de l'esclavage moderne : la lutte contre l'escalvage...

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Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International Emilie Vayeratta Master 1 Secteur Affaires Internationales-Parcours Relations Internationales Contemporaines Séminaire Droit International Public Soutenance le 7 Septembre 2011 Sous la direction de M. Moncef Kdhir

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Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

De L'Esclavage Moderne : La LutteContre l'Escalvage Domestique en DroitInternational

Emilie VayerattaMaster 1

Secteur Affaires Internationales-Parcours Relations InternationalesContemporaines Séminaire Droit International Public

Soutenance le 7 Septembre 2011Sous la direction de M. Moncef Kdhir

Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Prologue . . 61-La mobilisation de la Communauté Internationale . . 72-La modernité du phénomène . . 103-Des concepts à clarifier . . 124-L'esclavage domestique en perspective . . 165-La mobilisation de l'Union Européenne . . 176-La répression en France . . 18

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste . . 21Titre 1: Le cadre juridique international de la lutte . . 21

Chapitre I-Le droit conventionnel de la répression de l'esclavage . . 21Chapitre II-La mise en application de la répression: l'apport de la jurisprudenceinternationale . . 31

Titre 2: La législation nationale face à l'exploitation domestique . . 37Chapitre I-Les incriminations de l'exploitation domestique en France: un dispositiflégal interne inadapté . . 37Chapitre II-L'incrimination de la traite des êtres humains . . 42

Conclusion Partie 1 . . 47Partie 2: Le régime de protection individuelle . . 49

Titre 1: Le statut de la victime au centre du processus de protection . . 50Chapitre I-La protection de la victime de traite . . 50Chapitre II-Les obstacles juridiques à dépasser pour les victimes . . 56

Titre 2: L'accompagnement de la victime . . 60Chapitre I-L'aide aux victimes . . 60Chapitre II-Les solutions possibles en vue d'une amélioration de la protection desvictimes . . 64

Conclusion Partie 2 . . 66Conclusion Générale . . 68Bibliographie . . 69

Ouvrages . . 69Revues . . 69Thèse et Mémoire . . 70Conventions . . 70Entretien . . 71Jurisprudence . . 71Sources électroniques . . 72

Avis, Etudes, Rapports . . 72Sources Internet . . 73Sites Internet . . 74

Annexes . . 75

Annexe 1: Les formes contemporaines d'esclavage dans le monde . . 75Annexe 2: Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre lacriminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite despersonnes, en particulier des femmes et des enfants . . 75Annexe 3: Le profil des victimes . . 84Annexe 4: L'hébergement, problématique critique pour les victimes . . 84

Remerciements

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RemerciementsJe remercie M. Kdhir, mon directeur de mémoire qui tout au long de l'année a donné laméthodologie nécessaire à la réalisation de ce travail. Je souligne également sa patience et sesqualités pédagogues pendant ces heures de séminaire où la liberté est le maître mot.

Mes remerciements vont également à Mme Bénédicte Bourgeois, responsable juridique auComité de lutte Contre l'Esclavage Moderne qui m'a accordé de son temps et a bien voulu répondreà toutes mes questions.

Enfin je remercie ma famille qui nul doute a su me faire confiance et a fait preuve decompréhension et de soutien dans cette aventure faite de hauts et de bas. Un grand merci à mesrelecteurs et amis proches qui ont su me soutenir dans les moments de doute et n'ont failli à aucunmoment de détente.

« L'esclavage peut exister sans qu'il y ait torture. Même bien nourri, bien vêtuet confortablement logé, un esclave reste un esclave s'il est illégalement privéde sa liberté par la force ou la contrainte. On pourrait éliminer toute preuve demauvais traitements, oublier la faim, les coups et les autres actes de cruauté, lefait reconnu de l'esclavage -de travail obligatoire sans contrepartie- demeurerait.Il n'y a pas d'esclavage bienveillant. Même tempérée par un traitement humain, laservitude involontaire reste de l'esclavage. »Chambre de première instance du Tribunal de Nuremberg- United States vs Oswald Pohl et, al.-3 novembre 1947

