etienne bartin - la doctrine des qualifications et ses rapports avec le caractére national du...

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RECUEIL DES COURS i 1930 I

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Se trata de una de las obras fundamentales del Derecho Internacional Privado sobre la doctrina de la calificación.

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Page 1: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

RECUEIL DES COURS

i

1930 — I

Page 2: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

COMPOSITION DU

CURATORIUM DE L'ACADÉMIE

PRÉSIDENT :

M. Ch. LYON-CAEN, Doyen honoraire de la Faculté de droit de l'Université

de Paris, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences Morales et

Politiques.

- VICE-PRÉSIDENT :

M. N. POLITIS, Ministre de Grèce à Paris, ancien Ministre des Affaires

étrangères de Grèce, Professeur honoraire à la Faculté de droit de

l'Université de Paris.

MEMBRES :

MM. Al. ALVAREZ, Conseiller juridique des légations du Chili en Europe.Associé étranger de l'Institut de France.

D. ANZILOTTI, Professeur à l'Université de Rome, ancien Président de

la Cour permanente de Justice internationale.

Baron DESCAMPS, Vice-Président du Sénat de Belgique, Ministre d'État,Professeur à l'Université de Louvain.

L. DE HAMMARSKJÔLD, ancien Gouverneur de la Province d'Upsal,ancien Président du Conseil des Ministres de Suède.

Th. HEEMSKERK, Ministre d'État des Pays-Bas.

A. PEARCE HIGGINS, C.B.E., K.C., Professeur à l'Université de

Cambridge.

W. SCHUCKING, Directeur de l'Institut pour le Droit International del'Université de Kiel, Membre de la Cour permanente d'Arbitrage de La

Haye, ancien Membre du Reichstag.

James Brown SCOTT, Secrétaire général de la Dotation Carnegie pour laPaix Internationale.

L. STRISOWER, Professeur à l'Université de Vienne.

Baron Michel DE TAUBE, ancien Professeur à l'Université de Saint-

Pétersbourg.

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL :Baron Albéric ROLIN, Professeur émérite à l'Université de Gand, Pré-

sident d'honneur de l'Institut de Droit international.

SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX ADJOINTS :MM. Gilbert GIDEL, Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Paris

et à l'École libre des Sciences Politiques.E. N. van KLEFFENS, Directeur des Affaires politiques au ministère des

Affaires étrangères des Pays-Bas.ATTACHÉ A LA PRÉSIDENCE POUR LA PUBLICATION DES COURS DE L'ACADÉMIE •

M. Paul LACROIX.

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ACADEMIE DE DROIT INTERNATIONALétablie avec le concours de la

DOTATION CARNEGIE POUR LA PAIX INTERNATIONALE

RECUiH, DES COURS

1930

I

Tome 31 de la Collection

LIBRAIRIEDD

RECUEIL SIREY(SOCIÉTÉ ANOMME)

22, Rue Soufflot, PARIS, 5*f'

s r-.

Page 4: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

-_ \ l;- _« -L

Tons droits de^traductîon, de reproductionet d adaptation réservés pour tous pays.Copyright*by Librairie^dti Recueil Strey,

Page 5: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

LÀ DOCTRINE DES QUALIFICATIONS

ET SES RAPPORTS

AVEC LE CARACTÈRE NATIONAL

DU CONFLIT DES LOIS.

PAR

E. BARTINProfesseur de Droit international privé

à la Faculté de droit de Pans.

I. — 1930. 36

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Photo ilathieu-Pietcrs. I.a Haye.

M. E. BARÏIN

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NOTICE BIOGRAPHIQUE

BABTIN (Etienne-Adolphe), né le 2 octobre 1860 à Chauriat Puy-de-Dôme); Agrégé des Facultés de Droit (1887); Professeur aux

Facultés de Droit d'Alger (1887), de Lille (1889), de Lyon (1893), de

Paris (1901); Professeur à la Faculté de Droit de Paris, d'abord de

droit civil (1907), puis de droit international privé (1926).

PRINCIPALES PUBLICATIONS

Les Contre-lettres, Thèse de doctorat. 1885.Les Conditions illicites ou contraires aux moeurs, 1886

Etudes sur le régime dotal, 1892.

Études de droit international privé, 1897

Etudes sur les effets internationaux des jugements, 1907.

Principes de droit international privé selon la loi et la jurisprudence fran-

çaise, t I, 1930.

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LA

DOCTRINEDES QUALIFICATIONSET SES RAPPORTS

AVEC LE CARACTÈRE NATIONAL

DES RÈGLES DU CONFLIT DES LOIS (1)

I

Je voudrais expliquer d'abord à mes auditeurs le titre très

compréhensif et très large auquel je me suis arrêté pour la

désignation de l'objet de ces leçons.Mes auditeurs connaissent certainement tous la question

dite des qualifications, autrement dit la question de savoir

quelle est la loi applicable, dans un litige donné soumis aux

juridictions d'un Etat donné, à la nature de l'institution

qui donne lieu à ce .litige, à la place que cette institution ocT

cupe dans la classification des institutions civiles; nature et

place en conséquence desquelles le juge saisi appliquera à

cette institution, dans le litige sur lequel il doit statuer,telle ou telle loi interne, en conséquence des règles qui ont

pour objet, dans le droit international privé, de résoudre les

conflits de lois, autrement dit de déterminer la loi applicableaux différentes institutions du droit privé. Voilà une défini-

tion bien abstraite et cependant bien longue de cette ques-tion des qualifications. Je prie mes auditeurs de s'en con-tenter pour l'instant : il va de soi que je la reprendrai bientôt

avec des exemples qui la rendront claire, ceux mêmes quim'ont permis autrefois de la poser. Mais il serait prématuréde le faire en ce moment, où je me propose d'expliquer seu-lement le titre de ces leçons.

. (1) Conformément au désir de l'auteur, ces leçons ont été reproduites icidans la forme exacte sous laquelle elles furent professées.

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S66'

E. BARTIN

Je désire en effet expliquer à mes auditeurs, comme le

titre de ces leçons le donne à entendre, non pas précisément;

la question des qualifications, la solution que je crois qu'elle

comporte — si telle avait été ma pensée, j'aurais pris,

comme titre de ces leçons, la question des qualifications,

simplement, sans aucune addition — mais plutôt les consé-

quences de cette théorie des qualifications sur la coristitution

même du droit international privé, envisagé dans l'ensemble

des problèmes qu'il soulève : je désire expliquer à mes audi-

teurs, comme le dit expressément mon titre, les rapports de

la théorie des qualifications avec le caractère des règles du

conflit de lois; je dis, plus précisément encore, avec le carac-

tère national des règles du conflit de lois.

Voici ce que j'entends par là.

Depuis qu'il y a des conflits de lois, je ne dis même pas

depuis qu'il y a des conflits internationaux de lois, je dis

depuis qu'il y a des conflits de lois en général, on s'est pro-

posé, dans les divers Etats, dans les diverses doctrines qui

s'y sont développées, d'en demander la solution à quelques

règles très générales, très simples, dont mes auditeurs con-

naissent bien l'expression devenue banale aujourd'hui :

celles-ci par exemple : l'état et la capacité des personnesrelèvent de leur loi personnelle, loi nationale pour les uns,loi du domicile pour les autres; les formes des actes juri-

diques dépendent de la loi du lieu où ils sont faits; les règlesrelatives à la transmission de la propriété sont celles de la

loi du pays où sont situés les biens, etc., etc. On a eu recours,comme ces différentes propositions le prouvent, à ce procédéd'établissement de règles très générales, chacune d'ellesétant faite pour tout un groupe d'institutions et de règles dedroit interne, reliées entre elles par ces notions très largeset très générales elles-mêmes d'état et de capacité, de formedes actes, de régime de la propriété, etc., etc. On a fait cela,on a eu recours à ce procédé, parce qu'il était impossible,parce qu'il paraissait impossible, de formuler autant de règlesde conflit spéciales et distinctes qu'il y a d'institutions spé-ciales et distinctes de droit privé interne : avec ce procédéanalytique et discursif, qui aboutirait à la multiplicité et àla spécificité des règles de conflit, on n'en finirait pas.

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 567

On s'est dit .ensuite : ces propositions très générales, ces

propositions abstraites, chacune d'elles étant faite pour tout

un groupe d'institutions de droit privé, si elles sont justes,si on arrive à s'entendre doctrinalement sur elles, seront

bonnes partout, resteront les mêmes pour tous les pays et

dans tous les Etats, pourront, en somme, s'adapter sans

déchirure à toutes les institutions de droit interne comprisesdans le groupe d'institutions pour lequel chacune de ces

propositions générales est faite. Il y a donc, au-dessus des

différentes législations internes, si différentes que soient ces

législations entre elles, si différentes que soient entre elles

les institutions qu'elles ont établies, des règles communes

qui fixent leur étendue d'application et leur domaine propre.Il y a un droit international privé général, le même pourtoutes les législations internes et pour tous les Etats, parce

qu'il les domine toutes et tous, pour déterminer la part légi-time d'application de chacune d'elles sur le territoire de

chacun d'eux. C'est ce qu'on appelé la, méthode universelle

de constitution du droit international privé : l'expression est

du grand jurisconsulte néerlandais Jitta, dont il est si natu-

rellement juste que je salue ici la mémoire.

Seulement, en regard de cette méthode universelle de

constitution du droit international privé, une autre formule

toute différente a été donnée. La valeur universelle de ces

propositions générales, a-t-on dit, n'est qu'une illusion,

parce qu'on ne peut faire abstraction, pour les établir, des

particularités des institutions de droit interne, dans chaque

pays, dont ces propositions générales auraient pour objet de

déterminer le domaine international. Ces propositions géné-rales en effet varient, quant à leur application pratique,avec chaque législation et dans chaque pays. On ne peut pas

plus parler de méthode universelle de constitution du droit

international privé qu'on ne peut parler, en droit interne,de législation universelle. Une législation qui se présente-rait comme commune à plusieurs pays, dont les règles se-

raient les mêmes pour tous ces différents pays, se transfor-

merait rapidement, par la jurisprudence différente de ces

différents pays, en autant de législations indépendantes qu'il

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568'

E. BARTIN'

y aurait de pays où cette législation commune s'appliquerait.

La méthode universelle de constitution du droit interna-

tional privé reste dès lors une pure chimère.

Voilà cette opposition, rapidement Tappelée par ses

grandes lignes, entre les deux conceptions différentes du

droit international privé, la èonception internationale, comme

on l'appelle quelquefois, qui c'orrespona à la méthode uni-

verselle, et la conception nationale ou particulariste qui en

est l'antithèse absolue.

Ceci posé,' la théorie des qualifications, comme je la com-

prends, constitue l'obstacle décisif au succès de la méthode

universelle. Elle me paraît radicalement contraire à la con-

ception internationale du droit international privé, non

seulement par elle-même, mais plus encore par les consé-

quences auxquelles elle conduit,' par'sa répercussion sur

toutes les ' théories fondamentales du droit international

privé."Elle'condamne les internationalistes, sur toutes ces

théories fondamentales aussi bien que dans le détail du con-

flit des lois,' à là méthode' hationalê'ét particulariste que j'ai

opposée à la méthode universelle.' '' '

C'est cela, précisément,'"que 1je voudrais montrer à mes

auditeurs dans'tes'quelques levons :!leur exposer beaucoupmoins la théorie des qualifications elle-même que ses consé-

quences, je veux dire sa puissance' d'expansion dans tout ledroit international privé.

Et pour le faire, c'est, dans l'esprit même de cette théoriedes qualifications, sur le terrain du droit français que je me

placerai. C'est à la jurisprudence française que j'emprun-terai mes exemples. Je montrerai à mes auditeurs que, pourrésoudre les conflits de lois que fait naître le jeu de certaines

institutions, nous ne pouvons le faire, en France, qu'entenant compte du droit interne français sur ces institutions-là. Nous ne pouvons, pour résoudre ce conflit internationalde lois, nous inspirer que du droit interne français. Je pensed'ailleurs que ce qui est vrai en France de ces conflits delois, où l'esprit de l'institution de droit interne en Franceest engagé, ne l'est pas moins dans tel ou tel autre Etat géné-ralement quelconque où l'institution de droit interne gêné-

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 569

ratrice du conflit est comprise autrement, et où, par suite,la règle de conflit elle-même est différente.

Voilà donc l'objet de ces leçons tel qu'il ressort du titre que

je leur ai donné. La doctrine des qualifications impose, dans

tout le domaine du droit international privé, une méthode de

solution qui fait du droit international privé, qu'on le veuille

ou non, une discipline particulariste et nationale.

Il peut, dans ces conditions, paraître paradoxal que je sois

venu défendre et développer cette thèse à l'Académie de

La Haye, où l'on se propose, au contraire, d'atténuer les

divergences nationales des législations, de faire tomber les

cloisons qui les séparent et, en somme, de supprimer les

conflits.

C'est là une objection que je devais prévoir au début même

de ces leçons, que je devais naturellement formuler avant

tout. Mais je ne m'y arrêterai pas en ce moment. C'est à la

fin de mon exposé que je la retrouverai, et je puis dire tout de

suite que j'espère montrer alors à mes auditeurs que, si elle

est, comme j'en suis convaincu, décisive contre la prétendueméthode universelle de constitution du droit international

privé, elle est, au contraire, parfaitement conciliable avec

l'esprit international dans lequel ces différents problèmes du

conflit des lois doivent être étudiés, et c'est là, je crois,l'essentiel.

n

Je commence par vous rappeler cette théorie des qualifi-cations dont je me propose de vous montrer les conséquencesindéfinies dans l'ensemble du droit international privé. Le

procédé le plus simple et le plus clair, pour vous la rappeler,est encore de vous exposer comment j'y ai été conduit.

Lorsque j'ai commencé à m'occuper de droit international,il y a quelque quarante ans, je puis bien avouer que je devais,

pour l'enseigner, commencer par l'apprendre. Cette matière

n'était entrée que peu d'années auparavant dans les pro-

grammes français de la licence en droit, et je n'avais pu moi-

même bénéficier de cette innovation (1882). On avait donc,

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S7o E. BARTIN

à cette date, organisé cet enseignement dans les Facultés de

Droit françaises, et on l'avait organisé un peu au hasard, en

y faisant entrer un peu pêle-mêle toutes sortes de questions

qui faisaient antérieurement partie de l'enseignement du

droit civil, qu'il fallait, comme on l'a dit, décongestionner.

Je me mis donc au travail, en suivant pour mon étude per-

sonnelle de ces questions, nouvelles à mes yeux, les mêmes

méthodes qui m'avaient paru bonnes pour les études de droit

civil et en général pour les études de droit privé. Je me mis

à lire méthodiquement tous les arrêts dans lesquels il me

semblait y avoir un élément international, sans avoir encore

à ma disposition, il est à peine besoin de le dire, une défini-

tion claire et sûre de cet élément international où je voyais

la caractéristique de ces arrêts. C'était là, sans doute, un

procédé de recherches un peu téméraire, à côté duquel il y en

avait un autre, mais qui ne me séduisit pas : il consistait à

me pénétrer de ce qu'avaient écrit, depuis la fin du Moyen

Age, les jurisconsultes italiens et français sur la matière du

conflit des lois. J'essayai, mais j'eus rapidement l'impres-sion que je tournais dans un cercle naturellement sans issue.

