdes bulles d’une coupe de champa-gne frappée, qui semblent se renou-veler à l’infini.Onboit du champagnepour célébrer un événement ou toutsimplement un moment festif, toutcela est donc très cohérent. Il fallaittrouver une structure olfactive quipermette de faire durer le plus long-temps possible la fraîcheur des hes-péridés que l’on sent en tête. J’aichoisi le vétiver, un bois qui a unetonalité de pamplemousse. Il m’apermis de répondre à cette entréejuteuse et pétillante. J’ai aussi ajoutédes fleurs blanches pour donner dumoelleux et de la féminité à lacomposition.»

VincentMicotticréateur du Parfum de Jeanne«Jeanne est une référence au DrJeanne Fürst, qui présente uneémission à la télévision nationalesuisse alémanique, intitulée Ge-sundheit Heute (Santé aujourd’hui,ndlr). Le fil conducteur fut de trou-

ver une parade au blues de novem-bre, et donc d’utiliser desmatières àconnotation positive telles que lamandarine, la bergamote, la fèvetonka mais sans pour autant com-poser une eau de Cologne ou depetite Cologne», nous explique Vin-cent Micotti. Au-delà du sentir bon,se sentir bien.

Marie-Aude Bluchecréatrice parfumschez Valeur AbsolueLa maison Valeur Absolue puise, elle,dans les racines de la parfumerie duXVIIe siècle l’envie de créer des par-fums-soins en les enrichissant d’in-grédients naturels aux vertus bienfai-santes, d’huiles essentielles, deminéraux et d’un extrait naturel d’im-mortelle, libérateur deb-endorphines.«Nous voulions inventer un nouveauterritoire, explique Marie-AudeBluche, créatrice parfums chez Va-leur Absolue et directrice Dévelop-pement Parfums chez Firmenich.Nous souhaitions créer une ruptureen proposant des parfums créateursde sourires…»V. d’H.

Rendre joyeux, n’est-ce pas là finalement le rôle de tout parfumeur?

«Je dis souvent que le parfum est une émotion fluide qui nous fait vibrer, conclut Jean-Mi-

chelDuriez. C’est la phrase qui résume lemieux ce que je fais auquotidienavec ce double sens

sur la fluidité. Je procuredes émotions invisibles,mais qui s’immiscent ennous.On les respire.

J’aime beaucoup quand les gens disent «respirer un parfum». En réalité, on sent un parfum

alors que respirer, c’est une fonction vitale qui consiste à absorber l’oxygène et certains gaz

pour les faire entrer en nous, nous en abreuver. Nous en avons besoin pour vivre. Respirer un

parfumvoudrait dire qu’il exhale tellement de vie que l’on a l’impression en le respirant qu’on

s’en imprègne totalement. Respirer un parfum, pourmoi, est la plus belle expression qui soit.

Le parfum, c’est de l’émotion et de la vie.»

Jean-Michel Duriez, parfumeur de lamaison Rochas

>>A lire: la neuro-cosmétique, les soins du bonheursurwww.letemps.ch

«ONASSOCIETOUJOURSLESODEURSAVECDES EXPÉRIENCES»

Joy Forever,Jean Patou.

Eclat d’Agrumes,LesCascades

de Rochas,Rochas.

Graine de Joie,Eau d’Italie.

LaDanza delle Libellule,Nobile 1942.

LeMonde est Beau,Kenzo.

Eau Florale,Repetto.

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18 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

HAUTEPARFUMERIE

FrancisKurkdjian,couturierolfactif

Unenouvelle fragrancetrèscouture,A laRose,vient rejoindre lagarde-robeolfactivequecomposedepuisquelquesannées leparfumeur,aussià l’aisedans lesvêtements lesplusélégantsquedans lesbellessenteurs.Entretien.ParValérieD’Herin

Le parfumeur Francis Kurkdjian et son nouvel opus «A la Rose», ci-dessous.

NATHALIEBA

ETEN

S

Francis Kurkdjian est unparfumeur atypique.Petit-fils de tailleur, il rê-vait, enfant, de devenirdanseur et créateur demode. C’est finalement

une carrière de parfumeur qu’il setailla. Auteur du Mâle et de Fleurdu Mâle pour Jean-Paul Gaultier,d’Armani Mania, du parfum ElieSaab, il a réalisé jusqu’àaujourd’hui plus d’une dizaine defragrances célèbres pour desgrands noms de la mode. Depuis2009, il crée, dans sa propre mai-son, des parfums à porter commeautant de vêtements chauds ou lé-gers, décontractés ou habillés.

Une nouvelle fragrance trèscouture, A la Rose, vientaujourd’hui rejoindre cette garde-robe, l’occasion pour le parfu-meur de se confier sur les liensqu’il tisse entre parfums et vête-ments.

Le Temps: Quelle place tientlamode dans votremétierde parfumeur?Francis Kurkdjian: La couture, etnon la mode, est une passionfamiliale. Mon grand-père pater-nel était créateur de robes demariée, mon grand-père mater-nel était tailleur pour homme. J’aitoujours aimé le vêtement et lacouture. Ma mère a hérité de sonpère une technique de coupeextraordinaire. Jeune fille, elle sefaisait sa garde-robe et ses tenuesde soirée et de bal.C’est également ma mère qui meconfectionnait tous mes costu-mes de scène pendant mes an-nées de danse. C’était passion-nant de créer ensemble, de voir levêtement naître d’un coup decrayon avant l’achat des tissus, lesessayages, les finitions… Faire,défaire, refaire, parfaire… Toutcomme le parfum en somme!

Quand avez-vous songé à devenirparfumeur?Vers l’âge de 13 ou 14 ans, suite àmon échec au concours d’entrée àl’école de danse de l’Opéra deParis, et à mon impossibilité àrejoindre les cours de l’Ecolesupérieure des arts appliquésDuperré. C’est un article dans unmagazine qui m’a donné l’enviede devenir compositeur de par-fums. C’était une révélation, uneforme d’évidence, et bientôt uneobsession.

Le rapport entre parfumet vêtement semble êtreune évidence pour vous…Au départ, ce fut pour moi lapossibilité de travailler au côtédes couturiers, donc de trouverune consolation à ma carrièrecontrariée de créateur de mode.Le parfum est la continuité duvêtement. Ce n’est pas pour moiqu’une odeur. C’est un tout, unemise en scène, une histoire, unflacon… Porter un parfum, c’estaussi s’afficher sans se montrer,telle une présence, comme celled’un danseur sur scène, qui captevotre attention et qui a ce je-ne-

sais-quoi qui fait que vous ne lequittez pas des yeux.Dans les années 80, le parfumétait la queue de la comète HauteCouture, le reflet de cette voca-tion que j’ai ratée. Du haut de mes12 ans, l’avenue Montaigne étaitma fenêtre sur Paris. Nous quit-

tions la banlieue Est, endiman-chés et apprêtés, direction lacapitale et cette avenue plusparisienne que n’importe quelleautre. Les noms des créateurs sesuccédaient: Chanel, ChristianDior, Nina Ricci, Ted Lapidus,Emanuel Ungaro… et le petitdernier, Christian Lacroix. Desnoms et des univers que je décou-vrais aussi dans des flacons deparfum… A l’âge de 13 ans, c’étaitcela le parfum pour moi.

