discours magtinale de l'économie

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Page 1 sur 8 Matinale de l’économie Assemblée Nationale Jeudi 15 mai 2014 - Hôtel de Lassay Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs les journalistes, Mesdames, Messieurs, Bienvenue à l’Assemblée nationale pour parler d’économie. Le 26 septembre 1786, les ministres des affaires étrangères de George III et de Louis XVI signaient un accord commercial, un accord de libre-échange entre la France et la Grande-Bretagne qui fit date. Les débuts de la révolution industrielle purent alors se diffuser plus aisément entre nos deux pays en favorisant la mécanisation, la division du travail, la rationalisation des unités de production. La production de masse s’annonçait. Les élites, les économistes, les personnalités politiques, au cœur de Lumières, se félicitaient de ces sages et responsables dispositions qui donnèrent un coup d’innovation et de modernité à nos économies. Ils incitèrent les structures corporatistes existantes à se réformer pour faire face aux nouveaux impératifs de la compétitivité de cette première mondialisation naissante. Quelques mois plus tard, le 27 avril 1789, les ouvriers du faubourg Saint-Antoine prirent d’assaut violemment la fabrique de papiers peints Réveillon. Les machines anglaises condamnaient au chômage ces premiers nostalgiques du made in France. Les mêmes prirent la Bastille trois mois plus tard. Les négociations actuelles entre l’Europe et les Etats-Unis relatives à l’accord de libre-échange pour un Grand Marché Transatlantique m’évoquent ce moment de notre Histoire. Qui avait tort ? Les élites économistes voulaient moderniser

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Matinale de l’économie Assemblée Nationale

Jeudi 15 mai 2014 - Hôtel de Lassay

Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs les journalistes,

Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale pour parler d’économie.

Le 26 septembre 1786, les ministres des affaires étrangères de George III et de

Louis XVI signaient un accord commercial, un accord de libre-échange entre la

France et la Grande-Bretagne qui fit date. Les débuts de la révolution

industrielle purent alors se diffuser plus aisément entre nos deux pays en

favorisant la mécanisation, la division du travail, la rationalisation des unités de

production. La production de masse s’annonçait. Les élites, les économistes, les

personnalités politiques, au cœur de Lumières, se félicitaient de ces sages et

responsables dispositions qui donnèrent un coup d’innovation et de modernité à

nos économies.

Ils incitèrent les structures corporatistes existantes à se réformer pour faire face

aux nouveaux impératifs de la compétitivité de cette première mondialisation

naissante. Quelques mois plus tard, le 27 avril 1789, les ouvriers du faubourg

Saint-Antoine prirent d’assaut violemment la fabrique de papiers peints

Réveillon. Les machines anglaises condamnaient au chômage ces premiers

nostalgiques du made in France. Les mêmes prirent la Bastille trois mois plus

tard.

Les négociations actuelles entre l’Europe et les Etats-Unis relatives à l’accord de

libre-échange pour un Grand Marché Transatlantique m’évoquent ce moment

de notre Histoire. Qui avait tort ? Les élites économistes voulaient moderniser

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leur pays, bien sûr, ils avaient raison. Les ouvriers, en détruisant les machines,

avaient-ils tort alors ? Mais la souffrance n’est-elle pas un absolu ? Et la

démocratie moderne, les objectifs d’égalité, de liberté, ne sont-ils pas nés dans

les rues de Paris en 1789 pour conquérir ensuite le monde ? Il n’y a pas de vérité

dans cette Histoire, personne n’avait tort.

La conciliation de la croissance future et de la souffrance présente, objet de nos

veilles, est chose compliquée. Il faut consulter, il faut réfléchir, il faut, c’est vrai,

ensuite, décider.

C’est pourquoi nous avions eu le plaisir, le 21 février 2013, en partenariat avec

JECO, d’organiser la 1ère Matinée de l’économie à l’hôtel de Lassay, autour de

deux tables rondes, dont les sujets étaient « Quel avenir et quels leviers pour

notre industrie ? » et « Comment construire la croissance en France ? ». Les

députés étaient confrontés à des économistes, des experts et des acteurs

économiques pour y voir plus clair sur ces questions fondamentales. Le succès

fut au

rendez-vous, avec 400 personnes qui ont honoré de leur présence ce grand

moment d’échanges.

Aujourd’hui, 15 mai, nous organisons donc une deuxième édition. Après le

modèle de croissance, voici le modèle social ! En effet, l’âpreté de la

mondialisation, la cruauté des concurrences pures et parfaites, les nécessités

d’une réduction drastique de nos endettements publics, conduisent à poser avec

fermeté les limites d’un périmètre que nous voulons voir demeurer à l’action

publique.

C’est, en d’autres termes, nous interroger sur les moyens et les méthodes pour

sauver et pérenniser notre modèle social.

D’où les sujets des tables rondes de ce deuxième événement.

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La première sur « Réduire la dépense publique sans freiner la croissance », une

deuxième sur « Quel avenir pour l’Etat providence ».