J'étais perpétuellement renvoyé de formule en formule, ces

formules, plus inconsistantes les unes que les autres, ne

donnant pas aux conclusions que j'en tirais la sécurité de la

certitude. Je résolus donc, après cet essai loyal d'une mé-

thode qui ne me convenait pas, de m'en tenir, sans dévier, à

la question de savoir comment ces difficultés de conflit se

présentaient dans la pratique, dans la réalité des affaires, et,

pour être plus sûr de ne pas m'égarer, comment elles se pré-sentaient dans la pratique de mon pays, très désireux

d'ailleurs de pousser plus tard mes recherches plus loin, et.si possible, d'établir des formules susceptibles de générali-sation à d'autres législations que la législation française,selon l'esprit de la méthode, dite universelle, de constitutiondu droit international privé. ;

Et c'est ainsi que je me trouvai arrêté, un beau jour, parl'analyse d'une espèce qui me parut insoluble. C'est l'hypo-thèse de l'arrêt de notre Cour d'Alger du 24 décembre 1889,(Clunet, 1891. 1171). En voici le résumé :

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS S7i

Deux sujets maltais se marient à Malte sans faire de con-

trat de mariage. Après le mariage, le ménage se fixe en

Algérie, terre française, et le mari y acquiert des immeubles.

Il décède : la question est de savoir si sa veuve a des droits

sur ces immeubles, et quels droits ?

Remarquons bien comment la question se pose. Nous

sommes en France, devant une juridiction française, qui ne

peut naturellement appliquer à la difficulté que les règles du

conflit de lois que le législateur français a expressément

posées ou implicitement sanctionnées, disons plus nettement

et plus simplement les règles françaises du conflit des lois.

C'est un point qu'on ne saurait contester.

Or, ces règles françaises du conflit des lois, quelles sont-elles ? H est, à première vue, bien difficile de le dire, parceque deux solutions contradictoires sont possibles, qui parais-sent, à première vue, aussi légitimes l'une que l'autre, et

entre lesquelles cependant il faut, de toute nécessité, choisir.

Voici la première. La veuve se présente comme héritière

de son mari : elle prétend exercer sur l'immeuble des droits

héréditaires, par exemple et par hypothèse, parce que la

loi maltaise lui conférerait des droits de ce genre si la ques-tion, au lieu de se poser devant les juridictions françaises,se posait devant les juridictions maltaises.

Si nous nous plaçons sur ce terrain, la prétention de cette

veuve maltaise doit être totalement rejetée : elle est sans

fondement. Voici pourquoi : une règle française fondamen-

tale, en matière de conflit des lois, décide que la dévolution

héréditaire des immeubles, autrement dit la détermination

des héritiers appelés à les recueillir, dépend de la loi du lieu

de la situation de ces immeubles (lex rei sitse). Or, la lex rei

sitae, c'est ici la loi française, la loi française interne, et à

cette date du 24 décembre 1889, date de l'arrêt d'Alger, à

plus forte raison à la date du décès du mari et par consé-

quent de l'ouverture de sa succession, notre Code civil

n'accordait, dans un cas de ce genre, aucun droit hérédi-

taire à la veuve, et plus généralement au conjoint survivant

(art. 767 ancien du Code civil). Ce n'est que plus tard, le

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S72 E. BARTIN

9 mars 1891, que la loi française interne a'sur ce point été",

modifiée à l'avantage du conjoint survivant.

Voilà une première solution, solidement appuyée sur la.

règle traditionnelle en France, de l'application de la lex rei

sitse à la dévolution héréditaire des immeubles.

Voici maintenant une seconde solution nettement con-

traire, fondée, elle aussi, sur les règles françaises du conflit

des lois, seules applicables puisque nous sommes en France,

devant une juridiction française qui ne connaît et ne peut

connaître qu'elles. La veuve n'invoque plus un droit de suc-

cession, elle se place sur un autre terrain, celui du régime des-

biens entre époux qui, pour nous, comme on va le voir, ne-

relève pas de la loi territoriale.

Nous admettons, en France, que le régime des biens entrer

époux est toujours un régime conventionnel, en quelque-

pays que soient situés les biens qu'il a pour objet. •C'est

tout à fait évident lorsque les époux ont fait un contrat de-

mariage, mais c'est également vrai dans le cas contraire,

parce que le régime légal des biens entre époux est considéré^

chez nous comme un régime conventionnel tacite. C'est en-

core là une règle fondamentale de notre système de conflit

des lois, dont je n'ai pas à fournir ici la justification où plu-tôt à donner l'explication, qui se rattache à l'histoire de la.

formation de notre régime de droit commun, la communauté-

légale.Ceci posé, ce régime légal, qui n'est pour nous qu'un ré-

gime conventionnel tacite, dépend nécessairement pour nous-

de la loi que les époux ont choisie, ou plutôt, puisqu'ils n'ont

pas fait de contrat de mariage qui témoigne de leur choix,de la loi qu'ils sont présumés avoir choisie. Nous présumons-leur choix, nous présumons leur volonté, et nous admettons-à ce titre, au moins ordinairement, qu'ils ont choisi (qu'ils-sont présumés avoir choisi) la loi du pays où ils comptaients'établir après le mariage et en conséquence du mariage rc'est ce que nous appelons le domicile matrimonial.

Si donc ces époux maltais avaient eu l'intention, lors dir

mariage, de s'établir en France (en Algérie); la loi applicable-à la détermination de leur régime légal aurait été, pour nôusr

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS S73

d'après ce qui vient d'être dit, la loi française interne; ils•auraient dès lors été mariés, pour nous, sous l'empire de la«communauté légale du droit français, et la veuve aurait eu

droit, en sa qualité de femme commune en biens, à la moitié«en pleine propriété de l'immeuble, considéré comme un

conquêt de communauté. La situation de cette veuve chan-

geait du tout au tout.

Mais il résultait au contraire des faits que les époux^'étaient venus qu'accidentellement se fixer en France, assez

longtemps après leur mariage. Leur domicile matrimonial,pour nous, n'était donc plus en France, mais bien à Malfe.Ils étaient donc, pour nous, mariés sous le régime légal de laloi maltaise : c'est de la loi maltaise que dépendaient pournous les droits matrimoniaux de la femme, après la dissolu-tion du régime légal. Or, justement, la loi maltaise accordaità la femme, outre la moitié des acquêts, un droit important,à titre de gain de survie, sur l'actif laissé par le mari, la

quarte du conjoint pauvre. La situation de cette veuve chan-

geait donc de nouveau, à son avantage, par application en

France, même sur des immeubles français, dp la loi maltaise

quant au régime légal des biens entre époux.Ainsi, voilà deux solutions contradictoires, aussi légitimes

l'une que l'autre selon les règles françaises du conflit des

lois, aussi légitimes l'une que l'autre suivant qu'on se place,devant la juridiction saisie, sur le terrain du droit de succes-

sion ou sur le terrain du régime des biens entre époux. Le

choix de la solution dépend du choix du point de départ :

nous sommes en présence de deux impératifs hypothétiques,de deux impératifs subordonnés, l'un et l'autre, à une con-dition antérieure et supérieure à la détermination de la loi

applicable à la prétention de la veuve. Nous sommes, si je

puis dire, en face d'un mur, chacune des deux législations en

opposition, je ne puis même pas dire encore en conflit, s'en

tenant à son point de vue quant à la définition du droit pré-tendu par la veuve : la loi maltaise y voyant un gain de

survie dépendant du régime matrimonial, la loi française

répondant que ce gain de survie n'est autre chose pour elle

qu'un droit de succession, parce que des gains de survie

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574 E. BARTIN

aussi considérables ne peuvent se comprendre que comme

des conventions spéciales de préciput, le gain légal de survie,

dans notre droit, n'allant jamais aussi loin (Cf. art. 1465 de

notre Code civil français). <<' Voilà l'impasse ': deux thèses contradictoires s'affrojntent,

il est impossible de réduire l'une quelconque d'entre elles à

l'autre : il n'y a pas, pour cela, de commune mesure. Cette

question initiale de la nature du droit de la veuve, qui domine

la question de conflit, va dépendre, dès lors, pour chacune des

deux législations opposées, de son propre système de classifi-

cation des institutions de droit privé, de ses propres définitions

comparées du régime des biens entre époux et du régime

des successions. Chacun des deux juges éventuellement

"saisis, le juge français, le juge maltais, raisonnera pour soi :

c'est la loi au nom de laquelle il rend la justice qui, pour

lui, tranchera la difficulté. La lex fori aura, sur ce point,le dernier mot.

Le problème des qualifications commence maintenant à

nous apparaître. Quand la détermination de la loi applicableà un rapport de droit donné dépend de la nature de ce rap-

port, entendez par là dépend de sa place dans la classification

des institutions, et qu'on ne s'entend pas sur la nature de ce

rapport, à quelle loi va-t-on demander la solution de ce

conflit préalable, de ce conflit d'un genre nouveau, le conflit

qui s'élève sur la détermination de la nature du rapport de

droit litigieux, qui décidera ensuite Je la loi applicable à

ce rapport lui-même ?

Nous sommes ainsi arrivés à la formule du problème des

qualifications. Qu'avons-nous ajouté, pour y arriver, à l'arrêtde la Cour d'Alger ?

Nous y avons ajouté une généralisation : nous avons men-talement appliqué à d'autres hypothèses possibles l'analysede la difficulté que cet arrêt soulevait. Nous avons dit, aumoins implicitement : cette difficulté n'est pas la seule deson espèce : il y en a d'autres qui présentent le même carac-

tère, dans les domaines les plus divers du droit privé. Ildoit y en avoir d'autres, il faut qu'il y en ait d'autres.

Est-ce' bien sûr ? C'est le premier point à examiner pour

Page 21: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 575

poser, dans toute son ampleur, cette question des qualifica-tions. Il se pourrait que la difficulté qu'on vient d'analyserfût la seule de son espèce. Nous serions alors en présenced'une curiosité juridique relative à la séparation des deux

domaines qui se touchent de si près dans le droit privé,le domaine du régime des biens entre époux et celui du régimedes successions. Ces deux domaines réunis se résument dans

une notion commune et se désignent par un seul et même voca-

ble, rapports du droit de famille et du droit des biens. Il se

pourrait que l'arrêt d'Alger soulevât un problème isolé, spé-cial à ce domaine commun du droit de famille et du droit

des biens, qui, si vaste qu'il soit, ne comprend tout de même

pas le droit international privé tout entier.

Il fallait donc chercher, je veux dire chercher des difficul-

tés semblables, dans d'autres parties du droit privé; des dif-

ficultés semblables, je veux dire des difficultés s'analysantde même. L'intérêt était considérable, il s'agissait de l'éten-

due même de la question des qualifications et, si l'on veut

me permettre cet expression mathématique, de l'exposant

qu'il y faut appliquer.Je n'eus pas de peine à trouver tout de suite un autre

exemple, qui m'était fourni, qui m'est fourni encore par le

Code néerlandais de 1829. Il s'agit de la disposition bien con-

nue de l'article 992 de ce Code de 1829. Ce texte prohibe le

testament olographe, non seulement sur le territoire néer-

landais pour tout le monde, mais aussi en dehors du terri-

toire néerlandais pour les sujets néerlandais qui testeraient

en cette forme à l'étranger. L'idée est celle-ci. La forme olo-

graphe du testament présentant, pour celui qui teste, de

graves dangers, la loi néerlandaise frappe ses ressortissants

d'une sorte d'incapacité de tester en cette forme; et alors

cette disposition prohibitive fonctionne, pour la loi néerlan-

daise, comme fonctionnerait une disposition de statut person-nel : elle suit, pour la loi néerlandaise, autrement dit dans le

système néerlandais du conflit des lois, le sujet néerlandais

à l'étranger, de telle sorte que, devant les tribunaux néerlan-

dais, le testament olographe fait en France par un sujet néer-

landais sera par eux considéré comme nul.

Supposons maintenant que la' question de la validité de ce

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576 E. BARTIN

testament, au lieu^de se poser en Hollande devant les juges

néerlandais, se pose devant les juridictions d'un autre Etat,

sur le territoire duquel le testament a été fait. Dans cet Etat,

on considère, par hypothèse, la question de la validité de ce

testament comme une question de forme, je veux dire comme

une question relative à la forme des actes juridiques, sans

aucun rapport de définition avec les questions de statut per-

sonnel. Le conflit de qualification reparaît. Il s'agit, en effet,

pour la juridiction de cet Etat, de choisir entre l'applica-

tion de la loi locale, dans l'espèce la loi française, et l'ap-

plication de la loi personnelle, dans l'espèce la loi néer-

landaise, et cela revient à choisir, avant tout, entre la quali-

fication « forme des actes », entraînant l'application de la loi

locale, et la qualification « capacité de tester », entraînant

l'application de la loi personnelle. L'opposition des deux

qualifications, l'opposition de leurs conséquences, est mani-

feste.

Elle est manifeste, elle n'est peut-être pas irréductible. Elle

n'est irréductible qu'autant que, dans le pays où le testament

a été fait et où la question de sa validité se pose, on ppusse

jusqu'au bout l'idée qu'il n'y a, dans l'ordre du conflit des

lois, aucun rapport entre les questions de forme des actes

et les questions de statut personnel : mais, si "tel est le carac-

tère de la législation de ce pays, si l'on y sépare absolument

et radicalement les questions de statut personnel et les ques-tions de forme des actes juridiques, l'opposition sur laquelleon raisonne est aussi absolue et aussi irréductible que celle

du droit de succession et du régime des biens entre époux.Précisément, en France, nous n'en sommes pas là. Nous

admettons, dans une certaine mesure que je n'ai pas à préci-ser ici, que les questions de forme dépendent, dans une cer-taine mesure encore, du statut personnel — et c'est pour cela

que, tout en considérant cette question de validité du testa-ment olographe comme une question de forme, nous admet-tons la solution hollandaise de nullité, en tant, bien entendu,qu'il s'agit du testament fait en France par un sujet néerlan-dais. Ce testament sera considéré en France comme nul, ab-solument comme il le serait aux Pays-Bas (Seine, 13 août1903, filunet, 1904. 166; et 19 févr. 1927, Çlunet, 1928. 907).

Page 23: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 577

Ce n'est plus du tout la solution de l'arrêt d'Alger qui m'a

mis sur la voie des questions de qualification : si nous appli-

quions ici la solution de l'arrêt d'Alger, nous dirions : il ya là, pour nous, une question non pas de capacité personnelledu testateur, sujet néerlandais, mais bien de forme des actes :

le testament a été fait en Franee, locus régit actum, il est va-

lable. Mais il faut bien comprendre en quoi consiste la dif-

férence des deux solutions, celle de la Cour d'Alger sur la

question des droits héréditaires ou matrimoniaux du conjointsurvivant, celle du tribunal de la Seine sur la question de

la validité du testament olographe. Les solutions sont diffé-

rentes et cependant, comme on va le voir, la doctrine estla même. Aussi bien dans l'hypothèse des deux jugements du

tribunal de la Seine que dans l'hypothèse de l'arrêt d'Alger,la qualification initiale, génératrice de la solution de conflit,reste la même. Dans l'hypothèse des deux jugements du tri-

bunal de la Seine, la qualification de la difficulté est fournie

par la loi française, absolument comme dans l'hypothèse de

l'arrêt d'Alger : c'est la qualification forme des actes. Seu-

lement, au lieu de conduire à l'application de la loi locale,de la loi du lieu où le testament a été fait, ce qui entraîneraitla validité, cette qualification forme des actes conduit à l'ap-plication de la loi personnelle, ce qui entraîne la nullité, parceque, pour des raisons que je ne puis indiquer ici — ce seraitun long hors-d'oeuvre — nous admettons, dans une mesure

que je ne puis fixer non plus, que les questions de forme

relèvent, en un certain sens, de la loi personnelle. Nous frap-pons le testament de nullité comme on le frapperait en Hol-

lande, mais pour des raisons différentes et par la filière d'unraisonnement différent, et le principe de qualification restele même que dans l'arrêt d'Alger.