Vous parlez très jolimentde «garde-robe olfactive»quand vous décrivez votrecollection de parfums. Le parfumhabille-t-il selon vous?Oui, je le pense sincèrement! Jeme souviens, adolescent, que mamère remontait dans sa salle debains pour se parfumer si, parmégarde, elle avait oublié de lefaire. Et mon père se parfumait lesoir. Je suis persuadé que le par-fum vous donne de la force et de

la confiance en vous, il vousdonne une aura et projette demanière silencieuse mais indélé-bile qui vous êtes.

Vous avez créé LeMâle de JeanPaul Gaultier, le parfum de lamai-son Carven en 2013…Humez-vouslamode chaque saison?J’aime beaucoup regarder chaquesaison les propositions aussi bienen mode féminine que mascu-line. C’est également une oppor-tunité pour découvrir les créa-teurs de demain, ceux qui n’ontpas encore leur parfum et pourlesquels j’aimerais travailler unjour. Il y a de nouveaux créateursqui m’inspirent énormément et

«Porter un parfum,c’est aussi s’affichersans se montrer,telle une présence,comme celle d’undanseur sur scène,qui capte votreattention.»FrancisKurkdjian

nourrissent mon univers et macréativité, comme AlexandreVauthier par exemple. J’aimeaussi l’incroyable monde de RickOwens pour lequel j’ai composétrois parfums sur mesure.

Comment retranscrire l’odeur,la sensation du tissu…dans un parfum?C’est très complexe, car il fautressentir ce que l’on touche ouvoit, y mettre des mots, décrire.C’est pour cela que les mots, pourmoi, sont si importants. Leursens, leurs nuances. Cette préci-sion est primordiale, car elle esttraduite ensuite en ingrédients.Comme je l’explique souvent àmes élèves à l’école de parfume-rie, ce n’est pas la matière pre-mière qui vous guide, mais vous.C’est de votre imaginaire quenaissent les histoires, les matièrespremières sont vos mots, et latechnique votre grammaire.

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 19

SANTÉ

Mauxdetête

Onparlepeuchez lesfemmesde l’alopécie,lachutedescheveux,alorsqu’ellessontnombreusesàenêtrevictimes.Unproblèmedifficileàassumerqui toucheà l’essencemêmede la féminité.ParCatherineCochard

En backstagedu défiléElie Saabhaute coutureprintemps-été2015.SY

LVIEROCHE

En matière d’alopécie,l’égalité homme-femmeest loin d’être atteinte, cequi n’est pas pour dé-plaire à la gente fémi-nine. Or si la supériorité

numérique des hommes chauvesest incontestable, il existe desfemmes durement touchées. Ellesseraient même de plus en plusnombreuses à en souffrir. Un malqui s’attaque à l’image de soi, maisde façon peut-être plus doulou-reuse chez les patientes puisqu’iltouche directement un des sym-boles de la féminité, la chevelure.

«Il est absolument normald’avoir une perte quotidiennecomprise entre 30 et 100 cheveux,avec une augmentation possibleaux changements de saison», ex-plique le docteur Marco Cerrano,spécialiste en médecine esthéti-que à Laclinic à Montreux. Lachute est considérée comme pa-thologique lorsque l’individu enperd plus de 100 par jour sur unepériode de deux mois et plus. Unefois l’anormalité de la chute iden-tifiée, il faut en déterminer lacause. Ce qui peut souvent – etsans jeu de mots – devenir uncasse-tête. «Il existe une foule decauses possibles, commente Ma-ral Sahil, médecin et cheffe de cli-nique en dermatologie aux Hôpi-taux universitaires de Genève(HUG), et suivant la cause le traite-ment peut être difficile.»

S’il est ardu de compter quoti-diennement ses pertes capillaires,certains signes ne trompent pas.Lorsque la brosse se couvre rapi-dement de cheveux ou qu’on enobserve régulièrement sur le solde la salle de bains, dans l’évier etla baignoire ainsi que sur les vête-ments.

«Lorsqu’une patiente vient meconsulter, je commence par exa-miner le cuir chevelu, pour m’as-surer qu’il n’y a pas de maladie quipourrait causer la chute. J’inspectetout le scalp, je regarde la densitédes cheveux, je les tire pour voir siune quantité anormale se déta-che.» Un examen souvent com-plété par un bilan sanguin visant às’assurer qu’il n’y a ni carences niproblèmes thyroïdiens. Dans cer-tains cas, d’autres analyses doi-vent être réalisées pour détermi-ner la cause de la chute, commedes recherches hormonales ou gy-nécologiques. Une enquête aulong cours qui peut durer desmois…

En dermatologie, on distinguechez la femme plusieurs typesd’alopécie. «La première et la pluscourante, l’effluvium télogène,consiste en une perte diffuse etreprésente en moyenne 90% desconsultations, développe Maral

Sahil. Cette chute est réversible.»Elle intervient le plus souvent enraison de carences (fer, zinc, vita-mines), après une grossesse, lorsde la prise de certains médica-ments, suite à une opération ouune infection. Là encore, les cau-ses sont nombreuses, mais il suf-fit souvent de rééquilibrer la nu-trition et de prendre descompléments (comme la biotineou du fer).

«Un autre type d’alopécie cou-rante est celle dite androgénéti-que», ajoute le médecin. Similaireà celle qui touche les hommes, elleaffecte en moyenne 35% des fem-mes. «Et malheureusement, pourcette catégorie-là, les cheveuxtombés ne repoussent pas. Le mé-dicament généralement prescriten Suisse pour ce type d’alopécieféminine est le Minoxidil, une lo-tion qu’il faut appliquer quoti-

diennement sur le cuir chevelu. Ilmet quatre mois à agir et peutaugmenter temporairement lachute au début du traitement.»Un traitement qu’il ne faut de pré-férence pas arrêter au risque quela chute reprenne.

Autre variante: la pelade. «C’estune maladie auto-immune: lesglobules blancs du patient setrompent de cible, s’attaquent àses propres cheveux ce qui provo-que des zones complètement dé-garnies, simplifie Maral Sahil. Descrèmes ou des injections de corti-sone suffisent en général pour ac-tiver la repousse.»

Un autre type d’alopécie, cellede traction. Typique des Africai-nes qui se font des tresses, maisqu’on observe à présent aussi chezles femmes qui abusent des exten-sions capillaires ou des perruquestissées à même la chevelure. Aforce d’appliquer une forte ten-sion sur le cuir chevelu, les che-veux se raréfient puis la repoussecesse.