SIGLES

∙ BITBureau International du Travail∙ Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation∙ CCEM Comité de Lutte Contre l'Esclavage Moderne∙ CEDH Cour Européenne des Droits de l'Homme∙ CIJ Cour Internationale de Justice∙ CNCDH Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme∙ CP Code Pénal∙ Crim. Chambre criminelle de la Cour de Cassation∙ DIDHDroit International des Droits de l'Homme∙ OITOrganisation Internationale du Travail∙ ONUOrganisation des Nations Unies∙ SDNSociété des Nations∙ TPIY Tribunal Pénal pour l'ex-Yougoslavie

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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Introduction

Prologue« Je suis arrivée le 25 mars 2001. Ils sont venus me chercher à l'aéroport. La premièrechose qu'ils m'ont dit c'est: Donne-nous tes papiers. » 1 Legba, une togolaise de trenteans a accepté un travail de garde d'enfants en France en 2001. Dès son arrivée, elledevient prisonnière d'un modeste appartement d'Élancourt en banlieue parisienne. Elle subithumiliations et brimades tous les jours. « Je ne pouvais sortir que pour faire les courses.Ils me chronométraient. Si je mettais trop longtemps, ils me criaient dessus » 2 . Menacéed'être dénoncée à la police du fait de sa situation irrégulière sur le territoire français, cettejeune femme a préféré le silence. Mais un jour, elle décide de s'enfuir grâce à un voisin.« Il a fallu qu'il aille voir les policiers quatre fois. Ils ne le croyaient pas. » 3 . La justice acondamné le couple à payer 10 000 euros à Legba. Ils n'en ont versé que 3 000.

Paris, août 1998, sur l'avenue des Champs Elysées. Diane s'arrête au Monoprix pourfaire une course, elle raconte « Je l'ai vue au fond du magasin, adossée au mur. Une jeunefemme maigre, vêtue d'un tablier. Deux enfants d'une dizaine d'années la bousculaient, lapoussaient, lui criaient dessus. Et elle, elle pleurait. » 4 Après lui avoir demandé si elle allaitbien sans succès, Diane décide de les suivre. Elle remarque qu'ils pénètrent dans un grandhôtel parisien, à quelque pas de là. Diane contacte le Comité de lutte Contre l'EsclavageModerne (CCEM). Des membres du comité et des policiers arrivent sur place. La jeunefemme s'appelle Amina, elle est originaire d'un petit village du Sri Lanka. Dans la perspectivede nourrir sa famille et ses trois enfants, elle accepte la proposition d'un recruteur et entreau service d'une famille de diplomates. « Je l'ai accompagnée à l'hôpital raconte Diane.Elle était couverte de bleus. Elle nous a dit que sa patronne la battait, que les enfants lafrappaient. Pendant un an, elle a vécu rouée de coups, travaillant de six heures du matinà minuit, sans repos, sans salaire. » 5 Trois semaines après l'épisode du Monoprix, Aminaest repartie dans son pays sous la pression de l'ambassade, les diplomates ont accepté delui verser une indemnité symbolique.

Ces témoignages recueillis par le Comité de Lutte Contre l'Esclavage Moderne secomptent par dizaines encore aujourd'hui. Les victimes sont souvent des femmes provenantdes pays en voie de développement. En échange de leur offre de main d'œuvre, lesrecruteurs leur promettent soit la régularisation de leur situation sur le territoire françaispour les personnes majeures, soit l'espoir d'un avenir meilleur via une scolarisation pour lesmineures. Ces promesses ne sont jamais tenues. Les hommes ne sont pas exclus de cetrafic moderne, ils représentent 10% des victimes selon le CCEM. En juin 2011, la presse

1 Millot, O. Esclavage Domestique, [exposition de photos de Raphael Dallaporta en ligne]. [page consultée le 3 mars 2011], http://www.domesticslavery.com/ p.22 Ibidem3 Ibid.

