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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III ECOLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE Etat, entreprises, intelligence économique, quel rôle pour la puissance publique ? THESE Pour le doctorat en droit Présentée et soutenue publiquement le 7 novembre 2008 par Xavier LEONETTI JURY Directeurs de recherche M. Gilles MATHIEU Maître de conférences à l’Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille III M. Stéphane BOUDRANDI Directeur délégué du centre d’Intelligence économique de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence Membres du Jury M. Frédéric DEBOVE Professeur à l’Université Paris II ASSAS M. Gaëtan DI MARINO Professeur à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III M. Henri DOU Professeur à l’Université Paul-Cézanne Aix-Marseille III M. Alain JUILLET Haut responsable à l’intelligence économique au Secrétariat général de la défense nationale M. Jean-François RENUCCI Professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis M. le général Marc WATIN-AUGOUARD Inspecteur général des armées Gendarmerie

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  • UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III ECOLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

    FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE DAIX-MARSEILLE

    Etat, entreprises, intelligence conomique, quel rle pour la puissance publique ?

    THESE

    Pour le doctorat en droit

    Prsente et soutenue publiquement le 7 novembre 2008

    par

    Xavier LEONETTI

    JURY

    Directeurs de recherche M. Gilles MATHIEU Matre de confrences lUniversit Paul

    Czanne dAix-Marseille III M. Stphane BOUDRANDI Directeur dlgu du centre dIntelligence

    conomique de lInstitut dEtudes Politiques dAix en Provence

    Membres du Jury

    M. Frdric DEBOVE Professeur lUniversit Paris II ASSAS M. Gatan DI MARINO Professeur lUniversit Paul Czanne Aix-Marseille III M. Henri DOU Professeur lUniversit Paul-Czanne Aix-Marseille III M. Alain JUILLET Haut responsable lintelligence conomique

    au Secrtariat gnral de la dfense nationale M. Jean-Franois RENUCCI Professeur lUniversit de Nice-Sophia

    Antipolis M. le gnral Marc WATIN-AUGOUARD Inspecteur gnral des armes Gendarmerie

  • 3

  • Rsum en franais : ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL RLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE? Aujourd'hui, comme hier, les entreprises se positionnent au cur de linformation : elles se situent au centre dun cercle o se croisent et interfrent les vecteurs et les objectifs du renseignement. Hritire du renseignement, lintelligence conomique se distingue de celui-ci parce quelle remplace le pouvoir politique par le pouvoir conomique. Pourtant, elle se situe mi-chemin entre les intrts privs du chef dentreprise, et lintrt gnral dfendu par lEtat. Etat, entreprises, intelligence conomique, il y a bien un objectif commun : la prosprit dun pays et de ses habitants. En France, lEtat sest engag tardivement dans un processus de dfinition des objectifs stratgiques, et de mutualisation des services. En dpit dune tradition dexcellence technique ajoute une grande imagination intuitive, la France prsente dinquitantes zones de faiblesse (culturelle, juridique). Ds lors, la mise en oeuvre d'une politique d'intelligence conomique doit permettre de renforcer la lgitimit de l'action publique dans son ensemble, exprimant le passage de lEtat modeste lEtat moderne . Les concepts d'Etat stratge et d'Etat partenaire constituent cet gard une des rponses adaptes aux impasses du libralisme social et aux difficults des pouvoirs publics renouer avec le plein emploi. Entre veille juridique et protection du patrimoine, il appartiendra donc lEtat daccompagner les entreprises dans leur dveloppement local, national et international. Rsum en anglais : STATE, COMPAGNIES, COMPETITIVE STRATEGY, WHAT IS THE ROLE FOR THE PUBLIC ACTION ? Today as before companies place themselves at the heart of information, at the very centre-point where all the vectors and objectives of information come together. The heir of information, competitive stratgy is different as it replaces political power by economic power. Indeed it is half way between the private interests of the managing director and the general interests supported by the state. The state, companies, economic strategy all have one common objective: the prosperity of a country and its inhabitants. In France, the government became belatedly involved in a process of defining strategic objectives and the mutualisation of services. Despite a tradition of technical excellence as well as intuitive imagination, France has a certain number of preoccupyiny weak points (cultural, legal) Consequently the implantation of a policy of economic strategy should enable the State to progress from being a modest State to a modern State by reinforeing the legitimacy of its overall public action. Therefore the concepts of a strategic State and a Partner State constitute one of the solutions to the dead-end of social liberalism and to the difficulties of the government to renew with full employment. With legal vigilance and protection of the patrimony the State should accompany business in their local, national and international development. Mots cls : Economie, emploi, Etat, dveloppement, France, information, intelligence conomique, puissance publique, stratgie.

  • Remerciements

    Je tiens remercier messieurs les professeurs Frdric Debove et Jean-Franois Renucci pour avoir accept dtre rapporteurs de cette thse. Merci messieurs les professeurs Gatan Di Marino et Henri Dou, monsieur Alain Juillet et monsieur le gnral Watin-Augouard, davoir bien voulu honorer le jury de leur prsence. Merci matre Gilles Mathieu et monsieur Stphane Boudrandi, davoir accept de diriger mes travaux de recherche et de mavoir guid et conseill tout au long de ces quatre annes. Merci au gnral Chariglione, au colonel Brunaud, au chef descadron Delapierre et au capitaine Segui, de mavoir soutenu dans la ralisation de ce projet. Il me reste enfin remercier ma famille et mes amis pour leur coute et leur patience. La facult de droit nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions mises

    dans cette thse. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.

    Ce document a fait lobjet dun contrle informatis anti-plagiat.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    8

  • PLAN

    Plan gnral

    Partie 1 : L'intelligence conomique est un levier de renouveau de la politique publique 1. La place de l'Etat dans une conomie de la connectivit

    gnralise

    1.1. L'intelligence conomique participe la performance et la modernisation conomique des entreprises

    1.1.1.Linformation est la matire premire de l'conomie

    1.1.1.1.1. La socit de l'info-dominance 1.1.1.1.2. De la guerre conomique la guerre de

    l'information

    1.1.2.L'information est au coeur des processus stratgiques 1.1.2.1.1. Le passage de l'information la connaissance 1.1.2.1.2. Intelligence, connaissance et information

    1.2. L'intelligence conomique participe la rforme de l'Etat

    1.2.1.L'Etat doit tre un rducteur d'incertitudes

    1.2.1.1.1. Le management de l'information et des connaissances, doit permettre d'clairer l'avenir

    1.2.1.1.2. Le management des risques doit favoriser le dveloppement d'une intelligence de crise

    1.2.2.L'Etat doit jouer un rle d'anticipateur

    1.2.2.1.1. Vers de nouvelles formes de conflits: la guerre en rseau

    1.2.2.1.2. Vers une Communaut de l'information scurise

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    10

    2. La politique publique d'intelligence conomique s'appuie sur les pouvoirs rgaliens de l'Etat

    2.1. De la dfense nationale la scurit nationale: le

    concept de scurit conomique active

    2.1.1.Entre pouvoirs, puissance et souverainet, l'Etat participe la prservation des intrts conomiques stratgiques

    2.1.1.1.1. L'entreprise est au coeur des stratgies de puissance

    2.1.1.1.2. L'Etat et le patriotisme conomique

    2.1.2.La gouvernance comptitive europenne 2.1.2.1.1. La France est un acteur majeur de la

    construction europenne 2.1.2.1.2. L'Europe doit oeuvrer pour une vritable

    politique publique d'intelligence conomique

    2.2. Entre actions dfensives et offensives, la reconnaissance dune lgitime dfense conomique

    2.2.1.Les moyens de dfense juridique au service des entreprises

    2.2.1.1.1. La protection de linformation 2.2.1.1.2. Les stratgies de brevetabilit et la lutte contre

    la contrefaon

    2.2.2.Les moyens publics de riposte conomique 2.2.2.1.1. La protection du patrimoine conomique 2.2.2.1.2. La dfense des intrts conomiques armes

    gales

  • PLAN

    11

    Partie 2 : Le partenariat public-priv, est un levier de dveloppement conomique des territoires 1. La pertinence d'une politique publique d'intelligence

    territoriale

    1.1. Le dveloppement d'une vision stratgique partage en vue d'amliorer l'attractivit des territoires

    1.1.1.Lintelligence territoriale garantit un exercice partag des

    comptences publiques locales 1.1.1.1.1. Les rformes de modernisation de lEtat

    facilitent les interventions conomiques des collectivits territoriales

    1.1.1.1.2. Laction dconcentre de lEtat sexerce au travers dun partenariat local de comptitivit

    1.1.2.L'intelligence territoriale garantit la coordination de

    plusieurs espaces : gographique, conomique et politique. 1.1.2.1.1. Une nouvelle voie d'amnagement des

    territoires 1.1.2.1.2. L'exprience des ples de comptitivit

    1.2. L'accompagnement des entreprises dans leurs dmarches de scurit conomique

    1.2.1.La gestion dune nouvelle menace : la cybercriminalit

    1.2.1.1.1. La cybercriminalit constitue une menace multiforme

    1.2.1.1.2. Les services de scurit sengagent dans la lutte contre la cybercriminalit

    1.2.2.L'action de la gendarmerie: force rpublicaine de scurit. 1.2.2.1.1. La Gendarmerie Nationale est une force

    territoriale de scurit conomique

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    12

    1.2.2.1.2. La Gendarmerie Nationale dispose dune diversit de comptences et dexpertises dans la prise en compte des nouvelles menaces