L'exemple de cet article 992 du Code civil néerlandais res-

tait donc pour moi, et reste, aujourd'hui encore, un bon exem-

ple de cette question des qualifications, qui commence main-

tenant à nous apparaître sous son vrai jour, à nous appa-raître comme une question générale, étant donnée la grandedifférence des deux institutions par le jeu desquelles elle

s'est posée, les questions de forme et de capacité person-I. — 1930 37

Page 24: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

s78 E. BART1N

nelle n'ayant évidemment aucun rapport de voisinage ou

de similitude avec les questions de dévolution héréditaire

et de régimes matrimoniaux.

Je continue, si mes auditeurs me le permettent, de suivre

le fil de mes investigations de 1897. J'étais, par ce rappro-

chement de l'hypothèse de l'arrêt d'Alger et de l'hypothèse

de l'article 992 du Code néerlandais, sur la trace, sur la piste

si l'on veut, de la thèse de la généralité du problème des

qualifications. Mais la présomption n'était pas encore assez

forte, et il fallait chercher encore.

Une nouvelle hypothèse se présenta bientôt, et dans une

matière encore plus éloignée des précédentes que chacune de

celles-ci ne l'était de l'autre. Je veux parler de l'exemple des

moratoria pendant la guerre franco-allemande de 1870. C'est

là, aujourd'hui, un sujet bien ancien, et je n'en parle ici

que parce qu'il était encore d'actualité, .juridiquement par-

lant, lorsque j'ai fait mes premières recherches.

Il s'agissait de savoir si les lois françaises de 1870, qui

avaient pour objet d'interdire, .pendant la durée des hosti-

lités, le protêt, contre les débiteurs cambiaires domiciliés

en France, régissaient, non seulement les, endosseurs fran-

çais qui avaient endossé en France, mais encore les endos-

seurs quelconques qui avaient endossé à l'étranger, c'est-à-

dire qui avaient assumé ?envers le porteur de l'effet l'obli-

gation de garantie sous l'empire d'une loi étrangère, la loi

du lieu de l'endossement par exemple, ou si, au contraire,ces endosseurs restaient, malgré le moratorium français,sous l'empire de la loi du pays où ils s'étaient engagés. Tout

dépendait, là encore, d'une question préalable de qualifica-tion portant-sur le caractère des mesures moratoires prisespar le législateur français.

On pouvait en effet comprendre ces mesures de deux fa-

çons différentes. On pouvait y voir ou bien une prorogationde l'échéance de la lettre de change, c'est-à-dire une modifi-cation du délai de payement fixé par la convention, et plusprécisément par la loi qui régissait la convention des par-ties, ou bien une mesure de procédure, c'est-à-dire une mo-dification du délai dans lequel devait être dressé le protêt,

Page 25: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 579

autrement dit l'acte de procédure constatant le défaut de

payement.Suivant qu'on s'attachait à l'une ou à l'autre conception,

disons plus clairement à l'une ou à l'autre qualification, la

loi applicable changeait. Si on considérait ces mesures mora-

toires comme destinées à modifier l'obligation même du tiré

et des endosseurs, elles restaient nécessairement inopéran-tes pour les débiteurs qui s'étaient obligés sous l'empired'une loi différente. Si au contraire on les considérait comme

des mesures de procédure, nécessairement elles s'appli-

quaient même aux débiteurs domiciliés à l'étranger, les rè-

gles de procédure dépendant pour tout le monde, peut-on

dire, de la loi du lieu et du temps de la poursuite, par con-

séquent ici de la loi française.La marche du raisonnement était donc, dans cette nou-

velle question, exactement la même que dans les deux précé-dentes. Il s'agissait toujours du point de savoir si une dis-

position légale, dans l'espèce le moratormm français, devait

se ranger dans tel ou tel compartiment de la classification

des institutions de droit privé, pour déterminer ensuite, en

conséquence de la place qu'on lui assignerait, la règle de

conflit qui la régirait, bref la loi applicable aux débiteurs,certains ou possibles, de l'effet. On se heurtait, en somme,au même problème de définition légale qu'en matière de dé-

volution héréditaire et de régime matrimonial d'une part,

qu'en matière de forme des actes et de capacité personnelled'autre part.

La présomption était désormais suffisamment établie enfait qu'il y avait là une question générale, une question de

principe, qui dominait nécessairement tout le système du

conflit des lois. Poursuivant cependant encore mes recher-

ches, j'ajoutai, pour plus de sécurité, quelques autres exem-

ples à ces trois premiers, en me servant, pour cela, d'uneclassification provisoire et purement pratique des institutionsde droit privé, que j'ai depuis longtemps abandonnée dansmon enseignement à la Faculté de Droit de Paris, et qu'onne retrouvera pas dans le second volume de mes Principesde droit international privé, actuellement en préparation.

Page 26: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

S8o E. BARTIN

M'attachant d'abord aux dispositions légales relatives à 4a

capacité des personnes, qui me fournirent l'exemple de l'inca-

pacité velléienne de la femme mariée, rattachée •soit aux

effets du mariage, soit au régime des biens entre époux (Cf.

Chambéry, 19 nov. 1877, Clunet, 1878. 160), j'y opposai

d'abord les dispositions légales relatives au régime des biens,

qui me fournirent, en matière de meubles incorporels,

l'exemple de la définition graphique ou linéaire de la marque

de fabrique (Cf. la note anonyme insérée au Recueil Sirey,

1889. 4. 17), puis les dispositions légales relatives à la forme

des actes, qui me fournirent, soit l'exemple de la règle d'an-

tériorité nécessaire d'un acte juridique par rapport à un -

autre, qu'on peut comprendre comme une Tègle de forme

aussi bien que de fond (Cf. Cass., 24 déc. 1867, S., 1868

\. 134; et pour une tout autre hypothèse, Besançon, 25 juill.

1876, Clunet, 1877. 228), soit l'exemple de la prohibition du

testament conjonctif (Cf. art. 968 du Code civil français, et

les arrêts de Toulouse, 11 mai 1850, et de Caen, 22 mai 1850,dans Sirey, 1850. 2. 529). En quatrième lieu, les dispositions

légales relatives au droit de famille, qui me fournirent

l'exemple de la possession d'état d'enfant naturel considé-

rée, suivant les législations, soit comme constitutive de

l'état même de l'enfant, soit comme de nature à en fournir

seulement la preuve en justice (Cf. Pau, 13 mai 1888, Clu-

net, 1893. 358), enfin les dispositions légales relatives à latransmission ou à la liquidation du patrimoine, par opposi-tion aux biens qui le constituent.

ni

Je viens de résumer, dans cette longue phrase, l'ensemblede mes recherches de 1897 qui me parurent, à cette date, as-sez concluantes pour affirmer et poser en règle l'absolue gé-néralité du problème des qualifications.

C'est ce qui fut tout de suite très contesté, sous prétextequ'il n'y avait là, en somme, que des difficultés de détailet d'application pratique dont il ne fallait pas exagérer larépercussion sur l'établissement des principes généraux de

Page 27: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 581

,solution des conflits de lois. Je me bornai à répondre qu'onavait beau jeu à dédaigner ainsi les difficultés de détail et

d'application pratique, mais que, cependant, les règles de

droit, quelles qu'elles fussent, n'étaient jamais faites que

pour permettre de résoudre les difficultés de ce genre, et

qu'il était donc impossible d'en négliger l'examen dans la

constitution des principes, même les plus généraux, de so-

lution des conflits de lois.

C'est à cette réponse et à cette argumentation théoriques

que je me bornai alors, en quoi j'eus tort, parce qu'il n'au-

rait tenu qu'à moi, en portant la discussion sur un autre

terrain, de multiplier encore mes preuves, et d'ajouter, au

domaine déjà passablement étendu des exemples ^ur lesquels

j'ai raisonné jusqu'à présent, tout un ensemble d'hypothèses.nouvelles dont je vais indiquer maintenant la sourpe.

J'avais, jusqu'alors, fait porter mes recherches sur les dif-

ficultés qui naissent du conflit des lois seulement. Je n'avais

pas encore abordé personnellement l'examen des difficultés

qui naissent des conflits de compétence juridictionnelle, tant

pour déterminer la compétence juridictionnelle des juridic-tions d'un Etat donné directement saisies d'un litige de ca-

ractère international, que pour déterminer l'étendue et le

caractère du contrôle, par les juridictions d'un Etat donné,de la compétence juridictionnelle des juridictions d'un autre

Etat qui se sont déjà prononcées sur un litige de caractère

international, et dont la décision est invoquée sur le terri-

toire du premier.

Lorsque mes études s'étendirent, quelques années plustard, à ce domaine nouveau des conflits de juridictions, quej'avais d'ailleurs toujours soigneusement distingué du do-

maine du conflit des lois, la règle universellement admise

d'après laquelle la compétence d'une juridiction quelconqueest déterminée, même pour les litiges de caractère interna-

tional, par la loi de l'Etat au nom duquel cette juridictionrend la justice, me conduisit immédiatement à formuler, non

pas même une nouvelle question de qualification — ce ne se-

rait pas, à beaucoup près, assez dire — mais un nouvel en-

semble de questions de qualification sans aucun rapport avec

Page 28: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

582 E. BARTIN

les hypothèses, déjà cependant iien variées, sur lesquelles

j'ai raisonné jusqu'à présent. Voici comment.

Si, comme je viens de le rappeler, la compétence d'une

juridiction quelconque est déterminée, même pour les litiges

de caractère international, par la loi de l'Etat au nom duquel

cette juridiction rend la justice — et je répète que c'est là

une règle traditionnellement incontestée — il est clair queles éléments de fait dont la compétence de cette juridiction

dépend ne peuvent jamais être juridiquement définis que

par la loi de cet Etat, par la loi de l'Etat au nom duquel elle

rend la justice. Et il est clair qu'il peut très bien arriver queces éléments de fait soient définis d'une façon toute diffé-

rente par la législation d'un autre Etat dont les juridictionsseraient appelées aussi à connaître du même litige. Le con-

flit reparaît, et c'est manifestement un conflit de qualifica-tions. En voici un exemple.

Nous admettons en France, article 420 de notre Code de

procédure civile, qu'en matière de commerce le tribunal du

lieu où la promesse a été faite est compétent pour connaître

du litige que l'inexécution de cette promesse soulève. Le

même texte attribue encore la compétence au tribunal du

lieu de la livraison et au tribunal du lieu du payement. Mais

je néglige ces deux dispositions pour ne raisonner que sur

la première, qui me suffit.

Nos tribunaux se considèrent, dans ces conditions, comme

compétents en matière de commerce, la promesse ayant été

faite en France, non seulement s'il s'agit d'un litige entre

Français, mais encore s'il s'agit d'un litige entre étran-

gers. La jurisprudence française interprète notre ar-ticle 420, non seulement comme un texte de compétence in-terne applicable aux litiges entre compatriotes français,mais comme un texte de compétence internationale ou géné-rale, applicable même aux litiges entre étrangers.

Mais la difficulté est justement de savoir quand on peutdire que la promesse a été faite en France. C'est encore làune question de qualification, n peut se faire en effet quela loi française considère comme constitutifs de cette pro-messe des faits qui ne seront pas considérés comme tels par

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 583

une loi étrangère intéressée dans le litige, par exemple parla loi nationale de l'un ou de l'autre des étrangers qui y sont

engagés, ou par la loi sous l'empire de laquelle ils ont en-

tendu s'obliger. Il y a opposition, contradiction et conflit,entre cette législation et la législation française, quant à

l'appréciation et à la qualification de ces faits comme élé-

ments générateurs de la promesse.En voici un exemple très simple et bien connu. Il faut sup-

poser un contrat par correspondance intervenu entre deux

marchands de nationalité différente, l'un Français, l'autre

étranger (Italien, par exemple). C'est le Français qui a prisl'initiative du marché. Il a écrit de Paris à Turin (l'offre est

partie de Paris) et son correspondant lui répond à Paris : la

lettre d'acceptation part de Turin et arrive à Paris. Où le

contrat s'est-il formé, à Paris ou à Turin ?

Cela dépend de la législation à laquelle on demande la

définition du contrat par correspondance. Nous, Français,nous admettons la théorie dite de la réception, autrement dit,l'offre ayant été reçue à Turin et acceptée à Turin par la

mise à la poste à Turin de la lettre d'acceptation, le contrat

s'est formé à Turin : c'est donc, sur le fondement de notre

article 420, la juridiction de Turin qui est compétente, à

cause de la localisation, par notre théorie de la réception, du

contrat à Turin. Pour les Italiens, ce sera la solution con-

traire (en raisonnant non pas sur notre article 420, mais sur

le texte italien correspondant). Le contrat se sera formé à

Paris, parce que la jurisprudence italienne admet la théo-

rie dite de l'information, le contrat se formant au lieu où

l'auteur de l'offre est informé de l'acceptation de son offre.

La juridiction compétente, ce sera donc, pour les Italiens,non pas Turin, mais Paris.

A cette analyse théorique il faut ajouter tout de suite que,dans la réalité, la solution pourra être, sera même souvent

fort différente, parce que, à côté de la compétence fondée sur

le lieu de la promesse, il y a, dans la même hypothèse, d'au-

tres sources possibles de compétence, le lieu de la livrai-

son, par exemple, ou le lieu de payement, et qu'il se pour-rait que, pour les Italiens comme pour nous, l'une de ces

Page 30: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

584 E. BARTIN

deux sources complémentaires de compétence s'appréciât de

même et attribuât la compétence à la juridiction de Turin.

Quoi qu'il en soit de cette rectification des données du pro-

blème de l'établissement de-la compétence juridictionnelle,

il est clair qu'elles font apparaître un vaste domaine de

questions nouvelles de qualification, celui de la qualification,

dans tout litige international, des éléments de fait généra-

teurs de la compétence juridictionnelle. Encore faut-il ajou-

ter tout de suite que ce domaine est plus vaste et surtout

plus complexe que ne le donnait à entendre l'analyse qui

précède.J'ai supposé en effet, dans cette analyse, que la question

de la qualification des éléments de fait générateurs de la

compétence juridictionnelle se posait devant une juridictiondirectement et initialement saisie d'un litige de caractère

international qui n'avait encore été soumis, par hypothèse,à aucune autre juridiction, le juge de Paris ou de Turin sta-

tuant sur sa propre compétence juridictionnelle directe. Mais

la même question de qualification peut se présenter dans

une hypothèse bien différente et dans des conditions autre-

ment complexes. Il suffit de supposer que le juge de Turin

a été saisi du litige, qu'il s'est considéré comme compértent en conséquence de la qualification qu'il a donnée à telsou tels éléments de fait du litige, et que le jugement qu'il arendu est invoqué en France où il ne peut être exécuté quesur l'exequatur qui y sera'ajouté par le juge français. Sansentrer ici dans l'exposé des conditions auxquelles le jugefrançais subordonnera l'exequatur qu'on lui demande, il esthors de doute, pour tout le monde, que ce juge français nedonnera l'exequatur à ce jugement étranger qu'autant quece jugement étranger aura été rendu par un juge compétent,traduisons qu'autant que ce- juge français jugera lui-même

que ce jugement étranger a été rendu par un juge compé-tent. Voilà la questionne qualification qui reparaît, ce jugefrançais devenant nécessairement juge de la compétence ju-ridictionnelle du juge étranger, appelé, par conséquent, àcontrôler la qualification que ce juge étranger a donnée deséléments de fait générateurs de sa compétence juridiction-

Page 31: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 585

nelle. La question de qualification passe, du domaine relati-

vement simple de la détermination de la compétence juri-dictionnelle générale directe, dans Je domaine, bien autre- "

ment complexe, de la détermination, au cours de la procé-dure d'exequatur, de la compétence juridictionnelle généraledu juge étranger, bref, si l'on veut me permettre l'expres-sion, dans le domaine de la détermination indirecte de la

compétence juridictionnelle du juge étranger, disons plusbrièvement, dans le domaine de la détermination de la com-

pétence juridictionnelle indirecte. Entre tant d'exemples que

je pourrais donner, dans la jurisprudence française, de cette

analyse que je me suis efforcé de rendre claire, je citerai

seulement un arrêt de jaotre Cour de Lyon, du 21 janvier1897 (Clunet, 1897. 797).