Comment faire lorsqu’on subitle traumatisme de l’amoindrisse-ment de sa chevelure? S’acceptercomme on est? Plus facile à direqu’à mettre en pratique. «Il est en

effet difficile pour une femmedans notre société de perdre sescheveux», admet Maral Sahil.Quelques solutions existent néan-moins. Par exemple les greffes decheveux, pour autant que le folli-cule pileux ne soit pas atrophié.«La chirurgie de la calvitie a faitdes progrès remarquables ces der-nières années, l’aspect final estbeaucoup plus naturel qu’aupara-vant, note Marco Cerrano de Lacli-nic. Aujourd’hui, les micro-greffes– prélèvement des cheveux dans larégion de la couronne, pour lestransposer dans les régions dufront et de la tonsure – représen-tent 80% de ces traitements.»

Mais ce ne sont pas les seulstraitements qui fonctionnent.«On propose également les injec-tions de PRP (plasma riche en pla-quettes), une procédure qui com-mence par un prélèvementsanguin. Le sang recueilli est cen-trifugé afin d’en extraire le plasmaconcentré en plaquettes puis réin-jecté à l’aide d’une fine aiguilledans les zones à soigner. Le traite-ment dure de 40 à 80 minutes enfonction des zones prises encompte.» L’idée étant qu’en centri-fugeant le sang du patient on

obtient une sorte de super-subs-tance ultra-concentrée qui per-met de booster par réinjection lesendroits atteints.

Des traitements «très chers enSuisse et qui ne sont pas repris parl’assurance», met en garde MaralSahil, les prix variant d’un établis-sement à un autre et selon l’éten-due des zones à traiter. Entre lachirurgie coûteuse, le complexe àassumer au quotidien et la perru-que, il existe encore une autre so-lution qui vient en aide aux fem-mes atteintes d’alopécie. Unetechnique en trompe-l’œil quiconsiste à se faire tatouer despoints noirs, comme de la re-pousse de cheveux, aux endroitschauves. A Genève, le centre Der-mès propose ce type de ma-quillage d’une durée de vie de 12 à18 mois, pour des tarifs de 850 à6000 francs en fonction de la sur-face à remplir. Bien que les hom-mes soient les premiers clients dece type de traitement, les femmesy trouvent aussi leur compte: enmaquillant leur cuir chevelu auxendroits les plus disséminés, ellespeuvent entretenir l’illusion d’unechevelure fournie à la racine. Etrecouvrer en partie l’estime de soi.

ÉTABLIR LACAUSEDE LACHUTEPEUTDURERDESMOIS

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20 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

REFLET

Labeauté,cettenotionsisubjectivePourquoidoncnous jugeons-nousavecautantdesévérité?Pourquoiarrivons-noussi rarementàposersurnotreproprephysiqueunregardobjectif?Enquoimédecineetchirurgiepeuvent-ellesnousaider?Nousavons interrogédesexpertspour tenterdecernercettenotion, sourcedetantdepréjugés.ParMarie-FranceRigataux-Longerstay

Un nez trop présent,une bouche jugéetrop mince, un visagetrop poupin, des for-mes très généreu-ses… Nous sommes

nombreuses à traîner, tout aulong de notre existence, un cer-tain nombre de complexes qui nereflètent aucune réalité. Miroir,mon beau miroir… on connaît lasuite. Et si notre reflet était notrepire ennemi? Ce visage, ce corpstellement peu conformes à nos at-tentes.

Alors que jamais on ne s’estautant exposé, à tort et à travers,sur des selfies plus ou moins flat-teurs, la relation à notre physiquene s’est pas améliorée. L’assuranceque certaines affichent sur lesimages diffusées via Internet estmême parfois l’exact contraire dece qu’elles ressentent. Pire, enmanque de sûreté, certaines fem-mes se livrent à des attaques enrègle contre des personnalitésqui, apparemment, paraissenttrès sûres de leur beauté. Ce quireste à prouver.

La souffrancederrière la demande«Quand je revois des photos da-tant des années 90, témoigne Ma-rie, pimpante cinquantenaire, jeme dis que j’étais assez jolie. Pour-tant, aussi loin que je me sou-vienne, j’ai toujours détesté monnez que je trouvais trop présent etsouffert de lèvres très pulpeuses.Des «détails» qui ont empoisonnéma vie.» Un chirurgien esthétiquel’a convaincue que modifier cetappendice nasal, parfaitementproportionné, ne la rendrait pasdavantage sûre d’elle. Elle a finipar admettre que durant son ado-lescence – et face à une mère dontle nez, petit et retroussé, faisaitl’admiration de tous –, elle avaittrès mal vécu cette différence.

Plusieurs causes, même effetFondateur du Centre de chirurgieplastique et esthétique de la Col-line à Genève, Gabor Varadi, chi-rurgien spécialisé, a étéconfronté à ce genre de cas. Luiqui préfère, au terme de rajeunis-sement, celui d’embellissementn’hésite pas à renvoyer une pa-tiente dont la demande lui paraîtexcessive ou dénuée de raison. «Acelles qui franchissent la porte demon cabinet en parlant d’embléede lifting, je suggère de commen-cer par une étude approfondie deleur visage. Ce lifting dont ellescroient avoir besoin ne s’imposepas nécessairement. Il suffit par-fois d’une ou de plusieurs injec-tions placées au bon endroitpour redonner du peps, une ap-parence plus juvénile, qui ex-

prime davantage de vitalité.Avant tout, lors d’une premièreconsultation, je cherche à décou-vrir ce qui se cache derrière telleou telle demande qui me paraîtinadéquate. Qu’on pourrait, sou-vent, traduire par: docteur, j’aienvie de me sentir mieux. Accep-ter d’opérer ou d’intervenir sur lephysique d’une femme mal danssa peau c’est courir le risquequ’elle se trouve toujours aussimoche après l’intervention. Lescomplexes excessifs datent sou-vent de l’enfance ou de l’adoles-cence. Mais les modèles présentésdans les pages des magazinesn’arrangent rien.»

Le chirurgien, un hommecomme les autresS’il est évident que les standardsactuels de minceur, d’effacementdes rides ne militent pas en faveurde normes plus raisonnables, lesremarques, même anodines, pro-noncées par des proches sont sou-vent plus perfides que ces imagessans cesse exhibées sous nos yeuxpar des journaux qui les érigenten modèles. «Entendre parler deson nez de Cyrano quand on estjeune peut provoquer une fixa-tion, confirme le docteur MichelPflug, fondateur de Laclinic, Terri-tet, et spécialiste FMH en chirurgieplastique, reconstructive et esthé-tique. Plus tard, si on trouve que samère a un visage très marqué à70 ans, on n’a guère envie, à40 ans, de lui ressembler.»