Les invités sont à la hauteur de l’importance de ces questions et ne tremblent

pas, je suis sûr, devant la difficulté de leur tâche ! Je salue ici Patrick Artus,

qu’on ne présente plus et Selma Mahfouz (Commissaire adjoint à la stratégie et

à la prospective) ; Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de Force Ouvrière,

Yann Algan, Professeur d'économie à Sciences Po, François Bourguignon,

Directeur d'études à l’EHESS et Raymond Soubie, Président de sociétés. Nous

avons tenu à ce que des députés de tous les bancs confrontent leurs certitudes,

leurs doutes et leurs expériences à de telles personnalités. Ce sera le rôle de mes

collègues Valérie Rabault, toute nouvelle rapporteure générale du budget à

l'Assemblée nationale, et Henri Guaino, à qui je souhaite bonne chance !

Un grand merci enfin aux journalistes qui ont bien voulu prendre de leur

précieux temps pour modérer, animer et orienter les débats qui promettent d’être

vifs et passionnés.

Cette manifestation est très importante pour l’engagement de la représentation

nationale dans le compromis que l’actuelle majorité cherche à trouver entre

croissance et dépenses, entre sauvetage du modèle social et désendettement.

C’est le défi de cette majorité, mais c’est le défi de tout le monde, de nos grands

pays engagés dans cette bataille du nouveau monde.

Elle est importante car elle révèle un dialogue nécessaire pour trouver des

solutions (I), elle nous engage à nous poser la question du sauvetage de

notre modèle social (II), et, enfin, elle nous incite à suspendre quelques

instants le fil du temps pour que l’on réfléchisse, que l’on se demande si un

discours social est encore possible, et vous imaginez que la réponse est oui,

que ce oui, c’est vers l’Europe qu’il regarde, et c’est l’Europe qu’il veut

changer (III).

I – La nécessité du dialogue tout d’abord

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On a dit, souvent, que les personnalités politiques n’écoutaient pas assez les

économistes. On a dit, et on le dit encore malgré l’éclatant démenti des faits, que

les femmes et hommes politiques de gauche, ou du camp progressiste,

manquaient de formation économique, n’étaient pas assez contraints par

l’évidence du réel que seule l’étude de l’économie permettrait.

Bien sûr, je crois cette impression fausse. Je la crois fausse car je suis convaincu

que les hommes politiques non seulement font beaucoup d’économie, étudient

sérieusement et rigoureusement l’économie, mais je crois qu’ils aiment

l’économie. Je la crois fausse parce que je n’oppose jamais le réel à l’idéal.

Aimer les idéaux, c’est aimer le réel. Aimer les idéaux, ce n’est pas ignorer les

mécanismes de fonctionnement d’une société, ignorer l’ingénierie productive

d’une économie, ignorer les rapports de force, les conséquences des phénomènes

de rareté, les contraintes qui pèsent sur les décisions politiques. Pas du tout !

Aimer les idéaux, c’est prendre une société et ne pas se satisfaire de voir des

mécanismes produire des souffrances et des injustices. L’économie s’étudie,

beaucoup, longtemps. Mais, et c’est cela qui fonde notre action, nos veilles et

nos sueurs, l’économie se corrige, l’économie s’améliore ! La politique prime et

primera toujours car la politique organise les méthodes de choix collectifs puis

les applique. Elle structure le champ des possibles et change la vie.

Tout cela pour dire quoi ? Tout cela pour dire que l’économie sans la politique

opprime. Pour dire que la politique sans l’économie égare.

Que seuls les rapports entre économie et politique peuvent éclairer un chemin et

réunir les conditions d’un choix apaisé et informé. C’est pourquoi je me réjouis

de vous voir ici tous rassemblés.

II - Sauver notre modèle social. C’est en effet l’objectif de la politique

économique du gouvernement

Sauver notre modèle social, c’est un souhait, c’est une nécessité, c’est une

urgence. Pour paraphraser le général de Gaulle, on se fait tous une certaine idée

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de la France. Franchement, les yeux dans les yeux, voyez-vous cette certaine

idée compatible avec le démantèlement de notre modèle social ? Croyez-vous

que les facteurs de résistance à la crise que l’économie française révèle depuis

2008 ne sont pas directement liés à notre modèle social ? Les entreprises

internationales qui s’installent en France cherchent des transports de qualité et

accessibles, des écoles pour leurs employés, des cinémas, des théâtres, une vie

culturelle. Elles associent la France à quelques idées simples. Et pour les

résidents, qu’auraient été les conséquences de la crise en l’absence des

prestations sociales, des aides au logement, des aides à la construction, des

assurances chômage ?

Comment aurait évolué la cohésion sociale si l’Etat ne s’occupait pas de

préserver un jeune ou un sénior qui tombe au chômage de la faim, du froid et de

l’isolement ?

