critiques de l'économie politique

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Critiques de l'économie politique

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Critique de la théorie du

« capitalisme monopoliste d'Etat »

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LIVRES « CRITIQUES DE L'ECONOMIE POLITIQUE »

Hugues Bertrand, Le Congo. Problèmes de la formation écono- mique.

N. Boukharine, E. Préobrajensky, L. Trotsky, Le débat soviétique sur la loi de la valeur, 1972.

N. Boukharine, L. Kamenev, E. Préobrajensky, L. Trotsky, La question paysanne en U.R.S.S. (1924-1929), 1973.

Jean-Luc Dallemagne, La politique économique bourgeoise, 1972. Jean-Luc Dallemagne, L'inflation capitaliste, 1972. Roman Rosdolsky, La genèse du « Capital » chez Karl Marx. Pierre Salama, Le procès de « sous-développement », 1972 ; réédi-

tion, 1976.

Léon Trotsky, Sur la nature de l'U.R.S.S. (Textes présentés et rassemblés par J.-L. Dallemagne.)

J.M. Vincent, J. Hirsch, etc., L'Etat contemporain et le marxisme.

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Bruno Théret Michel Wieviorka

Critique de la théorie

du « capitalisme monopoliste d'État »

FRANÇOIS MASPERO 1, place Paul-Painlevé, V PARIS 1978

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© Critiques de l 'économie politique, Paris, 1978. ISBN 2-7071-0978-9

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Avant-propos

Ce livre a été écrit, pour l'essentiel, en 1975-1976. En matière économique, la théorie du capitalisme monopoliste d'Etat consti- tuait alors pour certaines questions, en particulier celle de l'urbain, le seul discours de gauche consistant, apparemment solide comme un roc.

C'est de cette solidité apparente que nous sommes partis. Bruno Théret et moi-même, pour découvrir des faiblesses, des affirmations non démontrées, une dénaturation fréquente des concepts sur lesquels ladite théorie prétend se fonder, mais aussi une forte cohérence tenant au projet politique sous-jacent à ses développements « scientifiques ».

De ce texte, déjà fruit de compromis entre nous deux, je me sens aujourd'hui distant, en rupture même parfois, ce qui appelle, à défaut de plus amples éclaircissements, un minimum d'explica- tions.

La critique marxiste de l'intérieur, celle qui prend pour objet des discours ou une pratique sociale ou politique dont elle conteste la légitimité à se dire marxistes ne peut aboutir qu'à un certificat d'authenticité ou à un constat de falsification ou de révision- nisme. En considérant les écrits d'économistes communistes qui prétendent assurer la continuité de l'œuvre de Marx, et en les comparant, précisément, avec les textes de Marx sur lesquels ils fondent leurs démonstrations, nous ne pouvions guère échapper entièrement à la logique du genre, même si nous nous efforçons par moments de nous dégager du caractère interne de la critique que nous proposons.

Nous nous sommes placés sur le terrain même sur lequel se situe la théorie du capitalisme monopoliste d'Etat. Aux théoriciens du P.C.F. qui réduisent les rapports sociaux à des rapports écono- miques et, souvent, de propriété, nous répondons par un discours économique, sinon économiste. A ces idéologues qui ramènent la lutte des classes à l'opposition du peuple de France à quelques monopoles, nous opposons une vision des rapports de classes conçue à partir des rapports de production où s'affrontent prin- cipalement bourgeoisie et classe ouvrière. Même si, dans ce texte, les rapports sociaux ne sont pas exclusivement définis en termes économiques, tout y est pourtant centré sur les concepts de plus-

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value, de taux de profit ou d'exploitation capitaliste, tout est tendu par l'idée d'un conflit central entre une bourgeoisie exploi- teuse et un prolétariat exploité. Prolétariat que nous avons de surcroît évoqué, explicitement ou implicitement, de façon idéa- liste et bien trop souvent stéréotypée, en des termes qui sont ceux de l'acteur ou de l'organisation et non de l'analyste. Ce qui s'explique par l'objet même de notre travail mais qui ne me paraît plus acceptable. Pour diverses raisons, empiriques et théo- riques, je suis aujourd'hui convaincu que le conflit central de notre société, celui qui définit les rapports de classes, n'est plus, ou plus seulement celui qui oppose classe ouvrière et bourgeoisie. Mais il y a plus.

Déjà dans ce livre nous butons sur un obstacle que nous signa- lons, en l'éludant, par une note en bas de page : trouve-t-on chez Marx les éléments permettant d'unifier les deux ordres qui défi- nissent la contradiction entre forces productives et rapports de production ? A cette question, dont la réponse détermine l'adhé- sion ou le rejet du marxisme sur des bases théoriques, Bruno Théret pense pouvoir répondre par l'affirmative — je renvoie à son article paru dans le n° 1 de la nouvelle série de la revue Critiques de l'économie politique. A mon sens l'unification en question ne peut s'opérer, dans une perspective marxiste, qu'à travers une philosophie de l'histoire qui n'a plus rien à voir avec l'analyse sociologique ou économique. Notons bien au passage que sur ce point précis de la contradiction entre forces produc- tives et rapports de production, les type="BWD" du P.C.F. ne peu- vent être accusés de falsification, mais plutôt de dogmatisme étroit et simplificateur.

En refusant désormais ces catégories d'analyse je sors nécessai- rement du champ du marxisme, me trouvant ainsi dans la position paradoxale de proposer une critique essentiellement interne d'une théorie qui relève à mes yeux d'une critique externe.