Le regard, les standards queprivilégie le chirurgien revêtentaussi une grande importance. Cer-tains ont dans la tête des canonsde beauté très définis. «On ob-serve aujourd’hui des correctionsqui ne sont pas faites dans les rè-gles de l’art, pratiquées par deschirurgiens qui répondent à la de-mande, même s’ils la trouvent ina-déquate. Il peut arriver qu’une pa-tiente focalise sur la minceur deses lèvres alors que, de toute évi-dence, c’est la grosseur de son nezqui est la cause d’un déséquili-bre.» Va-t-il alors l’évoquer? «Jen’entrerai pas en matière lors de lapremière rencontre sur un pro-blème avec lequel, visiblement,elle vit bien.» On a là l’exemple-type de cette beauté subjective,très différente du regard que lesautres jettent sur nous.

Des standards très variables«J’ai récemment suivi une présen-tation ayant pour thème la formedes lèvres, où il était question decritères de beauté et ethniques, ra-conte le docteur Denis Salomon,spécialiste FMH en dermatologieet directeur médical de la Clini-que du Seujet à Genève. On étaitpratiquement dans l’eugénisme,

en s’attardant sur la biométriephysique idéale.» En l’occurrencecelle de Brigitte Bardot, parfaitexemple de cette théorie du nom-bre d’or, calculé par des mathéma-ticiens durant l’Antiquité pour ex-primer la perfection d’un visage,la physionomie idéale. «Très fran-chement, poursuit le spécialiste,je pense qu’il n’y a rien d’idéal.Chaque individu n’est jamaisparfaitement symétrique, une sy-métrie qui ne serait d’ailleurs pasesthétique.» A ses patientes, nom-breuses à le questionner sur la chi-rurgie esthétique, il tient le plussouvent un discours de raison. «Jene les encourage pas. Je leur dis dene pas sous-estimer les risques liésà tout acte médical. D’imaginer cequ’une transformation va leur ap-porter. Au fond d’elles-mêmes cesfemmes qui enchaînent les inter-

ventions sont tout à fait conscien-tes qu’elles prennent des risques.La réponse à des demandes insis-tantes est de ne rien faire ou deprocéder à des gestes minimalis-tes et d’accompagner ces patien-tes en mettant en valeur leursatouts. En revanche, lorsqu’on ar-rive à répondre correctement àune attente légitime, on constateun mieux-être indéniable.»

«Il n’existe pas de standard dubeau, relève Jean-François Ama-dieu, sociologue, professeur àl’Université Paris 1 et auteur de LePoids des apparences. Beauté, amouret gloire. Evoquant un récent son-dage canadien, bientôt rendu pu-blic, qui minimise la dimensionphysique au profit de l’allure, del’attitude, de la tenue – ces élé-ments qu’on définit par le charme–, il déplore que les campagnes

publicitaires, tout comme lesjournaux féminins, continuent àfaire l’éloge d’une beauté forma-tée, même si certaines marquescosmétiques, comme Dove, met-tent en avant des personnalitésplus rondes ou choisissentcomme égéries des stars ayant dé-passé la soixantaine. Mais desstars qui, Photoshop aidant, sem-blent ne pas vieillir et ne jamaisprendre le moindre kilo.

Vers un avenir plus serein?On pourrait imaginer qu’en pre-nant de la maturité, une femmesoit plus en paix avec elle-même.Pour le sociologue, rien n’estmoins sûr. «Avec l’évolutiond’une vie sociale exigeante, lafemme senior aspire à retarder levieillissement. Même si comme lesondage le révèle, à la soixan-

CHRISTIANCOIGNY

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 21

Labeauté,cettenotionsisubjective

Ci-dessus: photo deChristianCoignytirée de l’ouvrage queChristopheGallaz a dédié au grand photographe,intitulé «ChristianCoigny». Unemonographie parue en novembre2014 aux Editions Ides et Calendes.

>Dumanque de confiance au passage à l’acte

Ethnologue, sociologue, ElisabethAzoulay, connue du grand publicgrâce à son ouvrage encyclopédiqueconsacré à 100 000 ans de beautéqu’elle a codirigé, en 2009, maîtriseparfaitement ce sujet. D’autant plusqu’elle vient de mener un travail surla beauté humaine dans le monde.Son regard sur le recours à la méde-cine n’est pas très rassurant. «Il fauts’attendre, dans les années qui vien-nent, à ce qu’un petit pourcentage degensadoptent uncomportementdé-réglé. Les techniques sont de plus enplus nombreuses, les professionnelsont besoin de les vendre. Il y a lerelais de la presse, l’influence de per-sonnes qui sont passées à l’acte. Onassiste à la promotion du fake: pro-thèses mammaires, faux cils, len-tilles colorées, maquillage perma-nent… Ajouté à cela sa propreboussole intérieure qui influence lepassage à l’acte.Un chirurgien me confiait récem-ment que ce qui concerne le nez estsouvent lié au rapport au père avecl’idée qu’on ne veut pas lui ressem-bler. Même quand elles entretien-nent avec leurmère d’excellentes re-lations, nombreuses sont les fillesqui ne désirent pas vieillir commeelle. Quand on ressemble à ses pa-rents, il est évident que le vieillisse-ment parental fait office de simula-tion de ce qu’on sera plus tard. Onn’est pas tant dans le rejet de ses

parents que dans la peur de son pro-pre vieillissement.Cette angoisse, la sociologue l’expli-que aussi par l’allongement de la du-rée de vie, et par une volonté de nerenoncer à rien. «L’âge de la retraiterecule. Les couples se font et se dé-font aisément. Une histoire qui dé-bute tardivement crée l’envie de res-ter séduisante. Les hommesn’échappent pas au phénomène. Ilsuffit de voir le nouveau succès de lacoloration capillaire. Ce que l’en-quête révèle aussi, c’est qu’unefemmequi ne s’aimepasne veut pas,pour autant, ressembler à un people.Elle ne vient plus avec une imagemodèle, mais avec une illustration-repoussoir. Je ne veux, surtout pas,lui ressembler.»Interrogée sur l’éventuelle interna-tionalisation des canons de beautéelle est catégorique: même si lesAsiatiques ont longtemps été ten-tées par des critères européens, ellesont leurs propres idéaux. Ainsi deleur nez qu’elles trouvent trop petitet sans relief. Ou la quête d’un teintpur, de lèvres charnues. Alors qu’enChine, où le fait de se maquiller futlongtempspuni par la loi, l’identifica-tion à un monde occidental est demoins enmoins vraie. Consciente desa puissance, la Chine, qui évoque sarenaissance, va de plus en plus ima-giner ses propresmodèles.M.-F. R.-L.

apparence. Et demandez-vous siles gestes que vous envisagezvont vraiment vous apporter unsoulagement. Regardez autourde vous, comparez-vous avec desfemmes du même âge.» Et en2014, sachant combien de jeunesparents sont en admiration de-vant leur progéniture, les expo-sant au regard tant ils les trou-vent beaux, les enfants vont-ilsgrandir plus confiants? MichelPfulg l’espère. «Je pense, en effet,qu’il est bon de stimuler, de met-tre en avant ses enfants. Ce quenos parents faisaient rarement. Jesuis pour une façon positive deles faire avancer. Mais ils aurontaussi besoin d’être recadrés.»

