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Quand le spectacle frappe à la porte du spectateur. Étude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock : Théâtre de ville de la troupe du Tenjô Sajiki Jean-Philippe MARTIN Sous la direction de Jean-Pierre GIRAUD Université Jean Moulin Lyon 3 Faculté des langues Mémoire de Master 2 mention LCE spécialité JAPONAIS Numéro d'étudiant : 3042176 Année universitaire 2008-2009

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Quand le spectacle frappe à votre porte - Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

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Page 1: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Quand le spectaclefrappe à la porte du spectateur.

Étude esthétique et poétique de la participation du spectateur

dans Knock : Théâtre de ville de la troupe du Tenjô Sajiki

Jean-Philippe MARTIN

Sous la direction de Jean-Pierre GIRAUD

Université Jean Moulin Lyon 3Faculté des langues

Mémoire de Master 2 mention LCE spécialité JAPONAISNuméro d'étudiant : 3042176

Année universitaire 2008-2009

Page 2: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

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Page 3: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Figure 1 (Carte du spectacle remise aux spectateurs)

Figure 2 (Ticket du spectacle : recto.)

Figure 3 (Ticket du spectacle : verso)

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Page 4: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Nos remerciements vont tout d'abord à Monsieur Jean-Pierre Giraud pour sa

confiance et ses encouragements tout au long de ce travail.

A Madame Bernadette Bost pour ses conseils et sa disponibilité,

Nous remercions Olivier Malosse pour nous avoir initié à l'univers de Terayama,

A Marie-Noëlle Beauvieux, Mizuho Nakajima, Catherine Branda pour leur

soutien matériel et moral,

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Page 5: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Ainsi qu'à Yeji.

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Page 6: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Notes Liminaires

-Les noms et termes japonais sont transcrits selon le système Hepburn

révisé, les noms communs en italique. Le noms propres japonais sont dans

l'ordre nom, prénom comme d'usage.

-Notes sur la prononciation des termes japonais en transcription :

● Les « u » sont prononcés « ou »

● Les « e » sont prononcés « é »

● Les accents circonflexes indiquent un allongement de la voyelle.

● Tous les « h » sont aspirés.

● Les « j » sont prononcés « dj »

● Les « r » sont prononcés entre le « r » et le « l » français.

● Les doubles consonnes « tt » indique une suspension de la prononciation comme entre le « a » et le « t » de « atchoum ».

● Lorsqu'un nom comprend une apostrophe, comme « den'en » de « den'en ni shisu » cela indique qu'on lit d'abord le « den » et ensuite le « en ».

● Le « n » se prononce toujours comme dans « Yen ».

● Les noms japonais ne connaissant pas l'article, on ne verra jamais d'élision entre l'article et le mot qu'il détermine.

-Les mots japonais sont généralement d'abord indiqués par leur

prononciation (romaji) suivit des caractères japonais et de leur traduction

française entre parenthèses.

-Sauf indication contraire les traductions du japonais et de l'anglais sont

de l'auteur.

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Page 7: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Figure 4 (Photo de Terayama Shûji)

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Page 8: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Sommaire

Introduction......................................................................p.9

I. Proposition de nouveaux modèles...........................p.15

I.1. Bases théoriques d'une esthétique..................................................p.16Rapide précis historique de l'évolution du théâtre au JaponDadaïsme, surréalisme et autres influences esthétiques marquantesTerayama magicien

I.2. Quelques caractéristiques du théâtre détournées...........................p.28Le texteL'acteurLe metteur en scèneSpectacle éclaté, spectacle total

II. Vers une participation du spectateur......................p.44

II.1. Le travail du spectateur de théâtre................................................p.45

II.2. De nouveaux outils d'analyse pour une approche de Knock........p.54Théorie de la performancePostdramatiqueUne œuvre ouverte ?

II.3. Poétique de la réception dans Knock............................................p.61Immixtion dans l'intimité du spectateurAliénation des repères et changements de points de vue

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Page 9: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Introduction

“19 avril, 13h. entrée est de la gare de Shinjuku, devant Nikô près du pont de fer à l’intérieur de

l’agence immobilière “Sankei”. Un homme échangeant des cartes est assis à une table, sur une chaise empruntée là. Il a un chapeau mou de

couleur noire, un bandeau de pirate sur l'œil et un attaché-case sur les genoux. Cet homme est

l’échangeur de carte.”

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Page 10: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

C'est avec ce passage obligé pour tous les spectateurs que commencera

shigai-geki nokku � � � � � � � � �(Knock: Théâtre de ville)1, spectacle qui

fera de la mégalopole Tokyoïte une gigantesque aire de jeu pour la troupe du

� � � � (Tenjô Sajiki) de � � � � Terayama Shûji. Il est pourtant important de

clarifier très vite une situation sinon inextricable. Nous ferons dans ce mémoire

maintes fois référence à l'œuvre de Terayama Shûji, alors qu'il ne s'agit pas à

première vue de son spectacle.

Terayama est pourtant la figure la plus célèbre parmi celles représentées

au sein des nombreux participants à l'événement, mais ce n'est pas sous ce

nom que nous est parvenu cette œuvre. Le maître à bord de ce projet a

semble-t-il été 幻一馬 Maboroshi Kazuma, chef de file d'un temps, dont le nom

est associé à la kôsei構成 (composition) et enshutsu 演出 (mise en scène) de

Knock. De toute façon, qu'il s'agisse de la manière dont le titre principal nous

est parvenu ou du créateur du Tenjô Sajiki, l'influence de Terayama sur sa

propre troupe ne pourrait être niée. Nous verrons qu'il existe quelques

différences, pourtant, avec les thèmes récurrents de la plupart de ses propres

œuvres. Il est vrai qu'il ne semble pas s'être soucié de l'organisation de ce

travail collectif, mais qu'il y a surtout participé comme un auteur, metteur en

scène parmi d'autres. Cela nous donne en fait une occasion de parler de

l'organisation de cette troupe. Selon les dires de Catherine Muller2,

l'organisation semblait être assez lâche pour que de nouvelles têtes s'invitent à

l'occasion d'un projet, ne restant d'ordinaire que pour ce seul projet. De plus,

nous savons que le recrutement des acteurs se faisait surtout par les envies

esthétiques de Terayama. Il demandait ainsi aux membres du Tenjô Sajiki de

cultiver leur différence, leurs particularités physiques, même disgracieuses. Ce

nom de troupe fait bien sûr référence au film « Les enfants du paradis » de

1 Nous abrégerons le plus souvent ce titre en Knock2 Nous utiliserons beaucoup dans ce mémoire le travail de Catherine Muller, Entre mythe et modernité :

l'acteur dans le théâtre de Shûji Terayama, Paris III, Mémoire de DEA Études théâtrales, 1997. Un excellent travail qui a, de surcroît, le mérite de témoigner d'une expérience de vie de la troupe sans commune mesure pour une étrangère, étant resté 3 ans avec celle-ci en tant qu'actrice.

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Marcel Carné, faisant finalement autant référence aux spectateurs populaires

du poulailler, « le public préféré de Prévert, celui qui réagit, celui qui participe »1

qu'aux envies, on le voit déjà orientées, projetées dans ce médium. Le film

Buraikan 無頼漢 (Hors-la-loi)2 dont il écrit le scénario n'est ainsi pas sans

rappeler le film de Carné, tout en lui ajoutant quelques thèmes récurrents à

l'œuvre de Terayama tel que son rapport conflictuel à la mère. Il nous semble

qu'il y expose d'ailleurs maintes idées sur sa conception du théâtre.

Nous le voyons, l'œuvre de Terayama est protéiforme. Car en plus d'être

scénariste, auteur et metteur en scène, Terayama est récompensé à Arles pour

son travail photographique, est auteur de pièces radiophoniques, se fait

connaître très tôt grâce à ses talents pour la poésie, recevant en 1954, le prix

Poésie nouvelle du magazine Tanka kenkyû (Recherche sur les tanka)3. On

retrouve d'ailleurs une place toujours aménagée pour la poésie dans un grand

nombre de ses œuvres cinématographiques comme Den'en ni shisu 田園に死

す (Cache-cache pastoral). Nous l'avons déjà dit Terayama se sert souvent des

mêmes thèmes dans son oeuvre, réexploités sous diverses formes. Parmi

ceux-ci on notera un très profond intérêt pour la révolte de la jeunesse, une

réflexion conflictuelle à la mère et donc aux femmes en général, la construction

d'un passé ésotérique constitué d'anciennes croyances et d'anciens rites

japonais provenant pour la plupart des paysages lyriques de son enfance à

Aomori.

C'est dans cette région que le petit Terayama grandit. Victime indirecte

de la guerre, son père y survit, mais meurt de dysenterie un mois après la

reddition. Il est abandonné par sa mère qui part travailler dans une base

militaire américaine et recueilli par un parent éloigné qui tient un cinéma à

Misawa, autre ville de la préfecture de Aomori, il dévorera le cinéma surtout

1 Carole Aurouet, Jacques Prévert, portrait d'une vie, Paris, Ramsay, 20072 Réal. 篠田正浩 Shinoda Masahiro, 19703 短歌 forme de poésie japonaise courte composée de cinq vers de 5,7,5,7,7 mores.

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américain de cette époque. Il ne semble pas nécessaire d'insister sur la forme

traumatique prise par cet abandon tant elle paraît claire. En 1954, il est reçu

dans la prestigieuse université de Waseda à Tôkyô, mais une violente néphrite

le condamne à rester à l'hôpital pendant trois ans, temps qu'il emploiera surtout

à lire, écrire et qui le conditionnera peut-être à se révolter et à profiter

pleinement de sa sortie comme en témoigne le titre d'une de ses œuvres les

plus précoces Sho wo suteyo, machi he deyô 書を捨てよ、町へ出よう (Jetons

les livres et sortons dans la rue). Il est vrai qu'à partir de cette libération et même

s'il sera en fait malade toute sa vie, son envie de vivre et de créer n'en sera que

démultipliée. Le spectacle que nous étudions ici semble être d'ailleurs encore

doté de cette même rage, de cette envie de vivre qui caractérise le titre cité

plus haut, avec de plus une envie de prendre en compte la ville et ses

habitants, de frapper à leur porte et de s'inviter dans leur vie.

Ce n'est pourtant qu'en 1967 que Terayama crée sa troupe.1 Ayant

découvert Le théâtre et son double un peu plus tôt, le recueil d'essais d'Artaud

n'ayant paru en japonais qu'en 1966. Il n'y pas de contradiction dans le fait que

la première pièce dont il est l'auteur date de 1960 puisqu'elle sera créée par

une autre troupe. Terayama est donc avant tout un écrivain mettant en place

des projets sur le papier que ses collaborateurs auront pour tâche de mettre en

scène et en musique même s'il met aussi en scène de nombreux spectacles

comme Kegawa no mari 毛 皮 の マ リ (La marie-vison). La liste de ses

collaborateurs est longue, nous nous souviendrons surtout de metteurs en

scène comme東由多加 Higashi Yutaka, d'artistes renommés comme 横尾忠則

Yokô Tadanori tous deux cofondateurs de la troupe. Preuve du changement

inhérent à la troupe on ne retrouvera nulle-part ces deux noms dans la pièce

étudiée.

1 Selon l'article de Yamaguchi Masao 山口昌男, Kyokô to genjitsu no hazama de 虚構と現実のはざまで (Entre fiction et réalité) in Terayama Shûji 寺山修司, Terayama Shûji no gikyoku 寺山修司の戯曲 (Pièces de Terayama Shûji), Tôkyô, Shichôsha, 1983-1989, Volume 9, p.363

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Nous ne pouvons ainsi passer sur la présentation de cet homme « hors

du commun » qu'était Terayama. Si son rôle ici tient plus du projet de création

lancé vers d'autres artistes que de la création pure et si cela nous interpelle

autant, c'est bien qu'une certaine image, une certaine esthétique "Terayama"

transparaît dans ce spectacle. De plus, il est considéré par la troupe comme un

maître, bien qu'il refuse la formulation de sensei 先生 (maître), à son égard,

chose pourtant courante dans ce genre de troupe de théâtre encore de nos

jours. Si Terayama est important ici c'est bien qu'il sert à quelque-chose. C'est

ainsi grâce à lui, en premier lieu que le spectacle peut avoir lieu, lui, figure

hautement rassembleuse de la vie artistique nippone de ces années là.

En 1975, Terayama est connu au Japon. Surtout grâce à son succès en

Europe et aux États-Unis, mais nous observons souvent ce phénomène en ce

qui concerne le Japon.1 Fort de ses succès il se vît même proposer une

subvention de la part des institutions, offre qu'il refusa, par solidarité avec les

autres compagnies. Il fallait, on le comprend, une figure de cette ampleur pour

oser s'attaquer de la façon qu'a de le faire ce spectacle à la « routine

quotidienne ».

Terayama avait ainsi une place à part, même aux côtés d'artistes de sa

génération. Il faisait partie du mouvement de shôgekijô 小劇所(Petits théâtres)2,

surtout par commodité de classement. Si nous devons analyser le travail de sa

troupe c'est donc dans une optique plus internationale surtout à partir de 1968

et de la version « théâtrale » de Jetons les livres et sortons dans la rue, spectacle

dans lequel on invite des jeunes gens à prendre la parole sur scène, ceux-ci

récitant des poèmes, proférant des menaces. Ceci révèle bien la prise de

conscience de la troupe du refus d'écoute de la jeunesse par les autorités en

1 Le cas récent de 黒沢清 Kurosawa Kiyoshi ou plus ancien de 塚本晋也 Tsukamoto Shinya, sont ainsi à souligner, la critique japonaise a souvent du mal à reconnaître ses propres artistes.

2 Le mouvement de Petits théâtres caractérise les années soixante au Japon. Sont cités comme exemples types de ce courant les compagnies Jôkyô engeki 状況演劇 (Théâtre de situation) de Kara Jûro, Waseda shôgekijô 早稲田小劇場(Petit théâtre de Waseda) de Suzuki Tadashi et kuroi tento 黒いテント (Le chapiteau noir) de Satô Makoto.

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place en leur offrant un espace, le théâtre, afin d'être enfin au centre de

l'attention. Son théâtre suit alors l'actualité du théâtre d'avant-garde mondial, et

les troubles politiques des pays industrialisés de cette année. Terayama sera

ainsi très impressionné par les essais du Living Theatre, dont il apprendra

beaucoup à la vision de Paradise Now1. C'est ainsi plutôt dans cette optique

internationale qu'il faut essayer de situer la troupe plutôt qu'essayer de la

rapprocher d'une quelconque « identité japonaise ». Terayama donnera ainsi à

travers une quinzaine d'essais, sa vision des grands metteurs en scène et

dramaturges de son époque comme Brecht, Grotowsky, le Living Theatre ou

Richard Schechner.

Knock: Théâtre de ville revêt ainsi bien des aspects intéressants et c'est

pourquoi nous avons choisis de traiter ce spectacle si particulier. Pour ce faire

nous avons eu la chance d'acquérir un e-book paru aux éditions Voyager, sorte

de bible du spectacle et seule vraie source disponible pour une analyse précise

de celui-ci, il est évidemment intégralement en japonais. Le site sur lequel il est

disponible présente aussi quelques vidéos gratuites et qui nous ont permis de

vérifier un témoignage contredisant les faits relatés dans cet e-book.2

Il s'agit résolument d'un spectacle éphémère et unique se proposant

d'injecter une force si barbare soit-elle dans un quotidien que le spectacle

déplore et qualifie de routinier. Ces aspects innovants sont nombreux et c'est

pourquoi il nous faudra dans un premier temps, pour expliquer notre

problématique, parler de la nouvelle poétique, des modèles nouveaux auxquels

nous aurons affaire ici. Ceci se fera d'une façon assez simple en relevant les

écueils divers dans lesquels nous avons essayé de ne pas tomber. Il sera

nécessaire, dans un premier temps de rappeler l'histoire du médium théâtral au

Japon. Non que cette histoire du théâtre japonais ait une réelle incidence sur le

1 Senda Akihiko 扇田昭彦, Nihon no gendai engeki 日本の現代演劇 (Le théâtre japonais contemporain), Tôkyô, Iwanami shoten, 1995, p.145

2 Ces vidéos sont consultables à cette adresse, http://www.t-time.jp/Terayama/eizo/eizo_01.html (Site consulté le 17 mai 2009)

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Page 15: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

spectacle étudié, il s'agira, au contraire, de démystifier celui-ci de tous les

oripeaux traditionalistes restant collés à son image que nous traiterons

brièvement de l'évolution de la scène japonaise à partir de l'ouverture du pays.

Nous verrons d'ailleurs, dans un second temps, à quel point le Japon se

délectera des courants esthétiques occidentaux modernes. Ce sont ainsi ces

idées sur l'art, venant de l'occident, qui vont faire abandonner à Terayama l'idée

que le théâtre est un art qu'il n'apprécie pas. La découverte d'Artaud, associée

à celle d'ethnologues comme Marcel Mauss et son Esquisse à une théorie

générale de la magie contribueront à son envie et aux idées qu'il développera sur

le théâtre. C'est ainsi qu'il arrivera à participer à cette idée, ce projet qu'est

Knock. Un spectacle qui s'intéressera de près à quelques caractéristiques du

théâtre qu'il rejette tout en les détournant. Les détourner jusqu'à éclatement

pour certaines d'entre-elles, ce qui conduira à la création d'un spectacle total.

Mais la partie qui nous intéressera sans doute le plus est celle de la

réception. C'est par cet engagement pris pour le public que ce spectacle se

distingue vraiment et que toutes ses autres composantes prennent ces diverses

formes. Nous essaierons ainsi de repérer les constantes fondamentales du

travail du spectateur de théâtre orthodoxe1 en les confrontant bien sûr à la

« révolution » opérée par Knock. Nous nous intéresserons aux bases théoriques

mises en place par quelques grands théoriciens pour nous aider à assimiler ces

nouvelles formes et essayer de situer Knock dans les nouvelles poétiques,

esthétiques, formes, genres développés par la critique contemporaine. Avec

ces outils en mains nous essaierons alors de discerner les buts de la troupe en

distinguant les objectifs communs des différentes scènes pour conclure sur une

partie visant à expliquer le message sous-jacent commun à quelques scènes

afin d'y discerner une dialectique critique de la société et de voir si ce discours

peut aboutir à de quelconques idées politiques.

1 Le terme de spectateur orthodoxe, très utilisé par Richard Schechner est pourtant assez imprécis. Il se réfère ainsi tantôt au spectacle à l'italienne, tantôt à la tradition aristotélicienne du drame et donc du théâtre en tant que genre littéraire où primerait donc l'histoire et qui se déroulerait dans des établissements appelés « théâtres ».

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Figure 5 (De gauche à droite : Terayama Shûji ; Ran Yoko ; Kamikaz Yuzo ;

Salvador Tali)

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Page 17: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

「月よりもずっと遠い場所、それは劇所!」

« Un endroit plus lointain que la lune même, c'est cela le théâtre! »1

I. Proposition de nouveaux modèles

La pièce que nous étudions ne peut se passer de la description des

modèles anciens et nouveaux qu'elle utilise afin d'appréhender ses

particularités. Parce qu'elle n'utilise pas la tradition japonaise, mais semble

aussi rejeter son passé le plus récent, un regard du côté de la modernisation du

Japon semble donc approprié. Nous étudierons donc l'évolution du théâtre au

Japon, mais aussi l'évolution artistique plus générale dont les artistes japonais

ont pu se nourrir, notamment ceux de la naissance des avant-gardes. Comme

nous le disons dans notre introduction un court passage vers le domaine de

l'ethnologie sera aussi convoqué afin de mieux comprendre les revendications

théoriques de Terayama et de mieux cerner son esthétique théâtrale.

Dans une deuxième partie, nous nous attacherons beaucoup plus au

spectacle pour voir comment l'ensemble de ces théories, s'applique de fait à

Knock:Théâtre de ville. Nous repérerons la conservation bien que détournée des

concepts de texte, d'acteur et de metteur en scène pour aborder les intentions

de spectacle total prise par celui-ci.

1 Terayama Shûji, op.cit., Tome 9, p.228

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I.1. Bases théoriques d'une esthétique

Rapide précis historique de l'évolution du théâtre au Japon

Il nous semble donc utile de revenir pour un temps sur l'histoire du

théâtre japonais moderne, ce pour diverses raisons. En effet l'amateur de

théâtre occidental a souvent l'impression, et nous l'avons constaté dans chaque

livre occidental de théorie théâtrale sur le sujet que nous ayons pu ouvrir que le

théâtre japonais se définit surtout grâce à des formes comme le Nô1 ou le

Kabuki2. Si cela était vraiment le cas il faudrait alors se pencher sur ces deux

principaux genres pour essayer d'en voir les points communs et les différences

avec l'œuvre que nous traitons présentement. Or, non seulement l'histoire du

théâtre japonais moderne est en réalité largement influencée par les théoriciens

et metteurs en scène occidentaux depuis l'ouverture du pays en 1868,

correspondant au début de l'ère Meiji3, mais de plus ces deux seules

survivances, ne peuvent en aucun cas résumer un passé théâtrale à la richesse

étonnante même en y incorporant de nouveaux éléments auxquels il est moins

fait référence en Occident tel le Bunraku et ses marionnettes par exemple.

Depuis cette époque, le théâtre, comme de nombreuses autres strates de la

1 能 abréviation de sarugaku no nô est une forme aristocratique de théâtre chanté et dansé, évolué des drames de kagura, de sarugaku et des danses populaires et créé par Kan-ami et son fils Ze-ami aux XIVème et XVème siècles à la demande du shôgun Ashikaga Yoshimitsu. Louis Frédéric, Le Japon, Dictionnaire et civilisation, Paris, Robert Laffont, 1996, p.834). L'intérêt du nô pour les occidentaux vient en fait de l'originalité de sa réception, le nô ayant été défini comme nécessitant une approche hypnagogique, faisant écho en occident au symbolisme naissant sur lequel nous reviendrons.

2 歌舞伎 présenté par trois idéogrammes signifiant « chant », « danse » et « technique » (il s'agit en fait d'ateji, ou signes utilisés pour leur simple valeur phonétique), le kabuki est une des formes majeures du théâtre japonais, qui aurait été créée par une danseuse du Izumo Taisha, Ôkuni, vers 1603, alors qu'elle avait réuni à Kyôto, dans le lit asséché de la rivière Kamo, une troupe de danseuses et chanteuses. Cette sorte de théâtre connut d'importantes modifications tout au long de son histoire, pour arriver jusqu'à nous dans une scénographie épurée comprenant généralement un hana-michi, sorte de « ponton » traversant la foule. Son répertoire actuel est constitué pour la plupart de pièces historiques.

3 明治 Le Japon était relativement fermé durant l'ère Edo, seul subsistait à la fin de celle-ci, l'ilot artificiel de Dejima servant surtout au commerce avec la Hollande. L'ouverture du pays relatée dans les manuels d'histoire est donc avant tout une ouverture commerciale, qui oblige ainsi le Japon à se moderniser ou s'occidentaliser, ce qui revient parfois au même pour certains auteurs, afin d'être en mesure de concurrencer d'abord les États-Unis, ayant eux-mêmes ouvert le pays et à se construire une place afin d'être considéré par la communauté internationale. On nota à l'époque une grande ferveur à l'occidentalisation des mœurs atteignant son paroxysme avec les bals costumés du Rokumeikan, véritable parodie des bals costumés occidentaux.

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société, dut s'ouvrir. Afin d'en faire une de leur marque identitaire forte et

conscients de la richesse de leur art, les japonais firent évoluer le Kabuki de

façon à ce qu'il représente la forme théâtrale la plus à même d'illustrer leur

pays aux étrangers et aux classes japonaises dirigeantes. Il faut savoir que ce

même Kabuki a tellement évolué à travers le temps que l'on se demandera

d'ailleurs comment il peut encore représenter cette « tradition ». Dans un

premier temps sa forme était d'ailleurs totalement vulgaire, vitrine ouverte de la

prostitution bientôt interdite aux femmes, ces prostitués qui l'avaient créé. Il

connut de multiples évolutions à travers le temps gagnant de plus en plus en

crédibilité et en « bon goût » à tel point qu'en 1887 l'empereur lui-même daigna

se montrer au Kabuki, chose qui n'avait jusqu'alors jamais eu lieu. Le choix du

Kabuki est donc compréhensible. Il est à la fois le moins figé et le plus

« occidental » des théâtres japonais. Le Nô1 au contraire était comme le

rappelle Jean-Jacques Tschudin: « pour les dignitaires de Meiji, […] déjà une

forme figée, un « trésor national » qu'on ne pouvait ni moderniser, ni civiliser. »2

même s'il acquit très vite, avant le Kabuki, ses lettres de noblesse à l'étranger

chez un public d'érudits qui eut tôt fait d'en faire un « patrimoine de

l'humanité »3. Le Kabuki « seconde génération » est une forme bourgeoise de

théâtre dont les acteurs étaient admirés comme de véritables stars populaires.

Si les acteurs de Nô étaient éminemment respectés, sa représentation fût

jalousement conservé par les Tokugawa pendant leur règne, le public populaire

fût ainsi privé de Nô qui fût pendant cette période, réservé aux nobles. Le

Kabuki est un théâtre très coloré, aux mouvements rapides et énergiques, ce

qui n'est absolument pas le cas du Nô. On comprend ainsi les raisons qui

poussèrent un pan des politiques et des universitaires de l'époque à réformer

1 Nous parlons ici de Nô classique, en effet un Nô contemporain ou moderne fût aussi créé beaucoup plus tard, dans la seconde moitié du XXème profitant un regain d'intérêt des occidentaux pour cette fascinante forme de théâtre.

2 Jean-Jacques Tschudin, Le kabuki devant la modernité [1870-1930], Paris, L'Âge d'homme, 1995, p.32

3 Ibid. Est précisé que c'est Ernest Fellonosa, s'étant rendu au Japon en 1878 pour y enseigner la philosophie qui fît connaître le Nô à des poètes comme Yeats et Ezra Pound.

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ce Kabuki, à le policer, pour qu'il soit à même de représenter avec bonheur le

Japon aux étrangers.

Au même moment commença à se développer le Shimpa1, un style de

théâtre plus tourné vers l'air du temps, ayant pour sujet les changements

convoqués par la modernité sur le mode des romans-feuilletons paraissant

dans les journaux de l'époque. Un théâtre plus moderne, plus réaliste et plus en

prise avec la réalité qui failli détrôner le Kabuki dans les années 1900. Dans les

mêmes années quelques pièces de théâtre occidentales commencèrent à être

traduites en japonais et à apporter avec elles l'idée que le théâtre était peut-être

un genre littéraire intéressant pour les auteurs japonais eux-mêmes. Quelques

voyageurs comme l'acteur 市川左團次 II (Ichikawa Sadanji II) observèrent ainsi

le théâtre tel qu'il se pratiquait à l'époque à Londres et à Paris pour en revenir

avec une volonté de renouveler ce médium. Deux groupes contribuèrent à

former ce que l'on appellera alors le Shingeki2 le premier composé de l'acteur

cité plus haut et de 小山内薫 Osanai Kaoru qui furent les premiers à introduire

Ibsen en 1906. Le second notablement remarqué pour avoir fondé une société

d'étude du théâtre basée à l'université Waseda3.

En plus de classiques comme Shakespeare, ils commencèrent à monter

le théâtre moderne de l'époque à savoir les naturalistes4 et les symbolistes5. La

1 新派 Dont la traduction littérale serait « nouvelle vague »2 新劇 Dont la traduction littérale serait « nouveau théâtre »3 早稲田大学 : une des rares universités japonaises à comprendre un musée sur le théâtre moderne

ainsi qu'un centre de recherche sur le théâtre moderne lui étant attenant.4 Le naturalisme est évidemment représenté par des auteurs naturalistes comme Zola dont le texte

Jacques Damour constituera le premier spectacle du plus naturaliste des metteurs en scène français André Antoine (1858-1943), mais nous pouvons aussi y faire entrer une autre catégorie de spectacles ceux du duc de Saxe-Meiningen qui peu avant créait des mises en scène naturalistes surtout historique caractérisées par le nombre de figurants présents sur scènes et par son sens du détail. Le théâtre libre d'Antoine répond majoritairement à l'esthétique de la tranche de vie, on peut jouer de dos, les acteurs ont une diction réaliste, on introduit le concept de quatrième mur. De plus la pauvreté pécuniaire du metteur en scène l'oblige à jouer avec de vrais meubles empruntés à des parents et même des quartiers de viandes empruntés au boucher. On retrouvera ces éléments chez Stanislavski, généralement qualifié de réaliste, dont l'esthétique ne semble pas beaucoup différer.

5 Elle s'oppose à l'esthétique naturaliste. L'un de ses auteurs emblématiques est Maurice Maeterlinck (1862-1949). C'est Lugné-Poe qui le lança en France. Le théâtre symboliste est ainsi défini par Mallarmé: « ...un acteur seul qui, au lieu de jouer, récite... des comparses effacés qui sont l'un, le miroir de son enfance, l'autre celui qui lui annonce sa vieillesse...un autre: l'image d'un de ses désirs, un autre encore: le reflet d'une de ses hantises ». C'est donc un théâtre évanescent et évocateur qui est

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tâche qu'ils s'étaient définis était claire, faire entrer au Japon toute une nouvelle

façon de jouer, qui leur était jusque là inconnue. Leur succès fût tel que le

Kabuki subit un fort déclin, la raison en est aussi et surtout la mort des trois plus

grands comédiens de Kabuki de l'époque vers 1903-1904. Il reprit pourtant très

vite de l'assurance dans les années 1910, époque à laquelle il commença à se

disputer la création de nouveaux drames avec le shingeki. On le renouvela afin

de lui attribuer un rôle de présentation de pièces de plus en plus historique et

appela ce théâtre le shinkabuki, littéralement, nouveau kabuki. Le spectateur

des années 20 pouvait donc voir un grand nombre de genres de théâtres

différents avec en plus de ce que nous venons de citer, les comédies musicales

du 宝塚 (Takarazuka), revue uniquement composée de femmes ; ainsi que des

spectacles de capes et d'épées aux combats très réalistes. Ce que l'on

retiendra pourtant des années vingt est le développement du shingeki avec l'un

des premiers théâtres d'inspiration totalement occidentale par sa construction,

son équipement et sa forme: le Tsukiji Shôgekijô1. Les deux créateurs de ce

théâtre, Osanai Kaoru encore et Hijikata Yoshi2 ne présentèrent aucune pièce

japonaise durant les deux premières années d'ouverture du théâtre de 1924 à

1926. A partir de 1926, ils permirent à des auteurs japonais, le plus souvent

d'obédience marxiste, d'y créer leur travail.3 Suivit ainsi une longue période au

cours de laquelle les idées marxistes s'ancrèrent de plus en plus dans l'écriture

des poètes de ce temps, jusqu'à la fin des années trente et la répression de

plus en plus sévère dont ils firent l'objet. Parallèlement se développa un théâtre

très littéraire représenté principalement par 岸 田 国 士 Kishida Kunio et à

tendance beaucoup moins dogmatique. Survécurent durant cette période les

ici annoncé.1 築地小劇所 : littéralement, « petit théâtre de Tsukiji », situé à Tôkyô2 土方与志 (1898-1959) est généralement décrit comme plus radical que son confrère3 Profitons de cette note pour souligner la traduction de Jean-Jacques Tschudin grâce au soutien de la

Maison Antoine Vitez, Centre internationale de création théâtrale, de Murayama Tomoyoshi (村山知義), Bôryokudan ki 暴力団記(Chronique des malandrins), 1929. Un auteur communiste de cette époque ayant aussi participé au mouvement d'avant-garde MAVO. La pièce se déroule en Chine au moment de la révolution. Rappelons que la Maison Antoine Vitez n'est pas une maison d'édition et que ces textes sont donc à consulter sur place dans la ville de Montpellier.

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différents styles que nous venons de citer mis à part le théâtre communiste qui

s'effaça logiquement cédant la place à un shimpa historique à même de

préserver une identité japonaise forte dans un but principalement idéologique.

En conclusion, les achèvements du théâtre au Japon dans la période de 1868 à

1940 furent nombreux. La culture théâtrale de l'époque était consciente des

deux grands buts qui lui étaient fixées: préserver un théâtre traditionnel riche et

créer un nouveau théâtre capable de parler à leur compatriote contemporain du

changement de situation radicale qu'ils connaissaient. La confiance

inébranlable envers la qualité du Kabuki permit au japonais l'exploration et la

création de nouveaux mélanges théâtraux afin de trouver des moyens plus

modernes de séduire le spectateur. Pourtant, à la fin des années trente et au

début des années quarante, alors que le Japon était déjà en guerre, la scène

théâtrale dut faire face au démantèlement des deux plus grandes compagnies

de shingeki et à la demande de soutien à l'effort de guerre des théâtres

restants1.

Quant au théâtre d'après guerre et surtout toute la recherche théâtrale

des années soixante, elle cherche désespérément une voie pour s'exprimer et

une nouvelle culture qui lui corresponde. Elle s'entiche de modèles tels que 丸

山 真 男 Maruyama Masao, tendant à redéfinir une identité et un retour aux

sources afin de se ré-approprier le présent avec l'aide de groupes

d'intellectuels, chercheurs, historiens et anthropologues. Catherine Muller nous

dit:

Coincés dans cette question de tradition et modernité, Terayama, Kara, Suzuki et les autres, en critiquant les modes de modernisation, comme les genres traditionnels, ont essayé de trouver une autre ouverture pour la vie, en faisant jouer l'inter-action entre les influences occidentales et japonaises, d'une part en retournant aux sources de la tradition, en « reformulant l'ancestral », et d'autres part en

1 James R. Brandon, Kabuki's Forgotten War 1931-1945, Honolulu, University of Hawai'i Press, 2009, ce livre a pour but d'expliquer le cheminement du théâtre et en particulier du Kabuki durant cette période, la démonstration tout comme les illustrations sont parlantes, la reproduction d'affiche p.116 particulièrement pour l'œil occidental.

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s'inspirant des mouvements d'avant garde qui se déroulaient à l'étranger.1

Tout cela souligné par Jean- Christian Bouvier:

En dissociant la modernité de l'occidentalisation sans pour autant céder aux vieux démons des valeurs nationalistes, ils ont rompu le cercle vicieux de la création japonaise. Leur apport est vécu aujourd'hui comme une « renaissance théâtrale ».2

Ce rapide précis historique du théâtre au Japon de 1868 aux années

soixante nous permet de situer la vision des spectateurs de Knock et d'écarter

de notre analyse des questions sur la situation du spectacle par rapport à la

« tradition » dramatique japonaise. Nous nous permettons de plus de nous

interroger sur le concept de tradition qui n'est finalement qu'une construction de

plus. En l'occurrence nous avons montré ici la construction d'une tradition

théâtrale japonaise survenant avec l'ouverture du pays. L'ouverture du Japon,

même si elle ne remonte qu'à un siècle et demi, s'est faite avec une ferveur

sans commune mesure. Dans un même élan, la fin de la seconde guerre

mondiale a aussi été l'occasion d'un deuxième élan de réforme, surpassant

même les vainqueurs dans leurs attentes.3 Nous comparons donc Knock avec

ce qui lui est comparable à savoir la période créatrice comprise entre 1952 et

1979 donc « entre la représentation de Cage et Cunningham au Black

Mountain College et la fermeture du théâtre de Richard Foreman en bas de

Broadway »4 qui sont selon Richard Schechner les années créatives du théâtre

d'avant-garde aux États-Unis. Même si Schechner, dans son chapitre nommé

Présence ou absence de la tradition?5 situé lui même dans Déclin et chute de l'avant-

garde (Américaine), accorde au japonais qu'est Terayama la chance par rapport

aux américains de pouvoir, même subrepticement faire référence au passé

1 Catherine Muller, op.cit., p.202 Jean-Christian Bouvier, « Théâtre contemporain et avant-garde » in Michel Corvin, Dictionnaire

encyclopédique du théâtre, Volume 2, Paris, Bordas, 1995, p.4803 Voir John W. Dower, Embracing Defeat, Japan In The Wake Of World War II, W.W. Norton & Co.,

20024 Richard Schechner, Performance : Expérimentation et théorie du théâtre aux USA, Paris, éditions

THEATRALES, 2008 p.3035 Ibid. pp.330-335

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théâtral de son pays. Si cela peut être vrai concernant de nombreuses pièces

de Terayama, la pièce Knock n'offre qu'un maigre point de référence par rapport

à sa tradition avec peut-être la présence d'une scène contenant du kami shibai1.

Le reste se réclame d'une trop grande nouveauté pour daigner jeter un regard

au passé théâtral national. De plus, la remarque de Schechner n'est pas

vraiment argumentée, il ne donne pas d'exemple quant à ce qu'il entend, même

s'il qualifie à raison Terayama d'expérimentateur. Nous sommes quasiment

obligés de comparer la troupe du Tenjô Sajiki à leurs homologues américains ou

européens car la création s'est déroulée sur un tout autre plan en ce qui

concerne le Japon. Terayama fait ainsi figure de cas unique dans le théâtre

japonais, assertion confirmée par Carol Fisher Sorgenfrei2 commentant le livre

de Goodman, Japanese Theater of the Sixties, qui ne fait aucunes mentions du

travail de Terayama. C'est aussi qu'il ne répond pas à l'axe suivi par Goodman

pour parler de 唐十郎 Kara Jûro, 佐藤信 Satô Makoto ou même鈴木忠志 Suzuki

Tadashi.3 Terayama n'aime tout simplement pas le théâtre de son temps et se

réfère à de multiples théoriciens occidentaux afin de construire sa propre vision

de cet art. Senda Akihiko le classe lui aussi à part dans son ouvrage Le théâtre

japonais contemporain4, lequel même s'il est fait longuement mention des

créations de Terayama ne peut s'empêcher de noter son particularisme.

Terayama n'est ainsi pas issu comme toute sa génération de metteur en scène

1 紙芝居, littéralement « Théâtre de papier », est un genre de théâtre de chapelet dans lequel un conteur, interprétant la voix de tous les personnages raconte une histoire en faisant défiler des illustrations.

2 Carol Fisher Sorgenfrei, Unspeakable Acts : The Avant-Garde Theatre Of Terayama Shûji And Postwar Japan, Honolulu, University of Hawai'i Press, 2005, p.7

3 Cet axe serait le suivant : « David G. Goodman maintains that experimental Japanese drama in the 1960s reflects « the profound historical trauma of defeat in the Second World War, reactivated and exacerbated by the failure of the struggle to prevent the renewal of the United States-Japan mutual Security Treaty in 1960 » resulting in « a self-conscious attempt to develop an alternative historical mythology that could animate a comprehensive new movement in politics and the arts » ; [David G. Goodman maintient que le théâtre expérimental japonais des années soixante reflète « le traumatisme historique profond de la défaite de la seconde guerre mondiale, réactivé et exacerbé par la défaite de la manifestation souhaitant abjurer le renouvellement du pacte mutuel de sécurité Etats-Unis-Japon en 1960 » résultant en « un essai conscient de développer une mythologie historique alternative qui pourrait animer un nouveau mouvement comprenant politique et arts »], C.F. Sorgenfrei, op. cit. p.7

4 Il utilise beaucoup le terme Gaibu 外部 (extérieur) pour définir Terayama. Senda Akihiko, op.cit., p.136

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ou d'auteur de théâtre des cercles d'université desquels, encore aujourd'hui,

sont issus la plupart des compagnies japonaises. Terayama a un parcours bien

différent puisqu'il commence par être auteur de poésie, discipline avec laquelle

il gagnera ses lettres de noblesse dans le sérail tokyoïte. Ce n'est que plus tard

en écrivant une pièce pour un ami1 Chi ha tatta mama nete iru 血は立ったまま

寝ている(Le sang dort debout), qu'il commencera sa carrière de dramaturge.

