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Publié par : Published by: Publicación de la: Faculté des sciences de l’administration Université Laval Québec (Québec) Canada G1K 7P4 Tél. Ph. Tel. : (418) 656-3644 Télec. Fax : (418) 656-7047 Édition électronique : Electronic publishing: Edición electrónica: Aline Guimont Vice-décanat - Recherche et affaires académiques Faculté des sciences de l’administration Disponible sur Internet : Available on Internet Disponible por Internet : http://www5.fsa.ulaval.ca/sgc/documentsdetravail [email protected] DOCUMENT DE TRAVAIL 2008-009 LE CIBLAGE TECHNOLOGIQUE ET LA GESTION PRÉVENTIVE DES RISQUES DE CONFLITS DE JURIDICTION DANS LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE Arthur OULAÏ Serge KABLAN Édouard ONGUENE Version originale : Original manuscript: Version original: ISBN 978-2-89524-322-9 Série électronique mise à jour : On-line publication updated : Seria electrónica, puesta al dia 04-2008

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Faculté des sciences de l’administration Université Laval Québec (Québec) Canada G1K 7P4 Tél. Ph. Tel. : (418) 656-3644 Télec. Fax : (418) 656-7047

Édition électronique : Electronic publishing: Edición electrónica:

Aline Guimont Vice-décanat - Recherche et affaires académiques Faculté des sciences de l’administration

Disponible sur Internet : Available on Internet Disponible por Internet :

http://www5.fsa.ulaval.ca/sgc/documentsdetravail [email protected]

DOCUMENT DE TRAVAIL 2008-009

LE CIBLAGE TECHNOLOGIQUE ET LA GESTION PRÉVENTIVE DES RISQUES DE CONFLITS DE JURIDICTION DANS LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE

Arthur OULAÏ Serge KABLAN Édouard ONGUENE

Version originale : Original manuscript: Version original:

ISBN – 978-2-89524-322-9

Série électronique mise à jour : On-line publication updated : Seria electrónica, puesta al dia

04-2008

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 Le ciblage technologique et la gestion préventive des risques de conflits 

de juridiction dans le commerce électronique  

Preventing the risk of conflicts of jurisdiction in e-commerce: the targeting with special reference to the technology way

 Arthur Oulaï*, Serge Kablan** et Édouard Onguene*** 

  RÉSUMÉ La  notion  de  risque  rime  souvent  avec  celle  de  responsabilité,  voire  de  responsabilité juridique. Pour le gestionnaire dont les activités participent du déploiement de l’économie digitale,  la  gestion  des  risques  juridiques  dans  le  commerce  électronique  ne  peut  faire l’économie d’une  identification préalable et exhaustive des exigences  légales  susceptibles d’appréhender  ses  activités  et  d’engager  sa  responsabilité.  L’affranchissement  des frontières dans le cyberespace imprime toutefois à cette démarche un caractère provisoire, illusoire et dérisoire, les exigences légales pertinentes prenant théoriquement leur source simultanément, et parfois de manière insoupçonnée, dans les corpus législatifs de plusieurs États du globe. Ce contexte, berceau inévitable de conflits de lois et de juridictions, crée des incertitudes  juridiques  que  les  règles  traditionnelles  du  droit  international  privé  ne parviennent pas toujours à évacuer. Dans la recherche de solutions alternatives, le présent article explore l’approche du « ciblage technologique », envisagée sous un angle préventif. Il en fournit une définition pratique et jauge sa réception en regard du droit positif.    MOTS­CLÉS   CIBLAGE ;  COMMERCE  ÉLECTRONIQUE ;  CONTRAT ;  CONSOMMATEUR ;  DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ ; CRITÈRES DE RATTACHEMENT.            * Professeur, Faculté de droit, Université de Sherbrooke, Québec, Canada ([email protected]) ** Professeur, FSA, Université Laval, Québec, Canada ([email protected]) *** Doctorant, Faculté de droit, Université Laval, Québec, Canada ([email protected])   

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1.  Les  développements  apparus  des  vocables  technologie  –  information  – communication  –  aménagent,  de manière  flagrante,  le  règne d’une économie digitale  aux conséquences  tentaculaires.  Elle  est  dominée  par  la  mobilité  accrue  que  permettent  les techniques  modernes  de  transmission  et  de  traitement  de  l'information,  le  phénomène ayant  rattrapé  presque  tous  les  secteurs  d’activités,  en  plus  de  susciter  de  profonds bouleversements dans les pratiques et habitudes1. D’un point de vue synoptique, Internet, voire  le  cyberespace,  pourrait  incarner  ces  techniques.  Son  impact  sur  le  commerce  a amené le commerce électronique, en référence aux activités commerciales menées à l’aide d’informations prenant  la forme de messages de données2. Ces activités, particulièrement celles qui sont d’ordre contractuel, empruntent à l’environnement électronique qui les voit naître nombre de caractères, au premier chef, sa nature internationale. Les contrats qui se nouent  et  s’exécutent  dans  ce  contexte  ou  dans  le  monde  de  l’atome,  c’est‐à‐dire  les contrats  électroniques,  s’envisagent  ainsi  comme  des  contrats  internationaux3, l’internationalité  leur étant  inhérente selon certains4, au point où  le dire semble être une vérité  de  La  Palisse.  Mais  comme  l’évidence  est  parfois  trompeuse,  il  faut  souffrir  la tautologie pour  rappeler  que  l’assertion prend pied  sur  la  nature même du  cyberespace, laquelle  modifie  profondément  les  perceptions  traditionnelles.  Dans  ce  monde  virtuel, mentionne  P.  Trudel,  « […]  les  coordonnées  spatio‐temporelles  se  présentent  comme  un problème toujours posé. Les lieux et rôles s'y redéfinissent et se redistribuent en fonction de  circonstances  n'obéissant  pas  à  un  modèle  prévisible »5.  Aussi,  importe‐il  de  croire 

1   Robert  BOYER,  « La  globalisation :  mythes  et  réalités »,  Actes  du  Groupe  d'Étude  et  de  recherche 

Permanent  sur  l'Industrie  et  les  Salariés  de  l'Automobile,  no  18,  1996,  Université  d'Évry Val d'Essonne,  en  ligne :  <http://www.univ‐evry.fr/labos/gerpisa/actes/18/article2.html>  (Date d’accès : 07/02/2008). 

2   Voir  notamment :  COMMISSION  DES  NATIONS  UNIES  POUR  LE  DROIT  COMMERCIAL INTERNATIONAL  (CNUDCI), Loi  type  sur  le  commerce  électronique  et guide pour  son  incorporation 1996,  Nations  Unies,  New  York,  1997,  en  ligne : <http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/electcom/05‐89451_Ebook.pdf>  (Date  d’accès : 07/02/2008). 

3   Traditionnellement, le contrat international peut désigner le « […] contrat qui produit un mouvement de  flux et de  reflux au­dessus des  frontières, un échange de valeurs  réciproques entre deux pays »  ou comme  un  contrat  qui  « […]  concerne  raisonnablement  une  autre  nation [nos  italiques]»  ou  enfin comme un  contrat  qui  compte  certains  éléments  d’extranéité,  par  exemple  le  lieu  de  signature  ou d’exécution du contrat,  la résidence habituelle ou la nationalité des cocontractants. L’application de ces  critères  traditionnels  au  contexte  électronique  n’est  pas  toujours  évidente,  et  cette  situation complique  souvent  la  qualification  internationale  du  contrat  électronique.  Comment,  par  exemple, établir le lieu de livraison effective de la chose ou le lieu d'exécution de la prestation caractéristique lorsque  l'objet  du  contrat  électronique  est  immatériel  ou  implique  une  consommation  en  ligne  – téléchargement de  logiciel,  de musique ou  acquisition d'un droit  d’accès à un  site payant,  etc.  –  et quand  les  parties  elles‐mêmes,  lorsqu’elles  sont  identifiées,  négligent  de  fournir  des  indications claires à  ce  sujet  ? Quid  aussi des personnes morales dont  les activités  sont principalement –  si  ce n’est exclusivement – exécutées au moyen de systèmes d’information sans lien avec un quelconque établissement  physique  ?  Voir :  Karim  MEDJAD,  Droit  international  des  affaires  :  le  contrat international,  Paris,  Nathan,  1998,  pp.  61‐62.  Uniform  Commercial  Code,  Art.  1.105,  en  ligne : <http://www.law.cornell.edu/ucc/ucc.table.html> (Date d’accès : 07/02/2008). 

4   Vincent  GAUTRAIS,  « Contrats  internationaux  dans  le  cyberespace :  les  éléments  du  changement » dans BARREAU DU QUÉBEC, Congrès annuel du Barreau du Québec, Montréal,  Barreau  du Québec, 1997, 405, pp. 424‐425. 

5   Pierre TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit », Colloque International Droit de l'internet : Approches européennes et internationales, Paris, novembre 2001, en ligne : <http://droit‐

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comme  M.  Vivant  que  «  Dès  l’instant  où  réseaux  et  Internet  ne  connaissent  pas  de frontières,  il  faut  envisager  les  contrats  du  commerce  électronique dans  une perspective internationale »6. Ces contrats, ajoute, C. Kessedjian, « […] conservent des points de contact géographiques avec un ou plusieurs pays facilement identifiables »7. La pluralité des ordres juridiques  en  concours  en  est  elle  aussi  une  caractéristique  évidente  et  c’est  «  […] l’éclatement des points de contact possibles »8 qu’elle entraîne qui  justifie cette approche internationaliste. 

 2.  S. Guillemard est toutefois des auteurs qui estiment que  l’évidence proclamée plus haut  devrait  être  atténuée,  voire  abandonnée9.  Non  seulement,  soutient‐elle, l’internationalité du contrat électronique n’est pas systématique, mais  la pratique semble révéler  que  la  plupart  des  contrats  électroniques  –  surtout  de  consommation  –  sont  des contrats nationaux, pour ne pas dire locaux10. L’auteure cite d’ailleurs P. Breese11 avec qui elle constate que la lecture de la jurisprudence – française – du cyberespace en fournit une confirmation pertinente. Dès lors, dans la mesure où la détermination de la nationalité du contrat  électronique  n’est  pas  aussi  évidente,  il  lui  paraît  utile  de  quitter  l’opposition national/international  pour  y  substituer  la  notion  de  « transmondialité »  du  contrat électronique :   

Puisque tout le monde s’accorde pour dire que le « lieu de naissance » de la relation nouée  dans  le  cyberespace  est  en  dehors  des  zones  territoriales  terrestres,  cela revient  à  dire  qu’il  est  « étranger »  par  rapport  à  elles.  En  ce  sens,  on  pourrait qualifier  ce  contrat de  « transmondial » puisqu’il  a des  liens  avec deux mondes,  le monde virtuel et le monde terrestre12.   

3.  Selon l’auteure, cette proposition « […] supprime les difficultés de détermination de l’internationalité  […].  Elle  assure  une  sorte  de  «  certitude  »  en  terme  de  localisation, nécessaire à cette détermination […] [D]ans notre esprit, qualifier de cette façon un contrat ne revient pas à le détacher, surtout à détacher les contractants, de tout lien terrestre mais à lui reconnaître des caractéristiques propres »13.  

internet‐2001.univ‐paris1.fr/pdf/vf/Trudel_P.pdf>, p. 2 (Date d’accès : 07/02/2008). 