Un tel paradoxe aurait pu me conduire à ne pas m'associer à la publication de ce livre, à nier le travail commun au nom d'une évolution personnelle récente. Mais faut-il séparer de façon tranchée ces deux types de critiques ? Nous démontrons que le discours des économistes du P.C.F. est fort éloigné des écrits théoriques auxquels il se réfère, que ses prétentions scientifiques ne sont que rhétorique et idéologie. Mais à mon sens ce discours se situe dans une tradition politique incontestablement marxiste. Ce qui veut dire que notre critique interne devrait apporter aussi des éléments à une critique externe dont je regrette, simple- ment, qu'elle n'apparaisse ici que comme un sous-produit.

Michel WIEVIORKA octobre 1977

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Introduction

Ce texte a un objet simple et précis, la mise en cause de ce qui, dans le discours politique et scientifique du P.C.F., se veut l'ex- pression théorique la plus avancée, la seule pertinente et authen- tiquement marxiste rendant compte des réalités du capitalisme contemporain : la théorie du « capitalisme monopoliste d'Etat » — le « C.M.E. ».

Curieuse théorie, en vérité, dont on trouve partout l'affirmation de la justesse et la validité, mais dont on ne parvient nullement à trouver une élaboration sous une forme achevée.

D'un côté, en effet, d'innombrables écrits qui s'en réclament comme d'une vérité scientifique incontestable, dûment démontrée. Et ce aussi bien dans la presse populaire du P.C.F. que dans ses publications destinées à un public d'intellectuels que l'on suppose exigeants ; aussi bien dans le discours des dirigeants politiques et des militants que dans la production de chercheurs que l'on sait rigoureux ou scrupuleux, en particulier dans le domaine de la recherche en sociologie urbaine 1

De l'autre côté, seule expression quelque peu élaborée de ladite théorie, un ensemble d'articles de Paul Boccara, réunis dans une publication 2 où, en définitive, on ne propose jamais rien d'autre au lecteur qu'une « délimitation approximative de la question » (p. 21), un traitement « à grands traits » (p. 214), « quelques pré- cisions » (p. 293). La section économique du comité central du P.C.F. a bien produit un Traité marxiste d'économie politique, le Capitalisme monopoliste d ' E t a t ; cet ouvrage, en fait, a pour fonction essentielle de vulgariser et développer empiriquement les principales propositions de Boccara.

C'est donc ici de ces propositions qu'il s'agit, de leur cohérence, de leur logique interne, de leur adéquation à la réalité dont elles

1. Cf. par exemple les travaux de chercheurs proches du P.C.F. comme Lojkine, Preteceille, Topalov, Ascher, Godard et même Castells, etc., qui tous font référence à la théorie du « C.M.E. » sans marquer la moindre hésitation à son égard.

2. P. BOCCARA, Etudes sur le capitalisme monopoliste d'Etat, sa crise et son issue, Editions sociales, 1973, 450 p.

3. Publié aux Editions sociales, 1971, 2 tomes de 445 pages chacun. Le titre à lui seul souligne bien le projet théorique et politique qui est de construire une économie politique marxiste.

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p r é t e n d e n t r e n d r e c o m p t e et auss i , p u i s q u e la r é f é r e n c e à M a r x es t exp l i c i t e e t c o n s t a m m e n t af f i rmée, d e l e u r p e r t i n e n c e et d e l e u r c o m p a t i b i l i t é a v e c les écr i t s d e M a r x s u r l e sque l s e l les se f o n d e n t .

N o t r e d é m a r c h e a p e u d e c h a n c e s de d é b o u c h e r s u r u n v é r i t a b l e d é b a t , d u m o i n s a v e c c e u x q u ' e l l e c r i t i q u e : r a i s o n d e p l u s p o u r

a r g u m e n t e r le p l u s s é r i e u s e m e n t poss ib le , ce q u i i m p l i q u e u n t r a v a i l p a r f o i s l o u r d e t b e s o g n e u x , q u i s ' a p p u i e d i r e c t e m e n t s u r les textes . I l n e f a u d r a d o n c p a s s ' é t o n n e r d e la l o n g u e u r e t d u n o m b r e d e s c i t a t i o n s q u i f i gu ren t d a n s ce t t e é t u d e .

E n f i n — e t ce s e r a t o u t en ce q u i c o n c e r n e les p r é c a u t i o n s p r é - l i m i n a i r e s — , p r é c i s o n s t o u t d e su i te le sens e t l a p o r t é e d e n o t r e t r a v a i l : il ne s ' ag i t p a s d e c r i t i q u e r la t h é o r i e d ' u n p o i n t d e v u e théo r i c i s t e , d ' a d m e t t r e u n e t r o p g r a n d e a u t o n o m i e d u c h a m p d e la t h é o r i e p a r r a p p o r t a u x p r a t i q u e s soc ia les et d e v o i r d a n s n o t r e

e f for t i n t e l l ec tue l l a r e c h e r c h e d ' u n e l igne j u s t e q u e les u n s c h e r c h e n t d a n s la p h i l o s o p h i e e t q u e n o u s c h e r c h e r i o n s d a n s l ' é c o n o m i e p o l i t i q u e ( su r ce po in t , s o y o n s c l a i r : l a c r i t i q u e q u e n o u s f o r m u l o n s v is -à-v is des thèses de B o c c a r a se s i tue , d u m o i n s

d a n s u n p r e m i e r t e m p s , s u r le t e r r a i n é c o n o m i q u e q u i e s t le s ien. I l f a u d r a b i e n p o u r t a n t t e n t e r d e f a i r e éc l a t e r ce t t e v i s ion éco- n o m i c i s t e d e s r a p p o r t s s o c i a u x , s i n g u l i è r e m e n t r éduc t r i c e ) . D o n c , ici, n o n p a s t a n t u n e t e n t a t i v e p o u r r é c u s e r u n e t h é o r i e f aus se , o u falsif iée, q u ' u n e c r i t i q u e f o n d é e s u r u n o b j e t p réc i s , le C . M . E . et, p lu s p r é c i s é m e n t enco re , son n o y a u d u r , le c o n c e p t d e s u r a c - c u m u l a t i o n / d é v a l o r i s a t i o n , v i s a n t à c o n t r i b u e r à u n e m e i l l e u r e

c o m p r é h e n s i o n d e la n a t u r e d u P .C .F . , de s a c o n c e p t i o n d e l ' E t a t , d e s o n p r o j e t o u d e sa s t r a t ég i e p o l i t i q u e 4 .