Dadaïsme, surréalisme et autres influences esthétiques marquantes

Comme nous l'avons vu ci-dessus nous essaierons de déterminer

quelles ont été les influences principales de Terayama dans l'histoire de l'art.

N'étant ni intéressé par Sartre comme le fût Kara Jûro ni par les démarches

informelles de la première époque d'un Tadashi Suzuki créant les pièces de

Betsuyaku Minoru, pièce traitant largement et de manière allégorique de

problèmes sociaux ou politiques, comme celui du pacte mutuel de sécurité

dans Macchi uriba no shôjo マッチ売り場の少女 (La petite fille et les allumettes),

reflétant son désintérêt total pour la politique en général, qui lui sera d'ailleurs

reproché, on le prendra pour un nihiliste, Terayama cherche son inspiration

dans ses premiers émois littéraires comme la découverte d'Isidore Ducasse. On

comprend que Les Chants de Maldoror aient pu bouleverser sa conception de la

poésie. Étant lui-même poète il y découvre un lyrisme sulfureux qui constituera

sa première « marque de fabrique » esthétique. Lautréamont est considéré par

beaucoup comme un pré-surréaliste. Richard Schechner, déjà, qualifie

Terayama de surréaliste.2 Mais il serait bon de clarifier l'influence de ce courant

artistique dans l'art et surtout dans le théâtre de Terayama.

Nous avons vu en introduction que de même que Lautréamont a été

d'une grande influence sur son esthétique générale, la lecture d'Artaud lui a

donné envie de théâtre et plus particulièrement de créer sa propre troupe. Or,

Artaud est lui aussi qualifié par certains comme l'un des plus grands et peut-

1 浅利慶太 Asari Keita, le directeur du Gekidan shiseki 劇団四季 (Théâtre des quatre saisons)2 Richard Schechner op.cit., p.299

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être l'un des seuls surréalistes authentiques. Artaud rejette en effet la dérive

idéologique qui va peu à peu gagner le mouvement et sera d'ailleurs exclu pour

cela. De la même manière, André Breton, le fondateur du mouvement ne

semblait à première vue pas très attiré par le théâtre et c'est véritablement

Artaud qui pose le premier, après Jarry peut-être, les bases théoriques d'un

théâtre surréaliste. Terayama partage de nombreux points communs avec la

vision du théâtre selon Artaud.

Ainsi, Pour Terayama comme pour Artaud, seuls les plus violents

bouleversements physiques et psychiques peuvent purger le théâtre de son

héritage littéraire et la société de son contagieux passé ; seules une peste

métaphysique et une purgation chamanique de la peur peuvent libérer

l'audience d'une vraie rencontre avec leur propre imagination créative. Sur ce

point les deux théoriciens partagent la même idée de « théâtre de la cruauté »1.

C'est précisément avec ce genre de raisonnement que naîtra la pièce Knock et

l'envie d'une reconsidération du spectateur en lui offrant les moyens d'utiliser

cette imagination créative.

On note chez Terayama comme chez Artaud de nombreuses références

à la peste.2 Chez Artaud elle est un moyen privilégié pour parler de la cruauté.

Un moyen explicatif introductif à ce concept. L'essai « Le théâtre et la peste »

est le second de son recueil. Nous avons expliqué les effets escomptés par

Artaud avec son théâtre, « crevant collectivement des abcès », un théâtre

agissant comme la peste. Or, il n'en va pas exactement de même pour

Terayama comme le fait remarquer Keiko Courdy.3

Pour lui la peste vient de la rumeur, des superstitions, des croyances, en

fait de tout ce qui relie les hommes pour constituer la société. Tout ce qui est

1 Antonin Artaud, « Le théâtre et la cruauté, (Premier Manifeste) » in Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964, pp.131-155

2 Comme en témoigne la pièce de Terayama, Ekibyô ryûkô ki 疫病流行記 (Chronique de la propagation d'une épidémie), 1975

3 Keiko Courdy, « Antonin Artaud's influence on Terayama Shûji » in Samuel L. Leiter (Dir.), Japanese theatre and the international stage, Leyde, Brill, 2000, pp.255-268

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sensé favoriser la cohésion sociale ne se trouve être qu'un rideau pour cacher

le chaos se trouvant derrière. Cela empêche les hommes d'accéder à la liberté,

car ils sont effrayés par ces lois implicites, la rumeur agissant comme la peste

par contagion et empoisonnant tout ceux qu'elle rencontre. Il s'agit donc plus

pour lui de prévenir ce mal qu'est la rumeur qui conduit les personnes affectées

à faire les choses les plus horribles pour échapper à la conséquence dernière

de celle-ci, être mis au ban de la société. Terayama lui-même a été dans son

plus jeune âge élevé dans une petite province où les superstitions étaient

encore très fortes. Nous ne reviendrons pas sur les concepts traditionnels de

castes japonaises, il suffit de savoir que la caste au Japon est une chose très

rigide et que la ségrégation vis-à-vis des castes les plus basses est encore

présente aujourd'hui. Il faut aussi savoir qu'il n'y avait aucun moyen de changer

de classe lorsque l'on se trouvait chez les moins privilégiés. Nous retrouverons

cette idée de superstition dans de nombreuses œuvres de Terayama et surtout

dans le film Cache-cache pastoral où une mère est contrainte de se séparer de

son enfant. La rumeur détruit donc la vie. C'est aussi en rapport à cela que

Terayama choisira d'être lui-aussi très tôt un hors-caste en choisissant sa vie

d'artiste. Terayama veut ainsi prévenir en représentant la peste et en montrant

qu'une fois sorti de cette logique l'homme peut réellement devenir libre. Sur le

fond l'idée est donc très proche de celle d'Artaud, mais l'utilisation de la peste

en allégorie de la rumeur est, elle, légèrement différente.

C.F. Sorgenfrei pointe dans son livre une autre différence. Selon elle, il

manque une façon d'aborder les choses commune au deux hommes. Pour elle

Antonin Artaud est intéressé par la forme rituelle du théâtre, une forme rituelle

exotique puisque passant par la transe chamanique. Selon lui le théâtre ferait

donc l'effet d'un voyage sous acide psychédélique et nous permettrait

d'atteindre un état second sans avoir besoin de drogues. On peut apporter en

exemple que la transe de tout chaman comporte une mise en transe, un moyen

quelconque pour entrer dans cet état qu'il s'agisse de tourner sur soi-même ou

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d'ingérer une certaine substance. C'est ce qui permettra au chaman de se

plonger dans un monde « extra-terrestre » où certaines de ses facultés seront

décuplées : facultés divinatoires par exemple. Or, nous n'observons rien de tout

cela chez Terayama. Chez lui et dans ses théories sur le théâtre, tout est fait

pour que le spectateur éveille ses sens, pour qu'il fasse travailler son

imagination. Loin de nous l'idée qu'Artaud ne fasse pas travailler l'imagination,

mais Terayama travaillera toute sa vie à explorer et expérimenter des voies

pour libérer l'homme et lui révéler un pouvoir imaginatif qu'il croit au fond de

chacun. Il n'y aura dans ses écrits aucune mention de psychédélisme ou même

de rituel. De même l'altération de la conscience ne l'intéressera pas. Il ne

souhaitera pas comme Artaud faire accéder les spectateurs à un autre monde,

plus réel. Au contraire, il attendra de ceux-ci un profond engagement dans la

société afin qu'ils prennent conscience, grâce à leur imagination, de toute sa

beauté, de toute sa théâtralité. Nous retrouverons cette idée dans les

performances de la deuxième moitié de son œuvre, comme le fait Knock. Nous

voyons ainsi très bien que « Son désir de transformer la société grâce à une

révolution dans l'imagination suggère au contraire un réel engagement dans la

vie. »1

Mais Terayama reprend aussi à son compte, comme de nombreux

expérimentateurs des années soixante ce postulat dadaïste s'appliquant

parfaitement à Knock:

Dada a essayé non pas autant de détruire l'art et la littérature que l'idée qu'on s'en était faite... Dada préconisait la confusion des catégories esthétiques comme un des moyens les plus efficaces de donner du jeu à ce rigide édifice de l'art. Dada ne prêchait pas, car il n'avait pas de théorie à défendre, il montrait des théories en action et c'est comme action que désormais il faudra considérer ce qu'on appelle communément art ou poésie. Ni le beau, ni le laid, ni le juste ni l'injuste ne sont plus déterminants quand il s'agit de les juger... l'interpénétration des frontières littéraires et

1 Sorgenfrei, p.157, c'est nous qui traduisons [His desire to transform society through revolutionary imagination suggests instead an active engagement in life.]

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artistiques était pour Dada un postulat.1

André Breton définit le surréalisme dans son premier Manifeste du

surréalisme comme suit:

SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie.2

Si la première définition exprime la démarche du surréalisme, la seconde

nous fait part de ses fondements. Dans Knock il serait exagéré de dire que nous

avons affaire à un spectacle non-contrôlé, à un certain niveau, par la raison.

Comme nous allons le voir, dans Knock, l'organisation du spectacle est soumise

à un but. Une orchestration a donc lieu en vu d'une participation du spectateur.

Le spectacle correspondrait plutôt aux fondements philosophiques du

surréalisme. On peut ainsi repérer dans ce manifeste une phrase plus en

adéquation avec l'esprit de la troupe, « Je crois à la résolution future de ces

deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en

une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. »3 Nous

pensons qu'il s'agit effectivement ici de réconcilier le citadin avec le rêve de la

fiction et de le faire accéder à une nature plus haute de la réalité.

En ce qui concerne l'esthétique surréaliste, que nous avons définie

comme telle plus haut, elle rejoint en fait celui-ci avec l'importance accordée par

Breton et Terayama au monde du merveilleux et du conte. Ce monde est aussi

dérivé de celui de l'enfance duquel Terayama garde une nostalgie qu'il mythifie.

1 Tristan Tzara cité par Georges Hugnet, L'aventure Dada, Paris, Seghers, 1971, p.52 André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, 1985, p.363 André Breton, op.cit., p.26

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Aide à corroborer cela le film Cache-Cache Pastoral, et le tableau qu'il dresse du

département d'Aomori où il passe une partie de son enfance. Il rejoint ainsi

l'assertion « Il y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes

encore presque bleus. » de Breton. Maquillages et costumes chargés,

typification et caricature de personnages tirant vers le grotesque, invention

d'une mythologie avant de faire accéder à la personnification de celle-ci pour

certaines des scènes que nous allons aborder. Ainsi, on représente d'abord

Benjo no maria 便所のマリア(Maria des toilettes) comme une œuvre de fiction

avant de faire rencontrer ce personnage aux spectateurs. Cette esthétique se

manifeste de la même façon dans d'autres œuvres où il n'y a, cette fois, pas

besoin de signaliser la fiction en tant que telle, nous faisons bien sûr référence à

l'œuvre de Terayama dans son ensemble, celui-ci n'ayant jamais versé dans le

réalisme.

Terayama magicien

Le discrédit soudain jeté par la défaite sur toutes les illusions construites

par les forces aux pouvoir, fait que cette génération de l'après-guerre a du mal

à se construire une identité et doit pour cela revenir aux sources ayant conduit

à la construction de ces traditions par le pouvoir en place. C'est précisément ici

que se situe Terayama, rejoignant pour une fois ses contemporains en

nourrissant son personnage et ses idées sur le théâtre de traités ethnologiques

tel que ceux de Marcel Mauss. On essaiera donc d'aborder ces lectures

ethnologiques comme des sources d'inspiration pour les bases de sa théorie

théâtrale et donc d'éléments susceptibles de faire comprendre son œuvre.

Notons que Terayama admirait beaucoup les danseurs de 舞 踏 Butô

comme 土方巽 Hijikata Tatsumi, un des fondateurs de cette danse. L'intérêt de

celle-ci est de recomposer sur des bases mythiques, une nouvelle discipline

communicant avec des forces primitives et païennes. Terayama sera très

touché par cette façon de concevoir la danse.

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Pour avoir assisté à une représentation de Ankoku butô 暗黒舞踏 (Butô

des ténèbres) par la troupe 大駱駝鑑 Dairakudakan1 on tentera de voir ici qu'elles

sont les points communs esthétiques observés avec l'œuvre de Terayama ou

encore comment il s'inspirera de cette forme pour créer sa vision du théâtre.2

Il faut savoir que les acteurs de Ankoku Butô ont en général (et c'est le

cas du spectacle auquel nous avons assisté) le crâne rasé, sont vêtus d'un

simple pagne, fardés de blanc et que leurs dents sont peintes en noires. Ils sont

ainsi uniformisés. Affublés de la sorte ils nous renvoient à nous-même en

inventant une nouvelle espèce et un nouveau mode de communication. Leurs

postures et gestes sont désarticulés, le message qu'il nous adresse n'est pas

toujours clair, même si l'on trouvait quelques constructions de situations dans

ce spectacle précis. Mais là n'est pas l'important car elles se résument à des

scènes très caricaturales et grotesques. Ce qui nous a semblé important dans

le Butô c'est le regard introspectif qu'il nous impose, le fait choquant qu'il s'agit

d'hommes comme nous qui bougent sous notre regard, comme si nous avions

affaire à une espèce étrange et inconnue ou à une fête primitive venue du fond

des âges. C'est précisément cela qui nous intéresse dans le Butô, cette façon

de créer de toute pièce le primitif, l'ancestral, révélant une évidence

métaphysique universelle à tout spectateur qui en serait témoin. C'est

évidemment le tour de force du Butô et la chose précise qu'admirait Terayama

rêvant de faire de même avec son théâtre.

Nous croyons relever ici une inspiration très théorique du fondateur du

Tenjô Sajiki. Il va sans dire que les forces mises en jeu par un tel spectacle

seraient du goût d'Artaud et nous croyons fermement que ce qu'il a vu dans le

1 Et plus précisément le spectacle Chiri 塵 (Poussière) (2007) de 麿赤児 Maro Akaji.2 Nous nous baserons sur notre expérience personnelle, mais le Butô semble lui-même connaître de

nombreuses formes. En ce qui nous concerne, la pratique à laquelle nous avons assisté, elle, reste gravé dans notre esprit comme la quintessence du genre Butô. Cela est absolument dénuée de jugement de valeur, nous savons que d'autres formes de Butô existent et qu'elles cohabitent très bien, preuve de leur intérêt. Mais nous remarquons énormément de points communs entre cette esthétique du Butô et l'esthétique de Terayama, aussi pensons nous que la description de ce spectacle particulier sera à même de décrire plus précisément ce de quoi nous voulons parler.

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théâtre balinais correspond à ce que nous avons vu dans le Butô. A savoir la

mise en présence d'un temps mythique, un retour aux sources, un retour au

« Grand Temps » dont parle Mircea Eliade. Terayama le dit lui même « La

création de poèmes dramatiques épiques exaltant « le renouveau du passé »

n'a aucun intérêt pour moi. »1. Sa conception de la création passe comme le

Butô par la création d'un monde, d'un mythe, il ne travail pas sur la mémoire,

mais justement sur la création de la mémoire de quelque-chose ne s'étant

jamais produit et interpelant pourtant le spectateur jusque dans ses entrailles.

C'est peut-être pour cela qu'il souhaite parfois son œuvre universelle, essayant

de manier des concepts pouvant parler à quiconque verrait son œuvre. Nous

en trouvons un exemple précis dans Cache-Cache Pastoral avec la venue du

cirque près du village natal du personnage principal. Ainsi, Terayama utilise la

plupart du temps une iconographie et des références japonaises dans ce film.

Pourtant il prend soin, peut-être pour pouvoir se faire comprendre du spectateur

ne connaissant pas ces thèmes, d'incorporer un cirque plus familier, et aux

accents felliniens remarqués par la critique, renvoyant à un univers capable

d'être compris sans avoir de connaissance sur le folklore japonais. Peut-être

est-ce aussi, comme le dit Sorgenfrei, pour plaire à la critique occidentale à qui

il doit, rappelons le, une large part de sa reconnaissance internationale.

Toujours est-il que nous pouvons aussi y voir une volonté universaliste, la

plongée commune dans un même univers, en dédoublant ainsi les codes

utilisés.

Nous paraît intéressant dans un second temps de voir comment il se

démarque du Butô, dans les propos recueillis plus bas. S'il avait agréé en effet à

tous les principes amenés par cette danse, il n'aurait jamais créé une troupe de

théâtre :

le Butô n'a pas de « message », c'est à dire que pour moi ce qu'ils disent n'est pas clair, de plus ils croient trop au corps au point d'en être obsédés ; je suis certes attiré, mais pour

1 Sorgenfrei, op.cit., p.263

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moi le corps est un intermédiaire, ce n'est qu'un outils. Le physique n'est pas prépondérant, c'est pourquoi le Butô me semble limité. La danse tient plutôt du spectacle alors que le théâtre se fonde sur l'opposition entre la vie quotidienne et la représentation, et c'est cette lutte qui donne à l'expression théâtrale sa forme. L'insuffisance de l'expression gestuelle du Butô tient surtout à l'absence de relation contradictoire entre ces deux termes. »1

De la même façon, Terayama se sert beaucoup des dires de Marcel

Mauss figurant dans Esquisse d'une théorie générale de la magie. Ainsi pour

affirmer son caractère de magicien suivant la définition de Mauss, il cultivera

une individualité permettant de l'identifier à un « autre », un « hors-caste » de la

société. Terayama cultive ainsi très bien son image ainsi que celle de sa

troupe. Le jogging matinal de ses membres repérés par le voisinage à cause de

leurs habits noirs, les voisins les traitaient de cafard, est un exemple type de

cette situation de hors-caste. Ainsi beaucoup de membres avaient quitté leur

famille, leur foyer, à la recherche d'un idéal. La troupe était devenu ce foyer et

Terayama, leur figure paternelle. De la même façon Terayama cultive une

image de chaman, de magicien, en développant des théories mi-poétiques, mi-

scientifiques, en cultivant son image de joueur, lui qui était amateur de courses

de chevaux et de boxe, lui permettant de déranger l'image stéréotypée de

l'artiste et de prendre de court les schémas que veulent lui imposer les médias.

Il se dérobe ainsi à l'assimilation à une image prédéfinie en prenant soin de

s'individualiser.

1 In Révolution n°135, octobre 1982

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I.2. Quelques caractéristiques du théâtre détournées

Le texte

Le texte est la partie essentielle du drame. Il est au drame ce que le noyau est au fruit, le centre autour duquel viennent s'ordonner les autres éléments. [...] On voit dès lors quelle sera la fonction du metteur en scène. Le poète a rêvé une pièce. Il en met sur le papier ce qui en est réductible aux mots. Mais ils ne peuvent exprimer qu'une partie de son rêve. Le reste n'est pas dans le manuscrit. C'est au metteur en scène qu'il appartiendra de restituer au poète ce qui s'en était perdu dans le chemin du rêve au manuscrit.1

Cette citation de Gaston Batty2, si elle caractérise effectivement le

drame3, ne nous renseigne pas vraiment sur le théâtre avec lequel on le

confond parfois. Grand cas est fait de la prééminence du maître à penser qu'est

l'auteur de théâtre, le dramaturge, derrière lequel l'ensemble des composants

de la mise en scène semble devoir s'effacer par fidélité. Le théâtre orthodoxe a

longtemps été considéré en occident comme un genre littéraire si bien que

certains auteurs ont même écrit du théâtre à lire sans penser à sa

représentation.4 Si cela est vrai pour le théâtre occidental cela l'est pourtant

moins pour le théâtre Nô ou Kabuki par exemple où la fable est largement

connu et où l'on vient surtout assister à la mise en scène de la pièce. Le théâtre

occidental semble donc avoir pour objectif de faire découvrir une histoire

nouvelle, être soumis aux suspens et à des rebondissements ce qui n'est en

aucun cas une caractéristique universelle du théâtre, comme nous venons de le

voir. On ne peut pas réellement situer Knock par rapport à cela, en effet la

forme prise par Knock ne peut aucunement être considérée comme littéraire. Le

1 Gaston Batty, Rideau Baissé, Paris, Bordas, 19482 André Degaine, Histoire du théâtre dessiné, Saint Genouph, Nizet, 1993, pp.327-332, Gaston Batty

(1885-1952) est un des quatre membres du cartel, généralement défini comme le plus théoricien des quatre, ses mise en scène sont naturalistes et au service du texte qu'il souhaite éclairer.

3 Nous nous refusons à discuter ici de l'opposition dramatique/épique soulevée par Brecht car nous pensons que ces deux esthétiques véhiculent toutes deux la représentation d'un monde qu'elle soit directe dans le cas du théâtre dramatique ou distanciée dans le cas du théâtre épique.

4 C'est le cas d'Alfred de Musset avec son recueil de pièces appelé pour la circonstance Spectacle dans un fauteuil, qui fait en fait suite à l'échec de son spectacle, La Nuit Vénitienne ou les noces de Laurette en 1830, échec semblant être attribué à un malheureux accident, voir André Degaine, op. cit. p.268

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théâtre orthodoxe fait ainsi montre d'une certaine qualité littéraire ce qui n'est

pas vraiment le cas de Knock. Peut on aller jusqu'à dire qu'il s'agit de crise de la

fable1? Encore une fois il s'agirait de dire que nous avons ici affaire à un drame.

Ce qui est sûr c'est que cette question partage avec la crise du drame le rejet

de la subordination de la fable au drame issu d'une esthétique aristotélicienne à

volonté organique dite du bel animal2. Knock ne peut nécessairement pas

correspondre à cela car certaines de ses scènes se déroulant au même

moment dans deux voir trois lieux à la fois, il est impossible au spectateur ne

serait-ce que de former l'image complète, ni trop grande ni trop petite3 d'une

quelconque fable même disloquée. C'est du moins du point de vue des auteurs

que l'on se refuse à cette unité, car le spectateur peut très bien, avec les

éléments qu'il aura réussi à capter, composer son propre drame. Certaines

scènes, prises une à une et dissociées de l'ensemble que constitue Knock,

tendent pourtant à correspondre en effet à la description qui en est faite.

Nous décrirons ainsi plus précisément Maria des toilettes et Suginami-ku

narita higashi yon-chôme san-jû-nana banchi sentô ni okeru otoko jiken 杉並区成田東

四丁目三十七番地銭湯における男事件 (Incident survenu dans le bain publique du

côté homme de Suginami Narita est 4-37)4. Dans la première scène nous

distinguons en effet un kami shibai moderne écrit par Terayama, qui sera

ensuite déconstruit par l'ajout d'une seconde partie à cette scène dans laquelle

les spectateurs seront conviés à rencontrer la vraie Maria. On constate

clairement une opposition entre drame traditionnel écrit et confusion apportée

par le caractère réel de la fable s'échappant ainsi du kami shibai.

Dans la seconde scène étudiée, les répliques librement choisies par les

acteurs parmi 65 programmées font penser à un collage surréaliste. On trouve

trois catégories de répliques : celles concernant directement la situation du bain

1 Jean-Pierre Sarrazac, « Fable (crise de la) » in Jean-Pierre Sarrazac (Dir.) Lexique du drame moderne et contemporain, Belval, Circé Poche, 2005

2 Aristote, Poétique, Paris, Livre de poche, 1990, pp.103-1043 Ibid.4 Nous abrègerons dorénavant ce titre par Incident survenu...

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public1, celles concernant l'univers onirique de Terayama2 et enfin celles ne

concernant aucunes des deux autres catégories comme la réplique numéros

huit par exemple.3 Si l'on retrouve bien un véritable travail d'écriture ou même

un essai de forme plus classique, ce sera, nous allons le constater, pour mieux

trahir ces formes.

En définitive, le script de Knock que nous avons eu à analyser nous

rappelle cette idée de Heiner Müller que le script de théâtre est un mauvais

texte de littérature. Son « texte » résonne en fait souvent dans un but utilitaire,

de projet, au même titre qu'un croquis ou des plans ne sont utiles que parce

qu'ils servent à construire une machine ou un bâtiment, la plupart des écrits ici

présents servent à planifier, se remémorer ou à appliquer à la lettre le projet

que l'on a en tête. Cette utilité purement technique du script dans le spectacle

Knock est donc la preuve du caractère anti-littéraire de celui-ci. Preuves en sont

les scènes dont nous avons déjà parlé plus haut et qui d'ailleurs ne sont pas

présentes en intégralité dans le texte que nous possédons. Il est d'ailleurs

intéressant de noter que le texte de la première partie de Maria des toilettes,

donc du kami shibai, ainsi que les répliques scriptées des comédiens de Incident

survenu... ne sont pas reproduites dans le e-book que nous avons en notre

possession, mais seulement dans les œuvres théâtrales complètes de

Terayama4. Ce choix étrange s'explique peut-être aussi par l'infirmation du

caractère théâtral conféré à Knock. Trois autres exemples prouvent encore le

caractère utilitaire du script dans ce spectacle. D'une part la présence de

croquis pour les mobiles dela scène Kûchû samposha 空 中 散 歩 者 (Le

promeneur de l'air) dans laquelle 小竹信節 Kotake Nobutaka utilise une machine

à balanciers de son invention pour faire croire qu'il flotte dans les airs tout en

avançant et Chika byoutou 地下病棟 (Pavillon hospitalier souterrain), pièce dans

1 Comme les répliques 16, 27, 302 Comme les répliques 31, 48, 523 Incident survenu dans le bain publique du côté homme de Suginami Narita est 4-37 constitue l'annexe

1 de notre mémoire et se trouve page 118.4 Terayama Shûji, op.cit.

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Page 37: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

laquelle les acteurs doivent remonter depuis les égouts sans le moindre effort

apparent ou escalader des façades de maisons grâce à un principe de poulie

illustrée avec précision, tout cela agrémenté d'indications techniques

concernant la construction de ces mobiles comme leurs dimensions. D'autre

part le fait que les horaires et lieux soient consignés avec une très grande

précision. Ainsi les horaires d'arrivées et de départs des bus des scènes

Kimagure basu A, B 気まぐれバス A・B (Bus capricieux A et Bus capricieux B)

sont consignés à la minute près pour tout leur itinéraire, ce qui suppose un

calcul soigneux, même si largement approximatif à cause de la fluctuation de la

densité de circulation. Bref un soin tout particulier est apporté à l'exactitude de

la planification du spectacle et ce dans sa globalité. Le dernier point et qui

rassemble en fait les autres sera la mise en évidence d'une véritable démarche

expérimentale caractérisant ce spectacle. On constate en effet très souvent la

fragmentation des scènes en trois parties relevant toutes de cette démarche. La

plupart des scènes sont ainsi construites selon le schéma suivant:

1) La scène débute

généralement par un manuscrit1

chargé de révéler les intentions

de l'auteur ou du metteur en

scène à travers cette scène

particulière. L'auteur développe

ici l'hypothèse, première étape

de la démarche expérimentale, qu'il cherche à prouver ou à infirmer à l'aide de

l'expérience qu'il propose.

2) L'expérience ainsi proposée est consignée dans une seconde partie

généralement appelée « notes de mise en scène » ou « archive de mise en

scène »2 et ayant pour but de consigner à la fois la planification de ce qui était

1 Dans le script japonais : shukou 手稿2 Ces parties sont respectivement appelées enshutsu nôto 演出ノート et enshutsu kiroku 演出記録 en

japonais

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Figure 6

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prévu et ce qui s'y est effectivement déroulé. Le caractère anti-littéraire semble

donc évident au vu de la redondance des répétitions des horaires prévus que

suit entre parenthèse, et ce systématiquement, le nombre de minutes de retard,

même infime, ayant été constaté.

3) Cette partie peut se conclure sous les traits d'une conclusion très

succincte, pouvant ne faire qu'une seule phrase interprétant, à titre personnel,

on y appose souvent sa signature, les résultats constatés.

Nous vérifions bien, ici, la volonté d'une démarche expérimentale que

corrobore d'ailleurs le nom complet de la troupe, à savoir Tenjô Sajiki

Kenkyûshitsu (littéralement Laboratoire Tenjô Sajiki).

Le texte n'a, de plus, pas fonction à décrire comment la pièce doit se

dérouler, mais plutôt de coucher sur le papier les questions qu'elle pose et les

réponses qu'on tente d'y apporter. Les « canevas » des scènes ne représente

qu'une très faible partie du texte alors que leur description est, elle,

particulièrement minutieuse. Richard Schechner délimite, quatre mots

auxquels, il fait correspondre quatre différents domaines dont « le drame [qui]

est le domaine de l'auteur, du compositeur, du scénariste, du chaman ; le script

[qui] est celui de l'enseignant, du gourou, du maître ».1 Script et drame sont

donc bien dissociés chez Schechner et revête pour l'un un projet, souvent écrit,

pour l'autre une transmission, en vue d'une interprétation, en tout cas une

lecture, une adaptation de ce texte. Par rapport à Knock nous nous trouvons en

effet dans une poétique beaucoup plus « représentationnelle » car ce qui

semble différencier ici ces deux éléments semblent être la répétition du

spectacle. Cela ne veut pourtant pas dire que ne subsiste pas de Knock un

script, d'ailleurs rendu par les notes de mise en scène et confrontant le projet à

sa mise en pratique. Nous préfèrerons pourtant à drame, le mot texte. Drame

semble trop convoquer un texte dramatique dans lequel subsisterait une

intrigue développée par une mise en scène. Il semble ainsi plus judicieux pour

1 Schechner, op.cit. p.32

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Knock de parler de texte ou "performance text" comme en parle Hans-Thies

Lehmann:

Le mode de relation au spectateurs, la position temporelle et spatiale, le lieu et la fonction du processus théâtral dans le champ social – ce sont les facteurs qui constituent le "performance text". Ils vont "surdéterminer" les autres niveaux.1

Nous remarquons un autre exemple frappant directement imputé à

Terayama puisqu'en charge de cette scène: le Shokan engeki書簡演劇 (théâtre

épistolaire). Il semble que la troupe se serve ici d'une démarche littéraire afin de

la détourner. La forme prise par cette scène est intéressante car on remarque

une fois de plus que ce n'est pas la lettre qui constitue l'œuvre d'art, mais les

actions que celle-ci suppose provoquer. Nous nous arrêterons à nouveau sur

cette scène. Ce que nous voulons dire avec ce mince paragraphe c'est que

l'idée de la lettre est ici beaucoup plus importante que son contenu, cela est

indiqué par une rupture délibérée avec un quelconque contenu littéraire de ces

mêmes lettres. L'une aura ainsi pour projet une demande minime: « Pourriez-

vous me prêter du feu, s'il-vous-plaît? » une autre sera constituée du rapport de

ce que le destinataire à fait de sa journée de la veille sans dépasser ce

contenu. Le caractère littéraire suggéré par le titre même de la pièce est donc

détourné et jamais il n'y aura un quelconque travail de construction d'une

intrigue au sein de ces lettres, mais plutôt d'une exploration des nouvelles

formes pouvant être prise par le théâtre.

Nous remarquons ainsi une mise en exergue du sens pratique conféré à

l'œuvre écrite, ainsi qu'un relevé quasi-systématique sensé permettre l'analyse

des expériences conduites. Ce qui nous amène à une autre considération de

Terayama concernant la mémoire, nous pouvons d'ailleurs dans le cas

particulier de ce spectacle voir dans ce texte, une mémoire de la représentation

en tant qu'archive de celle-ci auquel Terayama attribuerait le seul rôle qui, selon

lui, incombe vraiment à celle-ci: « La mémoire est importante comme « objet de

1 Hans Thies-Lehmann, Le théâtre postdramatique, L'Arche, Paris, 2002, p.133

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psychothérapie », mais elle n'est ni créative, ni critique. »1 Ce type de texte

relève ainsi plus certainement du « texte de performance » comme le qualifie

Schechner que du drame théâtral2. Nous reviendrons sur ce terme de

performance, mais nous pouvons dès à présent noter qu'elle n'est pas

différente du théâtre, mais permet aux théoriciens de « redéfinir, radicalement,

les modes de cadrage de son objet: le théâtre. ».3 Ainsi comme toute

expérimentation, la performance s'intéresse aux effets qu'elle produit sur l'objet

à qui elle est destinée, c'est à dire, le spectateur.

L'acteur

Une autre composante du théâtre orthodoxe à prendre en compte afin de

situer la pièce Knock est la place qu'occupe les acteurs dans le spectacle. Le

théâtre occidental peut ainsi témoigner pour chaque genre se revendiquant

comme tel, d'un style de jeu d'acteur associé. Du naturalisme, certains

préfèreront le terme réalisme, on se souviendra du laborieux travail consigné

dans La formation de l'acteur par Stanislavski, à l'expressionnisme allemand du

début du XXème siècle, ou la distanciation brechtienne4, tous convoque un style

afin de représenter leur vision du monde, avec pour Brecht, un but idéologique

précis. A quoi se réfère donc le Tenjô Sajiki ou qu'invente-t-il par rapport à tout

cela ? C'est à cette question que nous allons tenter de répondre. Si l'acteur

semble avoir un rôle central au théâtre et être l'objet de tous les fantasmes des

théoriciens, pensons à Craig et à son idée de la « surmarionnette »5, il est 1 Catherine Muller, op.cit., p.1212 Richard Schechner, op. cit., pp.314-3193 Ibid., quatrième de couverture attribuée à Christian Biet4 L'effet V. de l'allemand Verfremdungseffekt, une invention qui impressionna fortement le critique et

sémiologue Roland Barthes à qui l'on doit la découverte française de Brecht, propose de rendre compte d'une distance par rapport à la fable afin de permettre la réflexion du spectateur plutôt que de le conforter dans les plaisirs de la simple mimésis. Cette esthétique aura du mal à s'imposer au Japon où l'on considère Stanislavski comme le modèle du théâtre occidental et ou l'effet V. a été mal compris jusque dans les années 1960, comme le montre Iwabuchi Tatsuji: « There was in fact a great deal of misunderstanding in the reception of Brecht in Japan. The alienation effect, for example, was only understood as an instrument of anti-illusion and not as a process of perception » [Il y eût en fait une grande incompréhension dans la réception de Brecht au Japon. L'effet de distanciation, par exemple, fût seulement compris comme un instrument anti-illusion et non comme un procédé de perception.] dans son article « The reception of western drama in Japan » in Erika Fischer-Lichte, The Dramatic Touch Of Difference, Theater, Own And Foreign, Gunter Narr Verlag, 1990, p.121

5 Edward Gordon Craig (1872-1966) est l'exemple type du théoricien voulant relever l'acteur de tout

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plutôt considéré par Terayama comme une composante, parmi d'autres, de la

représentation scénique. Terayama se réfèrera pour certaines de ses pièces,

par exemple nuhi kun 奴 婢訓 (Ordres à serviteurs), à l'esthétique du tableau

vivant. Il ne s'agit à la vérité plus de cela dans Knock. La question du comédien

revêt ici presque autant de questions que celle du spectateur et donne des

indices sur les implications différentes que l'on attend de lui. Pourtant nous

essaierons de nous limiter à analyser ici le travail du comédien dans ce

spectacle en le comparant aux grands modèles du théâtre orthodoxe. Avant

d'entrer plus avant dans ce sujet, il faut en revanche faire le rappel d'une

constatation liminaire. Knock est une œuvre collective et de fait ne cherche pas

l'unité dans les modèles qu'elle propose, il en va de même pour le modèle de

jeu des comédiens qui revêt des fonctions différentes d'une scène à l'autre. Sur

ce constat simple, mais nécessaire, nous pouvons commencer notre analyse.

Dans son introduction sur le travail du comédien, on discerne dans la

description faite par Anne Ubersfeld une des constantes du théâtre orthodoxe,

à savoir la capacité demandée à celui-ci « de faire signe, d'être transformé (de

se transformer) en système de signes »1. Cette réflexion, si elle semble

effective pour le théâtre orthodoxe, révèle toute sa difficulté à s'appliquer à

certaines scènes de Knock, en effet que dire du travail du comédien dans une

scène comme Human Boxing ? S'agit-il encore d'un comédien ? En effet son

travail consiste ici à enfermer le spectateur dans une boîte, le charger dans un

camion, et le perdre dans un endroit à partir duquel il devra retourner chez lui

(du moins c'est ce que nous en dit le script qui perd complètement de vu le

pouvoir, il le désincarne ainsi en l'appelant surmarionnette devant obéir aveuglément aux souhaits du metteur en scène qui devient ainsi son manipulateur. On verra Terayama prendre aux mots cette idée dans Jashûmon 邪宗門 (Hérétiques), dans lequel des kurogo 黒衣 (litt. habits noirs : personnes habillés de noirs, couleur conventionnellement invisible au kabuki, et aidant les acteurs dans les changements de costumes ou autre manœuvre délicate ne pouvant être accompli par l'acteur seul) se précipitent sur les spectateurs afin de les travestir et de les faire entrer de gré ou de force dans la fiction. De plus ces kurogo manipulent les acteurs sur scène grâce à des cordes, a alors lieu tout un jeu de révolte des acteurs sur les kurogo, se reporter au spectacle Hérétiques traduit en anglais par Carol Fisher Sorgenfrei, op. cit., p.228

1 Anne Ubersfeld, Lire le théâtre II, L'école du spectateur, Paris, Belin, 1996, p.138

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spectateur après sa libération). Si le script décrit bien les comédiens comme

tels, le mot haiyû 俳優 y est employé, quelle peut être la chose en laquelle ils

se transforment, le système de signes auquel il est fait référence ? Le travail de

l'acteur semble ainsi être encore mis en crise par la mise en scène. Du statut

synthétique et ambigüe qu'il occupe, entre fiction et réalité, lui est ici demandé

un travail pratique, qui tient plus à l'accessoiriste du théâtre orthodoxe qu'au

comédien. Ce schème semble se reproduire dans d'autres scènes comme

Aoneko keshôkan 青猫化粧館 (Salon de beauté du chat bleu). Ici le comédien

devient maquilleur et joue même au metteur en scène. La mission qui lui est

attribuée est la suivante: grimer le spectateur et lui demander d'aller effectuer

certaines actions ainsi déguisé. Le comédien, encore une fois qualifié comme

tel par le script, ne se transforme pas lui-même, mais sert de catalyseur au

spectateur qu'il transforme. Terayama dit d'ailleurs de lui:

L'acteur est un excellent objet de transformation car il possède l'apanage de conquérir tout les autres objets. Cet apanage étant universel, son existence est un atout. L'acteur devient intermédiaire entre le désir et l'objet, et entre la vie humaine et le moyen de vivre. Mais pour moi, l'intermédiaire qui me relie à la vie, c'est ce qui relie la vie des autres à la mienne. Voilà le rôle de l'acteur pour moi.1

Il s'agit ici des deux scènes les plus exemplaires, révélant le plus leur

différence de considération du comédien par rapport à la « tradition » théâtrale,

aussi bien occidentale qu'orientale d'ailleurs.2 On remarque aussi que toutes les

notes que nous pouvons faire concernant les comédiens de ces scènes font

état d'un glissement des tâches généralement attribuées par le théâtre

orthodoxe. Le fait notable à relever ici est la fonction devenue purement

1 Catherine Muller, op.cit., p.108, traduction de l'essai sur l'acteur de Terayama par Oku Tadahiro et l'auteure. Terayama reprend ici, comme il l'indique lui-même une réflexion de Marx sur l'argent qu'il situe dans Fondement de la critique et de l'économie politique. Il remplace le terme « argent » employé par le terme « acteur ». Dans la dernière phrase Marx avait écrit « autre » que Terayama remplace une nouvelle fois par le mot « acteur ».