    2. La valorisation des intrts territoriaux: une mthodologie fonde sur les rseaux humains

    2.1. La diffusion d'une culture de l'intelligence

    conomique participe la cration dune intelligence collective

    2.1.1.La sensibilisation des acteurs une culture de l'intelligence conomique

    2.1.1.1.1. La sensibilisation des acteurs 2.1.1.1.2. La formation des acteurs

    2.1.2.La mise en rseau des acteurs territoriaux 2.1.2.1.1. La mise en uvre dune culture collaborative de

    lintelligence conomique 2.1.2.1.2. La cration dun observatoire local de la

    comptitivit conomique

    2.2. L'influence comme volet offensif de l'intelligence conomique

    2.2.1.L'influence et le lobbying sont au coeur des ralits

    conomiques 2.2.1.1.1. Les enjeux stratgiques des oprations

    dinformation conomique 2.2.1.1.2. Lemploi de techniques dinfluence et de

    lobbying

    2.2.2.La place de la France au coeur de la mondialisation des cultures

    2.2.2.1.1. La promotion de valeurs conomiques universelles

    2.2.2.1.2. Le partage de valeurs avec nos partenaires conomiques

  • GLOSSAIRE

    13

    Glossaire des sigles et acronymes ACFCI Assemble des chambres franaises de commerce et dindustrie ADIT Agence de diffusion de linformation technologique ADITECH Association pour la diffusion de linformation technologique AFDIE Association franaise de dfense de lintelligence conomique AFII Agence franaise pour les investissements internationaux AFIC Association franaise des investisseurs en capital AFNOR Agence franaise de normalisation AFP Agence France presse AFR Aide finalit rgionale AGCS Accord gnral sur le commerce et les services AMP Accord sur les marchs publics ANVAR Agence nationale de valorisation de la recherche ARIST Agence rgionale pour linformation scientifique et technique BDPME Banque de dveloppement pour les petites et moyennes entreprises BEFTI Brigade denqute sur les fraudes aux technologies de linformation CAP Centre danalyse et de prvision CAS Centre danalyse stratgique Cass. Crim Cour de cassation, chambre criminelle CCI Chambre de commerce et dindustrie CCSE Comit pour la comptitivit et la scurit conomique CD Confidentiel dfense CDC Caisse des dpts et consignations CE Conseil dEtat CE Communaut europenne CEDH Cour europenne des droits de lHomme CEE Communaut conomique europenne CELAR Centre lectronique de larmement CERCS Centre de lemploi, des revenus et de la cohsion sociale CESD Centre dtude scientifiques de dfense CFCE Centre franais de commerce extrieur CFIUS Comitee on foreign investment on United states CIA Central intelligence agency CIAT Comit interministriel pour les problmes daction rgionale et damnagement du

    territoire CIEEMG Commission interministrielle des tudes et exportations des matriels de guerre CIGREF Club informatique des entreprises franaises CIR Comit interministriel de renseignement CJCE Cour de justice des communauts europenne CLUSIF Club de la scurit de linformation franais CNCE Centre national du commerce extrieur CNFPJ Centre national de formation de police judiciaire de la gendarmerie CPE Centre de prospective et dvaluation CRCI Chambre rgionale de commerce et dindustrie CRDE Commission rgionale de dfense conomique CSCE Comit pour la scurit et la comptitivit conomique DAS Dlgation des affaires stratgiques DATAR Dlgation de lamnagement du territoire DCI Directeur central de linformation DCPJ Direction centrale de la police judiciaire

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    14

    DCSSI Direction centrale de la scurit des systmes dinformation DCRG Direction centrale des renseignements gnraux DCRI Direction centrale du renseignement intrieur DEFI Enquteurs spcialiss en dlinquance conomique et financire DG Direction gnrale DGME Direction gnrale de modernisation de lEtat DGRST Dlgation la recherche scientifique et technique DGSE Direction gnrale de la scurit extrieure DNI Direction of national intelligence DoD Department of defense DPSD Direction de la protection de la scurit de la dfense DRCE Direction rgionale du commerce extrieur DREE Direction des relations conomiques extrieures DRIRE Direction rgionale de lindustrie, de la recherche et de lenvironnement DRM Direction du renseignement militaire DRRT Direction rgionale la recherche et la technologie DST Direction de la surveillance du territoire EOGN Ecole des officiers de la gendarmerie nationale ESCI Enquteurs spcialiss en criminalit informatique FED Fondation des tudes de dfense FEDER Fonds europen de dveloppement rgional GATT General agreement on tariffs and trade HFD Haut fonctionnaire de dfense HRIE Haut responsable charg de lintelligence conomique IE Intelligence conomique IEC Intelligence conomique comptitive IEP Institut dtudes politiques IES Intelligence conomique et stratgique IHEDN Institut des hautes tudes de la dfense nationale IMD Institute for management development INHES Institut national des hautes tudes de scurit INPI Institut national de la proprit intellectuelle INSEE Institut national de la statistique et des tudes conomiques INTELCO Institut dtude et de la stratgie de lintelligence conomique IRCGN Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale ITIC Intelligence technology innovation center JETRO Japan trade organization JO Journal officiel JOUE Journal officiel de lUnion europenne LABCIS Laboratoire de recherche sur la communication et linformation scientifique et

    technique LOPSI Loi d'orientation et de programmation pour la scurit intrieure LPF Level Playing Field MAE Ministre des Affaires trangres MEFI Ministre de lEconomie, des Finances et de lIndustrie MIOMCT Ministre de lIntrieur, de loutre-mer et des collectivits territoriales MIDIST Mission interministrielle de linformation scientifique et technique MIT Massassuchets institue of technology MITI Ministry of international trade and industry MTR Military technological revolution NCW Network centric warfare NEC National economic council NSA National security agency NSC National security council N-TECH Enquteurs spcialiss dans lutilisation des nouvelles technologies

  • GLOSSAIRE

    15

    OCDE Organisation de coopration et de dveloppement conomique OCLCTIC Office central de lutte contre la criminalit lie aux technologies de linformation et de

    la communication OEB Office europen des brevets OMC Organisation mondiale du commerce OMPI Organisation mondiale de la proprit intellectuelle OMS Organisation mondiale de la sant OND Observatoire national de la dlinquance ONG Organisation non gouvernementale OPECST Office parlementaire dvaluation des choix scientifiques et technologiques OSS American office of strategic services OTAN Organisation du trait de lAtlantique nord OTS Observatoire des technologies stratgiques PAGSI Programme gouvernemental en faveur de lentre de la France dans la socit de

    linformation PESC Politique trangre de scurit commune PIB Produit intrieur brut PME /PMI Petite et moyenne entreprise/petite et moyenne industrie PNB Produit national brut RENATER Rseau national de tlcommunication pour la technologie, lenseignement et la

    recherche RESIS Rseau dinformation stratgique pour les entreprises R&D Recherche et dveloppement RMA Revolution of military affairs SBA Small business act SD Secret dfense SDECE Service de documentation extrieur et de contre-espionnage SEC Security and exchange commission SGDN Secrtariat gnral de la dfense nationale SRDE Schma rgional de dveloppement conomique STRJD Service technique de recherche judiciaire et documentaire TGI Tribunal de grande instance TIC Technologies de linformation et des communications TPCC Trade promotion coordinating commitee TSD Trs secret dfense UCCIFE Union des chambres de commerce et dindustrie franaise ltranger UE Union europenne USA United States of Amrica USIA United States information agency USTR United States trade representative

  • INTRODUCTION

    17

    INTRODUCTION

    [1.] Les disciples classiques 1 du libralisme promettaient que les avances de

    lconomie aboutiraient une fin des ingalits, au partage des valeurs et la paix entre les

    peuples. Dans cette logique, lEtat devenu une forme obsolte du pouvoir devait peu peu

    disparatre. Aujourdhui, ces espoirs utopiques sont dus. Les crises conomiques, financires,

    sanitaires, sociales et politiques se succdent. Le march est gouvern par le dictat de

    linformation globalise, qui acclre les changes et agrave les tensions. Le monde prsente des

    risques, que la mondialisation complexifie. Dans le domaine conomique, la diversification des

    menaces rend chaque jour limpratif de scurit publique plus essentiel. Les auteurs du Livre

    blanc sur la Dfense et la scurit nationale (juin 2008), estiment ainsi que : la mondialisation

    transforme en profondeur les fondements mmes du systme international. La distribution de la

    puissance mondiale se modifie au bnfice de lAsie. Les tats sont concurrencs, dans leurs

    stratgies, par de nouveaux acteurs puissants. La typologie des menaces et des risques oblige

    redfinir les conditions de la scurit nationale et internationale 2et la politique de

    dfense et de scurit de la France est, nouveau, la croise des chemins 3. Ds lors, toujours

    selon les auteurs, nous sommes entrs dans un monde qui nest pas ncessairement devenu plus

    dangereux, mais certainement plus imprvisible, plus instable, plus contradictoire que celui qui

    se dessinait en 1994, lors de llaboration du prcdent Livre blanc. Dans un tel environnement,

    des vulnrabilits nouvelles affectent le territoire national et la population franaise 4.

    [2.] La France parat donc tre en guerre, travers lensemble des conflits et des actes

    prparatoires qui caractrisent cet tat. Sauf quaujourdhui, les modalits de la guerre5 ont

    volu. Depuis vingt ans, la guerre totale nous semble lointaine, comme si elle tait en dehors

    de nos vies, en quelque sorte efface dune ralit potentielle. Pourtant, en ce dbut de XXIe

    sicle, les principaux conflits go-stratgiques existent toujours. Ils se traduisent simplement par

    dautres formes de reprsentation. Les affrontements se jouent dsormais sur la scne

    1 Issus de lcole de la main invisible , inspire des thories de Adam Smith. 2 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , Odile Jacob, juin 2008, p13. 3 Prface du, Prsident de la Rpublique, Nicolas Sarkozy, Livre Blanc, Dfense et scurit nationale , Odile

    Jacob, juin 2008, p13. 4 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , op.cit p14. 5 La notion de guerre renvoie juridiquement au temps de guerre , qui comprend tout conflits opposant deux

    Etats, de mme que leurs actes prparatoires. Selon le professeur Jean-Paul Doucet, le droit criminel nattend pas une dclaration officielle de guerre pour renforcer la protection de la nation .

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    18

    conomique et commerciale. La guerre conomique6 se substitue la guerre froide , tout en

    lui empruntant son intensit et ses secrets. Quil sagisse de conflits ouverts et arms7, ou

    doppositions froides et discrtes, la guerre est en perptuelle mutation. Cependant, quelles

    que soient les poques, les conflits guerriers ont toujours eu une mme finalit : la prservation

    du systme politique8 qui les commande. Si bien que la pense de Carl Von Clausewitz, se trouve

    tre dune surprenante vrit: la guerre est la continuation de la politique et du commerce par

    dautres moyens 9. La chute du mur de Berlin na donc pas conduit une fin de lhistoire

    comme le prdisait Fukuyama. Au contraire, lHistoire continue, et revoit ses classiques. Selon

    Ralph Peters, nous sommes entrs dans un ge de conflits constants 10.