M a i s , a v a n t d ' e x a m i n e r la t h é o r i e d u C . M . E . , et p o u r e n é c l a i r e r l ' ana ly se , il c o n v i e n t d e fa i re le p o i n t s u r des c a t é g o r i e s d u d i s c o u r s d u P . C . F . a u x q u e l l e s n o u s s e r o n s c o n f r o n t é s , e t q u i r e n v o i e n t à u n e c o n c e p t i o n de la soc ié té et des r a p p o r t s s o c i a u x qu ' i l n ' e s t p a s s u p e r f l u d ' é v o q u e r .

4 . C e t r a v a i l é t a i t l a r g e m e n t a v a n c é q u a n d s o n t p a r u s , à q u e l q u e s

s e m a i n e s d ' i n t e r v a l l e , t r o i s t e x t e s q u i , c h a c u n à l e u r f a ç o n , t r a d u i s e n t d e s p r é o c c u p a t i o n s p r o c h e s d e s n ô t r e s :

— A . D . MAGALINE, L u t t e d e c l a s s e s e t D é v a l o r i s a t i o n d u c a p i t a l , M a s - p e r o , 1 9 7 5 , 2 0 0 p .

— M a r x i s m e , L é n i n i s m e e t R é v i s i o n n i s m e f a c e à l a c r i s e é c o n o m i q u e , M a s p e r o , C a h i e r s Y e n a n , n ° 2 , 1 9 7 6 , 1 3 0 p .

— J a c q u e s VALIER, L e P a r t i c o m m u n i s t e f r a n ç a i s e t l e C a p i t a l i s m e m o n o p o l i s t e d ' E t a t , M a s p e r o , P e t i t e C o l l e c t i o n , 1 9 7 6 .

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I

La contradiction entre

les forces productives et les rapports de production capitalistes

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Ces modalités, spécifiques à l'intervention de l'Etat, de répar- tition de la plus-value sociale entre capital public et capital privé n'excluent pas, tout au contraire, une répartition « inéquitable » de la plus-value entre fractions du capital privé lui-même. On peut, en effet, concevoir que les monopoles plus que les entre- prises non monopolistes bénéficient de l'existence du secteur public — la démonstration exige alors un raisonnement auquel les auteurs du Traité, c'est le moins qu'on peut dire, ne nous ont guère habitués. Esquissons les grandes lignes d'un tel raison- nement qui part du fait déjà signalé que la composition organique du capital monopoliste est dans l'ensemble plus forte que la moyenne et que le prélèvement fiscal, dans ses modalités pré- sentes, frappe vraisemblablement plus lourdement les capitaux à faible composition organique. Puisqu'une partie de l'impôt est transférée aux entreprises publiques pour leur accumulation, cela signifie aussi que le capital non monopoliste supporte une part disproportionnelle de l'accumulation dans les secteurs d'Etat. La disproportion est d'autant plus frappante que dans l'ensemble le capital monopoliste est celui qui bénéficie le plus de la réalisation à bas prix des marchandises « publiques » (si on peut d i r e ) On peut tenir le même raisonnement lorsque l'on considère les diffé- renciations de prix selon que l'acheteur des marchandises publiques est un capitaliste ou un consommateur individuel. Le mécanisme est peut-être un peu plus complexe à analyser, dans la mesure où ce qui est avancé par les capitalistes sous la forme apparente de capital variable (la partie du salaire qui sera consacrée à la consommation des marchandises publiques) est en fait une avance en capital constant du fait des transferts de valeur des moyens de production aux moyens de consommation.

L'existence d' « entreprises publiques » ne relève donc en aucune façon d'une analyse en termes de « capital public déva- lorisé », mais se présente plutôt, si l'on souhaite s'en tenir à une problématique étroitement économique, comme une contre- tendance à la péréquation des taux de profit lorsque cette der- nière gêne ou ne suffit plus à la fraction hégémonique mono- poliste. Le rôle du capital public dans la redistribution du profit au sein du capital privé ne doit pas faire oublier que c'est l'ensemble du capital privé qui est intéressé à l'existence d'un secteur public produisant les conditions générales de la repro- duction.

47. Pour aller plus loin dans cette analyse, il faudrait approfondir l'hypothèse selon laquelle le processus d'accumulation assurée par l'impôt permet aux entreprises publiques d'avoir un taux d'accumulation bien supérieur au taux moyen de profit sans endettement trop massif ; il y aurait alors transfert net de valeur vers le capital public.

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b) Le secteur du capital public de prêt

Dans ce secteur, la notion de « dévalorisation du capital public » est, une fois de plus, insoutenable.

Nous avons déjà souligné que les règles qui régissent la mise en valeur du capital de prêt n'ont que peu à voir avec celles relatives au capital commercial et industriel, dans la mesure où la masse du capital constant bancaire est faible eu égard à la masse des capitaux prêtés, et où ce sont les rapports de forces entre fractions de capitaux qui fixent le prix du capital de prêt fonctionnant comme marchandise ; ce qui est en jeu, en tout état de cause, c'est la capacité des divers capitaux financiers à trans- former du revenu en capital, c'est une distribution de profit qui s'opère sans effet direct sur le taux de profit moyen.