2 Nous prenons ici pour cas le Japon ou les acteurs constituent des familles, de véritables castes. Le théâtre classique japonais comme le Nô ou le Kabuki est joué par de grandes familles de comédiens, ce qui permet d'éduquer dès leur plus jeune âge les enfants à ces disciplines très strictes. Ceci n'est bien sûr plus le cas avec les nouvelles formes de théâtre et encore moins chez Terayama qui jusque vers le milieu des années soixante-dix enrôlait quiconque voulant bien participer à la vie de la troupe avec motivation et choisissant ses acteurs souvent sur des critères physiques. Le site internet ??? nous propose une interview de Morisaki Henrikku où il est question de son parcours, c'est un bon témoignage du système de recrutement de Terayama.

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pratique, manuelle, du comédien que l'on hésite pas à considérer comme un

travailleur chargé de services facilement identifiables et surtout, au service du

spectateur. Comme nous l'avons dit ces scènes sont les plus révélatrices d'une

toute nouvelle conception de l'acteur au sein du spectacle même. L'acteur

participe ainsi souvent à la vie de la troupe en aidant au montage du décor, en

proposant des idées aux metteurs en scènes ou créant avec lui son

personnage selon les méthodes de travail de ce dernier. Pourtant tout cela,

même si c'est nécessaire au bon fonctionnement d'une pièce, survient dans

l'élaboration et non dans la représentation même. Peut-être ce nouveau travail

du comédien a-t-il aussi un lien avec la fable telle que nous en avons parlé

dans la partie précédente. L'intrigue se substituant finalement dans ces deux

scènes au projet de la mise en scène. L'intrigue n'est ainsi plus ici confiée à des

comédiens ayant pour tâche de la révéler, mais aux spectateurs mêmes, du

moins dans les deux scènes que nous continuons d'étudier ici. La crise de la

fable rejoint ici la crise du personnage que met finalement en crise le travail du

comédien.

Dans le théâtre orthodoxe, le comédien est soumis à des paradoxes

révélant son caractère « double » à savoir son rôle vis-à-vis de la fable et le fait

qu'il soit lui-même une personne à part entière. Son travail est donc, comme le

souligne Ubersfeld, de se transformer afin de donner forme à la vision qu'il a,

avec le metteur en scène, de ce personnage particulier. Dans les scènes que

nous étudions le fait d'appeler « comédien » les intervenants de ces spectacles

posent un réel problème du fait qu'il n'interprète tout simplement pas de

personnages, mais aident à la création, par d'autres, de ces personnages.

Schechner révèle les problèmes auxquels il a été confrontés avec sa

troupe dans les participations qu'il essaya de mettre en place. Il donne

l'exemple d'une des représentations du spectacle Communes où les spectateurs

arrêtèrent le spectacle pendant environ trois heures par refus de participer.1 Il

1 Richard Schechner, op.cit. pp.200-205

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indique que dans les moments où cela se produisait les comédiens quittaient

leur rôle pour désigner au hasard les spectateurs qu'ils souhaitaient voir

participer et ne le reprenait que lorsqu'un consensus avait été trouvé, que les

spectateurs et les acteurs s'étaient mis d'accord.

Knock part de la volonté inverse. Les acteurs ne doivent en aucuns cas

quitter leur rôle, si maigres soient-ils. Se sont les spectateurs qui doivent se

hisser au niveau du plan de réalité figuré par les comédiens. Aucune

concession n'est faite pour descendre les comédiens au niveau des

spectateurs. Les acteurs ne quittent jamais leur rôle, si rôle ils ont.

Les autres scènes que constitue Knock n'en sont ainsi pas moins

problématiques. Dans Incident survenu ..., les acteurs sont en pleine esthétique

de dépersonnalisation. La crise du personnage, qui prend diverses formes dans

le théâtre moderne est ainsi:

A la fois une cause et une conséquence de la crise du drame. Vecteur de l'action, support de la fable, passeur de l'identification et garant de la mimésis, le personnage est en charge de fonctions multiples dans les dramaturgies traditionnelles.1

Ce qui n'est plus le cas avec le symbolisme de Maeterlinck2 ou le théâtre

de l'absurde d'un Beckett3, qui donne à voir un acteur porteur de discours, qu'il

choisit dans une liste de répliques écrites par les auteurs et dont il peut choisir

le moment où il les dit tout en faisant un parcours de gestes très précis. On

observe donc une dissociation entre son discours, ou sa voix et ses gestes,

dissociation qui désincarne toute individualité du personnage, tout les acteurs

devant effectuer les mêmes gestes avec dix minutes d'écart entre chacun

d'eux. Ces gestes renvoient aussi à l'idée d'une certaine routine et d'un

recommencement perpétuel des choses4 renvoyant à une vision pessimiste de 1 Jean-Pierre Ryngaert, « Personnage (crise du) » in Jean-Pierre Sarrazac, op.cit. p.1502 Dans Les aveugles (1890) Maeterlinck est le premier à ne pas nommer ces personnages niant ainsi

leur individualité et proposant une chorale de voix toutes dans une même situation statique. On pourrait d'ailleurs imaginer très aisément une mise en scène sans acteurs de cette pièce.

3 Beckett nomme ses personnages de façon monosyllabique ou par des surnoms, et Nathalie Sarraute ► ► par des abréviations H pour les hommes, F pour les femmes qu'elle numérote ensuite. Des explications intéressantes sur le nouveau roman sont fournis dans L'ère du soupçon de cette auteure.

4 Il est indiqué dans le script que l'acteur doit verser de l'eau sur sa tête, mais il doit répéter ce gestes de

44

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l'humanité. Il est bien précisé dans les consignes que le texte doit être

prononcé de la façon la plus neutre possible. Il nous semble donc bien que

cette scène, dans le jeu des acteurs puisse être assimilée à la bien nommée

crise du personnage.

D'autres scènes jouent avec l'esthétique de nouveau surréalisme attribué

à Terayama par Schechner. Celle-ci se manifeste par la coloration et l'image

véhiculée par certains des costumes de ces scènes ou leur association.

Comme le dit Ubersfeld:

Le comédien est le lieu même de l'équivoque de la théâtralité: il installe au milieu de ce qui est une réalité machinée (la scène, l'espace, les objets), une réalité ambigüe, un système de signes qui ne disent pas, ne peuvent dire, s'ils sont ou non de la fiction.1

Nous analysons ici les personnages des scènes Chizu hikikaenin 地図引

換人 (L'échangeur de carte) et Gekijô wo sagasu hitori no kankyaku 劇場を探す一

人 の観客 (Spectateur cherchant théâtre). Revenons sur la description des ces

divers personnages: « L'échangeur de carte est assis, cet homme porte un

chapeau noir, a un bandeau noir sur l'œil, un attaché-case noir sur les

genoux », et pour le second spectacle: « homme à chapeau de chasseur, agent

de police en fonction du début de l'ère Shôwa2 » ou « un col blanc. C'est un

homme très sérieux qui guide les spectateurs avec gentillesse. Il travaille pour

une compagnie d'assurance et a une balance avec lui, il gère la santé des

gens. ». Hautes en couleurs elles ont aussi pour rôle de faire reconnaître au

spectateur la présence d'acteur dans la rue d'un arrondissement fourmillant de

monde ou dans un magasin d'immobilier tout ce qu'il y a de plus commun. C'est

en cela que le spectacle prend à rebours la citation que nous relevons. Ce qui

agit d'habitude comme médiateur entre l'une et l'autre réalité semble ainsi être

l'acteur, comme nous le dit Ubersfeld. Dans les décors scéniques du théâtre

orthodoxe, l'époque, le milieu social, la situation du drame sont ainsi signifiées

nombreuses fois.1 Anne Ubersfeld, op.cit., p.1372 昭和 : 1926-1989

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par des éléments matériels chargés de les révéler. Mais cela jure avec le

comédien que l'on sait humain, mais que l'on sait surtout notre contemporain. Il

ne s'agit pas d'un homme du XVIIIème siècle, mais de notre époque avec qui il

est possible, hors-scène, de parler. Le spectacle que nous étudions au

contraire a lieu dans le milieu urbain ambiant que les contemporains du

spectacle emprunte quotidiennement. Les dimensions de l'espace scénique

interdisent de transformer trois arrondissements de Tôkyô en purs décors de

fiction. La technique de la troupe pour faire croire à cette fiction va ainsi devoir

passer par le comédien et lui seul. Les costumes caractérisants ces

personnages dramatisent ainsi leur présence, leurs caractéristiques amène la

dimension d'autre réalité manquant cruellement à ce spectacle, sinon figé dans

le réel. La majorité des comédiens de Knock vont ainsi devoir porter sur eux

cette autre réalité. L'on va trouver différentes techniques pour les différencier de

leurs contemporains, il est par exemple interdit à l'échangeur de carte de

prononcer le moindre mot et l'on confère ainsi à son costume le soin de créer la

fiction. L'acteur synthétise ainsi sur lui la fiction. Il fait figure. Il en est de même

dans Spectateur cherchant spectacle. L'acteur n'est pas porteur de message, de

dialogue ou de drame. Il agit en fonction d'un personnage, qu'il crée et duquel il

improvise un script qui lui correspond. Nous le voyons d'après les exemples

extrêmes des scènes précédemment décrites, nous revenons vers une

figuration du personnage d'ailleurs poussé à l'extrême. On pourrait ainsi faire

un parallèle avec la façon que Jean-Paul Sartre a de qualifier le

travestissement des personnages dans Les bonnes de Genet:

Lorsqu'il souhaitait que ses Bonnes soient interprétés par des garçons qui, quoique vêtus en femmes, apparaissent bien comme des hommes, et qu'il mettait dans leur bouche des propos de femmes mais des femmes qui délirent..., son but était de déréaliser tout le jeu. Normalement, le spectateur doit osciller entre l'imaginaire, le fictif et le réel, le présent: il sait et il oublie en même temps que tout est inventé et joué. Genet s'emploie, lui, à démontrer que rien de ce qui est et se passe sur scène n'est réel: tout bascule dans l'imaginaire.1

1 « Au théâtre, l'imaginaire doit être pur par sa manière même de se donner au réel », entretient avec Jean-Paul Sartre par Bernard Dort (daté de janvier-février 1979), dans Travail théâtral,n.32,33 p.7

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Ce besoin de tout faire basculer dans l'imaginaire est, nous l'avons

compris, dû ici à la réalité de la rue discréditant tout imaginaire. Même si celui-

ci est en pleine crise, le comédien est toujours un homme interprétant un

personnage. Mais existe-t-il des personnages complets, des personnages dont

on sait tout, entièrement révélés par la représentation ? La réponse négative et

consciente du théâtre depuis la crise permet à celui-ci de l'assumer et de faire

prendre corps à cette affirmation à travers des personnages dont on sait de

moins en moins de choses et même à travers des non-personnages.

L'acteur de participation qui ne sort pas de son personnage au moment

du dialogue avec les spectateurs ou « participants », entretient ainsi des

similitudes et des différences avec l'acteur de théâtre orthodoxe. Par similitude

on peut entendre qu'il est, la plupart du temps, chargé de convoquer « un

personnage absent » comme le dit si bien Ubersfeld.1 Il est aussi « à la fois,

une pièce dans le discours d'un autre et producteur de son propre discours »2.

Si l'acteur orthodoxe est l'objet du metteur en scène on pourra se demander ici

si le comédien n'est pas encore plus l'objet du spectateur. En le plaçant en

position de confrontation avec le spectateur tout en lui attribuant un rôle, même

vague, on fait naître en lui une dichotomie semblable à son aîné du théâtre

orthodoxe. En revanche, alors que le spectateur de théâtre orthodoxe n'a que la

capacité de regarder, ou d'analyser, le spectateur de Knock collabore avec le

metteur en scène dans la direction de l'acteur. Alors que le comédien du

spectacle orthodoxe peut jouer avec de minces réactions du publique comme

attendre avant de continuer après un bon mot ou être influencé de façon subtile

part la température de la salle, le comédien de Knock crée le discours en

fonction de la personne qu'il a directement en face de lui. Que se soit en

extérieur ou dans une pièce, il est généralement libre de converser avec un

individu particulier. Attention car celui qui converse est bien le personnage et

1 Anne Ubersfled, op.cit.p.1372 Ibid. p.141

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non le comédien qui doit ainsi faire passer le discours par ce filtre fictionnel et

ce, en tant réel. Pourtant le comédien, ou la fiction conduite par lui est bien

meneuse du spectacle et donc du participant. Le but du spectacle est ainsi

clairement établi par le script que conduit le comédien invitant le spectateur à le

suivre. C'est lui qui mène et qui est maître même s'il tolère l'ingérence du

spectateur.

Le metteur en scène

On s'intéressera ici à la relation metteur en scène/acteur. La grande

omission dont on peut se rendre compte à la lecture du script est l'absence

fréquente de répliques écrites afin que l'acteur les prononce comme dans tout

spectacle orthodoxe à vocation dramatique. Le script est ainsi façonné de façon

souvent descriptive demandant à l'acteur une improvisation sur quelques

consignes simples de mise en scène. On suppose donc du comédien qu'il crée

un personnage à partir des descriptions établies et on lui assigne une mission.

Les paroles du personnage de Tenmongakusha no kodoku 天文学者の孤独 (La

solitude de l'astronome) sont ainsi évoquées succinctement par les phrases « les

spectateurs […] écoutent les expériences extraordinaires qu'il a faites », ou

encore « se met à raconter l'histoire de la seule étoile qu'il n'ait jamais

rencontrée, Amok1» on établit quelques croquis de personnages pour Spectateur

cherchant spectacle comme indiqué ci-dessus. C'est que la troupe a bien

conscience, à l'inverse de Schechner pour Dionysus in '69 par exemple, qu'il est

en prise directe avec le spectateur, qu'il sera donc obligé de dialoguer avec lui,

1 アモク : « amok malais : des hommes (ce sont toujours des hommes), même encore de nos jours, et même dans de très grandes villes, pour venger une mort d'un des leurs ou pour une insulte, partent, "courent l'amok " et tuent autant de gens qu'ils peuvent sur le chemin jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes abattus. » extrait tiré de Marcel Mauss, « Effet physique chez l'individu de l'idée de mort suggérée par la collectivité » in, Journal de Psychologie Normale et pathologie, 1926. Voir l'article à http://sociol.chez.com/socio/autob/maussideedemotr.htm#r0 (Consulté le 23 mai 2009). Nous ne ► ► pouvons garantir cette parenté de définition avec le nom de l'étoile dont on parle ici. Il peut tout aussi bien s'agir d'un nom d'étoile imaginaire. Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, Terayama est familier des œuvres de Mauss, et aurait très bien pu, consciemment ou non, nommer cette étoile en référence à cette définition. Il nous semble, de plus, que la définition présentée ici présente un caractère surréaliste (surtout issu du second manifeste du surréalisme) qui ne serait pas pour lui déplaire.

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et que par conséquent, la phase la plus importante de création du personnage,

c'est à dire de création d'un discours devra se faire dans le feu de l'action. Du

même coup on est en droit de supposer qu'une certaine confiance ou plutôt

complicité dans la collaboration soit obligée de naître de la part du metteur en

scène ainsi que de l'auteur pour son comédien. S'il est plus libre que dans le

théâtre orthodoxe, l'acteur de Knock devra pourtant s'impliquer beaucoup plus

et faire preuve d'imagination et d'écoute pour mener à bien son travail. L'écoute

semble être un point important car déterminant pour ce type de travail. Non que

l'écoute n'est pas aussi lieu dans le théâtre orthodoxe où metteurs en scènes et

comédiens collaborent à la construction du personnage, mais l'élément

radicalement différent de ce type de spectacle est que l'activité créatrice

généralement soumise à la répétition doit se faire en pleine représentation.

Comme le dit Schechner rejoignant une remarque de Alexander Alland1 « le

théâtre [...] est le seul art dans lequel le processus créatif est nécessairement

visible ».2 Plus que nécessairement avec Knock qui reprend ici une manière de

fonctionner propre à la commedia dell'arte. On donne ainsi un canevas à

l'acteur et les grandes lignes de la fable qu'il va devoir créer avec les autres

pour mener celle-ci à son but, en l'occurrence dans la scène que nous

étudions : perdre le spectateur. La différence cruciale avec cette sorte de

théâtre sera bien évidemment l'interaction possible des spectateurs.

Dans certaines autres scènes on peut retrouver une implication qui, si

elle ne peut être considérée comme despotique fait apparaître la volonté d'un

contrôle de la part du metteur en scène. Nous prenons pour illustrer notre

propos les scènes Incident survenu... et Human Boxing. Dans ces deux scènes on

observe en effet la présence d'un metteur en scène dirigeant ses acteurs

pendant la représentation. Son implication est certes très limitée, mais mérite

d'être souligné pour apporter le plus de précision quand à la marge de

1 Alexander Alland est professeur émérite d'anthropologie à l'université de Columbia.2 Richard Schechner, op.cit. p.108

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Page 50: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

manœuvre effective laissée à l'acteur. Ainsi Morisaki Henrikku3 prétextant qu'il

n'aimait finalement pas que les acteurs regardent leur montre convient d'un

message échangé avec 小野正子 Ono Masako, pour signifier aux acteurs la fin

de la représentation. Dans Human Boxing le même metteur en scène, est

installé à la place du mort dans le camion chargé de conduire les caisses à

l'endroit convenu. Or, pour la caisse que l'on avait décidé de perdre sur une

jetée on suppose que c'est le metteur en scène resté présent tout au long du

dispositif qui décide finalement de changer de lieu. Dans ces deux scènes, le

même metteur en scène, désigné d'ailleurs de la même façon que dans le

théâtre orthodoxe, par le terme enshutsuka 演 出 家 , exerce son contrôle sur

certains des choix les plus cruciaux de la mise en scène tout en restant toujours

à proximité de l'action. Avec ces deux idées concernant la relation du metteur

en scène et de l'acteur nous pouvons apporter la précision que le rôle du

metteur en scène de théâtre orthodoxe n'est pas totalement remis en question.

En fait n'a-t-il jamais eu de rôle collant le plus littéralement avec sa

désignation ? Dans le système théâtral traditionnel, il peut être en coulisse et

s'occuper, durant le temps de la représentation, de toutes les choses

auxquelles il peut apporter sa contribution. La mise en scène est généralement

une activité dérivée de la tradition dramatique du texte de théâtre où le metteur

en scène crée T' à partir de T sur scène en vue d'une destination aux

spectateurs. Dans ce spectacle et surtout avec la scène ou projet Human

Boxing, le mot « mise en scène » reprend tout son sens avec une activité

physique lui étant associée. Celle de mettre, ou disposer des boîtes sur une

scène choisie et d'organiser ainsi tout en le créant l'espace théâtral. La boîte

duquel le spectateur va naître est ainsi littéralement placée sur scène et l'on

confie au spectateur le soin de vérifier tout cela en expérimentant par lui même

cette sorte de renaissance, en lui confiant, à lui, les clés qui vont lui permettre

le départ du spectacle.

3 森崎偏陸 est un des plus actifs contributeurs à la mise en scène des pièces de Knock. On lui doit la mise en scène des deux scènes ici présentée.

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Spectacle éclaté, spectacle total

Assez de phrases désuètesSus au passé

Dans un assaut !Les grandes places sont nos palettes,

Les rues sont nos meilleurs pinceaux.1

Par bien des aspects Knock est la figure même d'un spectacle éclaté.

Deux de ses éléments répondent à cette définition ; d'abord éclatement de son

espace scénique à travers la ville et accompagné d'une incidence directe, le

gonflement jusqu'à éclatement de sa durée. On relève effectivement qu'après

un tel spectacle, le spectateur est assommé et tend à voir la fiction même après

la durée « officielle » de celle-ci. Nous nous interrogerons donc sur ces

éléments qui perdent le spectateur au point de lui faire croire que les policiers

venus arrêter le spectacle sont aussi des acteurs de la fiction !

Cet éclatement suggère ainsi un autre caractère, celui de la volonté d'un

spectacle total. En effet si l'on examine d'abord les lieux où Knock « lance » la

fiction, on constate qu'il investit tous les lieux imaginables de la ville. Égouts,

façades de maison, parcs, construction d'un salon de beauté, bus, boîtes aux

lettres, maisons individuelles, appartements, toilettes (Maria des toilettes), rues,

magasins, restaurants, bains publics etc. Nous parlerons des nouvelles formes

explorées par le théâtre plus tard le constat est déjà clair lorsqu'on se penche

sur les lieux qu'investit le spectacle : on repère une volonté d'insuffler de la

fiction partout où le spectateur aura la possibilité de se trouver. Dans quels buts

la pièce fait-elle cela, crée-t-elle une utopie ?

La réponse est négative, car les lieux investis ne sont pas idéalisés, au

contraire. Le restaurant de Chûmon ga ooi ryouriten 注 文 が 多 い 料 理 店

(Restaurant aux nombreuses commandes), oblige le client à suivre les

commandements que le chef lui donne, lui ordonnant de manger tel ou tel plat

1 V.-L Maïakovski, « Ordre no1 à l'armée des arts » in Jonny Ebstein et Philippe Ivernel (Dir.), Le théâtre d'intervention depuis 1968, Lausanne, L'Age d'Homme, 1983, p.11

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Page 52: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

en telle ou telle quantité et de telle ou telle façon, sans aller jusqu'à manger le

client lui-même comme dans le conte folklorique du même nom. Si l'on cherche

à investir tout l'univers du citadin, c'est donc bien pour le détourner et le

critiquer, celui-ci n'est donc pas une proposition, ni une illustration d'un autre

possible. De plus, on ne crée pas un monde nouveau, on se sert de ce monde

et de ses codes consensuels pour montrer du doigt l'existence de ces codes.

Ainsi le spectateur est très souvent trahit dans les préjugés qu'il entretient sur le

spectacle, comme pour le punir de ne pas collaborer à l'action. Nous

reviendrons sur cette notion de tromperie ou de trahison. Tout ce que nous

souhaitons affirmer ici c'est que si Knock souhaite investir le quotidien, il essaie

de se prémunir de tous les moyens pour y réussir.

Quelque soit l'angle sous lequel on le considère, Knock semble être un

modèle de spectacle anti-aristotélicien. Sa dimension en est encore une

preuve. Ce spectacle fait éclater les limites pour mieux violer cette conception.

C'est peu de dire que Knock n'a pas d'unité du point de vue du lieu, il semble

même plus faire référence à ce que l'on qualifierait aujourd'hui de festival de

théâtre de rue. Nous verrons pourtant que le projet semble plus venir d'un

brainstorming formé autour d'une d'idée directrice que de cela. La première

composante intéressante est ainsi de sortir le spectacle d'un lieu où il est la

plupart du temps cloîtré : le théâtre. Non que certaines scènes ne se déroulent

pas où ne se prolongent pas dans un espace clos comme un appartement,

mais l'ensemble du spectacle repose sur des lieux joints les uns aux autres par

la rue, le tout formant ainsi une limite lâche englobant les arrondissements de

杉並 Suginami, 中野 Nakano et 新宿 Shinjuku. Tout cela sans autorisations

d'aucunes sortes, de toutes façons impossibles à obtenir pour permettre le

spectacle d'un point de vue légal. Comme dans les festivals de rue actuels, il

est confié une carte au public, lui permettant de se repérer. Le système est

pourtant assez original pour l'époque et pour le pays même s'il revêt la même

forme qu'un spectacle un peu plus ancien du Tenjô Sajiki, Jinriki hikouki

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saromon 人力飛行機サロモン (Salomon: Avion à traction humaine). Nous avons

donc affaire à une multiplication, un éclatement des espaces scéniques.

Le gonflement de la durée du spectacle suppose, de la même façon, un

rapport autre avec son destinataire. Comme le dit Bernard Dort, il y a déjà eu

des spectacles d'une plus grande ampleur, rappelons-nous de Ka Mountain et

Gardenia Terrace de Robert Wilson en Iran en 1972 qui comptait cent soixante

huit heures de spectacle.1 L'importance n'est pas au record, mais comme le

signal encore Bernard Dort: « Il ne s'agit pas là de spectacles un peu ou

beaucoup plus longs que d'autres. Il s'agit de spectacles autres. » c'est à dire

qui suppose une toute nouvelle relation avec le public.2 Durant ces trente

heures, le public concerné sera ainsi prisonnier du spectacle qui se revendique

comme tel. Ce cadre, suppose, comme nous l'analyserons plus avant très

bientôt que le spectateur est un participant de la fiction et que tout ce qu'il fait

se déroule dans le plan d'une autre réalité.

Une autre facette de ces considérations sur l'espace et le temps est

relevée par Terayama qui s'exprime lui-même quant à son envie de créer un

temps réservé au théâtre, hors du monde et que permet la logique de festival

tel qu'elle est pratiquée en occident:

Il n'y a pas d'espace pour le théâtre. Le fait est que lorsqu'on va à l'étranger dans un festival de théâtre, on peut rencontrer de nombreux auteurs ou groupes qui tentent de faire prendre des formes radicales au médium qu'ils appellent encore théâtre et qui échouent mais pour laquelle j'éprouve pourtant de l'émotion.3

Catherine Muller et son brillant mémoire4 permette de conclure à notre

partie sur les éléments théâtraux que nous venons d'étudier. Le décryptage de

1 Bernard Dort, Le jeu du théâtre : Le spectateur en dialogue, Paris, P.O.L., 1995, p.372 Ibid. p.383 Terayama cité par Yamaguchi Masao, citation tirée du magazine Shingeki de 1974, 「演劇の空間が

ないんだね。ところが海外で演劇祭に行くと、いろんな形で演劇というものをかなりラジカルにとらえ直そうとして失敗しているいろんな作家とグループに出会い、わりにそれには感動したりすることがある。」

4 Nous reprenons ici des idées développées par Catherine Muller, op.cit., p.65

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tous les éléments que nous venons d'aborder nous permet de conclure à un

spectacle désordonné dans sa forme. Des textes très variés: lettres, schémas,

scripts en collage ; jeu des acteurs : très physique, outrancier, satyrique, non-

jeu ; temps et lieux dégingandés : porte à porte, investissement des égouts,

théâtre sans lieux, trajets en bus, trente heures de spectacles etc. Tout cela

donne à la pièce des allures de grand désordre parfaitement orchestré.

L'anthropologue Mary Douglas nous fait alors remarquer dans ce qu'elle

nomme « les potentialités du désordre »:

le désordre est symbole à la fois de danger et de pouvoir. Le rite reconnaît ces potentialités du désordre. Du désordre de l'esprit, des rêves, des évanouissements, du délire, l'officiant s'attend à voir surgir des forces, ou des vérités, qu'on ne saurait atteindre par un effort conscient.1

Il semble ainsi aussi rejoindre une autre esthétique dans laquelle l'inconscient

est roi : le surréalisme. Et nous ne résistons pas au plaisir de citer ici Paul

Claudel et sa célèbre maxime: « L'ordre est la plaisir de la raison ; mais le

désordre est le délice de l'imagination. »2

1 Mary Douglas, De la souillure, Paris, La découverte, 2001, p.1112 Paul Claudel, Préface au Soulier de Satin.

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II. Vers une participation du spectateur

Nous paraît judicieux pour commencer cette partie centrale de citer un

grand théoricien du théâtre, contemporain de Terayama, ayant lui aussi voulu

explorer plus avant la relation comédien/spectateur, Jerzy Grotowski (1933-

1999), pour lui:

En éliminant graduellement ce qui s'est démontré être superflu, nous avons prouvé que le théâtre pouvait exister sans maquillage, sans costume autonome ni scénographie, sans un lieu séparé de spectacle (scène), sans effets de lumières ou de sons, etc. Il ne peut pas exister sans la relation acteur spectateur, sans la communion de perception directe, vivante.1

J. Grotowski et Terayama, qui s'estimaient l'un l'autre,2 ont ainsi une

démarche assez semblable, à savoir la reconstruction du théâtre autour de la

figure centrale du spectateur. Le spectacle Knock nous intéresse

particulièrement sur ce point car il semble présenter l'apogée de cette

exploration de la relation au public sous l'angle de la participation.

Nous constatons à la fin de chacune de nos sous parties, qu'en réalité

tout ramène à une poétique du spectateur. Que tout est pensé pour lui et que la

révolution dans la forme à laquelle nous assistons vise en premier lieu celui-ci.

Nous nous intéresserons donc dans un premier temps au travail auquel est

soumis le spectateur de théâtre en général. Nous observerons ainsi les

données fondamentales du fonctionnement psychique de la scène de théâtre

orthodoxe en nous aidant principalement de l'étude conduite par Anne

Ubersfeld sur ce thème. Dans un second temps nous verrons quelles peuvent-

être les nouvelles théories développées pouvant nous permettre de préciser

notre étude du rôle du spectateur. Pour ce faire nous nous intéresserons à la

théorie de la performance surtout développée par Richard Schechner, à celle

1 Jerzy Grotowski, « Vers un théâtre pauvre » in, Vers un théâtre pauvre, Lausanne, L'Âge d'homme, 2002, p.17

2 Catherine Muller, op.cit., p.47

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du postdramatique de Hans Thies-Lehmann et sur quoi peut nous renseigner

l'ouverture de l'œuvre définie par Umberto Eco.

Nous nous intéresserons finalement aux buts lisibles recherchés par la

troupe chez le spectateur en prenant pour thématique les axes d'immixtion de

la fiction jusque dans l'intimité du destinataire, les aliénations de repères et le

changement de point de vue provoqués par d'autres scènes pour nous

concentrer ensuite sur le collectif envisagé comme la naissance du tissu de

fiction entre les mailles que constitue le spectateur.

Nous nous attarderons ensuite sur les intentions contenues dans ces

scènes sous forme de messages explicites, en tenterons une analyse et

essaierons de voir si l'on peut prêter des volontés politiques à celle-ci.

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II.1. Le travail du spectateur de théâtre

Le spectateur est l'élément principal de la pièce de théâtre. Sans

spectateurs pas de spectacle et c'est encore plus vrai que pour toutes autres

composantes. Il est d'ailleurs assez frappant de constater l'intérêt tout récent

quant à la question de la re-considération de son rôle alors que dans le théâtre

orthodoxe comme dans Knock la profusion des moyens offerts par ce médium

lui est intégralement destinée. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il est inactif ou

considéré comme inactif, au contraire. Dans Knock, on ne peut s'empêcher de

noter que l'activité du spectateur est mise en exergue par la mise en scène.

C'est surtout ce point qu'a décidé de développer la troupe. Mais le théâtre

orthodoxe aussi demande un engagement plus important par rapport à d'autres

formes d'arts. On ne peut que constater l'ennui qui provient parfois au théâtre

du fait que nous ne savons plus que le théâtre est exigeant de ce point de vue.1

Si le théâtre demande plus d'activité de la part du spectateur c'est parce que lui

est demandé un exercice autre que dans la plupart des autres formes d'art, un

engagement passant par le travail de la dénégation.

Dans son analyse du travail du spectateur de théâtre orthodoxe,

Ubersfeld définit deux grands moments de co-production du spectacle par le

spectateur qu'elle nomme « départ » et « arrivée ». Le départ est en fait tout ce

qui consiste en la préparation du spectacle. Le spectateur y serait inclu de

manière indirecte car il est le destinataire ultime du spectacle. Le metteur en

scène ou les metteurs en scènes dans le cas qui nous intéresse doivent avoir

conscience de l'univers de référence de leurs spectateurs. Ils se basent sur

l'image qu'ils se font de lui pour adapter, dans le cas d'un texte écrit mis en

scène, ou pour créer de toutes pièces un spectacle. Leur activité englobe donc

le préconstruit idéologique et culturel des spectateurs. Bien sûr, comme

Ubersfeld le souligne, si ce préconstruit est utilisé c'est parce que « le viol du

1 Florence Naugrette, Le plaisir du spectateur de théâtre, Paris, Bréal, 2002, p.79

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spectateur est prévu au programme »1. C'est parce que l'on va jouer avec ce

préconstruit pour construire le spectacle dans son originalité, sa nouveauté, et

ainsi déstabiliser le spectateur en connaissance de cause, parce que l'on sait

qu'il n'est pas habitué à ce genre de procédés ou de drames que l'auteur va

utiliser ce préconstruit. On observera des contre-exemples à cela en la

personne d'Antonin Artaud. Il semble que c'est parce qu'Artaud n'avait pas

compris le théâtre balinais, parce qu'il lui manquait le préconstruit supposé du

spectacle qu'il ne pût décoder les signes de la même façon qu'un spectateur

rompu à ce répertoire, qu'Artaud fît l'expérience, eût la révélation qu'un autre

théâtre était possible. A partir de là, Artaud décida de ne prêter aucune

importance au drame et de s'attacher seulement à une compréhension sensible

de ce théâtre, aidé pour cela par les rythmes et la richesse visuelle dudit

théâtre.2 On a la preuve qu'ici l'univers de référence est complètement décalé

par rapport au spectateur traditionnellement visé et que cela peut aussi

apporter un nouveau souffle, un nouveau genre de théâtre de l'ordre de la

sensation en l'occurrence. Dans le cas de Knock, on discerne bien que ce

préconstruit est présent dans la tête des fomentateurs de l'événement et que la

mise en scène mise surtout sur l'originalité et la nouveauté. Le spectateur est

« rêvé » comme n'ayant jamais assisté à une telle expérience et n'ayant jamais

été traité ou considéré comme il le sera. C'est la nouveauté de cette

expérimentation qui constituera l'originalité première de cette mise en scène. Il

semble même s'agir plus d'une série d'expérimentations à but de démonstration

lorsque l'on regarde la structure du document comme nous l'avons montré dans

la partie précédente. Ce que nous constatons en résumé c'est que le

préconstruit fait parti intégrante de la préparation du spectacle et que c'est

toujours par rapport à lui que va se construire son originalité.

En ce qui concerne l'arrivée, ou après-spectacle comme autre moment

1 Anne Ubersfeld, op.cit. pp.254-2552 Antonin Artaud, op.cit.

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de co-production, Ubersfeld semble dire qu'il revient au seul spectateur de clore

la représentation en choisissant, en dernier lieu, le sens qu'il souhaite lui

donner et ce à titre individuel. Il tire de l'expérience qu'il a faite des conclusions

qui lui sont propres, en adéquation avec les propositions qui lui sont soumises.

Les notes du spectateur et critique Senda Akihiko seront ainsi constitués de

remarques esthétiques concernant Knock et le nouveau théâtre qu'il propose,

de l'immixtion de la fiction dans la réalité ainsi que du changement de point de

vue que le spectacle impose aux spectateurs. On observe dans ce cas précis

que ces remarques se posent plus dans un cadre poétique et esthétique que

dans celui d'un décodage purement sémiotisant. Mais comme nous l'avons déjà

dit, il s'agit plus ici d'un témoignage individuel qui, même fait par un critique

professionnel et peut-être à cause de cela, ne peut être élargi aux autres

participants. Son article est ainsi assez court et tente de disséquer, par rapport

à la forme théâtrale orthodoxe dont il a une grande connaissance, des

différences qui le poussent à écrire, en conclusion, qu'il ne s'agit pas ici de

théâtre, ce dont nous nous préoccupons dans une moindre mesure en voulant

nous focaliser sur l'expérience du spectateur et non sur ce genre de remarques

esthétiques.

Le spectateur de théâtre est donc l'ultime destinataire du spectacle, c'est

pour lui que tout est créé, lui à qui tous les signes de la représentation sont

destinés. Dans le cas du théâtre orthodoxe, Ubersfeld souligne que le

spectateur se manifeste par d'imperceptibles signes: toux, craquements de

chaises, rires. L'adresse de l'acteur se fait toujours vers lui, explicite quand il

s'adresse directement à lui et implicite quand il est engagé dans un dialogue

avec un ou des partenaires. Dans le cas de Knock, pour souligner la présence

active du spectateur, le dialogue sera adressé au spectateur comme s'il

s'agissait d'un autre personnage qui sera convié à répondre directement. Il en

sera ainsi pour la scène La solitude de l'astronome dans laquelle les spectateurs

entrent tour à tour pendant dix minutes, dans l'observatoire de l'astronome avec

59

Page 60: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

qui ils discourent en tête à tête. Ubersfeld souligne aussi que le spectateur de

théâtre orthodoxe est lui aussi actant du point de vue des autres spectateurs.

Qu'il y a toujours un « il » qui observe en tant que témoin et c'est précisément

ce « il », voyeur, observateur qu'il nous faudra trouver dans le cas qui nous

intéresse car le théâtre est aussi affaire de collectivité. Ce n'est pas parce que

le dialogue se passe en tout intimité, dans la scène que nous venons de citer,

que ce « il » n'existe pas. Même doublé d'un dialogue, il nous semble quand

même que le spectateur comme le comédien sont aussi, tous deux,

observateurs de ce qu'ils font.

La préoccupation majeure du théâtre moderne sera ainsi de

déconditionner le regard du spectateur. Soit en l'obligeant à se retourner ou à

se déplacer soit en introduisant un observateur sur scène représentant le

spectateur en critiquant sa passivité. C'est aussi le cas de Knock bien que

l'expérience ait l'air ici beaucoup plus radicale car on critique non seulement la

passivité du spectateur mais on l'oriente afin qu'il dépasse cela et aille jusqu'à

créer lui-même le spectacle. Ce n'est donc plus un déconditionnement du

regard du spectateur que nous observons ici mais un déconditionnement du

rôle et de la place du spectateur, voulu beaucoup plus actif que dans le théâtre

orthodoxe. Il faut en revanche rappeler que Knock n'est pas le premier

spectacle à demander ces changements et que le Living Theatre avec Paradise

Now (1968) avait déjà ouvert la voie à un théâtre dit de confrontation et ainsi

largement contribué au déconditionnement de ce que nous avons appelé le rôle

du spectateur.

Dans ce paragraphe nous allons parler d'une des constantes du théâtre,

le fait que ce qui se passe sur scène ne soit pas de l'ordre de la fiction mais

qu'il s'agisse de la représentation d'une autre réalité. Ubersfeld montre en

quelques schèmes, comment se pose la question de la communication au

théâtre. Un comédien communique ainsi avec un spectateur avec pour témoin

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Page 61: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

les autres comédiens et spectateurs. Le spectateur répond alors implicitement

au(x) comédien(s) par l'identification. Le problème au théâtre c'est que ces 2

plans se chevauchent et que l'on calque un personnage sur un comédien. Le

spectateur ne se trouvant pas sur le même plan de réalité que le personnage il

ne peut alors pas lui répondre et doit pour cela s'identifier à un autre

personnage ou à lui-même investissant ainsi la totalité du dialogue1. Nous nous

arrêterons sur ces considérations pour faire une digression vers Knock.