    [3.] Dans un contexte de globalisation 11 des conomies et des modes de vie, les

    ennemis dhier sont devenus les allis daujourdhui. Dans le mme temps, nos allis politiques

    sont prsent nos concurrents conomiques. La mondialisation se caractrise en effet par le

    dveloppement et la gnralisation lchelle plantaire de liens dinterdpendance entre les

    individus, les systmes politiques ou conomiques. Lobjectif tant duniciser modes de

    production, de consommation, modes de pense, bref modes de vie, dans un objectif

    doptimisation du profit. Parler de mondialisation, cest voquer lemprise dun systme

    conomique, le capitalisme, sur lespace mondial , note lconomiste Jacques Adda12. Il sagit

    donc dune nouvelle sorte de guerre dans laquelle, au bnfice de structures de moins en moins

    nombreuses, et toujours plus puissantes, lessence mme de ce qui fait les nations risque de

    disparatre. Cette forme de guerre constante , troque aujourdhui les costumes traditionnels de

    soldat, pour ceux plus inhabituels dhomme daffaires et dactionnaire. Dans le mme temps, la

    croissance conomique et sa prservation, tiennent lieu de vritable religion pour les

    gouvernements de la plante. Une guerre sainte est donc dclare, au travers de laquelle, les

    idologies de nos civilisations seffacent peu peu sous les coups de boutoir des intrts

    conomiques. 6 Selon Fanny Coulomb : nous proposons dappeler conflits conomiques toutes les stratgies qui

    conduisent un pays ou une firme sassurer davantages conomiques particuliers, mme au dtriment dautres Etats et firmes, et de rserver le concept de guerre conomique aux oprations qui nont pas de simple objectif conomique et qui ont pour vocation dagresser ou daffaiblir un pays ennemi .

    7 Le droit international humanitaire propose une division entre les conflits internationaux et ceux qui ne le sont pas. En pratique, la dfinition internationale dun conflit est quasi irralisable.

    8 Selon linterprtation noble qui tait dj celle dAristote, la politique est lart du commandement social, lactivit pacificatrice permettant une socit divise de sordonner une fin suprieure. Lorganisation du pouvoir politique, sous la forme tatique est, lchelle de lhistoire de lhumanit, un phnomne rcent puisque lon situe gnralement lapparition de lEtat au XVe sicle.

    9 CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, Paris, Editions de minuit, 1834, p210. 10 PETERS Ralph, Conflits constants , Paris, Parameters, 1997, p4 11 La globalisation est un nologisme anglais qui se traduit par lchange et la diffusion internationaux de biens,

    de services, dHommes et de femmes, de capitaux, de technologies. 12 ADDA Jacques, La mondialisation de lconomie , Tome 1&2, Paris, La Dcouverte, 2004.

  • INTRODUCTION

    19

    [4.] Lconomie de march devient le thtre moderne des affrontements go-

    stratgiques. Pour Alain Bienaym, lconomie de march runit en troite symbiose deux

    modes distincts de coordination des activits : lentreprise et le march 13. Lconomie

    politique cherche alors savoir comment les ressources productives sont affectes la

    production de biens et de services qui satisfont au mieux les besoins prsents et futurs,

    individuels et collectifs 14. Dans ce contexte, la violence de tous contre tous est la consquence

    directe de la comptition des individus, affirme Thomas Hobbes. Et pour lauteur, seule la

    dlgation de lautorit un souverain permet de pacifier une telle socit. En rponse, Adam

    Smith invoque la propension naturelle de lhomme changer et troquer. Selon lui, le march a

    pour proprit de permettre lenrichissement dune nation alors mme que chacun ne cesse de

    poursuivre son propre intrt. Ces approches mettent en concurrence deux interprtations

    opposes : il revient soit lEtat, soit au march dassurer la coordination de la concurrence que

    se livrent les individus. La controverse sur le degr dinterventionnisme conomique de lEtat

    oppose une vision de lEtat providence, celle dun Etat modeste.

    [5.] Sagissant du rle de lEtat, et selon Carr de Malberg, il convient au pralable de

    ne pas oprer une confusion entre les lments didentification de lEtat et lEtat15 : en effet, le

    territoire, lagglomration des habitants vivant en commun, lorganisation elle-mme de la

    collectivit et de la puissance qui en drive, ne sont que des conditions de la formation de lEtat :

    ces divers facteurs combins vont bien avoir lEtat pour rsultante, mais lEtat ne se confond pas

    avec eux . Les rgles internationales exigent que certaines conditions objectives soient remplies

    pour accorder une collectivit naturelle le statut lgal dEtat. Ces conditions ont t rappeles

    par un avis de la Commission darbitrage pour la Yougoslavie en date du 29 novembre 1991 :

    lEtat est communment dfini comme une collectivit qui se compose dun territoire et dune

    population soumise un pouvoir politique organis 16. Ds lors, selon Musgrave, le rle de

    lEtat se prsente selon trois fonctions : tout dabord la fonction daffectation des ressources

    (lEtat effectue des dpenses pour entretenir son administration et pour financer les biens

    collectifs) ; ensuite la fonction de redistribution (lEtat aspire lgalit daccs des citoyens

    certaines richesses matrielles) ; enfin la fonction de rgulation (lEtat a pour mission de rguler

    lactivit conomique).

    13 BIENAYME Alain, Les grandes questions dconomie contemporaine , Paris Odile Jacob, 2006, p 119. 14 BURGENMEIER Beat, Analyse et politiques conomiques , Paris, Econonmica, 2006, p3. 15 CARRE De MALBERG, Contribution la thorie gnrale de lEtat , t.1, Librairie du Recueil Sirey,

    1920, red, CNRS 1985, p8. 16RGDI publ. 1992, p264.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    20

    [6.] En matire de politique conomique, lEtat poursuit des objectifs qui peuvent tre

    schmatiss dans un carr magique tel que la dfini N. Nador. Selon lauteur, la politique

    conomique de lEtat doit sexercer en priorit : sur le taux dinflation, sur le taux de chmage,

    sur le taux de croissance, et sur lquilibre extrieur. Cest dire que dans le domaine conomique,

    lEtat doit avoir principalement une fonction de rgulateur. Cependant, depuis plus dune dizaine

    dannes, sous leffet de la globalisation des marchs et des menaces socio-conomiques

    induites, le rle de la puissance publique connat de vastes rformes. A lorigine, la puissance

    publique se dfinissait comme lexpression dune autorit publique qui exerce un pouvoir

    souverain sur un territoire et lgard dune population17. Aujourdhui, le rle de cette puissance

    tend devenir plus doux ( soft-power ) se traduisant par de nouvelles formes de

    reprsentation et dinfluence lgard des entits conomiques telles que les entreprises.

    [7.] En droit priv, une entreprise dsigne lorganisation publique ou prive sous

    laquelle une personne physique ou un organisme exerce une activit conomique (en utilisant un

    personnel, des locaux et des quipements appropris). En conomie, il sagit d une unit de

    production qui acquiert sur les marchs des facteurs de production quelle combine en vue de

    produire un bien ou doffrir un service, destins satisfaire une demande solvable exprims sur

    le march 18. Cela signifie que sur un march, o la concurrence est libre et parfaite, lentreprise

    la plus performante est alors celle dont les modes de production sont les plus comptitifs. Or

    paradoxalement, sous leffet de la mondialisation des conomies, le march semble avoir perdu

    de son autonomie. Bernard Carayon note, que la comptition sest exacerbe entre tats, et

    entreprises. Prix et spcificits des produits ou services ne constituent plus exclusivement les

    facteurs dterminants de conqute des marchs 19. Une trange contradiction semble donc se

    dvelopper : dun ct lpoque o lEtat pouvait dcider de tout est rvolue. De lautre, les

    administrations nationales et internationales tendent rglementer en dtail la vie des entreprises

    et des particuliers. Entre ces deux extrmes, Bruno Amable identifie cinq modles

    capitalistiques20 :

    - le capitalisme libral de march (Australie, Canada, Royaume-Uni, Etats-Unis),

    dans lequel une grande importance est donne la concurrence par les prix et la

    neutralit de lEtat sur les marchs des produits ;

    17 Cette autorit prend toutes les dcisions relatives la gestion des affaires communes. Elle dispose du pouvoir

    de coercition afin dassurer le respect des dcisions prises. 18TEULON F. Dictionnaire dhistoire, conomie, finance, gographie , Paris, PUF, 1995. 19CARAYON Bernard, rapport au Premier ministre, A armes gales , septembre 2006, Paris, La

    documentation franaise, 2006, p6. 20AMABLE Bruno, Les cinq capitalismes. Diversit de systmes conomiques et sociaux dans la

    mondialisation Paris, Seuil, 2005, 373 pages.

  • INTRODUCTION

    21

    - le capitalisme asiatique (Japon, Core), dans lequel lintervention de lEtat est

    forte ;

    - le capitalisme europen continental (Suisse, Allemagne, France, Norvge), qui

    donne une importance modre lintervention de lEtat notamment en matire

    de protection contre les firmes et les investissements trangers ;

    - le capitalisme social-dmocrate (Danemark, Finlande, Sude), qui conjugue une

    intervention de lEtat forte et une ouverture importante aux investissements

    trangers ;

    - le capitalisme mditerranen (Grce, Italie, Espagne), qui propose une

    concurrence par les prix plutt que par la qualit et une protection modre contre

    les investissements trangers.

    [8.] Cette classification a le mrite de prsenter les diffrents modes de gouvernance

    conomique connus. Nanmoins, une nouvelle dimension de lEtat dans ses rapports

    lconomie, simpose aujourdhui. Pour Tony Blair21, lEtat nest pas le substitut naturel du

    march. En rupture avec les thories Keynsiennes, cette conception se traduit par lide que

    lEtat doit jouer le rle darbitre et de partenaire des oprations prives. Il sagit de dfinir un

    libralisme nouveau, qui se traduit par le concept d conomie intelligente . Lintelligence se

    concevant alors comme la dmarche qui sauvegarde la dimension humaine face aux impratifs

    capitalistiques du march.