Retrouver l’estime de soiC’est ce à quoi s’emploie PatrickRouget, psychologue spécialisé

en psychothérapie, dont la théra-pie cognitive et comportemen-tale. A l’issue de vingt-cinq anspassés aux Hôpitaux universitai-res de Genève, il a rejoint l’équipedu CCNP (Centre de consulta-tions Nutrition et Psychothéra-pie), qui accueille principale-ment des patientes souffrant detroubles alimentaires. Mais passeulement. Aux côtés d’un grandnombre de femmes déçues parles effets de divers régimes styleDukan, il en rencontre d’autresqui évoquent un mal-être dontelles ne saisissent pas les raisons.«En creusant, on découvre ungros complexe. Ce peut être unepoitrine trop forte, ou insuffi-samment développée. Ou un ven-tre abîmé. Si nous décelons unevéritable souffrance en cours dethérapie, il peut arriver que nous

les orientions vers un chirurgien.Mais cela ne règle pas nécessaire-ment le problème. Et surtout,quoi que les chirurgiens préten-dent, l’inverse ne se produit pas.Aucune de ces femmes ne nous aété envoyée par un chirurgien es-thétique estimant qu’il ne pou-vait pas répondre à une demandeinfondée.» S’il se réjouit destentatives d’information que lesmagazines ont commencé à en-treprendre mettant en gardecontre des interventions excessi-ves, il prône une approchecognitivo-comportementale quiva davantage soigner les causesdu maintien du trouble plutôtque sa source. Des sources diver-ses dont certaines causées par cespetites phrases assassines ou ma-ladroites prononcées par la fa-mille proche ou les amis…

taine, on se perçoit avec dix ansde moins, la pression de la jeu-nesse est telle que la médecine oula chirurgie esthétiques contri-buent à rassurer même si la re-traite s’annonce.» Pas très opti-miste non plus, Gabor Varadisouligne le caractère influença-ble de l’individu dans une sociétéhyperformative dont les outils decommunication sont toujoursplus importants. «La demande, à90% féminine, va croissant, con-firme Denis Salomon. Demanderà la presse d’évoluer me semblesans espoir. Pour moi la seuleporte de sortie est éducative. L’en-tourage peut contribuer à fairegarder raison. Il m’arrive de dire àune patiente: retrouvez unephoto de vous prise il y a quinzeans. Vous n’étiez pas en accordcomplet avec votre visage, votre

«Je ne parlepas ici de beauténi de laideur, je parlede cette chose si vagueet si importanteque l’on nommephysionomie.»AmélieNothomb, «Pétronille»

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SENTEURSÉVOCATRICES

Womanity,ThierryMugler.

Le nom, et j’en sais quelquechose, est primordial.» SilvanaCasoli, créatrice de la marque IlProfumo, n’est pas loin de parta-ger son avis. «Un nom agréablefacilite l’approche olfactive. AinsiChocolat (son premier parfum,ndlr) évoque le désir, le plaisir, legoût du chocolat. Je l’ai créécomme une émotion forte, pourexprimer la joie.» Quinze ans plustard, il reste l’un des best-sellersde la marque.

Des noms et des époquesSi, le plus souvent, c’est au dépar-tement marketing des grandesmarques qu’échoit la responsabi-lité de coller un nom sur la créa-tion, c’est beaucoup moins le caspour les marques dites «de niche»qui abandonnent aux «auteurs»du parfum le soin de le nommer.C’est même le déclencheur pourcertains. «Avant même de créerl’odeur, le nom existe, confie Fran-cis Kurkdjian, créateur de sa mar-que et parfumeur pour d’autresmaisons. Plus qu’un déclencheur,je dirais qu’il agit comme unpoint d’orgue avant d’entamer lacréation physique du parfum.Trouver le nom revient pour moi àavoir la sensation de l’odeur. Jepeux alors commencer la compo-sition. En tout cas, je suis incapa-ble d’écrire une formule si je n’aipas le nom en tête. En trouvant lenom, je plante le décor.» Et deciter pour exemple sa dernièrecréation, Féminin Pluriel. «Noussommes aujourd’hui, hommes etfemmes, des êtres multiples.Autant par notre attitude que par

«J’avoue que sonnom, AquaUniversalism’a intriguée.Présenter une

eau comme si elle s’adressait àtoutes les femmes, c’était trou-blant. Comment un parfum par-viendrait-il à rassembler à cepoint?» Pour Carole, quadra ad-dict aux fragrances, l’eau de Colo-gne de la Maison Francis Kurkd-jian – une eau de Cologne multi-usage, presque une odeuruniverselle selon son créateur –était, une fois encore, un sujet dedésir et d’interrogation. Rien desurprenant quand on sait quecertaines femmes ont acheté unepremière fois La Vie est Belle dansl’espoir qu’il leur rendrait la vieplus douce.

Très discrètes sur un sujetqu’elles semblent apparenter àdes secrets de fabrication, certai-nes maisons n’ont pas souhaités’exprimer sur le sujet. Dom-mage. On aurait bien aimé pour-tant savoir qui, d’un publicitaireou d’un créateur inspiré, avaitchoisi de faire rimer «Dior» et«adore» ou de rendre hommage àcette fameuse «petite Robe noire»que toute femme doit avoir danssa garde-robe. Serge Lutens, maî-tre incontesté de la haute parfu-merie, autant par le trouble quedéclenchent ses senteurs que parleurs noms qui sont autant deréférences intellectuelles, estheureusement moins avare enconfidences. «Je pense que lenom est majeur: il nous signale,nous détermine, nous intrigue.

notre façon de vivre, de nous ha-biller. J’étais en quête d’un grandparfum pareil à une silhouettevestimentaire. Intemporel et pourtous les moments. Ce nom m’asemblé évident.» Lorsqu’il aabordé le monde de la parfumerieau début des années 70, Serge Lu-tens souligne que les noms – il citenotamment Anaïs Anaïs de Ca-charel et Charlie de Revlon – met-taient en lumière des évocationsde femmes et, à travers elles, descomportements socioculturels,plutôt que d’exprimer une exis-tence propre et individuelle danslaquelle on pouvait se reconnaî-tre. «Il était important pour moide retrouver l’identité du parfum.D’où Féminité du Bois, TubéreuseCriminelle, Cuir Mauresque ouArabie.» Constatant, pourtant,après quelques années que toutesles autres marques se calquaientsur ces exemples, le parfumeurdécide à nouveau d’en changer laterminologie. «Il était temps debifurquer en inventant davan-tage. Opter pour une histoire oùchacun(e) pourrait se retrouver,même si cela part d’une histoiretrès personnelle.» Ainsi naissentDe Profundis, La Fille de Berlin, LaVierge de Fer, L’Orpheline.