Souvent dans ce spectacle, il est demandé au spectateur de réagir

ouvertement, en prenant le plus souvent la parole, adressée au comédien en

face de lui. En suivant les notes d'Ubersfeld, cela veut donc dire que le

spectateur s'engage dans un nouveau plan de réalité qu'il entre lui aussi à

l'intérieur de ce nouveau plan afin de faire entendre sa voix à l'intérieur de celui-

ci. On ne propose plus au spectateur de s'identifier mais d'interpréter lui-même

l'acteur dans lequel il se projetait auparavant. Cela remplace le mécanisme de

dénégation-identification décrit par Ubersfeld par un mécanisme de dénégation-

interprétation pour le moins original. En prenant réellement corps dans

l'interprétation, le spectateur partage alors avec l'acteur une mécanique, il met

un pied dans ce plan incarné par le comédien tout en échappant au paradoxe

touché du doigt par Diderot et précisé par Ubersfeld; le comédien en tant que

« surmarionnette » du metteur en scène et à la fois maître de sa propre parole.

En ce sens il aura plus de points communs avec un acteur d'improvisation,

créant le plan de réalité qu'il incarne grâce à son environnement, qu'avec un

comédien de théâtre orthodoxe. On demande d'ailleurs au spectateur lorsqu'il

échange son billet contre la carte qui lui permettra d'avoir accès au spectacle

de bien vouloir entrer dans le spectacle avec en tête un personnage qu'il

incarnera, on cite des exemples comme le Tengu de Kurama2 ou Araki Yukio3.

1 Anne Ubersfeld, op.cit. pp.257-2592 鞍馬の天狗 : lutin des bois légendaire caractérisé, dans sa forme la plus connue, par un grand nez et

une face rouge vermillon il est l'une des nombreuses créatures fantastiques du Japon, les yôkai 妖怪.3 荒木幸雄 : Cette allusion fait référence à un kamikaze mort à l'âge de 17 ans. Ce genre d'association

est typique de Terayama, ici un symbole bonhomme du Japon, le Tengu est l'une des créatures

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Page 62: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

On précise aussi que le spectateur peut ne pas suivre ces règles mais que le

fait de ne pas le faire est aussi une caractéristique du personnage qu'il

s'engage à jouer. Cela permet à la troupe, en affirmant que ne pas jouer est

aussi une manière de jouer, de se désengager totalement et de confier la

réussite du spectacle au seul spectateur. On ne peut que se remémorer d'une

anecdote citée par Terayama à propos de la pièce Paradise Now ; à un

spectateur vociférant « c'est nul ! » aux acteurs de la troupe, l'un d'eux

rétorqua: « Si c'est aussi nul que vous le dites, pourquoi ne venez-vous pas sur

scène rendre le spectacle intéressant ». Ce spectacle, comme cette anecdote

en témoigne, a beaucoup touché Terayama et inspirera la remise en question

qu'il affirmera par la suite du rôle du spectateur au théâtre.1 Pourtant nous

pensons que l'idée de vivre une expérience unique favorise le spectateur à la

vivre comme une fête populaire, la dimension artistique du projet en plus, et

donc à s'engager dans le spectacle. Ainsi la grande différence avec le

spectateur de Paradise Now semble ici le fait même de jouer en pleine rue,

apportant une liberté certaine aux participants du spectacle sans laquelle il n'y

aurait pas moyen d'exprimer clairement son engagement à celui-ci.2

Ubersfeld montre qu'un schéma d'adresse autre que celui généralement

accepté de communication direct et indirect du comédien au spectateur est

possible. En tant que spectateur on s'adresserait ainsi aux autres spectateurs

avec pour témoin, les comédiens-personnages. Cette analyse de la

communication, si elle n'éclaire pas beaucoup sur la relation comédiens-

spectateurs permet de mettre en évidence le fonctionnement de la dénégation.

On comprend ainsi que « le public est garant à la fois de la réalité de la

figuration scénique et de la non-vérité de la fiction scénique »3. Ubersfeld, pour

légendaires les plus connues, est associé l'un des plus fort signe du militarisme japonais.1 Cette anecdote a marqué Terayama qui la relate dans l'introduction de son essai, Le labyrinthe et la

mer morte.2 Il est bon de noter que le spectacle Paradise Now a plusieurs fois fini par un investissement de la ►

► rue par les acteurs et les spectateurs comme à Avignon en 1968, même si Jean Vilar s'y opposait farouchement.

3 Anne Ubersfeld, op.cit., p.259

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Page 63: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

appuyer cela se base toujours sur ce « il » dont nous avons déjà parlé.

Désignant dans ce schéma les comédiens, cette fiction serait donc l'objet d'un

consensus collectif sans lequel, les limites pourraient être très vite

transgressées. En clair, c'est parce que l'autre est là et qu'il est témoin de

chacun de mes actes que je n'ose aller sur scène rompre le quatrième mur par

exemple. Cela voudrait-il dire que dans Knock, dans des scènes comme La

solitude de l'astronome ou Maria des toilettes dans une moindre mesure, le

spectateur, seul, confronté au comédien et sans réel témoin autre que lui même

ne saurait être l'objet d'une quelconque dénégation ? Nous croyons au

contraire qu'il en est victime au même titre que s'il faisait partie d'une

assemblée, et que c'est grâce à cette dénégation qu'il peut agir librement dans

la sphère de la fiction créée tout autour de lui par les scènes en question. Il

semble n'y avoir nul besoin d'un concensus psycho-social suggéré par l'effet de

groupe pour être victime et contraint par la dénégation celle-ci peut très bien

s'opérer de manière individuelle, par le simple souhait de « jouer le jeu », chose

que Terayama avait déjà montré dans son spectacle Garigari hakase no hanzai

ガリガリ博士の犯罪 (Crime du docteur Galigali )1. Le spectacle de théâtre n'a

pas l'habitude d'inviter le public sur scène. L'exemple le plus parlant de cette

habitude semble résider dans le spectacle de prestidigitation où le spectateur

est invité sur scène pour vérifier l'absence de trucage du magicien. Son rôle est

donc bien celui d'un témoin, d'un regard neutre, ayant pour mission d'affirmer

les dires ou faits du prestidigitateur. En réalité d'aider à faire accepter au public,

à l'aide d'un nouveau paramètre, la réalité de sa magie. Il est le représentant de

l'audience sur scène et aide en fait à mieux berner l'assistance. Contrairement

à la pièce Knock il n'a pas de critique ni de rôle à jouer, il constate. Le travail

demandé par la pièce n'a donc rien à voir avec la manière dont un spectateur

est invité sur scène dans ce genre de spectacle. On lui demande de rentrer en

1 Et non Caligari comme le dit Muller, garigari signifiant « très maigre » lorsque comme ici il se rapporte à une personne. Le script de ce spectacle est présent dans, Terayama Shûji, op.cit., Vol.4, 1984

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Page 64: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

plein dans la fiction sans être un représentant du public mais pour que lui seul

puisse jouir et profiter de cette situation.

Nous venons de montrer que la dénégation, le fait de penser « c'est là,

mais ce n'est pas vrai », existe bel et bien dans le spectacle étudié. Or, l'illusion

théâtrale s'accompagne toujours de cette dénégation. Mais s'agit-il d'un

théorème ou d'un axiome ? Peut-on supposer que dès lors qu'il y a dénégation,

l'illusion théâtrale existe ? Il semble en effet que le jeu auquel se livre l'enfant

partage cette caractéristique de dénégation, le « on dirait que ce serait » relevé

par Florence Naugrette1, et qui offrirait au spectateur le plaisir de projection des

jeux auxquels il se livrait jadis. Dès lors, le problème de savoir s'il s'agit de l'un

ou de l'autre de ces plaisirs ne nous importe que peu si ce n'est du point de vue

de l'activité non seulement observatrice mais aussi créative du jeu. Auquel cas

nous préférerions définir Knock comme une orchestration de jeux divers plutôt

que comme théâtre.

Ubersfeld démontre en citant l'exemple de spectateurs des Passions au

Moyen-Age agressant le comédien jouant le rôle de Judas que ceux-ci avaient

pourtant parfaitement conscience de la fiction qu'il incarnait. L'important était ici

que rien de la fiction représentée n'atteigne la réalité dans laquelle le spectateur

se trouvait. C'est ainsi que le spectateur est garant de la frontière entre la

réalité et la fiction. De même que pour les sorcières à propos desquelles

Ubersfeld écrit:

D'elles non-plus il n'est pas prouvé que les voisins croient à la réalité ou a l'efficace de leur prétendues pratiques de sorcellerie. Mais il importe que soit effacé du champ du réel toute trace d'un espace autre. Et le théâtre est un espace autre.2

Ces réflexions nous aident à comprendre la démarche de Terayama

avec ce spectacle. C'est sur ce plan de la dénégation qu'il souhaite jouer. Car

1 Florence Naugrette, op.cit. p.602 Anne Ubersfled, op.cit. p.261

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Page 65: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

ce qu'il souhaite faire entrevoir aux habitants de la ville pendant ces trente

heures n'est pas un spectacle, mais une série d'incidents. Pour faire voir un

spectacle à tous les habitants d'une ville il faudrait d'une part, les prévenir et

d'autre part, leur demander d'être volontaire, or rien ne sera fait en ce sens par

la troupe qui ne prévient même pas les autorités de son projet, trop habituée

qu'elle est à des refus systématiques. Ce que Terayama souhaite c'est dire à

ces spectateurs involontaires que l'autre réalité qu'il tente d'introduire dans leur

vie n'a rien d'effrayant et qu'il faut composer avec. Terayama pense, avec

d'ailleurs une grande foi en l'humanité que celle-ci a évolué et qu'elle est, en

1975, capable de comprendre qu'existe ces autres réalités, qu'il n'est pas

nécessaire de repousser et au contraire que le support et la participation à ces

réalités peut être source de satisfaction. Le travail du Tenjô Sajiki agit donc sur

deux plans afin d'apporter à la foi prise de conscience et tolérance afin « qu'on

ne brûle plus jamais de sorcières ».

Ubersfeld affirme que:

l'originalité du processus perceptif au théâtre, c'est qu'il est un va et vient quasi-instantané: a) entre la reconnaissance de l'image et sa dénégation, b) entre la perception de la fiction et celle de la performance. Supprimer ou limiter un de ces deux termes, c'est limiter du même coup la productivité de la pratique théâtrale.1

Nous revenons ici aux deux plans parallèles que sont la création et ce

qui est créé : le mimétisme est ainsi toujours présent au théâtre et a une valeur

iconique mais ces deux plans, l'image de la chaise et la chaise elle-même sont,

au théâtre, confondus. C'est précisément ce que l'on va se proposer de faire

décoder au spectateur dans la scène, Tokei shônin dorosserumaiyâ no shissô

時計商人ドロッセルマイヤーの失踪 (La fugue de l'horloger Drosselmeyer). C'est

Senda Akihiko qui en témoigne le mieux et permet de décrypter l'expérience

qu'il vit tout au long de cette pièce. Sur la carte est donc situé un lieu portant le

titre de la pièce. La carte est assez approximative pour empêcher une

reconnaissance immédiate de « l'espace scénique » en question. Senda finit

1 Ibid. p.262

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Page 66: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

tout de même par trouver une vieille maison abandonnée dans laquelle on peut

voir, par la fenêtre, des horloges de tailles diverses ainsi que des détritus

jonchant le sol. Les questions qui lui viennent immédiatement à l'esprit sont les

suivantes : Est-ce le lieu dont il est question sur la carte ? Si oui, est-ce que ce

lieu a été aménagé exprès par la troupe en vue de cette mise en scène ? Il

trouvera la réponse à la première question en pensant que cette maison est la

plus susceptible de convenir à la description de la carte. Pour la seconde, il

demandera aux habitants du quartier si cette « bicoque » a toujours été là, dans

cet état, et découvrira que c'est effectivement le cas. Ici nous avons affaire à la

fictionalisation d'un objet trouvé à l'aide d'une simple indication: son titre. Ce qui

va opérer cette fictionalisation n'est rien d'autre que cela, ce qui permet aux

spectateurs de se rendre compte des mécanismes cités plus haut, à savoir, la

reconnaissance de l'image constituée ici par la recherche de cette dernière, et

ce physiquement, alors que le spectateur de théâtre orthodoxe se rend nous le

pensons, moins compte de cette reconnaissance quand celle-ci est sur scène

car elle lui est directement adressée. Ici c'est lui qui va vers. La dénégation

s'opère aussi par un engagement du spectateur qui va demander aux voisins

des précisions quant au degré de réalité de la maison et se rend ainsi compte

que seul le titre est une invention de la troupe. Il fait donc « comme si... » il

s'agissait de ce que la troupe lui en dit pour se raconter sa propre histoire, on

met ainsi bien en évidence, le principe de dénégation. La perception de la

fiction ne peut se faire en lui qu'après tout le travail de séparation fiction/réalité

effectué, et la performance est bien l'acte créatif de titrage de la troupe.

Ce que nous observons par rapport au schéma du livre d'Ubersfeld c'est

qu'ici, au lieu d'être instantanés, ces deux niveaux de reconnaissance et de

perception sont dissociés par un travail de recherche provoqué par la troupe et

le spectacle permet cela grâce à la nouvelle forme qu'il prend. Ira-t-on vérifier

en effet dans un spectacle de théâtre orthodoxe si nous sommes en présence

d'une chaise véritable ou d'une chaise factice ? Nous ne le croyons pas mais la

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Page 67: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

mise en présence directe, le consensus des autres spectateurs n'existant plus,

l'absence de membres de la troupe à l'endroit du spectacle, en quelque sorte,

le désengagement, le fait de ne pouvoir confirmer que l'on est en présence d'un

spectacle et donc d'un côté la mise en doute de celui-ci amène le spectateur à

perdre ses repères et à se poser toutes sortes de questions. On repère dans

l'expérience de Senda l'application de cette formule:

L'appareil sensoriel humain ne supporte que difficilement l'absence de rapports. En les lui ôtant, il va cherche les siens propres, se fait actif, fantasme « avec frénésie » - et ce qu'il remarque alors, ce sont – aussi éloignées soient-elles – les similitudes, les constellations, les correspondances.1

Knock semble rejoindre le théâtre orthodoxe en proposant comme lui, à

la fois un exorcisme et un exercice. La troupe semble ainsi penser que du

moment qu'elle a défini des limites de lieu et de temps à sa pièce, elle peut agir

comme dans un espace autre et peut légitimement allier ces deux buts du théâtre

orthodoxe, même si elle n'a, d'un point de vue purement légal, aucun droit. Ces

deux traits fondamentaux du théâtre orthodoxe sont rendus possibles, depuis

l'antiquité, par le principe de dénégation-identification, dont nous avons déjà

parlé plus haut. Knock se différencie du théâtre antique car ce dernier met en

exergue chez le spectateur des sentiments de pitié dans lesquels il se projette

par identification pour purger, c'est le principe de la catharsis, ses propres

pulsions et fantasmes. Knock propose un exorcisme particulier, non plus basé

sur la fable, mais sur les limites qu'il octroie au spectacle. En rendant fictionnel

trois arrondissements de Tôkyô il permet indirectement aux participants de faire

ce qui ne leur est pas permis ou ce à quoi ils ne pensent pas dans la réalité

pendant le laps de temps qu'il propose. Ainsi le spectacle entre légitimement,

au moins du point de vue de la troupe, dans des espaces intimes comme le

bain public. Il envahit la rue dans Spectateur cherchant théâtre, bref il crée ses

propres règles permettant de dépasser les lois ou consensus quotidiens sous le

prétexte de la fiction. Ce dépassement des limites ne se fait plus par

1 Hans Thies-Lehmann, op.cit., p.132

67

Page 68: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

l'identification mais par la participation, différence essentielle avec le théâtre

orthodoxe. Knock semble avoir là-dessus quelques points communs avec le rôle

social du carnaval français du Moyen-Âge. Celui-ci sous couvert du masque

que l'on portait permettait aussi aux participants de faire fi des rôles qui leur

étaient attribués dans la vie courante et, pour un temps limité, les fous

devenaient rois. Pourtant, à l'inverse de Knock, il était toléré par les autorités qui

y voyaient un bon moyen de sauvegarder la pérennité du régime, en proposant

cette soupape de décompression on permettait d'éviter des soulèvements plus

violents.1 Les troubles apportés par Knock dans les arrondissements touchés ne

sont ainsi pas à minimiser au vu du nombre d'articles de journaux qui y sont

consacrés. Nous avons ici vu l'exorcisme proposé par le spectacle, qu'en est-il

de l'exercice proposé au spectateur? Nous croyons, comme nous l'avons dit

plus haut, qu'à celui-ci est demandé de changer sa vision des choses en

prenant conscience de la part importante donnée à la fiction dans la réalité. De

ne plus rejeter la magie de cette fiction et de voir d'un œil neuf les situations les

plus cocasses, en bref de relativiser son point de vue.

Pour son école du spectateur, Ubersfeld affirme que celui-ci ne doit pas

se focaliser sur le drame ou la psychologie des personnages, comme il a

l'habitude de le faire, mais sur les aspects de la performance. Dans Knock, des

procédés sont utilisés dans ce but. Il n'y a souvent aucune fable ou intrigue

prévue au sens où nous l'entendons, constituée d'une situation initiale, troublée

par un élément perturbateur suivi d'une résolution. Ceci parce que nous

pensons que Knock pose lui-même ces scènes comme un seul élément de ce

schéma: l'élément perturbateur, perturbateur du quotidien.

1 Voir à ce sujet, Jacques Heers, Fêtes des fous et carnavals, Paris, Hachette, 1997.

68

Page 69: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

II.2. De nouveaux outils d'analyse pour une approche de Knock

Théorie de la performance

Nous ne pouvons commencer cette partie sans rendre compte de deux

conceptions posant question concernant l'art de la performance. Que le

spectacle que nous étudions dans ce mémoire fasse partie de ce courant, cela

est évident et le sera encore plus après la lecture de cette présentation. En

revanche, un certain flou nous semble encore entourer ce que l'on nomme

« performance » et l'objet de ce court paragraphe sera d'essayer de montrer les

diverses acceptions couvertes par cette expression afin d'essayer de construire

notre mémoire sur d'aussi bonnes bases que possible.

La performance semble ainsi revêtir deux grandes conceptions, toutes

deux établies outre-atlantique. Les deux ouvrages, qui nous semblent être des

références sur le sujet n'ayant été respectivement traduits qu'en 2001 pour

l'ouvrage de Roselee Goldberg1 et en 2008 pour le recueil de publications de

Richard Schechner. Si nous parlons ici de ces deux œuvres, c'est qu'elles nous

semblent prendre des directions opposées tout en ayant à cœur de traiter le

sujet qui nous intéresse. La première auteure essaie de replacer la

performance dans les mouvances connues par l'histoire de l'art, « les -ismes »,

en partant du futurisme, jusqu'au XXème siècle finissant. Le second, professeur

d'université, tente de créer une théorie de la performance en tant qu'art n'ayant

plus trait avec, si ce n'est la représentation, tout du moins la « présentation » et

donc le théâtre. Il rend ainsi surtout compte de la performance tel qu'il l'a vécue

dans les années soixante et soixante-dix aux États-Unis, Richard Schechner

ayant aussi une expérience de mise en scène avec sa troupe, The

Performance Groupe. On essaiera donc de confronter les définitions que

chacun pourra donner de ce nouveau concept.

1 Roselee Goldberg, La performance : du futurisme à nos jours, trad. de l'américain par Christian-Martin Diebold, Paris, Thames & Hudson, 2001

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Ainsi,

De part sa nature même, la performance défie toute définition précise ou commode, au-delà de celle élémentaire qu'il s'agit d'un art vivant mis en œuvre par des artistes. Toute autre précision nierait immédiatement tout autre statut de la performance même si celle-ci fait librement appel pour son matériau à nombre de disciplines et de techniques […], les déployant dans toutes les combinaisons imaginables.1

Mais est tout de même précisé:

A la différence de ce qui se passe au théâtre, l'interprète est l'artiste lui-même, rarement un personnage tel que l'incarnerait un comédien, et le contenu ne se conforme guère à une intrigue ou à une narration au sens traditionnel du terme.2

Schechner en donne une définition très différente, présentant un schéma

incluant drame, script et théâtre s'englobant de telle façon que le théâtre

contient le script qui contient le drame, la performance contenant le tout, et de

laquelle il est dit:

Performance: le cercle le plus large et le plus ouvert ; désigne la constellation de tous les événements, la plupart passant inaperçus, qui se produisent parmi les interprètes et les spectateurs entre le moment où le premier spectateur entre dans l'espace de jeu (c'est à dire la zone où le théâtre à lieu) et celui où le dernier spectateur en sort.3

Plus qu'à une différence de définition c'est à une différence de concept à

laquelle nous sommes confrontés. Ce qui est pour l'un de l'ordre d'un genre ou

d'une esthétique est contenu pour l'autre au sein d'un art lui étant préexistant, le

théâtre, et la théorie de la performance serait un nouvel outil d'analyse de ce

médium. La différence est tout à fait fondamentale puisque Goldberg s'efforce

de distinguer la performance du théâtre alors que Schechner l'inclue comme

une composante même de cet art. Ils s'accordent pourtant sur les notions d'art

vivant et il semble que tous deux définissent la performance comme tel,

1 Roselee Goldberg, op. cit. p.92 Ibid. p.83 Richard Schechner, op.cit., p.31

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Page 71: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

domaine flou auquel appartient aussi le théâtre. La première citation, on le

comprend reste volontairement indéfinie car c'est le livre de Goldberg qui aura

la charge, comme toutes histoires des arts, de remplir ce rôle d'exemplier, plus

à même d'illustrer les facettes d'un art, on le voit, difficile à cerner. La théorie de

la performance prend ses racines dans l'ethnologie et même l'éthologie, nous

emmenant à la rencontre de rites ancestraux ainsi que de certains rites

animaux.1 La performance, pour Schechner, a aussi tendance à s'assimiler à

une certaine avant-garde théâtrale, inventrice de forme2.

Appliquées à la pièce qui nous intéresse, ces deux idées semblent

correspondre. Le spectacle Knock étant en effet composé d'une multitude de

scènes, chacune se réclamant d'un style plus ou moins affirmé. Du

« happening » définit comme « quelque-chose arrivant pour troubler le

quotidien », à des formes théâtrales plus orthodoxes comme le kami shibai, ou

même de nouvelles formes inventées pour l'occasion, que dire en effet de La

solitude de l'astronome, Spectateur cherchant théâtre ou de la seconde partie de

Maria des toilettes ? S'agit-il de théâtre de confrontation3 individuel ? En tous cas

tout peut être analysé sous la forme de performance, théorisée par ces deux

auteurs. Si Salon de beauté du chat bleu correspond plus à la définition que tente

Goldberg de la performance, à savoir d'un art vivant qui ne serait pas du

théâtre, c'est à dire où interprètes et créateurs seraient les mêmes personnes,

nombre d'autres scènes font intervenir des interprètes utilisés de la même

façon qu'au théâtre. La différence fondamentale entre le théâtre et la

performance semble bien relever de l'implication du public ou du trouble que

provoque la performance face au public. Nous avons donc affaire à une 1 Richard Schechner, op.cit., pp.74-75 décrit le carnaval des chimpanzés, preuve des performances

existant aussi chez l'animal.2 Ibid. pp.291-377 Référence à son chapitre, Déclin et chute de l'avant-garde (américaine)3 Ibid. p.188, défini le théâtre de confrontation à l'image des nombreux spectacle du Living Theatre ou

la troupe cherche à provoquer, confronter, les spectateurs par différents moyens. Par exemple, dans The Brig une grille est aménagée en guise de quatrième mur pour signifier que l'action se déroule dans une prison. A certains moment les acteurs s'adressent directement aux spectateurs, les implorants de les délivrer, ceux-ci écrasés par le concensus théâtral, ne peuvent rien faire. On révèle ainsi leur passivité en déconditionnant le spectateur. Voir aussi le livre de Pierre Biner à ce sujet, Pierre Biner, Le Living Theatre, Paris, La Cité, 1968.

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Page 72: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

nouvelle esthétique ou nouvel outil pour penser le théâtre du point de vue du

spectateur. La définition de Schechner souligne d'ailleurs bien ce fait, si comme

nous l'avons vu la performance finit lorsque « le dernier spectateur en sort [du

spectacle] », alors que le théâtre désigne « ce que font les interprètes pendant

un spectacle ».1 Dans Knock on retrouve la même idée dans la scène Bus

capricieux B, et ce au mot près.

Nous souhaitons ainsi, ici, rejoindre les travaux de Richard Schechner

sur la performance pour expliquer que le schéma utilisé n'a plus rien à voir avec

le schéma dramatique du théâtre orthodoxe qui n'inclut pas le spectateur, mais

plutôt sur le modèle de l'accident ayant lieu aléatoirement en pleine rue et qui

est définit par Schechner comme tel:

Le modèle rassemblement-performance-dispersion est proprement théâtral. Ce modèle apparaît naturellement dans les milieux urbains. Un accident se produit ou est provoqué ; une foule s'assemble pour regarder ; la foule forme un cercle autour de l'évènement ou, comme dans les accidents autour des conséquences de l'évènement. La foule parle de l'accident, des victimes, des causes de l'accident de manière largement interrogative: […] l'évènement lui même est absorbé par l'action de reconstruction de l'évènement.2

Nous commenterons plus loin l'aspect immiscant de cette constatation

pour nous contenter de montrer en quoi Knock est différent du théâtre

orthodoxe dans son fonctionnement pour le spectateur. On note ainsi très bien

que la focalisation des metteurs en scènes de performance ne concerne plus

les actions des comédiens, mais celles, imprévisibles et provoquées, des

spectateurs. Il semble ainsi que la première constatation que nous ayons faite,

à la suite d'Ubersfeld, concernant le spectateur, à savoir que c'est par le

spectateur et pour lui que le spectacle existe, soit enfin prise en compte à sa

juste valeur dans le genre de spectacle que nous étudions dans ce mémoire.

Ubersfeld s'efforce de montrer l'art du spectacle en apportant cette

1 Ibid. p.312 Richard Schechner,op.cit., p.79

72

Page 73: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

assertion très souvent utilisée que dans une œuvre d'art rien n'est là par

hasard. Ce qui veut dire que tout est signifiant et appartient à un ensemble de

signes à même d'être décodé par le spectateur. Nous pourrions dire à première

vue que Terayama en utilisant trois arrondissement de Tôkyô sur une trentaine

d'heure provoque cette définition. En effet les auteurs et metteurs en scène de

Knock en surdimensionnant le spectacle empêchent cette définition de

s'appliquer. Si l'esthétique du tableau ou de la tranche de vie peut à la limite

encore répondre à cette définition, la performance ne le peut pas car son

contrôle semble échapper aux artistes. Mais ne constatons-nous pas en fait la

même démarche qu'un Duchamp par exemple, à savoir une revendication de

ne plus contrôler l'œuvre après sa réalisation après la revendication du statut

artistique de celle-ci ? C'est que nous essaierons de voir avec la théorie du

théâtre postdramatique.

Postdramatique

Nous voici donc contraint de nous tourner vers des explications

théoriques plus récentes sur ce médium qu'est le théâtre. Nous pensons ici à

un ouvrage particulier, Le théâtre postdramatique, de Hans Thies-Lehmann:

Le postdramatique n'est ni un style, ni un genre, ni une esthétique. Le concept rassemble des pratiques théâtrales multiples et disparates dont le point commun est de considérer que ni l'action, ni les personnages au sens de caractères, ni la collusion dramatique ou dialectique des valeurs, ni même des figures identifiables ne sont nécessaires pour produire le théâtre.1

Devant cette définition quelque peu ambigüe nous pensons qu'il est

nécessaire de donner quelques exemples afin de clairement entendre l'auteur.

Le théâtre postdramatique semble en effet souhaiter un mélange des arts et

des médiums. Sont ainsi qualifiés de postdramatique aussi bien les spectacles

de danse-théâtre de Pina Bausch que les mises en scènes d'un Bob Wilson

1 Jean-Louis Besson, « Postdramatique », in Jean-Pierre Sarrazac, (Dir.) Lexique du drame moderne et contemporain, Circé, Belval, 2005, p.169

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Page 74: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

comme Einstein on the Beach. Comme le relève Jean-Louis Besson: « Le texte

n'est pas exclu de ce dispositif, mais il n'est plus considéré comme le support et

le présupposé de la représentation. »1. Un exemple, dans la pièce Ricercar du

Théâtre du radeau classé par Thies-Lehmann dans la catégorie des troupes

faisant du théâtre postdramatique2 on retrouve un ensemble de poésies dites

par les comédiens et qui valent en général plus pour la beauté des images

qu'elles suscitent que pour la construction d'un quelconque dialogue. Des

troupes de divers pays sont d'ailleurs classées dans cette catégorie comme les

japonais Suzuki Tadashi dont nous avons parlé et qui est issu comme

Terayama du mouvement du Petit théâtre, ainsi que 勅使川原三郎 Teshigawara

Saburô, célèbre danseur contemporain.

Il faut d'abord faire la remarque que l'auteur de cette théorie utilise lui

aussi le terme de performance opposant cette notion à celle de représentation.

Il signale cette distinction intéressante déjà révélée par Claudel et sa célèbre

formule "Le drame, c'est quelque-chose qui arrive, le nô, c'est quelqu'un qui

arrive". L'auteur pense ques cette opposition "l'apparition au lieu de la poursuite

d'une action" définit ainsi à elle seule la différence entre la performance et la

représentation. Aussi voulons nous développer ici les idées lancées à la fin de

la partie précédente à savoir la thèse développée par Hans Thies-Lehmann et

qui serait la suivante:

Un courant de l'art moderne atteint ici le théâtre : la permutation de l'œuvre en un processus inauguré par Marcel Duchamp avec le « réel » de l'urinoir. L'objet esthétique ne possède plus – pour ainsi dire – de véritable substance en soi-même, mais fonctionne comme déclencheur, catalyseur et cadre pour un processus chez le spectateur.

Nous pensons avoir confirmé que cette thèse s'applique bien à Knock

dans la partie sur l'acteur de notre mémoire. Mais cela ne concerne pas

seulement l'acteur, d'autres éléments viennent permettre cela comme la carte,

1 Jean-Louis Besson, op.cit., p.1702 Hans Thies-Lehmann, op.cit. p.30

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Page 75: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

véritable script du spectateur ou les petits spectacles, directement tirés de cette

idée comme La fugue de l'horloger Drosselmeyer que nous aborderons plus tard

sous le regard de Akihiko Senda.

Mais le théâtre postdramatique ne se définit pas seulement comme une

façon de rendre l'évolution des arts plastiques au théâtre car sa palette

stylistique semble devoir utiliser de nombreux traits déjà présents dans Knock et

que l'on pourrait définir aussi comme ceux de l'avant-garde théâtrale telle que

la définit Schechner. Jugeons plutôt:

Le style ou plus exactement la palette stylistique du théâtre postdramatique fait apparaître les caractéristiques suivantes : parataxe, simultanéité, jeu avec la densité des signes, mise en musique, dramaturgie visuelle, corporalité, irruption du réel, situation/évènement.1

Une œuvre ouverte ?

La théorie nous vient bien sûr d'Umberto Eco2 qui, rappelons le, propose

une réflexion sur la nature des nouvelles formes d'arts et le nouveau travail

qu'elles proposent aux spectateurs aussi bien qu'aux interprètes. Mais nous dit-

il l'œuvre est forcément ouverte, « il s'agit d'une ouverture basée sur une

collaboration théorique, mentale du lecteur, qui doit interpréter librement un fait

esthétique déjà organisé », il s'agit pour lui dans les nouvelles formes d'art de

constater une différence majeure: « Dans une œuvre comme les Scambi de

Pousseur3 […] le lecteur-exécutant organise et structure le discours musical,

dans une collaboration quasi-matérielle avec l'auteur. Il contribue à faire

l'œuvre. ».

Cette définition peut-elle s'attacher à Knock et dans quelle mesure ?

Dans quelle mesure le spectateur de Knock est-il aussi producteur du

spectacle ? C'est ce que nous interrogerons dans cette sous-partie.

1 Ibid., pp.134-1352 Umberto Eco, L'oeuvre ouverte, Paris, Seuil, 19653 On peut écouter trois interprétations de ces Scambi à l'adresse suivante

http://www.scambi.mdx.ac.uk/listenScambi.html (Site consulté le 21 mai 2009)

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Page 76: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Nous avons vu que le spectateur était absolument essentiel à Knock, que

pour certaines scènes comme Human Boxing, jouer sans le spectateur n'avait

absolument aucuns sens. Pour cette scène, peut-être de la forme la plus

radicale que nous puissions apprécier dans ce spectacle on retiendra les

considérations suivantes d'Eco:

En somme l'auteur offre à l'interprète une œuvre à achever. Il ignore de quelle manière précise elle se réalisera, mais il sait qu'elle restera son œuvre ; au terme du dialogue interprétatif, se concrétisera une forme organisée par un autre mais dont il

reste l'auteur. Son rôle consiste à proposer des possibilités déjà rationneles, orientées et dotées de certaines exigences organiques qui détermine leur développement.1

Comme le disait déjà plus haut Ubersfeld, c'est le spectateur qui met un

point final à la représentation. Peut-être est-ce finalement toujours le cas ? La

grande différence et peut-être la seule qui nous permet de constater l'ouverture

d'une œuvre est le fait que l'œuvre même revendique cette ouverture. C'est à

dire qu'elle fait prendre conscience au spectateur, essentiellement par sa

forme, qu'il doit participer à l'œuvre et qu'il ne peut en être autrement. Il n'y a

pas vraiment de jouissance ici à la simple contemplation, tout ce que nous

allons bientôt relater concernant la perte de repère ou les formes très originales

empruntées par le spectacle concourent ainsi à cette poétique de l'œuvre

ouverte, une œuvre créée par les deux parties.

La question de l'ouverture de l'œuvre Knock se pose car on croit

discerner dans ce spectacle les deux niveaux de créations suscités. D'une part,

un auteur, un metteur en scène, en bref la troupe du Tenjô Sajiki, et à un autre

niveau le spectateur prévenu, celui qui a acheté son ticket, le spectateur qui se

sait spectateur. La thèse que nous posons ici est que ce spectateur n'en est

pas tout à fait un, mais qu'il interprète lui même ce spectacle en tant que

collaborateur de la troupe s'adressant à un troisième spectateur, le citadin non-

prévenu. Comme l'explique Terayama, la finalité visée par le spectacle est de

1 Umberto Eco, op.cit., p.34

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Page 77: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

gêner son quotidien à lui, et l'intérêt pour le spectateur prévenu passerait alors

au second plan. La scène de Knock nous rappelant le plus ce schéma est Salon

de beauté du chat bleu, scène dans laquelle les spectateurs sont travestis et

auxquels, il est assigné une mission, nous y reviendrons. Ici se sont bien eux

qui sont transformés en interprètes par la troupe et qui créent une forme de

spectacle alors qu'ils sortent dans la rue et que les membres de la troupe

restent cachés dans cette « coulisse » aménagée, les consignes qu'ont leur

donne sont aussi assez simples, il s'agit avant tout d'un prétexte à une

interprétation costumée.

Nous de discernons ainsi que trop bien les limites de telles

considérations. Le spectateur n'est pas l'interprète que définit Eco. Si

collaboration il y a elle n'est pas faite de plein gré et ne peut l'être car elle

supposerait du spectateur qu'il soit prévenu de tous les détails du spectacle, tel

un pianiste ayant lu, travaillé, et répété, une partition faite non pas dans un but

d'archivage, mais au contraire expressément à l'intention d'un interprète

potentiel à qui il aura pris soin d'ouvrir des possibilités au sein de son œuvre.

Même dans la scène que nous venons d'évoquer, le spectateur prévenu ne

devient finalement que le jouet de la troupe.

Knock ne correspond aussi pas à cela car ses intentions ne sont pas là.

Ni le spectateur prévenu, ni la troupe ne veulent intentionnellement

correspondre au modèle que nous venons de citer. Les organisateurs vendent

un ticket et donnent à voir un spectacle. Mais ils n'imposent en aucun cas un

pré-requis, pré-requis obligatoire à l'interprétation de la Troisième sonate pour

piano de Pierre Boulez.1

1 Umberto Eco nous dit de cette œuvre que chacune de ses parties est composé de sections que l'interprète peut jouer dans l'ordre qu'il souhaite, certaines combinaisons étant tout de même interdites.

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Page 78: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

II.3. Poétique1 de la réception dans Knock

Immixtion dans l'intimité du spectateur

La première scène sur laquelle nous souhaitons nous arrêter est appelée

Incident survenu.... Nous avons déjà parlé de cette scène, mais voudrions tout de

même ré-expliquer en quoi elle consiste. Les spectateurs sont invités à entrer à

l'adresse signifiée par le titre afin d'y voir ce qui leur semble être une

représentation. Celle-ci consiste, comme nous l'avons dit, en une série de

phrases lancées par des acteurs à l'expression la plus neutre possible, répétant

des gestes comme « plonger dans l'eau du bain » ou « se verser de l'eau sur la

tête ». L'originalité de l'expérience semble être le cadre du spectacle et

l'implication des spectateurs dans ce même cadre et ce que ce cadre du bain

public suppose. Il ne s'agit pas de théâtre invisible2, les spectateurs étant

clairement invités, par l'intermédiaire de la carte à prendre possession du lieu et

à assister à la scène.

Nous nous intéresserons d'abord aux faits relatés par Senda Akihiko:

Le jour suivant, dimanche vingt, je me suis retrouvé barbotant dans un bain public appelé « Le bain pivoine » où j'ai été témoin de la naissance du « drame » appelé « L'incident des hommes dans le bain pivoine ». Ce qui faisait que cette aventure particulière était si embarrassante était le fait que la bain était plein de clients, tous nus. Qui étaient les acteurs? Qui étaient les spectateurs? C'était impossible à dire. Des gens comme moi, qui s'était précipités pour remplir le bain à sa capacité maximum afin de voir ce que cette « pièce » pouvait être, nous sommes retrouvés, nous dévisageant avec nos voisins sans vêtements sans excitation, demandant « Êtes-vous un acteur? » Nous avons attendu ce qui semblait être un temps infini jusqu'à ce que les trois acteurs parmi nous commencent à dire leur ligne l'un après l'autre.3

1 Nous reprenons ici la définition de la poétique telle que décrite par Umberto Eco dans la préface de l'oeuvre ouverte à savoir : « le programme opératoire que l'artiste chaque fois se propose ; l'œuvre à faire, telle que l'artiste, explicitement ou implicitement la conçoit. […] Mais nous ne nous réfèrerons pas seulement au projet du créateur. Nous ne croyons pas qu'une étude de l'oeuvre doivent s'arrêter à la considération de l'objet, en excluant les façons dont il doit être consommé. Notre définition de la poétique doit envelopper ces deux facteurs. », Umberto Eco, op.cit., pp.10-11

2 Augusto Boal, Le théâtre de l'opprimé, Paris, La découverte, 2006. Le théâtre invisible créé par l'auteur de ce livre ne peut en aucun cas caractériser la façon de travailler de la troupe dans ce spectacle. Des exemples de théâtres invisibles se trouvent dans l'ouvrage mentionné. Il s'agit de faire croire dans un cadre public, en pleine rue, dans un café à la réalité d'une situation de détresse afin de faire réagir, prendre conscience à la foule s'y trouvant de problèmes de société. Boal commence ses activités au Brésil en 1956.