6   Michel  VIVANT  et  al.,  Droit  de  l’informatique  et  des  réseaux  :  informatique,  multimédia,  réseaux, internet, Paris, Lamy, 2003, pp. 1450 à 1451. 

7   Catherine KESSEDJIAN, «Le principe de proximité vingt ans après », dans Paolo Romano GIAN (dir.) Le droit international privé : esprit et méthodes : Mélanges en l'honneur de Paul Lagarde, Paris, Dalloz, 2005, p. 511. 

8   Idem. 9   Sylvette GUILLEMARD,  Le droit  international privé  face au  contrat de  vente  cyberspatial,  Thèse  de 

doctorat, Université Laval, 2003, en ligne : <http://www.theses.ulaval.ca/2003/20565/20565.html> (Date d’accès : 07/02/2008). 

10   Idem. 11  Pierre BREESE, Guide juridique de l’Internet et du commerce électronique, Paris, Vuibert, 2000, p. 348. 

Voir aussi : Sylvette GUILLEMARD, op. cit., note 9. 12   Idem. 13   Idem. 

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4.  D’un  côté,  le  contrat  électronique,  instrument  par  excellence  du  commerce électronique, est donc qualifié d’international. De l’autre, il est dit transmondial. Or, le point important  est  que  ni  la  première  qualification,  ni  la  seconde,  n’occulte  le  fait  que  les contrats électroniques demeurent particulièrement exposés aux conflits de juridiction qui peuvent  naître  presque  naturellement  dans  un  contexte  où  « […]  il  est  aussi  facile  de contracter avec un correspondant qui se situe dans la même ville qu’avec un autre qui est à l’autre  bout  de  la  planète  »14.  En  effet,  si  cette  facilité  représente  une  occasion  inouïe d’accéder à un marché mondial  littéralement à portée de souris  elle ne risque pas moins d’être  compromettante,  eu  égard  notamment  aux  incertitudes  juridiques  et  aux  coûts additionnels  qu’elle  pourrait  susciter  dans  le  règlement  de  litiges  ou,  plus  globalement, dans  l'observation  de  lois  d’ordres  juridiques  étrangers :  quel  droit  est  applicable  à  la relation  contractuelle  créée dans  le  cyberespace,  quelle  soit  du  type B2B  (commerçant  / commerçant)ou  B2C  (commerçant  /  consommateur)  ?  Quelle  juridiction  est  compétente pour régler le différend survenu quand, par le truchement de son site Web transactionnel, le cybercommerçant est a priori ouvert sur un marché planétaire et peut transiger avec des dizaines de milliers d’internautes disséminés dans des juridictions promouvant des règles juridiques pas forcément homogènes ?  5.  Dans  ce  contexte  dominé  par  la  multiplicité  des  juridictions  potentiellement compétentes, il y a pour le cybercommerçant un besoin impératif de circonscrire le nombre d’entre elles aux normes desquelles ses activités peuvent être astreintes. C'est une exigence de  stabilité,  tant  économique  que  juridique,  qui  s'impose,  s'il  veut  éviter  d'être  attrait devant un tribunal à l'autre bout du monde ou d’avoir à se conformer à des lois dont il n’a jamais soupçonné l’existence.   6.  Les  juristes  ont  vu  dans  le  targeting  ou  «  ciblage  »  un  procédé  susceptible  de permettre  d'atteindre  un  tel  objectif15.  Son  déploiement  fait  perdre  à  la  pollicitation  sa portée  quasi‐universelle  pour  confiner  le  cybercommerçant  pollicitant  dans  les  espaces géographiques où il a les moyens de se défendre ou de se conformer aux exigences légales en  vigueur.  Cette  restriction  volontaire de  l’offre  s’établit  en principe  à  trois niveaux  :  le premier niveau est  contractuel  (ci‐après désigné «ciblage contractuel»);  le  second niveau est  technologique  (ci‐après  désigné  «ciblage  technologique»);  le  troisième  niveau,  enfin, évoque la connaissance réelle ou implicite que les parties avaient ou auraient dû avoir du 

14   Vincent  GAUTRAIS,  op.  cit.,  note  4.  Également,  selon  Sylvette  GUILLEMARD,  cette  qualification 

(contrat transmondial) « […] n’évite pas de se pencher sur les règles de rattachement. En effet, même face à contrat « terrestre » qui ne présente aucun élément d’extranéité, nous pensons que tout juriste procède à un exercice de rattachement, inconscient et rapide, qui le mène à conclure à l’élimination d’ordres juridiques étrangers». Sylvette GUILLEMARD, op. cit., note 9. 

15   Ce procédé est envisagé comme un substitut au critère du caractère (actif ou passif) des sites Web découlant de  l’arrêt Zippo Manufacturing Co. c. Zippo Dot Com (952 F. Supp. 1119 (W.D. Pa. 1997)). Voir :  Michael  GEIST,  Y  a­t­il  un  «  là  »  là  ?  Pour  plus  de  certitude  juridique  en  rapport  avec  la compétence judiciaire à l'égard d’Internet, Étude commandée par la Conférence pour l'harmonisation des  lois  au  Canada  et  Industrie  Canada,  2001,  en  ligne :  <http://www.ulcc.ca/fr/cls/internet‐jurisdiction‐fr.pdf>  (Date  d’accès :  07/02/2008).  Aussi :  Juan  Sebastián  GROSSO,  «  Les  conflits  de juridictions  dans  les  transactions  commerciales  en  ligne  »,  2002,  en  ligne : <http://www.cgglex.com/Frances/les‐conflicts‐de‐juridictions‐dans‐les.htm>  (Date  d’accès : 07/02/2008). 

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lieu géographique de l'activité en ligne (ci‐après désigné «ciblage par la connaissance réelle ou implicite»). Dans la construction doctrinale, ces trois critères du ciblage s’interpénètrent et s’envisagent cumulativement pour situer  la compétence  juridictionnelle concernant  les activités  du  cyberespace16.  Dans  ce  contexte,  l'office  «préjudiciel»  du  juge  consistera notamment  à  vérifier  que  les  parties  ont  entendu  toucher  une  clientèle  ou  un  territoire particulier  en  prévision  de  la  compétence  d'une  juridiction  ou  d’une  loi  particulière  et  à l'exclusion d'autres.   7.  Or, des trois niveaux du ciblage évoqués, il nous semble que le deuxième, c’est‐à‐dire le ciblage technologique, soit seul déterminant en la matière. Cette hypothèse se démontre à  l’aune  des  limites  du  ciblage  contractuel  et  du  caractère  accessoire  du  ciblage  par  la connaissance réelle ou implicite.   8.  Dans un premier  temps,  nous  relativiserons donc  la portée du  ciblage  contractuel avant d’affirmer, deuxièmement, la force du ciblage technologique qui, de fait, condamne le ciblage par la connaissance réelle ou implicite à un rôle subsidiaire, particulièrement dans les  relations  d’ordre  contractuel.  Comme  nous  le  savons,  il  est  difficile  de  dissocier  le rattachement  normatif  du  rattachement  juridictionnel.  Aussi,  utiliserons‐nous  le  terme générique de conflits de juridiction pour désigner ces deux formes de rattachement, même si notre intérêt porte prioritairement sur le rattachement juridictionnel17.   1.  Les limites du ciblage contractuel   9.  Le  ciblage  contractuel  consiste en  l’acceptation préalable que  le  cybercommerçant peut requérir eu égard à une convention d’utilisation du site hôte de la transaction, laquelle est  flanquée  d’une  clause  attributive  de  juridiction  ou  d’élection  de  for.  La  validité  et, surtout,  l’utilité  de  cette  clause  ne  sont  plus  à  démontrer18.  Le Code  civil du Québec,  par exemple,  envisage  la  clause  d’élection  de  for  à  l’article  3148  al.  4.  Il  s’ensuit  que  la compétence normale des tribunaux québécois peut être prorogée dans la clause d’élection de  for.  Elle  peut  être    attributive  de  compétence  en  faveur  des  tribunaux  québécois  ou dérogatoire, au profit d’une autorité étrangère19. En France, le principe même de la licéité des clauses d’élection de for a été reconnu dès 1930 et réaffirmé à l’article 48 du Code de procédure  civile,  pourvu  que  la  relation  en  cause  existe  entre  professionnels.  Le  droit européen consacre également cette licéité par l’effet de l’article 23 du Règlement européen 

16   Michael GEIST, loc. cit., note 15, p. 48. 17   Voir  dans  le  même  sens,  Karim  BENYEKHLEF,  «Réflexions  pour  une  approche  pragmatique  des 

conflits  de  juridictions  dans  le  cyberespace»,  dans  Vincent  GAUTRAIS  (dir.),  Droit  du  commerce électronique, Montréal, Les Éditions Thémis, 2002, p. 139. 

18   Voir Catherine KESSEDJIAN selon qui la clause d’élection de for « […] très courante dans les contrats internationaux  à  tel  point  que  l'on  ne  devrait  plus  s'interroger,  semble‐t‐il,  sur  le  principe  de  sa validité » :  CONFÉRENCE  DE  LA  HAYE  DE  DROIT  INTERNATIONAL  PRIVÉ, « Compétence juridictionnelle  internationale  et  effets  des  jugements  étrangers  en matière  civile  et commerciale », Document préliminaire no 7, avril 1997 (Rapport établi par Catherine KESSEDJIAN), en ligne : <ftp://hcch.net/doc/jdgm_dp7.doc> (Date d’accès : 07/02/2008). 

19   Respectivement les articles 3148 et 3168 C.c.Q. 

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concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des jugements en matière civile et commerciale20.  Par  conséquent,  dans  les  ordres  juridiques  qui  admettent  les  clauses d’élection  de  for,  le  tribunal  ainsi  désigné  est  compétent  en  vertu  de  la  liberté contractuelle21.   10.  En  théorie  donc,  le  juge  amené  à  cerner  l'intention  des  parties  à  l’occasion  d’une transaction  donnée  sera  pleinement  convaincu  de  ladite  intention  en  se  référant  à  cette clause. Un tel examen est facile : il s'agit de voir si cette clause, qui donne compétence à un juge ou à une  loi particulière,  existe ou non.  Le véritable problème  se  trouve ailleurs :  la seule existence du cette clause met‐elle  le cybercommerçant à  l'abri de  la compétence de juridictions  non‐élues ?  Il  nous  semble  que  la  réponse  à  cette  question  soit  forcément négative, compte tenu, d’une part, des incertitudes qui peuvent subsister quant à la valeur juridique  du  consentement  exprimé  en  ligne  relativement  aux  clauses  attributives  de juridiction  ou  d’élection  de  for  et,  d’autre  part,  de  la  présence  des  règles  d'application nécessaire. Nous analyserons successivement ces deux facteurs.    

1.1  De l’acceptation des clauses de juridiction    11.  Il découle de l’immatérialité du contrat électronique une certaine aisance quant à sa formation. La convivialité qui tente de faire écran à cette immatérialité ainsi qu’aux codes informatiques qui  la  gèrent  y  est  sans doute pour quelque  chose.  Fréquemment  en  effet, qu’il s’agisse de conclure un contrat en général ou d’accepter une clause d’élection de for en particulier,  un  simple  clic  suffit,  soit  qu’il  serve  à  l’activation  d’un  icône  d’acceptation (clickwrap agreement) soit qu’il initie le furetage à proprement parler pour entraîner, par le  fait même,  l’acceptation des  conditions d’utilisation du  site Web,  incluant  ladite  clause (browsewrap  agreement).  L’article  premier  des  Conditions  d’utilisation  du  site  Web  de l’Office  européen  des  brevets22  est  une  illustration  intéressante  de  cette  modalité d’acceptation :  

L'accès à et l'utilisation de toute partie du site web de l'Office européen des brevets (ci‐après "le Site web"), de tout document, de tout élément ou de toute information, y compris  les  textes,  images, sons et  logiciels mis à disposition sur  le Site web (ci‐après  les  "Informations")  et  de  tout  service  fourni  via  le  Site  web  (ci‐après  les "Services")  sont  soumis  aux  présentes  conditions  d'utilisation  (ci‐après  les "Conditions d'utilisation") et valent acceptation de ces dernières par l'utilisateur.   

