diner débat femme et société

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Diner débat 13 avril 2012 – Mauchamps Quel impact de l’évolution de la place des femmes et de leur rôle sur le fonctionnement des collectivités ? Emmanuel QUENSON : Maitre de conférences/ enseignant –Chercheur, à l’université d’Evry Val d’Essonne, spécialisé dans les relations du travail Pour comprendre l’évolution de la place des femmes dans la société, il est nécessaire de prendre du recul et de se reporter près d’un siècle en arrière. Il faut prendre en compte plusieurs périodes pour replacer ce sujet dans son contexte et comprendre le rapport des femmes avec les hommes ainsi que l’évolution ces femmes dans la famille. On peut séquencer cette évolution en trois périodes : - 1 ère période : du XIXème siècle jusqu’ à la seconde guerre mondiale : les rapports hommes femmes sont clairement déséquilibrés. L’homme travaille et la femme n’apporte qu’un salaire d’appoint qui n’est pas reconnu. C’est l’époque de la généralisation du salariat mais exclusivement masculin. L’homme s’individualise par rapport à sa famille, c’est lui qui va au café, qui fait du sport, qui a droit à des libertés pendant que sa femme est cantonnée aux tâches ménagères et familiales. - 2 ème période : années 50-75 : les femmes vont accéder massivement au salariat, surtout dans le secteur tertiaire, les bureaux. Elles vont également accéder aux études. Pour autant les conditions de travail Homme/femme restent déséquilibrées et inégalitaires. Il n’en reste pas moins que grâce au salariat, les femmes vont s’autonomiser de leur famille, s’assumer d’avantage en dehors de leur famille. On peut assister à un rééquilibrage des relations. - 3 ème période : années 80 à aujourd’hui. Le sociologue ( ?) François de SINGLY caractérise le modèle familial comme une famille composée d’individus eux-mêmes individualisés. C’est une famille pour une vie éclatée : l’homme et la femme vivent ensemble à un moment mais sont à la recherche d’une vie personnelle propre. Le modèle n’est plus le couple et la famille. La femme a gagné en autonomie grâce à ses études et le couple se compose de deux individus qui ne travaillent pas au même endroit, n’ont pas les mêmes horaires, ne fréquentent pas les mêmes lieux et cherchent e réalité à construire leur propre intimité en dehors de l’autre. Cette quête d’émancipation se traduit par une recherche de vie privée tout en cherchant une vie familiale. C’est une transformation du « nous » conjugal au profit d’une individualisation conjugale, d’un désir de se réaliser soit même. Dominique MEIDAT (sociologue ?) quant à lui (elle ?)considère qu’aujourd’hui on est entré dans une phase où l’émancipation de la femme est en panne parce que les femmes travaillent moins que les hommes dans les services, qu’elles sont souvent à temps partiel avec un emploi du temps contraint ou des CDD. Elles ont des carrières plus discontinues, moins valorisées et une rémunération moindre. C’est ce qui explique également qu’elles sont les premières victimes de la pauvreté et beaucoup vivent seules avec des enfants (cf enquête réalisée à Grigny).

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Diner débat 13 avril 2012 – Mauchamps

Quel impact de l’évolution de la place des femmes

et de leur rôle sur le fonctionnement des collectivités ?

Emmanuel QUENSON : Maitre de conférences/ enseignant –Chercheur, à l’université d’Evry Val d’Essonne, spécialisé dans les relations du travail

Pour comprendre l’évolution de la place des femmes dans la société, il est nécessaire de prendre du recul et de se reporter près d’un siècle en arrière. Il faut prendre en compte plusieurs périodes pour replacer ce sujet dans son contexte et comprendre le rapport des femmes avec les hommes ainsi que l’évolution ces femmes dans la famille.

On peut séquencer cette évolution en trois périodes :

- 1ère période : du XIXème siècle jusqu’ à la seconde guerre mondiale : les rapports hommes femmes sont clairement déséquilibrés. L’homme travaille et la femme n’apporte qu’un salaire d’appoint qui n’est pas reconnu. C’est l’époque de la généralisation du salariat mais exclusivement masculin. L’homme s’individualise par rapport à sa famille, c’est lui qui va au café, qui fait du sport, qui a droit à des libertés pendant que sa femme est cantonnée aux tâches ménagères et familiales.