3 Senda Akihiko, The Voyage Of Contemporary Japanese Theater, trad. du japonais par J. Thomas Rimer, Honolulu, University of Hawai'i press, 1997, pp.59-60

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Page 79: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Senda se décrit en effet comme un spectateur ayant payé son droit

d'entrée au bain, étant allé dans la vaste salle de bain du lieu, se lavant et

barbotant en attendant le spectacle, cherchant du regard si l'un de ses acolytes

ne serait-pas, par hasard, acteur, le demandant même à certains jusqu'à

l'arrivée du spectacle proprement dit, c'est à dire, ici, l'incarnation de

personnage dans des comédiens situés au même endroit qu'eux.

La description faite de ce spectacle dans l'autre source que nous

possédons, spectacle qui, on le rappelle, n'a eu lieu qu'une fois, comme toutes

les scènes composant la pièce, est très différente car vu d'un autre point de

vue, celui de la troupe :

Le nombre de spectateurs ayant payé 75¥ mais ne se déshabillant pas pour entrer augmente, les flashes des caméras crépitent en tous sens, les clients habituels sont tous très surpris, des policiers en civil ou en uniforme se rue. Un policier en civil essaie de prendre à partie Ôno qui n'arrête pas de jouer en ne faisant que répéter « Je ne sais pas ». La police abandonne et repart. Après avoir joué jusqu'à la fin comme indiqué dans le script, ils ont été considérés comme des acteurs lorsqu'ils sont sortis ayant l'air de pouvoir répondre aux questions, ils ont seulement arrêtés de s'étirer pour s'essuyer. Les acteurs repartiront comme ils sont arrivés.

On assiste ainsi à l'arrivée en trombe des acteurs suivis de spectateurs

ne prenant pas la peine de se dévêtir et investissant la salle de bain suivis par

des policiers. Une altercation a lieu entre le comédien présent et les forces de

l'ordre, mais celui-ci fait mine de ne rien savoir.1 Devant la présence toujours

plus prégnante des spectateurs, les policiers finissent par reculer et l'acteur

présent sera ensuite seulement arrêté pour attentat à la pudeur, allant nu dans

la rue après le spectacle. La vidéo sur la site internet où nous avons eu accès à

notre e-book nous montre que les acteurs sont effectivement dans le bain, avec

d'autres clients et certainement spectateurs comme Senda, mais que de

nombreuses personnes regardent la scène par la vitre du bain, ce qui fait dire à

Sorgenfrei:

Le bain public est l'un des rares endroits restant au Japon où

1 La consigne pour les acteurs, ou plutôt pour le seul acteur présent au début du spectacle semble avoir été de répéter pour chaque question Watashi ha shirimasen 私は知りません « Je ne sais pas », p.123 du présent mémoire.

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l'on peut trouver le sens de « japonité » et un esprit communautaire que regrette de manière si nostalgique Terayama. Plutôt que de casser des murs et créer une « famille », la séquence du bain public détruit une interconnectivité prééxistante, aussi superficielle qu'elle puisse-t-être. Le résultat final de Knock peut très bien avoir été l'opposé du but recherché par Terayama.1

Elle semble ainsi déplorer le caractère violent de l'immixtion du fictionnel

dans le réel développée dans cette scène qu'elle considère à l'image du

spectacle comme une intrusion déplorable de ce que Terayama appelle « la

routine quotidienne »2, suivant ainsi la plupart des journaux de l'époque

déplorant eux-aussi le trouble provoqué par le spectacle. Cette considération

vient aussi du titre du projet annoncé. Knock signifiant « toquer » en français,

laissant entendre l'envie d'une immixtion prévenante de la fiction. Une

immixtion qui prévient, non sur son identité, mais qui s'annoncerait avant de

s'immiscer. Le spectacle semble, avec cette scène, trahir les intentions de son

titre, qui sans aucune légitimité de la part des autorités bouleverse le quotidien

des citadins, habitants de ces arrondissements. Ce que l'on oublie trop souvent

dans ce type d'analyse c'est que les fomentateurs du spectacle y ont, en fait,

été contraint. L'annonce de cette sorte de spectacle aux autorités aurait

condamné, ipso facto, le spectacle d'avoir lieu. Il faut bien voir qu'à l'époque et

dans le cadre du Japon de 1975, tout ce qui était contre-productif avait

tendance à être exclu. Terayama comme ses collaborateurs semble penser

qu'il s'agit d'un juste retour des choses, et s'octroie, de fait, une certaine liberté,

une certaine légitimité. Certes les positions de Terayama ont toujours été

tendues vers les limites du scandaleux. Le scandale est sa marque de fabrique

et l'on se rappellera longtemps le titre du critique allemand, placé au tout début

1 C'est nous qui traduisons, « The public bath is one of the few places left in Japan where one can find the sense of « Japanesness » and the old time communality for which Terayama so nostalgically longed. Rather than breaking down walls and creating « family » the bathhouse sequence destroyed a preexisting sense of interconnectedness, however superficial it may have been. The end result of Knock may very well have been the opposite of Terayama's goal. », C.F. Sorgenfrei, op. cit. pp.145-146

2 Terayama Shûji, 市街劇「ノック」上演の意見 « Knock » Théâtre de ville, opinion sur la représentation » in Journal Asahi 朝日新聞, 07.05.1975, Edition du soir.

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de son essai sur le théâtre, Le labyrinthe et la mer morte, le titre étant Hitler était

meilleur.1 Certes, ce parfum de scandale excite Terayama. Son but n'est

pourtant pas là, il semble en fait qu'en s'immisçant dans la vie privée de ces

gens, il fasse intervenir le théâtre dans un endroit incongru, en l'occurrence ici,

une salle de bain. Il signifie par là diverses choses, dont, c'est vrai, la

provocation scandaleuse qu'aucun endroit n'est à l'abri de la fiction, pas même

l'intimité du bain public. Il nous faut aussi commenter le glissement qu'il opère

avec diverses scènes de ce spectacle dont la présente. Quel est le véritable

destinataire de la pièce ici ? Sont-ce certains des spectateurs payants ayant

convenu d'un point de rendez-vous avec la fiction et entrant tout habillés dans

le bain public, prenant des photos à travers la vitre ? Sont-ce les clients du bain

public en train de se laver, nus, ou les spectateurs les ayant rejoints ? Il

semblerait en effet que se soient eux qui soient les clients normaux qui sont

visés par la troupe. Auquel cas, le spectateur payant, en fait celui qui regarde la

scène depuis l'extérieur du bain ne serait en fait qu'un collaborateur de la

fiction. Figurons nous effectivement la scène.

Dans un premier temps, le texte de performance nous indique bien que

la scène commence avec un seul comédien. S'agissant d'un bain public,

l'acteur ne peut être costumé, les maigres notes qui nous éclairent sur son

physique parle d'une barbe que les comédiens auraient pris soin de ne pas

raser. Mais il est nu comme tous les clients auprès de lui. Rien, si ce n'est le jeu

qu'il va commencer de jouer ne le différencie des autres occupants... hormis la

présence des spectateurs venus là pour le voir. Ceux-ci, comme Senda relatant

son expérience, peuvent passer pour des clients, attendant le spectacle à

l'intérieur du bain. Mais on voit, grâce aux notes de mise en scène, que

nombreux sont ceux qui, croyant peut-être que le lieu avait été loué pour

l'occasion rentrèrent en habits de ville, suivant peut-être l'acteur qu'ils avaient

reconnu on ne sait d'ailleurs comment. C'est toute cette troupe suivie d'ailleurs

1 Terayama, op.cit., Vol.9, p.226

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par les policiers, qui crée le spectacle. Nous voyons ainsi que sans les

spectateurs arrivant avec le premier comédien, l'immixtion de la fiction aurait

été beaucoup plus diffuse. Les clients du bain sont en effet décrits fuyant la

pièce pour se rhabiller, fuyant donc la fiction pour réinvestir le quotidien. Grâce

aux notes de mise en scène, nous avons donc le constat d'un semi-échec du

spectacle. Bien que rien ne semble aller dans ce sens, l'analyse se centrant en

tout et pour tout sur l'arrestation de l'acteur principal. Nous mettons en fait le

doigt sur la part de difficulté qui réside dans tout projet de cette ampleur et de

cette forme. La part du hasard est importante, et même si elle est voulue par

Terayama, il a en général pour habitude d'organiser ce hasard afin d'en faire ce

qu'il souhaite. Comme le note Muller:

Terayama fera de la notion de hasard le pivot de sa dramaturgie. Terayama est un joueur. […] il choisi toujours de « parier sur des instants de hasard ». Cependant, pour que celui-ci soit réellement opérant, il faut l'organiser « par la force de l'imagination et de la volonté ». Proposer une « dramaturgie du hasard organisé » c'est introduire de « nouveaux points de rotation » dans une réalité figée, proposer des possibilités infinies de manipulations, poser à la fois un acte perturbateur (qui fait imploser la réalité) et un acte créateur (qui ré-organise de nouveaux rapports).1

En revanche, ce que l'on ne peut critiquer, et c'est pourtant ce que fait

Sorgenfrei, c'est la façon dont ont tourné les événements à cause des moyens

mis en place par la communauté pour « protéger » ses concitoyens. Si la

plupart des spectateurs ont investi le bain public tout habillé, et font fi des

règles du lieu, c'est parce que le symbole du spectacle, le premier acteur, était

poursuivi par des policiers et est, de ce fait, repérable. Si de nombreux

exemples nous montrent en effet les préoccupations de Terayama par rapport à

son public, on ne peut jamais observer que celui-ci veut qu'il quitte la salle de

spectacle. Il ne souhaite jamais, dans tous ces projets, que le spectateur fuie.

Dans une de ses pièces en salle la plus radicale, Hérétiques, bien que tout soit

étudié pour déstabiliser le spectateur et le violenter, on prenait par exemple le

spectateur le grimait et le plaçait sur scène, on utilisait même des fumigènes

1 Mémoire de Muller, op.cit., pp.61-62

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qu'on lançait sur les spectateurs, il interdisait de quitter les lieux en plaçant

deux de ses acteurs les plus imposants devant les portes du théâtre.1

Nous essaierons de supposer comment la troupe voyait la scène en tant

que projet en cherchant à établir sa démarche première envers le spectateur.

Les acteurs devaient arriver toutes les dix minutes, et déclamer des phrases

quand il le souhaitaient. Si certaines auraient pu passer pour d'innocentes

phrases propres au lieu où le spectacle se déroulait2, on imagine qu'elle créait

déjà la fiction grâce à la neutralité de jeu demandée aux acteurs par le metteur

en scène. Celles-ci pourtant, ne sont pas violentes, elles s'immiscent

doucement dans la conversation. On imagine que le spectateur se met alors à

observer ce ou ces personnes qui commence à se faire remarquer en faisant

toujours les mêmes gestes robotisés car sans expressions. Puis les autres

acteurs arrivent, les uns après les autres, les répliques aussi se succèdent, de

plus en plus provocantes, de plus en plus lyriques. Le spectacle, ainsi construit,

semble avoir le temps d'intéresser les baigneurs. Certes, certaines paroles sont

provocantes, mais certaines images sont aussi assez riches pour faire entrevoir

un univers autre à ce spectateur occasionnel. De plus, des spectateurs payants

sont présents parmi eux et ceux-ci sont certainement, par l'engagement que

suppose ce paiement, intéressés par ce qui se passe et ne semblent pas, ou

moins, effrayés par tout cela. Le spectateur improvisé peut ainsi, pendant qu'il

se lave, assister à une scène visiblement préparée, il est par exemple précisé

que lorsqu'un acteur se met au garde à vous, tous les acteurs doivent faire de

même, ce qui nécessite une préparation visible. Même très peu scientifique, car

s'appuyant sur ce qui semble avoir été le projet de la troupe en théorie, nous ne

pouvons faire l'économie de cette description qui nous en apprend beaucoup

sur ses intentions. Tous les éléments allant dans le sens d'une préparation,

1 Voir l'entrevu relaté par Terayama entre lui-même et le critique allemand Roland H. Wiegenstein à propos de Hérétiques dans Terayama, op.cit., pp.226-229. Notons la correction de Sorgenfrei à propos de cet article qui paraît selon ses dires le 23 octobre 1972 dans Der Spiegel, alors qu'il est daté de 1973 par Terayama.

2 Comme la réplique n.45, « Où est passé ma serviette? »

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heurtant le moins possible le public déjà présent semblent ainsi réunis en

théorie dans les répliques de cette scène.

La troupe ne souhaite pas aller contre le spectateur, même occasionnel,

mais au contraire l'impliquer de la façon la plus subtile qu'elle peut sans trahir

ses intentions esthétiques de réaction. Ce n'est pas parce que certaines

répliques sont provocantes, prises au premier degré, que cette scène l'est en

elle-même. Il est vrai que les images suscitées par des répliques telles que la

réplique n.32: « Vos pieds sont crasseux, dépêchez-vous de les nettoyer! »,

peuvent choquer si elles sont adressées sans être annoncées. Ce qui n'est pas

le cas ici. Nous n'avons en effet pas affaire à une quelconque caméra cachée

trompant le citadin par son caractère réaliste. Le caractère de ces scènes est

affirmé, dadaesque ou obscène nous dit Sorgenfrei,1 mais aucune adresse

n'est directement faite aux spectateurs si on en croit le caractère neutre conféré

au jeu des acteurs. Le projet indique ainsi, quoiqu'on en dise, une certaine

prévenance théorique et un effet d'annonce en s'appuyant sur des spectateurs

respectant les règles du bain et de la représentation. Rassuré par tous ces

éléments, nous pensons que le conditionnement du public peut être suffisant

pour mettre à distance les répliques les plus choquantes aidés par le jeu des

acteurs et le rire, très certains, du spectateur prévenu sans pour autant que le

spectateur non-prévenu ne se sente lésé. Nous avons affaire, pour cette scène,

à un véritable projet d'immixtion, correspondant bien aux attentes de Knock,

mais qu'une conception rigide des règles de l'autorité a détourné puis critiqué.

Nous critiquons ici directement la prise de position des journaux qui se sont

systématiquement rangés du côté des autorités sans laisser sa place à un

spectacle, gratuit pour certains, sous-prétexte qu'il repoussait les limites de la

fiction généralement admises par la société en son sein.

1 C.F. Sorgenfrei, op.cit. p.145

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Aliénation des repères et changements de points de vue

La seconde problématique du spectacle que nous aborderons, toujours

du point de vue du spectateur est la volonté de créer des expériences pour lui

faire changer ses repères et pour affirmer que de minuscules choses peuvent

contribuer à le faire penser à nouveau son environnement. C'est la cas des

scènes Human Boxing et Bus Capricieux B. Trois boîtes de bois sont construites

toutes nourries d'un concept différent. Dans la première, très simple, que l'on

nomme Taiban 胎盤 (Placenta), on enferme un volontaire en lui demandant de

prendre une position fœtale. On referme la boîte solidement, la charge dans un

camion et on va la perdre dans un endroit éloigné. On libère enfin le spectateur.

Ce premier concept mise sur une perte de repère du spectateur. Son trajet en

camion va le conduire dans un lieu connu ou inconnu, cela dépend du

spectateur, d'où il devra partir pour se repérer. Qu'offre au juste la troupe au

spectateur de cette scène ? La position fœtale, le lieu choisi, sur un quai près

de la mer, invite à penser une renaissance de l'intéressé. Le spectateur

« accouche » ainsi de la boîte et les agents de la fable le perdent de vue. Ils ne

cherchent pas à le suivre ou à l'accompagner, mais le laisse seul, après l'avoir

libérer comme si le spectacle s'arrêtait là pour eux. Nous avons en fait

l'impression en réutilisant la définition que fait Schechner de la performance

que nous avons ici affaire à une scène construite suivant plusieurs étapes. La

démarche est de déconditionner le spectateur dans tout parti pris, en le plaçant

dans une boîte qui déconditionne son corps même de spectateur. Il est la boîte.

Il ressent et vit ce que la boîte ne peut vivre, ce qui constitue un changement de

point de vue important. La troupe procède en fait de la même façon que pour

un autre de ses spectacles, Yes:

1) On invite le spectateur à une promesse de spectacle ici appelé Human

Boxing, et l'autre Yes, il faut bien savoir que pour Yes, le spectateur était trahit de

la même façon car le lieu de rendez-vous était le théâtre du Tenjô Sajiki situé à

Shibuya,

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Page 86: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

2) On les parque dans un lieu où ils ne verront pas le paysage et sauront

seulement qu'il parcourt une destination embarquée pour l'un dans une boîte

chargée sur un camion, pour l'autre dans un bus dont on a préalablement

couvert les fenêtres afin que le spectateur ne voit pas le paysage et ne puisse

ainsi pas se repérer,

3) On délivre le spectateur dans un nouvel environnement, fictif pour Yes,

réel pour Human Boxing, et c'est bien là l'important, ce qu'a compris la troupe au

cours de son évolution.

D'un drame construit on passe avec Knock, comme nous l'avons vu, à un

désengagement de la troupe au profit du spectateur auquel il est confié de plus

en plus de clés. Le spectacle donne ici l'élan qui permettra, si le spectateur s'y

engage un minimum, son saut dans l'imaginaire. La troupe s'est, semble-t-il,

rendu compte depuis le premier spectacle hors les murs qu'était Yes des

possibilités que lui laissait son spectateur. Terayama aime à dire qu'il ne crée

que cinquante pour cent du spectacle et que c'est le spectateur qui doit prendre

en charge le reste.1 C'est effectivement ce qui se passe ici. Mais pour que le

spectateur se rende compte de ce qu'on lui demande, du nouveau travail de

spectateur qui lui est demandé, il faut le lancer et c'est précisément à cela que

sert le spectacle dont nous venons de parler. Nous ne pouvons nous attarder

sur les résultats obtenus. Ceux-ci n'ont pas été relevés, comme nous l'avons

précédemment dit. Le spectateur est-il bêtement rentrée chez lui ? A-t-il vu le

monde sous un autre angle après avoir subi cette expérience ? S'est-il senti

renaître ? Autant d'interrogations sur lesquelles la troupe ne s'attarde pas en

passant directement à d'autres essais. Il est d'ailleurs intéressant que l'on

surveille le déroulement de certaines scènes et qu'on laisse d'autres, comme

celle-ci, se résoudre sans surveillance.

Dans une autre partie de cette scène appelée Inu 犬 (Chien), on propose

1 Terayama dit qu'il crée des demi-mondes inachevés dans son essais sur le théâtre de rue dans Le Labyrinthe et la mer morte.

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au spectateur de l'enfermer dans une boîte fabriquée pour que celui-ci

embrasse le point de vue d'un chien. On a percé des trous sur le dessous de la

boîte afin que le spectateur puisse y faire passer ses pieds et des jeux de miroir

semble faire voir au spectateur le sol qui défile sous lui au fur et à mesure de sa

marche. La fonction de changement de point de vue de ce spectacle est donc

recherché comme but évident de mise en scène.

Bus capricieux A est un autre exemple de spectacle se basant sur une

perte de repère.1 On bande les yeux du spectateur et le fait monter dans un

bus. On lui décrit, comme s'il était le client d'un voyage organisé, les endroits

par lesquels il passe tout en lui interdisant d'enlever son bandeau occultant. On

le descend à quelques arrêts afin de prendre une photographie de groupe.

Quelqu'un dans l'assistance, qui est en fait un acteur, clame que le bus ne

s'arrête pas où il prétend s'arrêter, que leurs accompagnateurs leur mentent. Il

prétexte que c'est parce qu'ils ont perdu l'horizon qu'ils ne peuvent plus diriger

le bus dans la bonne direction. Les spectateurs sont laissés au stop final, sans

être prévenu qu'il s'agit de la fin du spectacle. Il est indiqué que le spectacle

s'arrête avec le dernier spectateur à quitter son bandeau.

Nous assistons avec cette scène à une perte de repère éminemment

explicite. Si l'on recense les effets produits sur le spectateur on peut voir qu'il

est tour à tour: rendu aveugle, déplacé, on lui ment, ou l'on fait croire qu'on lui

ment, il est ensuite soumis à des sons comme quelqu'un ôtant ses vêtements

sous prétexte qu'il est le voleur d'horizon et qu'il le porte sur lui. En bref, il est

manipulé jusqu'au bout et l'on pourrait très bien dire que l'expérience qu'il a

vécu ne cesse de le questionner jusqu'à ce qu'il ne reçoive les photographies

du spectacle, par la poste, confirmant qu'il a bien été victime du mensonge de

celui-ci. L'événement devient alors, comme le souligne Barthes2, intimement lié

à la mort et au « ça a été ». Ce qui souligne un événement fini, nous

1 Cette scène est traduite p111 de notre mémoire2 Roland Barthes, La chambre claire, Paris, Gallimard, 1980

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reviendrons peu après sur l'art photographique dans le spectacle afin de

préciser notre pensée.

L'expérience de Senda révèle pourtant d'un changement de point de vue

dû cette fois à la somme des spectacles. Pour lui Knock n'est pas un spectacle

théâtral. Or on pourrait lui opposer le concept d'effet théâtral tel qu'il est vu par

le théâtre postdramatique :

La réfléxion conduit à considérer que dans le théâtre postdramatique du réel, ce n'est pas en soi l'affirmation du réel qui constitue la pointe […], mais le malaise par l'indécidabilité de savoir s'il s'agit de la réalité ou encore de la fiction. L'effet théâtral et l'effet sur la conscience naissent de cette ambigüité.

On pourrait pourtant reprendre pour expliquer ce qu'il veut dire, les

considérations de Susanne K. Langer1 sur le caractère non-artistique de la

performance considérant « la percée du « quatrième mur » comme

« désastreux du point de vue artistique », parce que, comme elle le constate à

juste titre, « chacun est non seulement attentif à sa propre présence, mais

encore à celle des autres, à la salle, à la scène, au divertissement ambiant ».2

Mais Senda n'en a pas moins compris un des buts du spectacle dans son

ensemble. Comme il le fait remarquer:

Ce qui m'a semblé théâtral, ce sont les cartes pleines de puzzle, qui transformaient les rues familières en codes secrets. Encore aujourd'hui, je me souviens de la sensation qui m'habitait lorsque j'observais ces paysages jusqu'ici familiers avec un œil neuf. A ces instants, cette « théâtralité » semblait permettre à la ville de se transformer en quelque-chose de particulier et d'étrange. Ce théâtre de rue, de plus, m'a fait comprendre un nouveau sens quant à l'observation de l'environnement urbain. Ce théâtre de rue Knock était, c'est vrai, un spectacle qui donna lieu à une géographie nouvelle et imaginaire.3

1 Susanne K. Langer, Feeling And Form, New York, Prentice Hall, 1953, p.3182 Hans Thies-Lehmann, op.cit., p.1693 Senda Akihiko, op.cit., p.60, en anglais dans le texte:[What seemed theatrical to me were, […] the

puzzled-filled maps, which turned the familiar streets into ciphers. Even now, I remember the sense of freshness that my observations had as I looked on heretofore familiar sights with new eyes. In those moments, this « theatricality » seemed to allow the city to transform itself into something peculiar and strange. This « street theater », therefore, did give me a new means of looking at the urban environment. This « street drama » Knock was indeed a drama that gave rise to a new and fanciful

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Avec Senda, nous avons bien sûr le point de vue d'un spectateur

volontaire du spectacle, mais nul doute que le même effet est pu avoir lieu avec

certains passants pris ainsi aux pièges de la fiction. Yamaguchi Masao revient

lui aussi sur cette idée que c'est par la carte que nos yeux peuvent atteindre la

théâtralité, terme employé par Senda et à la fiction, terme employé par

Yamaguchi, recouvrant semble-t-il le même concept: « Par la carte, devenue

d'égale importance au script,[...] on amène une première vision [du spectacle]

en tant que réalité et une seconde en tant que fiction. »1. Terayama rejoint cette

idée dans ses dires lorsqu'il veut expliquer que c'est la répétition d'événements

extraordinaires qui crée la fiction, il dit ceci d'une de ses pièces de rues:

« lorsque la pièce Salomon : Avion à traction humaine se montre quelque-part

dans Tôkyô, on la prend, la première foi pour la réalité et la seconde foi pour de

la fiction. »2

De nouvelles formes pour une nouvelle réception

Comme nous l'avons vu subrepticement plus haut pour la photographie,

quelques autres médiums sont utilisés dans ce spectacle. Envoyer ainsi des

photographies après différentes scènes tel que Bus Capricieux B ou Salon de

beauté du chat bleu indique en effet selon nous une façon de clore le spectacle.

Depuis la prise en photo qui confère une valeur à l'instant, un surlignage de

l'importance de celui-ci, et pour la seconde scène, la fin même de la

performance. Afin de ralentir l'oubli provoqué par le temps passé après

l'expérience, la troupe aura recours à ce procédé mémoriel. Comme le souligne

encore Roland Barthes, on ne peut nier, avec la photographie que ce qui a été

photographié n'a jamais eu lieu, encore plus si l'on est soi-même le centre de

l'événement. Elle permettra de plus, un autre angle de vision du spectateur sur

geography.]1 Yamaguchi Masao, op.cit., p.365, 「地図に匹敵する台本によって、[...]一度目は現実として、二度目は虚構としてである。」

2 Terayama Shûji, op.cit., Vol. 7, p.7, 「人力飛行機サロモン」が東京のどこかに二度あらわれるのは、一度目は現実として、二度目は虚構としてである」

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le spectacle et confirmera le fait d'avoir bien participé à l'événement en

souscrivant à sa part de fiction en se voyant comme partie intégrante, comme

acteur même de cette fiction. Nous pensons que la fonction ici présentée de

l'outil photographique est vraiment pertinente et utilise à son plein potentiel ce

médium artistique, en intégrant ainsi une forme de soi à une photographie, on

entend par forme de soi une position autre que l'image routinière de soi-même

en invoquant le fait que l'on prend en photos des gens pervertis par la fiction,

les yeux bandés pour les premiers, costumés pour les seconds. A propos de la

perte de repère dont nous parlons plus haut, il nous semble que la réception,

dans la boîte au lettre du spectateur de la photographie permet un retour clarifié

sur ce qui s'y est déroulé. Nous n'incluons pas le second spectacle dans cette

idée de perte de repère, mais pour le premier, la photographie permettant la

focalisation sur un instant unique, une synthèse finale du déroulement entier de

la scène, permet de se ré-orienter sur un point précis, calibrant ainsi ses

repères autrefois pervertis. Le médium photographique permet ainsi un point de

vue extérieur alors que le spectacle a, lui, été vécu à la première personne.

Un autre médium utilisé lui aussi pour sa forme fait partie intégrante du

spectacle: la lettre. On a déjà noté la façon dont la pièce gère de nombreux

jeux avec le fonctionnement de la poste. Il ne s'agit pas d'un nouveau genre

littéraire, mais d'une composition littéraire sous forme de correspondance

chargé de faire réagir, comme un stimulus, le destinataire de ces lettres. La

lettre moderne est, il est vrai, une forme écrite invitant généralement à l'action.

On envoie une lettre pour signifier, de façon formelle, une invitation, pour

demander le paiement de tel ou tel service, la lettre est ainsi vue par Terayama

comme un début, le point de départ d'une action en devenir et c'est ce qu'il

signifie avec son théâtre épistolaire. La recherche de ces stimuli capable de

faire réagir une audience ciblée semble ainsi être un point fondateur dans la

démarche du spectacle dans son entier, comme nous l'avons vu avec la

première partie de Human Boxing.

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Page 91: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Le choix de la lettre est important pour nous afin d'essayer d'observer

quelles formes littéraires peuvent être empruntées par les auteurs pour créer

cet événement. Ainsi la mise en forme de la question, « Pouvez-vous me prêter

du feu ? » met elle en évidence la volonté d'une communication individuelle,

généralement établie sous forme de dialogue direct adressé à un inconnu. Le

fait de prendre la peine d'écrire une lettre pour formuler cette demande fait

ressortir la différence des médiums de communication explorés. Le temps de

l'écriture à la lecture suppose un projet. Une lettre est ainsi formulée bien à

l'avance quand elle concerne une demande car cette demande revêt une

certaine importance. C'est donc à une disproportion à laquelle nous avons

affaire, disproportion entre le sujet de la lettre et sa forme même. Cette

demande minime, la demande de feu, suppose une action attendue sommaire.

C'est le décalage des moyens mis en œuvre quant à cette demande qui

provoque l'étrange et le rire ou la crainte. Tout est donc question, ici, du

médium utilisé. Terayama profite ainsi des présupposés fonctionnels de la lettre

pour la détourner et lui faire jouer un rôle nouveau, prenant au dépourvu son

destinataire et le faisant réagir. On retrouve un peu les fonctions qu'elle peut

avoir dans le roman épistolaire, une sorte d'effet de réel, mais poussant ici le

destinataire à envisager la lettre d'abord comme une manifestation de la réalité

quotidienne, de ne pas avoir dessus d'à priori fictionnel. Un exemple d'à priori

fictionnel serait le fait d'aller au théâtre, qui conforte le spectateur dans le fait

que ce qu'il va y voir se déroule dans la fiction, c'est à dire dans un autre plan

de réalité où il se rend volontairement et parfaitement conscient, comme le

spectateur payant de Knock. Au contraire de cette démarche, la lettre le prend

au dépourvu et inverse sa relation avec le spectacle. Ce n'est pas lui qui va au

spectacle mais le spectacle, qui, par une forme surprenante, vient à lui. Le

plaisir de la réception d'une lettre semblant être adressée en particulier peut

faire gagner la sympathie du destinataire car, manuscrite comme les envoyait

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Terayama et les collaborateurs de cet épisode, elle suppose un effort et un

engagement personnel de son auteur. Nous retrouvons en fait ici la même

recherche d'individualité du dialogue que dans des scènes comme La solitude

de l'astronome. La troupe se sert en fait de toutes les connotations attribuées à

la lettre pour créer le spectacle au moins dans la tête de celui qui la lira. Elle ne

doute en effet pas un instant que le destinataire sera soumis, pour un temps

plus ou moins long, au questionnement. Dans la scène Inu atama no otoko 犬頭

の男 (Homme à tête de chien)1, on relèvera de plus que la troupe souhaite faire

comprendre le sérieux de son projet au destinataire en lui rappelant tous les

jours de manière insistante et avec humour, le fait qu'elle va effectivement

venir. Le spectateur qui croyait à un canular avec la première lettre se voit

préparé à l'arrivée véritable de cette fiction et ne peut manquer de fantasmer,

de rêver et ainsi de créer la fiction jusqu'à fixation de l'image avec l'arrivée

effective du personnage. L'arrivée le jour « J » d'un homme à tête de chien

demandant du feu ne répond pourtant qu'en partie à tous ces questionnements,

afin d'en créer de nouveau et faire ainsi perdurer le doute et par conséquent la

fiction. Terayama affirme en guise de conclusion, qu'aucunes des maisons

« envahies » ne refusa de prêter le feu demandé. On suppose que pour

Terayama cela signifie qu'aucune des maisons n'a refusé cette immixtion de la

fiction et qu'elles ont toutes collaboré à celle-ci en l'intégrant. Il signale tout de

même que plutôt que de faire pénétrer la fiction, par l'intermédiaire du

personnage, dans l'enceinte de leur domicile certains préférèrent leur lancer

une boîte d'allumette par dessus le mur, la tolérance serait en ce cas mitigée

ainsi que l'invasion de la fiction dans le réalité qui montrerait une certaine

résistance.

Une autre scène des quelques-unes composant le concept de « théâtre

épistolaire » a de quoi éveiller l'intérêt. Elle consiste à faire surveiller un homme

par des membres de la troupe et de lui signaler ces faits et gestes dans un

1 Présente dans nos annexes p.128

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Page 93: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

rapport concis qu'il reçoit le lendemain, cela durant une semaine. L'excellente

trouvaille de cette scène est évidemment d'instiguer une légère paranoïa chez

l'homme filé dès qu'il reçoit la seconde lettre, ne sachant pas quand le jeu va

bien pouvoir s'arrêter. L'énorme potentiel mis à nu par cette pièce est le

renversement total des codes du théâtre. L'étymologie même de ce mot, lieu

d'où l'on regarde, en grec theatron (θέατρον), défini la position d'un spectateur

par rapport à un sujet constituant le spectacle. Dans le fragment que nous

étudions ici, on créé un spectacle dont la troupe se revendique spectatrice.

L'appuie du regard presse l'homme ainsi considéré, dans tous les cas, à

changer ne serait-ce que de manière infime, sa conduite ou les activités qu'il

avait prévues. Lui aussi aimerait évidemment être spectateur, c'est à dire voir et

repérer celui qui le suit et le trouble qu'il suscite mais on ne lui en donne pas le

droit, laissant planer le doute, encore lui, afin d'exalter son imagination.

Enfin, nous aimerions ici insérer quelques passages intéressants de la

brève analyse de Yamaguchi Masao qui repère dans cette forme « unique » de

théâtre encore une chose:

L'auteur comme il le dit au tout début, s'oppose à définir le théâtre comme un conflit dualiste entre expéditeur(s) et destinataire(s), l'expéditeur devient en même temps destinataire ce qui montre une certaine originalité. La plupart du temps, à l'origine de la structure du théâtre, les témoins nommés spectateurs sont indispensables mais ici, on forme le spectacle en réduisant totalement ce rôle de scrutateur grâce au processus de trie de la poste.1

Il ajoute à cela:

Cet égo disséqué symbolisé par « je » est un thème récurrent du théâtre de l'absurde des années 50 mais, plus encore ici, le fait d'aller jusqu'à provoquer [directement] une vision distanciée [d'eux-même] chez de nombreuses

1 Yamaguchi Masao, p.366 「作者が冒頭で述べているように、ドラマというものが差出人と受

取人の二元論的かっとう

葛藤 に存在しているのに反して、差出人が同時に受取人になっているところに目新しさがある。普通、演劇は成り立ちの構造に、観客という立会い人が不可欠である

のに、そのようなものをいっさい

一切 省略して、郵便ポストや、郵便局のより分け作業というプロセスを通じて、演劇というものを成立させる。」

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personnes différentes est une chose que Terayama Shûji, poète, avait tendance à faire.1

Yamaguchi met ici en relief un des traits distinctifs de Terayama, à savoir

l'immixtion de ces principes au cœur, à l'échelle même de l'individu. Cette

distanciation apportée par le rapport sur lui-même du destinataire, car les

lettres sont signés de son nom, évoque bien entendu l'absurdité existentialiste

du théâtre de l'absurde, mais en en changeant totalement la « dramaturgie ».

Ne reste en fait plus rien du drame et juste les idées, l'influence douteuse et

inquantifiable de cette expérience que l'on provoque chez le spectateur et

l'infime espoir qu'elle ait un effet sur lui.

Pour conclure sur le théâtre épistolaire on pourrait aussi ajouter, comme

le fait encore Yamaguchi que le fait de se servir de la poste impose de se servir

d'un organisme du quotidien, une pièce maîtresse de la communauté pour

donner cette neutralité à un spectacle où le spectateur en tant que témoin, ce

« il » souligné par Ubersfeld, ne peut être que nous qui lisons le compte-rendu

du spectacle après coup, le spectacle ne mettant en fait en présence que des

actants.

Dans les nouvelles formes on peut aussi parler du dialogue ou, si l'on

préfère, de l'entretien car si dans le théâtre orthodoxe l'acteur est bien présent,

il y a impossibilité pour le spectateur de dialoguer avec lui. Voyons de quoi il

s'agit avec quelques exercices tirés de la théorie de l'acteur de Terayama:

1) (Par téléphone) parler plus de 100 minutes avec un inconnu.2) (En porte-à-porte) utiliser 100 mots pour demander à quelqu'un de vous garder un choux pendant 10 jours.3) (En 10 minutes de discussion) composer une « encyclopédie des autres » en obtenant le maximum de renseignements sur des inconnus.4) Parler jusqu'à faire admettre à un inconnu qu'il est un « crocodile ».

1 Ibid.「この「私」に象徴される自我の解体は、五〇年代不条理劇の普通的テーマであるが、それをさらに複数の別人にまで置き換えて異化してしまうのは、いかにも詩人寺山修司のやりそうなことである。」

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On le voit, ces exercices en plus d'être franchement comique ont pour

principal but d'agir comme média. Est ici confié le soin à l'acteur de faire naître

une « parole réciproque »1.

« Poison du théâtre jeté dans le corps social »2

Dans cette partie nous analyserons les scènes plus susceptibles que les

autres à impliquer le spectateur imprévu, le citadin, en leur sein. Pour ce faire

nous analyserons en premier lieu Salon de beauté du chat bleu. Nous

rappelons que cette scène investit une salle de jeu de Majong qu'elle

transforme en sorte de studio de maquillage et où elle grime les gens s'y

présentant, leur assignant ensuite une mission. Cette mission peut être « aller

boire une café au salon de thé Moka » dans l'heure qui suit, ceci grimé en

Tengu, ou « ramener un homme à chapeau » dans la demi-heure travestit en

petit chaperon rouge. Comme nous l'avons dit plus haut le rôle de l'acteur est ici

d'être un agent catalyseur du spectateur afin de transformer celui-ci. Le

glissement dont nous parlions peu avant s'observe très bien dans cette scène.

Le véritable acteur, celui qui se transforme, est donc ici le spectateur dont le

Salon serait la coulisse. On lui attribue un rôle, que la troupe lui associe en le

grimant, et on lui donne des consignes à suivre qui sont appelées kihon côdo

基 本 コード (code de base). Preuve que le spectacle le traite comme un

véritable acteur de la troupe. Il ne s'agit en effet pas d'un acteur de théâtre

orthodoxe, ce qui aurait supposé un script plus travaillé ainsi que des dialogues

préalablement écrits. Ainsi affublé cet acteur improvisé va rencontrer son

public, sans lequel il ne peut être acteur. Cet ainsi que le Tengu entre dans un

salon de thé pour boire un café. On oblige ainsi non seulement le spectateur a

jouer un rôle, mais à le jouer pour des spectateurs. Un homme déguisé en

Tengu et entrant dans un salon de thé suscite évidemment la surprise du

citadin lambda. On imagine bien que ce citadin va, après coup, parler de cela à 1 Shûji Terayama, « Théorie de l'acteur » in Catherine Muller, op.cit., p.1182 Antonin Artaud, « Le Théâtre et la peste », in, Œuvres complètes, tome IV: Le Théâtre et son double,

Le Théâtre de Séraphin, Les Cenci, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1997, p.30

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sa famille ou à ses amis. Nous nous trouvons donc bien dans une logique de

happening: quelque-chose arrive qui provoque ma curiosité et mon quotidien

routinier si bien réglé.

D'autres personnages ont pour mission d'interagir directement avec les

citadins, de les intégrer à leur spectacle. C'est le cas du petit chaperon rouge

qui doit trouver un homme à chapeau dans un temps imparti. Ce n'est d'ailleurs

pas le seul exemple d'interaction proposé par le spectacle. Une femme grimée

en serveuse de café traditionnelle doit, par exemple, se faire offrir un repas par

un inconnu. Nous pensons que se cache sous ses actions, l'une des plus

inventive stratégie d'immixtion de la fiction dans la réalité à laquelle nous

pouvons assister dans ce spectacle. En effet, plutôt que de se compromettre

elle même, la troupe transforme ce qui au départ était ses spectateurs en

agents allant pervertir le quotidien de citadins devenus malgré eux spectateurs.