12.  Nous  relèverons  deux  idées  fortes  au  sujet  de  la  validité  de  ces  modalités d’acceptation  en  ligne.  Premièrement,  s’il  est  acquis  que  le  clickwrap  agreement  a  pu 

20   Règlement (CE) No 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, en  ligne : <http://europa.eu.int/eur‐

lex/fr/com/pdf/2000/fr_500PC0689.pdf> (Date d’accès : 07/02/2008). 21   La Cour suprême du Canada a considéré que la compétence fondée sur la liberté contractuelle devait 

l’emporter sur toute autre considération, notamment sur le principe de la réunion des débats. Voir : GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401. 

22   OFFICE  EUROPÉEN  DES  BREVETS,  Conditions  d’utilisation  du  site Web  de  l’OEB,  2007,  en  ligne : <http://www.epo.org/termsofuse_fr.html> (Date d’accès : 07/02/2008). 

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bénéficier  d’un  caractère  exécutoire,  notamment  au  Canada23,  il  demeure  difficile  de dégager des principes généraux en  la matière et une appréciation au cas par cas reste de mise24. À preuve, dans une récente affaire, la Cour du Québec qui devait se prononcer sur l’opposabilité d’une clause d’élection de  for, à  laquelle  l’intimée prétendait n’avoir  jamais consenti,  a  particulièrement  insisté  sur  la  nécessité  « d'exiger  une  preuve  plus  valable d'acceptation d'un contrat  informatique qu'un  simple «  clic »,  sans possibilité de vérifier  la rencontre des volontés qui  forment un contrat, où  il doit y avoir « accord de volonté » (art. 1378  C.c.Q.),  sur  le même  objet  (art.  1412  C.c.Q.) »25.  En  lui‐même,  le  clic  n’est  donc  pas déterminant,  l’accent  étant  surtout  mis  sur  la  nécessaire  rencontre  des  volontés  des parties.  Mais  alors,  cette  preuve  plus  valable  du  consentement  ou  de  l’accord  de  volonté évoquée dans l’affaire Aspender1.com Inc. pourrait‐elle consister en l’utilisation de pop ups ou  de  fenêtres  contextuelles  qui  apparaitraient  systématiquement  à  chaque  nouvelle session et qui arboreraient les clauses contractuelles applicables, avec l’obligation pour le cocontractant  d’en  attester  la  prise  de  connaissance  par  des  clics  successifs ?  Une procédure  contractuelle  plus  ou  moins  similaire  est  utilisée  par  Google  relativement  à l’adhésion à son service AdWords :   

« To open an AdWords account, an advertiser had to have gone through a series of steps in an online sign‐up process. (Hsu Decl. ¶ 3.) To activate the AdWords account, the  advertiser  had  to  have  visited  his  account  page,  where  he  was  shown  the AdWords  contract.  (Hsu  Decl.  ¶  4.)  Toward  the  top  of  the  page  displaying  the AdWords  contract,  a  notice  in bold print  appeared  and  stated,  “Carefully  read  the following terms and conditions. If you agree with these terms,  indicate your assent below.” (Hsu Decl. ¶ 4.) The terms and conditions were offered in a window, with a scroll  bar  that  allowed  the advertiser  to  scroll  down and  read  the entire  contract. The  contract  itself  included  the  pre‐amble  and  seven  paragraphs,  in  twelve‐point font. The contract's pre‐amble, the first paragraph, and part of the second paragraph were  clearly  visible  before  scrolling  down  to  read  the  rest  of  the  contract.  The preamble, visible at  first  impression,  stated  that  consent  to  the  terms  listed  in  the Agreement constituted a binding agreement with Google. A link to a printer‐friendly version  of  the  contract  was  offered  at  the  top  of  the  contract  window  for  the advertiser who would rather read the contract printed on paper or view it on a full‐screen instead of scrolling down the window. (Hsu Decl. ¶ 5.) At the bottom of the webpage, viewable without scrolling down, was a box and the words, “Yes, I agree to the above terms and conditions.” (Hsu Decl. ¶ 4.) The advertiser had to have clicked on this box in order to proceed to the next step. (Hsu Decl. ¶ 6.) If the advertiser did not click on “Yes,  I agree  ...” and  instead tried to click the  “Continue” button at  the bottom of the webpage, the advertiser would have been returned to the same page and  could  not  advance  to  the  next  step.  If  the  advertiser  did  not  agree  to  the 

23   Rudder c. Microsoft Corporation (1999), 2 C.P.R. (4th) 474 (C.S. J. Ont.); Voir aux États‐Unis : Killagen c. 

Network Solutions, 99 F. Sup. 2d 125 (D. Masuiv. 2000); 24   GAUTRAIS, V., « La couleur du consentement électronique », (2003) 16‐1 Cahiers prop. intel. 61, pp. 

81 et suiv.  25   Aspender1.com Inc. c. Paysystems Corp., 2005 IIJCan 6494 (QC C.Q.). 

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AdWords  contract,  he  could  not  activate  his  account,  place  any  ads,  or  incur  any charges26. 

 13.  Certes, la validité de cette procédure, eu égard à l’échange des consentements, a été récemment reconnue par le juge américain27. Mais il n’est pas certain qu’elle constituera, à court terme, un standard international en matière d’échange de consentement sur Internet.  14.  Deuxièmement,  en  ce  qui  concerne  le  browsewrap  agreement  –  selon  lequel  le furetage sur le site Web vaut acceptation de l’ensemble des dispositions de sa convention d’utilisation  –  les  avis  sont  aussi  partagés. Deux  décisions  judiciaires  américaines,  parmi plusieurs, appuient ce constat : dans l’affaire Ticketmaster, par exemple, le tribunal a relevé le  caractère  équivoque  de  cette  procédure,  renonçant  ainsi  à  une  validation  d’office  des contrats qui pourraient en émaner28. L’approche contraire a cependant été préférée dans l’affaire Register.com où le  juge conclut que les conditions d’utilisation lient effectivement les  utilisateurs,  même  s’il  y  a,  à  l’évidence,  absence  d’une  manifestation  claire  de consentement29. 15.  Sûrement,  comme  l’a  relevé  L.  Thoumyre,  le  clic  «  […]  entraîne  la  transmission d’informations numériques qui  seront  reconnues par un  logiciel,  lequel  les  convertira  en informations intelligibles pour le commerçant destiné à les recevoir »30. Mais les positions encore mitigées de la jurisprudence sur la validité des contrats ainsi formés suggèrent un renforcement de ce formalisme31 subrepticement incarné par ce fameux clic et dont la force 

26   Feldman  v.  Google  Inc.,  2007  WL  966011  (E.D.  Pa.  March  29,  2007) 

<http://www.paed.uscourts.gov/documents/opinions/07D0411P.pdf>,  pp.  5‐6  (Date  d’accès  :  27 nov. 07). 

27   Idem. 28   Ticketmaster Corp. v. Tickets.Com  Inc.,  54 U.S.P.Q. 2d 1344, 2000 WL 525390, 2000 U.S. Dist. LEXIS 

4553 (C.D. Cal. 2000), 126 F.Supp.2d 238 (S.D.N.Y. 2000). 29   Register.com Inc. v. Verio Inc., 126 F.Supp.2d 238, (S.D.N.Y. 2000). Voir également : Forrest v. Verizon 

Communications  Inc.,  805 A.2d 1007  (D.C. 2002). DeJohn v. The  .TV Corporation  International et al., 245 F.Supp.2d 913  (C.D.  Ill.  2003). Aussi  :  Laura DARDEN et Charles THORPE,  «Forming Contracts Over  the  Internet:  Click‐wrap  and  Browse‐wrap  Agreements»,  2003,  en ligne :<http://gsulaw.gsu.edu/lawand/papers/su03/darden_thorpe/>  (Date  d’accès :  07/02/2008). Également : Charles MORGAN, « I Click, You Click, We all Click...But Do We Have a Contract? A Case Comment on Aspencer1.com v. Paysystems », (2005) Canadian Journal of Law and Technology, 109, pp. 110  et  suiv.,  en  ligne :  <http://www.mccarthy.ca/pubs/canadian_journal.pdf>  (Date  d’accès : 07/02/2008). Également : Joseph SAVIRIMUTHU, « Online Contract Formation: Taking Technological Infrastructure  Seriously  »,  (2005) University of Ottawa  Law & Technology  Journal,  105,  pp.  123  et suiv., en ligne : <http://www.uoltj.ca/articles/vol2.1/2005.2.1.uoltj.Savirimuthu.105‐143.pdf> (Date d’accès : 07/02/2008). 

30   Lionel THOUMYRE,  « L’échange des consentements dans  le  commerce électronique »,  (1999) 5 Lex Electronica,  en  ligne :  <http://www.lex‐electronica.org/articles/v5‐1/thoumfr.htm>  (Date  d’accès : 07/02/2008), p. 17. 

31   Il  est  probe  de  nuancer  l’importance  de  ce  renforcement  à  la  lumière  de  l’arrêt  Achilles  (USA)  v. Plastics Dura Plastics (1997)  ltée/Ltd. dans  lequel  le  juge Dalphond relève : «  […] En vertu du droit québécois, aucun formalisme particulier n’est requis pour établir l’existence d’un consentement à une clause  compromissoire  par  opposition  à  un  autre  type  de  contrat.  Tout  en  reconnaissant  qu’une clause compromissoire constitue un contrat autonome par rapport au reste du contrat dans  lequel elle  s’inscrit  (art. 2642 C.c.Q.)  le droit québécois ne  l’assujettit pas à des  règles différentes quant à l’existence  d’une  rencontre  des  volontés  […]  Il  s’ensuit  que  les  règles  habituelles  en  matière 

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psychologique ne semble pas encore égaler celle de la signature manuscrite32. Or, en cette ambivalence  de  la  jurisprudence  réside  aussi  une  certaine  incertitude  qui  fragilise  le ciblage contractuel. En effet, quel que soit  le renforcement  initié par  le cybercommerçant relativement au  formalisme contractuel en usage sur son site Web transactionnel,  il n’est pas possible de garantir dans l’absolu que l’élection de juridiction à laquelle il aura soumis son cocontractant résistera à l’analyse de tous les ordres juridiques. Le risque de voir ses activités soumises à des  juridictions autres que celles choisies demeure suspendu à  l’issu d’une  telle  analyse.  Ce  risque  s’accentue  d’ailleurs  avec  le  déploiement  des  règles d’application nécessaire auxquelles les clauses de juridiction ne survivent pas toujours.   

