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DINER-CONFERENCE «Désordre dans les monnaies » Animé par François MEUNIER 23 septembre 2015 à la Chapelle de l’hôtel de Paris à Moulins Dans le cadre somptueux de la Chapelle de l’hôtel de Paris, Bruno CIMETIERE, Président du Rotary club de Moulins, est heureux d’avoir accueilli ce mercredi 23 septembre 2015 Monsieur François Meunier, économiste de renom dont le talent est unanimement reconnu par ses pairs. François Meunier est co-auteur avec Le cercle Turgot et Jean Louis CHAMBON de « Désordre dans les monnaies, l’impossible stabilité du système monétaire international » paru aux Editions Eyrolles. C’est devant un auditoire d’une centaine de personnes que François Meunier est venu nous expliquer les contours d’un système monétaire international, et comment, dans un monde qui abandonne le protectionnisme direct trop voyant, l’arme monétaire se fait instrument de la guerre commerciale. Profil professionnel Bruno Cimetière a remercié ses amis rotariens, tous ses amis et surtout les représentants du club de Gannat et Yzeure et les représentantes du Lions club de Moulins et bien entendu notre conférencier. Il a expliqué les raisons qui ont poussé à organiser ce dîner-conférence. Effectivement depuis plus d'un siècle, le Rotary réunit des professionnels déterminés à mettre leur expérience au service de la collectivité. Nombreuses sont nos manifestations et actions solidaires pour l'amélioration du quotidien des plus défavorisés. Mais le Rotary se doit d'être attractif, présent dans la ville et montrer que ses membres sont aussi soucieux de participer à la vie communautaire et répondre aux attentes de tous, à savoir la culture et l'information. Ainsi dans le climat actuel de l'économie, marqué d'incertitudes, il nous a semblé important d'organiser cette conférence afin de permettre à chacun de mieux appréhender les phénomènes économiques. » François Meunier après un exposé magistral d’une quarantaine de minutes dont vous trouverez la synthèse ci-dessous, a engagé le débat à travers un question-réponse sans langue de bois qui a permis d’approfondir le sujet. Merci à notre chef du protocole Éric Aubery pour l’organisation sans faille de cette soirée Merci à nos invités d’avoir répondu favorablement à notre invitation pour partager un bout de connaissance en commun et de découvrir l’ambiance du Rotary club de Moulins. Merci au journal « La montagne » pour son article (voir en fin de document) ou en cliquant ici Merci à notre photographe « Sylvie » pour avoir immortalisé cette soirée grâce à ces quelques clichés répartis dans le texte. ____________________________________________________________________________

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Page 1: DINER-CONFERENCE «Désordre dans les monnaies » Animé …

DINER-CONFERENCE «Désordre dans les monnaies » Animé par François MEUNIER

23 septembre 2015 à la Chapelle de l’hôtel de Paris à Moulins

Dans le cadre somptueux de la Chapelle de l’hôtel de Paris, Bruno CIMETIERE, Président du Rotary club de Moulins, est heureux d’avoir accueilli ce mercredi 23 septembre 2015 Monsieur François Meunier, économiste de renom dont le talent est unanimement reconnu par ses pairs.

François Meunier est co-auteur avec Le cercle Turgot et Jean Louis CHAMBON de « Désordre dans les monnaies, l’impossible stabilité du système monétaire international » paru aux Editions Eyrolles. C’est devant un auditoire d’une centaine de personnes que François Meunier est venu nous expliquer les contours d’un système monétaire international, et comment, dans un monde qui abandonne le protectionnisme direct trop voyant, l’arme monétaire se fait instrument de la guerre commerciale. Profil professionnel

Bruno Cimetière a remercié ses amis rotariens, tous ses amis et surtout les représentants du club de Gannat et Yzeure et les représentantes du Lions club de Moulins et bien entendu notre conférencier. Il a expliqué les raisons qui ont poussé à organiser ce dîner-conférence. Effectivement depuis plus d'un siècle, le Rotary réunit

des professionnels déterminés à mettre leur expérience au service de la collectivité. Nombreuses sont nos manifestations et actions solidaires pour l'amélioration du quotidien des plus défavorisés. Mais le Rotary se doit d'être attractif, présent dans la ville et montrer que ses membres sont aussi soucieux de participer à la vie communautaire et répondre aux attentes de tous, à savoir la culture et l'information. Ainsi dans le climat actuel de l'économie, marqué d'incertitudes, il nous a semblé important d'organiser cette conférence afin de permettre à chacun de mieux appréhender les phénomènes économiques. »

François Meunier après un exposé magistral d’une quarantaine de minutes dont vous trouverez la synthèse ci-dessous, a engagé le débat à travers un question-réponse sans langue de bois qui a permis d’approfondir le sujet.