Le glissement est donc total avec des acteurs devenant comme dans Human

Boxing, des accessoiristes, des techniciens au service de spectateurs

considérés comme des acteurs dont le public serait le citadin ordinaire pris au

piège par tout ce jeu. Tous collabore ainsi, on s'aide pour cela de l'implication

ressenti par le spectateur lors du paiement de son billet, pour répandre la fiction

telle une contagion dans toute la ville. En cela on peut aussi rejoindre le thème

cité dans notre première partie et que chérit Terayama, celui de la peste.

Terayama reprend d'ailleurs cette assertion dans sa théorie de l'acteur: « La loi

de la contamination est la loi de communication de l'acteur. Je voudrais donc

créer une situation théâtrale où la contamination puisse être apportée par

l'acteur comme une épidémie de peste. »1

Senda, dans le compte rendu de la pièce dont nous avons déjà parlé

nous fait découvrir l'aspect de volonté de communication mise en place par la

troupe. Dans sa description de sa rencontre avec le spectacle La fugue de

l'horloger Drosselmeyer, nous nous souvenons que pour savoir s'il s'agit d'une

1 Terayama, « Théorie de l'acteur » in Catherine Muller, op.cit., p.111

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création ou de l'exploitation d'un espace existant, Senda demande autour de

lui, aux habitants du quartier, si la maison qu'il a repérée a toujours été là. Les

habitants lui confirme ce fait et Senda repart. Nous pensons que nous pouvons

voir Senda aussi comme un agent du spectacle ici. En posant cette question

aux personnes autour de lui, il les fait douter, et plus le nombre de spectateurs

à poser cette question sera grand plus les habitants douteront. On imagine bien

alors que le doute soit capable de s'immiscer fortement dans la tête de ces

gens sous la forme: Qu'ont-ils tous aujourd'hui à vouloir savoir si cette maison a

toujours été là ? Se passe-t-il quelque-chose de spéciale avec celle-ci ? etc.

commençant ainsi à fabuler et à créer eux-mêmes une histoire autour de cette

maison, à se poser des questions dessus, questions qu'ils ne se seraient

jamais posés si l'on avait pas remis en doute le pourquoi de l'existence de la

maison. Il s'agit ici encore d'un exemple, mais nous pensons que cette

démarche est voulu par Terayama pour qui la cible première de son spectacle

est le citadin. Nous observons, de plus, de la même façon qu'avec le théâtre

épistolaire, une volonté de faire travailler l'intellect de sa cible, de la faire

fantasmer, fabuler et ainsi lui faire construire, à son tour, la fiction.

Un autre aspect collectif à lieu dans Knock, il s'agit de la rencontre des

spectateurs. Ceux-ci, carte à la main, auront tendance comme en témoigne

encore Senda, à s'identifier et à se retrouver eux-même se sentant plus effectif

en groupe pour trouver le spectacle. Une communauté de spectateurs, en petits

groupes, se forment donc et l'on imagine que cela ne passe pas inaperçu dans

le quartier que les citadins observent finalement comme conquis par toute une

population de « touristes ». Les spectateurs payants sont ainsi peut-être

considérés comme les visiteurs d'un zoo habité de ces citadins prisonniers de

leurs habitudes et qu'on leur donne à voir comme tel. Il ne faut ainsi pas oublier

que c'est à destination de ces citadins qu'opère Terayama: « les acteurs et

spectateurs de Knock n'agissent plus qu'en simples intermédiaires, le rôle

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principal de ce théâtre de rue est tenu par les citadins mêmes. ».1 s'il dessine

grâce à tout ce qu'il a entrepris un zoo, c'est pour leur faire prendre conscience

de ce de quoi ils sont prisonniers. Il faut ajouter que cette réunion des

spectateurs montre aussi du spectacle qu'il est rassembleur, qu'il est

événement social. De petites communautés de spectateurs se créent, où l'on

dialogue, discute du spectacle demande ce que l'on a déjà vu et ce à quoi on a

déjà participé. Nous ne résistons pas à insérer ici encore une anecdote de

Senda à propos d'une scène s'appelant Yon jû ni banchi no tamatsuki 四十二番

地の玉突き (Billard du numéros 42), dans laquelle les spectateurs se rendent peu

à peu compte que l'endroit n'existe pas et qu'il s'agit plus sûrement d'un jeu de

mot avec les chiffres qui sont en japonais homophones avec le mot « mort »

pour le « 42 » prononcé shini 死に ce qui donnerait en fait quelque-chose du

genre « Le billard de la rue de la mort ». Il y a ainsi interprétation, recherche de

solution et tout cela en groupe, comme un jeu auquel le spectateur participe

collectivement. Tout cela est compréhensible lorsque l'on entend Terayama

dire: « Le théâtre n'est pas un art c'est un événement social. »2 La troupe

cherche ainsi à réunir une communauté autour et dans le spectacle.

Nous constatons que cette communauté ne peut se former que de façon

ponctuelle. Dans certains spectacles, même s'il n'y a pas de phénomènes de

groupe, on pousse à la communication avec l'acteur comme dans La solitude de

l'astronome par exemple. Nous ne pensons pas, bien évidemment, qu'il s'agisse

ici d'événement social, mais du fait que l'on prend part à la fiction avec d'autres

et que cela soit souligné, même dans le cas intimiste de la scène suscitée par

une autre idée de mise en scène. Cette idée est fort simple et c'est elle qui

semble mené à l'esthétique sombre portée par le personnage de l'astronome,

seul dans sa station d'observation. Il s'agit tout simplement des punaises

1 C'est nous qui traduisons 「市街劇においては、俳優と観客とはあくまでも一つのばいかい

媒介にすぎず、その主役は「市民」なのである。」Terayama Shûji, Journal Asahi, op.cit.

2 Terayama, Le labyrinthe, Introduction

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données au spectateur entrant dans le laboratoire du personnage. Selon les

notes de mise en scène le spectateur devra placer cette punaise au mur du

laboratoire afin qu'à la fin de l'expérimentation, on voit apparaître des

constellations de spectateurs. On semble souligner avec ce procédé, le

caractère de ce Pierrot lunaire, ne pouvant vraiment voir les gens quand les

étudiant telles des étoiles.

Mais revenons à des considérations d'ordre plus formel. L'événement

social produit par la pièce a véritablement lieu dans l'inter-scène, l'entre deux

scènes. Là se construit un temps, comme se construisent d'ailleurs les

entractes du théâtre orthodoxe à quelques grosses différences près. En effet,

un entracte classique est subi et passif. On peut s'y rafraîchir mais c'est en

général un moment d'attente, de cassure du spectacle. Dans Knock, ce temps,

que nous ne ferons pas l'affront de qualifier d'entracte, a une fonction. Il sert au

spectateur à aller de scène à scène, donc à les chercher et à collaborer pour

les chercher tout en ayant l'impression qu'il fait encore partie du spectacle.

Nous notons que dans les trente heures de spectacle référencées par la troupe,

ce temps de recherche semble, lui aussi, pris en compte. L'activité sociale a

donc lieu dans cet entre-deux scènes. Scènes qui semblent avec ce procédé,

avoir des limites finalement assez lâches. Nous rappelons cette phrase

provenant du script de Spectateur cherchant spectacle: « Il s'agit en fait [avec cette

scène] d'un essai d'introduction quant au projet de dire au spectateurs que la

recherche du théâtre est aussi le théâtre. »1

Tant qu'à parler de la décomposition du temps dans la pièce faisons

remarquer ce qu'elle peut encore évoquer aux spectateurs. Trop longue la

pièce va lasser, pourrait-on penser. Mais c'est que l'on ne comprend pas

encore les implications desquels relèvent un tel espace temps. On le voit bien

le spectacle est découpé en scènes, assez courtes d'ailleurs, découpant ainsi le

temps. On a aussi révélé que l'inter-spectacle était éminemment porteur de

1 p.101 du présent mémoire.

99

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sens. Si l'on fait référence à Bernard Dort en convoquant cette courte citation:

« D'une contrainte, la durée peut se métamorphoser en délivrance. »1 celle-ci

ne peut que nous amener à penser au temps déréalisé des tragédies grecques

considérées par Barthes comme :

Associé au dénouement du temps laborieux, le théâtre installait un autre temps du mythe et de la conscience, qui pouvait être vécu non comme un loisir, mais comme une autre vie. Car ce temps suspendu, par sa durée même, devenait un temps saturé.2

1 Bernard Dort, op.cit., p.392 Roland Barthes, « Le théâtre grec » in Histoire des spectacles, Guy Dumur (Dir.), Paris,

Encyclopédie de la Pléiade, 1965, p.525

100

Page 101: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

II.4. Knock et ses idées

Un message explicite

Il nous semble que Knock présente quelques messages affirmés comme

tels par ses auteurs. Même si ceux-ci sont assez explicites au sein de l'œuvre

écrite que nous possédons, ils ne nous semblent peut-être pas très clairs pour

les seuls spectateurs. Certains ont pour but de clarifier la raison d'être du

spectacle, aussi étrange la justification puisse-t-elle être. Nous essaierons

donc d'analyser ces diverses justifications.

Nous notons pour les pièces, Bus capricieux B, Billard du numéros 42, ainsi

que Rajio ラジオ (Radio), une volonté nette de critiquer le concept « d'adresse

postale » tel qu'il est généralement vu. Une volonté de remettre en question ce

concept afin d'interroger ses fondements.

Au cours de ce spectacle on fait un parcours dans un bus qui change de position, c'est un complot pour que les passagers se changent en une famille provisoire, un essai pour montrer que l'on peut déplacer une « adresse ». Les passagers, pris dans une position qui ne cesse de se construire, font pendant cinq heure, l'expérience d'une vie de famille.1

Comme on le comprend nous avons ici affaire à une expérimentation de

la part de la troupe pour expliciter le fait que l'on va changer, tout au long du

spectacle, l'adresse où le bus se trouve donc en réalité pour expliquer pourquoi

cette scène se déroule dans un bus. On trouve, non-loin, une explication quant

au concept de la pièce:

1. Pour les citadins, qu'est-ce qu'une adresse ? Qu'est-ce qu'habiter ? Le concept « habiter » ne peut être appréhendé par une ligne dans le cadastre. Pour le citadin, l'adresse signifie simplement être à un endroit donné à un moment donné.[...]3. Au concept d' « adresse », il faut introduire celui de « temps », et ainsi faire éclater l'adresse. A midi, l'adresse Asagaya 3-1 13h, n'existe pas.

1 Traduit de Bus capricieux B 「この演劇は走行するバスを住居化し、乗客を模擬家族化するたくらみであり、「住所」をもち運び可能にする企てである。乗客は、しだいに構築されていく模擬住居の中で、五時間の家族生活を共同で体験することになる。」???

101

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4. Du côté intérieur de la « porte » se trouve la rue, se trouve la ville. On renverse ici les concepts: entrer – sortir de la maison. « Des gants blanc tiennent l'intérieur, ils deviennent noirs si on les retire. Ce montant de porte agit de la même manière que ce gant réversible. A ce moment là, la chaleur de la ville devient l'intérieur de la pièce et les quatre tatamis et demi ne constitue-t-il pas l'extérieur de celle-ci?1

Cet extrait essaie d'exprimer en des termes, il est vrai plus poétiques que

scientifiques, les idées développées par l'auteur, Maboroshi Kazuma. Si ces

constatations sont tout à fait compréhensibles et légitimes, on s'interrogera

pourtant sur leur validité dans un contexte où tout le monde comprend ce

consensus d'adresse postale. Nous pensons que Maboroshi Kazuma, en

s'adressant aux citadins, encore nommés bourgeois en France à cette époque

et avec toutes les connotations que cette expression comporte, critique ici

l'immobilisme de ses contemporains, leur sédentarité, ce que caractérise très

bien la notion d'avoir une adresse qui définit en fait une zone qui aurait pour

centre ce qu'ils déclarent comme étant leur adresse postale. On retrouve une

critique semblable de Terayama à la fin de l'acte épistolaire où il demande de

venir chercher un objet trouvé à la population d'un lotissement dans Soshite

minna ga atsumatta そして皆があつまった (Puis, tout le monde se réuni), sa

remarque est la suivante: « Dans l'espace clos du lotissement, l'intérêt pour le

monde extérieur reste-il clos lui aussi ? ».2

La proposition de l'auteur est donc d'ajouter systématiquement une

référence horaire à l'adresse indiquée, ce qui signifierait, comme il le dit, que

cette adresse n'existe que pour cette plage horaire. Ce qui implique en fait une

sorte de nomadisme ou un relevé systématique des différentes positions que

1 Traduit de Bus capricieux B 「1.都市民にとって「住所」とは何か、「住む」とは何か。「住む」という概念を土地台帳の一行と結びつけることはできない。都市民にとって、「住所」とは、ある時間そこにいるという以上のものではない。[...]3.「住所」の概念に、

「時間」の概念を導入することで、「住所」をはいさい

破砕すること。十二時には、阿佐ヶ谷南三の一の午後一時という「住所」は存在しない。4.「門」の内側は街路であり、町であった。家にはいる、家からでる__という概念を反転させること。「白手袋は、内側をつまんで引き出せば黒手袋に変わる。この門柱は手袋の折り返しのようなものだ。町の暖かさが部屋の内側で、四畳半の荒野が部屋の外側ではないだろうか。」

2 Annexe p.127

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nous occupons dans l'espace au cours du temps. On se charge ainsi d'illustrer

que le concept d'adresse postale n'a rien de concret: « si l'on relie sur une carte

les 17 adresses par lesquelles est passé le bus on obtient les lettres BUS.

(« L'adresse postale » n'est rien d'autre qu'une « figure ». « L'adresse postale »

n'a pas de réalité concrète.) »1, elle est pure abstraction, construction de l'esprit

et imagination. En montrant cela, il établit ainsi peut-être que notre vie repose

déjà sur ce type de constructions abstraites, mais très commode dans la

pratique. Il nous semble donc qu'en critiquant la rationalité de l'adresse, son but

est de montrer que nul effort supplémentaire n'est à envisager si nous décidons

de construire une « fantaisie », que cette exercice est déjà très bien assimilé

par notre cerveau lorsque ces constructions nous sont utiles. C'est sur ce

modèle de consensus collectif et imaginatif qu'il semble vouloir travailler, dans

un but non plus purement utilitaire, mais qui aurait trait à la construction d'une

vision nouvelle. Si le réel est déjà mâtiné de fiction, pourquoi ne pas en profiter

pour créer la fantaisie plutôt que pour l'organiser et l'adapter à un morne

quotidien ? C'est cette remarque qui semble constituer le fond du message que

Maboroshi a envie de faire passer.

Nous avons relevé plus haut que la troupe accordait une grande

importance au changement d'apparence, au travestissement des spectateurs

payants. Nous avons évoqués les problématiques d'introduction de la fiction

dans la réalité ainsi que de contamination collective. Nous avons aussi parlé de

la perte de repère et du changement de point de vue, mais il nous semble

qu'une fonction très simple nous a jusque là échappée. Le spectateur armé de

sa carte et auquel il est proposé au départ de jouer un rôle, ne le fait pas

instinctivement, nous en avons encore une confirmation dans les vidéos citées

au début de ce travail. Car il faut non seulement proposer l'idée de se travestir

au spectateur, mais aussi les moyens pour que ce dernier puisse le faire. C'est

ce qui est fait avec le workshop, Salon de beauté du chat bleu. On note que l'on

1 Traduit de Bus capricieux B 「「住所」は「図形」にすぎない。「住所」には実態がない。」

103

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propose aussi cet exercice par l'intermédiaire de la troisième boîte de Human

Boxing dans laquelle on enferme un spectateur. Rappelons qu'il s'agit de la

boîte nommée Chien où l'on décide de faire voir ce que voit ce chien au

spectateur. Car la troupe n'est pas seulement manipulatrice, tout se fait selon

un principe de volontariat, à l'inverse d'autres spectacles de Terayama. De

cette proposition de travestissement Kishida Rio dit ceci :

Au sein de la vie quotidienne on fait changer de peau aux spectateurs en leur faisant quitter leurs vêtements, puis porter des costumes de théâtre. Il s'agit d'une occasion de déshabillage de la vie quotidienne, le commencement d'un accident qui entraîne la perte de ce que l'on était avant. On tente ainsi de prouver un contraire possible à la vie quotidienne en ayant recours à l'instinct.

Les stratégies que nous avons repérées semblent ainsi d'abord naître

d'un souhait fort simple des auteurs. Celui d'égayer la vie des gens en leur

offrant la possibilité d'un déguisement leur permettant de les sortir de leur

routine quotidienne. Le fait de ne pas avoir relevé tout de suite cette intention,

contenue dans un message explicite, vient certainement du fait que la lecture

de la pièce en l'envisageant réellement, telle qu'elle à effectivement été jouée,

nous empêche d'en avoir cette image. En effet, l'auteur semble ici s'adresser à

toutes personnes susceptibles de venir se présenter au Salon, or les

spectateurs s'y rendant sont un minimum prévenus, grâce à la carte, de ce qui

les y attend. On suppose donc que cette phrase s'adresse aussi aux

spectateurs non-prévenus, qui seraient très certainement très bien reçus par

les responsables du workshop dans le cas où ils viendraient. Ce qui nous gêne

c'est l'affirmation que le spectacle trouble la vie quotidienne des citadins par le

fait de les travestir, car ce n'est pas comme cela que va réellement se dérouler

la scène comme nous avons pu l'observer dans notre partie sur la collectivité.

Nous savons que Knock s'adresse avant tout aux citadins menant leur petite vie

quotidienne, apportant ainsi un trouble dans cette vie bien réglée, mais ce

serait se fourvoyer que de croire que les participants actifs de ce spectacle sont

104

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ces citadins lambda. Ils le sont dans le sens où ils habitent eux-aussi la ville,

mais sont finalement volontaires et viennent au spectacle en cherchant le

divertissement et la participation à une nouvelle expérience. Ils ne savent pas

ce qui va se passer au sein du spectacle dans les détails, mais savent bien que

celui-ci dure trente heures et qu'il s'agit là d'un projet du Tenjô Sajiki, troupe

connue pour les nouvelles formes de théâtre qu'elle propose. Ces personnes

sont donc libres durant les trente heures que dure le spectacle et assez

ouvertes pour tenter l'expérience.

Nous notons ici que ce sont peut-être les formes de spectacles

proposées par les scènes de Théâtre épistolaire et Radio qui sont sans doutes

celles qui s'adresseront de la manière la plus directe à ce non-public. Radio fût

ainsi une tentative de parasitage d'informations radiophoniques et donc

susceptible d'être entendue par quiconque. Nous avons déjà parlé du théâtre

épistolaire qui semble avoir été la forme la plus aboutie pour arriver à toucher le

non-public. Il s'agit ainsi de distinguer dans les intentions exposées par les

auteurs et les metteurs en scène, la théorie de la pratique et à observer du

point de vue pratique comment ces scènes ont réellement fonctionné.

Volonté politique ou envie esthétique ?

Nous posons la question de savoir si les critiques révélées ci-dessus

peuvent constituer une vue politique. Alors que cette question est essuyée d'un

revers de main par Catherine Muller dans son non-moins excellent exposé du

cas Terayama et surtout de son théâtre,1 il nous paraît, à nous, légitime de

nous interroger sur le caractère idéologique de celui-ci. En effet, au vu des buts

analysés dans la partie précédente, nous pouvons relever quelques

préoccupation de Terayama pour ses contemporains, même si on classe plus

volontiers ce dernier dans la catégorie des auteurs parlant d'abord de leurs

propres problèmes pour les transcender : la problématique de son rapport à la

1 Catherine Muller, op.cit., p.37

105

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mère, une société de laquelle il décide volontairement de se trouver en rupture

de ban, nous ne pouvons que constater ses vues sur la société et sa volonté de

changement de celle-ci. Quant à savoir si cette volonté laisse place à une

idéologie nous verrons ce que nous pourrons en dire. Comme nous le disions

au départ nous avons trop entendu que Terayama était un auteur non-

idéologique, sans réelle preuve de cela. C'est pourquoi il nous paraît important

d'en apporter ici.

On relève dans la pièce Knock une volonté première de changer l'espace

de la société quotidienne dans laquelle les citadins évoluent. En premier lieu, il

y a ainsi condamnation de cette espace à but utilitaire. Si la pièce investit, par

exemple, les égouts de la ville, c'est bien pour montrer que la fiction peut

prendre cours n'importe où, mais aussi pour déréaliser des endroits de la ville à

vocation utilitaire dont on ne sait finalement rien et dans lesquels on pourrait, si

on le voulait croire en une fiction pouvant s'y dérouler. Créer une pièce se

passant dans les égouts, comme l'est Pavillon hospitalier souterrain, même si le

spectateur ne peut accéder qu'à la partie émergée du spectacle, participe à

cette déréalisation. Le fait d'ailleurs de ne pouvoir accéder à la partie de la

pièce se déroulant effectivement dans les égouts participe aussi au fantasme

d'un spectateur imaginant alors ce qui pourrait bien s'y dérouler. Cette

déréalisation du lieu revêt les mêmes propriétés que celles révélées par l'auteur

anonyme de la postface du e-book en notre possession qui relève un des

slogans écrit sur les murs de Nanterre en 1968, « Sous les pavés, la plage ». Il

s'agit ici du même principe, d'un même rêve d'une autre réalité sous la surface

pratique quotidienne, dans le sens où l'on posait des pavés pour faciliter la

circulation des chevaux, comme on pose du goudron aujourd'hui pour faciliter

celle des voitures, alors que le rêve et l'exotisme humain appellent le sable qui

serait bien évidemment beaucoup moins pratique. C'est aussi cette part de rêve

érigée en slogan que réclame le spectacle.

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Nous relèverons deux citations de Terayama que nous trouvons riches

de sens concernant son engagement. Nous avons déjà dit qu'il avait en effet

écrit, « Le théâtre n'est pas une activité artistique mais un engagement social. »

et « Le véritable objet du théâtre, c'est de changer la société civile. »1 De ces

affirmations on distingue d'abord l'importance de l'engagement qu'elle suscite.

Ainsi que le primat accordé à la société au dessus de l'art, considération

étonnante pour un artiste. Nous avons abordé en ce début de mémoire les

implications mythiques conférées au théâtre par Terayama et sa volonté de

retrouver un temps mythique. Nous sommes pourtant restés très simple dans

nos explications et demandons aux lecteurs de se tourner vers celles plus

concises déjà fournies par Muller et Sorgenfrei sur ce sujet. De plus, comme

nous l'avons précédemment dit, les traces de ce « retour aux sources » sont ici

très peu visibles, Terayama exploitant un vocabulaire visuel plus contemporain.

Dans sa forme le spectacle se pose donc comme l'un des plus ancré dans son

époque, s'opposant ainsi à la plupart des autres œuvres de Terayama

convoquant un passé ésotérique comme Cache-Cache Pastoral ou le spectacle

Hérétiques. Pourtant cela ne veut pas dire que son rôle de leader d'une certaine

génération s'amenuise et l'on peut comparer ce spectacle avec d'autres œuvres

très revendicatrices comme Jetons les livres et sortons dans la rue. Terayama

s'attribue toujours ici un rôle de chaman, de magicien faisant croire à la société

à ses pouvoirs surnaturels, en l'occurrence ici la mise en désordre totale de

quelques arrondissements de Tôkyô. Au contraire, peut être moins engoncé

dans tous les codes esthétiques qui caractérisent son style actualise-t-il cette

image de magicien qu'il a beaucoup travaillé en se défaisant d'une partie de

ces oripeaux esthétiques. Toujours est-il que ses choix ne sont pas innocents

et notre idée constitutive est qu'il ne provoque pas tout ce remue-ménage sans

quelque-chose derrière la tête. Nous avons passé la majeure partie de ce

mémoire à répondre à la question des intentions des auteurs, et nous

1 Terayama, le labyrinthe, Introduction

107

Page 108: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

demandons maintenant si ce spectacle ne revêtirait pas une portée politique et

donc un discours idéologique. Mais le discours ne suffit pas pour donner à cette

œuvre une portée idéologique. Pour qu'il y ait idéologie, il faut que se cache

derrière ce discours un système cohérent ou non, mais à la logique interne

certaine. Des aventures théâtrales comme celle du Living Theatre montrent une

vie en communauté, une troupe vivant par et pour elle-même de façon quasi-

autarcique. Les idées politiques de Julian Beck et Judith Malina sont aussi bien

connues. Il est vrai que dans la situation de l'époque, ce fond de l'air encore

empli du souffre des années soixante, la tendance à la radicalisation était

compréhensible, surtout lorsque que l'on se trouvait en rupture de ban, et que

l'on était membre d'une troupe d'artiste. Nous avons parlé de Schechner plus

haut et il est intéressant de voir ce que pensait de lui Terayama.

Nous savons en effet que Terayama connaissait et n'appréciait pas le

travail de Richard Schechner comme le souligne Catherine Muller, analysant le

chapitre concernant l'acteur dans son mémoire:

Les charlatans: Terayama vise d'abord Richard Schechner (metteur en scène new-yorkais, directeur du Performance Group) qui, sous prétexte de libérer les acteurs de l'oppression sociale, se livre sur eux à une sorte d'« escroquerie hypnotique », en utilisant la transe pour leur imposer un autre type d'oppression d'ordre sexuel (hystérie, accouplements,...). Les acteurs s'y prêtent en opérant une sorte de « détournement d'eux-mêmes », un « camouflage à moitié inconscient », de leur individualité. Ils se prête à l'illusion du narcissisme comme instrument de libération ». Cette manipulation « leur fait perdre la notion même de liberté1.

Nous rejoignons Terayama à la lecture de certains exercices de

Schechner dans lesquels les acteurs doivent par exemple se lécher les uns les

autres. Cela n'est bien sûr qu'une illustration anecdotique du travail de

Schechner, mais nous relevons dans ses propres écrits des facteurs qui

pourraient l'avoir poussé à exercer le contrôle que lui reproche Terayama, à

savoir, plus particulièrement, des facteurs sociologiques entraînant la jeunesse

1 Terayama, « Théorie de l'acteur » in Muller, op. cit. p.113

108

Page 109: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

de l'époque vers une quête de repères, celle de la vague contre-culturelle des

années soixante1, dont il aurait très bien pu se servir, même inconsciemment. Il

n'empêche que son travail de théoricien de la performance nous a permis de

comprendre bien des aspects de Knock, et nous n'avons étudié son travail de

mise en scène que dans un but théorique pour l'analyse de ce spectacle.

Nous ne savons que peu de chose sur l'engagement de Terayama par

rapport à sa position quand au traité de sécurité, ou ses opinions politiques.

Nous savons que dans une interview relevée par Sorgenfrei et provenant d'un

journal japonais les deux opposés qu'étaient devenus Mishima Yukio et

Terayama eurent un dialogue qui tourna vite au comique. C'est que Terayama

avait depuis longtemps compris le radicalisme ou se terrait Mishima et ne

pouvait le suivre dans cette voie. Mishima, impassible, continuait de disserter le

plus sérieusement du monde sur l'état de la société nippone, la guerre du

Vietnam (il allait finir par se suicider quatre mois plus tard), alors que Terayama

se moquait de lui ouvertement et finit même par lui proposer un spectacle

monté par le Tenjô Sajiki dans lequel il devrait faire des flexions avec les

muscles très bien sculptés de la partie haute de son corps.2 Mais est-ce une

preuve du désintérêt pour la pensée politique ou pour la pensée politique telle

que présentée par Mishima, nous avons tendance à accorder crédit à la

seconde hypothèse.

En étudiant ce spectacle on pourrait se demander s'il a une portée

politique. Plus généralement la « performance » a-t-elle plus de portée politique

que le théâtre. Nous nous aiderons ici de Thies-Lehmann et de sa brillante

analyse de cette question pour tenter d'y répondre.

Il rappelle d'abord que la performance a depuis le départ été appelée

1 Voir à ce sujet, Christiane Saint-Jean-Paulin, La Contre-culture : Etats-Unis, années 60 : la naissance de nouvelles utopies, Paris, Autrement, 1997

2 Mishima Yukio(三島由紀夫)et Terayama Shûji, « Eros peut-il devenir un lieu de résistance? »

「エロスはていこう

抵抗 の拠点になりえるのか」 in Ushio 潮 (La marée), juillet 1970, pp.144-155

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happening, sous entendant que quelque-chose arrive, venant troubler le

quotidien. On relève ainsi cette note dans les notes de mise en scène de la

pièce Pavillon hospitalier souterrain: « Le sujet de la scène Pavillon hospitalier

souterrain est « Comment insérer un corps étranger dans le paisible quotidien

que représente le lotissement? ».1 Note qui donne une vision de la pièce

effectivement assez proche du concept de happening. L'auteur relève que ce

dernier est parfois pris comme un acte de protestation politique mais qu'il n'en

est rien, il s'agit juste d'amener ce corps étranger dans la routine quotidienne,

encore des mots affectionnés par Terayama lorsqu'il décrit Knock, et d'observer

ce qui se passe. Ce « something happened » est nous dit-on encore:

« théâtralisation comme interruption et/ou déconstruction - « l'objet de la

recherche : la faille dans le déroulement » ».2 Est précisé comme nous l'avons

dit que les formes ayant ouvert la voie à cette esthétique, comme le Living

Theatre, étaient bien souvent marquées par des « appels politiques »,

« démarches inhérentes à une révolution culturelle ».3 Mais le but du happening

a toujours été de rechercher avant tout « la présence et les chances de

communications » plutôt que les « actions représentées ».4 Comme toute

avant-garde il s'agissait aussi d'un moment de « confrontation » avec le public,

afin de changer « comme le disaient les formalistes russes, sa perception

automatisée ».5 Mais après avoir réussi, ce combat, après avoir ne serait-ce

qu'un peu modifié cette perception, la performance atteint alors son vrai but,

dépassant cela, en créant une « production d'auto-réflexion et d'auto-

expérimentation de tous les participants ».6 Nous nous devons de conclure

cette démonstration avec la question que se pose alors Hans Thies-Lehmann:

1 Notes de mise en scène de Pavillon hospitalier souterrain, 「地下病棟においての課題は、”団地に

代表されるような、へいおん

平穏無事な日常の中に、いかにして異物を挟んでいくか”と伝うことであった。」

2 Hans Thier-Lehmann, op.cit., p.1663 Ibid.4 Ibid.5 Ibid., p.1676 Ibid.

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Page 111: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

La question doit demeurer entière de savoir si s'exprime ici une dépolitisation passagère, une résignation efficace à court termes seulement, ou bien alors un changement dans la conception de ce que peut-être le politique au théâtre.

Mais Lehmann tend ici à définir une ligne stylistique du théâtre

contemporain. Il ne s'intéresse pas à un seul spectacle, mais à la discipline du

théâtre dans son ensemble. Aussi peut on essayer de discuter cela par rapport

au spectacle précis que constitue Knock. Un article de Terayama dans le journal

Asahi (édition du soir) daté du 7 mai 1975 devrait nous y aider:

Le théâtre contemporain est isolé de la société réelle en tant que fiction bien délimitée dans un « établissement » appelé théâtre. Ce n'est déjà plus de la réalité en soi mais une « substitution » recopiée de la réalité qui perd ainsi le dynamisme d'une [possible] réforme de la réalité.1

Cette article nous conforte dans l'approche purement esthétique que

Terayama fait de son théâtre. Nous pouvons y lire que ce qu'il cherche ne se

trouve pas tant dans le politique que dans l'esthétique. Sa principale

préoccupation est très bien illustrée ici, il s'agit de la recherche d'un certain

dynamisme, de cette vivacité que confère le réel à la fiction. Ce n'est pas tant

qu'il souhaite révolutionner la réalité comme il le dit pourtant, mais c'est la force

qui se dégage de cette idée qui constitue en fait son esthétique dans ce

spectacle. Ainsi, si la confrontation avec le réel, s'impose à lui, rappelons que

se sera la raison principale pour laquelle il fera du théâtre et non du Butô, c'est

parce qu'il pense que cette confrontation est utile pour le dynamisme, la fureur,

la confrontation à l'interdit qu'elle permet de générer, ce qui vivifie l'intérêt du

théâtre aux yeux de Terayama. Ains'il rejoint Lehmann qui fait remarquer qu'à

la différence de terrorisme la performance n'agit pas dans un but autre mais

pour elle même et est de cette façon « afformativ » et pas simplement

1 Terayama Shûji, op.cit.,「現代の演劇は、完結した虚構として現実社会からかくり

隔離され、劇場と

いう「しせつ

施設」の中にふう

封じこめられている。それはすでに、現実そのものではなく、現実を

複製化した「だいよう

代用ひん

品」であり、現実変革のダイナミズムを失ってしまっている。」

111

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performative.1

1 Hans-Thies Lehmann, op.cit., p.283

112

Page 113: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Conclusion

Le spectacle que nous venons d'étudier est un des plus fertiles et des

plus dynamiques dont nous ayons jamais entendu parler. Son potentiel est

énorme et il suffit de parler à quelques personnes de ce qui a eu lieu, de la folie

qui régna en ces 19 et 20 avril 1975 pour éveiller l'intérêt. La position de

l'œuvre est marquante et fait aussi question. Comment un si gigantesque

spectacle a pu avoir lieu sans autorisation d'aucune sorte ? Comment en ces

beaux jours d'avril les comédiens ont ils prit les armes de la fiction et sont ils

sortis dans la rue, en bataille contre le réel ? C'est un peu cette histoire que

nous avons voulu raconter dans ce mémoire. Il nous a paru important aussi

d'éclairer dans une moindre mesure, le spectateur occidental sur les actions qui

ont eu lieu en ces jours, peut-être pour redonner confiance à des institutions

théâtrales sclérosées retirées dans leur magnifique théâtre à l'italienne comme

figé dans le temps. Ne nous y trompons pas, il se passe des choses aux

théâtres, le drame a encore de beaux jours devant lui tant que de magnifiques

auteurs continueront à écrire pour ce médium. Mais ce temps de la

performance semble bien révolu. A qui la faute ? A l'espoir de changement,

mort dans l'œuf dans les années soixante et début soixante-dix ?

Terayama, lui, ne semble jamais avoir perdu cet espoir. Peut-être est-il

mort trop tôt pour cela et même si l'on a taxé certains de ses spectacles de

plus confortables, à la fin de sa vie, c'est parce qu'il fallait aussi financer des

projets exubérants comme Knock. Le style Terayama fût ainsi recherché et on

lui commanda des pièces dans lesquels il recyclait ses thèmes et son

esthétique.

Terayama fait ainsi bien partie de l'histoire de la performance même si

son travail reste encore méconnu. Nous avons essayé avec ce mémoire de le

replacer au sein de cette histoire en parlant de ce spectacle éphémère. En effet

dans les deux travaux principaux sur Terayama, ceux de Sorgenfrei et Muller,

113

Page 114: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Knock : Théâtre de ville ne semble pas être bien connu et fait l'objet de

descriptions imprécises et fausses. C'est aussi grâce au formidable document

sur le spectacle que nous avons pu clarifier ce qui s'y était effectivement

déroulé.

Nous avons donc abordé dans ce mémoire quelles étaient les intentions

esthétiques et poétiques de Knock à travers un cheminement qui nous a conduit

à situer en premier lieu les bases théoriques de la figure centrale que constitue

Terayama dans ce spectacle et sa place, largement à l'écart de ses

contemporains mais partageant tout de même avec eux, la même envie de

reconstruction culturelle après une guerre ayant détourné la plupart des

symboles japonais afin de les pervertir dans un but identitaire et rassembleur.

Après cela, nous a semblé utile de décrire les éléments récurrents

propres au théâtre afin de voir où se situait Knock par rapport à eux. Ce qui

nous a amené à expliquer différentes théories sur l'art du spectacle, afin de

nous intéresser à la question principale de Knock, à savoir sa relation avec le

ou, comme nous l'avons vu, les spectateurs. Est d'ailleurs à noter cette envie

d'inclure le non-public, une question encore très largement étudiée de nos

jours.

Nous avons donc tenté dans un premier temps de nous focaliser sur les

mécanismes du spectateur de théâtre orthodoxe afin de voir s'ils pouvaient

s'appliquer ou non au spectateur de Knock. Cette question semblait essentielle

afin d'appuyer nos hypothèses sur des bases scientifiques solides quant à la

participation du public. Après une description des théories principales nous

ayant aidé à construire notre travail et à soulever d'autres questions, par

exemple celle de Knock en tant qu'œuvre ouverte, nous nous sommes attachés

à décrire la poétique du spectateur envisagée par les auteurs de Knock. Nous y

avons décelé des buts de déconditionnement, d'un appel à une collectivité, la

création de nouvelles formes de théâtres afin d'envisager un nouveau rapport

114

Page 115: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

au spectateur. Finalement, nous nous sommes demandés si les buts des

auteurs ne relevaient pas plus de la politique que de l'esthétique en analysant

quelques messages explicites des auteurs de ces scènes, critiquant la société,

mais ne proposant guère de solution à part une prise de conscience des

consensus dans lesquels vit le spectateur et la création d'un espace-temps

récréatif avec ce spectacle. Nous essayons finalement de décrire la thèse de

Terayama dans ce spectacle, à savoir que l'art ne peut que bénéficier,

esthétiquement parlant, d'un dynamisme accru lorsqu'il est confronté au réel.

Cette pièce nous apprend des choses sur les possibilités restant

largement inexplorées de l'art de la performance. On se pose ainsi la question

de l'interactivité du théâtre ainsi que de l'art contemporain en général. Pourquoi

cette communication sur le vif est-elle de nos jours remplacée par une interface

souvent informatique comme si l'appui d'un bouton suffisait à donner cette

dimension interactive. En d'autres termes, ses essais d'interaction sont-ils en

regression aujourd'hui par rapport aux années soixante et soixante-dix. C'est

aussi la question que pose Knock : Théâtre de rue à la lumière de notre

modernité.

115

Page 116: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Résumés

Nous avons ici étudié Knock : Théâtre de ville, spectacle du Tenjô Sajiki,

dans sa relation au spectateur, but ultime de ce spectacle. Nous verrons

développées ici les différentes problématiques que ses scènes entretiennent

avec « leurs » spectateurs. Knock engage en effet le discours avec le non-

public, donnant le « premier rôle » aux citadins grâce à une expérience

théâtrale investissant son quotidien. Dans un même temps le spectacle

suppose de ses spectateurs payants une collaboration à cet essai de

fictionnalisation du réel. Par ses formes très diverses Knock propose de plus

d'intégrer de nouveaux éléments dans la définition de ce que l'on appelle le

théâtre, le diversifiant et lui amenant un nouveau dynamisme esthétique plus en

prise avec le réel.

We considered here, Knock : City Theater, by the Tenjô Sajiki, in its

relationship with the audience, ultimate goal of this show. We will see the

different problematics of the relation between those scenes and

their« spectators ». As a matter of fact, Knock engages a dialogue with the

« non-public », giving the city-dweller the « leading part » of this theatrical

experience, interfering with his everyday life. In the same time, the show asks

from the spectators who have paid to collaborate with this attempt to fictionalize

reality. Taking many new forms, Knock proposes to integrate new elements in

the definition of what we call theater, diversifying it and bringing a new aesthetic'

dynamism more in phase with reality to the genre .