1.2  L’impact des règles d’application nécessaire     16.  Le dispositif  de protection du  consommateur  et  de  l'adhérent,  en particulier,  peut remettre en cause le choix opéré par les parties à travers la clause d’élection de for ou de loi,  ce  qui  risque  de  s'appliquer  à  la  plupart  des  contrats  du  commerce  électronique. M. Geist  avait  déjà  soulevé  cette  limite, mais  il  nous  semble qu’il  faille  davantage  y  insister, compte  tenu de  l’impact qu’elle a  sur  le  ciblage contractuel33. Un exemple pertinent peut être tiré du droit québécois où le consommateur34 engagé dans une relation contractuelle 

d’acceptation  tacite  d’un  contrat  sont  applicables.  Celles‐ci  sont  ainsi  résumées  par  les  auteurs Baudouin et Jobin […] L’acceptation peut être expresse ou tacite (article 1386 du Code civil). Elle est expresse  lorsqu’elle  est  faite  oralement,  par  écrit  ou par  un  geste  non  équivoque,  tel  par  exemple celui d’un enchérisseur. Elle est tacite lorsque, en tenant compte des circonstances, il est évident que la partie a voulu se prévaloir de l’offre, à condition toutefois que l’on ne puisse déduire rien d’autre de  sa  conduite  qu’une  acceptation  pure  et  simple  ».  Voir :  2006  QCCA  1523  (CanLII),  2006  QCCA 1523. 

32   Santiago CAVANILLAS MÙGICA, « Les contrats en ligne dans la théorie générale du contrat : le regard d’un juriste de droit civil » (2000) 17 Cahier du CRID 99, p. 100. 

33   Michael GEIST, loc. cit., note 15, p. 49.  34   L’article  1384  C.c.Q.  définit  le  contrat  de  consommation  comme :  «  […]  le  contrat  dont  le  champ 

d'application est délimité par les lois relatives à la protection du consommateur, par lequel l'une des parties, étant une personne physique,  le consommateur, acquiert,  loue, emprunte ou se procure de toute  autre manière,  à  des  fins  personnelles,  familiales  ou  domestiques,  des  biens  ou  des  services auprès de l'autre partie, laquelle offre de tels biens ou services dans le cadre d'une entreprise qu'elle exploite ».Voir aussi la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chapitre P‐40.1. Par ailleurs, la directive n°97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des  consommateurs  en matière  de  contrats  à  distance  fournit  des  éléments  dans  la  définition  des parties  au  commerce  électronique.  Aux  termes  de  l’article  2  al.  2  de  cette  directive,  est « consommateur», « toute personne physique qui (…) agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle »; et est aux termes de l’al. 3, «fournisseur», « toute personne physique ou  morale  qui  (…)  agit  dans  le  cadre  de  son  activité    professionnelle  ».  Dans  une  étude  de  la Conférence de La Haye de droit international privé, Catherine KESSEDJIAN note cependant : « […] la Commission s’est  interrogée sur  le problème de savoir si, dans    l’environnement en ligne,  la notion traditionnelle  de  consommateur  est  encore  efficace.  Elle  suggère  donc  de  requalifier  le consommateur et d’ouvrir simplement  la   compétence au domicile du demandeur à toute personne physique agissant en son  nom propre, quel que soit l’objet de  la transaction. Comme l’a expliqué le Rapporteur,  l’idée  de  départ  consiste  à  dire  que,  dans  un  environnement  en  ligne,  les  petites entreprises  doivent  être  également  protégées.  Or,  comme  il  est  difficile  de  définir  une  «  petite entreprise », la prévisibilité exigerait de s’en remettre à la notion de personne physique ». Catherine KESSEDJIAN, Les  échanges de données  informatisées,  Internet  et  le  commerce  électronique,  Rapport, 

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avec  un  commerçant  bénéficie  d’une  protection  spécifique,  nonobstant  les  stipulations contractuelles auxquelles  il  aura pu être  soumis. Cette protection est notamment  fournie par la Loi sur la protection du consommateur – ci‐après dénommée L.p.c. En la matière, il est essentiellement question du contrat à distance, décrit dans la mouture actuelle de l’article 54.1 comme le « […] contrat conclu alors que  le commerçant et  le consommateur ne sont pas en présence l'un de l'autre et qui est précédé d'une offre du commerçant de conclure un tel  contrat »35.  Or,  ces  contrats,  qui  englobent  les  contrats  électroniques,  sont  réputés conclus à l’adresse du consommateur36.   17.  Cette mesure,  explique V. Gautrais,  s’inscrit dans un « […] désir  fort protecteur de favoriser  le  consommateur  en  lui  permettant  de  fonder  tout  éventuel  litige  tant  sur  son droit  que  par  son  juge »37.  À  l’appui  de  cette  idée,  l’auteur  évoque  plusieurs  autres dispositions  dont  l’article  19  de  la  même  loi  qui  interdit  les  clauses  contractuelles assujettissant le consommateur, en tout ou en partie, à une loi autre que celle du Parlement du Québec ou du Canada. L’article 11.1 L.p.c. proscrit aussi la « […] stipulation ayant pour effet  soit  d'imposer  au  consommateur  l'obligation  de  soumettre  un  litige  éventuel  à l'arbitrage,  soit  de  restreindre  son  droit  d'ester  en  justice,  notamment  en  lui  interdisant d'exercer un recours collectif, soit de le priver du droit d'être membre d'un groupe visé par un tel recours ».   18.  À  ces  dispositions,  il  convient  d’ajouter  celles  du  Code  civil,  notamment  l’article 3117 C.c.Q.,  qui  fait  aussi  échec  à  toute  désignation  contractuelle  d’une  loi  applicable  au contrat  de  consommation,  si  ce  choix  prive  le  consommateur  de  la  protection  que  lui assurent les dispositions impératives de la loi de l’État où il a sa résidence. Pour ce faire, le contrat  doit  avoir  été  précédé,  dans  ce  lieu,  d’une  offre  spéciale  ou  d’une  demande  de publicité38;  et  les  actes  nécessaires  à  sa  conclusion  doivent  y  avoir  été  accomplis  par  le consommateur ou, s’il s’agit d’une commande, elle doit y avoir été reçue39.   

Conférence de La Haye de droit international privé, Doc. prél. No 7, avril 2000, p. 22. Aussi : Sylvette GUILLEMARD,  «  Le  cyberconsommateur  est  mort,  vive  l'adhérent  »,  (2004)  1  Journal  du  droit international privé, 7‐61.  

35   Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chapitre P‐40.1, art. 54.1.  36   Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chapitre P‐40.1, art. 54.2. 37   Vincent  GAUTRAIS,  « L’encadrement  juridique  du  « cyberconsommateur »  québécois »,  dans 

GAUTRAIS Vincent (dir.), Droit du commerce électronique, Montréal, Les Éditions Thémis, 2002, 261, p. 285. 

38   Charlaine  BOUCHARD,  Marc  LACOURSIÈRE  et  Julie  McCANN,  «  La  cyberpublicité:  son  visage,  ses couleurs ‐ Qu'en est‐il de  la protection des consommateurs ? », (2005) 107 Revue du Notariat, 303, pp.  303  et  suiv.  Les  auteurs  proposent  une  définition  de  la  cyberpublicité  et  analysent  les  règles juridiques qui l’encadrent.   

39   L’article 3149 C.c.Q.  complète de manière significative cet encadrement des aspects  internationaux des  contrats  de  consommation en  spécifiant  que :  « Les  autorités  québécoises  sont,  en  outre, compétentes pour connaître d’une action fondée sur un contrat de consommation ou sur un contrat de  travail  si  le  consommateur  ou  le  travailleur  a  son  domicile  ou  sa  résidence  au  Québec;  la renonciation du consommateur ou du travailleur à cette compétence ne peut lui être opposée ». 

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19.  Bien entendu, l’application au contexte électronique de cette disposition issue de la Convention de Rome de 1980 sur  la  loi applicable aux obligations contractuelles40 (ci‐après désignée  Convention  de  Rome  de  1980)  n’est  pas  évidente41.  La  difficulté  naît particulièrement de la prescription suivant laquelle la conclusion du contrat doit avoir été précédée, dans le pays où le consommateur a sa résidence, d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité. Au  fond,  lorsque  le contexte électronique est considéré,  il  faut se demander, entre autres si, pour remplir la condition susmentionnée, le consommateur doit prendre  l’initiative d’accéder au site du professionnel pour se  faire offrir des produits ou des  services  –  hypothèse  de  la  connexion  –  ou  s’il  faut  considérer  que  le  professionnel diffuse  en  continu  des  offres  publiques  –  hypothèse  de  la  diffusion42.  Les  avis  restent partagés  à  ce  sujet43,  même  si  la  jurisprudence  américaine  a  notamment  statué  que  la diffusion d’une publicité sur le Web n’emporte pas forcément compétence des juridictions de tous les endroits où cette publicité est accessible44.  20.  Un  fait  demeure  cependant,  malgré  ces  difficultés :  c’est  la  primauté  reconnue  (à l’échelle de la Convention de Rome de 1980 et même au‐delà) aux dispositions impératives de la loi et, plus globalement, aux tribunaux du pays où le consommateur a sa résidence. En pratique,  rien  n’empêche  le  cybercommerçant malais,  pakistanais  ou  français  de  prévoir une  clause  attributive  de  juridiction  ou  d’élection  de  for  dans  son  contrat  avec  un internaute. Si toutefois cet internaute est un consommateur qui a sa résidence au Québec, cette clause risque d’entrer en conflit avec  les dispositions  impératives sus‐évoquées, qui sont  favorables  à  la  juridiction  québécoise,  outre  les  autres  règles  d’ordre  public  –  par exemple,  celles  qui  dictent  le  formalisme  du  contrat  électronique  –  dont  ce cybercommerçant  ne  pourra  faire  l’économie45.  Des  règles  différentes  s’imposeront  si  le cocontractant  est  un  consommateur  de  l’Ontario.  Dans  ce  contexte,  le  cybercommerçant devra  notamment  prendre  en  compte  les  dispositions  issues  de  la  Loi  de  2002  sur  la protection du consommateur (L.O. 2002, chapitre 30); au Manitoba, la Loi sur la protection du  consommateur  de  2000  (C.P.L.M.  c.  200,  Partie  XVI)  devra  être  considérée;  en Saskatchewan,  l’Act  to Amend  the Consumer Protection Act  (2002,  chapter  16)  sera  sans 

40   COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE, Convention de Rome de 1980  sur  la  loi applicable aux 

obligations contractuelles, CF 498Y0126(03), Journal officiel n° L 266 du 09/10/1980 p. 0001 – 0019. 41   L’article 5 de cette convention dispose : « […] le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir 

pour  résultat  de  priver  le  consommateur  de  la  protection  que  lui  assurent  les  dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle : ‐ si la conclusion du contrat a été  précédée  dans  ce  pays  d'une  proposition  spécialement  faite  ou  d'une  publicité,  et  si  le consommateur  a  accompli  dans  ce  pays  les  actes  nécessaires  à  la  conclusion  du  contrat  ou  ‐  si  le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays ou ‐ si le contrat est une vente de marchandises et que le consommateur se soit rendu de ce pays dans un pays étranger et y ait passé la commande, à la condition que le voyage ait été organisé par le vendeur dans le but d'inciter le consommateur à conclure une vente ».  

42   Marc‐Antoine  MAURY,  La  lex  electronica,  Mémoire  de  DESS,  droit,  informatique  et  technologies nouvelles, Université Paris‐Sud, 1998, en  ligne : <http://perso.wanadoo.fr/mam/these4.htm> (Date d’accès : 07/02/2008). 