4 Idem, p.35 Ibid.

Introduction

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faisait encore cas d'un épisode de ce type. Un certain M. K. d'origine vietnamienne a étéretenu sept ans dans un haras en Normandie afin d'effectuer des travaux d'entretien tousles jours sauf le dimanche après-midi de sept heures du matin jusqu'au soir. En échange,il était rémunéré entre 100 et 150 euros par semaine, ne recevait aucun soins médicaux etétait transporté à l'arrière d'un camion pour chevaux pour qu'il ne sache pas le lieu de sademeure et de ses exploitants. L'affaire suit son cours devant les tribunaux.

L'esclavage moderne est un mal méconnu, souvent invisible aux yeux de la loi et denotre société. L'association même du mot ''esclavage'' et de l'adjectif ''moderne'' sembleêtre antinomique. Pourtant, comme en témoignent ces épisodes tragiques, celui-ci existebel et bien. Louis Sala-Molins, professeur de philosophie politique à l'université Toulouse-Le Mirail déclare:

« Les penseurs des Lumières condamnaient sans peine l'esclavage gréco-romain. Mais ils ne trouvaient pas les mots pour critiquer une traite négrière enplein âge d'or. Aujourd'hui, c'est un peu la même chose. On dénonce la traite,mais on ne dit rien de ce qui se passe sous nos yeux... »6

Pour lui, le cours de l'histoire de l'esclavage ne s'arrête pas au 27 avril 1848 date à laquellela Seconde République signe le décret d'abolition de l'esclavage sous l'impulsion de VictorSchoelcher, abolitionniste engagé et sous secrétaire d'Etat à la Marine et aux colonies.L'histoire de l'esclavage et de la traite continue son épopée jusqu'aujourd'hui.

En Europe, les médias ont tendance à mettre les projecteurs sur la traite qui vise àalimenter l'industrie du sexe. Pourtant, ce processus de migration peut aboutir à toutessortes de formes d'exploitation, notamment l'exploitation par le travail. Les secteurséconomiques à fort besoin de main d'œuvre et à faible qualification sont susceptibles de faireles frais des réseaux illégaux de migrants. Depuis le milieu des années 1990, l'exploitationdans les services domestiques a été, après l'exploitation sexuelle, le domaine le plusdénoncé7. Face à ce phénomène et aux pressions du secteur associatif, la communautéinternationale via l'Organisation des Nations Unies (ONU) s'est mobilisée afin de tenterd'apporter une solution à ce fléau.

1-La mobilisation de la Communauté InternationaleEn 1948, l'Assemblée de l'ONU a proclamé l'abolition de l'esclavage, de la servitudeforcée et du marché des esclaves. Personne n'aurait pu imaginer une renaissance de cetteinstitution. Les frontons des camps nazis sur lesquels était écrit « Le travail rend libre »venaient à peine d'être découverts. Ce travail abolitionniste a duré quelques décennies pourque tous les pays adoptent une législation interdisant officiellement l'exploitation de l'hommepar l'homme.

Théoriquement, la propriété de l'homme par l'homme ne s'exerce plus sur cette planètedepuis que la République Islamique de Mauritanie a aboli l'esclavage par décret le 5juillet 1980. Cette abolition officielle se retrouve encore aujourd'hui défiée par une traditionesclavagiste bien ancrée, mais des améliorations depuis une trentaine d'années démontrentun changement de mentalité.

6 Parisot, T. Sur la Piste de l'esclavage moderne. Manière de voir, mars-avril 2002, n°62, Histoire(s) d'immigration, p.25.7 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains, Réalités de l'esclavage contemporain. Paris: La Découverte, p. 128

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On peut citer cinq traits spécifiques qui caractérisent l'esclavage classique: « labestialité de l'être humain, l'évacuation des victimes hors de tout cadre juridique, l'achat etla vente, les réseaux spécifiques et la systématicité » 8. Nombre d'organisations estimentque ces caractéristiques se retrouvent dans bien des situations contemporaines de traitedes êtres humains et de réduction en esclavage.

Ce phénomène de modernité de l'esclavage n'est pas propre à la France, il frappe laplanète entière. Pourtant, l'interdiction de l'esclavage est une règle du jus cogens en droitinternational coutumier. La Cour Internationale de Justice dans son arrêt du 5 février 1970dans l'affaire Barcelona Traction fait de la protection de l'esclavage l'un des deux exemplesd'obligations erga omnes découlant du droit relatif aux droits de l'homme.