    [9.] Etymologiquement, l' intelligence est la facult de s'informer et de comprendre

    son environnement 22 (du latin intelegere qui signifie comprendre). Selon le rapport Martre,

    publi en 1994, l'intelligence conomique se dfinit comme lensemble des actions de

    recherche, de traitement et de diffusion en vue de son exploitation, de linformation utile aux

    acteurs conomiques. Ces diverses actions sont menes lgalement avec toutes les garanties de

    protection ncessaire la prservation du patrimoine de lentreprise dans les meilleures

    conditions de qualit, de dlais et de cots 23. Au travers de lintelligence conomique,

    linformation et la connaissance deviennent des valeurs stratgiques fondamentales. En ce sens,

    le Livre blanc de 2008 rappelle que, les systmes dinformation, qui innervent la vie

    conomique et sociale comme laction des pouvoirs publics, celle des grands oprateurs

    21 Premier ministre travailliste du Raoyaume-Uni, de mai 1997 juin 2007. 22MARTINET Bernard et MARTI Y.M, L'intelligence conomique, les yeux et les oreilles de l'entreprise ,

    Les ditions d'organisation, 1995, p5. 23MARTRE Henri, (groupe prside par), rapport du Commissariat au Plan consacr l'intelligence conomique

    et la comptitivit des entreprises , La documentation franaise, 1994, p 16-17.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    22

    dnergie, de transports ou dalimentation, ou encore lorganisation de notre dfense, rendent

    nos socits et leur dfense vulnrables des ruptures accidentelles ou des attaques

    intentionnelles contre les rseaux informatiques 24. Or, les incertitudes qui psent sur

    lvolution de notre environnement international et son haut degr dimprvisibilit obligent

    prendre en compte le risque de surprises ou de ruptures stratgiques 25.

    [10.] Confrontes la mondialisation conomique26, lobjectif de nos socits est alors de

    dfinir le rle dvolu la puissance publique. Dans le respect des engagements internationaux,

    celle-ci doit mettre en perspective la dfense et laccompagnement de lessor conomique

    national, au bnfice final des citoyens. A cet gard, il sagit de savoir en quoi lintelligence

    conomique constitue une troisime voie , entre libralisme et protectionnisme, dans

    lorganisation des rapports entre lEtat, sa puissance et les entreprises qui en dpendent.

    [11.] Depuis Sun Tzu, Platon, Machiavel et Hobbes jusqu' Locke et Rousseau, cest la

    relation entre protection et obissance qui reste la seule rponse lnigmatique question du

    pouvoir politique souverain27. La Constitution de 1790 formule que : la souverainet est une,

    indivisible, inalinable et imprescriptible. Elle appartient la Nation : aucune section du peuple,

    ni aucun individu ne peut sen attribuer lexercice . La caractristique dune collectivit

    souveraine est qu elle ne tient son pouvoir que delle-mme et nest soumise aucune autorit

    qui lui soit extrieure 28. Le contrat fondateur de souverainet est alors un contrat de protection.

    Selon cette conception, le contrat est un pacte ( pactum sublectionis ) qui unit les gouverns

    aux gouvernants et par lequel les gouverns reconnaissent le pouvoir des gouvernants29. Il revient

    24 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , Odile Jacob, juin 2008, p51. 25 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , Odile Jacob, juin 2008, p63. 26 Eric J Arnould, observe que la spcificit de la prsente mondialisation est sa capacit dpasser la simple

    activit conomique pour embrasser la quasi-totalit des domaines de lactivit humaine. Contrairement aux empires passs, aucune rgion, mme les plus recules, nchappe la globalisation , La mondialisation a-t-elle une vraie dfinition ? , Universit dt du MEDEF, aot 2007.

    27 La naissance officielle de cette souverainet tatique date des traits de Westphalie des 14-24 octobre 1648. Ces traits mettent fin la guerre des trente ans opposant alors le Saint Empire romain germanique aux monarchies europennes, et accordent la souverainet ces dernires. Cette reconnaissance marque le passage du Moyen Age (socit sans Etat) aux temps modernes.

    28 JACQUE Jean-Paul, Droit constitutionnel et institutions politiques , Paris, Dalloz, 1996, p8. Les caractristiques de la souverainet prsentent une face interne et externe : sur le plan interne, lEtat possde un pouvoir absolu de dcider en dernier ressort. Sur le plan externe, la souverainet de lEtat rside dans son indpendance, lgard de tout autre autorit.

    29 La thorie du contrat social, veut que laccord qui intervient entre les individus, fonde le pouvoir politique. Cependant, si le contrat social, dans une socit moderne peut servir dexplication mythique de lorigine de la Constitution, la technique contractuelle nest gure applicable la Constitution. Il faudrait expliquer ce quoi sattachera Rousseau, comment lalination de la libert contractuelle peut tre totale, une fois le contrat conclu, au point que les gnrations futures soient engages.

  • INTRODUCTION

    23

    la Constitution30 de dterminer le pouvoir du rgime politique, elle fonde sa lgitimit. En effet,

    le pouvoir, pour se maintenir, doit reposer sur le consentement des gouverns, faute de quoi,

    fond exclusivement sur la force, il ne peut esprer bnficier de la dure. Or le phnomne de

    mondialisation, pose en termes stratgiques, la question de savoir si la violence et la rupture du

    contrat social, vont dominer lensemble du globe, ou bien au contraire si la paix et la dmocratie

    se maintiendront. Plus concrtement, l imperium conomique, au travers de ses

    reprsentations montaire, financire et commerciale, nous vite-il les conflits ?

    [12.] Au dpart, la puissance publique garantit la survie dune socit, en ce quelle limite

    laction de ses forces destructrices (au travers de la mort des individus, des organisations, ou

    encore des rapports hirarchiques). La politique est alors lactivit stratgique dominante31. Elle

    peut se considrer comme le point mdian, o se rencontrent lconomie et la violence. Selon ce

    modle, la production gnre par lessor conomique, doit alors prendre le pas sur la destruction

    engendre par la violence (de la guerre notamment). Faute de quoi, les tres humains, dans

    chaque pays, qui ne peuvent comprendre le nouveau monde ou qui ne peuvent tirer profit de

    leurs incertitudes ou qui ne peuvent pas se rconcilier eux-mmes avec sa dynamique,

    deviendront des ennemis violents de leurs gouvernements inadapts, de leurs voisins plus

    fortuns et en dernier recours, des Etats-Unis 32, prvient Ralph Peters.

    [13.] En consquence, lEtat doit participer la vie conomique de sa cit. A elles seules,

    les lois du march et des entreprises ne peuvent gouverner la socit civile. En ce sens, le pouvoir

    conomique des entreprises nest pas lobjet dune lgitimit dmocratique. Les temps sont

    durs pour les aptres du libralisme, note fin 2007, le journaliste Frdric Le matre. En

    quelques mois, Londres, Wall Street, Zurich, les trois places fortes de la mondialisation

    financire, viennent de lancer d'humiliants S.O.S destination d'un adversaire jug jadis

    moribond : la bonne vieille puissance publique 33. Comme l'observe, le Wall Street Journal,

    le capitalisme n'est pas parfait 34. LHistoire emprunte des raccourcis jusquici mconnus,

    faisant rimer mondialisation avec nationalisation.

    [14.] Que ce soit donc, au moyen des fonds souverains (qui sont des structures cres par

    les Etats, notamment ceux du moyen et du proche Orient, afin de grer leurs recettes

    30 Toute socit politique comporte un corps de rgles, crites ou non destines fixer les modalits

    dacquisition et dexercice du pouvoir politique. Ces rgles constitutent la Constitution , selon Jean-Paul JACQUE.

    31 Les partis et les groupements politiques concourent lexpression du suffrage. Ils se forment et excercent leur activit librement. Ils doivent respecter les principes de souverainet nationale et de dmocratie , article 4 de la Constitution de 1958.

    32 PETERS Ralph, Conflits constants , op.cit.p4 33 LEMAITRE Frdric, 2007, lanne du grand retour des Etats , Le Monde, 22 dcembre 2007. 34 Wall Street Journal, dition du 14 novembre 2007.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    24

    ptrolires35), ou dactions diplomatiques36, les Etats tentent de reprendre la main. En France,

    tout particulirement, jamais la politique et le commerce nont entretenu des liens aussi troits :

    aronautique (EADS), transports (Alstom), environnement (Suez, Veolia), nergie (Areva,

    EDF)... Il est dailleurs intressant de constater, que dans le mme temps, les ngociations pour

    la libration des changes, menes par lOrganisation mondiale du commerce (OMC), sont dans

    limpasse. Les privatisations connaissent galement un ralentissement majeur. Ainsi, aux Pays-

    Bas, le 10 dcembre 2007, le gouvernement dcidait de geler la privatisation des trente dernires

    entreprises nationales. L'ancien commissaire europen, Frits Bolkestein, vilipend en France

    pour son libralisme, reconnaissait lui-mme, ds 2006 qu il serait naf d'affaiblir les

    compagnies nerlandaises, alors qu'ailleurs dans le monde, en Chine et en Russie notamment,

    les entreprises d'Etat tiennent solidement les rnes 37.

    [15.] Ces exemples sont autant de rponses aux demandes exprimes par les opinions

    publiques. Quelles que soient leur nationalit, ces dernires attendent des Etats, quils les

    protgent. Au-del de lmergence de nouveaux pays aux doctrines peu librales, la

    mondialisation fait peur, car elle est synonyme pour tout un chacun dun surcrot dingalits. La

    stratgie dveloppe par les politiques publiques se construit dsormais sur cette question. Ce

    thme fut dailleurs au cur de la campagne prsidentielle franaise de 2007. De mme, aux

    Etats-Unis, les candidats la Maison Blanche, ont adopt une posture librale plus modre

    (selon un sondage paru dans The Economist du 8 dcembre 2008, une majorit (relative)

    d'Amricains pense que le gouvernement devrait garantir un systme d'assurance-sant mme s'il

    faut pour cel augmenter les impts). Finalement, les thoriciens du libralisme en viennent

    reconnatre, que la comptitivit d'un pays nest pas seulement fonction de la rduction des

    dpenses publiques. En tmoigne le classement tabli par le World Economic Forum . Selon

    cette organisation non gouvernementale (ONG) qui organise le Forum de Davos, les 8 pays les

    plus comptitifs sont, dans l'ordre : les Etats-Unis, la Suisse, le Danemark, la Sude, l'Allemagne,

    la Finlande, Singapour et le Japon. Dans la plupart d'entre eux, le poids des impts est lev. Le

    retour en grce de la puissance publique dpasse donc largement le cadre de l'conomie. Cette

    tendance est globale. On la retrouve dans tous les domaines. L'environnement, mais aussi l'eau

    35 En mars 2008, lAngleterre a manifest son dsir dannoncer prochainement une loi sur la finance islamique.

    Cette lgislation doit permettre le lancement dobligations dEtat certifies islamiques ou sukuk . Si cette initiative voit le jour, le Royaume-Uni deviendrait le premier pays du G7, mettre un sukuk destin en priorit aux investisseurs moyen-orientaux et aux musulmans britanniques. En France, lAgence France Trsor (AFT), qui gre la dette de lEtat, ne se dclare pas prte lancer de tels fonds.