この論文では、 天井桟敷市街劇「ノック」について、 観客との関係性

116

Page 117: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

という演劇における究極の目的について考察する。「ノック」の 観客と場面ご

とに対峙する様々な問題提起を説明・展開していく。「ノック」では、日常生

活を取り囲む劇場体験によって市民に「主役」を与えるが、それにより 非観客

(ノン・ピュブリック)も言葉を持つことになる。また、同時に、このノック

の劇では観客に現実の虚構化の試行に協力してもらうことが想定されている。

ノックは様々な形式によって、演劇という定義の中で新しい構成要素を組み込

み、現実に密接に結びついた美学のダイナミズムを創っている。

117

Page 118: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Bibliographie

I. Sources primaires

La source principale constituant le corpus de ce mémoire est le livret du

spectacle, dont le téléchargement payant est possible depuis l'adresse :

http://www.dotbook.jp/dotbook/details.php?id=tm02004 (Consulté le 24

mai 2009)

Les références du e-book sont les suivantes :

TERAYAMA Shûji 寺山修司, Eizô Gallery, Shigaigeki “Nokku” daihon 映

像ギャラリー、市街劇”ノック”台本(Gallerie d'images, Texte de « Knock »

Théâtre de ville), Tôkyô, Voyager, 2005.

Cette compilation de 18 scènes ayant constituées la majorité des événements

construit par la troupe dans le spectacle n'est pourtant pas exhaustive comme

le suggère Senda Akihiko en parlant d'un autre spectacle non présent ici. Il

présente néanmoins la plus complète source de renseignement sur ce

spectacle.

Des vidéos tournés pendant certains événements du spectacle sont diffusés à

l'adresse suivante :

http://www.t-time.jp/Terayama/main.html (Consulté le 24 mai

2009)

Comme nous l'avons dit les descriptions faites dans un autre livre nous ont

aidés à nous faire une image de certaines autres scènes :

SENDA Akihiko, The Voyage of Contemporary Japanese Theatre, trad.

du japonais à l'anglais par J.Thomas Rimer, Honolulu, University of Hawai'i

Press, 1997

Traduction d'un livre du critique de Senda Akihiko regroupant des articles faits

par ce dernier dans des revues spécialisées dans le théâtre. On a la chance d'y

118

Page 119: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

trouver parmi d'autres spectacles intéressants la critique de Knock et ainsi de

pouvoir avoir un point de vue de spectateur sur cette oeuvre.

119

Page 120: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

II. Sources secondaires

Sur et de Terayama Shûji

En japonais

TERAYAMA Shûji 寺山修司, Terayama Shûji no gikyoku 寺山修司の戯

曲 (Pièces de Terayama Shûji), Tôkyô, Shichôsha, 1983-1989

Ces neuf volumes regroupant toutes les pièces et les essais sur le théâtre de

Terayama lui-même nous ont beaucoup aidés à comprendre sa démarche. Le

spectacle Knock n'y figure pourtant pas à l'exception de petites parties telle le

script du kami shibai. Nous avons été plus particulièrement intéressé par ses

essais, même s'il y mêlait beaucoup de ses pièces ou de ses exercices, en

particulier Provocation liée au spectacle de rue (gaitô engeki ni yoru chôhatsu 街頭

演劇による挑発), qui concerne donc le théâtre en extérieur.

En anglais

SORGENFREI Carol Fisher, Unspeakable Acts, The Avant Garde

Theater of Terayama Shûji and Postwar Japan, Honolulu, University of Hawaii

Press, 2005

L'une des premières références occidentales sur Terayama avec un travail

important fait sur la relation entre une analyse typiquement japonaise de la

psychologie de l'auteur et son oeuvre.

En français

COURDY Keiko, Terayama Shûji, soleil noir du théâtre contemporain

japonais, Mémoire de maîtrise d'études théâtrale, Paris 3, 1991

Un éclaircissement en français sur l'ensemble de la carrière théâtrale de

Terayama rédigé par une étudiante qui fût membre de sa troupe. Une vue

d'ensemble assez générale de l'oeuvre s'attachant à décrire son oeuvre de

manière exhaustive.

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Page 121: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

MULLER Catherine, Entre mythe et modernité, l'acteur dans le théâtre de

Shuji Terayama, approche anthropologique, Mémoire de DEA, Etudes théâtrales,

Paris 3, 1997

Une approche en profondeur et dans le cadre d'une remise en perspective de

Terayama au sein de l'histoire du théâtre contemporain, une profonde analyse

sur sa théorie avec en annexe une traduction de sa théorie de l'acteur. Un

travail essentiel qui replace ce dernier aux côtés de Grotowski et du Living

Theater.

Sur le théâtre japonais

En japonais

MATSUOKA Shimpei 松岡心平, Nô tte, nani ? 能って、何?(Le nô, c'est

quoi?), Tôkyô, Shinshokan, 2000

FUJITA Hiroshi 藤田洋, Kabuki handobukku 歌舞伎ハンドブッく(Kabuki

Handbook), Tôkyô, Sanseido, 2002

SHIRASU Masako 白洲正子 , YOSHIKOSHI Tatsuo 吉越立雄 , O nô no

mikata お能の見方(De la manière de regarder le nô), Tôkyô, Shinchôsha, 2002

Nombreuses photographies légendées faisant correspondre la réplique ou la

signification du geste à l'image.

En anglais

LEITER Samuel L.(Dir.), Japanese Theatre and the International Stage,

Leyde, Brill, 2000

SENDA Akihiko 扇田明彦、Nihon no gendai engeki 日本の現代演劇 (Le

théâtre japonais contemporain), Tôkyô, Iwanami, 1995

Ouvrage très complet sur le théâtre japonais contemporain écrit par un critique

ayant vu des milliers de pièces, Senda Akihiko. Il fût très proche de Terayama

ainsi que de grands noms de la mise en scène de ces années-là. Sa vision sur

l'évolution du théâtre, retracée ici, a été d'une grande utilité pour notre travail.

121

Page 122: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

ROLF Robert T. and GILLESPIE John K. (dir), Alternative Japanese

Drama, Honolulu, University of Hawai'i Press, 1992

Cet ouvrage permet de découvrir des pièces sinon inaccessibles au lecteur

occidental, 10 en tout, dont les auteurs ont tous contribué à renouveler la scène

japonaise contemporaine. Un extrait de Knock y est accessible, il s'agit des

répliques de la scène du bain.

TAKAYA Ted T., Mordern Japanese Drama, New York, Columbia

University press, 1979

Même objectif dans ce livre qui propose aussi diverses traductions de théâtre

japonais contemporain de Terayama.

MAYBON Albert, Le théâtre japonais, Paris, Henri Laurens, 1925

Un livre certes daté, mais pour le moins documenté et intéressant. C'est le livre

francophone le plus ancien que nous avons pu consulter sur le théâtre

japonais. Nul doute qu'il soit passé entre les mains de Dullin ou d'Artaud

lorsqu'ils cherchaient de la documentation sur ce théâtre.

TSCHUDIN Jean-Jacques, Le kabuki devant la modernité [1870-1930],

Paris, L'Âge d'homme, 1995

BRANDON James R., Kabuki's Forgotten War 1931-1945, Honolulu,

University of Hawai'i Press, 2009

FISCHER-LICHTE Erika (dir.), The Dramatic Touch Of Difference, Theater,

Own and Foreign, Gunter Narr Verlag, 1990

Références relatives aux arts du spectacle

CORVIN Michel (dir.), Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris,

Bordas, 1995

SARRAZAC Jean-Pierre (dir.), Lexique du drame moderne et

contemporain, Belval, Circé, 2005

122

Page 123: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Un petit lexique extrêmement pratique pour des études d'oeuvres théâtrales.

Rendant compte des modifications subies par le théâtre depuis une époque

très récente. Qu'est-ce que le personnage aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'un choeur

théâtral ? Cet ouvrage de référence permet de répondre à toutes ces questions

et plus encore.

SCHECHNER Richard, Performance : Expérimentation et théorie du

théâtre aux USA, trad. de l'américain par Marie Pecorari, Paris, Editions

théâtrales, 2008

La traduction très récente de ce livre nous a permis de la consulter en français.

La deuxième partie, théâtre environnemental et participation du public fût

intéressante pour notre étude. Il est bon de noter que Terayama détestait

ouvertement le travail de Schechner et la relation qu'il entretenait avec ses

acteurs.

GOLDBERG Roselee, La performance: du futurisme à nos jours, trad. de

l'américain par Christian-Martin Diebold, Londres, Thames & Hudson, 2001

Une référence en matière d'histoire de la performance ou happening pris plus

dans son concept d'art plastique que théâtrale. Les arts vivants et les arts

plastiques ont, durant le XXème siècle, largement collaboré pour créer cette

nouvelle forme d'art.

-, Performances, trad. de l'américain par Christian-Martin Diebold,

Londres, Thames & Hudson, 1999

Livre intéressant, car traitant d'une période plus contemporaine que la

précédente et d'une façon très illustrée. Les photos y sont magnifiques et l'on

découvre l'histoire d'un art inventé dans le courant du XXème siècle et ayant pris

son essor véritable dans les années 70.

BINER Pierre, Le living theatre, Paris, La Cité, 1968

S'il y a un théâtre qui a vraiment eu une influence sur Terayama, c'est bien

celui du Living Theatre. Avec ce livre on comprend la révélation qu'à pu avoir

123

Page 124: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Terayama à la vue de Paradise Now, pièce dans laquelle la participation du

public est omniprésente. Le travail de Pierre Biner est très intéressant et montre

bien l'évolution de la troupe, sa vie communautaire et son penchant

idéologique.

DEGAINE André, Histoire du théâtre dessinée, Paris, Nizet, 1999

Un gros livre illustré sur le théâtre depuis ses formes les plus préhistoriques.

Très occidento-centré il ne propose qu'une page sur le théâtre japonais

traditionnel. Il est toutefois utile pour ses références sur les grands courants

esthétiques ayant traversé le théâtre depuis Maeterlinck et est constitue une

base historique solide du théâtre français.

PLATON, La république, Paris, Flammarion, 2002

Les points de vue de Platon sur le théâtre on fait couler beaucoup d'encre mais

c'est toujours avec joie que l'on redécouvre sa pensée, ainsi que les bases

d'une pensée politique sur le théâtre.

ARISTOTE, Poétique, Paris, Le livre de poche, 1990

Le fondateur de la poétique théâtrale marqua le théâtre d'une empreinte

indélébile. Bonne ou mauvaise chose, nous pensons que seules les formes

participatives de théâtre sont capables de se dégager de l'influence de cette

oeuvre majeure.

BARTHES Roland, Ecrits sur le théâtre, Paris, Editions du Seuil, 2002

Recueil de textes de Roland Barthes sur le théâtre. Livre intéressant, mais

restant trop focalisé sur Brecht et le traumatisme de sa découverte. Un auteur

ayant des points communs avec Terayama demandant plus au spectateur que

ce qu'on lui demandait généralement à cette époque.

ARTAUD Antonin, Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, 2006

Le théorie qui révolutionna le théâtre et ses possibilités. Auteur majeur pour

toute la théorie du théâtre de participation.

124

Page 125: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

DIDEROT Denis, Paradoxe sur le comédien, Paris, Gallimard, 1994

BARTHES Roland, La chambre claire, notes sur la photographie, Paris,

Gallimard, 1980

MARTEL Richard, Art-Action, Dijon, Les presses du réel, 2005

THIES-LEHMANN Hans, Le théâtre postdramatique, L'Arche, Paris, 2002

UBERSFELD Anne, Lire le théâtre II, L'école du spectateur, Paris, Belin,

1996

EBSTEIN Jonny et IVERENEL Philippe (Dir.), Le théâtre d'intervention

depuis 1968, Lausanne, L'Age d'Homme, 1983

DORT Bernard, Le jeu du théâtre : Le spectateur en dialogue, Paris, P.O.L.,

1995

NAUGRETTE Florence, Le plaisir du spectateur de théâtre, Paris, Bréal,

2002

BOAL Augusto, Le théâtre de l'opprimé, Paris, La découverte, 2006

Références théoriques générales

MENOUD Lorenzo, Qu'est-ce que la fiction?, Paris, Librairie

philosophique J. Vrin, 2005

Un petit livre du style des « Que sais-je ? » sur la fiction, opposé à la réalité et

ce qui la constitue. Quelques intéressants rappels philosophiques.

CABESTAN Philippe, « L'imaginaire, Sartre », Paris, Ellipses, 1999

Philippe Cabestan explique l'ouvrage l'imaginaire de Jean-Paul Sartre, en y

mettant son grain de sel. En effet l'imaginaire selon Sartre est quelque-chose

d'assez particulier susceptible d'être critiqué et d'amener une réflexion conduite

à travers le regard d'autres philosophes pour qui les questions d'imaginaire et

de fiction ont aussi été le point de départ d'intéressantes réflexions.

BOURIAU Christophe, Qu'est-ce ce que l'imagination?, Paris, Chemins

Philosophiques, 2003

Un ouvrage semblable à celui de Cabestan, mais ne restant pas axé sur

125

Page 126: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

l'oeuvre de Sartre, citant beaucoup plus de philosophes ayant travaillés sur

divers aspects de l'imagination comme sa relation avec la réflexion et la

transformation qu'elle peut opérer sur le réel.

BRETON André, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, 1985

HEERS Jacques, Fêtes des fous et carnavals, Paris, Hachette, 1997

ECCO Umberto, L'oeuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965

BARTHES Roland, La chambre claire, Paris, Gallimard, 1980

Pièces et autres lectures

VITRAC Roger, Victor ou les enfants au pouvoir, Paris, Gallimard, 1946

KISHIDA Kunio 岸田国士, Sawa-shi no futari musume沢氏の二人娘 (Les

deux filles de Monsieur Sawa), disponible à l'adresse internet :

http://www.aozora.gr.jp/cards/001154/files/45643_25762.html (Consulté le

24/05/2009)

DOWER John W., Embracing Defeat, Japan In The Wake Of World War II,

New York, W.W. Norton & Co., 2002

SAINT-JEAN-PAULIN Christiane, La Contre-culture : Etats-Unis, années

60 : la naissance de nouvelles utopies, Paris, Autrement, 1997

126

Page 127: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

127

Figure 7 (Niitaka Keiko)

Page 128: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

III. Filmographie

Notes : Nous réunissons dans notre filmographie les films, vidéos et

captations ayant éclairé notre mémoire. Nous avons ajouté toutes les

informations que nous en avions, donc très peu d'information en ce

qui concerne les captations.

Captations

Tenjô Sajiki, Jidai ha sâkasu no zô ni notte時代はサーカスの像に乗って

(Le temps passe à dos d'éléphant de cirque), 1969

-, Shintokumaru 身毒丸, 1978

-, Lemingu レミング (Lemmings), 1979

Films réalisés par Terayama

TERAYAMA Shûji, Sho wo suteyô, machi he deyô 書を捨てよ、町へ出

よう (Jetons les livres et sortons dans la rue), Tôkyô, Nihon Art Theater Guild,

1971

Un des plus beaux film de Terayama. La musique est, elle aussi, d'un grand

lyrisme. Film de poète aux nombreuses séquences n'ayant que peu de lien les

unes avec les autres.

-, Den'en ni shisu 田園に死す (Mourir à la campagne)

Le plus beau film de Terayama. Souvenirs dé-construits et reconstruits de son

enfance à Aomori. Des thèmes très chers à l'auteur y sont repris comme sa

relation problématique à la mère.

Vidéos

TERAYAMA Shûji 寺山修司, Tomato Ketchup Kôteiトマトケチャップ皇

帝,Art theater Guild, 1971

Film dérangeant ayant fait le tour de nombreux festivals à travers le monde, il

reprend une pièce radiophonique de Terayama sur une hypothétique révolution

128

Page 129: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

ayant pour acteur des enfants transformant la constitution en vague blague et

les adultes en leurs jouets.

-, Ori 檻 (La cage), 1964

-, Janken sensô ジャンケン戦争, 1971

Film scénarisé par Terayama

SHINODA Masahiro 篠田正浩, Buraikan 無頼漢 (Hors-la-loi), Tôkyô,

Tôhô, 1970

Film écrit par Terayama et très intéressant du point de vue des idées qu'il

développe sur le théâtre. Le héros un homme voulant devenir acteur réalise le

pouvoir que peut lui conférer le fait de jouer la comédie dans sa vie de tous les

jours. Voulant à la base être acteur, il changera d'opinion en concluant que la

meilleure pièce dans laquelle il ne pourrait jamais jouer est un complot.

Autres films

CARNE Marcel, Les enfants du paradis, Paris, Pathé, 1945

Un très grand film duquel Terayama tirera le nom de sa troupe. L'histoire d'un

Paris du XVIIIème siècle où se rencontrent criminels et mimes ainsi que Philippe

Lemaître cherchant un emploi dans un théâtre. Ce qui nous a surtout intéressé

sont les images d'un théâtre du XVIIIème reconstitué et l'ambiance qui y régnait

alors, avec un public populaire très réactif, le public souhaité par Terayama ?

IV. Ressources Internet

http://www.youtube.com/watch?v=RJSimVPnSjM, consulté le

24/05/2009

Extrait du spectacle Salomon : Avion à moteur humain du Tenjô Sajiki. On y voit

différentes personnes de différents pays, participant au spectacle.

http://www.youtube.com/watch?gl=FR&hl=fr&v=WmsW51ew-

ao&feature=relate, consulté le 24/05/2009

Vidéo de Knock présentant le projet que constitue ce spectacle et l'homme

garantissant l'accès des spectateurs à celui-ci

http://www.ubu.com/film/terayama.html, consulté le 24/05/2009

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Page 130: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Site internet proposant des vidéos de Terayama. Cette autre facette de son

oeuvre mettait aussi en avant la participation du public bien que le medium

vidéo lui permette d'agir d'une façon beaucoup moins direct que son théâtre.

130

Page 131: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Annexes

131

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Traductions

Note : Nous présentons ici huit scènes de ce spectacle présentées dans

l'ordre du e-book à partir duquel nous avons traduit. À noter que les

noms et prénoms figurant dans ses traductions peuvent s'avérer

légèrement inexacts à cause de la difficulté de retranscription de

certains noms japonais. Nous avons choisi, pour ceux dont nous

étions peu sûr, de leur adjoindre leur écriture japonaise.

Avertissement : Nous souhaitons aussi préciser que certains passages

peuvent paraître assez étrange à la lecture, les auteurs digressant

parfois vers la poésie alors qu'ils sont encore en train de décrire les

scènes, nous avons bien sûr laissé ces passages en ayant soin de les

traduire du mieux possible.

132

Page 133: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

L'échangeur de cartes.

Script : Terayama Shûji. Mise en scène : Maboroshi Kazuma

En guise de prologue, les spectateurs de Knock : Théatre de ville,

échangent leur fiche d'enregistrement (avis de transfert) contre une carte. Sur

la carte est écrit que ce spectacle a lieu dans plusieurs endroits différents à la

fois et est constitué de plus de 18 points, comprenant du théâtre de porte à

porte, du théâtre en salle secrète et du théâtre de rue, des invités y participent

aussi, ils sont architectes, vidéastes, sculpteurs. Les spectateurs, depuis le

moment où ils ont la carte entre les mains, deviennent eux-aussi des

participants du spectacle Knock : Théâtre de ville. (Plus important, même si on

les appelle spectateurs, dans ce spectacle on compte les habitants du lieu dans

lequel se déroule la représentation, mais aussi les voyageurs de ces trente

heures qui ont une carte à la main et qui sont avec les membres de la troupe

mutuellement en échange entre la place des membres et celle de spectateur, et

nous demandons à ceux-ci de comprendre la démarche consistant à se

demander s'ils ne sont pas finalement les mêmes, les uns les autres.)

Emploi du temps

Figure 8

19 avril, 13h. Entrée est de la gare de Shinjuku, devant Nikô près du

pont de fer à l’intérieur de l’agence immobilière “Sankei”. Un homme

échangeant des cartes est assis à une table, sur une chaise empruntée là. Il a

133

Page 134: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

un chapeau mou de couleur noire, un bandeau de pirate sur l'œil et un attaché-

case sur les genoux. Cet homme est l’échangeur de carte. Il est muet et ne

répond à aucune question susceptible d'être posée par les échangeurs de

carte. Cependant, si ceux-ci n'ont pas inscrit leur nom et leur adresse sur leur

fiche d'enregistrement (avis de déménagement), il peut leur indiquer de le faire

en leur indiquant avec le doigt. L'échangeur de carte fait son travail le plus

bureaucratiquement possible, si on lui pose une question il indique le numéro

de téléphone (400) 63XX qu'il convient d'appeler en ce cas. Dans le magasin

est accroché une carte de la ville qui n'est normalement pas là, de plus on peut

imaginer la présence d'un chien noir sur le sofa. On souhaite ainsi souligner la

différence avec un vrai magasin d'immobilier. On cherche à donner à

comprendre au receveur de la carte que les trente heures qu'ils s'apprêtent à

vivre seront remplies d'illusions et de mystères. L'échangeur de carte ne reste

là que jusqu'à 17h après quoi le magasin redevient une agence immobilière et

reprend le nom de « Société commerciale Sankei ».

Notes de mise en scène

•Lorsque le spectateur reçoit son ticket prenant la forme d'un avis de

déménagement, on attend de lui qu'il renie ses expériences de théâtre passé.

L'avis de déménagement qu'ils reçoivent fait en fait partie du script et l'on

considère donc les spectateurs comme des producteurs du spectacle. Sur l'avis

de déménagement sont indiquées les choses suivantes :

1. Veuillez indiquer votre adresse, domicile légal, puis un nouveau nom.

2. Muni de cet avis rempli, veuillez vous rendre à l'agence immobilière

Sankei à l'entrée est de la gare de Shinjuku.

•Votre nouveau nom peut aussi bien être Araki Yukio que Tengu de Kurama,

mais nous vous demandons de venir au spectacle en incarnant ce personnage.

•Vous êtes évidemment libre d'ignorer les recommandations de votre script,

134

Page 135: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

mais n'oubliez pas que le fait même de renier ce script est aussi une façon de

jouer. Pour le spectateur cela voudra dire qu'il jouera son propre rôle et qu'il

considère cela comme de la fiction.

•Dans la société commerciale Sankei, la relation entretenue entre l'échangeur

de carte et les spectateurs est de l'ordre d'une relation metteur en scène-

acteur. Pour le spectateur visiteur, il se peut que l'échangeur de carte et les

employés de l'agence soient les acteurs, mais pour ces mêmes employés et les

passants, les spectateurs visiteurs sont considérés comme des acteurs. Des

acteurs qui soutiennent l'existence du spectateur par leur soutient au lieu de

rendez-vous que constitue le théâtre. Lorsqu'on l'élimine, la structure même du

théâtre devient beaucoup plus malléable, permettant l'échange naturel de ces

rôles et c'est la thèse de ce théâtre de ville.

Maboroshi Kazuma

Personnage (Acteur)

Echangeur de carte•Nakazawa Kiyoshi

135

Page 136: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Spectateur cherchant théâtre.

Script : Kishida Rio, Mise en scène : J.A.Seazer.

Note : Les notes sont du traducteur. Les abréviations proviennent du

texte original.

Manuscrit

La rue. Un spectateur cherche un théâtre. Il se demande où est censé

avoir lieu le spectacle, la chose n'est pas très claire pour lui. La ville l'accueille,

sans broncher. Un acteur sortant de nulle-part vient lui parler. Le spectateur se

fait guider par l'acteur et commence à lui parler. L'acteur guide le spectateur,

tous deux commencent à marcher. Mais à un certain moment, le spectateur se

retourne et constate que l'acteur a disparu. Cinq acteurs font de même. Il s'agit

en fait d'un essai pour dire au spectateur que la recherche du théâtre est aussi

le théâtre.

Notes de mise en scène

•Et si « le commencement n'était que mensonge ». Et si, cette fois, la carte se

trompait alors le spectateur écouterait des guides pour le conduire dans le

spectacle. Mais si ces guides étaient des menteurs alors...

1•Homme au chapeau de chasseur, agent de police du début de l'ère Shôwa.

2•Infirmière, amoureuse éconduite et déçue, se fait croire qu'elle est aimée d'un

homme. (Ses sentiments sont ceux d'un homme, sa façon de parler celle d'un

homme et d'une femme, elle est habillée comme une femme)

3•Un col blanc1. Homme très sérieux guidant les spectateurs avec gentillesse. Il

travaille pour une compagnie d'assurance, a toujours sur lui une balance, il gère

la santé des gens.

1 Nous traduisons par « cols blancs » les employés de bureau japonais désignés par l'anglicisme « salary man ».

136

Page 137: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

4•Une fille en uniforme de lycéenne. Son corps est celui d'une adulte, mais son

âge mental, celui d'une fillette de 5, 6 ans adorant tous ceux qui pourraient

avoir l'âge d'être son père.

5•Femme au foyer. Ménagère d'une famille de classe moyenne montrant des

signes de frustration sexuelle. Elle parle avec n'importe qui, engloutit quelque-

chose lorsqu'elle en a le temps, c'est le genre de femme qui fait attention à ne

pas prendre trop de temps pour faire quelque-chose.

1•Lorsque l'on demande son chemin à un policier parisien, il ment.

2•Les étudiants parisiens (en particulier les étudiantes) nous emmènent

gentiment à notre destination.

3•Les poinçonneuses de Paris, même si on leur demande notre chemin, nous

regardent sans bouger et ne répondent rien.

4•Si l'on dit à un chauffeur de taxi de Paris « Boulevard St. Michel »1, il nous

emmène au boulevard St. Michel.

5•A Paris, pour dire à droite, on dit « A droite » et à gauche « A gauche ». Donc

pour demander de tourner à droite, on dit « Vous tournez à droite ».

J.A. Seazer

Archives

15h30. Les acteurs de ce spectacle, l'homme au chapeau de chasseur

(Kawakami Masami), l'infirmière (Masaki Mamoru), le col blanc (Ôno Susumu),

la jeune fille en uniforme de lycéenne (Arakawa Nagisa), la femme au foyer

(Iwai Hitomi), vont à l'endroit convenu sans se faire remarquer, mais l'infirmière

échoue, à cause de son costume, et se fait filer.

15h35. Alors que l'homme au chapeau de chasseur commence à

1 A partir d'ici, les formules entre parenthèses sont en français dans le texte original.

137

Page 138: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

discuter avec un spectateur, de nombreux spectateurs le repéreront (7), qu'il se

mettra à guider. La chasseur joue à pierre-feuille-ciseaux tout seul, trace un

cercle à la craie sur le sol, fait se tenir les spectateurs à l'intérieur, puis continue

sa marche en sautillant. Il prend en charge les cartes des spectateurs et tout le

monde le suit sagement.

16h. L'infirmière disparaît, le col blanc arrive. Il pèse les spectateurs. À

chaque pas il pose un caillou sur le chemin. Les spectateurs le pressent de les

conduire à l'endroit indiqué sur la carte comme étant une scène de théâtre.

16h20. Les spectateurs sont revenus devant la gare. On restitue les

cartes aux spectateurs qui sont éparpillées dans la ville. Certains spectateurs

demandent des explications sur la carte au chasseur et à l'infirmière qui n'en

tiennent pas compte. [...]

16h54. Le col blanc arrive. Les spectateurs sont devenus apathiques et

continuent de suivre par habitude.

17h. Le col blanc qui les a conduits jusque devant la gare disparaît, les

spectateurs sont laissés dans la rue.

Personnages (Acteurs)

Homme au chapeau de chasseur :

Kawakami Masami

Infirmière : Masaki Mamoru

Fille en uniforme de lycéenne : Arakawa Nagisa

Col blanc : Ôno Susumu

Ménagère : Iwai Hitomi

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Page 139: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Figure 9 (Plan du trajet parcouru)

139

Page 140: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Salon de beauté du chat bleu.

Script : Kishida Rio. Mise en scène : Ran Yôko.

Manuscrit

Au sein de la vie quotidienne on fait changer de peau aux spectateurs en

leur faisant quitter leurs vêtements, puis porter des costumes de théâtre. Il

s'agit d'une occasion de déshabillage de la vie quotidienne, le commencement

d'un accident qui entraîne la perte de ce que l'on était avant. On tente ainsi de

prouver un contraire possible à la vie quotidienne en ayant recours à l'instinct.

Notes de mise en scène

Nous avons déjà maquillé et travesti les spectateurs lors d'un spectacle

de rue que nous avons donné à Holstebro au Danemark. Les spectateurs se

sont alors mis à improviser et c'était très intéressant. C'est la répétition de cette

expérience. On déguise les spectateurs en Tengu de Kurama ou en Popeye et

leur donne ainsi la possibilité d'explorer un « autre moi » pendant les trente

heures que dure le spectacle. Il nous faut faire la liste des costumes de

personnages dont nous disposons.

Lorsque j'étais au collège j'avais très peur de devenir un jour infirmière. À

cette époque, il n'y avait pas de docteur dans mon village et les infirmières se

faisaient toujours violer par les médecins dans les films de la Daiei1. J'avais

donc peur de devenir infirmière et de me faire violer.

Ran Yôko

Blanche Neige ; Napoléon ; Le petit chaperon rouge ; Popeye ; une

sorcière ; un militaire ; Kasugano Yachiyo2 ; Hell's Angels ; lycéenne en

1 Studio de production de films connu aujourd'hui, après quelques péripéties financières, sous le nom de Kadokawa Herald Pictures.

2 春日野八千代 : Comédienne travestie du Takarazuka : célèbre lieu de production de comédies musicales jouées exclusivement par des femmes non-mariées se situant à Tôkyô. Kasugano fût aussi

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uniforme ; Detective Holmes ; serveuse de café ; Dracula ; Mata Hari ; prètre ;

Rossignol ; Tengu de Kurama ; La Marie-Vison ; Réflexion du clair de lune.

Pour des besoins d'archive on prend une photo au début et une autre à

la fin. On demande de prendre des notes à Watanabe Katsumi.

Archives

20/04. 19h. Dans le Majong « Misao », voisin de la station de métro Asagaya-

sud, on commence à mettre en place le Salon de beauté du chat bleu.

11h. On finit la mise en place. On met des panneaux sur le chemin et une

enseigne au magasin.

11h10. On fait le maquillage du premier client.

1.Satô (H) Nom d'emprunt : Tengu de Kurama. Petit

accessoire : Lame japonaise. Mission de base : Buvez un

café au « Café Moka », courrez pendant une heure et

revenez s'il-vous-plaît.

2.Shimazaki (F) Nom d'emprunt : Le petit chaperon

rouge. Petit accessoire : Un panier. Mission de base :

Accompagnez un homme avec un chapeau et revenez s'il-

vous-plaît.

3.Ishimaru (H) Nom d'emprunt : Travesti (La Marie-

Vison). Petit accessoire : un cerceau. Mission de base :

Vous devez allé acheter une banane au magasin de fruit

Yamakiya à Asagaya 1-9-6, et revenir dans les trois heures

s'il-vous-plaît.

acteur pour Kara Jûro qui, à cette époque, était le rival direct de Terayama.

141

Page 142: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

4.Kamei (H) Nom d'emprunt : Napoléon. Petit accessoire :

Un chat. Mission de base : Allez acheter des médicaments

pour le rhume à la pharmacie Kameya à Asagaya-sud 3-1-27

et revenez dans l'heure s'il-vous-plaît.

5.Saitô (F) Nom d'emprunt : Serveuse de café. Petit

accessoire : Un parapluie. Mission de base : Faites-vous

offrir, dans l'heure, à manger par un homme et revenez s'il-

vous-plaît.

6.Okada (H) Nom d'emprunt : Dracula. Petit accessoire :

Des cartes postales et un stylo. Mission de base : Allez à la

poste de Suginami y poster des lettres vous étant adressées

et revenez dans les trente minutes s'il-vous-plaît.

7.Fukui (F) Nom d'emprunt : Femme en habit à queue de

pie. Petit accessoire : Poupée de ventriloque. Mission de

base : Allez dans un parc et revenez avec une petite fille

dans les deux heures s'il-vous-plaît.

8.Iso (M) Nom d'emprunt : Militaire de l'armée de terre.

Petit accessoire : Chaussure rouge (juste une). Mission de

base : Vous devez ramener une femme à qui va

142

Page 143: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

parfaitement cette chaussure s'il-vous-plaît.

9.Itô (F) Nom d'emprunt : Sorcière. Petit

accessoire : Un réveil. Mission de base : Vous pouvez

rentrer chez vous, inutile de revenir ici.

10.Araki (H), Yamaoka (F) Nom d'emprunt : 2 prêtres. Petit

accessoire : Une bible. Mission de base : Allez à la station

de chemin de fer national Asagaya, demandez l'heure à un

agent à l'entrée de la gare en trente minutes et revenez s'il-

vous-plaît.

11.Tanaka (H) Nom d'emprunt : Tengu de Kurama.

Kawashima (H) Habits de femmes. Sugimura (H)

Uniforme de lycéenne. Aoyama (H). Nom

d'emprunt : Femme folle. Mission de base : Devenez les

modèles photographique de Watanabe Katsumi et revenez

dans deux heures s'il-vous-plaît.

Figure 10 à 20

19h. On ferme le Salon de beauté du chat bleu.

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Page 144: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Personnages (Acteurs)

Maquilleuses Intendant PhotographeRan Yôko

Sasaki MikikoKurokawa Noriko

Tokawa Jun'ichi Watanabe Katsumi

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Figure 21 (De gauche à droite : J.A. Seazer et Kamaru Ushiwa)

Page 145: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Maria des toilettes.

Script : Fujiwara Kaoru. Kami Shibai : Terayama Shûji. Mise en scène : J.A.

Seazer.

Résumé

1. Dans un parc, au crépuscule, un conteur de kami shibai vient jouer

Maria des toilettes.

2. Après avoir joué la pièce on dit aux spectateurs que Maria des toilettes est

une histoire vraie et qu'elle existe bel et bien.

3. « Si certains veulent aller la voir, je leur dessine une carte pour qu'ils

puissent s'y rendre » dit le conteur. Il leur remet une carte et une bougie en

guise de repère.

4. Le spectateur regarde la carte, cherche l'appartement, quand dans

l'angle d'une ruelle il se fait accoster par une conteuse de kami shibai (il s'agit

en fait de la femme du conteur de kami shibai du parc).

5. La conteuse de kami shibai, voyant la bougie du spectateur demande

« Etes vous à la recherche de Maria des toilettes ? ». Devant l'approbation du

spectateur, elle le fait entrer dans une salle à l'intérieur d'un immeuble en lui

disant « Par ici ». Elle frappe à la porte et une voix depuis l'intérieur dit : « Je

vous en prie ».

145

Figure 22

Page 146: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

6. Le spectateur ouvre la porte, entre dans la salle complètement sombre,

reste stoïque, soudain, grâce à la lueur de la bougie se dessine dans les

ténèbres : Maria.

7. Plongée dans le noir, elle lui demande d'enlever ses vêtements. (Dans

ce cas, on peut penser à deux façons de continuer la scène) D'un coup la

lumière de la chambre revient, Maria est assise dans un coin.

8. Le spectateur en train d'enlever ses vêtements, se reprend

précipitamment. Maria leur demande de s'asseoir et commence à raconter sa

vie.

9. Dans le même temps, dans le parc, a lieu une représentation qui

s'achève par le conteur disant que Maria est en ce moment dans une pièce

avec un invité et les invitant à venir voir cela.

10. Le spectateur venu avec le conteur entre dans la pièce voisine de celle

de Maria et est invité à espionner par un trou creusé dans le mur pour

l'occasion.

11. Maria demande au client s'il veut dormir, enlève son kimono et alors

qu'arrive le moment tant attendu, le conteur situé dans la salle à côté lui crie :

« Vas y ! C'est le moment, fais de ton mieux ! ». On fait entrer deux ou trois

spectateurs et il crie de la même façon.

12. Juste après les encouragements, le client surpris, remet ses vêtements.

Le conteur entre dans la salle où est Maria en demandant comment c'était.

13. Il attend qu'il ait fini de s'habiller pour le conduire vers la sortie avec les

spectateurs de la salle voisine.

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Page 147: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Notes de mise en scène

•Plus que l'heure ou les ombres disparaissent, le soir, heure à laquelle le

marchand de tôfu sonne son clairon, jeu de marelle, jeu du détective, route

pour revenir du pique-nique, heure à laquelle les ombres grandissent restent

mieux en mémoire. Loyale à la mémoire. Le conteur de kami shibai (Tali) sa

femme (Maya) puis les visiteurs inopinés, les spectateurs.

•L'intérieur de la chambre est totalement sombre, dans un coin on entend un

bruit d'eau. En fait, Maria est en train de se laver. Lorsqu'elle est seule elle joue

à chat dans la pénombre de la pièce.

•Maria qui enterre les gens de ses souvenirs dans un dédale, allume les

bougies (celles qui sont dans la pièce), des centaines de photos-portraits sont

accrochés aux murs, M. Kobayashi, elle est dans un cadre noir, soufflant dans

son clairon à travers la grille, quatre jeunes enfants jouant à pierre-feuille-

ciseaux, un poster de Fukusuke1 sur le mur, un grand miroir à trois faces, un

futon et accrochés à un porte-manteau, des uniformes d'étudiantes.

•Dans l'oshiire2 on a étalé du sable blanc, au milieu se trouve un autel

bouddhique, le dessous d'un vélo suspendu et des jambes qui pédalent

constituent la seule partie haute que l'on peut voir de l'oshiire. (Kotake An)

Jeu du chat et de la souris dans la pénombre avec le client. Échange de

souvenir avec le public. La femme du conteur de kami shibai entre dans la salle

lorsqu'il est l'heure se demandant comment a tourné la conversation du

spectateur et de Maria, elle allume la lumière et dit « C'est l'heure! » et

demande au client de se préparer pour rentrer. Elle l'invite au café et lui dit

1 福助 : « homme de la chance » poupée représentant un petit bonhomme gras habillé à l'ancienne mode, assis un tenant un éventail, censé représenter un riche marchand de Kyôto de la fin du XVIII ème

siècle, Daimonjiya. Ceux qui désirent acquérir de la fortune dans leurs affaires placent alors cette poupée (ou parfois une image la représentant) dans leur maison afin qu'elle leur porte chance.

2 押入 : est un placard fait le plus souvent de deux portes coulissantes en papier.

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Page 148: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

qu'elle aussi est Maria et commence à lui raconter ses souvenirs. Le même

résultat naît-il d'une prédiction basée sur des personnes ayant les mêmes noms

et prénoms ?

J・A・Seazer

Personnages (Acteurs)

Conteur de kami shibai Femme du conteur de kami shibai

Prostitué Maria

Salvador Tali Ueda Kimie Kudô Maya

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Page 149: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Bus capricieux A

Script et mise en scène Maboroshi Kazuma.

Manuscrit

Il s'agit pour ce spectacle d'une sorte de « Magical Mistery Tour Bus » dans

lequel les participants portent un bandeau sur les yeux afin de vérifier un contre

argument aux voyages-souvenirs en groupes apatrides où l'on peut voir

adresses, cartes et paysages.