Voilà une nouvelle et abondante série de questions de qua-lification en matière de conflits de juridiction, dont j'auraispu et dû me prévaloir dès l'origine, à l'effet d'établir la

généralité du problème des qualifications et d'écarter l'ob-

jection qui m'a été immédiatement faite en sens contraire.

Mais je n'en étais encore qu'au début de mes recherches sur

les conflits de juridiction, et ces exemples saisissants en fa-

veur de, ma thèse essentielle m'xtnt alors échappé. Je puismaintenant m'appuyer sur eux avec d'autant plus de force

que j'ai poussé plus loin mes recherches sur les conflits de

juridiction, comme en -témoigne la seconde partie de mes

Principes de droit international privé, Paris, 1930.

Je considère donc et me crois fondé à considérer ce problèmedes qualifications comme un problème absolument général

que toutes les institutions du droit privé sont de nature à

soulever, problème essentiel par sa généralité même, perpé-tuellement assurée par le contrôle indéfini, de la jurispru-dence dans le temps.

IV

Ces derniers mots, précisément, m'engagent à compléterma démonstration ancienne par l'examen de la jurispru-dence ,récente,, les modifications territoriales du Traité de

Page 32: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

586 E. BARTIN

Versailles, et,' notamment, pour nous Français, la récupéra-

tion de l'Alsace-Lorraine désannexée ayant fourni, dès le

rétablissement de la paix, quantité d'exemples originaux et

nouveaux de ces difficultés de qualification. Je veux en noter

ici quelques-uns, qui rendront, par l'actualité des hypothèses

qui les fournissent, mon exposé plus vivant.

La loi française du 24 juillet 1921 sur les conflits de lois

en Alsace-Lorraine, abrogée aujourd'hui par les lois du

1er juin 1924, maintenait, dans FAlsace-Lorraine récupérée,

le Code allemand de procédure civile, lequel (article 615)

exclut de la demande en divorce toutes les demandes acces-

soires et notamment les questions relatives à la garde des

enfants communs. Or, la loi française interne régissait, dans

les provinces récupérées, le statut personnel des sujets fran-

çais, notamment en matière de divorce, et la procédure du

divorce est réglementée presque entièrement par les textes

de notre Code civil, qui considère, «u contraire, les questionsrelatives à la garde des enfants, en cas de divorce, comme

des questions comprises dans les effets du divorce, autrement

dit comme des questions dépendant du statut personneldes conjoints qui plaident en divorce. Fallait-il, dès lors,dans l'instance en divorce suivie à Metz entre conjoints fran-

çais, envisager la question 1de la garde des enfants comme

une question de fond et lui appliquer la solution de la loi

française, ou bien l'envisager comme une question de procé-dure et lui appliquer la solution de la loi allemande ? La

Cour de Metz avait pris ce dernier parti, la Cour de Cassation

a cassé son arrêt (8 mars 1926, Clunet, 1926. 677). C'est unesolution qu'on ne discutera pas ici, parce qu'elle importepeu à la marche du raisonnement. Ce qui importe, c'estl'existence de la question de qualification, toute la difficultése ramenant au point de savoir si la question de la gardedes enfants des parents en instance de divorce constitue une

question de fond ou seulement une question de procédure.Une hypothèse, _non pas tout à fait semblable à celle-ci,

mais qui s'en rapproche certainement beaucoup, nous estfournie par un jugement du tribunal de Strasbourg, du18 janvier 1926 (Clunet, 1927. 125), qui tranche la question

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 587

d'un jugement allemand de divorce rendu antérieurement à

la récupération de l'Alsace-Lorraine par la France, et par

conséquent au changement de législation.Voici un autre exemple, emprunté pareillement aux rap-

ports des règles de procédure et des règles de statut person-nel. C'est un arrêt de notre Cour de Colmar du 28 mars 1927

{Clunet, 1928. 149). L'article 467 de notre Code civil, visant

les transactions passées au nom d'un mineur, constitue une

Tègle de fond et non pas une règle de procédure; en consé-

quence il s'applique, comme règle de statut personnel, à des

mineurs français en Alsace-Lorraine récupérée, bien que le

Code de procédure allemand, maintenu en Alsace-Lorraine

récupérée par la loi du 24 juillet 1921, considère les règlesrelatives à la transaction comme des règles de procédure et

non pas comme des règles de fond.

Autre exemple encore, emprunté aux rapports des règlesde procédure et des règles du régime des biens entre époux.Nous ne sommes plus en Alsace-Lorraine récupérée, nous

sommes au Maroc, mais il est clair que cela importe peu.Les articles 822 et 1476 de notre Code civil, relatifs au par-

tage, et plus précisément au partage de la communauté dis-

soute, sont des dispositions de procédure, inapplicables à ce

titre à des époux français, le Code de procédure promulguéau Maroc ne reproduisant pas les règles des articles 822

et 1476.

Dernier exemple enfin, emprunté, comme les premiers, au

système du conflit de lois en Alsace-Lorraine récupérée avant

les lois du 1er juin 1924. Il ne s'agit plus de règles de procé-

dure, la difficulté de qualification naissant de l'opposition

des règles du régime des biens entre époux et des règles du

statut personnel. L'article 1421 de notre Code civil, qui fixe

les pouvoirs du mari sur les biens communs, fait-il partie des

règles du régime des biens entre époux ou des règles qui ré-

gissent les effets du mariage ? La Cour de Colmar, le

20 novembre 1923 (Clunet, 1925. 790), se prononce dans ce

second sens en appliquant l'article 1421 à des époux, mariés,

bien avant la récupération de l'Alsace-Lorraine par la

France, sous un régime allemand de communauté.

Page 34: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

588 E. BARTIN

En voilà, peut-on dire, assez : les difficultés de qualifica-

tion surgissent, comme on vient de le voir, à dhaque pas dans

le domaine indéfini des conflits de lois et des conflits de juri-

dictions. Ces difficultés de qualification ne sont que le résul-

tat inévitable des différences de classification et de classe-

ment des institutions du droit privé dans les différentes légis-

lations, et c'est jouer sur les mots que les traiter d'exceprtionnelles.

Je n'ajouterai plus qu'un mot pour les définir. J'ai em-

prunté à la seule jurisprudence française tous les exemples-dont je me suis servi à cette fin. La raison en est bien sim-

ple. Dans ma pensée, la,théorie des qualifications aboutit à

donner, dans chaque pays, un caractère national aux règles-du conflit des lois: C'est justement ce que je me proposed'établir dans ce cours. Dès lors, et tout naturellement, c'est

à la législation de mon pays que j'ai dû emprunter les exem-

ples sur lesquels j'entendais raisonner. Mais il est bien

entendu, et c'est l'observation essentielle que je dois ajouterà tout ce qui précède, que la théorie des qualifications ne

domine pas moins le système du conflit des lois, dans un pays

quelconque, qu'elle ne domine le système français. Elle se

retrouve donc, toujours la même, dans toutes les jurispru-dence étrangères, où, en effet, les exemples de son appli-cation ne manquent pas. Ce serait donner à ces leçons une

extension démesurée que d'y poursuivre l'analyse que j'ai

appliquée à la jurisprudence française. Je me bornerai donc

à noter ici quelques références de jurisprudence étrangère

'empruntées à ces tout dernières années. Voyez, pour la -

Suisse, un arrêt du tribunal fédéral, du 10 juillet 1924

(Clunet, 1926. 1130); pour la Belgique, un arrêt de la Cour de-

Bruxelles, du 7 avril 1924 (Clunet, 1926. 195); pour l'Angle-terre, une décision de la Cour de la Chancellerie du 4 décem-bre 1922 (Clunet, 1923. 614); pour l'Allemagne, un arrêt deBerlin du 25 mai 1925r (Clunet, 1926. 1022) et un arrêt de

Hambourg, du 13 octobre 1925 (Clunet, 1926. 732).J'en ai fini maintenant avec l'exposé des données du pro-

blème et je le formule une dernière fois, avant de passer àl'examen de la solution qui me paraît lui avoir été, partout,

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 589

légitimement donnée. Quand il s'agit, dans un pays quel-conque, devant une juridiction quelconque, de déterminer laloi applicable à une situation juridique, à un rapport de

droit, et que, dans ce pays et pour cette juridiction, la déter-mination de la loi applicable dépend de la nature de ce rap-port, autrement dit, que la nature de ce rapport est douteuseou discutable, que la loi peut seule en décider, quelle estdonc la loi qui fournit, je veux dire qui a seule qualité pourfournir, la qualification de ce"rapport de droit ?

V

A cette question ainsi posée, on peut dire qu'une réponseïinanime a été faite par toutes les juridictions qui ont dû laTésoudre. Si on fait abstraction, provisoirement, de certainesréserves que je préciserai naturellement plus tard — c'estlà justement le point difficile — on peut dire que le jugesaisi ne demande jamais la qualification, c'est-à-dire la défi-nition du rapport de droit litigieux, qu'à sa propre législa-tion. D'où la règle que la qualification dépend invariablement— sauf les cas réservés — de la lex fori.

C'est une solution qui me parut, à première vue, lors de

ânes premières recherches, tout à fait irrationnelle, précisé-ment parce qu'elle impliquait manifestement la conclusion

que l'application, tout au moins, des règles du conflit des

lois varie avec chaque pays, et que cela était radicalement

contraire à la thèse, très accréditée en France à cette époque,de l'unité, désirable sans doute, mais peut-être chimérique,du droit international privé.

Je cherchai alors, pour les éprouver par l'analyse, les rai-

sons de cette application particulariste et nationale, en tous

pays, des règles du conflit des lois, ne me doutant certaine-

ment pas des conséquences que j'allais être conduit à en tirer

et qui seront la conclusion même de ces quelques leçons.Je fis tout de suite une observation très simple, que me

•suggérait mon éducation de civiliste, et que tout le monde

peut faire comme moi. Toutes les décisions judiciaires quirésolvaient des questions de qualification me parurent, sur

Page 36: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

590 E. BARTIN

ce point, peu ou plutôt pas motivées. Et c'était là, surtout pour

notre jurisprudence française, quelque chose de tout à fait,

remarquable.

Quand une juridiction statue sur un point de droit, elle

ne sanctionne jamais une solution que parce que cette solu-

tion dépend pour elle de certaines raisons de droit, qu'elle

exprime, qu'elle formule, sur lesquelles elle s'arrête expres-

sément et consciemment, faute de quoi sa décision nous,

paraîtrait emtachée d'arbitraire. C'est ce qu'om appelle -

motiver ses jugements.

Précisément, dans notre jurisprudence française, nous

poussons très loin cette exigence des motifs, et cela sous

deux points de vue assez différents.

Voici le premier. Nous avons pris l'habitude de présenter

sous forme de propositions conditionnelles, au sens logiquede l'expression, nos décisions de justice. Elles sont subor-

données, littéralement, à des conditions logiques que nous

formulons d'abord. Nous les< formulons de cette façon :

Attendu que... Attendu encore que... Attendu néanmoins

que... etc., et la décision de justice, le dispositif, n'est quela conclusion logique de ces attendus, fies attendus, nous les

formulons en termes impersonnels et brefs. Nous les formu-

lons en termes impersonnels, je veux dire sans en reporterle mérite aux observations de tel ou tel des juges qui ont eu

à se prononcer sur le litige. Il y a, sous ce point de vue, une

grande différence entre la rédaction de nos arrêts et la rédac-

tion des décisions de justice de certains pays, l'Angleterre

par exemple. Ce n'est pas tout : Ces attendus, nous les for-

mulons en termes brefs, tranchants, autrement dit sans les

justifier eux-mêmes, sans en indiquer expressément la genèse:on ne motive pas les motifs. Le tout aboutissant à cette pro-

position que les motifs ou considérants font littéralement

corps avec la décision, de telle sorte que tout le jugement,tout l'arrêt, ne forme qu'une seule et même phrase qui com-

mence par les incidentes.

Voici le second trait de ce système. Le contrôle de notre

Cour de cassation sur l'exigence des motifs est à la fois très ri-

goureux sous certains points de vue, très peu rigoureux sous

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QUALIFICATIONS ET REGLES DU CONFLIT DE LOIS 591

d'autres. Il est en un certain sens très rigoureux; il n'est

pas rare que des décisions, même bien rendues au fond,soient cassées pour insuffisance de motifs, soit que l'on y aitconstaté l'absence de motifs, soit qu'on y ait constaté lacontradiction dans les motifs, qui se ramène elle-même àl'absence de motifs. A côté de cela, des motifs erronés, desmotifs discutables qui demanderaient à être motivés eux-mêmes échappent à la critique de la juridiction de contrôle

qui ne casse pas pour si peu. La double orientation de cette

jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il serait irrévéren-cieux de juger capricieuse, ne peut se comprendre que sil'on part de l'idée très simple que l'exigence des motifs, qu'ilest pratiquement impossible de pousser jusqu'à ses dernières

conséquences, n'a d'autre but que d'établir que l'attentiondu juge a été professionnellement fixée et retenue sur le

litige qu'il avait mission de juger. C'est tout ce qu'on peutlui demander, mais cela, on peut l'exiger.

Il me parut, dans ces conditions, très surprenant, à la

première lecture des arrêts, que les motifs, les considérants

de ces arrêts, sur le point précis que soulevait dans chacun

d'eux la question de qualification, fussent à peu près inexis-

tants. Seulement, cela demande à être bien compris.Quand lay, qualification d'une institution est douteuse,

qu'on peut hésiter à rattacher cette institution à tel ou tel

groupe d'institutions semblables, pour en déduire la détermi-

nation de la loi qu'il faut lui appliquer, la difficulté est en

réalité double. Il s'agit d'abord de savoir, avant tout, à quelleloi on demandera la qualification, c'est-à-dire à la fois la

classification des institutions du droit privé et les procédés de

classement de telle ou telle institution donnée dans l'un

quelconque des groupes d'institutions que sépare cette clas-

sification. C'est là le problème proprement dit, le problèmeinternational de la qualification. Puis, cela fait, quand on a,

par hypothèse, déterminé la loi applicable à la qualificationainsi entendue, il faut rechercher, au moyen de cette loi,

selon cette loi, quel est, dans l'esprit de cette loi, le carac-

tère de l'institution contestée, à quel groupe d'institutions

elle se rattache dans cette législation. C'est alors du droit

Page 38: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

S92 E. BARTIN

interne que l'on fait 'et pas autre chose, la question inter-

nationale de la qualification cherchée étant déjà, par hypo-

thèse, résolue.