- 2ème période : années 50-75 : les femmes vont accéder massivement au salariat, surtout dans le secteur tertiaire, les bureaux. Elles vont également accéder aux études. Pour autant les conditions de travail Homme/femme restent déséquilibrées et inégalitaires. Il n’en reste pas moins que grâce au salariat, les femmes vont s’autonomiser de leur famille, s’assumer d’avantage en dehors de leur famille. On peut assister à un rééquilibrage des relations.

- 3ème période : années 80 à aujourd’hui. Le sociologue ( ?) François de SINGLY caractérise le modèle familial comme une famille composée d’individus eux-mêmes individualisés. C’est une famille pour une vie éclatée : l’homme et la femme vivent ensemble à un moment mais sont à la recherche d’une vie personnelle propre. Le modèle n’est plus le couple et la famille. La femme a gagné en autonomie grâce à ses études et le couple se compose de deux individus qui ne travaillent pas au même endroit, n’ont pas les mêmes horaires, ne fréquentent pas les mêmes lieux et cherchent e réalité à construire leur propre intimité en dehors de l’autre. Cette quête d’émancipation se traduit par une recherche de vie privée tout en cherchant une vie familiale. C’est une transformation du « nous » conjugal au profit d’une individualisation conjugale, d’un désir de se réaliser soit même. Dominique MEIDAT (sociologue ?) quant à lui (elle ?)considère qu’aujourd’hui on est entré dans une phase où l’émancipation de la femme est en panne parce que les femmes travaillent moins que les hommes dans les services, qu’elles sont souvent à temps partiel avec un emploi du temps contraint ou des CDD. Elles ont des carrières plus discontinues, moins valorisées et une rémunération moindre. C’est ce qui explique également qu’elles sont les premières victimes de la pauvreté et beaucoup vivent seules avec des enfants (cf enquête réalisée à Grigny).

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Comment les collectivités peuvent –elles répondre à ces évolutions ? Comment peuvent-elles participer à l’émancipation des femmes ?

- Par l’organisation des structures d’accueil des enfants : crèches, écoles (TPS en maternelles) périscolaires, petite enfance, sont autant de dispositifs qui permettent aux femmes de développer une carrière professionnelle à cette limite près que ces structures sont, en général, limitées dans le temps et par conséquent ne correspondent pas nécessairement aux attentes des femmes ou à la vie de famille(horaire décalés).Ce décalage est d’autant plus important que les femmes apportent beaucoup d’importance à la question de la réussite scolaire.

- Par l’organisation de transports efficaces et adaptés aux horaires décalés : ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : les transports en commun sont adaptés aux horaires « normaux » mais pas aux horaires « atypiques ».

- Par l’engagement des femmes dans la vie politique : aujourd’hui elles ne sont que peu – ou peu- représentées dans la vie publique. Il est donc évident qu’il faut que les collectivités fassent cet effort.

Echanges autour de l’intervention :

- Il existe des modèles stéréotypés auxquels se référent les femmes : se marier, avoir des enfants, trouver un job, faire carrière et l’engagement politique n’entre pas nécessairement dans ce schéma. Ce qui peut expliquer la faible participation des femmes au monde politique

- Les femmes qui entrent en politique adoptent ensuite les mêmes codes que les hommes et peuvent devenir aussi dangereuses qu’eux.

- Refus de servir de « caution ». Si on vient chercher une femme pour faire de la politique c’est parce qu’elle a des compétences et non pas parce que c’est une femme (Jocelyne GUIDEZ, Maire de Saint Chéron)

- Pour pouvoir concilier sa vie de femme et sa vie politique, il est essentiel de pouvoir disposer de services publics qui permettent cette conciliation entre ces deux vies : crèches, transports etc…

- Les femmes ont acquis l’autonomie, l’indépendance financière de par leurs professions et leurs études mais elles doivent toujours faire face à deux vies – professionnelles/politiques et personnelles – même si le modèle masculin a aujourd’hui beaucoup évolué

- La vraie liberté de la femme c’est le travail, même si parfois le coût de la nourrice ou de la crèche + transports et repas à l’extérieur consomment l’intégralité du salaire de la femme. Mais en travaillant elle a une vie en dehors de sa famille et de son mari – c’est donc libérateur.

Intervention de Laurent BETEILLE, Ancien Sénateur, Maire de Brunoy, Président de l’Union des Maires de l’Essonne.