Bataille autour d’un nomFacile de choisir un nom? Evi-demment non, tant d’entre euxétant déjà déposés par les mai-sons de parfum pour éviter qued’autres ne s’en emparent. Pastous néanmoins. «J’ai été surprisqu’Arabie n’ait jamais été enregis-tré», relève Serge Lutens, tant ce

Qu’ils senommentLaVieestBelle, LapetiteRobenoire,L’AirduTempsouFémininPluriel, tous lesparfumsontunehistoireque leur«titre» résumeavecplusoumoinsd’acuité.Quichoisit cenom?Enquoi influence-t-ill’achat?Est-il capabledecréerune légende?ParMarie-FranceRigataux-Longerstay

Desnomsprédestinés

Chocolat,Il Profumo.

FémininPluriel,MaisonFrancisKurkdjian.

La petiteRobe noireEau Fraîche,Guerlain.

L’Orpheline,SergeLutens

AquaUniversalis,MaisonFrancisKurkdjian.

PHOTOS:DR

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 25

Féminité du Bois,Serge Lutens.

LaVie est BelleL’Absolu de Parfum,Lancôme.

spontanément de mes pensées,créés en l’honneur de l’atmos-phère odorante de l’Italie: Aria diMare, Pioggia Salata et d’autreséléments de la nature. Ils peuventaussi évoquer des lieux, des plan-tes, des fleurs du monde entier.»

Dans l’air du tempsDirecteur de la marque Lancômeen Suisse, Vincent Mottier évo-que la cohérence. Un parti prisqui installe la fragrance dans sonépoque. «La Vie est Belle, c’est unedéclaration qu’on a envie de tra-cer sur son miroir. Après les an-nées 80 et la génération des fem-mes en rébellion, duminimalisme et de l’unisexe desnineties, du matérialisme du dé-but des années 2000, cette géné-ration revient vers l’harmonie.Less but better. Avoir moins, maismieux. Etre en accord avec soi-même. Dans un monde fait dediktats et de conventions, n’y a-t-il pas une autre voie? La Vie estBelle c’est 50% d’ingrédients na-turels, extraits d’iris, de fleurd’oranger, de l’hyper-qualitatifdans un flacon ultra-simple. Unequalité qui est un nouveau luxeet un jus de bonheur auquel lenom participe.» Un nom peut-ilruiner un parfum? FrancisKurkdjian le pense. «Un nom gla-mour, facile à prononcer danstoutes les langues sera toujourspréférable à un autre susceptible

de provoquer l’hilarité ou tropsurprenant.» Directrice Marke-ting & Développement Interna-tional des parfums Thierry Mu-gler, Alexandra Brichet Wolfestime que le nom est le premiercontact que la marque tisse avecune éventuelle acheteuse.«Thierry Mugler voulait que cha-que création commence par unA. Angel, Angel Men, Alien…Pour Womanity, il y avait cettevolonté de communauté fémi-nine, d’où l’association de wo-man et de community.» Et sur-tout il y a l’audace. Appeler uneeau de parfum Alien, il fallaitoser! «C’est l’une des volontés dela maison de jeter son dévolu surdes noms un peu mystérieux, quipeuvent sembler étranges. Enrupture, pas convenus. Commeun petit grincement, tant au ni-veau du flacon qu’au niveau deson contenu. Surtout pas de sys-tématisme qui ferait trop recette.Il s’agit toujours d’un exerciced’équilibre auquel le parfum par-ticipe. Le nom doit toujours êtremémorisable.»

Trouver un nom, on le voit,n’est jamais anodin. Tous nos in-terlocuteurs le reconnaissent:raccourci évocateur d’un mes-sage ou d’une véritable histoire, ilrésume le plus justement possi-ble le contenu du flacon. Quant àdire qu’il booste les ventes, per-sonne n’a voulu l’affirmer.

nom lui semble légitime. «A par-tir du moment où il s’agit d’unmot descriptif de la parfumerie –Francis Kurkdjian cite ambre,rose, chypre, etc. –, le nom n’estjamais protégé. Il faut lui ajouterun qualificatif ou un autre nompour qu’il le devienne. En revan-che, une trop grande proximitépeut faire l’objet d’un règlementjudiciaire. «Quand, dans les an-nées 80, Givenchy a voulu nom-mer l’un de ses parfums Kirius,Yves Saint Laurent l’a trouvé tropproche de Kouros. J’ai moi-mêmeun différend avec Grès pour unparfum nommé Lumière Noire, lenom, déposé, d’un de mes par-fums. Nos juristes ont dû interve-nir.» Il peut arriver aussi qu’unnom soit déjà déposé mais nonexploité. Il faut alors demanderun droit de cohabitation à celuiqui l’a déposé. Les deux maisonssignent alors un acte de coexis-tence. Un gentleman agreementqui évite un recours en justice.

Mais au fait c’est quoi un nom«juste»? Pour Serge Lutens, lepoète, «chaque nom est une fa-çon de me mettre au jour, ensomme un accouchement. C’estun vécu que je dois remettre aumonde et qui transpose la fragi-lité, le doute, la peur, la colère, lafolie amoureuse. Un nom, c’est ladéclaration de tout cela.» Pourmoi, relève Silvana Casoli, lesnoms, tous en italien, sont venus

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26 Beauté Le Temps l Samedi 28 février 2015

BOÎTESÀMALICE

Palettesd’expressionTeintderose,gloss tendre, camaïeud’ombres, lescoquetsboîtiersenjoliventpommettes, lèvresouprunelles, etparfois toutenmêmetemps. SélectiondeGéraldineSchönenberg

Backstage du défilé printemps-été 2015,AtelierVersace.

SYLV

IEROCHE

D’abord ils sont sijolis à regarderces dégradés decouleurs alignéscomme des go-dets dans une

boîte à aquarelle… Pour un peuon en ferait des paysages sur unepage blanche.

Mais sur nos paupières pour-quoi décliner autant de nuances demauve, de bleu ou de rose que nousprésentent ces boîtes monomania-ques, comme la palette Toledo deM.A.C? Sur nos yeux, les arcs-en-ciel et les smokys n’ont plus de li-mite. Fondus ou architecturés, lesaplats de couleur sculptent des re-

gards auréolés de lumière ouplombés comme des ciels en furie.Sur nos pommettes, un coup depinceau sur des pigments nacrésallant du blanc au rose soutenupermet d’illuminer, de colorer etde réchauffer le teint en mêmetemps comme le promet la poudremulti-action de Bobbi Brown.

Même Guerlain a compresséses fameuses perles Météorites,qui deviennent poudre com-pacte…

Quant aux boîtiers plus tradi-tionnels qui ne comportentqu’un ou deux tons de blush,leurs motifs en relief dissuadentd’y mettre le doigt, tel le blush

Jardin de Chanel de la collectionRêverie Parisienne. Une composi-tion de camélias bicolore en faitun objet précieux, comme uneminiature du XVIIIe siècle. Ou en-core Phyto 4 Ombres de Sisleydont la poudre gravée évoqueune sorte de drapé de soie. Et puisil y a leur capot, plein de fantaisie.

Telle My French Palette de Lan-côme ornée du dessin délicatd’une scène parisienne.