Or, de ces deux questions, si différentes, les arrêts, dans

leurs considérants, ne visent jamais que la seconde, ne for-

mulent jamais de doctrine que sur la seconde. Ils analysentle caractère de l'institution douteuse en se plaçant exclusi-

vement sur le terrain du droit interne français. Quant à la

première question, qui est la vraie question de qualification,la question de droit international, celle de savoir quel est le

titre de la loi française interne à fournir la qualification, ils

la négligent, ils ne la soulèvent môme pas, ils ne la résolvent

pas expressément. Il faudrait, ici, lire et dépouiller les consi-

dérants des arrêts sur lesquels je me fonde pour interpréterainsi la jurisprudence française, je ne puis songer à le faire

dans.un enseignement aussi bref : je n'apporte à mes audi-

teurs que mes impressions, longuement et soigneusementvérifiées : je ne puis faire plus, la croyance remplaçant néces-

sairement ici la preuve détaillée.

Je prie donc mes auditeurs d'accepter cette affirmation

comme un fait, comme un fait qu'ils vérifieront aisément eux-

mêmes. Les arrêts ne justifient jamais la qualification qu'ils

appliquent à une institution de caractère douteux qu'en fonc-

tion du droit interne de leur pays, en fonction des traits qui,dans le droit interne de leur pays, caractérisent le grouped'institutions auquel ils prétendent rattacher l'institutiondont ils cherchent la qualification. Et cela sans justificationaucune du procédé, sans que le texte des considérants donnemême à entendre qu'il y a là une question implicitementrésolue.

Comment comprendre maintenant que, dans un systèmejudiciaire où l'obligation pour le juge de motiver ses déci-sions est à certains égards poussée si loin, dans un systèmejudiciaire où la rédaction des décisions de justice est soumise,sous ce point de vue, à des règles si rigoureuses, la question

'

essentielle dont dépend la solution du litige — parce quec'est d'elle que dépendent les raisonnements de droit interne

qui conduiront à la solution — soit ainsi invariablement

esquivée, pour ne pas dire escamotée ?

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 593

Je n'en vois qu'une raison, et cette raison se résume dansune proposition si simple qu'on ose à peine, à première vue,

y voir une explication. Le juge saisi procède de la sorte, il

passe sur la difficulté, sans daigner même la formuler, parcequ'il ne peut faire autrement.

Je m'explique. Dans un ordre quelconque de connaissances,on ne peut dégager, discuter et résoudre une difficulté quel-conque qu'en lui appliquant les propositions abstraites sur

lesquelles tout cet ordre de connaissances repose. Ces propo-sitions abstraites, ce sont les éléments nécessaires du raison-nement par lequel on dégage, on discute et on résout cette

difficulté, quelle qu'elle soit. Or, dans l'ordre des problèmesdu droit civil, ces propositions abstraites, ces éléments néces-

saires du raisonnement, ce sont, pour le jurisconsulte saisi

du problème, les principes caractéristiques de la législationde l'Etat dont il dépend. Toute son éducation juridique, la

formation même de son intelligence professionnelle de juris-consulte, ont été faites selon ces principes. Ces principes font

maintenant corps avec son intelligence professionnelle ou

plutôt constituent son intelligence professionnelle elle-même.

Au premier rang de ces principes caractéristiques de la

législation de l'Etat dont il dépend se placent les éléments

de la classification des institutions civiles entre elles, les

rapports que soutient chacune d'elles avec les autres, les

traits qui les rapprochent ou les éloignent les unes des au-

tres. C'est en s'imprégnant de oette classification, en s'appro-

priant ces rapports et ces traits, du commencement de ses

études à la fin de sa vie professionnelle, que ce juge a apprisà distinguer tel groupe d'institutions de tel autre groupe,sans se préoccuper jamais du point de savoir si, dans d'autres

systèmes juridiques en dehors du sien propre, la classifi-

cation des institutions se fait de même ou autrement. C'est

ainsi, pour en revenir encore, pour en revenir toujours -à

l'exemple de jurisprudence qui m'a mis sur la trace de la

question des qualifications, que le juge français, de formation

française, d'éducation juridique française, est amené à faire,

comme il l'a faite, la différence entre les droits du conjoint-survivant considérés comme droits d'un conjoint et ces

I. — 1930. 38

Page 40: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

594 E. BARTIN

mêmes droits considérés comme droits d'un héritier, ceux-ci,

droits éventuels à tous égards, perpétuellement soumis, jus-

qu'au décès, à tous les changements possibles de législation

interne, ceux-là, au contraire, prenant leur origine plus haut

que le décès, comportant, du jour de la célébration du ma-,

riage, une consistance et une fixité auxquelles les premiersne sauraient prétendre.

J'en reviens toujours à-cet exemple de l'arrêt de la Cour

d'Alger, à cette opposition caractérisée et saisissante qu'ilnous fournit des droits du conjoint survivant comme tel et

des droits du conjoint survivant comme héritier, parce qu'au-cun autre ne montre mieux que, pour ranger ces droits dans

l'un ou l'autre de ces compartiments si voisins mais si diffé-

rents, c'est de tous les souvenirs de sa formation profession-nelle que le juge saisi a besoin, et tous ses souvenirs et sa

formation professionnelle elle-même sont faits de la législa-tion interne de son pays seulement. Je donnerais volontiers et

facilement d'autres exemples, que j'emprunterais à la juris-

prudence française, et qui ne seraient pas moins probants quecelui dont je viens de me servir encore, — l'exemple de la

détermination de la' loi applicable à la possibilité de la sépa-ration judiciaire de biens, qui tient étroitement, selon moi,à la détermination des causes de la séparation de biens dans

Î le droit interne français, — l'exemple de la détermination

de la loi applicable à l'établissement judiciaire de la filiation

naturelle, qui tient encore étroitement, selon moi, à la formule

du rapport de l'établissement judiciaire et de l'établissement

volontaire de la filiation naturelle dans le droit interne fran-

çais. Je suis obligé, vu la brièveté du temps qui m'est im-

parti, de me borner à ces deux brèves allusions, sur lesquelles

j'espérais pouvoir revenir à la fin de ces leçons, mais je vois

bien maintenant que cela me sera impossible.On me permettra donc de conclure, sans chercher davan-

tage, de cette analyse très simple de la formation profes-sionnelle du juge, des conditions nécessaires dans lesquelleselle s'ébauche, se poursuit et s'achève, qu'il ne peut em-

prunter qu'à sa propre législation les traits caractéristiquesde l'institution qui décident de sa qualification, -et,, par sa

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 595

qualification, de la loi dont elle dépend, dans l'ordre duconflit des lois. Il ne peut emprunter ces traits qu'à sa pro-pre législation-, et il est dès lors, pour lui, parfaitement inu-tile d'en motiver distinctement l'application, si rigoureuseque soit, dans le système du contrôle judiciaire des arrêts

qu'il rend, l'exigence des motifs. Nous nous arrêterons ici,sur une proposition aussi solide et aussi indémontrable quel'est, pour un logicien, le principe de contradiction.

VI

Nous pouvons maintenant et nous devons tout à la foismesurer les conséquences de cette doctrine des qualifications,

qui paraissent très graves, pour la constitution même dudroit international privé. Il résulte en effet de cette doctrine,aussi bien de la généralité indéfinie de ses applications quede la_solidité des raisons sur lesquelles elle repose, que nous

revenons avec elle, purement et simplement, semble-t-il, à la

vieille thèse, périmée aujourd'hui pour tout le monde, sauf

peut-être dans la doctrine anglo-saxonne, de la territorialité,de l'absolue territorialité du droit. Dans les litiges interna-

tionaux de droit privé, c'est la lex fori qui a le dernier mot.

Comment nous accommoder de cette régression vers le passé?La première idée qui vient à l'esprit, ^et la plus simple, est

que la régression est si forte, si radicale, qu'elle confine à

l'erreur, à quelque erreur initiale et fondamentale, grossière

peut-être, dans le raisonnement qui nous a conduits jusque-là. Revenons sur nos pas et regardons-y de plus près.

Dès mon premier travail (1897), j'aperçus tout de suite

quelques solutions différentes, nettement opposées à celles

que la formule des qualifications aurait imposées. Elles

étaient peu nombreuses, sans doute, mais cela importait peu:elles n'en constituaient pas moins des exceptions inconci-

liables avec le principe, et la généralité logique d'une doc-

trine s'accommode aussi mal d'exceptions, même rares et

limitées, que la composition d'un livre bien fait de l'addition

d'appendices. J'arrivai cependant à les expliquer, je veux

dire à les concilier avec le principe .qu'elles paraissaient

Page 42: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

596 E. BARTIN

contredire. Elles pouvaient, dans ma pensée, coexister avec

lui. Je ne les indique pas encore, je les retrouverai dans un

instant.

Aujourd'hui, je vais plus loin, et je l'ai marqué expres-

sément dans mes Principes de droit international privé parus

cette année même (Voir § 87). D'autres solutions exception-

nelles, en effet, — exceptionnelles au sens où je viens de

prendre l'expression — me sont apparues, et j'arrive aujour-

d'hui, dans ces conditions, à limiter, par une formule géné-rale que je dégagerai bientôt, l'expansion envahissante de

ma formule primitive des qualifications.Je veux rappeler d'abord les deux solutions exception-

nelles que j'avais relevées dès le début et que j'avais accueil-

lies dans mon premier travail.

Voici la première. Si chaque Etat se réserve de qualifierselon sa propre législation telle ou telle institution, de carac-

tère douteux et discutable, pour laquelle il s'agit de déter-

miner la loi applicable, c'est — ai-je dit dans mon premier

travail, ai-je supposé, jusqu'à présent, dans ces leçons —

qu'il entend se réserver aussi le contrôle de l'étendue d'ap-

plication qu'il accepte de reconnaître chez lui aux lois étran-

gères. Cet Etat, rationnellement soumis à des obligations

internationales, même sur le terrain du droit privé, soumis,

par conséquent, dans cette mesure, à l'obligation de laisser

aux lois étrangères une part légitime d'application sur son

territoire, n'est lié cependant, sous ce point de vue, que jus-

qu'où il veut bien l'être. Il est l'interprète et l'interprète sou-

verain de ses propres obligations. L'une des plus vieilles

notions du droit civil vient ici à notre aide. Cet Etat, sur ce

terrain, nous apparaît comme un débiteur natura : notion et

conception, selon moi, fondamentales, que je considère

comme la clef de voûte du droit international privé.Ceci rappelé, si nous raisonnons sur des rapports de droit

pour lesquels la loi applicable dépend de la volonté des par-ties, ne présente par conséquent, à ce titre, aucun caractère

impératif, autrement dit n'est imposée aux parties par aucune

souveraineté, la -qualification va résulter, elle aussi, en casde doute, de la seule volonté, de la seulerintention des par-

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 597

ties. Ce ne sera pas la loi du juge saisi qui la fournira néces-sairement : ce sera la loi à laquelle les parties auront voulurecourir pour s'obliger.

S'il s'agit, par exemple, en matière d'obligations conven-

tionnelles, de savoir si telle prestation de l'une des partiesenvers l'autre constitue ou non un payement, avec son carac-tère libératoire et définitif, plus généralement si cette pres-tation constitue ou non un mode d'exécution de l'obligationassumée par le débiteur, la définition à donner, par le jugesaisi du litige, du payement, et plus généralement du moded'extinction des obligations sur lequel on raisonne, ne sera

pas donnée par la loi du juge saisi : la souveraineté de l'Etatau nom duquel statue le juge saisi n'est pas en cause, elle esttotalement désintéressée du conflit. La loi qui donnera cette

définition, cette qualification pouvons-nous dire, ce sera seu-' lement la loi applicable aux relations conventionnelles des

parties.Telle fut, pour moi, la première exception apportée à la

doctrine des qualifications, exception fondée sur le caractère

conventionnel des rapports de droit qui relèvent de l'auto-

nomie de la volonté, la doctrine des qualifications ne pouvant,

par définition même, s'appliquer qu'à des rapports de droit

soumis impérativement à une loi déterminée.

Voici une seconde exception, d'un caractère bien différent,

que je signalai aussi dès mon premier travail, en en donnant

l'explication. Il s'agit de la définition des meubles et des

immeubles, plus généralement de la distinction des droits

mobiliers et des droits immobiliers, ces distinction et défi-

nition me paraissent ressortir invariablement à la lex rei

sitse, qui ne se confond pas nécessairement, comme telle,ainsi qu'on va le voir, avec la loi du juge saisi (lex fori).

Le plus souvent, presque toujours, on plaidera sur la pro-

priété de Ges choses matérielles, sur la transmission de pro-

priété, sur la mise en gage (au sens large du mot), devant le

juge du lieu de leur situation réelle, et alors, la loi du jugesaisi et la loi du lieu de la situation réelle se confondront.

Cet objet matériel sera considéré comme meuble ou immeu-

ble tant par la lex fori que par la lex rei sitse. Il n'y aura là,

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598 ( E. BARTIN

dès lors, aucun obstacle à l'application de la règle des quali-

fications, aucune exception à la solution ordinaire en matière

de qualifications.Mais il peut arriver, en sens contraire, que la question de

la définition du meuble et de l'immeuble se pose devant un

autre juge que le juge du lieu de la situation réelle. Ce sera

assez rare. Je n'en ai rencontré dans la jurisprudence qu'unseul exemple, mais, là comme ailleurs, cela importe peu.Tout le monde admet qu'en pareil cas c'est la lex rei sitse qui

l'emportera : c'est elle, et elle seule, qui fournira la réponse.La formule ordinaire des qualifications apparaît donc ici

comme inexacte. C'est une exception nouvelle à ajouter à la

précédente, bien plus grave en ce sens que nous raisonnons

ici sur des dispositions légales étrangères à la volonté des

parties, relevant par conséquent d'une souveraineté déter-

minée, et on se demande nécessairement dès lors comment il

se fait que la souveraineté de l'Etat au nom duquel le jugesaisi rend la justice abdique au profit d'une autre, celle à

laquelle correspond la lex situs, le droit de contrôle qui lui

appartient pouvant et devant s'exercer, semble-t-il, sur la

définition des droits immobiliers et des droits mobiliers,comme sur la définition des rapports de droit généralement

quelconques.Voici comment j'ai expliqué, dès l'origine, cette anomalie,

et l'explication me paraît tout aussi décisive aujourd'hui. La

question de savoir si une chose présente le caractère de meu-

ble ou d'immeuble se pose le plus souvent lorsqu'il s'agit,devant une juridiction quelconque, de statuer sur la possi-bilité, sur la régularité, sur la solidité de la transmission ou

de la constitution d'un droit réel sur cette chose, abstractionfaite de la question de capacité personnelle ou de pou-voir à l'effet d'aliéner dans la personne de l'auteur de cette

transmission de droit réel. Or, pour des raisons bien connuesde sécurité dans les relations juridiques, au sens tout parti-culier de cette expression, et qu'on suppose connu, la déter-mination des règles relatives à la transmission des droitsréels sur les choses dépend toujours de la loi du lieu -où lachose est située, de telle sorte que la loi applicable, sous ce

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QUALIFICATIONS ET REGLES DU CONFLIT DE LOIS 599

point de vue, se révèle ainsi aux tiers qui veulent acquérir,par un signe matériel et physique (la situation de la chose)excluant tout risque d'erreur.