« Ces obligations découlent par exemple, dans le droit internationalcontemporain, de la mise hors la loi des actes d'agression et du génocide maisaussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de lapersonne humaine, y compris la protection contre la pratique de l'esclavage et ladiscrimination raciale. » 9

Une obligation erga omnes est celle qui incombe à un État envers l'ensemble de lacommunauté internationale. Malgré cette obligation et la considération de l'esclavagecomme une règle du jus cogens 10, de nouvelles formes d'exploitation de l'être humain sesont mises en place afin de contourner ces interdictions étatiques.

En 1974, l'ONU crée à Genève un Groupe de travail sur l'esclavage au sein del'ancienne Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et la protectiondes minorités.11 Ce groupe voit son nom changer en 1988 par ''Groupe de travail sur lesformes contemporaines d'esclavage'', ce qui sonne le glas d'une prise de conscience réellede la part de la communauté internationale. Selon le rapport du Groupe de travail sursa première session, sa mission d'origine était de suivre l'application des trois grandesconventions sur l'esclavage que sont:

- la Convention relative à l'esclavage du 25 septembre 1926- la Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des

esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage du 7 septembre 1956- la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de

la prostitution d'autrui du 2 décembre 1949.Sa mission était également de suivre le phénomène afin de mieux orienter la lutte contre

ce fléau. L'expression ''formes contemporaines d'esclavage'' regroupe des phénomènestrès différents et répandus. Selon la Commission il s'agit de:

« la servitude pour dettes; la vente ou la cession de femmes; le mariage forcé;le mariage précoce; la vente ou la cession de mineurs; le travail des enfants etson exploitation; la pornographie mettant en scène des enfants; le travail forcé;

8 Les Abolitions de l’esclavage, Actes du colloque international tenu à l’université 1995, p. 259 CIJ, Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Co, Ltd. (Belgique c. Espagne), arrêt du 5 février 1970, Recueil des

arrêts, avis consultatifs et ordonnances, 1970, p. 32, ( § 34)10 Voir Annuaire de la Commission de Droit International 1963, vol. II, publication des Nations Unies, numéro de vente: 63.V.2, p. 207et 208. L'importance est telle que tout Etat a le devoir de saisir la Cour si un Etat ne respecte pas cette règle et viole cette interdiction.

11 La Sous Commission en question se nomme aujourd'hui la Sous-Commission de la promotion et la protection des droitsde l'homme de l'Organisation des Nations Unies

Introduction

9

l'esclavage domestique et l'exploitation des travailleurs étrangers en particulierpar la privation du passeport et des documents, la menace d'être dénoncés etexpulsés, la privation de liberté, la ségrégation; l'emploi des mineurs dans lesconflits armés; l'exploitation de la prostitution d'autrui; la prostitution forcéeet l'esclavage sexuel; la traite d'êtres humains; certaines pratiques existantesdans des régimes coloniaux et/ou d'apartheid; l'esclavage pour des raisons oudes pratiques religieuses; le tourisme sexuel des jeunes filles; l'explantation, letransfert illégaux et la vente d'organes humains. »12

Cet esclavage contemporain s'exprime ainsi sous diverses formes. Pourtant, celles-ci nesont pas réellement nouvelles, elles étaient déjà connues depuis l'Antiquité.

L'esclavage existe depuis l'Antiquité, le premier acte juridique international à lecondamner a été la Déclaration relative à l'abolition universelle de la traite des esclaves13

adoptée en 1815 lors du Congrès de Vienne par huit puissances coloniales. Cette démarched'interdiction de la traite c'est-à-dire le transport et le commerce d'esclaves a débuté par lesguerres menées entre puissances coloniales que sont notamment la France et la GrandeBretagne. Bien que ces actes ne condamnent pas formellement l'esclavage, ils exprimentla première réprobationeuropéenne de cette atteinte à la dignité de la personne humaine.