Archive/Notes de représentation

1 19/04, 14h. Avec un sac en papier à la main Actrice 1 joue le rôle d'une

jeune office lady1 portant une pancarte sur laquelle est écrit : « Point de rendez-

vous pour la visite en bus de Tôkyô dans le noir ». Elle se trouve devant la

porte principale du collège d'Asagaya.

2 Les spectateurs attendent.

3 15h15. Acteur 2 qui joue le rôle d'un guide de la compagnie Hato Bus et

Acteur 3 celui d'un professeur de géographie, arrive à la porte. Ils font l'appel.

On fait une liste des passagers, mais seulement dans le but de noter leur

adresse afin de pouvoir leur envoyer les photos-souvenirs. (Le plan originel

prévoyait que cela se passerait à 15h)

4 On distribue des bandeaux en expliquant aux spectateurs qu'ils doivent

les mettre sur les yeux. Script du guide : « Ces bandeaux sont très faciles à

ôter, mais si vous le faites, vous serez prié de sortir du bus. »

5 15h20. Devant le café Trébie sur la route

Nakasugi, on colle un autocollant « Collège

Asagaya » sur le bus. Des acteurs, eux aussi les

1 Souvent abrégé par le sigle O.L., l'office lady japonaise sert avant tout comme secrétaire de très bas niveau de responsabilité, miroir du machisme d'entreprise qui règne encore au Japon. Ses tâches consistent ainsi souvent à l'accueil et au service du thé aux employés de l'entreprise.

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Figure 22

Page 150: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

yeux bandés, sont présents parmi les spectateurs. (Il était prévu qu'ils montent

à Shinkôenji.)

6 Le guide et le professeur de géographie guident les 30 passagers-

spectateurs vers le bus. Ceux-ci se tiennent en file indienne, les mains sur les

épaules, les yeux bandés et devaient marcher les 100 m qui les séparaient du

bus, mais, à ce moment-là, les passagers-spectateurs se trouvaient à l'opposé

du côté que je pouvais voir.

7 15h40. Les voyageurs montent dans le bus qui part.

8 Le guide, pour la première fois, donne des indications sur leur

destination. Il informe qu'ils iront à l'entrée ouest de la gare de Shinjuku, au

jardin du sanctuaire1 et au palais impérial.

9 Le bus suit la route Ôme pour aller à Shinjuku.

10 En chemin, devant la gare de Shinkôenji, Acteur 4 monte dans le bus

jouant le rôle d'un passager. Il se fait aussi mettre un bandeau. Script de

l'acteur 4: « Quelqu'un a volé l'horizon, du coup je n'ai pas pu me rendre au

point de rendez-vous. Le voleur est ici. C'est pour cela que je ne peux pas

savoir avec certitude où se rend ce bus. »

11 Le guide annonce que le bus se rapproche de l'entrée ouest de la gare

de Shinjuku. Script de l'acteur 4: « C'est faux! On est sur la jetée de la mer

ensoleillée! »

12 Un passager rit sous cape. Pour les passagers qui ont tous un bandeau,

il est impossible de dire qui rit. Peut-être est-ce le voleur d'horizon? Le rire se

répand. Tout le monde éclate de rire simultanément.

13 18h. Le bus s'arrête. Est annoncé que le bus vient de s'arrêter à l'entrée

ouest de la gare de Shinjuku. Les passagers descendant avec leur bandeau

sont pris en photo. C'est la photo-souvenir 1.(On prend en fait la photo à

1 Il s'agit très certainement du Meiji-Jingû, sanctuaire shintô le plus connu de Tôkyô, situé à Shibuya et dont l'extérieur est un parc immense comprenant entre autres deux stades de base-ball.

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Page 151: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

l'arrière de l'entrée ouest du Shinjuku Keio Plaza)

14 16h15. Les passagers remontent dans le bus toujours avec leur

bandeau.

15 Script de l'acteur 4: « Le voleur d'horizon le porte sur lui comme un

vêtement, si on ne le trouve pas très vite le bus va se perdre. » On a

l'impression qu'un passager est en train d'enlever un vêtement.

16 16h30. On prend la photo-souvenir 2 dans le jardin du sanctuaire. (En

fait il s'agit de la sortie ouest de Shinjuku. Le guide et le professeur de

géographie ont disparu, une danseuse-ballerine, un géomètre etc. font leur

apparition.)

17 16h45. Le bus redémarre. Script de l'acteur 4: « Le voleur d'horizon le

portait effectivement [comme des chaussures]. » (On récolte des légumes

ayant poussé dans le champ à l'intérieur des chaussures des passagers).

18 Thèse : Tout le monde est chaussé de son propre horizon.

19 17h. On prend la photo-souvenir 3 au palais impérial. (En fait il s'agissait

du parc Chûô à l'entrée ouest de Shinjuku.)

20 Les passagers sont ainsi délivrés. Si certains continuent le jeu de

l'horizon, d'autres l'enlèvent et reviennent à leur champ de vision habituel.

Lorsqu'ils enlèvent leur bandeau c'est la fin de la visite de Tôkyô dans le noir.

(15 minutes après les avoir laissés comme ça, les spectateurs avaient tous

enlevé leur bandeau.)

21 30/04. Les trois photos-souvenirs parviennent à chacun des participants.

Les passagers-spectateurs peuvent ainsi comparer leur propre horizon aux

paysages des photos. (Deux lettres nous sont revenues avec la mention

« destinataire inconnu »).

Maboroshi Kazuma

151

Page 152: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Personnages (Acteurs)

Guide du bus : Yakuchi Kiyomi Professeur de géographie: Iwakubo Tamao

Jeune fille en retard : Iida Kyouko Frère de la jeune fille: Higuchi Takayuki

Acteur jouant un passager:

Maboroshi Kazuma

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Figure 23

Page 153: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

153

Figure 24

Figure 25

Page 154: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Human Boxing (Hommes en boîtes).

Script : Kishida Rio. Mise en scène : Morisaki Henrikku.

Manuscrit

On fabrique trois boîtes et enferme un spectateur par boîte. On le prive

ainsi de l'odorat, du toucher, de la vue et de l'ouïe ainsi que de toutes

possibilités de communication, ce qui lui fait perdre ses repères temporels et

spatiaux. Ce n'est qu'à la fin, lorsque l'on ouvre la boîte que le spectateur se

rend compte qu'on l'a amené dans un endroit qui lui est parfaitement inconnu.

C'est ensuite à lui de retrouver le chemin pour rentrer chez lui.

Horaires

Première boîte : Placenta

On met avec peine le spectateur dans la boîte. On lui demande de

prendre une position foetale. La fermeture du couvercle de la boîte est

actionnée par le poids du corps du spectateur, il lui est donc impossible de

sortir par ses propres moyens.

Seconde boîte : Mécanisme

Cette boîte en comprend cinq enchaînées les unes avec les autres. Elles

forment un espace labyrinthique. Le spectateur doit chercher sa position [parmi

les cinq boîtes], et rester pendant un temps dans cette concavité. Elles forment

une sorte de puzzle en relief ; pour parvenir à trouver la sortie, le participant

doit se perdre dans la pénombre des boîtes. De plus ce mécanisme bouge en

fonction des mouvements du spectateur, il est donc à la fois prisonnier et

dessinateur de son propre labyrinthe.

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Page 155: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Troisième boîte : Chien

Au fond de la boîte est percé un trou en forme de chaussure. On ne peut

voir la route qu'à travers ce trou. On demande au spectateur de s'accroupir

dans la boîte. On a mis en place une colonne triangulaire sur laquelle on a

accroché un miroir, placé à la hauteur des yeux du spectateur, reflétant ce que

l'on voit depuis le trou du fond. La colonne tourne sur elle-même lorsque la

boîte se déplace. Par le système ainsi mis en place ne reste que le gris de la

route, les autres couleurs étant aspirées par la rotation du miroir. Le spectateur

ne peut ainsi plus distinguer les couleurs. Comme si on le transformait en un

homme à qui on aurait greffé des yeux de chien.

Archives

On fabrique trois cubes de quatre-vingt-dix centimètres de côté. Le vingt,

on place les boîtes finies à plus de 80 % au contrôle dans un terrain vague. On

montre au spectateur la fin de la préparation des boîtes. Ceci pour prévenir

l'anxiété qu'il peut y avoir à rentrer dans une boîte. On charge le cube sur un

camion et on trace une ligne rouge à un tiers du bas de la boîte. Précaution

nécessaire au moment où l'on va poser les boîtes sur le sol. Pour dissiper un

peu l'odeur du bois, on vaporise du « Parfum d'intérieur, senteur muguet » à

l'intérieur. On choisit trois volontaires dans le public et tire à pierre-feuille-

ciseaux qui ira dans quelle boîte. On les fait entrer et ferme le couvercle avec

des clous. Selon le désir du spectateur, on peut percer un trou d'un centimètre

au sommet de la boîte. L'un des spectateurs demandent des cigarettes, les

autres font de même. On passe une corde autour des boîtes et les fixe au

camion. Le départ a lieu à 13h. 粟飯原峰秀Aihara Takahide conduit le camion, le

porteur, 三 代隆司 Sandai Takashi s'occupe d'ouvrir les boîtes au cas ou un

155

Page 156: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

spectateur devienne fou et veut en sortir. Morisaki Henrikku est assis à la place

du mort et guide le chauffeur. On passe par les routes Itsuka, Ôme, le

périphérique numéro sept, pour arriver à un grand embarcadère. On descend la

première boîte de façon à ce que lorsqu'on ouvre le couvercle on soit en face

de la baie de Tôkyô vu à travers l'angle de l'ancre d'un bateau de fret. Avant de

quitter le les lieux, afin de couper les bâtons à l'intérieur de la boîte (si l'on

coupe ces deux bâtons la boîte s'ouvre sur le devant), on fait entrer une petite

scie à l'intérieur de la boîte par le petit trou du haut. Il y avait quelques

pêcheurs, mais personne ne fît attention à la boîte. Sans doute n'y voyaient-ils

qu'un simple paquet. Nous voulions placer la deuxième caisse non loin de là

dans un entrepôt de marchandise de façon à ce qu'elle soit entourée par

d'autres boîtes, mais y avons renoncé quand nous avons vu les yeux d'un

garde briller et avons changé d'idée pour nous diriger à Suginami.

Nous l'avons déposée dans [la cours d']un temple bouddhique de façon

à ce que lorsqu'on ouvre le couvercle on voit en face, la stèle funéraire et le

Sotoba1 de la famille Takahashi. De la même façon, on insère une scie à

l'intérieur et quitte les lieux. On dépose la troisième boîte sur la route d'un

temple shintô bordée de cerisiers en fleurs, juste en dessous d'un Torî2.(Voir

Figure 26). Nous ne savons pas ce qui est advenu des spectateurs. Nous

avons reçu la collaboration de Arakawa Nagisa pour les conseils sur des boîtes

et de 義親 Katô Yoshichika pour leur fabrication.

Morisaki Henrikku

1 卒塔婆 : pièce de bois sur laquelle est marquée le nom du défunt et généralement placé à côté de la stèle en pierre.

2 鳥居 : portail shintô en bois censé séparer le sanctuaire sacré de l'extérieur profane.

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Page 157: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Figure 26

157

Page 158: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Incident survenu au bain public du côté homme de Suginami Narita

est 4-37

Script: Kishida Rio. Mise en scène : Morisaki Henrikku

(Note : Nous nous sommes servis de deux sources pour traduire cette

scène. Les notes autour des répliques des acteurs figurent dans le e-

book dont les références sont dans notre bibliographie. En revanche,

seules quelques répliques figurent dans cet e-book, à titre d'exemple.

Pour le reste, nous avons donc traduit à partir de la traduction

anglaise de Robert T. Rolf figurant dans Alternative Japanese Drama,

Ten plays, un recueil de pièces figurant lui aussi dans notre

bibliographie. Les répliques 4, 10, 19, 34, 49, 50 et 61, sont donc

traduites du japonais, toutes les autres de l'anglais.

Avertissement : La réplique 28 est laissée vide dans le script originel.)

Aperçu

1 L' acteur se rend au bain public dans des vêtements de ville à l'heure convenue.

2 Il paie l'entrée.

3 Il porte si possible une montre résistant à l'eau.

4 Plus il y a d'acteurs plus la scène sera efficace, mais un seul acteur est suffisant.

5 S'il y a plusieurs acteurs, ils doivent faire semblant de ne pas se connaître.

6 Si cela ne s'oppose pas à d'autres rôles qu'ils interprètent les acteurs doivent avoir laissé pousser leur barbe.

7 Le jeu des acteurs doit être inexpressif.

8 Les acteurs jouent les phrases du script à leur guise.

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Page 159: Etude esthétique et poétique de la participation du spectateur dans Knock Théâtre de ville de la troupe du Tenjo Sajiki

Emploi du temps

16h45 Homme 1 arrive au bain public.

16h48 Homme 1 paie l'entrée

16h50 Homme 1 commence à se déshabiller

16h55 Homme 1 entre dans la salle de bains, Homme 2 arrive au bain public. (Homme 2 fait les mêmes actions qu'Homme 1, 10 minutes après lui.)

17h Homme 1, bras droit levé, entre dans une baignoire.

17h05 Homme 1, bras droit levé, ressort de la baignoire, s'assoit devant un robinet, baisse le bras.

17h10 Homme 1 se lave au ralentie.

17h20 Homme 1 se bloque sur la pause qu'il a à cet instant.

17h30 Homme 1 se verse doucement et de nombreuses fois des baquets d'eau sur la tête. C'est une cérémonie.

17h40 Homme 1, bras droit levé, sort de la baignoire, s'assoit devant un robinet et baisse le bras.17h50 Homme 1 commence à se raser très proprement la moitié droite de la barbe.

17h55 Homme 1 arrête de se raser et se lave le visage.

18h Homme 1, se met soudain au garde-à-vous. (Si plusieurs acteurs sont présents, ils se mettent tous au garde-à-vous en même temps).

18h05 Homme 1 sort du bain, s'étire de tout son long et s'essuie.

18h15 Homme 1 sort de la salle de bains. Se rhabille.

18h25 Homme 1 sort du bain public.

●Les acteurs choisissent des phrases parmi le script suivant pour accompagner leurs actions:

1. De là où je viens, tous les poètes ont de la barbe.

2. Mon père a dit qu'il voulait numéroter toutes les villes.

3. Le début d'après-midi dit qu'il veut boire les ombres.

4. Pichi-pichi1: j'aime ce mot. Pichi-pichi. Toi et moi. Nous sommes pichi-pichi. Nous parlons notre propre langue. Essayons de nous trouver les uns les autres. Pichi-pichi.

5. Vous avez mis un peu de poids au milieu, non?

6. J'ai la gonorrhée.

7. Qu'est-ce qui vous fait croire que nous sommes prêt à lancer une discussion sur

1 Frais, frétillant, plein de vie.

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la lutte des classes ou sur votre relation avec les forces abstraites?8. Nuageux, suivit d'un ciel dégagé.

9. Si le triangle traduit si bien les mystères du corps humain, cela prouve que le triangle lui-même est un mystère.

10. Ta maladie de peau est guérie?

11. D'une voix féminine. Les hommes! Ils sont si faciles à berner.

12. Rien de tel qu'un bon bain, l'eau est parfaite.

13. Mais pourquoi n'avez-vous pas d'argent ?! Je veux de l'argent. Oh! L'homme avec qui je suis marié ne vaut rien.

14. J'ai longtemps fixé mon nombril et, soudainement, j'ai cru qu'il allait tomber. J'ai commencé à me disjoindre. J'ai inspiré profondément et revissé mon nombril. Il s'est disjoint encore un peu alors que je le faisais tourner, tourner, tourner, je me suis rendu compte qu'il était tombé pour de bon. Eh ! Vous avez déjà vu un homme sans nombril?

15. Cela ne sert pas l'objectif de la conférence. Nous étions en total accord sur le fait de nous rencontrer dans un endroit totalement neutre en territoire international.

16. Je me demande si la crème de coloration Emerson va vraiment marcher sur mes cheveux!

17. Ce sont les actions des hommes qui font l'histoire, non ses sentiments.

18. Oh! Très cher, j'aimerais encore perdre 14 ou 15 kilos.

19. Téléphone, télégraphe, phonographe, sans-fils, projecteur de cinéma, projecteur de diapositives, dictionnaire technique, manuel, horaire, rapport.

20. J'aimerais vraiment jeter un œil au bain public des femmes.

21. Rien ne va jamais le matin.

22. Enfin, nous sommes seuls, juste tous les deux.

23. Et ainsi, vous devenez un homme d'âge mûre.

24. La peine de mort!

25. Oh! Pauvre de moi je préférerais mourir plutôt que de revoir quelqu'un de ma famille.

26. Les recherches suivent le cours de nos aliénations mentales. La quête de la réalité ne doit pas procéder d'objet à objet, mais de relation à relation. Bouches ouvertes et carreaux de fenêtres sont interchangeables. Lumières et sons entrent en collision sur la peau et coulent dans le chaud océan. Entrée dans le bain.

27. Je suis vraiment désolé, mais puis-je emprunter votre savon ?

28.29. Regarde-le ! Regarde le nouveau là-bas ! Regarde ton fils ! Regarde cet enfant !

Il fait comme toi, n'écoute pas un mot de ce que je dis. Regarde-le, il est comme toi, il ne vaut pas une crotte!

30. J'ai oublié mes nouveaux sous-vêtements!

31. Le train roula à travers les champs, le long de la route de ma maison. Il va toujours très vite. À chaque fois que mon vieux et ma vieille se disputaient, toujours à propos d'argent, j'allais aux champs et marchais le long des rails, aussi loin que je pouvais. Après les avoir écoutés un peu, calmement, je bouchais mon nez et ma bouche, retenant ma respiration, afin de ne plus les entendre se disputer. Ensuite je taillais la route et allais dans les champs d'herbe où ça commençait à pencher, parfois je voyais un chien en train de pisser. Je glissais lentement le long de la pente lisse, escaladais la grosse colline de l'autre

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côté et continuais à marcher à travers les herbes hautes ; quand j'arrivais au chemin de fer, je continuais juste à marcher, les hautes herbes me coupaient les doigts et me faisaient pleurer, mais j'arrêtais vite, personne n'était là pour entendre. Je m'arrêtais souvent de pleurer comme ça quand j'étais seul. S'il y avait quelqu'un, je pleurais et pleurais et menaçais de m'enfuir un jour et de mourir. Je pleurais et pleurais, juste comme ça.

32. Vos pieds sont crasseux, dépêchez-vous de les nettoyer.

33. Voix féminine. Je voulais découvrir. Essayer... Je ne savais pas. C'est pour cela que je voulais essayer... comment c'était.

34. Cul! Hanche! Poitrine! Jambes! Bras! Talons! Pouces! Oreilles! Yeux! Dos! Nombril!

35. Il ne vaut même pas une crotte! Il nous a laissé dans un monde d'ennui et s'inquiète de n'avoir pas une fois essayé honnêtement de changer.

36. Vous vous êtes rétablis au point que vous pouvez reprendre des bains?

37. Voix féminine. Elle couche avec n'importe qui.

38. Avez-vous oubliez? Vous souvenez-vous?

39. Nous nous perdons dans les mémoires de notre enfance. Il est trop tard maintenant, compris? Il n'y a pas de solutions possibles.

40. Ce qui arrive ensuite était comme une scène de film.

41. Ils sont viandes, se rôtissent eux-mêmes très calmement, très lentement, alimentant la machine qui soulève les chèvres, qui soulève les grosses chèvres.

42. Je pense qu'une personne commence à mourir un peu quand elle ne dort que trois à quatre heures par nuit pendant une semaine.

43. L'homme est l'auteur de sa propre destruction.

44. J'ai attrapé un poisson aveugle. Avec une ligne invisible si longue qu'elle pourrait dériver jusqu'à la fin du monde.

45. Où est passée ma serviette?

46. Trouver ma brosse à dents.

47. Nommer c'est charger [un pistolet]. Le jour où le grand oiseau arrivera, l'histoire dont on ne se souvient pas encore sera révélée.

48. Généalogie ; 2 dehors ; base loaded1 ; Mickey Mouse ; l'origine de la cuillère ; le grand inquisiteur ; un chat solitaire nommé « Classique » ; guerre de livres ; cheveux ; les clés du royaume ; Crime Incorporated ; la dernière nuit avant que je ne tue le chien ; un réparateur de mémoire ; le passé progressif ; Dr. Menière2 ; viande abattue ; le traité des correspondances analogues ; introduction au catch pour les jeunes ; j'ai mis un coup de poing à Mama ; une étude de la barbe ; l'heure des grands artistes ; qu'est-il arrivé au vieux détective ; l'histoire du chapeau ; ingénierie de l'œil artificiel ; l'avion à moteur humain ; un répertoire de noms ; l'oiseau Kilry ; je me suis enfuie de ma maison à Yamagata ; magie contagieuse ; une étude des jumeaux ; une cérémonie de coupage de cheveux ; la masturbation à la va-vite ; vingt parrains et marraines ; l'encyclopédie du jeu ; la meilleure fixation de rasoir au monde ; rhésus sanguins ; Dr. Caligari ; mon père s'est pendu il y a trois ans ; problème d'assistance ; opium ; le théorème de Pythagore ; ragoût de coquillage en sauce ;

1 Vocabulaire de base-ball signifiant qu'il y a un coureur sur chaque base (les petits carrés blancs sur le terrain).

2 Médecin français (1799-1862) ayant diagnostiqué le syndrome de Menière.

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chiromancie médiévale ; médecine légale ; garçon ; homme de l'air ; j'ai le droit d'en avoir un bout? ; les trois braves balles humaines ; Méditerranée express ; théories de révolution ; le passage de retour d'une sombre nuit ; Marineland ; Chûjôtô1 ; le détroit coréen ; un ramasseur d'animaux ; guerre civile ; comment allez-vous? ; Maman? ; interprétation des rêves ; miroir de divination ; chasse aux adultes ; mettre les voiles dans un lit ; pintade ; garçon avec un pistolet.

49. J'ai fait du rachitisme quand j'avais trois ans, ensuite une terrible galle, cautérisée avec de l'acide nitrique. En plus de ça je suis devenu boiteux et maintenant je suis infirme. Un homme misérable, c'est moi.

50. Du savon dans une serviette, un rasoir et une brosse à dent, prix d'entrée du bain : 75¥.

51. J'ai ouvert mes veines trois fois pour essayer de me tuer. J'ai raté à chaque fois, j'ai renoncé à essayer. Maintenant je pense ouvrir un magasin d'accessoires.

52. J'ai jeté l'horloge du temps pour échapper au temps. C'est pour cela que maintenant un réveil me tombe sur la tête tous les jours, à mon réveil.

53. Je ne suis pas un objet en exposition. Arrêtez de me regarder comme ça.

54. Hé! Chérie! Tu me rejoins!

55. Combien de choses pouvez-vous faire dans un bain ? Nous lavons nos corps puant sueur et masturbation. Excrétions accumulées! L'eau chaude coule sur nos épaules, nos estomacs. Crasse! Crasse! Crasse! La peau est tendue sur ma chair et mes os.

56. Je veux aller aux toilettes!

57. Les rhumatismes de ma vieille, la sciatique de mon vieux, le trachome de mon frère aîné, la stérilité de ma soeur aînée ; petite soeur, ton oedème te tient-il toujours en soucis? ; l'abcès sur le visage de mon petit frère.

58. Polio, chéloïde, paralysie infantile, gonorrhée ophtalmique, infestation de trématodes, infection de l'oreille moyenne, tuberculose gériatrique, rage, diarrhée, jaunisse, fièvre paratyphoïde, bec de lièvre, fracture, gigantisme, cancer de l'estomac, cancer des poumons, cancer du coeur, hypertrophie pancréatique, cholésystite, peste, bacille du colon.

59. Lèpre : maladie chronique due à une infection causée par le bacille de la lèpre. La période latente est extrêmement longue et peut même dépasser vingt ans. La lèpre maculo-anesthésique produit des points roux-bruns, la lèpre neurale cause des lésions sensorielles cutanées, la lèpre tuberculoïde amène des protubérances nodulaires. Des formes concomitantes de cette maladie peuvent se déclarer. Maladie d'Hansen, fléau du ciel, lépreux, mendiant, infirme, parasite, charognard.

60. Ne t'approche pas de moi je vais attraper ta maladie.

61. En l'an 50 de l'ère Shôwa, le 19 avril à 17h précise, je lèverai le bras droit droit. À 17h05, je baisserai le bras. À 17h45, je baisserai le bras droit. Je ferai de la gymnastique, 1,2,3 et 1,2,3,4 et 1, 2, 3.

62. Tous phénomènes naturels, humains ou autres, deviennent symbole lorsqu'ils acquièrent des sens non-inhérents. Même une partie du corps peut devenir symbole. Par exemple, « Phallus » est un mot qui qualifie un pénis en érection, mais est aussi un symbole. En fait phallus contient un sens par delà son sens purement idéologique ; quand il acquiert des buts autres que l'amour sensuel ou

1 中将湯 : Remède utilisé pour les problèmes menstruels.

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la procréation, il devient phallus symbolique.63. Quand l'hamadryon mâle ou singe sacré sent le danger d'une attaque d'un autre

mâle plus puissant de la même espèce, il prévient le danger en prenant l'attitude d'une femelle babouin désirant copuler. Il lève la queue, arque son dos et expose ses fesses au babouin plus fort qui arrête ses menaces, le monte et simule alors la copulation. Cette tendance fût observée pour la première fois par Zuckermann en 1952, mais elle n'est pas réservée au babouin sacré. Elle peut aussi être observée dans d'autres sociétés animales ayant une hiérarchie très stricte.

64. Enfer ; corps ; fantômes ; esprit des morts ; funérailles ; autel bouddhique ; enfant mort ; infanticide ; tablettes funéraires ; prieur d'Amitabha ; fantôme qui a faim ; lumière funéraire ; oeil artificiel ; cercueil ; prothèse ; démence ; le détroit des enfants abandonnés ; les Misérables.

65. Qu'est-ce que la guerre pour un enfant de dix-sept ans ? Qu'est-ce que la guerre pour l'histoire ? Qu'est-ce que la guerre pour un train de marchandises en partance ? Qu'est-ce que la guerre pour un robinet qu'on pousse pour avoir de l'eau chaude ? Qu'est-ce que la guerre pour le savon dans le porte-savon ? Qu'est-ce que la guerre pour le tonifiant pour cheveux « Vitalis » ? Qu'est-ce que la guerre pour la serviette ; la bassine ; l'image en mosaïque du Mont Fuji sur le mur de la salle de bains, le miroir, le rasoir, brosse à dent et dentifrice ? Qu'est-ce que la guerre pour le bain public ?Trop chaud ; j'en ai assez.Père, qui était enquêteur pour la police locale. Père, seul dans la remise, se masturbant. Âge moyen, uniforme noir, domestique impérialiste régnant seul – Père. Père Théorie de l'Evolution de Darwin. Père allant vers le chemin de fer pour enlever le vomi du jour où il est rentré saoul et qu'il a régurgité dans le lavabo. Père qui pisse avec la porte des toilettes ouverte. Père, l'enquêteur, assis dans le train des détenus allant à la prison. Père bedonnant. Les dimanches de père. L'appendicectomie de père. La solitude de père cachant la photo de Katagiri Yûko1 dans le tiroir du bureau. Père et sa carte de la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale de Yamanaka Minetarô2. Père dont la lignée descend de poux vivants dans les murs. Père le flic, avec l'autorité de l'état, né dans l'année de la couleur blanche et de l'élément eau. Continuation et fin de père ; où l'horizon commence-t-il et où finit-il, Père ? ...

Notes de mise en scène

1 Une actrice de films érotiques2 山中峯太郎 : romancier (1885-1966), d'abord connu pour ses romans d'aventure engagés pour le

nationalisme et le militarisme.

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Ceci n'est pas du théâtre dans public un bain, mais un incident.

L'incident d'homme nu faisant de la gymnastique dans un bain public. L'incident

consiste uniquement en cela. Cependant des spectateurs n'ayant rien à voir

avec cet incident, qui ne sont jamais venus dans ce bain public et qui ne

connaissent pas ces hommes nus s'y retrouvent. Il s'agit d'un essai

d'organisation d'une rencontre nue.

Morisaki Henrikku

Archives

20 avril, 16h45, Homme 1 (Acteur ・ Masaki Mamoru) arrive au bain public

« Pivoine ». Il a une pomme. Au même moment Ono Masako arrive au bain des

femmes. Elle n'a aucun lien avec ce qui se passe dans le bain des hommes,

elle passe juste dix minutes dans le bain public puis dix minutes en ville et

répète cela jusqu'à 18h30. Dix minutes après arrive Homme 2 (Acteur ・Ôno

Susumu)au bain « Pivoine » et ensuite chacun dix minutes après Homme 3

(Acteur ・ Nemoto Yutaka), Homme 4 (Acteur ・ Ôi Ken'ichi). Le nombre de

spectateurs ayant payé 75¥, mais ne se déshabillant pas pour entrer augmente,

les flashes des caméras crépitent en tous sens, les clients habituels sont tous

très surpris, des policiers en civil ou en uniforme se rue. Un policier en civil

essaie de prendre à partie Ono qui n'arrête pas de jouer en ne faisant que

répéter : « Je ne sais pas ». La police abandonne et repart. Après avoir joué

jusqu'à la fin comme indiqué dans le script, ils ont été considérés comme des

acteurs lorsqu'ils sont sortis ayant l'air de pouvoir répondre aux questions, ils

ont seulement arrêté de s'étirer pour s'essuyer. Les acteurs repartiront comme

ils sont arrivés. De plus, comme cela ne convenait pas bien de regarder sa

montre. Aussi, cinq minutes avant la fin Morisaki Henrikku va vers le bain des

femmes et dit : « Grande soeur, tu peux sortir du bain maintenant ? » d'une

forte voix. Elle devait alors lui répondre d'attendre encore cinq minutes.

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Personnages

Ôi Ken'Ichi, Ôno Susumu, Nemoto Yutaka, Masaki Mamoru, Ono Masako.

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Figure 27 (De gauche à droite : Ono Masako et Morisaki Henrikku)

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Théâtre épistolaire.

Script et mise en scène : Terayama Shûji.

Manuscrit (Extraits)

Dans un roman de Fredric Brown, un homme reçoit quotidiennement une

lettre d'un expéditeur inconnu, ce qui fait changer sa vie. A partir de là, j'ai

décidé de me transformer en cet expéditeur inconnu et d'amener la fiction dans

une famille paisible. Si l'on insère un corps étranger dans une base de réalité

se perpétuant, on crée un élément perturbateur et cela c'est du théâtre. Grâce

au principe de soudaineté et à l'imagination, on réforme et crée la dramaturgie,

cela ne diffère donc pas d'une nouvelle forme de théâtre. [...]

Synopsis

On propose les sept façons suivantes de faire du théâtre épistolaire : (1)

S'envoyer une lettre à soi-même. (2) Procès. (3) Puis, tout le monde se réunit.

(4) Dialogue postale. (5) Un tissu blanc sort de la fenêtre à 21h. (6) Mandat de

recrutement. (7) Homme à tête de chien.

La date de la représentation est fixée au 19 et 20 avril, jour où a lieu « Knock »

du Tenjô Sajiki, même si le premier envoi a lieu le 5 avril.

Archive de la représentation et contenu

(1) S'envoyer une lettre à soi-même

Comme prologue au « Théâtre épistolaire », l'équipe de cette pièce

s'envoie une lettre depuis la poste du lieu de la représentation. On fait cela pour

montrer que la pièce n'est pas divisée en destinataire et expéditeur, mais que

ces deux choses sont confondues. La tournée du facteur devient ainsi une

relation mutuelle entre ces gens et c'est comme cela qu'on choisit de

commencer la pièce. Les « acteurs » devant s'envoyer un lette à eux-mêmes

sont : Terayama Shûji, Niitaka Keiko, Andô Kôhei, Nakajima Tatari, Morisaki

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Henrikku, Miura Akemi, Arakawa Nagisa, Kishida Rio, en tout huit personnes.

Archives

Figure 28

(2)Procès

Une lettre arrive chaque jour à un célibataire d'âge moyen. L'adresse et

le nom de l'expéditeur sont les siens. Le contenu de ces lettres est un rapport

sur ce qu'il a fait la veille. Après avoir fidèlement décrit ses actions pendant une

semaine il n'en reçoit plus pendant un jour. Il reçoit une lettre le jour suivant

décrivant non plus ses actions de la veille, mais ses actions de l'avant-veille. Du

11 avril (vendredi) au 17 (jeudi). La lettre du 18 (vendredi) est délivrée le 19

(samedi), et une lettre datée du 20. Les actions du 20 sont enregistrées sur

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vidéo. Destinataire : Suzuki Akira/ Adresse : Suginami Narita est 1-13. Hoshino-

hô/ Date de naissance : 14ème année de l'ère Taishô1, 4 juillet, Cancer.

Archives (Exemples)

1. 11 avril (vendredi), premier envoi.

2. 19 avril (samedi), huitième envoi.

(Cela fait un rapport de 20 jours d'action. Il s'agit d'une référence comparative

aux actions réelles)

Figure 29

3. Archive des agissements du 20 avril. 8h du matin, je me lave le visage et

sors. Comme il est dimanche j'ai fait la grasse matinée. L'hôpital aussi

est en vacances, je me suis reposé toute la matinée dans ma chambre.

16h15 : Je vais en vélo à Chôseiyu2. 17h30 : Je sors de Chôseiyu. La

sakaya3 où je vais d'habitude est fermé alors je frappe à la porte de

1 Soit 1925.2 Certainement le nom d'un bain public.3 Marchand d'alcool.

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derrière et bois un Onecup1. Alors que je marche dans le Pal Center2,

j'aperçois une caméra de télévision que je me mets à suivre. Vais-je moi

aussi être filmé ? C'est ma grande préoccupation. Je reprends mon vélo

et retourne chez moi. Je n'arrive pas à me détendre aussi je sors à

nouveau à 18h10. (Ces actions sont filmées)

(3) Puis, tout le monde se réunit

Un jour, arrive cette annonce à une cinquantaine de foyers d'une zone

déterminée : « Nous avons l'objet que vous avez perdu. Prière de vous rendre à

cette date à l'adresse suivante muni de votre sceau3 et de la présente : 50ème

année de l'ère Shôwa (1975), 20 avril, 13h, Suginami Toritsu Zempukuji,

représentation, Bureau des objets trouvés. » [Il s'agit de la traduction de la lettre

reproduite ci-dessous.]

Les gens qui ne se souviennent pas avoir perdu quelque-chose doivent

donc se retrouver là, mais personne ne vient. Il y a une table et une chaise à la

position où il devrait être. Les gens réunis ici devaient commencer à penser à

leur objet trouvé. Cette pièce avait ainsi pour thème le mouvement

psychologique des gens venus récupérer quelque-chose, à partir de la

réception de l'annonce jusqu'à l'arrivée dans le parc.

Destination des expéditions. Régie d'Asagaya. 100 foyers.

Archives (Exemple)

1 Un « verre » de saké avec un couvercle que l'on trouve en magasin. Assez peu cher, c'est un alcool très bas de gamme.

2 Très certainement une route commerçante couverte comme on en trouve beaucoup avec ce nom.3 Les japonais signent grâce à un petit tampon personnel.

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Figure 30

Même si l'on a pris en vidéo le parc de Zempukuji à l'heure dite,

personne ne vint et seul la chaise et la table restèrent là, à prendre le soleil.

Dans l'espace clos du lotissement, l'intérêt vers le monde extérieur reste-il clos

lui aussi ?

[...]

(7) Homme à tête de chien

1. On envoie chaque jour pendant une semaine les lettres suivantes à 6

maisons de la ville incluant le marchand de cigarette.

1er envoi. « Excusez-moi de vous importuner, mais pourriez-vous me

prêter un briquet s'il vous plaît ? »

2ème envoi. « Je ne suis pas quelqu'un de douteux. Vraiment, je veux

seulement vous emprunter un briquet. »

3ème envoi. « Mes caractéristiques : 1,70 m, taille moyenne. Chapeau

haut de forme et moustache, un imperméable froissé, je porte sous le bras un

livre illustré sur les papillons. »

4ème envoi. « Le 20 avril à environ 10h, je viendrai vous rendre visite

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chez vous pour vous emprunter votre briquet. »

5ème envoi.

Figure 31

6ème envoi. « Si cela est possible j'aimerais autant vous emprunter des

allumettes plutôt qu'un briquet. »

7ème envoi. « Ma cigarette ne fait pas un mètre de circonférence et

n'est pas une cigarette énorme de douze mètres de long provenant d'un pays

de géant. C'est une cigarette tout ce qu'il y a de plus normale. »

8ème envoi. « C'est finalement demain que j'arrive. Je me recommande

à votre bienveillance. »

2. Le jour prévu du 20 avril, un homme à tête de chien (acteur : Meguro

Shigeru) arrive aux six maisons visées.

3. On prend en vidéo les réactions des différentes personnes.

Les destinataires sont les six personnes suivantes : -Buraliste Tanabe,

Suginami Narita est 5, bureau de tabac,

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-Chaki Mitsuo, Suginami Narita est 5, restaurant de Soba1.

-Akashi Jirô, Suginami Narita est 4, Diseur de bonne aventure.

-Kiyomizu Ichirô, Suginami Narita est 4, vendeur de riz.

-MOMOYA2, Suginami Narita est 4, boulangerie.

-Réparateur de montre Ôtani, Suginami Narita est 3, horlogerie.

Archives (Exemple)

1. Lettre destinée au bureau de tabac Tanabe.

2. 5ème envoi. (Cette lettre est faite de caractères coupés dans des

journaux. Figure 31)

3. 20 avril (dimanche). un homme à tête de chien et habillé comme décrit

dans les lettres se présente aux six maisons. La réaction des destinataire fût :

l'invitation à boire des rafraîchissements (Akashi Jirô • Diseur de bonne

aventure) / Se faire dire qu'on pensait qu'il s'agissait d'une farce (Boulangerie

Momoya) / Fermer rapidement la porte et lancer des allumettes par-dessus le

mur (Bureau de tabac Tanabe)

Il y eût toutes sortes de réactions, mais personne ne refusa de nous

prêter du feu.

4. 27 avril (dimanche). Miura Akami alla rendre visite aux six maisons et

leur demanda leur avis qu'elle filma.

Personnage (Acteur)

Homme à tête de chien : Meguro Shigeru

1 Nouilles de sarrasin consommées froides.2 En lettres romaines dans le texte.

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Iconographie

Référencement

Les figures 1, 2, 3, 24, 26 nous ont été cordialement prêtées par テラヤマ・

ワールド (Terayama World).

Les figures 4, 5, 7, 21, 27 sont issues du site Eigagogo! À l'adresse suivante :

http://eigagogo.free.fr/Articles/Terayama_France/terayama_france.htm

Ces photos ont été courtoisement prêtées au site par Monsieur Gérard Nguyen.

Les figures 6, 8 à 20, 22, 23, 25, 28 à 31 sont issues du e-book en notre

possession dont les références sont présentes dans notre bibliographie.

Descriptions

Figures 4, 5, 7, 21, 27 : Toutes ces photos tirées du site Eigagogo! ont été

prises lors de la venue du Tenjô Sajiki en France en mai 1971 à l'occasion

d'une tournée.

Figure : 6 (p.30) : plan de la machine mise au point à l'occasion du spectacle Le

promeneur de l'air.

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