Et l’on découvre surtout les boî-tiers magiques tout-en-un desti-nés au visage entier. Des produitsmulti-usages plébiscités par lesFrançaises en 2014 selon le siteFashionMag, qui indique unehausse des ventes de 128,4%. Tellela Kingdom of Colors de Dior, da-mier en arlequin qui compose unmaquillage sur mesure: du linerau gloss en passant par le teint, dela poudre matifiante à la touche«glowy» qui illumine les reliefs duvisage. Un studio professionnel enformat de poche...

Brightening Brick.Poudremulti-action

pour le teint,Bobbi Brown.

KingdomofColors.Palette teint,yeux etlèvres,Dior.

Ombres de jour Couture PaletteCollector,Yves Saint Laurent.

Blush Jardin deChanel,collection Rêverie Parisienne,Chanel.

Fards à paupièresLes 4OmbresTissé Fantaisiede la collectionRêverie Parisienne,Chanel.

Fards à paupièresGarden EscapePalette,Clarins.

MétéoritesCompact poudrerévélatricede lumière,Guerlain.

PaletteNARSissist

Dual-IntensityEyeshadow,

NARS.

Fardsà paupièresPureColorInstantIntense,Estée Lauder.

Quatuor d’ombresà paupières

et blushNutcraker Suite,

Clinique.

Fards à paupièresdont troismates,trois irisées ettrois jardins secrets,My French Palette,Lancôme.

Fard à jouesEclat Jeunesse,collectionTerryblyDensiliss®,ByTerry.

Ombresà paupièresQuatuorDream,Phyto 4Ombres,Sisley.

VioletwinkEyeshadowpalette Toledo,M.A.C.

Ombres àpaupières PureColor Envy,Estée Lauder.

PHOTOS:DR

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Le Temps l Samedi 28 février 2015 Beauté 27

Finalement, il a été exaucé?Oui, j’ai beaucoup de chance.C’était quelque chose d’inespéréqui n’était pas envisageable, mafamille n’avait rien à voir avec cemétier. Elle était aimante, unie,j’étais enfant unique et je rêvaisbeaucoup.

Quelles traces en reste-t-ildans votre vie?Le plus important pour un créa-teur, c’est son vécu. Je cherchetoujours inconsciemment ce rêve,cette joie de vivre de mon enfance.J’ai baigné dans l’olfaction sansque ma famille ait un quelconquelien avec la parfumerie. Les sen-teurs du jardin, l’odeur de l’eau etpuis la Cologne que portait monpère. C’était un dandy. Ses chaus-sures étaient faites sur mesure. Ilétait capable de reconnaître unvrai marron, un vrai bleu, et d’ex-pliquer avec force détails pourquoideux couleurs ne se marient pas.

Parmi tous vos souhaits, vos rêvesd’adulte, quel est celui qu’il voustenait le plus à cœur de vivre?Le métier que je fais. Je suis uncréateur qui aime ce qu’il fait, quine crée pas dans la douleur.

Qu’avez-vous ressenti lorsquec’est devenu une réalité?Une profonde satisfaction. Depuismes débuts, à l’âge de 20 ans, chezFirmenich, j’ai aimé chaque matinrecevoir en arrivant ces flotsd’odeurs. Je le ressens encoremaintenant, ça m’inspire! Même siles odeurs ne sont pas forcémentde bonnes odeurs. J’ai la chanced’être libre, d’être dans une sociétéqui me le permet. Quand on a lebonheur d’avoir la liberté decréation, on est l’homme le plusheureux du monde. J’aime cettesécurité, arriver au travail chaquematin et y trouver mon équilibre.Et comme disait Picasso: «Il fautpenser comme un artiste et vivrecomme un bourgeois!» Mais larigueur est indispensable.

Enfant, quel métier vouliez-vousfaire une fois devenu grand?

d’être reconnu dans mon métier.Ma vie avant la parfumerie n’exis-tait pas beaucoup. Je voulais êtreacteur ou quelque chose d’artisti-que. A cette époque, je n’étais pastrès heureux, je pensais sans cesseà l’Espagne.

De quel super-pouvoir vouliez-vousêtre doté?J’ai un pouvoir de séduction, j’ensuis sûr, un pouvoir de passion:c’est le pouvoir de la création.

Rêviez-vous en couleurou en noir et blanc?Je suis un petit dormeur, jen’aime pas dormir en fait: j’aitrop l’impression de perdre montemps. J’ai souvent rêvé que jevolais ou que je tombais, maisj’ai plus un souvenir de sensa-tions que de couleurs. Cela dit, ilme semble que c’était en noir etblanc. D’ailleurs il faut se méfierquand on rêve en couleur, c’estmauvais pour la qualitédu sommeil!

Quel était votre livre préféré?Tout petit, Pinocchio. J’aimais lebois, la baleine, cela m’évoquaitdes odeurs. Et puis le mensongeet le rêve, encore le rêve. Et puisaussi le nez qui s’allonge (rire)!Après, à l’adolescence, j’ai adoréBalzac, Le Père Goriot. Il y a là-dedans toute la méchanceté dumonde, le contre-pied à toutes lesvaleurs que l’on m’a inculquées.Balzac, c’est un roman-photo!

L’avez-vous relu depuis?Pinocchio, oui, parce que je l’ai lu àmes enfants. Je leur ai lu La ChèvredeMonsieur Seguin aussi… C’esttrès olfactif!

Quel goût avait votre enfance?Sucré. J’étais gourmand de gâ-teaux, de chocolat. De tout ce quiétait interdit. Il faut dire que dansles années 50, en Espagne, il n’yen avait pas beaucoup. C’étaitrare. Et aussi le goût de la pastè-que. Le bruit quand on la coupait.Son côté secret: elle sera bonneou pas? La joie de la couper.

INTERVIEWSECRÈTE

Alberto Morillas,qu’avez-vousfaitdevosrêvesd’enfant?

ROBERTO BATTISTINI

Alberto Morillas seniche dans le coudes femmes sansmême qu’elles le sa-chent, voyageurclandestin. Dans le

cou des hommes aussi. CK One deCalvin Klein, Pleasures d’EstéeLauder, Miracle de Lancôme, Ac-qua di Giò de Giorgio Armani,Omnia de Bulgari: il a créé tant deparfums qu’il serait fastidieuxd’en faire la liste. On a tous certai-nement porté au moins une fois sasignature comme une aura.

Le parfumeur est né à Séville,ville sèche, où l’eau est rare et doncprécieuse. Il est arrivé à Genève,ville d’eau, lorsqu’il était âgé d’unedizaine d’années. Il n’est guèreétonnant que l’élément aquatiquesoit un thème récurrent dans sescompositions.