Ce n'est pas parce qu'un organisme prête moins cher qu'un autre qu'il fait un profit plus faible : tout dépend de sa capacité à drainer l'argent et du taux auquel il rémunère les prêteurs. Autrement dit, le taux de profit, apparemment faible, du capital public de prêt n'entraîne pas a priori — ou alors il faut le montrer chiffres en main — un taux de profit faible du capital proprement financier des institutions financières publiques. L'exercice statis- tique reste à faire.

Nous n'insisterons pas davantage sur ce point qui nous renvoie directement à ce que nous avons vu sur l'épargne. Rappelons sim- plement l'essentiel de nos conclusions : si « dévalorisation » il y a, ce n'est certainement pas au niveau du capital public.

Il nous faut signaler pour conclure cette critique de certains aspects de la théorie du C.M.E. qu'elle rencontre à l'intérieur même du P.C.F. des prises de position relativement proches des nôtres et qui s'expriment selon des modalités qu'il serait intéres- sant d'analyser (rôle du courant althussérien dans la vie politique et intellectuelle du parti communiste). Ainsi, Balibar : « Mais, de ce que leur position économique et politique permet aux capitaux monopolistes de drainer en permanence un surprofit, tandis que d'autres capitaux, soit privés, soit publics, sont contraints de se contenter d'un taux de profit inférieur, il ne résulte nullement que les seconds soient " dévalorisés " ou ne contribuent plus à l'accumulation à l'échelle sociale. Cette dif- férence n'intervient en effet qu'au niveau de la répartition de la plus-value socialement produite entre différents capitaux, nul- lement au niveau de la production de plus-value. Au contraire, l'accroissement du surprofit suppose que le taux de plus-value augmente aussi dans les entreprises publiques, ou dans les petites entreprises que domine le capital monopoliste. L'exploi-

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tation du travail y est donc tout aussi intense, sinon plus, que dans les entreprises qui appartiennent directement aux sociétés monopolistes, et la " mise en valeur de la valeur " (Marx) n'y est pas moindre. C'est bien ce que montre quotidiennement l'ampleur des luttes de classe revendicatives qui s'y d é r o u l e n t »

Il nous reste maintenant à voir de plus près la prétendue contra- diction capital public/capital privé, contradiction qui renvoie, dans la logique de Boccara, à celle entre forces productives et rapports de production.

2. Une contradiction entre capital public et capital privé ?

C'est surestimer une dimension que de centrer l'analyse de l'intervention de l'Etat sur les transferts de valeur entre capita- listes : beaucoup plus importante et conditionnant cette dimen- sion est la mise en place par l'Etat de conditions générales de la production et de la reproduction de la force de travail qui, sans son intervention, n'existeraient pas, ou à un degré insuffisant, ou encore à un prix aussi bas.

Cette intervention fondamentale doit apparaître comme étant de l'intérêt général de toute la société et, plus particulièrement pour la classe capitaliste, comme de son intérêt général de classe, même si dans les faits elle ne correspond qu'aux intérêts de fractions spécifiques. Seul ce consensus au sein de la bourgeoisie peut permettre les transferts de plus-value entre capitalistes via le secteur public.

Ce type d'intervention de l'Etat doit tendre, dans l'intérêt même de la classe capitaliste, à la dévalorisation du capital social (au sens de Marx) sans entraîner de destruction de plus-value qui ferait plus que compenser les effets de la dévalorisation sur le taux général de profit. Elle implique, en outre, une situation de monopole du secteur public pour autant qu'il fonctionne sur la base d'un prélèvement fiscal de plus-value. Aucun capital privé, en effet, ne peut supporter une telle concurrence.

L'entreprise publique accroît sans cesse sa productivité, non pour résister directement à la concurrence, mais pour baisser les coûts de production des conditions générales, ce qui peut aboutir à la dévalorisation du capital et au renforcement de l'exploi- tation à l'échelle sociale. Elle doit en conséquence renforcer l'ex- ploitation en son sein. Elle obéit à la logique du capital ; les formes idéologiques de la concurrence, formes qui présentent le

48. E. BALIBAR, Cinq études du matérialisme historique, op. cit., p. 164.

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développement du capital comme effet de la lutte entre capitalistes et non comme effet de la lutte entre capitalistes et prolétaires, ne jouent plus. L'exploitation doit alors être occultée par la logique du « service public », quand ce n'est pas la logique « objec- tive » du développement social des forces productives. C'est en cela qu'on peut comprendre la phrase d'Engels selon laquelle dans l'entreprise publique « le rapport capitaliste n'est pas sup- primé, il est au contraire poussé à son comble ».

L'entreprise publique n'est donc pas en rupture avec la logique du capital, même si elle peut apparaître en rupture avec la logique du profit comptable.

Dès lors, il est impossible de déceler une contradiction entre capital public et capital privé ; la contradiction doit être recherchée au sein du capital public dans le fait qu'il est à la fois capital particulier, individuel, cherchant à se reproduire comme capital particulier à travers le renforcement de l'extorsion et de la réalisation de plus-value, envers et contre tous les autres capitaux particuliers, privés ou publics (les nécessités de « gestion rationnelle de l'entreprise »), et le fait qu'il est aussi capital col- lectif d'Etat, devant servir les intérêts idéels de toute la classe capitaliste et les intérêts réels de la fraction hégémonique, et donc tenir compte d'exigences autres que celles de sa propre repro- duction (les contraintes publiques de sa gestion privée).