Qu’aurait concrètement été la réaction de l’économie sans les aides aux

entreprises, les réductions de cotisations pour relancer l’activité ? Je sais, une

frange de plus en plus importante des acteurs politiques et économiques

modernes ont une tendance aussi facile que paresseuse à confondre souffrance et

assistance. Après trente ans de réflexion, d’observation, de dialogue avec les

forces économiques sur ce sujet, je vous assure que l’ingénierie économique

d’incitation de retour à l’activité existe, et que si l’Etat ne s’occupe pas de

quelqu’un qui ne peut plus manger, qui ne peut plus se chauffer, qui ne peut plus

tisser de liens avec ses semblables, alors c’est l’Etat qui n’est pas responsable et

c’est nous tous qui sommes condamnables.

Un homme qui a faim n’est ni un assisté ni un condamné, ni une case

économique. C’est un homme qui a faim, et c’est notre problème.

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Le débat de ce matin permettra, j’en suis sûr, d’admirer le crépuscule de

certaines idoles qui depuis trop longtemps entravent la créativité de notre pays.

Non, la gauche n’a plus de problème depuis longtemps avec la compétitivité !

C’est ce que j’ai toujours dit aux chefs d’entreprise : votre argent m’intéresse !

Plus vous gagnez d’argent, plus vos employés travailleront dans de bonnes

conditions, plus la croissance irriguera le pays. Il y a une loi d’airain dans

l’histoire de l’économie mondiale : les services publics sont d’autant plus de

qualité que les entreprises sont florissantes ! Avez-vous déjà vu de belles écoles,

des hôpitaux ultra-modernes dans des friches économiques et

désindustrialisées ? Bien sûr que non.

Mais attention, notre économie doit aussi se protéger des faucons ultralibéraux

qui utilisent ce discours non pas pour créer du souffle et de la souplesse pour

l’action entrepreneuriale, mais pour externaliser l’assistance et faire en sorte que

les puissances de la rente récupèrent les actifs publics.

Les mêmes n’ont également de cesse de ne voir le salut de la régulation du

capitalisme actionnarial que dans ce qu’ils appellent une régulation du rapport

salarial aux nécessités de la productivité, c’est-à-dire la flexibilité managériale,

prélude à l’essor que l’on connaît de la souffrance au travail.

III - Peut-on sauver le discours social ?

Oui, nous devons sauver le discours social. A défaut de cette entreprise de salut

social, la désespérance gagnera nos concitoyens.

Pour combattre les faucons que je viens de mentionner, plusieurs pistes me

semblent exploitables. La fin de l’obsession de certains chiffres insincères,

comme le taux de prélèvement obligatoire. Le taux de PO doit cesser d’être

l’épouvantail des économistes. Un exemple : les dépenses de santé s’élèvent à

12 % du PIB en France et à plus de 17 % aux Etats-Unis. Les américains

affichent peut-être un taux de PO plus bas dans les comparaisons internationales,

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mais, dans la réalité, payent beaucoup plus de dépenses obligatoires en matière

de santé. Si vous payez en mutuelle privée dans un autre pays trois fois ce que

vous payez en France par la cotisation sociale, le taux de PO plus bas est une

imposture.

Stigmatiser l’impôt n’est pas économiquement responsable.

A-t-on encore le droit d’espérer en France ? Oui, plus que jamais. Pour revenir

aux débuts de mon propos, le droit d’espérer en France passera par le droit de

changer l’Europe.

Changer l’Europe, pour que la politique économique européenne ne soit pas un

poids, mais un atout pour les conditions d’existence du peuple européen.

Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, tout le monde le sait. Les cartes sont rebattues,

les choses changent ! Lisons les derniers rapports du FMI Taxing times du 10

octobre 2013, lisons son rapport budgétaire semestriel de ce 9 avril. L’austérité

thatchérienne, c’est fini ! L’obsession de l’inflation, du matraquage fiscal, du

recul des services publics, c’est fini même à Washington !

Changer l’Europe, pour sauver l’euro, pour le rendre irréversible. L’abandonner

ne résoudrait rien et renchérirait soudainement nos importations et nos produits

énergétiques.

Changer l’Europe, pour disposer d’une Commission forte et résolue, moderne et

populaire pour qu’elle puise dans cette force et dans cette popularité la légitimité

de s’engager dans des négociations commerciales internationales conformes à

nos intérêts économiques.

C’est le cas pour le traité de libre-échange transatlantique que nous avons

évoqué, auquel il faut adjoindre l’exclusion des services audiovisuels et

culturels, la préservation des préférences collectives, et celle de la capacité de

nos Etats à réguler.

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Changer l’Europe, pour construire des cohérences fiscales qui atténueraient ce

dumping absurde qui incite à s’engager dans une guerre civile économique

européenne. Le dumping fiscal est à l’Europe ce que l’absinthe est à la poésie :

elle semble stimuler mais à la fin, le poète meurt et l’Europe meurt.

Changer l’Europe, pour conclure, enfin, un pacte d’investissement qui nous

manque tant. Une Europe détachée de ses tristes obsessions inflationnistes,

proche de la production, proche des producteurs, en un mot proche de son

peuple.

Ces changements, ces modernisations, ces avancées vers la réalité de demain,

nos échanges, vos contributions, vos intelligences, y seront pour beaucoup.

Merci.