S'il en est ainsi, comme la détermination de la règle appli-cable à la transmission dépend, à son tour, de la définition demeuble ou d'immeuble de cette chose, il va de soi que riend'utile ne serait fait si la définition de meuble ou d'immeuble,dont dépend la détermination des règles applicables à latransmission des droits réels, pouvait dépendre d'une loi diffé-rente*: II y a là un échec à la formule ordinaire des qualifi-cations, dû au fondement même de la détermination de la

loi applicable, pour toutes les législations de civilisation

européenne, au régime de la propriété des biens. C'était làmon explication de 1897, et je la crois toujours vraie.

Je n'insisterai pas davantage sur ces deux solutions excep-tionnelles, que j'ai signalées dès l'origine, en matière d'obli-

gations conventionnelles et en matière de régime des biens.

Je veux indiquer tout de suite que, depuis, d'autres hypo-thèses me sont apparues, où la formule ordinaire des quali-fications me paraît pareillement en défaut. Les exceptions,sans se multiplier, sont dès lors plus nombreuses que je ne

l'avais aperçu d'abord. Quel rapport soutiennent ces excep-tions nouvelles avec celles qui précèdent ? Le rapprochementdes unes avec les autres ne nous conduirait-il pas à une for-

mule générale qui les expliquerait toutes ?

Je vais donner deux exemples de ces exceptions nouvelles,

après quoi j'essaierai de généraliser, je veux dire de dégagercette formule générale, de nature, dans ma pensée, à limiter

l'application, débordante et envahissante, de celle des quali-fications. Ces deux exemples, je les emprunte, eux aussi, au

droit français, pour les mêmes raisons pour lesquelles j'aidemandé au droit français toutes les hypothèses sur lesquelles

repose la doctrine des qualifications.Voici le premier. Il a pour objet les formes du testament.

L'article 999 de notre Code civil s'occupe du testament fait

à l'étranger par les sujets français. Il permet au Français de

tester à 1"étranger (au regard de la France) de deux façons :

1° en la forme olographe de la loi française, traduisez : en la

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6oo E. MARTIN

forme privée de sa loi personnelle; 2° en la forme authen-

tique de la loi locale : le texte applique, sous ce point de vue,

la règle locus régit actum au testament du Français à l'étran-

ger, en tant du moins que ce testament est fait en la forme

publique. Il ne dit rien du testament du Français fait à l'étran-

ger en la forme privée de la loi locale, et notre jurisprudence

est fixée depuis longtemps en ce sens que la solution favorable

de l'article 999 ne s'y étend pas.Ceci posé, que faut-il entendre par les formes authentiques

de la loi locale au sens de l'article 999 ? C'est encore une

question de qualification, voici comment : nous partons en

France de cette idée que l'authenticité d'un acte juridique

suppose, par définition même, l'intervention d'un officier

public rédacteur de l'acte; il y affirme la réalité de faits ma-

tériels, par lui perçus propriis sensibus. Il y a, tout à l'op-

posé, des législations, le droit anglais par exemple, où l'on

fait résulter l'authenticité d'un acte, et plus précisémentl'authenticité du testament, d'autres garanties que l'inter-

vention d'un officier public; la pluralité et la qualité des

témoins y suffisent, sous certaines conditions et avec cer-

tains caractères qu'il n'y a pas lieu de préciser ici. Dans des

législations de ce genre, l'authenticité, au sens où nous pre-nons l'expression, n'existe pas : son trait essentiel a disparu.'

Supposons donc qu'un Français teste de cette façon dans

un pays où l'on ne connaît que cette aùthenticité-là. Son tes-

tament, fait ainsi en la forme publique de la loi locale, est-il

valable en France i> Tout dépend de la loi à laquelle nous

demanderons la définition de l'authenticité : si nous nous en

tenons à la notion de l'authenticité dans le droit anglais,oui, le testament sera valable au sens de notre article 999.

Mais, si nous restons fidèles à la notion française de l'au-

thenticité, le testament sera nul, au sens de notre article 999,puisque le trait essentiel de l'authenticité manque. C'est une

question de qualification qui se pose devant le juge français,et il va de soi que la solution normale qu'imposerait la doc-trine des qualifications serait la nullité. Ce serait là unesolution pratiquement déraisonnable. Ce Français ne pour-rait ainsi, au regard de la France et pour le juge français,

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 601

tester en aucune des formes de la loi locale : l'article 999 lui

interdit, par prétention, la forme privée, et le système des

qualifications aboutit à lui retirer l'usage de la forme au-

thentique. Il lui reste la ressource de tester en la forme

olographe de la loi française seulement, les autorités consu-

laires françaises étant trop éloignées peut-être pour qu'il

puisse y recourir et tester en la forme authentique du droit

français. Aussi bien la jurisprudence française a-t-elle, de

très bonne heure, entendu la lettre de notre article 999 d'une

façon plus libérale : il lui suffit depuis longtemps que le

testament de ce Français ait été fait dans les formes authen-

tiques de la loi locale : il sera considéré comme tel en France,bien que le trait essentiel de l'authenticité, au sens françaisdu mot, y fasse défaut (Civ., 6 févr. 1843, S., 1843. 1. 209).C'est une solution, manifestement, qui s'impose : comment

s'explique-t-elle, en droit, dans le système des qualifi-cations ?

Nous le rechercherons tout à l'heure. Je préfère en rap-procher d'abord une autre, très différente par son objet, mais

très voisine par les questions qu'elle soulève et par J'analyseque nous lui appliquerons.

Il s'agit de la définition — définition ou qualification, c'estla même chose — du commettant et du préposé en matièrede responsabilité civile. Notre article 1384 décide que le

commettant est civilement responsable des délits civilscommis par son préposé, dans l'exercice de ses fonctions

tout au moins (c'est là une réserve essentielle). Or, on

éprouve de grandes difficultés, dans l'ordre du droit civil

interne, pour définir avec quelque précision ces deux per-sonnages, le commettant et le préposé : le texte de l'arti-cle 1384 n'en dit rien et la jurisprudence parait bien confuse.Voici pourtant ce qu'on peut tirer d'elle. Le commettantnous apparaît comme une personne qui, en vertu de la pra-tique de fait de ce contrat, peut donner des ordres au préposéet en surveiller dans le détail l'exécution. Cette définition,laborieusement obtenue par l'analyse de la jurisprudencefrançaise, n'est pas nécessairement celle des lois étrangèresqui consacrent, plus ou moins complètement, la même res-

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6o2' E. BARTIN

ponsabilité, ou, si l'on veut, le même principe de responsa-

bilité.

Ceci posé, supposons un délit civil commis en France.par

une personne qui se trouve sous les ordres d'une autre, par

une personne qui est un préposé de celle-ci au sens de la

loi française, loi locale du lieu de la perpétration du délit,

mais qui, selon la loi étrangère dont elles dépendent l'une

de l'autre, n'engage pas la responsabilité civile du commet-

tant. On plaide en France : incontestablement, pour le juge

français, la responsabilité civile sera celle de la loi française

qui est, tout à la fois, la lex fori et la lex loci delicti : le

conflit de qualifications ne se pose pas.

Mais, supposons maintenant que ce même délit civil ait été

commis, dans les mêmes conditions, à l'étranger; dans un

pays où l'on ne conçoit pas comme en France les relations

de commettant à préposé, où l'on ne donne pas du commet-

tant et du préposé la même définition qu'en France. On

plaide tout de même en France (ce qui peut très bien arriver,

art. 14 et 15 du Code civil français). La question de quali-fication se pose, puisque la lex loci delicti et la lex fori ne se

confondent pas. Il s'agit de savoir si le juge français deman-

dera la définition du commettant et du préposé à sa propre

loi, la loi française, lex fori (ce serait la solution normale

résultant de la formule ordinaire des qualifications), ou bien,au contraire, si on demandera cette définition à la loi du

lieu où le fait générateur de la responsabilité civile s'est

produit, à la loi locale. Ce serait là une solution exception-nelle, nettement contraire à la formule ordinaire des quali-fications. C'est cependant celle qui l'emportera (V. Aubry et

Rau, réédition Bartin, § 447, note 15 septies, et Crim. rej.,19 janv. 1901, S., 1905. 1. 55. La question se présente sur-tout en matière d'abordage, pour l'application de la loi du

pavillon : Civ. cass., 18 juill. 1895, S., 1895. 1. 305).C'est une exception nouvelle à la formule ordinaire des

qualifications, et tout à fait comparable, si différentes quesoient les institutions en jeu dans l'une et dans l'autre, àcelle que j'ai fait sortir de l'application de l'article 999 denotre Code civil. Dans ces deux cas, on applique la loi lo-

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 603

cale, et non plus la lex fori, à la définition de l'authenticité

du testament, à l'extension de la responsabilité civile du pré-

posé au commettant. J'ajoute tout de suite qu'on pourraittrouver quantité d'autres exemples, tout aussi sûrs, mais il

me semble que ces deux-là suffisent pour poser la question

d'explication. Comment se justifient, comment peuvent se

comprendre ces exceptions ? La formule rigide et absolue

des qualifications, qui fait toute la force de la doctrine elle-

même des qualifications, peut-elle s'accommoder d'excep-tions aussi manifestes, dans les ordres d'idées les plus diffé-rents ? Y a-t-il d'ailleurs un lien logique, un rapport entreelles et les deux premières exceptions que j'avais immédiate-

ment relevées autrefois ? Y aurait-il enfin une idée générale

qui résume et qui explique toutes ces exceptions et, cette idée

générale, comment peut-on la formuler?

VII

Je pense aujourd'hui que cette idée générale peut être

dégagée, que le même raisonnement qui explique la formule

ordinaire des qualifications explique aussi les exceptions quecette idée générale résume. C'est là ce que j'ajoute aujour-d'hui à ma formule et à ma doctrine primitives des qualifica-tions, je l'ai dit expressément dans mes Principes de droitinternational privé (1930).

Il faut, pour dégager le principe de cette limitation des

applications de la lex fori en matière de qualifications,

reprendre l'analyse de la solution de principe, reprendrel'analyse du fondement rationnel de l'application de la lex

fori en matière de qualifications.

Pourquoi le juge saisi demande-t-il toujours, en principe,à sa propre législation, la qualification des institutions,

qualifications d'où résultera pour lui la loi applicable ? J'aidit que c'était là le résultat nécessaire de toute son éduca-tion juridique : il ne peut penser, et, par conséquent, jugerqu'en fonction des idées générales qui dominent la législa-tion de son pays. D'autre part, et c'est au fond une seconde

expression de la même idée, l'Etat dont ce juge relève, l'Etat

Page 50: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

6o4 £• BARTIN

au nom duquel ce.juge rend la justice, ayant conservé, sur

le terrain du droit privé, pour des raisons qui tiennent à la

nature des institutions de droit privé, le droit de fixer, sur

son territoire, l'étendue d'application de sa propre législa-

tion, et par là même l'étendue d'application des législations-

des autres Etats, restant, sur ce point, son propre législateur

et l'interprète souverain de ses obligations internationales,

impose nécessairement au juge qui rend la justice en son.

nom, de juger de l'étendue d'application des lois étrangères,

pour telle institution civile donnée, en fonction des concep-

tions, des principes et des classifications de sa propre légis-

lation. C'est la formule même des qualifications, sortie, no»

plus seulement des conditions nécessaires de la formation-

intellectuelle et professionnelle du juge, mais encore et avant

tout du caractère de la mission et de l'étendue des pouvoirs^

que ce juge tient de l'Etat dont il relève.

Si cette analyse est exacte, il en résulte que, lorsque cet

Etat a reconnu que, pour tel ou tel groupe de règles de droit

privé, par conséquent pour les institutions qui appartiennentà ce groupe de règles et qui relèvent d'elles, c'est la loi étran-

gère (une loi étrangère déterminée) qui doit normalement

s'appliquer, il se désintéresse par là même des qualifications-diverses que suppose le jeu de ces institutions, qu'il a lui-

même retranchées du domaine de sa propre législation. Le jeude ces institutions relevant, par hypothèse, pour lui-même,d'une loi étrangère déterminée, toutes les questions de défi-

nition et de qualification qui s'y posent en sous-ordre

relèvent nécessairement pour lui de la loi étrangère à la-

quelle il a abandonné tous les rapports de droit compris dans-

le groupe de règles qu'il lui a soumises.

Sortons maintenant de ces formules abstraites et repre-nons l'analyse de tous les exemples que nous avons donnés^de solutions qui s'écartent de la solution de principe des-

qualifications et qui la contredisent. Nous admettons quetout ce qui relève de la notion de responsabilité civile" enmatière de délits civils, dépend de la loi locale, loi du lieu de

perpétration du délit ou loi du lieu où se manifestent ses con-

séquences dommageables. La qualification de la notion de

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 605

a-esponsabilité civile et de la notion de délit civil relève de

la loi du juge saisi, c'est la solution de principe en matière

de qualifications : c'est à la lex fori seule qu'il appartient de

décider si le fait à raison duquel le défendeur est poursuivi•constitue ou non un délit civil :^c'est à la lex fori seule qu'il

-appartient de décider si le litige répond à la notion de res-

ponsabilité civile. Soit, mais cela fait, la lex fori, s'effaçantdevant la loi locale qui régit pour elle les questions de respon-sabilité civile, se désintéresse de l'application de la loi

locale tant à la détermination des personnes tenues de

l'obligation de réparation qu'à la détermination des au-

tres conditions, généralement quelconques, auxquelles l'obli-

gation de réparation est subordonnée. Lors donc qu'on•soumet la définition du commettant et du préposé, la qua-lification de commettant et celle de préposé, à la loi locale,-ce n'est là une solution exceptionnelle qu'en apparence : en

a-éalité, cette solution, prétendument exceptionnelle, sort du

même raispnnement dont la formule initiale des qualifica-tions est sortie. La lex fori s'est elle-même retirée devant la

loi locale à laquelle elle a soumis déjà, par hypothèse, toutle régime de la responsabilité civile.

Poursuivons : nous allons reproduire, sans difficulté, la

même analyse, le même raisonnement et la même explica-tion, sur l'autre exemple que j'ai donné de ces solutions soi-

disant exceptionnelles en matière de qualifications. Quand le

juge français, dans l'hypothèse de l'article 999 de notre Code

•civil, est saisi de la question de la validité du testament fait

•à l'étranger par un Français dans les seules conditions

d'authenticité de la loi locale, et qu'il fait prévaloir, en

matière d'authenticité, la loi locale sur la loi française, lex

fori, il ne sacrifie de la sorte la qualification d'authenticité

de la loi française que parce que la loi française, se bornant

à exiger en principe l'authenticité {lex fori), soumet expressé-ment à la loi locale (art. 999) la détermination des éléments de

l'authenticité, puis s'efface elle-même expressément devant

la loi locale quant à la définition de l'authenticité, qui vien-

drait donc faire ici le choc en retour, si l'on peut ainsi

Page 52: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

6o6 E. BARTIN

parler, de la formule ordinaire des qualifications, pour-faire

réapparaître l'exigence de la qualification française de l'au-

thenticité. ' <

Pas plus donc ici qu'en matière de responsabilité civile,

nous ne sommes en présence d'une solution exceptionnelle.