Merci à notre chef du protocole Éric Aubery pour l’organisation sans faille de cette

soirée Merci à nos invités d’avoir répondu favorablement à notre invitation pour partager un

bout de connaissance en commun et de découvrir l’ambiance du Rotary club de Moulins. Merci au journal « La montagne » pour son article (voir en fin de document) ou en

cliquant ici Merci à notre photographe « Sylvie » pour avoir immortalisé cette soirée grâce à ces

quelques clichés répartis dans le texte.

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Synthèse de l’exposé de François Meunier

Ces taux d'intérêt qui ne veulent pas remonter !

Les marchés financiers sont incorrigibles : d’un côté, ils attendent de la banque centrale des États-Unis, la FED, qu’elle remonte ses taux après cette longue période où ils étaient quasiment à zéro. En effet, l’économie américaine va mieux et les analystes soulignent les dangers de taux bas pendant trop longtemps : ils stimulent le crédit, mais comme l’investissement ne redémarre pas vraiment, tout cela se déverse en achats spéculatifs d’actifs financiers, avec la formation de bulles qui embarquent les marchés boursiers sur des montagnes russes. De l’autre, ils craignent la remontée des taux : cela peut déstabiliser les marchés des pays émergents, qui risquent de subir une fuite des capitaux vers la zone dollar ; cela peut renvoyer vers la stagnation des économies encore fragiles, mal relevées de l’énorme crise ouverte en 2008. Et donc, quoi que fasse la FED, qu’elle laisse les taux là où ils sont– ce qu’elle a décidé le 17 septembre –, ou qu’elle les monte, les marchés font la grimace. Mais pourquoi ne pas oser la question provocante : et si les taux d’intérêt ne voulaient tout simplement pas remonter ? Dit autrement, si même la FED décidait de remonter les taux, le pourrait-elle et le voudraient-ils ? Bien-sûr, elle contrôle, bien qu’imparfaitement, les taux à court terme, mais qu’en est-il des taux longs ? Et à supposer même qu’elles contrôlent ces derniers, est-ce souhaitable ? Il existe un fort courant parmi les économistes pour plaider cette idée de taux bas. Le constat de départ est que, vus sur une très longue période (en pratique depuis 1876 aux États-Unis dans le graphique ci-dessous), les taux réels, c'est-à-dire corrigés de l’inflation, n’ont fait que décliner en tendance, ceci bien-sûr avec des hauts et des bas autour de la tendance. (Attention dans la lecture du graphique que le trait central n’est pas horizontal, mais montre une baisse persistante sur la longue durée.)

C’est ce fait majeur qu’il faut expliquer. Parmi la myriade d’explications que les économistes savent toujours trouver, il en ressort deux plus spécialement convaincantes. Les voici. La première attribue les taux bas à des perspectives de croissance et de productivité beaucoup plus basses dans la période récente et probablement dans le futur (thèse du ralentissement technologique) ; la seconde à un excès structurel d’épargne par rapport à l’investissement (thèse de l’excès d’épargne). Le nom de l’économiste Robert

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Gordon, de Chicago, est rattaché à la première thèse, celui de Lawrence Summers, ancien secrétaire d’État au Trésor américain, à la seconde1.