Ainsi, un grand nombre d'accords multilatéraux et bilatéraux du début du XIXèmesiècle contiennent des dispositions qui interdisent les pratiques de traite. Le mouvementabolitionniste est donc né avec l'idée de mettre fin à la traite transatlantique des esclaves.Les Nations Unies estiment que de 1815 à 1957, quelques trois cent actes juridiquesinternationaux ont été mis en place pour abolir l'esclavage.14

Pour autant, c'est seulement en 1926 que la Société des Nations (SDN) donne unedéfinition de l'esclavage avec la Convention relative à l'esclavage qui interdit l'esclavage enle définissant comme « l'état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs dudroit de propriété ou certains d'entre eux » (art. 1, par. 1). Cette définition est universelle etcontrairement aux définitions nationales, elle est intemporelle. En effet, à titre d'exemple, enFrance, la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 dite la loi Taubira qualifie l'esclavage pratiqué parla France dans les Antilles, en Amérique et dans l'Océan Indien à partir du Xvème sièclede crime contre l'humanité.Cette vision de l'esclavage est restrictive et ne définit en rien lescaractéristiques de l'esclavage.

Il convient cependant de noter que la définition de 1926 ne fait pas l'unanimité parmi lesprofessionnels luttant contre l'esclavage moderne. Cette définition a été forgée en vue del'abolition de la traite des esclaves. Elle ne permet pas d'identifier l'esclavage contemporaincar cette dernière ne s'applique pas à tous les cas d'exploitation15.

A la demande du Conseil Économique et social de l'ONU, une nouvelle convention estmise en place en 1956. La Convention supplémentaire relative à l'Abolition de l'Esclavage,

12 Voir Rapport du Groupe de Travail sur sa première session E/CN.4/Sub.2/AC.2/3, § 12. Référence trouvée dans Cavallo,

M., 2006, Formes contemporaines d’esclavage, de servitude et travail forcé. TPIY et la CEDH entre passé et avenir, Droits

fondamentaux, n°6, p. 213 Déclaration relative à l’abolition universelle de la traite des esclaves, 8 février 1815, Consolidated Treaty Series, vol. 63,

n° 473.14 Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, Abolir l'esclavage et ses formes contemporaines, 2002, p.3

Disponible sur: http://www.ohchr.org/Documents/Publications/slaveryfr.pdf15 Voir infra, partie I, titre I

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de la Traite des Esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage du 7septembre 1956 ne modifie pas la définition de l'esclavage mais identifie de nouvellesformes d'esclavage. Celles-ci sont le servage, la servitude pour dettes, les services exigésd'un enfant d'une manière qui lui est nuisible.16 Elle clarifie l'obligation des États parties àabolir complètement ce fléau ou à abandonner les institutions et les pratiques analogues àl'esclavage. Contrairement à la Convention de 1926, elle ne mentionne pas le travail forcéqui est devenu un domaine exclusivement réservé à l'Organisation Internationale du Travail(OIT).

L'article 4 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme dispose clairement que« nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sontinterdits sous toutes ses formes. ». La Convention Européenne de Sauvegarde des Droitsde l'Homme qui est l'un des instruments juridiques les plus avancés pour la protection desdroits de l'homme comporte les articles 3 et 4-1 qui disposent que « nul ne doit faire l'objetde torture ou de traitements inhumains et dégradants » et « nul ne peut être tenu en situationd'esclavage ou de servitude ».

On peut également citer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.L'article 8 dispose que « Nul ne sera tenu en esclavage; l'esclavage et la traite des esclavessous toutes leurs formes sont interdits. Nul ne sera tenu en servitude. Nul ne sera astreintà accomplir un travail forcé ou obligatoire(...) »

Ainsi, on note une mobilisation certaine de la communauté internationale à lutter contrele phénomène esclavagiste comme le démontrent les actions de l'ONU. Cependant, le défipour cette organisation aujourd'hui est de faire face à son aspect contemporain.

2-La modernité du phénomènePourquoi parler de l'esclavage en 2011? La réponse à cette interrogation n'est pasaisée. Certes, l'esclavage a été l'une des premières préoccupations de la communautéinternationale en ce qui concerne la violation des droits de l'homme mais sa réalitééconomique actuelle défie toute interdiction légale.