Dans l'un et l'autre cas, la loi française, lex fori, abdique,

soit en conséquence d'une règle traditionnelle du conflit des

lois en matière de responsabilité civile qu'elle sanctionne

implicitement, soit par l'effet d'un texte positif, en matière

d'authenticité, sa prérogative de qualification, qui revient

dès lors tout naturellement à la loi étrangère qu'elle a elle-

même désignée.Ainsi s'expliquent très simplement les deux solutions, ex-

ceptionnelles en apparence seulement, que j'ai rapprochéesdes deux exceptions qui m'étaient apparues les premières,dans la rédaction de mon premier travail. Et il est à peinebesoin de dire que ces deux exceptions anciennes, celle quiconcerne la définition des droits mobiliers et des droits immo-

biliers, celle qu'entraîne, sur nombre de points, en matière

d'obligations conventionnelles, la consécration du principede l'autonomie de la volonté, s'expliquent elles aussi, se

concilient elles aussi, avec la formule ordinaire des qualifi-cations qu'elles paraissent contredire, par la même analyse et

par le même raisonnement que je viens d'appliquer à la ques-tion de l'authenticité du testament et à celle de la responsa-bilité du fait d'autrui.

Quand on demande si tel droit présente ou non un carac-

tère mobilier, l'intérêt de la question est de savoir quel est

le régime de transmission de la propriété applicable à la

chose que ce droit a pour objet. Les conditions et les effets

de la transmission à titre particulier, comme de la consti-tution des droits réels, varient nécessairement suivant qu'onenvisage la chose sur laquelle on raisonne comme un immeu-ble ou comme un meuble. Pour des raisons de sécurité dansles relations juridiques, il a paru, dès l'origine des discus-sions sur les conflits de lois, que la loi la plus naturellement

appelée à fixer le régime de la propriété des choses, entenducomme on vient de le définir, était la loi du lieu où cette

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 607

chose est située au jour où se produit l'acte juridiquede transmission ou de constitution des droits réels qui la

frappe. Mais il est clair, comme je l'ai expliqué plus haut,que si la lex rei sitse est plus naturellement appelée quetoute autre à déterminer le régime de transmission qu'il fautlui appliquer, et si ce régime de transmission varie suivant

que la chose est qualifiée de meuble ou d'immeuble, c'estnécessairement de la lex rei sitse que dépend cette qualifica-tion à laquelle la détermination du régime de propriété quilui est applicable est subordonné. La qualification relève dela lex rei sitse, au lieu de relever de la lex fori, parce quel'application de la lex rei sitse au régime des biens, à latransmission de la propriété, n'atteint son but, qui est d'assu-rer la sécurité aux tiers acquéreurs, qu'autant que la lex reisitse décide elle-même de la qualité de meuble ou d'immeubledont les règles "de transmission de la propriété dépendent.La lex fori soumettant, par hypothèse, la transmission dela propriété à la lex rei sitse, lui abandonne, par là même,la qualification de meuble ou d'immeuble, sans laquelle la dé-

termination de la loi applicable à la transmission des biens

ne saurait être faite; la lex fori se désintéresse d'une quali-fication qui relève nécessairement de la loi à laquelle la lex

fori soumet elle-même le régime des biens.

La solution exceptionnelle, ici encore, disparaît à l'ana-

lyse : elle disparaît par le même raisonnement qui l'a fait

disparaître en matière de responsabilité civile et en matière

d'authenticité. Ce raisonnement, je ne prendrai pas la peinede le reproduire pour la dernière de ces solutions soi-disant

exceptionnelles, celle que j'ai relevée d'abord, en matière

d'obligations conventionnelles, dans le domaine de l'autono-

mie de la volonté. Là encore, plus qu'ailleurs s'il est

possible, la lex fori se désintéresse de la qualification des élé-

ments divers de l'obligation conventionnelle ou de son exé-

cution, parce qu'ils ne relèvent impérativement d'aucune lé-

gislation, pas plus de la loi du juge saisi que d'aucune autre.

Le tout, d'ailleurs, sous le bénéfice de cette réserve essen-

tielle qui va de soi : nous supposons qu'aucun doute ne

s'élève sur le caractère conventionnel de l'élément de l'obli-

Page 54: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

6o8 E. BARTIN

gation qu'il s'agit de qualifier; s'il en était autrement, et par

exemple que, pour la loi du juge saisi, cet élément de l'obli-

gation ressortît à des règles de caractère impératif, la for-

mule ordinaire des qualifications reprendrait son empire et

la qualification de cet élément lui serait donnée par la lex

fori.

vm

Nous possédons maintenant la formule complète de la doc-

trine des qualifications, puisque nous avons ramené à une

idée générale toutes les exceptions signalées, et que nous

ramènerions sans plus de peine à la même idée générale tou-

tes les autres solutions exceptionnelles qu'on pourrait ajouter

à celles sur lesquelles nous avons concentré notre analyse.

Nous donnerons dès lors l'expression suivante à la doctrine

des qualifications : En tous pays, la loi du juge saisi est sou-

veraine pour décider de la nature du rapport de droit pour

lequel il s'agit de déterminer la loi applicable, quand, par

hypothèse, le problème de la détermination de la loi appli-cable n'est pas déjà résolu. Première proposition qui corres-

pond, sans modifications ni réserve, à mon exposé primitifde la doctrine des qualifications (1897). Mais — seconde pro-

position qui limite le domaine de la précédente — quand le

rapport de droit sur lequel on raisonne fait lui-même partie,

par hypothèse, d'un groupe de rapports de droit dont, par

hypothèse encore, la loi du juge saisi a déjà implicitementou expressément reconnu l'indépendance, alors c'est à la loi

étrangère à laquelle elle l'a abandonné que revient la qua-lification, dans le détail, des rapports de droit compris dansce groupe. C'est la qualification en sous-ordre, qui, par défi-nition même, n'appartient plus à la lex fori, parce que celle-cis'en est désintéressée. A étendre inconsidérément à ces quali-fications en sous-ordre la formule ordinaire des qualifica-tions, nous retomberions, au prix d'une contradiction mani-feste, dans les anciennes formules de la territorialité dudroit.

Voilà, je crois, la distinction bien faite, l'opposition bien

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 609

marquée entre les deux solutions dont la réunion résumel'ensemble de la doctrine des qualifications, telle que je la

présente aujourd'hui. D'abord, la solution initiale et fonda-

mentale, celle qui, en cas de doute sur la loi applicable au

groupe de difficultés dont fait partie la difficulté soumise au

juge, soumet impérativement la qualification de cette diffi-culté à la loi de ce juge, à la loi du juge saisi (lex fort). Puis,la solution secondaire, non pas du tout exceptionnelle etcontradictoire à la précédente, mais au contraire dérivée do

celle-ci, qui abandonne à la loi étrangère la qualification de la

difficulté, quand cette difficulté appartient à un groupe de

rapports de droit pour lequel la loi applicable est déjà, pour lalex fori elle-même, déterminée et reconnue.

Ici se termine l'exposé complet, rectifié par les réserves

que j'y apporte aujourd'hui et que j'ai déjà expressémentformulées dans mon volume de 1930, de la question des

qualifications. Il me reste maintenant, pour être fidèle autitre même que j'ai donné à oes leçons, deux choses à faire.

1° Montrer d'abord la répercussion de cette doctrine des

qualifications sur la constitution même du droit international

privé, répercussion qui se traduit d'un mot, quelle que soit

l'infinie variété de ses conséquences. La doctrine des quali-fications imprime au droit international privé le caractère

d'une discipline nationale, dans chaque pays, de telle sorte

qu'il y a autant de systèmes distincts, et au besoin différents,de droit international privé, qu'il y a d'Etats souverains.

2° Montrer d'autre part que cette conclusion, si particu-lariste qu'elle soit, et par conséquent si décourageante qu'elleparaisse pour l'unification future du droit international privédans les différents Etats, n'est cependant pas inconciliable

avec ce qu'on appelle aujourd'hui l'esprit international,c'est-à-dire avec l'esprit de compréhension mutuelle et d'en-

tente des différentes législations entre elles.

LX

Ces deux points, ce sont précisément ceux dont je comptais

m'occuper principalement dans ce cours. Et je les aborde tout

1. — 1930. 39

Page 56: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

610 E. MARTIN

à fait à la fin de ces leçons; je ne pourrai donc leur consa-

crer que des développements très inférieurs à ceux que je

comptais leurdonner. Le seul exposé de la doctrine des qua-

lifications m'a retenu très longtemps, parce que j'ai dû et

voulu vous présenter de cette doctrine un exposé-complet, y

compris les réserves, d'ailleurs plus apparentes que réelles,

que je crois devoir y apporter aujourd'hui.Sur le premier point, je veux dire en ce qui concerne la

répercussion de la doctrine des qualifications sur la consti-

tution même du droit international privé, je crois bien qu'on

peut aller jusqu'à dire que les conséquences de cette doctrine

ne sauraient être exagérées, parce qu'elle en a véritablement

transformé toutes les données. Remontons, pour l'apercevoir,de la formule de principe des qualifications au caractère des

règles de conflit dont cette formule gouverne les applications;remontons ensuite de ces règles de conflit elles-mêmes,! dans

un Etat donné, à la nature des sources qui les expriment dans

cet Etat. Et terminons cette revue rapide des trois premiers

problèmes dans lesquels se résume tout le droit international

privé, par l'examen du dernier et tout à la fois du plus profondet du plus subtil de tous, celui de savoir quel est le carac-

tère que revêt, dans un Etat donné, la loi étrangère interne

dont les règles de conflit sanctionnées dans cet Etat prescri-vent l'application. Partout Je droit international privé nous

apparaîtra comme l'adaptation nationale, - dans chaque Etat,de la législation de cet Etat à ses obligations internationales

vis-à-vis des autres et plus précisément vis-à-vis de la légis-lation des autres. Et G'est la doctrine des qualifications, la

formule nationale de la solution des questions de qualifica-tion, dans chaque pays, qui sert de support à cette concep-tion d'ensemble, et en même temps de lien entre les difféTrentes théories qui la traduisent.

Le caractère national des règles de conflit d'abord. Conce-vrait-on que l'application des règles de conflit dans un Etatdonné — c'est la formule même des qualifications — fût na-

tionale, autrement dit que cette application se modelât surles conceptions et les exigences de la législation interne decet Etat, et que ces règles de conflit elles-mêmes prissent leur

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 611

origine ailleurs que dans la souveraineté de cet Etat, sou-

verain pour les interpréter ? L'application et l'interprétation,ici, ne font qu'un, puisque c'est par l'application que le jugesaisi fait de ces règles qu'elles prennent leur vrai sens dans

le pays que ce juge représente. On n'insistera pas davantagesur une correspondance logique aussi évidente.

Elle ne fait que rejoindre et confirmer ce que nous savons

déjà du caractère national des règles du conflit des lois, dont

la plus forte preuve nous est fournie, en dehors de la doctrine

des qualifications, par l'une des théories les plus célèbres du

droit international privé, celle de l'ordre public international.

Tout le monde sait ce qu'on entend par là, sauf à ajouterimmédiatement que tout le monde ne comprend pas comme

moi les solutions, aussi variées que nombreuses, qu'on s'ac-

corde à grouper sous cette désignation, selon moi très mal

faite.

Dans quantité d'hypothèses, que je ne puis songer ici ni à

énumérer ni à classer, le juge saisi, dans un pays donné, d'une

question de droit international privé, plus précisément d'une

question de conflit de lois à laquelle ses propres règles de

conflit — je veux dire les règles de conflit sanctionnées parla loi de l'Etat au nom duquel il rend la justice — lui pres-crivent d'appliquer une loi étrangère déterminée, non seule-

ment peut mais doit, selon la jurisprudence de son pays,écarter l'application de cette loi étrangère et la remplacer

par les dispositions correspondantes et différentes de sa pro-

pre loi interne, de la loi interne de son pays. L'exemple

classique nous est fourni par la législation du divorce. Le

juge d'un pays où le divorce est prohibé, saisi d'une demande

en divorce entre conjoints dont la loi personnelle commune

admet ce mode de dissolution du mariage, refusera de pro-noncer entre eux le divorce, alors même que la législation de

son pays soumettrait en principe l'état des personnes à leur

loi nationale commune, et, bien entendu, alors même qu'il se-

rait juridictionnellement compétent, au regard de son pays,

pour connaître de ce litige entre étrangers. La solution n'est

pas seulement certaine, elle est classique, et il est à peine be-

soin d'ajouter qu'il y a quantité d'autres exemples, emprun-

Page 58: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

612 E. BARTIN

tés à toutes les institutions du droit privé, de cette substitu-

tion, par le juge saisi, de sa propre loi interne à la loi étrangère

dont ses propres règles de conflit lui prescrivaient, en prin-

cipe, l'application.Cette substitution ne se produisant jamais, pour le juge

saisi, qu'au profit de sa propre loi interne, envisagée dans

ses dispositions contemporaines du litige — n'ayant jamais

qu'une valeur territoriale dans le pays au nom duquel ce

juge rend la justice — nous apparaît nécessairement comme

l'exercice du droit souverain qui appartient à l'Etat quece juge représente, de frapper d'interdit, sur son territoire,

telle ou telle disposition des lois étrangères dont il admet

cependant, en principe, sur son territoire l'application. C'est

le droit pour cet Etat de se soustraire, à son gré, le cas

échéant, aux règles ordinaires de conflit auxquelles obéis-

sent les juges qu'il a investis du pouvoir de juger. Et ce n'est

pas exprimer une idée différente, mais accentuer au contraire

celle qu'on vient de formuler, que d'ajouter que ces hypo-thèses d'exclusion de telle ou telle disposition des lois étran-

gères, ces hypothèses de substitution de la loi nationale du

juge à la loi étrangère qu'il devrait normalement appliquer,ne s'expliquent jamais que par l'interférence arbitraire de la

législation ou de la jurisprudence de l'Etat dont relève le jugesaisi.

De cette analyse des dispositions dites d'ordre public inter-

national, et qui sont au contraire, d'après cette analyse, dans

chaque pays, les dispositions les plus rigoureusement et les

plus étroitement nationales de la législation de ce pays, on

conclura, je pense, au caractère purement national, dans cha-

que pays, des règles ordinaires de conflit sanctionnées, en prin-cipe, dans ce pays. C'est parce que, dans chaque Etat, le sys-tème ordinaire des règles de conflit repose sur le principe dela'souveraineté de cet Etat, qu'il n'en est, dans l'ordre desrelations de droit privé, que l'expression, et la traduction, quecet Etat, sa législation, sa jurisprudence et ses juges ont pueonserver l'étonnante prérogative d'apporter à l'applicationde ce système et de ces règles des exceptions arbitrairementchoisies et multipliées, qui ne trouvent leur explication et

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 613

leur justification dans aucun principe commun à tous les

Etats, dans aucun principe commun, dans un même Etat, auxdifférentes institutions que ces exceptions mettent en jeu.

Le caractère national, dans chaque pays, des règles de

conflit, qu'impose, pour peu qu'on y réfléchisse, le caractère

plus étroitement national encore des exceptions que chaqueEtat y apporte sous l'expression trompeuse d'hypothèsesd'ordre public international, s'affirme une fois de plus, avecla doctrine des qualifications, par la logique interne de l'ap-plication, dans chaque Etat, des règles normales de conflit,

l est aussi étroitement lié à la doctrine des qualifications qu'à

l'analyse, telle que je l'ai présentée, des dispositions dites

d'ordre public international.Du caractère national des règles de conflit, nous passons

maintenant au caractère national de leur expression dans

chaque Etat, au caractère national des sources du droit inter-

national privé dans chaque Etat. Nous suivons ou nous re-

montons une pente sur laquelle il est impossible de s'arrê-

ter. Le caractère national de l'application des règles de con-

flit implique nécessairement le caractère national de ces rè-

gles elles-mêmes, et le caractère national de ces règles ne

s'accommoderait certainement pas de l'origine différente et

contraire de l'expression juridique de ces règles, des sources,en un mot, du droit international privé.