43   Voir notamment : Nicolas BRAULT, «Le droit applicable à Internet, de l'abîme aux sommets», (1996) 12 Légicom 1, p. 6. 

44   Bensusan Restaurant Corp. c. King, 937 F. Supp. 295 (S.D.N.Y. 1996). Aussi Marc‐Antoine MAURY, op. cit., note 42. 

45   Notamment : Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., chapitre P‐40.1, art. 54.1 et suiv. 

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doute  pertinent,  tout  comme  les  articles  L.  121‐16  et  suiv. du Code de  la  consommation, entre autres, pour les situations qui intéressent le consommateur français46.  21.  Avec cette primauté des règles impératives du droit de la consommation, le ciblage contractuel,  qui  trouve  pourtant  en  l'existence  de  la  clause  de  juridiction  la  meilleure preuve que puisse avoir le juge cherchant à cerner si les parties ont entendu préciser une juridiction ou une loi compétente, ne permettra pas de discerner en cette clause un élément pertinent  pour  le  conforter  en  tant  qu’approche.  La  raison  en  est  simple :  la  clause  de juridiction se trouve en amont de la situation juridique, ce qui étiole considérablement ses effets.   22.  Premièrement,  elle  est  une  initiative  des  parties  (plus  précisément,  du  stipulant, alors  que  la  poursuite  devant  une  juridiction  non  choisie  est  une  initiative  du cocontractant)  et malgré  son  caractère  obligatoire,  elle  ne  peut  s'imposer  face  à  une  loi d'application nécessaire divergente. Deuxièmement, la clause de juridiction ne limite que le nombre de  juridictions devant  lesquelles  les poursuites peuvent être effectuées et non  le nombre  de  juridictions  réellement  compétentes,  si  l’on  tient  compte  des  règles  du  droit international  privé.  En  effet,  la  nature  universelle  du  cyberespace  fait  qu’un  bien  ou  un service  proposé  sur  Internet  le  met  instantanément  à  la  disposition  de  centaines  de millions  de  cyberconsommateurs  potentiels  dont  chacun  est  protégé  par  les  lois  de  son propre pays. Ainsi, un cybercommerçant américain qui propose un bien ou un service sur Internet peut difficilement parvenir à éviter que le client de Vanuatu en Mélanésie le traîne devant  une  juridiction  de  ce  pays  si  dans  le  droit  de  la  consommation  dudit  pays,  il  est prévu  que  le  consommateur  puisse  en  tout  état  de  cause  porter  un  litige  devant  les juridictions de Vanuatu.  23.  À l’examen, il apparaît donc qu’une combinaison de dispositions de natures diverses réglementent finalement les activités commerciales électroniques et qui font que la clause de juridiction est destinée à avoir un destin aléatoire. En la matière, il faut relever, avec une certaine  hiérarchie  entre  les  diverses  règles,  les  dispositions  relatives  au  droit  de  la consommation qui ont vocation à s’appliquer aux conventions d’achat en ligne, auxquelles s’associent  les  dispositions  régissant  les  contrats  en  général.  En  outre,  ce  type  de conventions entrant en principe dans la catégorie plus spécifique des contrats d’adhésion47, il va de soi que les dispositions de protection de l’adhérent sont également applicables.   

46   À  l’échelle  internationale,  une  compilation  des  principales  dispositions  légales  applicables  à  la 

cyberconsommation  ou  à  la  vente  à  distance  en  général  est  proposée  par  l’Organisation  de Coopération et de Développement  Économiques  (OCDE). Voir à  ce  sujet : OCDE,  Inventaire des  lois, politiques  et  pratiques  régissant  la  protection  des  consommateurs  dans  le  contexte  du  commerce électronique, 2001, en ligne :   

  <http://www.olis.oecd.org/olis/2000doc.nsf/8d00615172fd2a63c125685d005300b5/c125692700623b74c1256a0200370632/$FILE/JT00112588.PDF> (Date d’accès : 07/02/2008). 

47   Suivant  l’article  1379  C.c.Q.,  «  Le  contrat  est  d'adhésion  lorsque  les  stipulations  essentielles  qu'il comporte ont été imposées par l'une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu'elles ne pouvaient être librement discutées ». 

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24.  Au Québec,  le mécanisme de protection de  l’adhérent  consiste  en un  ensemble de quatre règles qui vont de l’article 1432 à l’article 1438 du C.c.Q. La première règle est celle de l’article 1432 du C.c.Q., une règle d’interprétation des clauses ambiguës48. La deuxième, de  l’article  1435  C.c.Q.,  tient  à  l’obligation  d’information  que  le  stipulant  a  vis  à  vis  de l’adhérent, en ce qui concerne les clauses externes : ces clauses sont nulles si elles n’ont pas été  portées  à  la  connaissance  de  l’adhérent,  à  moins  que  le  stipulant  ne  prouve  que  ce dernier  n’en  avait  par  ailleurs  connaissance  d’une manière  ou  d’une  autre49.  Quant  à  la troisième règle, elle impose que les clauses d’un contrat d’adhésion soient claires et lisibles, pour en empêcher la nullité s’il advienait qu’elles soient défavorables à l’adhérent : c’est la substance de l’article 1436 C.c.Q. La quatrième règle, qui est également celle qui provoque le plus de passions, est celle relative à la sanction des clauses abusives (nullité de la clause ou réduction de l’obligation qui en découle). Cette règle est prévue par l’article 1437 C.c.Q. et  la  doctrine  a  depuis  longtemps  soulevé  les  problèmes  qu’elle  pose,  notamment  de confusion sur  la position du  législateur entre  l’admission et  la sanction de  la  lésion entre majeurs50.   25.  Sans  investir  ce  débat,  il  importe  d’indiquer  que  le  mécanisme  de  protection  de l’adhérent pourrait être déclenché à  l’égard de toute clause contractuelle  jugée abusive, y compris à l’égard de la clause d'élection de for elle‐même, que celle‐ci soit en faveur d’un tribunal judiciaire ou d’un tribunal arbitral. La Conférence de La Haye, par exemple, avait entrevu cette possibilité en 1965 : l’article 4 de la Convention du 25 novembre 1965 sur les accords  d’élection  de  for  invalidait  l’accord  des  parties  en  la  matière  « […]  s’il  avait  été obtenu par un abus de puissance économique ou autres moyens déloyaux ». De même,  la 

48   Selon cet article, dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et 

contre  celui  qui  l'a  stipulée.  Dans  tous  les  cas,  il  s'interprète  en  faveur  de  l'adhérent  ou  du consommateur. 

49   Cette  règle  a  reçu  une  récente  interprétation  de  la  Cour  suprême  du  Canada  dans  l’affaire  Dell. L’appréciation  du  caractère  externe  d’une  clause  d’un  contrat  électronique,  selon  la  Cour,  doit s’envisager  à  la  lumière  de  l’accessibilité  de  celle‐ci.  Plus  exactement,  elle  suggère  que :  […]  une clause qui requiert des manœuvres d’une complexité telle que son texte n’est pas raisonnablement accessible ne pourra pas  être  considérée  comme  faisant partie  intégrante du  contrat. De même,  la clause contenue dans un document sur  Internet et à  laquelle un contrat sur  Internet renvoie, mais pour  laquelle aucun  lien n’est  fourni,  sera une clause externe.  Il  ressort de  l’interprétation de  l’art. 1435  C.c.Q.  et  du  principe  d’équivalence  fonctionnelle  qui  sous‐tend  la  Loi  concernant  le  cadre juridique des technologies de l’information que l’accès à la clause sur support électronique ne doit pas être plus difficile que l’accès à son équivalent sur support papier ». À ce propos : Dell Computer Corp. c. Union des  consommateurs,  2007  CSC  34.  La  position  de Adrian  POPOVICI  rapportée  par  Brigitte LEFEBVRE permet de préciser que « […] la connaissance de l’adhérent devrait s’évaluer in abstracto, c’est‐à‐dire que  le stipulant devra prouver qu’il a pris  tous  les moyens pour que  l’adhérent prenne connaissance de la clause et non pas prouver la connaissance effective de la clause par l’adhérent ». Voir : Adrian POPOVICI, « Le nouveau Code civil et  les contrats d’adhésion », (1992) Meredith Mem. Lect. 137, p. 141, citée par Brigitte LEFEBVRE, «Le contrat d’adhésion», (2003) 105 R. du N., p. 474. En common law, pour que le cocontractant soit considéré lié, le vendeur doit avoir pris des mesures pour que ce dernier connaisse les termes du contrat, De telles mesures doivent être raisonnables et, si  le  vendeur  établit  qu’il  a  pris  de  telles  dispositions,  l’acceptant  ne  pourra  pas  se  rétracter.  Le consentement  est  alors  valable.  Voir  notamment  l’arrêt  Parker  v.  South Eastern Rwy Co.,  (1877)  2 C.P.D. 416. 

50   Sylvette GUILLEMARD, « Les clauses abusives et leurs sanctions. La quadrature du cercle », (1999) 59 Revue du Barreau, p. 381. 

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liste  contenue  dans  la  Directive  européenne  sur  les  clauses  abusives  décrit  parmi  les clauses  pouvant  constituer  un  abus,  celles  « […]  ayant  pour  objet  ou  pour  effet  […]  de supprimer  ou  d’entraver  l’exercice  d’actions  en  justice  ou  des  voies  de  recours  par  le consommateur »51. En droit québécois cependant, une nuance  importante  issue de  l’arrêt United  European  Bank  and  Trust  Nassau  Ltd.  c.  Duchesneau  doit  être  considérée  dans l’appréciation  de  la  sanction  des  clauses  abusives  lorsque  celles‐ci  concernent  l’élection d’un for :  

Le  fait  que  le  législateur  ait  adopté  une  règle  particulière  de  droit  international privé,  qui  rend  inopposable  aux  consommateurs  sa  renonciation  à  la  compétence des autorités québécoises  (Art.  3117 et 3149 C.c.Q.)  et qu’il n’ait pas  jugé utile ou nécessaire d’en faire autant pour protéger l’adhérent à un contrat d’adhésion, est un indice sérieux que le législateur a délibérément choisi de ne pas faire d’exception ou de règle particulière de droit international privé en faveur de l’adhérent. Le silence du  législateur  est  d’autant  plus  frappant,  voire  significatif,  que  les  dispositions  du Code  civil  concernant  la  clause  externe  (art.  1435  C.c.Q.),  la  clause  illisible  ou incompréhensible  (art.  1436  C.c.Q.)  et  la  clause  abusive  (art.  1437  C.c.Q.) s’appliquent  tant  au  contrat  de  consommation  qu’au  contrat  d’adhésion.  Or,  le législateur  adopte une  règle d’exception propre  au  contrat  de  consommation  sans l’imposer  au  contrat  d’adhésion.  L’omission  est  manifestement  volontaire,  ce  qui impose au tribunal québécois de s’abstenir de vérifier le caractère abusif de la clause d’élection de for.  En somme, en présence d’une clause compromissoire ou de for claire,  l’examen du tribunal  québécois  consiste  essentiellement  à  qualifier  la  nature  du  recours  et  à vérifier si des règles particulières du droit  international privé trouvent application en  fonction  de  la  qualification  juridique  retenue.  S’il  ne  se  trouve  aucune  règle particulière, l’analyse est, en principe terminée [Nos italiques]52. 