16 Article 1 de la Convention de 1956: « Chacun des Etats parties à la présente Convention prendra toutes les mesures,législatives et autres, qui seront réalisables et nécessaires pour obtenir progressivement et aussitôt que possible l'abolition complète oul'abandon des institutions et pratiques suivantes, là où elles subsistent encore, qu'elles rentrent ou non dans la définition de l'esclavagequi figure à l'article premier de la Convention relative à l'esclavage signée à Genève le 25 septembre 1926 : a) La servitude pourdettes, c'est-à-dire l'état ou la condition résultant du fait qu'un débiteur s'est engagé à fournir en garantie d'une dette ses servicespersonnels ou ceux de quelqu'un sur lequel il a autorité, si la valeur équitable ce ces services n'est pas affectée à la liquidation dela dette ou si la durée de ces services n'est pas limitée ni leur caractère défini; b) Le servage, c'est-à-dire la condition de quiconqueest tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir àcette autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition; c) Touteinstitution ou pratique en vertu de laquelle : i) Une femme est, sans qu'elle ait le droit de refuser, promise ou donnée en mariagemoyennant une contrepartie en espèces ou en nature versée à ses parents, à son tuteur, à sa famille ou à toute autre personne ou toutautre groupe de personnes; ii) Le mari d'une femme, la famille ou le clan de celui-ci ont le droit de la céder à un tiers, à titre onéreuxou autrement; iii) La femme peut, à la mort de son mari, être transmise par succession à une autre personne; d) Toute institution oupratique en vertu de laquelle un enfant ou un adolescent de moins de dix-huit ans est remis, soit par ses parents ou par l'un d'eux, soitpar son tuteur, à un tiers, contre paiement ou non, en vue de l'exploitation de la personne, ou du travail dudit enfant ou adolescent. »

Introduction

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Les économistes sont unanimes, la mondialisation actuelle permet une certaineconvergence économique mais semble aussi créer un monde à deux vitesses. D'une part,celui des pays développés qui accumulent la richesse et les capitaux et d'autre part, celuides pays dits en voie de développement qui se développent beaucoup moins vite ouconnaissent un taux de pauvreté élevé. Selon la Banque Mondiale, 1,4 milliards d'habitantsvivent au-dessous du seuil d'extrême pauvreté c'est-à-dire avec moins de 1,25 dollars parjour. Cette proportion concerne le quart de la planète. 79,9% de la population d'Afriquesubsaharienne vivaient avec moins de deux dollars en 2005 (chiffres de 2008), pour l'Indeseule, ce taux s'élève à 75,6%.17

Pour ces populations, l'émigration est souvent une solution pour échapper à la pauvreté.Les conjonctures politiques et économiques instables provoquent également des fluxmigratoires qui deviennent de plus en plus aléatoires et temporaires. Ces flux migratoiresprofitent essentiellement aux réseaux d'organisations criminelles et de trafics de migrants.De plus, les femmes sont souvent celles qui supportent le plus les conséquences de lapauvreté. Selon l'ancienne rapporteuse spéciale de l'ONU sur les violences faites auxfemmes, Radhika Coomaraswamy, « le manque de droits reconnus aux femmes est lepremier élément à l'origine de tant des migrations que de la traite des femmes. » 18. Lemanque de structures économiques, politiques et sociales qui puissent donner aux femmesdes chances égales dans le monde du travail a contribué à la féminisation des migrations.Les femmes quittent désormais leur foyer pour échapper à la pauvreté de leur pays, obtenirune situation économique viable et subvenir aux besoins de leur famille restée dans leurpays d'origine.

Si l'esclavage moderne s'exprime par différents moyens, leurs caractéristiquesgénérales sont communes 19 . D'après le CCEM, la première d'entre elles est la notionde propriété. Le rapport au propriétaire a changé puisque d'un point de vue juridique,le propriétaire n'a plus aucun droit sur la victime. Cependant, la référence à la notion depropriété permet de qualifier ou non une situation d'esclavage. L'exploitant peut exercerdes attributs du droit de propriété, l'usus, le fructus ou l'abusus. En général, c'est l'abususqui caractérise les cas d'esclavage domestique, il qualifie le droit de disposer de son biencomme on l'entend.