Le ralentissement technologique

La thèse peut surprendre et même choquer. Ne vit-on pas aujourd’hui entourés d’innovations techniques stupéfiantes : internet, les supraconducteurs, l’impression 3D, les robots, les ordinateurs de plus en plus puissants, la révolution du e-commerce, l’iPhone, etc. ? Comment est-il possible de parler dans cette tourmente de ralentissement de l’innovation ? N’est-ce pas d’ailleurs paradoxal d’affirmer que le progrès se ralentit au moment où on clame de toute part les dangers que ces innovations font porter sur les emplois et donc sur le chômage. Robert Gordon ne nie pas qu’il y ait progrès ; il dit simplement qu’il faut prendre la mesure de ce que représentaient les progrès techniques des décennies passées et qu’à cette aune, les progrès récents, si spectaculaires qu’ils paraissent à nos yeux myopes, sont plutôt pâlichons. Sans même parler de ce qu’on appelle la première révolution industrielle, celle basée sur le pétrole et le charbon, la seconde révolution industrielle, venue avec l’électricité, apportait avec elle le téléphone, la radio, la télévision, le moteur à explosion et la voiture, la maîtrise des maladies infectieuses, etc. Sait-on par exemple qu’une invention « toute bête » comme l’ascenseur (qui n’est rien d’autre qu’un moteur électrique mis sur une poulie

2) a permis en pratique l’invention du gratte-

ciel, c'est-à-dire de doubler, tripler la densité des villes, avec tous les effets induits de cette proximité spatiale ? Ou, pour faire une sorte de sondage, que répondrait aujourd’hui celle à qui l’on proposerait de choisir entre son iPhone chéri et l’invention tout à fait « médiocre » des toilettes à l’étage – permises grâce à une pompe à eau électrique montée sur une tour, ce qu’on appelle un château d’eau ? En tout cas, les chiffres parlent. Voici une mesure (la moins mauvaise que nous puissions avoir, appelée« productivité totale des facteurs ») du progrès technique annuel par période depuis 1920, c'est-à-dire sur une durée de près d’un siècle : 1920-50 2,17% 1950-72 1,79% 1972-96 0,52% 1996-2004 1,43% 2004-14 0,54% On constate bien une remontée à la fin des années 90, qui est l’effet de l’introduction des ordinateurs qui ont en effet révolutionné le travail de bureau, mais, depuis lors, malgré les Facebook et autres Google, un maigre 0,54% l’an. Pourquoi cela affecte-t-il les taux d'intérêt réels ? L’impact se fait sentir au travers de la croissance. Moins de progrès technique, cela signifie moins de potentiel de croissance, du moins pour les pays qui sont déjà à la frontière technologique, c'est-à-dire les grands pays avancés d’Amérique et d’Europe occidentale. Les autres pays peuvent poursuivre une croissance plus forte, mais simplement parce qu’étant en période de rattrapage, ils peuvent importer des technologies existantes, et, cas de la Chine, à les répliquer à plus vaste échelle. Or, si l’économie croît moins vite, le « rendement » global du capital est lui aussi moindre et donc, tous les taux de rendement, dont les taux d'intérêt sur les titres de dette, sont en gros orientés à la baisse. Voici la première explication des taux bas.

La thèse de l’excès d’épargne

Cette thèse nous conduit à Keynes, toujours bien vivant, ou plus précisément à Alvin

Hansen, un de ses brillants épigones aux États-Unis qui écrivait dans l’immédiat avant-

guerre, en 1939. Il prédisait une « stagnation séculaire », ce qui avouons-le était plutôt

mal vu puisque cela a précédé, aux 5 années de la guerre près, les trop regrettées Trente

glorieuses. Mais cela ne condamne pas forcément le raisonnement, la guerre ou le boom

1On trouvera un bon exposé de la thèse de Summers dans son blog (larrysummers.com) qui reprend un

discours tenu à l’Université de Princeton en février 2015 : « Reflections on Secular Stagnation ». La thèse de Robert Gordon se trouve sur Internet en cherchant : « Is US economicgrowth over ? ». 2Avec toutefois un système de frein sophistiqué.

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démographique d’après-guerre ne pouvant de bonne foi figurer dans son modèle.

Toujours est-il que cette thèse connait un regain de faveur ces derniers temps.

Que dit-elle ? En gros, que le comportement d’épargne des agents de l’économie,

ménages ou entreprises, reste inchangé, qu’il y a beaucoup de liquidité dans les

économies notamment en raison des politiques monétaires assez laxistes. Mais par

contre, que les montants d’investissement restent bas. Et ceci ne concerne pas que la

France, malgré les reproches dont on accable son gouvernement : le constat est le même

dans tous les pays développés. Et ce déséquilibre entre l’épargne et l’investissement

entraîne des taux bas.