    36 Les gouvernants occidentaux sengagent dans une vritable politique de VRP, afin de garantir la vente de leurs technologies nationales.

    37 JUNGHANS Pascal, Le retour du patriotisme conomique, modle Sarkozy , La Tribune, le 8 janvier 2008.

  • INTRODUCTION

    25

    ou la sant deviennent des biens publics mondiaux qui ne peuvent pas tre laisss aux seules

    forces du march.

    [16.] La stratgie de la puissance publique oscille donc entre lobligation de garantir un

    accs libre et relativement quitable aux marchs, et la ncessit de participer activement la

    prservation des intrts conomiques nationaux. Enferme dans cette contradiction, o le

    patriotisme conomique ne doit pas faire chec la construction europenne, la France

    sengage dans la rnovation de ses modles de pense et dorganisation. Ds lors, quil sagisse

    dintelligence conomique ou de comptitivit stratgique, plusieurs mthodologies daction sont

    apparues depuis quelques annes. Toutes poursuivent un objectif commun : garantir lessor

    conomique dune nation, tout en prservant son modle politique, conomique et social. A cette

    fin, la pense stratgique classique vient alimenter les ambitions conomiques modernes. Cest

    dans cette perspective, que les Etats-Unis ont su, trs tt, poser les questions en termes de

    stratgies globales. Parlant d oprations autres que la guerre , ou de guerre asymtrique ,

    lAmrique de Bill Clinton a inaugur une politique publique empirique et fonctionnaliste. En

    France, Alain Joxe rappelle, qu il faut avant tout dchiffrer vers quelles guerres permanentes

    nous entranent certains des traits nouveaux de la conflictualit globaliss, et valuer du point

    du vue europen quelles formes de paix valent dtre dfendues 38 .

    [17.] Nous vivons une priode complexe, o les frontires entre la guerre et la paix

    tendent peu peu seffacer. Ces incertitudes sont nes dun monde en perptuel changement, et

    aboutissent aujourdhui ladoption de stratgies de fortifications et de protectionnisme, tenant

    lieu dides politiques. Il faut alors revoir nos paradigmes, au travers de lacceptation dun

    monde global et changeant, dans lequel nos socits seraient parfaitement intgres, parce que

    ouvertes et valorises. La rvolution informationnelle est le moteur de ce changement. La

    globalisation informationnelle acclre la rnovation des modes de gouvernance politique.

    [18.] Le modle est alors fractal , c'est--dire quun seul et mme objectif (mondial ou

    europen par exemple) laisse apparatre des chelles dobservation de plus en plus fines

    (nationale ou locale), des motifs similaires. La dfense des intrts locaux et nationaux doit au

    final sintgrer dans une ouverture conomique globale. Cette ncessit de rforme se traduit

    aujourdhui dans les enjeux dfinis autour de la politique publique dintelligence conomique.

    Lintelligence conomique se prsente alors comme tant un instrument de rforme de la

    politique publique, engag au service des entreprises stratgiques. A travers un partage de

    38 JOXE Alain, La globalisation stratgique , cole des hautes tudes en sciences sociales, CIRPES, 2007,

    p217

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    26

    linformation et une mise en rseau des acteurs, lEtat se veut dsormais la fois stratge et

    partenaire.

    [19.] Cette tude aura prcisment pour objet de dfinir le rle de la puissance tatique

    lgard du monde des entreprises en tant quacteur de lintelligence conomique. Ce rle peut

    sapprhender sous deux aspects :

    Le premier comme levier de renouveau de la politique publique ; dans ce cadre lEtat devant

    dune part trouver sa place dans une conomie de la connectivit gnralise, dautre part user de

    son pouvoir rgalien afin de soutenir son dveloppement.

    Le second aspect tant celui de moteur dun dispositif de partenariat public-priv, pris comme

    levier de dveloppement conomique des territoires. Celui-ci ne pouvant aboutir que grce la

    pertinence dune politique publique de territorialit et la valorisation des intrts territoriaux

    par une mthode fonde sur les rseaux humains.

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    Partie 1

    ---------

    L'intelligence conomique est un levier de renouveau de la politique publique.

    1. La place de l'Etat dans une conomie de la connectivit gnralise. 2. La politique publique d'intelligence conomique s'appuie sur les

    pouvoirs rgaliens de l'Etat.

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    Partie 1

    L'intelligence conomique est un levier de renouveau de la politique publique.

    [20.] Fondamentalement, lentre dans lre de la mondialisation ne doit pas tre perue

    comme un choc externe, soudain et alatoire. Loin de se prsenter comme un phnomne

    conjoncturel et extrieur aux Etats, la mondialisation impacte durablement les territoires39, les

    populations40 et leurs modes dorganisation politique41. En partant dune analyse synthtique de

    ce phnomne, ce ne sont pas seulement les rapports entre les Etats-nations qui ont t modifis

    par une intgration conomique plus forte. En ralit, ce sont les Etats-nations42, eux-mmes, qui

    ont chang. Il sagit l dune rupture grande chelle. Au sortir du cadre formel dfini par la

    guerre froide, la mondialisation fait des allis d'hier, les concurrents d'aujourd'hui. Le prsident

    de la Rpublique, Nicolas Sarkozy, rappelle que le monde a connu, depuis prs de vingt ans,

    des bouleversements majeurs 43 dont il reste tirer les consquences. La globalisation favorise

    le dplacement des oppositions politiques, du champ militaire vers la sphre plus discrte mais

    tout aussi redoutable de l'conomie. En effet, pour lheure, les caractristiques dune conomie

    39 LEtat possde un territoire. Sans territoire, mme de petite superficie, lexistence lgale de lEtat nest pas

    possible. Le territoire se dfinit comme lespace comprenant des lments terrestres et non terrestres (espace arien, ventuellement espace maritime) dans le cadre duquel lEtat exerce sa souverainet.

    40 Dans un sens usuel, la population dsigne un regroupement de personnes physiques vivant sur un territoire. En droit international, lexpression revt toutefois une signification sensiblement diffrente. Par population, il convient dentendre lensemble des nationaux de lEtat. Par consquent, toutes les personnes physiques se trouvant sur le territoire tatique ne font pas forcment parties de la population de cet Etat. Il ne faut donc pas confondre les habitants ou rsidants de lEtat avec les nationaux.

    41 Lidentification du pouvoir politique de lEtat suppose lexistence dune organisation des pouvoirs. LEtat personne morale possde une volont par lintermdiaire des personnes physiques qui agissent en son nom : les lus, les fonctionnaires, les militaires, expriment au quotidien, la volont de lEtat. On appelle traditionnellement ces personnes des organes de lEtat. Ils exercent, en son nom, la puissance publique.

    42 Deux conceptions de lEtat-nation sopposent. En France, une premire conception repose sur la correspondance obligatoire entre lEtat et la nation mme si cette concidence ne reflte pas toujours la ralit sociale. La jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelle propose de la Corse que la reconnaissance de lexistence dun peuple corse, composante du peuple franais, est contraire la constitution (Dcision 280 DC du 9 mai 1991, J.O du 14 mai 1991, p6350). La seconde conception veut quun Etat accepte lexistence sur son sol de communauts distinctes et leur reconnaissent des droits spcifiques.

    43 VEDRINE Hubert, qui depuis 2003 prside l'Institut Franois Mitterrand s'est vu confier en juillet 2007, par le prsident Nicolas Sarkozy, un rapport sur la mondialisation

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    30

    de march44, lchelle mondiale, ne sont pas encore runies. Dun territoire national lautre, il

    ny a pas dunicit pour les prix des produits et des services, pour les taux de salaires, dintrts

    ou de productivit. Il ny a pas non plus, dEtat mondial capable dmettre les normes ncessaires

    lencadrement des activits de march.

    Ds lors, confront lmergence de nouvelles puissances conomiques, qui engendrent une

    vritable mondialisation l'envers , le monde politique occidental tente de se mobiliser. Les

    Occidentaux sont certes encore dominants mais ils ne reprsentent qu'environ un milliard d'tres

    humains sur les six milliards et demi d'habitants de la plante, proportion appele baisser

    encore avec le choc dmographique en cours. Au moment mme o l'on prdisait sa fin,

    l'histoire, des autres, s'est remise en marche. Les pays mergents, mergent pour de bon 45,

    prcise Hubert Vdrine. Dsormais, les nations vont dvelopper des stratgies d'interaction

    fondes sur l'affirmation de leurs propres puissances, rnovant de ce fait les principes classiques

    des avantages concurrentiels. Alors, quelle est la place de l'Etat au sein de ces nouveaux rapports

    de force? Quel rle doit-il y jouer, notamment vis vis de l'Europe et pour sa part, l'institution

    europenne, est-elle prpare pour rpondre aux dfis de la socit postindustrielle ?

    [21.] Mme si l'Etat n'est plus l'acteur principal de lconomie, la sphre publique garde

    toutefois un pouvoir d'influence, lorsqu'elle dcide de s'immiscer dans les luttes conomiques qui

    font rage. Arguant de la dfense de leurs entreprises, les pouvoirs publics s'engagent sur la voie

    d'un protectionnisme-libral , qui se construit sur l'acceptation d'un march global au sein

    duquel la prservation des intrts nationaux aurait cours. Alors, fonde sur l'conomie de la

    connaissance, l'intelligence conomique devient un instrument stratgique, ncessairement

    adoss aux politiques publiques nationales.

    44 Lconomie de march est dabord une conomie de marchs. Chacun des marchs met en relation des

    agents conomiques qui poursuivent des fins intresses et procdent pour les atteindre un calcul conomique , Robert Guesnerie, LEconomie de march , Flammarion 1996.