Cette contradiction particulière au secteur public est un élément fondamental de la contradiction plus générale entre intérêts parti- culiers de chaque capital et intérêts généraux de la classe capi- taliste, contradiction qui elle-même ne renvoie pas au caractère public ou privé des capitaux particuliers, mais au fractionnement du capital et donc à la division sociale du travail.

Les entreprises publiques, qui se situent des deux côtés de la contradiction (intérêt particulier en tant que capital particulier, intérêt général du capital s o c i a l ) l'intériorisent et, suivant les rapports de forces entre les classes, oscillent d'un terme à l'autre ; ce qui se traduit par un fonctionnement massif à la fiscalité pendant une période, un fonctionnement plus axé sur le marché pendant une autre. S'il y a « contradiction » constitutive des entreprises publiques, ce n'est donc pas une contradiction Etat/ monopoles, ou public/privé, mais une contradiction interne à ce qu'il faut bien définir comme une forme de capital.

49. Production de conditions générales au moindre coût.

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En conclusion

Il est temps maintenant de prendre nos distances par rapport au terrain très économique sur lequel nous avons construit notre critique de la théorie du « capitalisme monopoliste d'Etat ».

Evitons l'impasse à laquelle conduit fréquemment l'analyse de ce qui se réfère au P.C.F., et ne nous contentons pas de montrer le caractère « révisionniste » de la théorie qu'il met en avant pour en conclure immédiatement à l'embourgeoisement, à la social- démocratisation ou la trahison de la classe ouvrière. Certes, nous pensons l'avoir montré, il y a maintes révisions des concepts marxistes dans la théorie du C.M.E. Certes, la référence perma- nente aux concepts marxistes fonctionne sur le mode de l'accou- plement de citations (de Marx, Lénine ou autres) à des dévelop- pements dont la logique de fond leur est étrangère et nous renvoie en fin de compte plus à Keynes qu'à Marx.

Mais ce serait avoir une vue bien courte que de qualifier ladite théorie d'instrument manipulatoire visant à mystifier les militants et à dissimuler aux masses la véritable nature du « parti ». Au contraire, il faut souligner avec force la cohérence entre la pra- tique politique du P.C.F. et l'élaboration théorique du C.M.E. Cohérence qui a une double implication :

— d'une part, la nature du « parti » apparaît avant tout dans des pratiques politiques qui sont, pour l'instant, majoritairement acceptées par les travailleurs. Ce n'est pas dans la théorisation de ces pratiques que l'on doit chercher principalement la raison de l'hégémonie du P.C.F. sur la classe ouvrière. Tout au plus peut-on admettre que cette théorisation exerce une réelle fascination sur diverses couches d'intellectuels ;

— d'autre part, le rôle politique de la thèse du C.M.E. est à chercher là où la théorie qu'elle propose précède la pratique politique et donc dans sa façon de poser le problème de l'Etat et dans sa volonté d'éclairer une éventuelle pratique future de gestion d'un Etat « capitaliste non monopoliste ».

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Venons-en donc directement à l'essentiel de l'enjeu de la théorie du C.M.E., c'est-à-dire à la question de l'Etat.

A travers la conception instrumentale et techno-économiste de l'Etat telle qu'elle ressort de ce que nous avons rencontré mais aussi et surtout de l'effort politique et électoral du P.C.F. au cours des dix dernières années, il est clair que pour celui-ci la conquête pacifique de l'Etat du « capitalisme monopoliste d'Etat » implique la fixation d'une hiérarchie, d'un ordre dans les rapports sociaux qu'il s'agit de modifier. Bien sûr, cette conquête paci- fique nécessite une certaine démocratisation de la société, mais celle-ci est plus posée comme tactique vis-à-vis des couches non monopolistes autres que la classe ouvrière que comme stratégie ou question centrale au sein même de celle-ci. Ce qui est alors stratégique, c'est la prise de contrôle d'un outil jusque-là aux mains d'une poignée de « grandes sociétés financières » qui gas- pillent, pillent et oppriment le bon peuple de France ; ce qui est décisif, c'est de passer d'un capitalisme monopoliste privé d'Etat à un capitalisme monopoliste public d'Etat, afin d'améliorer la productivité du travail et de permettre, à travers une réaffec- tation démocratique du profit monopoliste, le progrès sans entraves des forces productives.

Stratégie susceptible de maintenir l'alliance antimonopoliste, les gains de productivité pouvant à la fois améliorer momenta- nément les conditions matérielles d'existence des couches popu- laires, nourrir économiquement et symboliquement les privilèges d'une bourgeoisie d'Etat qui s'élargira et assurer la neutralité (sinon la bienveillance) du petit et moyen capital.

On n'en appelle nullement à la lutte de classes, à la prise du pouvoir par la classe ouvrière, contre la bourgeoisie, mais à la rationalité d'une gestion saine et responsable contre le gaspillage, à la mobilisation d'une société entière contre les petits groupes d'accapareurs, à la démocratisation contre les privilèges privés — avec, en filigrane, l'idée d'une grande discipline de la part des travailleurs.

Une remise en cause fondamentale de la structure sociale n'a pas sa place ici, puisque c'est sur la base de cette structure que se fonde le consensus qui permettra à la gauche de se maintenir au pouvoir : il s'agit avant tout d'en finir avec l'accaparement privé abusif ou la fiscalité inégale et de confier à l'Etat un maximum de responsabilités « au service du peuple tout entier ». Le reste ? Ensuite...