 26.  De ce qui précède et, nonobstant la nuance relative à la sanction en droit québécois de la clause abusive dans les contrats d’adhésion, il semble rester peu de cas où le ciblage contractuel  produira  tous  ses  effets.  Les  incertitudes  liées  à  l’acceptation  en  ligne  des clauses  d’élection  de  juridiction  ou  de  loi53  et,  pire,  la  préséance  des  règles  impératives nationales  sur  le  choix  des  parties,  laissent  subsister  les  risques  auxquels  le cybercommerçant est exposé dans le commerce électronique : risques d’être attrait devant des juridictions étrangères ; risques de devoir se conformer, simultanément peut être, à des règles  d’ordres  juridiques  étrangers.  Une  gestion  effective  de  ces  risques  incline,  non  à combiner  le  ciblage  contractuel  à  d’autres  mécanismes,  mais  à  le  délaisser  au  profit  de solutions  alternatives  exclusives.  La  raison  en  est  fort  simple :  les  règles  d’application nécessaire  se  poseront  toujours  comme  un  incontournable  qui,  en  limitant  le  choix  des parties, fragilise toute approche dualiste. La solution idoine, à notre avis, est celle qui survit 

51   Directive  93/13/CEE  du  Conseil  du  5  avril  1993  concernant  les  clauses  abusives  dans  les  contrats 

conclus avec les consommateurs, paragraphe q). 52   United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau, 2006 QCCA 652 (CanLII), 2006 QCCA 652. 53   À cet effet, voir aussi M. GIEST, op. cit., note 15, p. 49 et suiv.  

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à  ces  règles  impératives.  En  la matière,  le  ciblage  technologique  emporte  satisfaction,  le ciblage par la connaissance réelle ou implicite n’étant alors qu’un élément accessoire dans les opérations d’ordre contractuel.   2.  La force du ciblage technologique  27.  L’importance  du  ciblage  technologique  dans  la  gestion  préventive  des  conflits  de juridiction peut être restituée à la lumière de l’affaire Hyperinfo Canada Inc. portée devant les  tribunaux québécois en 2001. L’instance était  relative à  l’usage de  la  langue  française dans  le  cyberespace. Pour mémoire,  l’Office de  la Commission de protection de  la  langue française – ci‐après désigné « la Commission » – avait reçu une plainte à l'effet qu'une firme québécoise – Hyperinfo Canada  Inc.,  dont  le  siège  social  et  la place d'affaire  sont  situés à Hull, province de Québec – exploitait un site Internet commercial unilingue anglais. Après examen,  la  Commission  a  fait  parvenir  une  missive  à  l’entreprise,  dans  laquelle  elle l’informait que la publicité commerciale diffusée sur le Web devait être faite en français, en conformité avec  l’article 52 de  la Charte (québécoise) de  la  langue  française. Moins d’une semaine  après, Hyperinfo  Canada  Inc.  assurait  à  la  Commission  qu’elle  avait  apporté  les correctifs  appropriés,  bien  que  dans  les  faits,  certaines  informations  de  son  site  Web demeuraient en anglais, par exemple,  les  informations concernant  les stratégies d'affaires et  l'index  des  produits  offerts  en  vente.  En  réaction  à  la  mise  en  demeure  qui  suivit, l’entreprise décida de  fermer, puis de  rouvrir  son  site Web en  y  inscrivant une «mise en garde» expresse selon laquelle les produits et services offerts par elle n’étaient pas destinés aux résidents du Québec, du fait de la Charte. Une programmation particulière installée sur le site Web empêchait d’ailleurs les personnes ayant une adresse électronique comportant un suffixe « .qc » de consulter ces pages Web.   28.  Sur le fond, la Cour relève d’abord la perméabilité du dispositif technique et précise, de manière  incidente,  que  ce  filtre  n'a  aucun  effet  sur  les  obligations  de  l’entreprise  eu égard  à  la  Loi.  Elle  analyse  ensuite  la  validité  de  la  « mise  en  garde  »  en  déterminant  si l’article 52 de la Charte de la langue française (selon les termes duquel « Les catalogues, les brochures,  les  dépliants,  les  annuaires  commerciaux  et  toute  autre  publication  de même nature doivent être rédigés en français ») est d’ordre public ou supplétif. La Cour parvient à établir une « présomption de caractère impératif », avant de conclure que :   

[…] l'article 52 de la Charte possède les attributs que l'on associe à une disposition d'ordre public […] En principe, il n'est pas permis à un individu de déroger soit par voie contractuelle ou par son action ou omission aux  dispositions d'une loi ayant un caractère  d'ordre  public.  […]  Dans  l'espèce,  le  législateur  avait  l'intention  de promouvoir  l'usage de  la  langue  française et de sanctionner  les manquements aux diverses obligations faites tant aux citoyens qu'aux corporations. En conséquence, il n'est pas possible de se soustraire à l'application d'une loi d'intérêt public.  

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La  mise  en  garde  apposée  par  la  défenderesse  n'a  pas  d'effet  juridique  et  ne constitue pas une dérogation valide à l'application de la Loi54.  

29.  Une  question  brûle  toutefois  nos  lèvres :  sans  doute,  Hyperinfo  Canada  Inc.  ne pouvait  écarter  contractuellement  une  règle d’application nécessaire,  en  l’espèce  l’article 52 de  la Charte de  la  langue  française, mais  le déploiement d’un  filtre  technologique plus rigoureux  que  celui  basé  sur  l’adresse  électronique  des  usagers  aurait‐il  pu  permettre  à l’entreprise  d’éviter  la  juridiction  québécoise55  et  cette  règle  impérative?  Pour  ébaucher une réponse à cette question, il importe de considérer une autre affaire (française, celle‐là) certes d’ordre pénal mais ô  combien  instructive dans  le débat qui nous occupe  :  l’affaire Yahoo! Inc.56, du nom du géant américain des portails sur Internet dont l’offre de services via  le  site  Web  Yahoo.com  incluait  un  service  d’enchère  entre  particuliers.  L'Union  des Étudiants  Juifs de France (UEJF) et  la Ligue Contre  le Racisme et  l'Antisémitisme (LICRA) avaient  fait grief à Yahoo!  Inc.  et à  sa  filiale Yahoo! France de  favoriser  la propagation de l'antisémitisme  par  la  présence,  sur  ce  site  d’enchère,  d’annonces  relatives  à  un  millier d’objets  comportant  des  emblèmes  nazis.  L’UEJF  et  la  LICRA  assignèrent  Yahoo!  Inc.  et Yahoo!  France  devant  les  tribunaux  français  afin  que  soient  ordonnées  les  mesures nécessaires pour empêcher cette exhibition‐vente sur l'ensemble du territoire français, les faits, selon eux, étant constitutifs d’une infraction à l'article R. 645‐1 du code pénal français. Les demanderesses ont dès lors pris pour acquis que « […] quelle que soit la législation du pays d'origine du site, le fait que ces contenus soient accessibles à des internautes français justifiait  que  le  Juge  français  prenne  une  décision  d'urgence  de  nature  à  faire  cesser  ce trouble  à  l'ordre  public  manifestement  illicite  »57.  Les  défenderesses  opposèrent  une exception d’incompétence au tribunal français, laquelle fut rejetée.  30.  À  l’instar  de  l’affaire Hyperinfo  Canada  Inc.,  l’affaire  Yahoo!  Inc.  soulevait  ainsi  la problématique  des  conflits  de  juridiction  dans  les  activités menées  dans  le  cyberespace. Mais  c’est  la  question  spécifique  du  droit  applicable  qui  retient  notre  attention, savoir, comment et pourquoi on a pu prétendre que  la  règle d’ordre public de  l'article R. 645‐1  du  code  pénal  français  pouvait  s’appliquer  aux  activités  cyberespatiales  d’une entreprise étrangère, en l’espèce, de droit américain ?   31.  A.  Bensoussan  évoque  trois  hypothèses58,  qui  recoupent  l’essentiel  des  approches envisageables en la matière : la première solution est en faveur de la compétence du droit du pays d’émission ou d'origine de l’activité. Dans cette conception, le droit domestique est envisagé  comme  la  source  règlementaire  naturelle  des  activités  qui  naissent  dans  son ressort.  L’initiateur  d’une  activité  cyberspatiale  devrait  donc  s’y  conformer,  mais  de manière  exclusive,  c’est‐à‐dire  sans  égard  aux  droits  des  pays  où  cette  activité  est 

54   Idem. 55   La  compagnie  Hyperinfo  Canada  inc.,  malgré  sa  tentative  de  ciblage  ne  pouvait  se  soustraire  aux 

dispositions de la Charte de la langue française en raison de son siège social qui est situé au Québec.  56   TGI Paris, référé, 22 mai 2000, UEJF et Licra c/ Yahoo! Inc. et Yahoo France.  57   Alain BENSOUSSAN, « Loi applicable et juridictions compétentes pour les sites Internet », Le Journal 

du  Net,  mars  2000,  en  ligne :  <http://www.journaldunet.com/juridique/juridique15yahoo.shtml> (Date d’accès : 07/02/2008). 

58   Alain BENSOUSSAN, loc. cit., note 57. 

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accessible,  et  pour  cause.  Compte  tenu  de  la  dimension  mondiale  du  cyberespace, reconnaître une force identique aux lois étrangères inclinerait les fournisseurs de contenus à  observer  tous  les  droits  de  la  planète,  toute  chose matériellement  impossible.  Suivant cette  approche,  la  défenderesse  dans  l’affaire Yahoo!  Inc.  n’aurait  donc  pas  été  inquiétée que  les  faits reprochés soient constitutifs d’une  infraction en France, ceux‐ci étant  légaux dans le pays d’origine, c’est‐à‐dire aux États‐Unis, en vertu du premier amendement de la Constitution américaine59. Dans l’affaire Hyperinfo Canada Inc., la défenderesse n’aurait pas pu échapper à l’article 52 de la Charte de la langue française, mais se serait soustraite aux lois des autres juridictions où ses activités étaient accessibles.   32.  A.  Bensoussan  oppose  toutefois  deux  objections  fondamentales,  qui  disqualifient cette approche :   

La  première  critique  porte  sur  l'usage  même  d'Internet,  vecteur  mondial  de diffusion d'une information et/ou d'une offre commerciale. Pourquoi une société qui commercialise  des  cigarettes  devrait‐elle  respecter  chaque  législation  de  chaque pays  du  monde  dans  le  cadre  de  ses  campagnes  de  publicité  «  analogique  »  et échapper à cette application par la simple utilisation de l'Internet ? […] La seconde critique est liée au risque de voir se développer des paradis informatiques où, sous couvert  d'une  législation  permissive,  viendraient  s'abriter  tous  les  sites  ailleurs illicites60. 

 33.  Ces  objections  ont  d’ailleurs  été  entérinées  par  la  Cour  d’appel  de  Paris  dans  une décision de 2004 relative à la même instance :  

[…] contrairement à ce que soutient la défense, la seule loi applicable ne saurait être celle du pays sur lequel le site est physiquement localisé, pas plus d'ailleurs que celle du pays où est  implanté  le  fournisseur d'hébergement ou  celle dont  la  société qui l'exploite  a  la  nationalité  ;  […]  lier  la  compétence  judiciaire  aux  critères  ci‐dessus énoncés  serait  de  nature  à  faciliter  toutes  délocalisations  dans  des  pays  à  la législation moins contraignante ou restrictive61. 