    45 VEDRINE Hubert, dans les conclusions du rapport sur la mondialisation remis, le 5 septembre 2007, au prsident de la Rpublique

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    31

    1. La place de l'Etat dans une conomie de la connectivit gnralise.

    [22.] LEtat-nation na pas disparu de la scne internationale, passant de 85 Etats en

    1950, 227 Etats en 200446. Pour autant, lEtat a perdu les attraits que lui confrait la dfense

    des intrts gnraux quil tait prsum assumer. Dsormais, deux logiques saffrontent : celle

    de lEtat, et celle de la mondialisation. La rupture de la mondialisation sur les politiques

    conomiques nationales a port un niveau paroxystique la contradiction entre les deux logiques.

    Le sort futur de lune ou de lautre est en jeu. Le rsultat de la confrontation est donc dune

    importance majeure. LEtat-nation nest plus quun territoire de la mondialisation47. Cette

    dernire a pour finalit ltablissement dun level playing field (LPF), lequel consiste en la

    mise en place d'un terrain doprations global, destination des acteurs conomiques que sont les

    firmes qui commercent, qui produisent ou qui financent. Lobjectif du LPF est alors de

    favoriser la circulation sans entraves des biens et services, des capitaux financiers, des

    investissements productifs et des hommes. En ce sens, lconomie franaise est parfois dsigne

    comme une conomie carrefour pour signifier quelle est, non pas un lieu de passage comme

    pourrait le laisser penser limage du carrefour, mais un simple territoire, une composante de

    lconomie mondiale en train de se faire. Face cette unicisation des marchs, les Etats

    concourent tous, chacun selon leurs moyens, au dveloppement conomique de leurs entreprises

    et de leurs territoires. Cela est particulirement vrai, sagissant des pays en dveloppement, pour

    lesquels la mondialisation constitue un espoir de croissance rapide. Je suis certain que la

    mondialisation est potentiellement porteuse d'immenses bienfaits, tant pour les populations du

    monde en dveloppement que pour celles du monde dvelopp 48 , crit Joseph Stiglitz49. Cet

    ancien conseiller de Bill Clinton, prix Nobel dconomie en 2001, ajoute, que la mondialisation

    46 Source : statistiques de lOrganisation des nations-unies. 47 Pour l'conomiste Charles-Albert Michalet, la ralit se structure selon quatre niveaux : le pouvoir (qui peut

    revtir diffrentes formes plus ou moins dmocratiques), une administration (pour assurer la gestion de lensemble national), un peuple (dont les activits conomiques sont diversifies, rgies par des transactions sur des marchs horizontaux qui interfrent avec le pouvoir central), et des frontires qui dterminent lespace dautorit de la loi, de lappareil tatique.

    48 STIGLITZ Joseph, Un autre monde contre le fanatisme du march , Paris, Fayard, p133. 49 STIGLITZ Joseph, Ancien conseiller de Bill Clinton, ancien conomiste en chef de la Banque mondiale,

    Joseph Stiglitz est devenu un hros des mouvements anti-mondialistes aprs un livre dans lequel il dnonait le libralisme des organisations internationales (La Grande Dsillusion, Fayard, 2002). Fort de ses apports thoriques sur l'imperfection et l'asymtrie des marchs qui lui valurent le prix Nobel (en 2001) et avec toute l'autorit de son exprience vcue, il accusait la mondialisation d'avoir accru la pauvret parce qu'elle est guide par des fanatiques des thses dites du consensus de Washington (libralisation, stabilisation et privatisation).

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    32

    est dsormais trop avance , et selon lui, un retour en arrire est dsormais impossible, le

    phnomne ayant apport beaucoup, beaucoup de gens.

    [23.] Au demeurant, cette promesse d'avenir doit tre analyse avec pragmatisme et

    objectivit. La globalisation des marchs ne constitue nullement une rponse universelle aux

    crises que connaissent respectivement, les pays dvelopps ou en dveloppement. Cette prise de

    conscience demeure historiquement rcente. Il fallut attendre la fin du XXe sicle, pour que les

    pouvoirs publics s'intressent enfin aux rpercussions de la globalisation. D'abord analyse d'un

    point de vue strictement idologique, la mondialisation des changes connut finalement dans les

    annes 1990, une tude plus raliste visant prendre en compte l'ensemble de ses dimensions et

    de ses rpercussions. Aujourdhui, la mondialisation veut quune une seule orientation soit

    possible : il faut vivre avec et la rorganiser 50, afin que ce phnomne apporte beaucoup plus

    et, surtout, d'une manire universelle. Sur la scne conomique internationale, l'action des

    pouvoirs publics permet dviter la constitution dententes et de monopoles (article 2 de

    lOrdonnance du 1er dcembre 1996 complte par le dcret du 29 dcembre 198651), et de

    restaurer la concurrence52. Il appartient donc l'Etat, dune part, de protger les agents

    conomiques contre les externalits ngatives (dlocalisations par exemple), et dautre part, de

    favoriser la constitution dexternalits positives (promotion de valeurs par exemple) favorables

    au dveloppement conomique.

    [24.] Aujourdhui, adoptant une dmarche publique dintelligence conomique, lEtat

    soutient la comptitivit des entreprises en dveloppant une politique volontariste dattractivit,

    en vue dattirer les investissements directs trangers et les firmes multinationales. Pour ce faire,

    l'intelligence conomique, constitue un nouveau levier d'action des politiques publiques.

    Concourant maintenir le primat de la politique, lEtat a pour vocation de grer la diversit,

    dinvoquer la tolrance, dinvestir lconomique et le social et de proposer une humanit

    solidaire, dans le refus dun universalisme artificiel. Il sagit bien dun nouveau contrat social.

    Dun cot la puissance publique entend faciliter la libre expression des rgles du march, de

    lautre le rle de lEtat doit tre incontestablement, le garant de la scurit et de lunit nationale.

    50 STIGLITZ Joseph, Un autre monde contre le fanatisme du march , op.cit, p85. 51 Le droit conomique franais est fond sur le principe de libre concurrence. Lapplication et le respect de ce

    principe est garanti par le Conseil de la concurrence. 52 En droit priv, la concurrence est la situation dans laquelle se trouve une personne ou une entreprise par

    rapport une ou plusieurs autres lorsque, tout en faisant des profits, elle peut rivaliser avec elles en offrant un service ou un produit au moins quivalent pour un prix au moins gal , Dictionnaire du vocabulaire juridique , par Remy Cabrillac, 2004.

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    33

    1.1. L'intelligence conomique participe la performance et la

    modernisation conomique des entreprises.

    [25.] On peut estimer que lide dintelligence conomique a exist avant la lettre et

    quelle est au moins concomitante aux changes et la naissance de lconomie de march. Elle

    a dailleurs t mise en vidence par Fernand Braudel53 lo

    rs de ses nombreuses tudes, menes sur la monte en puissance des grandes villes marchandes

    entre le XVe et le XVIIIe sicle. Il est dailleurs toujours dactualit, d'affirmer que faire la paix

    pour nous procurer tous les avantages d'un grand commerce, c'est faire la guerre ses

    ennemis 54.

    [26.] De nos jours, cependant, les conflits se concentrent principalement autour de

    l'acquisition de l'information en tant que matire stratgique. L'intelligence est alors perue

    comme la capacit dcisionnelle induite par une bonne information. Selon Bernard Besson et

    Jean-Claude Paussin, lintelligence, est un outil capable de dtecter des menaces et des

    opportunits de toute nature dans un contexte de concurrence exacerbe 55. Partant de cette

    ide, l'intelligence conomique se conoit, comme un systme d'aide la navigation de

    l'entreprise. Permettant au dcideur de tracer son chemin au sein d'un brouillard d'incertitudes,

    cette matire offre un avantage concurrentiel li une vision prospective. Sinspirant des thories

    classiques de la stratgie militaire, le concept traduit l'ide selon laquelle, toute action passe

    ncessairement par une information efficace. La dcision politique nchappe pas cette rgle.

    Lintelligence conomique participe donc dune dmarche visant r-assurer la primaut du

    politique sur lconomique. Elle renvoie donc une nouvelle vision des relations entre acteurs

    politiques, administratifs et privs au sein de la sphre nationale destine donner ltat les

    moyens dtre influent sur la scne internationale 56. Concevoir laction publique en matire

    dintelligence conomique, conduit alors redfinir la place et le rle de lEtat au sein de la vie

    conomique. On constate dailleurs, que ce nest que trs rcemment, que le dbat public s'est

    empar de cette question. Il ressort dsormais que la comptitivit de la France n'est pas que

    53 Lauteur nous y prsente lexemple de la situation de concurrence qui lpoque est en vigueur sur le march

    textile en Europe. Selon ltude, il ressort au final, que cest en copiant le sceau des tisserands italiens que les flamands ont dtourn une partie du march du textile leur profit.

    54 PASTRE Olivier, La mthode Colbert : ou le patriotisme conomique efficace , Paris, Perrin, 2006, p176. 55 BESSON Bernard et POSSIN Jean Claude, Du renseignement l'intelligence conomique; dtecter les

    menaces et les opportunits pour l'entreprise , Paris, Dunod, 1996, p1. 56 MASSON Hlne, Les fondements politiques de l'intelligence conomique , thse, Universit Paris Sud XI,

    Facult Jean Monnet Sceaux, 12 dcembre 2001, p45.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    34

    l'affaire des entreprises. C'est aussi l'affaire des pouvoirs publics 57, affirme Nicolas Sarkozy.

    Aussi, assumant une mutation ncessaire et indispensable, les Etats-nations doivent, aujourdhui,

    se rformer afin de faciliter la libre conomie et de garantir le respect des rgles qui leurs sont

    inhrentes. Ds lors, revenant sur les thories du libralisme classique, lEtat doit affirmer sa

    place au sein dune conomie de la connectivit gnralise, au moyen notamment de la

    restructuration de ses pouvoirs rgaliens58.

    57 SARKOZY Nicolas, Ministre de la scurit intrieure et des liberts locales, discours prononc au sige du

    MEDEF, Paris, dcembre 2003. 58 Le pouvoir de lEtat se traduit tout particulirment dans ses fonctions de police et de justice. Il sagit du

    juridictio qui est le pouvoir de rendre justice, et de l imperium qui est le pouvoir de donner des ordres et de disposer de la force publique (police, arme).

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    35

    1.1.1. Linformation est la matire premire de l'conomie.

    [27.] De l'Antiquit la Renaissance, la globalisation des changes a connu une volution

    croissante (au travers des conqutes maritimes notamment). Pour autant, le phnomne de

    mondialisation ne fut analys en tant que tel, qu' partir de la deuxime moiti du XIXe sicle. A

    cette poque, les changes financiers et marchands demeurent faibles et principalement

    concentrs sur le secteur transatlantique. La comptition conomique est relativement encadre.