Une des raisons est à rechercher dans les prix de l’investissement. Il en couterait moins

cher qu’avant d’investir, ce qui veut dire que beaucoup d’entreprises sont en mesure de

conserver leur rythme de croissance avec un budget d’investissement considérablement

moindre.

Le graphique qui suit illustre cette idée. Il est extrait d’une longue étude faite en 2013

par deux universitaires de Chicago3. Il fait figurer la variation sur longue période du prix

des biens qui composent l’investissement (selon trois approches, mais c’est secondaire

pour notre propos, les courbes étant les mêmes). On note la chute en piqué depuis la

décennie 1980. En gros, un euro dépensé en investissement permet d’acheter beaucoup

plus de biens d’équipement qu’auparavant.

On attribue cela à l’introduction de l’informatique, matériel et logiciel, et au choc

sismique que la baisse continuelle des prix provoque dans les coûts de l’investissement et

dans les processus de production. On peut comparer Valeo, une entreprise de plus de 90

ans d’âge, qui a bâti des usines, a un personnel nombreux et qui vaut 11 Md€ en Bourse.

Et une autre, Mobileye, entreprise israélienne qui équipera bientôt en caméra les

automobiles : elle est bâtie à partir de rien, avec un investissement microscopique, et

vaut en Bourse… 11 Md$. Sans doute, les marchés exagèrent et la valeur peut faire bulle

de savon, mais reste le fait incontournable que l’investissement consenti par Mobileye

est proche de zéro. L’économie collaborative, avec les Uber, Airbnb, Booking.com, etc.,

démontre aussi le potentiel que certains investissements très minimes arrivent à avoir.

3Karabarbounis et Neiman, sur http://faculty.chicagobooth.edu/brent.neiman/research/KN.pdf.

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Sachant donc que la baisse du cout de l’investissement ne signifie pas que le désir

d’épargne ait baissé, on voit donc apparaitre – c’est ce que dit la thèse – un excès

structurel d’épargne à l’échelle mondiale, un savingsglut comme le pronostiquait Ben

Bernanke, l’ancien gouverneur de la FED, trop d’épargne chassant trop peu

d’investissement. Le mécanisme nous ramène directement à Keynes. Bien-sûr qu’ex-post,

une fois l’équilibre trouvé, l’épargne égalise toujours comptablement l’investissement.

Mais qu’en est-il avant ? L’insuffisance d’investissement au regard de la volonté

d’épargne signifie une demande et donc une production et donc un revenu, en baisse en

cours du processus d’équilibre. C’est cette baisse du revenu, c'est-à-dire du PIB, qui

ajuste l’épargne à la baisse. C’est la demande qui fait l’offre. On voit que Hansen

reprend exactement le raisonnement keynésien, mais l’applique à l’analyse de long

terme, alors que Keynes se limitait à la régulation cyclique de l’économie.

Comment corriger cela, nous dit Larry Summers ? Il faut que l’investissement remonte et

en particulier, il faut que les taux d’intérêt réels baissent jusqu'à rééquilibrer à la hausse

l’investissement et à la baisse l’épargne. Pourquoi l’ajustement ne se fait-il pas ? Parce

que les taux d’intérêt réels sont déjà au plus bas et ne peuvent plus être poussés à la

baisse, sauf à accepter, et on ne sait trop comment, des taux d'intérêt négatifs, ou

encore voir revenir l’inflation. L’exemple du Japon est là pour le montrer, et l’Europe,

ce nouveau Japon, le montre peut-être là aussi : c’est plus de deux décennies au Japon

où les taux d’intérêt réels sont à zéro, sans que la croissance pointe le bout de son nez.

Ce n’est pas un schéma très gai qui est dessiné ici, une sorte de nouveau pessimisme à la

Malthus. On espère que cette prévision ne vaut pas plus que celle que faisait Hansen en

1939. Mais on comprend la déprime présente des marchés financiers. À tout le moins, la

prudence s’impose si l’on veut remonter de force les taux d'intérêt. Et peut-être, nous

dit Summers, mais aussi le prestigieux Fonds monétaire international, relancer certaines

dépenses publiques en matière d’infrastructure, par exemple aux États-Unis ou en

Allemagne, deux pays qui en ont la capacité et surtout le besoin.

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Article du journal « La Montagne Edition allier-Moulins DU 25/09/2015

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