Admettons, ce qui est déjà une gageure, que ce projet moder- niste de gestion rationnelle de la production sur la base du déve- loppement des forces productives et du rôle central de la science

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ne sous-estime pas de façon exagérée les forces d'une classe domi- nante en place qui, sous l'hégémonie de la bourgeoisie financière, maîtrise à la fois l'espace (division internationale du travail) et le temps (délais institutionnels et économiques) dans lesquels se situe un tel projet.

Passons rapidement, également, sur les concessions qui seront nécessairement demandées aux travailleurs au nom d'une éco- nomie qu'il va s'agir de sauver — on peut faire confiance aux idéologues du P.C.F. pour trouver l'argumentation qui leur per- mettra de passer d'une thèse à son contraire, c'est-à-dire de jus- tifier la nécessité de l'austérité, après avoir démontré pendant trois ans que la seule manière de se sortir de la crise est de relancer la consommation populaire.

Ce qui est fondamental, à terme, ce sont les implications d'un projet de gauche qui ne conçoit le progrès que sous la forme d'une socialisation sous la férule d'un Etat qui, essentiellement, a été accepté tel quel, tel qu'il est à prendre. Le P.C.F., en effet, défend une conception selon laquelle « l'Etat aurait en quelque sorte une double nature, un côté masses populaires (ou forces pro- ductives) et un côté classes dominantes (ou rapports de pro- duction). De sorte qu'on n'aurait qu'à maintenir le côté masses populaires et à démocratiser le côté classes dominantes 1 ». L'Etat est ainsi potentiellement bon et social (son fameux côté forces productives), et il peut l'être effectivement si son mauvais côté est démocratisé ; dès lors, il ne doit pas être détruit. Au contraire, il devient le fer de lance du progrès.

On est là en pleine coexistence pacifique entre stalinisme et idéologie du « wellfare state » made in U.S.A. On est là aux antipodes d'une tradition marxiste qui se réclame de la nécessité de la disparition de l'Etat — car elle voit dans tout Etat l'op- pression par excellence — et qui affirme la nécessité de la mise en œuvre de son dépérissement pendant la transition socialiste, ce qui implique de refuser la division du travail entre l'économique et le politique et de lutter contre la spécialisation du politique et des politiciens.

Et là, notons-le, ce ne sont pas seulement les adeptes du C.M.E. qui récusent cette perspective, mais aussi une intelli- gentsia qui pourtant critique la position mécaniste et instrumen- tale du P.C.F., tout en se ralliant à la même politique d'union de la gauche.

On pense ici au courant théorique qui, à la suite de Poulantzas, voit dans l'Etat la « condensation matérielle du rapport de forces

1. N . POULANTZAS, « L 'Eta t , c 'es t qui ? » , P o l i t i q u e - H e b d o , n° 265, 1977.

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e n t r e l e s c l a s s e s 2 ». C e t t e c a r a c t é r i s a t i o n i m p l i q u e e n e f f e t d e n e

p a s c o n s i d é r e r l ' E t a t c o m m e c o n s t i t u t i f e t s p é c i f i q u e à p a r t e n t i è r e

d ' u n m o d e d e p r o d u c t i o n , m a i s p l u t ô t c o m m e u n e s u p e r s t r u c t u r e

q u a s i é t e r n e l l e d i r i g é e p a r u n e c l a s s e o u u n e a u t r e s u i v a n t l e

r a p p o r t d e f o r c e s , e t c e l a i n d é p e n d a m m e n t , s i c e n ' e s t d e f a ç o n

m é d i a t i s é e à t r a v e r s c e r a p p o r t , d e l ' é c o n o m i q u e . L ' E t a t n ' e s t p l u s

d è s l o r s u n r a p p o r t d e p o u v o i r c o n s t i t u t i f d ' u n e c l a s s e d o m i n a n t e

d é f i n i e p a r a i l l e u r s p r i n c i p a l e m e n t p a r s a p o s i t i o n d a n s l e s

r a p p o r t s d e p r o d u c t i o n ; il e s t s i m p l e m a t é r i a l i s a t i o n d ' u n é q u i -

l i b r e e n t r e l e s c l a s s e s , p a r l à m ê m e s u s c e p t i b l e d e b a s c u l e r d ' u n

c a m p d a n s l ' a u t r e si l ' é q u i l i b r e s e d é p l a c e .

D a n s c e c a s , c e n e s o n t p l u s , c o m m e p o u r l e P . C . F . , l e s f o r c e s

p r o d u c t i v e s q u i s o n t t o t a l e m e n t a u t o n o m i s é e s d e s r a p p o r t s d e p r o -

d u c t i o n , m a i s l a s u p e r s t r u c t u r e p o l i t i q u e q u i e s t t o t a l e m e n t l i b é r é e d e s e s l i e n s f o n d a m e n t a u x à l ' i n f r a s t r u c t u r e . E t c e l a a b o u t i t a u

m ê m e r é s u l t a t q u i e s t d e c o n s i d é r e r l ' E t a t c o m m e d o n n é u n e f o i s

p o u r t o u t e s , m ê m e s i l ' o n n e p a r l e p l u s d ' o c c u p e r u n a p p a r e i l o u

d e d i r i g e r u n o u t i l , m a i s d e c o n d e n s e r u n n o u v e a u r a p p o r t d e

f o r c e s , l a f o r m e d e l a c o n d e n s a t i o n n ' é t a n t p a s r e m i s e e n c a u s e .