    La matrise d'un savoir-faire et la capacit de fabriquer vite et bien commencent peu peu

    devenir les moteurs du succs. Ce n'est qu' partir de la seconde guerre mondiale, et sous l'effet

    amplificateur de la reconstruction de l'Europe, que les changes internationaux vont se

    dvelopper massivement. Plus tard, la premire phase d'intensification de la comptition natra

    du choc ptrolier vcu en 1973. Cette crise internationale conduira, en effet, rduire les

    investissements internationaux, de mme que la consommation des mnages. De sorte que, les

    entreprises se trouvrent confrontes de nouveaux dfis, au travers desquels leur organisation

    allait durablement tre impacte. Dsormais les entreprises vont s'affronter non pour

    conqurir des marchs, mais pour prserver des positions sur les marchs existants 59. Ce n'est

    qu' partir de 1995 que le terme de mondialisation est employ couramment dans le sens que

    nous lui connaissons aujourd'hui. Traduit de l'anglais globalisation , le concept de

    mondialisation dcrit une volution historique qui annonce une fin de l'histoire comprise

    comme l'aboutissement d'une histoire longue et fonde sur la gnralisation des marchs,

    l'extinction des nations et la mise en place d'instances mondiales de rgulation 60. Presque

    au mme moment, en 1991, l'auteur tasunien, Francis Fukuyama, publiait son article majeur,

    The end of history 61, qui annonait un bouleversement plantaire issu de la fin du monde bi-

    polaire. L'universitaire arguait du fait, que le principe de dmocratie librale et d'conomie de

    march, tel qu'incarn en Europe de l'Ouest par exemple, constituait le modle vers lequel ne

    manquerait pas de tendre l'ensemble des Etats-nations composant la communaut internationale.

    Aujourd'hui, cette vision doctrinale semble dpasse. D'une concurrence de modles, le monde

    semble avoir volu vers une concurrence de stratgies. La mondialisation n'est plus analyse

    comme tant un phnomne nouveau, mais comme un aboutissement du monde moderne tel

    59 Institut national des hautes tudes de scurit, Intelligence conomique et gouvernance comptitive , sous la

    direction de Serge PERRINE, La documentation franaise, 2006, p223. 60 FREMY D et M, Dfinition du Quid 2006, p1763C 61 FUKUYAMA Francis, The End of History , The National Interest, t 1989. Cet article considrablement

    enrichi a t traduit en France en 1992 sous le titre La fin de l'histoire et le dernier homme , Paris, Flammarion.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    36

    qu'il s'est cre lui-mme 62, explique Edouard Balladur. Pour Alexandre Adler, il s'agit d'une

    mgatendance fondamentale 63. Si bien que, la mondialisation se dfinit aujourdhui, comme

    une tendance des entreprises multinationales concevoir des stratgies l'chelle plantaire,

    conduisant la mise en place d'un march mondial unifi 64, et plus particulirement au sens

    conomique, comme l'mergence d'un vaste march mondial de biens, de services, de capitaux

    et de la force de travail, s'affranchissant souvent des frontires politiques et de ce fait limitant la

    capacit des Etats influer sur leurs activits intrieures 65 . Phnomne irrversible, la

    mondialisation est aujourd'hui un fait 66, comme nous le rappelle Lionel Jospin, qui fonde son

    analyse sur la diffusion, universelle et en temps rel, des savoirs. Ainsi, aujourd'hui plus qu'hier,

    le pouvoir est indissociable du savoir. Au moyen des technologies de l'information et de la

    communication, l'information et la connaissance sont les armes stratgiques utiles aux acteurs

    conomiques, qu'ils soient chefs d'entreprises ou chefs d'Etats.

    62 BALLADUR Edouard, La fin de l'illusion Jacobine, Paris, Fayard, 2005, p 104 63 ADLER Alexandre, Le rapport de la CIA, comment sera le monde en 2020, Paris, ditions Robert Laffont,

    2005, 268p. 64 Dfinition du Larousse. 65 Entretien avec Roland Rizoulires (matre de confrences l'institut d'tudes politiques d'Aix en Provence),

    lors dun entretien ralis Aix en Provence, le 5 novembre 2007. 66 JOSPIN Lionel, Premier ministre de 1997 2002, Le monde comme je le vois , Paris, Gallimard, 2005, p

    57.

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    37

    1.1.1.1.1. La socit de l'info-dominance.

    [28.] A la suite de ruptures majeures67, la socit post-industrielle est entre dans lre de

    la mondialisation. Cette dernire, offre de nouvelles opportunits dans le monde entier, mais

    accrot dans le mme temps les risques et les diversifie. Paralllement, depuis soixante ans, les

    services sont devenus prdominants et, dsormais, nous sommes entrs dans le monde du savoir

    et de la connaissance. On constate, par exemple, que les prix ne sont plus le seul critre pour

    emporter un march : lavance technologique et la course linnovation deviennent des facteurs

    cls de diffrenciation. Cette concurrence exacerbe donne, la matrise de linformation

    pertinente, la rapidit de raction et au dcryptage des menaces adverses, une importance

    redoutable. Dans l'conomie moderne, tout sacclre. La courbe des savoirs disponibles, qui

    slevait lentement jusquaux deux derniers sicles, sest redresse fortement depuis et explose

    pour devenir rcemment exponentielle. Dsormais, la connaissance est la ressource stratgique

    par excellence, et la mondialisation est celle de l'information. Cette dernire garantit la victoire

    conomique. L'entreprise qui est en train de natre sous nos yeux, remarque Peter Drucker,

    possde un squelette, c'est l'information, la fois systme d'intgration et articulation de

    l'entreprise 68. Il y a prs de quatre cents ans, Francis Bacon l'avait compris le premier : la

    connaissance est bien le vrai pouvoir. Le traitement de l'information devient alors crucial. En

    2001, trois conomistes amricains ont reu le prix Nobel pour leurs travaux sur l'asymtrie de

    l'information 69. Leurs conclusions ne surprendront pas : les plus informs sortent toujours

    vainqueurs des comptitions conomiques. De ces rapports entre information, connaissance et

    pouvoir, se dgagent des enjeux de conqute et de puissance. Ceci conduit Bertrand Badie,

    spcialiste des relations internationales, dire que, la fin du XXe sicle n'a pas mis un terme

    l'histoire des Etats, dont la puissance s'est mme trouve renforce bien des gards: elle a en

    revanche teint le quasi-monopole dont ils jouissaient en leur qualit d'acteurs

    internationaux 70.

    67 Daniel Cohen, professeur de sciences conomiques l'Ecole normale suprieure et Paris-I cite cinq ruptures :

    Tout d'abord, l'mergence d'une troisime rvolution industrielle, aprs celles des XVIIIe et XIXe sicles ; ensuite une rvolution dans l'organisation du travail, avec la fin du fordisme ; s'en est suivie une rvolution culturelle, dans la foule de 1968 ; laquelle a succde une rvolution financire, qui voit la prise de contrle des entreprises par la Bourse dans les annes 1990, faisant de l'actionnaire un acteur mieux protg que le salari. Enfin, la cinquime rupture est celle de la mondialisation.

    68 DRUCKER Peter, Devenez Manager , Paris, Village Mondial, 2002, p111. 69 George Akerlof, Michael Spence et Joseph Stiglitz ont ainsi t rcompenss pour leurs tudes sur les rapports

    qu'entretiennent les acteurs conomiques en fonction des informations que possde chacun. 70 STIGLITZ Joseph, Un autre monde contre le fanatisme du march , op.cit, p125

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    38

    a) L'information est un instrument traditionnel de la stratgie conomique.

    [29.] L'histoire nous enseigne que la bonne information commande l'action. Selon l'amiral

    Lacoste, on peut affirmer que la stratgie de l'information a de tout temps reprsent un

    lment essentiel de la stratgie gnrale 71. A l'image des stratges antiques, savoir avant

    l'autre, offre un avantage dcisif sur le champ de bataille. L'une des meilleures politiques, est

    alors de sattaquer aux plans de lennemi, dfaut, de disloquer ses alliances, car soumettre

    larme ennemie sans combat, cest le fin du fin affirme Sun Tzu72. Cette stratgie fut tout

    particulirement dploye lors des campagnes napoloniennes. Au cours de son engagement

    militaire l'Est, l'Empereur exigeait de ses jeunes lieutenants, qu'ils lisent et analysent les

    gazettes des pays en voie de conqute. Ces dernires, relatant la vie et les dplacements de leurs

    troupes, se trouvaient tre, bien involontairement, une source prcieuse de renseignement sur le

    positionnement et le moral de leurs armes. De mme, au cours du premier conflit mondial,

    Herzog73 nous rappelle que l'Allemagne dveloppa des structures de renseignement spcifiques

    afin de dtecter les contemporains belliqueux. Ces organismes perdureront en temps de paix, en

    vue, cette fois-ci, de renseigner le pouvoir allemand sur les capacits d'ventuels concurrents qui

    pourraient affecter l'essor conomique du pays. Ainsi, l'arme d'exportation allemande sera

    organise de manire s'assurer une capture exhaustive des inventions trangres74. En

    Angleterre, ds la fin du XVIIIe sicle, la politique extrieure fut dtermine en fonction des

    impratifs conomiques. En l'occurrence, la domination maritime offrait une ouverture

    commerciale mondiale, pour la diffusion des produits anglais, et l'acquisition de connaissances

    innovantes. Dans cette logique, on peut analyser la guerre des Sept ans (1756-1763), puis les

    guerres de la priode rvolutionnaire et impriale comme les instruments de domination et

    d'limination conomiques, du concurrent franais. De la mme manire, la prise des colonies

    71 Propos recueillis lors d'un colloque qui se droulait l'Ecole Polytechnique, le 29 juin 1999, Paris. 72 SUN TZU, Lart de la guerre , Paris, Poche, 1999, p37. 73 HERZOG, Plan de guerre commerciale de l'Allemagne , Paris, Payot, 1919, 258 pages. 74 HERZOG, Plan de guerre commerciale de l'Allemagne , Paris, Payot, 1919. De mme que tout individu

    capable de porter les armes tait dtach aux armes, de mme que toutes les organisations de l'Empire doivent tre enrles dans l'Arme industrielle pour la guerre d'exportation. Chaque industrie de combat constituera un Corps d'arme, comportant des divisions: scientifique, industrielle, commerciale, commercio-industrielle et financire. Ces gnralissimes, de concert avec des contrleurs, fonctionnaires de l'Etat, constitueront les 5 grands Conseils de stratgie rgis leur tour par le grand Etat-Major Gnral, chef et dictateur suprme des oprations... , HERZOG, Plan de guerre commerciale de l'Allemagne ,op.cit, p168.