L’Eau d’Issey, cette fragrancefraîche et épurée apparue en 1992est un joli terrain de jeu pour Al-berto Morillas. En avril prochainsortiront ses Eaux d’Eté d’IsseyMiyake. Mais avant cela, il a ré-cemment signé l’Eau d’Issey CityBlossom, fleur de bitume fugaceet printanière. Et Oceanic Expédi-tion, une version en édition limi-tée de la fameuse Eau d’Issey pourHomme, dont la formule origi-nale fut écrite par le parfumeurJacques Cavallier en 1994. «J’aipensé à une fraîcheur qui vien-drait de la lumière elle-même.Une fraîcheur revigorante qui faitvibrer l’air pur, une gifle de ventsignifiée par la force effervescentedu pamplemousse, du petit grainet de la bergamote et ce côté mé-tallique du zeste (l’ozone de l’air).Il y a la Cascalone® pour le côtéfraîcheur marine, enrichie de né-roli et de gingembre fusant. Pourl’effet cotonneux de la brume surl’océan, des nuages immenses, unshoot de muscs blancs. La simpli-cité de la construction crée la flui-dité… Le mouvement du bateaupeut-être. On y est!» dixit AlbertoMorillas dans le dossier.

Mais ce sont d’autres rivages quel’on souhaite aborder avec lui: ceuxdu merveilleux pays de l’enfance.

Le Temps: Qu’avez-vous faitde vos rêves d’enfant?AlbertoMorillas: Je les ai réalisés!

Quel était votre plus grand rêve?Enfant en Espagne, je vivais dansun jardin clos, un patio, et monrêve c’était d’être proche de lanature, de cette sensation. C’étaitmystérieux d’être derrière cettegrille, on ne pouvait pas sortirseul, c’était interdit. Mon rêve,c’était de sortir, de découvrirl’extérieur. J’étais déjà dans unimaginaire, une préparation àmon métier de parfumeur.Mais à l’époque, je ne connaissaispas la parfumerie, ni le métierde parfumeur

Juste avant d’entrer chez Firme-nich j’ai fait les Beaux-Arts, dugraphisme, j’ai travaillé dans lapub, je cherchais à faire un métierartistique. Mais j’ai intégré Firme-nich jeune, et j’ai rapidement suque je voulais être parfumeur.

Quel était votre jouet préféré?Actuellement, le téléphone (rire)mais quand j’étais petit, c’étaientles billes. C’était un peu magique,on pouvait voir à travers.

Les avez-vous gardées?Non, mais mes deux fils y ontjoué. Et j’ai gardé un souvenirprécieux de ces sacs de billes.

Aquel jeu jouiez-vousà la récréation?J’ai été élevé chez les nonnes, alorsles récréations étaient plutôtsilencieuses. On jouait «aux4 coins». Plus tard, quand nousavons déménagé en Suisse, onjouait à s’échanger des cartes. Jen’étais pas un grand joueur dansla cour d’école.

Grimpiez-vous dans les arbres?Oui, j’ai un souvenir très précisd’avoir grimpé sur un grand cèdredu Liban quand j’étais encore enEspagne. La sensation de puis-sance que l’on a! Avec cet arbreaux premières branches commeun escalier, on monte, on monte!C’est grisant. Le problème ensuite,c’est de redescendre. A ce mo-ment-là, c’est la panique. Mais on yarrive quand même. Je n’ai pas levertige et j’adore l’accrobranche.

Quelle était la couleurde votre premier vélo?Mon vélo était rouge et bleu. Je nel’ai jamais oublié à cause descicatrices aux genoux et auxcoudes que je lui dois. Je suis vitepassé au vélo à moteur. Je n’aimepas beaucoup faire d’efforts…

Quel super-héros rêviez-vousde devenir?Je n’ai jamais eu de héros, je nesuis pas fétichiste. Je n’ai pasl’esprit «fan». Mon ambition, c’est

C’est comme un cadeau quia une odeur d’eau et de mer.

Et si cette enfance avait un parfum,ce serait?Celui du jasmin, de la fleurd’oranger, de l’eau du puits.C’était une grande richessequand j’étais petit en Espagneque d’avoir un puits. Avec l’eau,on peut tout faire: boire, se nour-rir, se laver. On est riche d’imagi-naire quand on a de l’eau. Monenfance a eu aussi le parfumde l’eau de Cologne, l’odeurdes processions, des soiréesde cinéma en plein air où desfemmes pulvérisaient de la ci-tronnelle, censée purifier l’atmos-phère des miasmes de la foule.

Pendant les grandes vacances,vous alliez voir lamer?Malheureusement pas assez àmon goût. Nous partions à Cadixvoir l’océan agité. C’était festif onmontait des tentes avec des draps,on tendait des câbles. On partaittrès tôt de Séville et on rentraittard tout brûlés par le soleil. Onpréparait des tortillas, des sala-des… De nouveau les odeurs!

Savez-vous faire des avionsen papier?Je suis très doué pour faire desavions en papier. Et même desdiaboliques, avec une épingle aubout! J’aimais aussi faire desbateaux en papier. Je les mettaissur l’eau pour voir comment ilstraversaient les obstacles.

Aviez-vous peur du noir?Je n’ai jamais eu peur du noir. EnEspagne, la sieste est un momenttrès important où l’on baignedans une semi-obscurité pleined’ombres. J’adorais me faire moncinéma à l’heure de la sieste. Je nedormais absolument pas.

Vous souvenez-vous du prénomde votre premier amour?Oui, Isabelle, et elle portait Calè-che. J’ai la saveur de cette odeur.Ensuite cela a été ma femme. Elleportait Ma Griffe de Carven, quim’intriguait. Elle a aussi portéL’Air du Temps, j’aimais moins.Sentir Femme de Rochas, le par-fum de ma mère, me met leslarmes aux yeux. Ça sentait leluxe, la pêche, le fruit. Enivrant.

Et vous souvenez-vous de l’enfantque vous avez été?Oui, tous les jours. J’étais unenfant un peu triste et surtoutimpatient. Fils unique, j’étais laterreur de mes cousines, carj’enfonçais les yeux de leurs pou-pées. Ces billes rondes qui seferment et s’ouvrent me fasci-naient.

Est-ce que cet enfant vousaccompagne encore?Oui, le rêveur. Car il faut rêver,espérer, croire. Avoir un espritd’enfant pour ne pas deveniraigri, amer, jaloux.

Quand on a le sentiment d’avoirtout accompli, est-ce que l’ona encore des rêves?Oui, on a le rêve de trouver denouveaux accords, de réussir denouveaux parfums. Si on ne rêvepas, la vie n’a pas de sens. Si on nerêve plus, on est mort. Je rêve tousles jours et en me couchant jepense aux belles et bonnes cho-ses. A l’amitié par exemple. Je suistrès fidèle en amitié. Je n’aime paspapillonner.

Danschaquenuméro,IsabelleCerboneschidemandeàunepersonnalitéde luiparlerde l’enfantqu’elleaété,etdeses rêves.Unemanièredemieuxcomprendre l’adultequ’il ouelleestdevenu(e).Plongéedans lemondede l’imaginaire.

Page 28: Hors-série Beauté 2015