L ' E t a t t e l q u ' i l e s t p r ô n é p a r l e P . C . F . — e t p a r l ' u n i o n d e l a

g a u c h e — n ' e s t p a s a p p e l é à d é p é r i r . T o u t a u c o n t r a i r e , o n p e u t

r a i s o n n a b l e m e n t p e n s e r q u ' i l e s t c o n ç u c o m m e d e v a n t p r e n d r e

l a f o r m e d ' u n E t a t j a c o b i n i n c a p a b l e d e l a i s s e r s ' e x p r i m e r d e s

c o n d u i t e s c o l l e c t i v e s p o p u l a i r e s d é p a s s a n t l e c a d r e d ' u n s y n d i - c a l i s m e m o d é r é .

U n E t a t j a c o b i n

T e l s q u ' i l s s o n t a c t u e l l e m e n t t h é o r i s é s , l ' e x t e n s i o n d e s s e r v i c e s

p u b l i c s , l a n a t i o n a l i s a t i o n d ' e n t r e p r i s e s i m p o r t a n t e s , l e c o n t r ô l e

c e n t r a l d e l a p r o d u c t i o n n e p e u v e n t s e c o n c e v o i r s a n s u n d é v e -

l o p p e m e n t c o n s i d é r a b l e d e l a f o n c t i o n p u b l i q u e , a u t r e m e n t d i t

s a n s l a m u l t i p l i c a t i o n d ' u n p e r s o n n e l « s p é c i a l i s é » q u i , d e p a r s e s

p o u v o i r s p o l i t i c o - é c o n o m i q u e s e t s o n m o n o p o l e d e l a r e p r é s e n -

t a t i o n d e s c l a s s e s p o p u l a i r e s , n e p e u t q u e t e n d r e à s e c o n s t i t u e r

e n t e c h n o - b u r e a u c r a t i e a v e c t o u t e s l e s c o n s é q u e n c e s q u e c e l a

e n t r a î n e : c o r p o r a t i s m e , c o n s t i t u t i o n d ' u n e n o u v e l l e c l a s s e d i r i -

g e a n t e q u i p r é t e n d i n c a r n e r l e p e u p l e , o u l a c l a s s e o u v r i è r e , e t c .

I l f a u t u n e s i n g u l i è r e d o s e d ' o p t i m i s m e , d ' i n c o n s c i e n c e o u d e

m a u v a i s e f o i p o u r a f f i r m e r q u e l e d é v e l o p p e m e n t — c e r t e s

« d é m o c r a t i q u e » — d e l a f o n c t i o n p u b l i q u e e s t g a r a n t d e s a

d é b u r e a u c r a t i s a t i o n , p o u r p o s e r , c o m m e l e f a i t p a r e x e m p l e

2. N. POULANTZAS, La Crise de l'Etat, P.U.F., 1976. Les auteurs de cet ouvrage ne suivent pas tous ces positions.

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Del i l ez que, « dans les pays capitalistes développés, l'amorce des transformations profondes implique l'intervention démocra- tique des masses pour débarrasser les appareils d'Etat de leur pesanteur bureaucratique ». Comment peut-on accepter ce schéma qui suggère qu'à l'élargissement capitaliste de l'Etat, rendu néces- saire par la complexification des rapports sociaux sous la domi- nation des monopoles, doit succéder, après une période de crise de l'Etat, un contrôle démocratique qui réaliserait ce prodige de débarrasser de ses « pesanteurs » une fonction publique encore grossie ? Comment peut-on tout à la fois décrire une crise de l'Etat des monopoles en la caractérisant par la fin du statut privilégié des fonctionnaires, l'éclatement du « ciment idéolo- gique de l'intérêt général », la rupture du lien entre l'Etat « comme expression de l'intérêt général » et la « légitimation de ses poli- tiques par le système démocratique » et par ailleurs en appeler à une socialisation d'un volume accru d'activités de toutes sortes commandées par l'Etat ?

Il y a en fait convergence entre le mythe républicain du service public, soigneusement entretenu par le P.C.F. depuis des années, et le projet d'un Etat jacobin supposé fonctionner sur la base de « libertés démocratiques » dont on ne veut pas voir, ou pas dire, qu'elles constitueront alors le nouveau ciment idéologique, la « légitimation » d'une bureaucratie qui prétendra faire coïncider ses intérêts propres avec ceux du « peuple tout entier ».

Les rapports de l'Etat et des luttes sociales

La priorité absolue donnée à la gestion rationnelle, via l'Etat, de la production peut-elle s'accommoder de luttes qui ne seraient pas entièrement subordonnées à la logique gestionnaire d'un pouvoir marqué par son jacobinisme économique ? N'y a-t-il pas, dans la conception sociétale du P.C.F., l'idée qu'un certain « gau- chisme » culturel est tolérable, voire positif, à condition que ce « gauchisme » ne déborde pas sur le terrain politique ? A travers de telles questions, c'est le problème des conflits sociaux qui est posé : le cadre politique centralisateur qui doit succéder à l'Etat du C.M.E. est-il capable de réagir autrement qu'en les étouffant

3. J.-P. DELILEZ, « Rapports de la crise de l'Etat et de l'internationa- lisation », in La Crise de l'Etat, ouvrage collectif sous la direction de N. POULANTZAS, P.U.F., 1976, p. 172. La plupart des expressions entre guillemets dans ce paragraphe sur l 'Etat jacobin sont empruntées à cet auteur.

4. Soyons précis : la centralisation que nous évoquons ne signifie pas nécessairement concentration du pouvoir au seul niveau national, elle laisse la place à une concentration du pouvoir d'Etat à de multiples échelons : municipalité, département, région, etc.