Aussi bien, le caractère national de l'expression législativeet même de l'expression coutumière de ces règles n'est-il sé-

rieusement contesté par personne. Chaque pays ne formule

que pour soi les règles de conflit de sa législation écrite, et

quant à la coutume internationale, qui paraît, à première vue,

correspondre à une conception internationale de la solution

des conflits de lois, elle ne vaut, dans chaque Etat, que par

l'application qui en est faite par les juridictions de cet Etat

et par la jurisprudence qui naît d'elles, et cela suffit pourqu'elle prenne, dans chaque Etat, une physionomie différente

et parfois même un sens différent de la physionomie et du

sens qu'elle a pris dans un autre. Si la coutume interna-

tionale soumet la forme des actes à la loi du lieu où ils sont

faits, la réparation du préjudice causé par un délit civil à

Page 60: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

6i4 E. BARTIN

la loi du lieu de perpétration de ce délit civil, ces propo-

sitions supposent une définition des formes des actes et une

définition des délits civils, que la jurisprudence nationale,

dans chaque Etat, peut seule donner. La valeur et la por-

tée internationale de la règle coutumière disparaît ainsi par

l'application exclusivement nationale qui en est faite dans

chaque Etat.

La conclusion reste la même, en dépit des apparences, pour

l'expression conventionnelle des règles de conflit, tout aussi

pleinement nationalisée, dans chaque Etat, par l'application

qui en est faite que le sont l'expression législative et l'ex-

pression coutumière de ces mêmes règles. Les textes con-

ventionnels au moyen desquels les Etats signataires se propo-sent d'unifier, dans leurs rapports entre eux, et pour des

matières déterminées, les solutions de conflit, restent tou-

jours subordonnés à l'interprétation qui en sera faite, dans

chacun des Etats signataires, par les juridictions de cet Etat,et qui ne coïncidera pas nécessairement avec l'interpréta-tion donnée par les juridictions d'un autre. Il y a en ce sens

des exemples décisifs de la déformation nationale des textes

conventionnels, dans l'application, jamais uniforme, qui en

est faite dans les différents Etats qui s'y sont soumis.

On a cherché, sans doute, là plus qu'ailleurs, à se libé-

rer du paradoxe qui fait dépendre, dans chaque Etat, l'ap-

plication de règles internationales aussi caractérisées quecelles-là, du pouvoir souverain des juridictions nationales

de cet Etat. On a cherché, dans ces dernières années, et ce

qu'on a trouvé reste, comme on va le voir, très loin d'un but

qui recule indéfiniment devant nous.

Je fais allusion au projet de protocole établi par la Con-

férence de La Haye, en 1928, par lequel les Etats signatairesreconnaîtraient la compétence de la Cour de Justice interna-

tionale pour connaître de tout différend qui s'élèverait entreeux sur l'interprétation des conventions élaborées par laConférence.

Ce qui frappe, dans ce texte, c'est beaucoup moins l'es-

poir et la volonté d'arriver à une interprétation uniformede dispositions conventionnelles de -sens douteux, que le

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 615

nombre et l'étendue des réserves apportées à l'étendue de

cette interprétation. Elle est strictement limitée, non seule-

ment aux Etats signataires éventuels du protocole, ce qui va

de soi, mais encore à une certaine catégorie, nécessairement

restreinte, comme on va le voir, de conventions, enfin et

surtout, aux seuls rapports des Etats entre lesquels les di-

vergences d'interprétation se sont produites. Cela signifie

que ces Etats sont tenus simplement de prendre, chacun chez

soi, les mesures intérieures nécessaires pour que l'interpré-tation sanctionnée par la Cour de Justice internationale soit

adoptée, à l'avenir, par leurs juridictions nationales. Autre-

ment dit, leurs juridictions nationales ne sont pas liées

directement par le dispositif de l'arrêt interprétatif rendu

par la Cour de La Haye. Ces juridictions continuent à rester

maîtresses de l'interprétation de la convention de sens dou-

teux, jusqu'à ce que l'Etat dont elles relèvent ait pris, dans

sa pleine indépendance, les mesures nécessaires pour les

contraindre à sanctionner une interprétation différente. On

voit combien prudentes et même timides nous apparaissentces tentatives récentes d'internationalisation de l'interpré-tation des dispositions conventionnelles. Encore faut-il

ajouter que tout cela ne s'appliquerait, dans le système du

protocole de 1928, qu'aux seules conventions élaborées parla Conférence de La Haye. Ce qui exclut en fait, à l'heure

actuelle, les conventions les plus importantes pratiquement,les conventions consulaires, les conventions de juridiction,les traités de commerce et d'établissement, sans parler des

dispositions de droit privé que renferment parfois les trai-

tés de paix.On peut dès lors conclure avec autant de fermeté sur le

caractère des sources du droit international privé que surle caractère des règles elles-mêmes du conflit de lois. Ces

règles restent, aussi bien dans leur expression législative,coutumière et conventionnelle, que dans le fond de leurs dis-

positions, des règles nationales. Tout s'enchaîne, de leur

application à leur fond, de leur fond à l'origine des sources

qui les expriment.Le cercle n'est cependant pas fermé encore, il y manque

Page 62: Etienne Bartin - La Doctrine Des Qualifications Et Ses Rapports Avec Le Caractére National Du Conflit Des Lois

616 E. BARTIN

un dernier anneau. Les règles de conflit, quelle qu'en soit

la source et quelque application qu'on en fasse, ont pour

trait essentiel et pour but de prescrire au juge saisi d'ap-

pliquer, dans telle ou telle hypothèse, une loi étrangère in-

terne, aux lieu et place de sa loi nationale. Une question

de principe se pose aussitôt, qui est de savoir à qui remonte,

en pareil cas, l'impératif de la loi étrangère, autrement dit

si l'application qu'en doit faire, dans cette mesure, le juge

saisi, lui est imposée par l'Etat dont il relève lui-même, cet

Etat s'appropriant dans cette mesure, si l'on peut ainsi par-

ler, cette loi étrangère interne, aux fins d'application sur son

territoire; ou bien au contraire si le juge saisi obéit, en l'ap-

pliquant, à l'impératif étranger, pour obéir à ses propres

règles de conflit qui lui en prescrivent l'application ? For-

mule théorique sur laquelle il n'est pas difficile de prendre

parti, après tout ce qui a été dit du caractère national des

règles de conflit et de leurs applications. Le juge saisi n'est

tenu d'appliquer la loi étrangère interne que parce quel'Etat au nom duquel il rend la justice lui en prescrit l'ap-

plication. Cette loi étrangère interne devient, dans la me-

sure de l'application qui en est faite par le juge saisi, une

loi interne de l'Etat au nom duquel ce juge rend la justice.

L'impératif national qui gouverne l'application des règlesde conflit, qui constitue, en conséquence de ce, le fond de

ces règles elles-mêmes, qui donne enfin, en conséquence de

ce, leur force obligatoire aux sources qui les expriment, se

retrouve, en dernière analyse, dans l'impératif de la loi

étrangère interne à l'application de laquelle tout cela, en

définitive, aboutit.

Cette extension de la loi étrangère interne, de l'impéra-tif de l'Etat dont relève le juge saisi, devrait se traduire parl'assimilation de principe de la loi étrangère interne, dansla mesure de son application dans cet Etat par le juge saisi,à' la loi nationale interne de ce juge et de cet Etat : notam-ment au point de vue de ses garanties judiciaires d'applica-tion dans cet Etat, telles que la possibilité du recours en

cassation, fondé sur la violation de cette loi étrangère in-terne comme il l'est sur la violation de "la loi nationale

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 617

interne de cet Etat. Il est à peine besoin d'ajouter que la

même question se poserait pour .d'autres garanties judiciai-res d'application de cette loi étrangère interne, qu'on ne

peut songer à indiquer ici. On ne cherchera pas à dissimu-

ler que, sur ce point, et plus généralement dans cet ordre

d'idées, l'assimilation de la loi étrangère interne à la loi

nationale interne est loin d'être faite4 en France tout au

moins. La loi étrangère interne n'est pas, en principe, entou-

rée, dans l'Etat dont les règles de conflit en prescrivent

l'application, et notamment en France, des mêmes garan-ties judiciaires d'application que la loi nationale interne de

cet Etat. L'assimilation de la loi étrangère interne à la loi

nationale serait certainement la conséquence naturelle de

l'extension de l'impératif de la loi nationale à la loi étran-

gère interne, dans la mesure où les règles de conflit de la

loi nationale prescrivent l'application de cette loi étran-

gère interne, et cette extension de l'impératif de la loi natio-

nale à la loi étrangère interne nous apparaît comme la der-

nière expression de la doctrine qu'on a résumée dans ces

leçons et dont on rappelle une dernière fois la formule : la

doctrine du caractère national, dans chaque pays, des règlesdu conflit des lois, et plus généralement des règles du droit

international privé.Le point de départ de cette doctrine, c'est le problème des

qualifications et la solution qu'on ne peut manquer de lui

donner, pour peu qu'on descende à l'analyse minutieuse du

fonctionnement pratique des règles de conflit. Cette doctrine

s'étend de là à ces règles elles-mêmes, envisagées dans leurs

formules générales, de là encore elle s'étend aux sources,

même conventionnelles, de ces règles de conflit. Sur tous ces

points, ses conséquences s'accordent avec tout ce que l'on sait,

par ailleurs, des formules générales et des sources de ces règles

de conflit. Sur le dernier point seulement, en ce qui concerne

le caractère de l'application de la loi étrangère interne dans

la mesure prescrite par les règles de conflit du pays sur le-

quel on raisonne, l'assimilation de l'impératif de la loi étran-

gère interne à l'impératif de la loi nationale, et, plus précisé-

ment, l'extension à la loi étrangère interne des garanties

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6i8 E. BARTIN

d'application dont la loi nationale est entourée, extension

et assimilation qui seraient conformes à l'esprit même de

la doctrine des qualifications, paraissent actuellement nous

échapper. Mais peut-être le dernier mot n'est-il pas dit sur

ce point dans la pratique internationale, et notamment en

France. L'objection qu'on en peut tirer, non pas certes contre

la doctrine des qualifications, mais contre la généralisation

de son esprit, reste donc provisoirement négligeable et ne

saurait ébranler la conclusion que tout le reste nous impose,

et qui est celle-ci : le droit international privé tout entier,

ramené purement et simplement à l'expression nationale,

dans chaque Etat, des obligations internationales de cet Etat

sur le terrain du droit privé, repose, en dernière analyse, sur

la doctrine des qualifications.Tout l'exposé des règles du conflit des lois dans un Etat

donné en témoignerait au besoin. On trouverait dans cet

exposé la preuve a posteriori, si je puis dire, abondante et

sûre, qui confirme, par le jeu des différentes institutions du

droit privé, l'analyse a priori qu'on a essayé de faire dans

ces cinq leçons. J'avais espéré, en dressant le programmede ces leçons, pouvoir soumettre à mes auditeurs deux exem-

ples, empruntés naturellement à notre système français du

conflit des lois, de la subordination, dans un Etat donné,des règles de conflit qui y régissent une institution donnée,à l'analyse de droit interne de cette institution dans la lé-

gislation de cet Etat. Cette subordination des règles de con-

flit à l'analyse de droit interne, G'est la conséquence même

de la conception nationale, dans l'Etat sur lequel on rai-

sonne, des règles de conflit auxquelles il accepte de se sou-

mettre, c'est-à-dire, au fond, la conséquence même de ladoctrine des qualifications. Ces deux exemples appartiennentau droit des personnes. Les sanctions civiles qui atteignentle conjoint contre lequel le divorce a été prononcé, les cau-ses de la séparation de biens, obéissent en France, dans notre

système français du conflit des lois, à des règles de conflit

qui sont étroitement liées à l'analyse de droit interne deces sanctions civiles et de ces causes de séparation dans ledroit français, et qui ne peuvent s'expliquer que par cette

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QUALIFICATIONS ET RÈGLES DU CONFLIT DE LOIS 619

analyse. Ces deux exemples ont été pris, sans choix pré-

médité, entre quantité d'autres : ils prouvent ce que prou-veraient les autres, qu'en France, et je n'hésite pas à géné-

raliser, qu'en tous pays, les règles du conflit des lois dépen-dent essentiellement du caractère que le droit interne de ce

pays donne à l'institution de droit privé qu'elles ont pour

-objet : elles sont liées, comme l'ombre au corps, au droit

interne de ce pays. C'est l'esprit même de la doctrine des

.qualifications, indéfiniment répandu dans les moindres par-ties de ce vaste ensemble du droit international privé.

X

Que devient, dans ces conditions, l'esprit international

sans lequel il semble difficile de participer à l'enseignementdonné à La Haye ? Si contraires que soient les apparences,on n'hésite pas à répondre que l'esprit international n'a pas

disparu de ces leçons. L'essentiel, en effet, pour y satisfaire,

estMTadmettre que chaque Etat est soumis, dans l'ordre des

Telations de droit privé comme sous tous autres points de

vue, à des obligations internationales proprement dites,

dont le principe ne dépend pas de lui, mais lui est imposé,en sa seule qualité d'Etat civilisé, par la définition même

de ce mot de civilisation. Seulement, ces obligations inter-

nationales touchent ici, par leur objet, à ce qu'il y a de plusnational et de plus individuel dans un Etat, sa législation,sa classification des institutions, les rapports que ces insti-

tutions soutiennent entre elles. L'étendue de ces obligations11e saurait être déterminée de même pour les différents Etats.

11 y a là une différence irréductible entre eux, qu'il ne semble

pas que l'esprit international puisse jamais faire dispa-

raître. Sur ce point, la conclusion de ces leçons reste aussi

nette et aussi ferme que les développements qui l'ont éta-

blie. L'avenir de l'esprit international, selon moi, est ailleurs.

Des règles communes et semblables de droit international

privé pour les différents Etats ne peuvent sortir que de

conventions appropriées à intervenir entre eux; cela n'est

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620 E. BARTIN

pas impossible, mais à une condition, qu'on peut bien con-

sidérer, à la fin de ces leçons, comme une condition sine

qua non ; c'est que ces conventions soient minutieusement

élaborées, avec le concours et par la collaboration active de

jurisconsultes civilistes appartenant aux divers Etats intéres-

sés, professionnellement habitués à dépister, sous la res-

semblance apparente des mots, les différences d'interpré-tation qui finissent par opposer radicalement l'une à l'autre

deux institutions, régies par deux législations différentes,

qui paraissent à première vue se correspondre. Omnis défi-nitio in jure civili periculosa, telle est la devise sous l'auto-

rité de laquelle des civilistes qualifiés peuvent travailler

utilement à aplanir, sous des règles communes de conflit, les

aspérités de législations internes rivales et satisfaire ainsi

à l'esprit international.

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BIBLIOGRAPHIE

DESPAGNET.— Des conflits de lois relatifs à la qualification des rapports juri-diques, dans Ciunet, 1898, p. 253 et suiv

ARMDOON. — Les qualifications légales en droit international privé, Revue dedroit international et de législation comparée, 1923, p 272 et suiv.