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    39

    franaises et nerlandaises, l'ouverture force de l'Amrique latine au commerce anglais,

    accentuent le caractre conomique de la politique extrieure anglaise.

    [30.] Au del mme des Etats, des hommes furent galement guids par cet esprit de

    veille et de conqute informationnelle. En 1764, Casanova75, se rendit en Russie (plus

    prcisment Saint Petersbourg) afin d'y dvelopper le commerce de la soie. Dsireux de

    comprendre ce pays et ses murs, il sintressa au mode de vie de ses habitants et sen inspira de

    retour chez lui76. A travers ses rcits, il marque l'emploi du terme intelligence , lequel renvoie

    un savoir-faire, une connaissance technique dtenue par un seul. Il est alors possible de dresser

    un parallle avec les rapports d'tonnement 77 japonais, lesquels, aujourd'hui encore,

    permettent aux firmes japonaises, de rcolter les connaissances apprises et dceles l'tranger,

    par leurs expatris. LHistoire enseigne donc, que chaque pays, en fonction de sa culture, de son

    histoire, de sa gographie et de ses ambitions, a conduit une dmarche guerrire ou pacifique

    d'intelligence conomique. Non encore dnomme comme telle, la dmarche d' intelligence

    conomique consistait, auparavant, dans l'acquisition et la diffusion d'informations. Ces

    dernires constituant au final un avantage concurrentiel . Aujourd'hui encore, pour une

    entreprise, l'acquisition d'un savoir-faire est synonyme d'acquisition d'un avantage concurrentiel.

    Ainsi, le vignoble californien ne connut de rel essor, qu'a partir du moment o les vignerons

    franais exportrent leur savoir-faire. Dans cet esprit, la qualit de la maroquinerie de luxe

    franaise, provient pour partie de la matire premire quelle utilise (le cuir par exemple), mais

    aussi et surtout de l'exprience et de lhabilet des petites mains franaises, qui donneront aux

    articles manufacturs toute la valeur qui fait aujourd'hui leur rputation et leur prix. En dfinitive,

    75 CASANOVA J-J, Mmoires , Paris, Economica, 2000, 300 pages. 76 CASANOVA J-J, Mmoires , op.cit, On me donna bon march, deux belles chambres, absolument

    vides, mais que l'on meubla de deux lits, de quatre chaises et de deux petites tables. Voyant deux poles d'une norme grandeur, je crus qu'il fallait une quantit de bois pour les chauffer. Mais j'tais dans l'erreur. Ce n'est qu'en Russie que l'on possde l'art de construire les poles, comme ce n'est qu' Venise que l'on connat celui de construire des citernes. J'ai visit en t et avec autant de soin que si j'avais eu l'intention de drober la Russie ce genre d'intelligence, j'ai visit, dis-je, l'intrieur de ces poles: il avait douze pieds de haut sur six de base, meuble norme, qui chauffait une salle immense, et j'ai admir l'entente raisonnable des conduits de la chaleur. On ne chauffe ces poles qu'une fois en vingt-quatre heures, parce qu'on a besoin de fermer une soupape suprieure aussitt que tout le bois est rduit en braise . p145.

    77 De la mme manire, des biens de consommation courants ont fait l'objet de dmarches stratgiques longues et ambitieuses. Ainsi, le caf qui fut dcouvert sur les hauts plateaux d'Abyssinie, s'implanta trs rapidement dans la plupart des pays d'Arabie (entre les VIIIe et XIVe sicles). Trs vite le commerce mditerranen permit de l'introduire Venise. Mais il fallu attendre 1723, pour que Gabriel de Clieu (officier franais), allant aux Antilles, sauve le seul pied de cafier restant dans sa cargaison et l'change contre de l'eau. Ce troc donna naissance au caf des Antilles franaises. Par la suite, vol et introduit clandestinement au Brsil en 1727, il devint en ces lieux, l'une des qualits de production de caf les plus apprcies dans le monde.

  • ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

    40

    cest la politique de recherche et de dveloppement poursuivie par une entreprise, qui lui permet

    de conserver une longueur d'avance sur ses concurrents78.

    b) L'information devient une marchandise.

    [31.] Les thories du commerce international ont pour objet principal d'expliquer

    comment est dtermine la division internationale du travail79, c'est dire de rendre compte des

    spcialisations internationales. Les thories traditionnelles postulent que les Etats gagnent tous,

    ce que l'change international soit sans entraves. Elles sont aujourd'hui remises en cause, du

    moins partiellement, par de nouvelles analyses, plus adaptes au monde moderne. La priode

    rcente, est en effet marque par la mondialisation et le retour des conflits commerciaux qui se

    dveloppent dans de nombreux secteurs et opposent diverses nations, par le biais de leurs

    entreprises. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les nations se sont engages dans un

    mouvement de libralisation des changes internationaux. Ceci s'est matrialis en 1947 par la

    cration du GATT80 (General Agreement on Tariffs and Trade, en franais Accord gnral sur

    les tarifs douaniers et le commerce ) entr en vigueur de 1948. Deux principes majeurs

    rgissent cet accord : d'une part la clause de non discrimination (ou principe dit : de la nation la

    plus favorise), qui veut qu'un avantage accord un pays soit immdiatement accord tous les

    autres81; d'autre part le principe du traitement national, qui prescrit que tout produit import de

    l'tranger soit trait de la mme manire que les produits nationaux. Le GATT en tant

    qu'institution internationale, avait donc deux buts essentiels : instaurer des rgles assurant une

    concurrence internationale loyale et conduire un abaissement des barrires aux changes

    internationaux. Selon les enseignements des thories traditionnelles du commerce international,

    la diminution des barrires aux importations et aux exportations doit assurer une croissance

    gnrale de l'conomie mondiale. En dpit de ces volutions, la priode rcente marque un retour

    78 Les approches conomiques classiques ont donc formul le principe selon lequel, la firme devait pouser les

    exigences de son environnement et que la cration, puis la dfense de son avantage concurrentiel devaient tre sa finalit ultime. Afin de formaliser la dcision stratgique de l'entrepreneur, l'cole de Harvard modlisa les menaces et les opportunits qui s'offraient l'entrepreneur selon un modle: SWOT, Strenght, weakness, opportunities, threats (matrice des forces, faiblesses, opportunits et menaces).

    79 La division internationale du travail rsulte de la spcialisation des nations dans la production de certains biens et services en fonction des avantages comparatifs dont ils disposent face la concurrence des autres nations. Cette division internationale du travail se traduit par le dveloppement dchanges interbranches selon Adam Smith , Jean-Yves Capul et Olivier Garnier, Dictionnaire dconomie et des sciences sociales , 2006.

    80 General agreement on tariffs and trade, article I- XVII. 81 Directive 2004/18/CE du Parlement europen et du conseil, du 31 mars 2004, relative la coordination des

    procdures de passation des marchs publics de travaux, de fournitures et de services.

  • LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE

    41

    vers des rflexes protectionnistes, au moyen d'instruments et de barrires non tarifaires ou de

    subventions82. Selon les pays et les produits, les barrires non tarifaires83 sont d'un usage

    frquent. Il s'agira le plus souvent de restrictions quantitatives aux changes (tels les quotas

    appliqus aux firmes automobiles japonaises en 1981, pour limiter leurs importations sur le sol

    amricain), ou de mesures administratives (comme les normes nationales de qualit destines

    protger les consommateurs), ou de subventions (qui agissent directement sur les cots de

    production des firmes). Sur ce dernier point, plusieurs pays, les Etats-Unis en tte, ont

    volontairement contourn la porte de l'accord du GATT. Ainsi la loi amricaine, dite du Small

    Business Act , prvoit que 23% des capitaux publics soient affects aux PME amricaines (on

    constate dailleurs quen ralit ce chiffre est proche des 50%). Les socits modernes

    dveloppent donc une nouvelle forme de protectionnisme. Partant de la thorie de Friedrich

    List84, qui veut quun protectionnisme ducateur destin aux pays en dveloppement soit

    ncessaire, les nations dveloppes s'accordent aujourd'hui envisager des mesures visant

    protger leurs propres industries. C'est trs exactement ce que propose Adam Smith85, dans La

    richesse des nations 86. A partir de ce modle dtude, on constate que les oppositions

    commerciales qui se jouent entre les firmes, peuvent tre le thtre d'interventions de la

    puissance publique. En 1988, Alfred D. Chandler publiait en France : La main invisible des

    managers 87, un ouvrage fondateur dans l'essor de l'conomie de march. Mais contrairement

    cette approche, l'conomie n'est pas la chasse garde des entreprises. Il existe, selon Christian

    Harbulot, une autre dimension conflictuelle que la concurrence dans la manire dont les

    peuples se sont disputs les richesses naturelles et matrielles du monde 88.

    82 L'volution gnrale des droits de douane depuis 60 ans, marque une diminution significative. Ces derniers

    sont en effet passs d'une moyenne au niveau mondial de 47% au chiffre drisoire de 4%. 83 Ensemble des mesures autres que tarifaires ayant pour but de limiter les importations de biens et services

    sur le march domestique. La suppression progressive des barrires tarifaires sest traduit par un accroissement et une diversification des barrires non tarifaires dans les pays participant aux changes internationaux , Jean-Yves Capul et Olivier Garnier, Dictionnaire dconomie et des sciences sociales , 2006.

    84 LIST Frdric, Economiste Allemand, c'est sous son inspiration que se cra l'association gnrale des industriels et des commerants (Francfort, 1819) qui aboutit en 1834 l'union douanire allemande. Dans son Systme national d'conomie politique, il prconisa un protectionnisme temporaire; ncessaire la priode d'industrialisation d'une nation.

    85 SMITH Adam, philosophe et conomiste cossais. Il publia ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), premier grand trait du capitalisme libral. Voyant dans le travail la source de toute richesse, et la mesure relle de la valeur changeable de biens, il affirme que sa division et le dveloppement de l'industrie favorise l'accroissement de l