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o u les m i n i m i s a n t face a u x d ive r ses lu t t e s q u i t e n d r o n t p e u t - ê t r e à se d é v e l o p p e r d a n s la soc ié té ? L ' a r t i c u l a t i o n des r e v e n d i c a t i o n s r ég iona l i s t e s , f émin i s t e s , éco logis tes , d e c o n s o m m a t e u r s , etc., e t d e s lu t t e s des t r a v a i l l e u r s , dès qu ' e l l e s s o r t e n t d u c a d r e d u synd i - c a l i s m e le p l u s t r a d i t i o n n e l , es t -e l le c o n c e v a b l e d a n s ce t te v i s i on d e l a c o n s t r u c t i o n d u s o c i a l i s m e o ù l ' o n n o u s d i t : d ' a b o r d l ' éco-

n o m i q u e , le d é v e l o p p e m e n t r a t i o n n e l d e l a p r o d u c t i o n e t e n s u i t e les n o u v e a u x a s p e c t s de la c o n t e s t a t i o n ?

L e p r o b l è m e est d ' a u t a n t p lu s i m p o r t a n t q u ' u n e d i m e n s i o n c o n s t a n t e , q u e l ' o n r e t r o u v e d a n s d e n o m b r e u s e s lu t tes , o u v r i è r e s o u n o n , es t l e u r c a r a c t è r e p l u s o u m o i n s m a r q u é d e r évo l t e an t i - E t a t . L ' E t a t q u e l ' o n v o i t se d e s s i n e r d a n s les a n a l y s e s d u P . C . F . c o m m e d a n s ses p r o p o s i t i o n s est c e r t a i n e m e n t c a p a b l e d ' a s s u r e r u n e r e d i s t r i b u t i o n m o i n s i n é g a l i t a i r e e t u n e r e l a t i v e d é m o c r a - t i s a t i o n d e l a soc ié té ; c ' e s t u n E t a t r é p u b l i c a i n . M a i s est- i l c a p a b l e d e t o l é r e r l a fo r t e d e m a n d e d ' a u t o g e s t i o n , le r e fus d u c o n t r ô l e c e n t r a l i s é et , p l u s g é n é r a l e m e n t , d ' u n c e r t a i n t y p e d e r a p p o r t s de p r o d u c t i o n q u e v é h i c u l e n t de n o m b r e u s e s lu t tes , a u t r e m e n t q u ' e n d é f i n i s s a n t p o u r ces c o n d u i t e s co l lec t ives u n c a d r e é t ro i t q u i s o u m e t l eu r s o r i e n t a t i o n s à u n e p r i o r i t é déf in ie p a r a i l l eu rs ?

L a t h é o r i e d u C . M . E . n o u s déc r i t u n E t a t « q u i t e n d à p r e n d r e le r e l a i s e n t a n t q u e r e p r é s e n t a n t des in té rê t s col lec t i fs des g r o u p e s m o n o p o l i s t e s [...] à d e v e n i r u n é l é m e n t m a j e u r , i n d i s p e n s a b l e , d e l a r e p r o d u c t i o n d u c a p i t a l n o n s e u l e m e n t p a r son r ô l e ins t i tu - t i o n n e l et p o l i t i q u e , m a i s p a r l ' a c t i o n i m m é d i a t e qu ' i l e x e r c e s u r l a f o r m a t i o n des p ro f i t s m o n o p o l i s t e s . L ' E t a t i n t e r v i e n t [...] d i rec - t e m e n t c o m m e l ' o r g a n i s a t e u r d u m o d e d e p r o d u c t i o n c a p i t a - l i s t e ». L ' E t a t q u i d o i t s u c c é d e r n e n o u s so r t g u è r e d e ce t éco- n o m i s m e , d e ce t t e c o n c e p t i o n figée d e la s t r u c t u r e et d e s conf l i t s d e c l a s ses : si, c o m m e le m e t t e n t e n a v a n t d i v e r s t héo r i c i ens ,

c o m m u n i s t e s o u c o m m u n i s a n t s , il y a a u j o u r d ' h u i c r i se de l ' E t a t et q u e ce t t e c r i se es t a v a n t t o u t u n e cr i se d e lég i t imi té , les pers - pec t ives q u ' o f f r e le P . C . F . d e r é s o u d r e ce t t e c r i se p a r u n e ges t ion r a t i o n a l i s é e d e la p r o d u c t i o n n e s o n t g u è r e suff isantes . L a « cr i se d e l ' E t a t », ce n ' e s t p a s s e u l e m e n t la m o b i l i t é d e s c e n d a n t e des a g e n t s d e l a f o n c t i o n p u b l i q u e , l a p e r t e d e s t a tu t , l ' é m e r g e n c e de conf l i t s d e rô le , l a r u p t u r e d e p l u s e n p l u s f r é q u e n t e a v e c l ' i déo- log ie d u s e rv i ce p u b l i c , l a c o n t e s t a t i o n p o l i t i q u e a u se in des g r a n d s c o r p s , l ' e x p r e s s i o n r e n f o r c é e d e r e v e n d i c a t i o n s c o r p o r a - t is tes d e la p a r t d u p e r s o n n e l d ' E t a t ; l a c r i se d e l ' E t a t , c ' e s t auss i , et s u r t o u t , l a m o n t é e d ' u n e d e m a n d e p o p u l a i r e d e p a r t i c i p a t i o n p o l i t i q u e , d ' u n c o n t r ô l e a u t h e n t i q u e s u r les o r i e n t a t i o n s d e l a soc ié té , e t p a s s e u l e m e n t s u r l a p r o d u c t i o n ma té r i e l l e . C e t t e m o n t é e n e s ' a c c o m m o d e g u è r e d u s y s t è m e ac tue l . A- t -e l l e sa p l a c e d a n s l ' E t a t p r ô n é p a r le P . C . F . ?

5. Traité, t. II, p. 29.

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