 34.  Dès lors, la seconde hypothèse retient la compétence du droit du pays de réception; Cette hypothèse a d’ailleurs fondé les prétentions des requérantes dans l’affaire Yahoo! Inc. Or,  si  elle  devait  être  retenue,  elle  donnerait  compétence  à  toutes  les  législations,  les activités  cyberspatiales étant potentiellement accessibles à partir de n’importe quel pays dans le monde.   35.  La troisième hypothèse, enfin, est relative à la compétence du droit du pays ciblé par l’initiateur  de  l’activité  cyberspatiale.  Ce  ciblage  peut  consister  à  choisir  les  juridictions 

59    Thibault VERBIEST, «Responsabilités sur Internet : loi applicable et juridiction compétente », L'Echo, 

16 novembre 2000. 60   Alain BENSOUSSAN, loc. cit., note 57. 61   CA Paris, 17 mars 2004, Timothy K.  et Yahoo!  Inc  c/ Ministère public, Asuiv. Amicale des déportés..., 

MRAP. 

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vers lesquelles ces activités seront dirigées. Il peut aussi consister à éviter les juridictions vers  lesquelles  l’on  ne  souhaite  pas  diriger  ses  activités.  Le  point  important,  toutefois, réside dans la compétence potentielle de toutes les juridictions lorsqu’aucune d’entre elles, en particulier, n’a été expressément ciblée. C’est cette approche qui, semble‐t‐il,  justifie  la compétence de la loi française dans l’affaire Yahoo! Inc., puisque la défenderesse n’avait pas ciblé  une  juridiction  particulière,  du moins  n’avait  pas  évité  la  juridiction  française62.  Le propos de la doctrine à ce sujet doit être rappelé :  

 Contrairement à ce que l'on a pu lire çà ou là,  le Juge français n'a pas a priori opté pour  la  théorie  de  la  loi  du  pays  de  réception.  En  optant  pour  une  telle  théorie  il aurait ipso facto fait interdiction au site Yahoo.com, fut‐il américain de poursuivre la diffusion de l'espace incriminé. Ce n'est pas la solution retenue par le Juge […] Il ne s'agit  donc  pas  d'imposer  le  droit  français  au  reste  du  monde  ni  de  remettre  en cause  la  licéité  aux  États‐Unis  de  tenir  des  propos  révisionnistes  ou  racistes  sous couvert  du premier  amendement qui  privilégie  la  liberté d'expression  sur  le  droit des tiers, mais d'aménager techniquement l'accès aux sites Web de telle manière à ce que ce qui est interdit dans un pays ne soit pas permis du seul fait de l'utilisation de l'Internet63. 

 36.  Mais  alors,  comment  Yahoo!  Inc.  aurait‐il  pu  ou  dû  diriger  ses  activités  vers  des juridictions en particulier ou éviter spécifiquement la juridiction française? Cette question, au fond, renvoie à celle que nous soulevions précédemment dans  le cas Hyperinfo Canada Inc.  La  réponse  qui  s’y  associe  est  induite  par  l’ordonnance même  du  juge  français  qui, certes, intervient en  l’espèce à  titre curatif, mais aurait pu être suivie dans une démarche préventive. L’ordonnance consiste en un aménagement technique visant « […] dissuader et à rendre impossible [sur le territoire français] toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux enchères d'objets nazis et de tout autre site ou  service qui constituent une apologie  du  nazisme  ou  une  contestation  des  crimes  nazis  »  [nos  italiques]64.  Mais  un ciblage ou un évitement technologique de nature à satisfaire  intégralement  les  termes de cette ordonnance est‐il possible? Non seulement Yahoo!  Inc.  répond par  la négative, mais l’entreprise  alarme  sur  les  conséquences  financières  disproportionnées  que  sa  mise  en œuvre  éventuelle  pourrait  susciter  à  son  égard,  outre  l’effondrement  du  réseau  Internet 

62   À la prétention selon laquelle ses services « […] s’adressent essentiellement à des internautes situés 

sur  le  territoire des États‐Unis d’Amérique »,  le  tribunal oppose  le  fait que «  […] Yahoo sait qu’elle s’adresse à des  français puisque, à une connexion à son site d’enchères réalisée à partir d’un poste situé en France, elle répond par l’envoi de bandeaux publicitaires rédigés en langue française ». TGI Paris,  référé,  20  novembre  2000, UEJF,  LICRA  et MRAP  (intervenant  volontaire)  c/  Yahoo  !  Inc.  et Yahoo France. 

63   Alain BENSOUSSAN, loc. cit., note 57. Cette approche a reçu une certaine confirmation dans un arrêt du 12 janvier 2006 de la Cour d’appel fédérale du 9e circuit de Californie portant sur le même litige. Dans  cet  arrêt,  le  juge  américain  s’appuie  sur  la  portée  géographique  des  restrictions  imposées  à Yahoo! Inc. et sur l’absence d’incidence sur le public américain pour conclure qu’il n’y a pas atteinte substantielle  au  droit  américain.  Il  évoque  par  ailleurs  la  nécessité,  pour  Yahoo!  Inc.,  de  ne  pas faciliter  la violation du droit  français. Voir à cet effet : Yahoo! Inc. v. La Ligue contre  le racisme, 433 F.3d 1199  (9th Cir.  2006),  en  ligne :  <http://www.e‐juristes.org/documents/yahoo‐13012006.pdf> (Date d’accès : 07/02/2008). 

64   TGI Paris, référé, 22 mai 2000, UEJF et LICRA c/ Yahoo! Inc. et Yahoo France.  

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lui‐même en tant qu’ « […] espace de liberté, peu réceptif aux tentatives de contrôle et de restriction d’accès »65.  37.  Le  tribunal  s’appuie  toutefois  sur  les  conclusions  d’un  collège  d’experts  (ci‐après désigné le « collège ») mandaté dans l’instance pour nuancer ces prétentions et restituer la faisabilité  d’un  tel  ciblage/évitement.  D’emblée,  cet  organe  consultatif  ad hoc  circonscrit l’enjeu technologique à deux niveaux :  

1)  connaître  l’origine  géographique  et  la  nationalité  des  internautes  désirant accéder à son site de vente aux enchères;  2) empêcher les internautes français ou connectés à partir du territoire français, de prendre connaissance de la description des objets nazis mis aux enchères, a fortiori d’enchérir66. 

   38.  Sur  la détermination de  l’origine géographique et  la nationalité des usagers,  il  faut d’abord  rappeler  les  caractéristiques  structurales  de  l’Internet,  qui  procède  de l’interconnexion  d’ordinateurs  ou  de  réseaux  nationaux,  régionaux  et  propriétaires.  Ces réseaux  utilisent  notamment  la  technologie  de  commutation  par  paquets  et  certains protocoles  communs  de  communication  dans  le  partage  de  leurs  ressources.  La commutation  par  paquets  permet  aux  données  acheminées  via  le  réseau  de  voyager  de manière  autonome,  c’est‐à‐dire  sans  l’impulsion  ni  le  contrôle  d’un  système  central. Concrètement, ces données sont fragmentées en paquets de 500 caractères environ grâce au protocole de communication TCP – Transmission Control Protocol.   39.  Chacun  de  ces  paquets  arbore  des  informations  relatives  à  son  origine  et  à  sa séquence. Le protocole  IP –  Internet Protocol  –  se charge ensuite de  leur  transport sur  le réseau  en  fonction de  l'adresse  IP du destinataire67.  Cette  adresse,  qui  est  au  cœur de  la localisation  des  usagers  dans  le  cyberespace,  est  généralement  notée  sous  la  forme  de quatre nombres entiers séparés par 3 points – par exemple 123.124.213.1 à 123.124.213.4 où les trois premiers nombres de chaque série désignent  le réseau. Le quatrième nombre identifie  les  ordinateurs  de  ce  réseau,  habituellement  de  manière  incrémentielle.  En théorie, ces adresses de 4 octets chacune – soit 32 bits – sont les seules que les ordinateurs 

65   TGI Paris, référé, 20 novembre 2000, UEJF, LICRA et MRAP  (intervenant volontaire) c/ Yahoo!  Inc. et 

Yahoo France. 66   Idem. 67   L'IANA (Internet Assigned Numbers Agency) est chargée de gérer les adresses IP au niveau mondial et 

attribue ces adresses uniques. Pour informations supplémentaires, consulter son site WEB à l’adresse suivante  : <www.iana.org>. Le développement fulgurant d’Internet – dont  la taille doublerait au six mois – conduit de plus en plus à l’épuisement des adresses IP à 4 octets. Dès lors, il est de plus en plus question d’une version 6 de ces adresses, c’est‐à‐dire à 6 octets. Elles seraient organisées par zone géographique ou par prestataire de service. Voir sur ce point, Bernard TUY, « IP version 6. Un nouvel Internet  Protocol »  en  ligne :  <http://www.urec.cnrs.fr/ipv6/IPv6.html>  (Date  d’accès : 07/02/2008). 

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du  réseau  reconnaîtront68. Aussi,  les  fournisseurs de  services  Internet  en procureront‐ils de  temporaires  à  leurs  clients  (au  contraire des  adresses  IP des  fournisseurs d’accès qui sont permanentes), cette allocation étant réalisée à partir de la banque d’adresses qui leur sont affectées par les autorités du Net. En pratique, l’arborescence suivante est de mise : « Le  micro‐ordinateur  d’un  internaute  reçoit  une  adresse  IP  attribuée  à  un  fournisseur d’accès  qui  appartient  à  un  sous‐réseau,  lequel  appartient  à  un  réseau  »69.  Le  collège  a observé que  cette arborescence  constitue un  indice‐clé dans  la  localisation géographique des usagers. Certaines organisations, relève‐t‐il, « […] maintiennent des bases de données permettant de  retrouver  les  coordonnées d’un  réseau, d’un  sous‐réseau,  d’un  routeur ou d’un  site  à  partir  de  son  adresse  IP  »70.  Quova71  et  NetGeo72  sont  de  ces  prestataires spécialisés. L’adjonction de leur méthode d’identification géographique (basée sur l’adresse IP)  à  une  éventuelle  déclaration  sur  l’honneur  relative  à  la  nationalité  ou  à  l’origine géographique des internautes offrirait, selon le collège, un taux de filtrage proche de 90%73. Non  seulement  le  tribunal  s’est‐il  satisfait de  ce  taux, mais  il  est parvenu à  la  conclusion qu’il n’y a pas de vide  technologique en matière de ciblage/évitement,  comme  l’a allégué Yahoo! Inc. Il n’a pas non plus été convaincu que les adaptations techniques requises pour sa  mise  en  œuvre  induisent  une  augmentation  notable  des  ressources  matérielles associées,  le ciblage technologique étant, de toute manière, déjà utilisé par Yahoo!  Inc. en matière publicitaire74.  40.  Une fois la nationalité ou l’origine géographique de l’internaute acquise, la seconde étape  consiste,  dans  le  cas d’un  évitement,  à  empêcher  l’action de  celui‐ci.  En  l’espèce,  il s’agissait  de  refuser  l’accès  aux  objets  nazis.  À  nouveau,  des  solutions  existent  et  sont 

68    En pratique, la mémorisation des adresses IP n’est pas évidente. Elles sont donc complétées par des 

adresses  littéraires.  L’appariement  entre  les  adresses  numériques  et  littéraires  se  fait  de manière automatique, par le biais de serveurs de noms de domaine. 