On se pose la question de savoir comment l’évolution de la place des femmes et de leur rôle peut influencer l’offre de services des collectivités mais on peut inverser cette problématique

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et se demander comment l’évolution de la société, l’histoire, a influencé l’évolution de la place des femmes. A cet égard, il est évident – et le développement d’Emmanuel QUENSON l’illustre totalement – que le rôle et la place des femmes dans la société française ont été fortement influencé par les deux guerres mondiales. Les femmes ont dû quitter la sphère familiale pour faire fonctionner l’économie française. On ne s’est pas posé la question à ce moment-là de savoir si elles étaient – ou pas – compétentes, il fallait faire tourner les usines quand les hommes étaient partis se battre. Aujourd’hui , le travail des femmes est une évidences sur laquelle on ne peut revenir. Certaines professions sont particulièrement féminisées comme à Brunoy, par exemple, où sur 450 employés municipaux 300 sont des femmes.

Au-delà de la question du travail des femmes et de l’évolution de leur place dans la société, se pose une autre question qui est tout aussi essentielle et qui est celle de la composition des foyers. Beaucoup de foyers sont monoparentaux – divorce, séparation etc… Cette transformation de la sphère familiale produit nécessairement des demandes sociales que les collectivités – en l’occurrence les mairies- doivent être en capacité de satisfaire : crèches, nourrices mais aussi logements.

Dans les cités, les femmes ont une sociabilisation plus difficile car elles n’ont pas nécessairement l’envie de sortir de leur logement : problème de culture, de langue, de religion, sentiment de déracinement. L’objectif pour une municipalité c’est de « faire sortir » ces femmes, de leur permettre de s’intégrer dans la société car ce sont elles qui ont le lien avec les enseignants, avec l’administration et qui pourvoient à l’éducation des enfants. Or elles restent souvent entre elles car ce sentiment de groupe les protège et les rassure. Le but est donc de les faire s’ouvrir vers l’extérieur. A Brunoy, on a fait ce constat sur la mise en place d’un marché dans un quartier sensible de la ville a permis à ces femmes qu’on ne voyait pas de sortir et de développer des contacts avec l’extérieur. C’est l’évolution de l’offre locale qui a ainsi permis de faire évoluer la place de ces femmes qui restaient chez elles et entre elles. C’est le premier lien vers l’extérieur .

Cependant, il en général c’est la collectivité qui doit s’adapter à l’évolution de la demande (liée au travail des femmes souvent ou à une composition familiale qui évolue, à la crise également) : fréquentation dans les restaurants scolaires qui explose, centre de loisirs et/ou périscolaires, mise en place d’études surveillées parce que les parents travaillent et ne peuvent pas assurer les devoirs du soir. A ce titre il faut souligner que le droit des parents est égal devant la loi. Il n’y a donc pas un régime spécifique accordé aux mères et la problématique des « orphelins du soir » est liée au travail des deux parents sans distinction de genre et/ou à la recomposition des modèles familiaux.

Echanges autour de l’intervention de Laurent BETEILLE :

- Place de la collectivité est essentielle pour permettre un égal accès aux femmes au travail (cantine, études, crèches, centre de loisirs, transports) mais est -ce qu’en tant qu’élu(e) nous devons nous limiter à une simple réponse en terme d’équipement ? Est-ce que le modèle de notre société ne devrait pas également nous conduire à créer des espaces de débat autour de la question de la parentalité (homme/femme) et la question de la place de la famille/ des parents dans la société. « Je veux une enfant, mais comment suis-je capable de l’assumer ? Est-ce que je ne suis pas dans l’abandon de ma mission éducative vers l’école, la collectivité ? La collectivité doit-

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elle répondre à tout ? quelle place accorde – t- on aux parents dans l’éducation de leur propre enfant ? » (Marianne DURANTON)

- Réponse d’Emmanuel QUENSON : De plus en plus on assiste à une modification du rôle des parents qui se comportent en « parents clients ». Dans l’exemple présenté par Laurent BETEILLE sur les effets induits du marché alimentaire – dont l’objectif était de redynamiser le tissu économique local – on peut se demander quelle est l’étape suivante ? Les femmes sont sorties de chez elles, elles s’ouvrent à l’extérieur, que va faire la municipalité : cours d’alphabétisation ? Aujourd’hui on assiste dans certains quartier – a Grigny notamment – à une régression de la place des femmes. Des femmes qui sont nées et ont été élevées en France adoptent volontairement le voile alors qu’elles n’ont pas été élevées comme cela. Pourquoi ? Pourquoi ce besoin de retour à des valeurs qu’elles ne trouvent pas dans le quartier, dans la société, dans laquelle elles vivent ?