69   TGI Paris, référé, 20 novembre 2000, UEJF, LICRA et MRAP  (intervenant volontaire) c/ Yahoo!  Inc. et Yahoo France. 

70   Idem.  71   Voir : <http://www.quova.com/>.  72   Voir : <http://www.netgeo.com/>. 73   Des limites excistent, en effet, relativement à la localisation géographique par le moyen des adresses 

IP. Ces  limites naissent notamment du recours aux fournisseurs d’accès multinationaux et aux sites d’anonymisation pour des considérations de vie privée : « […] Le cas d’AOL est à cet égard significatif. AOL utilise les services du réseau UUNET. Les adresses IP dynamiques allouées par AOL apparaissent comme localisées en Virginie où se trouve le siège social UUNET. Dès lors,  les postes de travail des utilisateurs résidant sur le territoire français apparaissent sur la toile comme n’étant pas situés sur le territoire français. Il en est de même de plusieurs réseaux privés de grandes entreprises (intranet) où les adresses réelles sont encapsulées et  transportées de  telle manière que  l’adresse connue par  les sites  internet  est  celle  de  la  sortie  du  tunnel.  D’autres  exceptions  tiennent  au  désir  de  certains utilisateurs  de  dissimuler  leur  adresse  réelle  sur  le  net.  Ainsi,  se  sont  développés  des  sites d’anonymisation  dont  l’objet  est  de  remplacer  l’adresse  IP  réelle  d’un  utilisateur  par  une  autre adresse.  Il  n’est  pas  possible  dans  ce  cas  de  connaître  la  localisation  géographique  du  client  du fournisseur  d’accès  puisque  son  adresse  ne  peut  plus  être  connue.  La  seule  localisation  connue pourrait  être  celle  du  site  d’anonymisation  mais  cela  n’a  pas  d’intérêt  en  l’espèce  ».  Comme alternative, il a été suggéré d’obtenir une déclaration de nationalité des internautes dont l’adresse IP est  ambiguë. L’efficacité de  ce moyen alternatif demeure par ailleurs à  établir. TGI Paris, référé, 20 novembre 2000, UEJF, LICRA et MRAP (intervenant volontaire) c/ Yahoo! Inc. et Yahoo France. 

74   Idem. 

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d’ordre  technique.  Elles  s’envisagent  cependant  au  cas  par  cas,  comme  le  souligne  le collège :  

Les  mesures  à  prendre  dépendent  du  cas  d’espèce.  Elles  ne  peuvent  être généralisées  à  tous  les  sites  et  services  du  net  […]  Si,  à  l’issue  d’une  recherche opérée  à  partir  d’une  requête  lancée  par  un  internaute  français,  un  ou  plusieurs objets  nazis  décrits  comme nazis  par  leur  propriétaire  ont  été  sélectionnés  par  le moteur de recherche, ils doivent être dissimulés à l’internaute et exclus du résultat de  la  recherche.  Mais,  évidemment,  il  n’est  pas  possible  pour  Yahoo  d’exclure  a priori  des  objets  qui  n’auraient pas  été  décrits  par  leur  propriétaire  comme étant d’origine  ou  de  l’époque  nazie,  ou  dont  les  caractéristiques  n’auraient  pas  été portées  à  la  connaissance  de  Yahoo  […]  Une  solution  plus  radicale  est  également possible.  Il  suffirait  que  le  moteur  de  recherche  n’exécute  pas  les  requêtes, transmises  dans  l’url,  comportant  le  mot  " nazi "  et  émanant  des  internautes reconnus comme français ou déclarés comme tels75. 

 41.  Au demeurant, l’idée du ciblage technologique paraît de plus de plus présente dans le raisonnement des juges, soit par le biais d’une référence directe, soit d’une manière sous‐jacente. Les casinos virtuels et autres  jeux en  ligne semblent  être parmi  les domaines où s’exprime le plus cette technique. La problématique est la suivante : dans plusieurs pays, le jeu  et  les  paris  sont  règlementés  par  les  autorités  et  relèvent,  dans  certains  cas,  du monopole de sociétés d’État ou autres organismes publics.  Internet a rendu ce commerce plus lucratif en permettant à des entreprises d’offrir la possibilité à des internautes situés dans différents États ou sous d’autres juridictions de jouer en ligne. Du coup, ces activités violent le monopole public et deviennent illégales dans plusieurs pays. Dans l’affaire People v. World  Interactive  Gaming76  rendue  par  la  Cour  suprême  de  l’État  de  New  York,  une compagnie incorporée au Delaware détenait une filiale installée à Antigua, cette dernière y opérant  légalement  un  casino.  L’État  de  New  York  entama  des  poursuites  contre  la compagnie américaine au motif que celle‐ci et sa  filiale permettaient aux résidents de cet État d’accéder à son offre de jeu en ligne. La Cour, en reconnaissant que ces compagnies se livraient à une activité illicite dans l’État de New York, note :  

Furthermore, respondents engaged in an advertising campaign all over the country to  induce  people  to  visit  their website  and  gamble.  Knowing  that  these  ads were reaching  thousands  of  New  Yorkers,  respondents  made  no  attempt  to  exclude identifiable New Yorkers from the propaganda. 

 42.  Le  juge  ne  se  limite  donc  pas  à  la  seule  transaction  virtuelle,  mais  étend  le ciblage/évitement à  l’activité de promotion. Dans  l’espèce,  il  n’a pas cru en  l’efficacité du ciblage/évitement  basée  essentiellement  sur  l’auto‐déclaration  de  l’adresse  permanente des usagers. Car il suffisait aux résidents de l’État de New York à qui l’accès avait été refusé d’enregistrer une adresse située dans un autre État, pour pouvoir jouer.   

75    Idem. 76 People v. World Interactive Gaming, 714 N.Y.S.2d 844 (N.Y. County Sup. Ct. 1999).

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43.  Un problème similaire s’est posé en France et impliquait la société ZETURF LTD, de droit maltais, qui avait des activités de pari en ligne sur des courses hippiques auxquelles les internautes français pouvaient accéder77. Cette société a fait l’objet d’un recours intenté par  le GIE PARI MUTUEL URBAIN (P.M.U.) détenteur d’un monopole sur ce type de  jeu en France.  Dans  l’ordonnance  de  référé  qu’il  a  rendue  le  2  novembre  2005,  le  Tribunal  de Grande  Instance  de  Paris  a  fondé  sa  compétence  en  la matière  sur  la  réalisation  du  fait dommageable  en  territoire  français.  Le  tribunal  note  aussi  que  «  […]  les  informations  et activités  contenues  sur  le  site  sont  destinées  en  réalité  à  un  public  non  seulement francophone, mais résidant sur le territoire français ». Il a ainsi reconnu le caractère illicite de l’activité de prise de pari en ligne. Et, il est intéressant de noter les termes dans lesquels le  tribunal  s’exprime.  Il  justifie notamment  l’application de  la  loi  française «  […] dès  lors que  le service générateur du dommage est proposé aux  internautes résidant en France ». C’est d’une certaine  façon  la confirmation de  la compétence d’une  juridiction particulière dès lors que ses ressortissants ont été ciblés ou n’ont pas été évités. Le tribunal consacre l’importance de la technologie dans cette matière. Il ordonne ainsi : « […] de rendre l’accès au  site  www.zeturf.com  impossible  [aux  internautes  français]  tant  qu’y  sera  maintenue l’activité de paris en ligne». Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 14 juin 200678.   44.  Toutes  ces  décisions  reconnaissent  l’opportunité  pour  le  cybercommerçant,  dans une démarche de gestion de  risques, de bien cibler  les  juridictions et de s’assurer que  la technologie utilisée lui procure la plus grande étanchéité possible, car à défaut de le faire dans une démarche préventive, il pourrait se le faire imposer par le juge.        

77 GIE Pari Mutuel Urbain c/ Société de droit maltais Computer Aided Technologies, société de droit maltais

Bell Med Limited, Tribunal de Grande Instance de Paris, 2 novembre 2005. 78 Société Bell Med Limited, société Computer Aided Technologies Limited c/ GIE Pari Mutuel Urbain, Cour

d’appel de Paris, 14 e Chambre – Section A, 14 juin 2006.

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Conclusion  45.  Au total, il faut retenir la force du ciblage/évitement technologique comme outil de gestion des risques de conflits de juridiction dans le cyberespace. Certes, il n’est pas absolu, mais peut être faut‐il croire que l’affinement des méthodes de filtrage offrira des résultats au‐delà  des  90%  obtenus  à  l’époque  de  l’affaire  Yahoo!  Inc.  Qui  plus  est,  le ciblage/évitement  technologique  tire  une  certaine  sanction de  l’autorité  judiciaire  qui  l’a formulé à titre curatif, mais nécessairement aussi à titre préventif. Sa force découle enfin de la  faculté qu’il offre, en matière contractuelle notamment, d’empêcher  la naissance même de  l’acte  juridique  dans  les  juridictions  non  ciblées,  prévenant  de  fait  tout  conflit  de juridiction, y compris  l’application d’éventuelles règles  impératives. Dès  lors,  le recours à des moyens complémentaires à l’exemple du ciblage par la connaissance réelle ou implicite (généralement  induite  par  divers  facteurs,  tels  une  «  mise  en  garde  »  relative  aux juridictions ciblées, comme dans le cas Hyperinfo Canada Inc., la langue ou la devise utilisée, etc.) n’acquiert qu’un caractère purement formel, voire accessoire, en matière contractuelle tout au moins.   46.  Du  reste,  nonobstant  sa  force,  il  n’est  pas  certain  que  le  ciblage/évitement technologique puisse permettre à un fournisseur de contenu ou à un cybercommerçant, par exemple Hyperinfo Canada Inc., d’échapper à son droit domestique. Il y va notamment des prérogatives  traditionnelles  des  lois  nationales  eu  égard  aux  personnes,  physiques  ou morales,  relevant  de  leur  territoire.  Ce  droit  risque  de  se  conjuguer  avec  celui  des juridictions ciblées technologiquement.   47.  Il  est  indéniable  que  le  ciblage/évitement  technologique  présente  des  avantages certains pour le commerçant en le mettant à l’abri de poursuites provenant de tout pays, y compris  de  ceux  auxquels  il  n’avait  jamais  pensé  et  contre  lesquelles  il  est mal  préparé (compte  tenu  de  la  grande  diversité  des  législations).  Ce  procédé  a  certes,  le  défaut  de priver  le  commerçant  de  la  pleine  jouissance  du  monde  sans  frontières  offert  par cyberespace.  Mais  il  s’agit  là  d’un  moindre  mal.  La  prévisibilité,  qui  en  découle  et  qui influence certainement les coûts liés à la gestion de risques, est un aspect important que le commerçant  (petite ou moyenne entreprise notamment),  souhaitant  tenter  l’aventure du commerce électronique, ne peut négliger.  48.  Par  ailleurs,  il  est  possible  d’adjoindre  à  la  formule  du  ciblage/évitement technologique un procédé consistant en un formulaire de déclaration sur l’honneur, que le client  souhaitant  contracter  serait  tenu  de  signer  avant  l'engagement  dans  la  relation contractuelle. Par ce formulaire, le client attesterait qu'il entre bien dans la catégorie ou le lieu  géographique  ciblé.  Il  serait  dès  lors  difficile  pour  une  personne non‐ciblée  d'entrer dans  la  relation  juridique,  à  moins  qu'elle  n'use  de  mauvaise  foi,  ce  qu'une  juridiction quelconque  ne  manquerait  pas  de  relever.  Une  protection  supplémentaire  de  ce  genre pourrait utilement compléter le filtrage par voie technologique. 

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