Vient ensuite le degré de contrôle et de contrainte exercé sur la victime. Dans unesituation d'esclavage, l'individu n'est plus libre d'aller et de venir, son droit à la vie n'est pasreconnu. En somme, ses libertés fondamentales sont niées et bafouées. Un contrôle estexercé sur sa propre personne, il n'est plus libre de prendre des décisions. Dans la majoritédes cas, son droit de correspondance et les libres relations avec l'extérieur sont prohibéspar l'employeur ou le proxénète. Ces contraintes exercées sont d'ordre physique mais aussimoral. Les personnes ayant pu échapper à des situations d'esclavage expriment souventla perte de capacité à penser par soi-même lorsque le cercle vicieux de l'exploitation estenclenché.

La négation de l'humanité est aussi une conséquence de ce contrôle exercé sur lavictime. La réduction en esclavage mène à une commercialisation, une instrumentalisationet une déshumanisation de l'être humain. Celui-ci n'est plus considéré comme une personne

17 La pauvreté dans le monde. Observatoire des Inégalités. Disponible sur http://www.inegalites.fr/spip.php?article381[ Consulté le 2 mai 2011].

18 Institut des hautes études de la sécurité intérieure, 2002. Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de l’Unioneuropéenne, [Paris], IHESI p. 17

19 Id, p. 40

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à part entière bénéficiant d'une personnalité juridique puisque l'esclavage contemporainqui passe souvent par la confiscation des papiers d'identité aboutit à une négation de lapersonnalité juridique de l'individu.

Enfin, l'aliénation de la liberté de l'individu est également commune à toutes formesd'esclavage. En plus de l'interdiction d'aller et de venir, sa réduction de liberté résideégalement dans le non-respect de sa vie privée et l'absence de reconnaissance de sesbiens personnels et de ses relations sociales. Généralement, l'individu n'a pas de logementpersonnel, il demeure chez l'exploitant ou sur le lieu d'asservissement. Il subit une exclusionfamiliale mais aussi culturelle (les personnes d'origine étrangère ne parlent pas la languedu pays où elles sont exploitées). En somme, une exclusion sociale totale.20

Malgré la diversité des formes existantes, les manifestations du maintien en esclavagesont communes. L'asservissement passe souvent par une confiscation des documentsd'identité. Cet acte marque la vulnérabilité des personnes car elles deviennent directementdépendantes de leur exploitant. De plus, leurs situations administratives ne peuvent pasêtre régularisées, elles risquent donc l'expulsion à tout moment. C'est une menace quel'exploitant n'hésite pas à faire valoir. Ainsi, dans plusieurs États, ces individus sontconsidérés comme des étrangers qui séjournent irrégulièrement sur le territoire avant d'êtreconsidérés comme des victimes.

Dans certains cas, la séquestration est aussi l'une des manifestations de l'esclavagemoderne. L'aliénation de la liberté est ici complète. Souvent, la confiscation des documentsentraine la peur d'être arrêté ce qui contraint les victimes à rester cloîtrées dans le lieu oùelles se trouvent.

Les conditions de travail sont aussi une preuve de l'esclavage moderne, les heuresde travail ne sont pas limitées. La masse de travail demandée doit être exécutée et fournie.Les jours de repos ne sont pas autorisés. Les conditions de vie et d'hébergement sont ellesaussi déplorables.

Enfin, la main d'œuvre enfantine est fortement représentée dans ce domaine. Elleest fortement appréciée car l'employeur ne lui verse pas de salaires ou une très faiblerémunération. L'enfant est malléable, docile, accepte souvent sa situation et ne cherchepas à s'enfuir. De plus, l'entrée d'un mineur sur un territoire est plus facile, l'enfant n'a pasbesoin de visa pour passer la frontière, il est inscrit sur le passeport de son employeur.Contrairement aux adultes, il ne fait pas non plus l'objet de contrôle d'identité une fois arrivésur le territoire.21

Avant d'aller plus loin dans l'exposition des éléments de ce travail de recherche, il estessentiel de préciser la signification de certains termes qui seront utilisés.

3-Des concepts à clarifierQuelle expression doit-on utiliser pour qualifier un système de recrutement à l'étranger: traiteou trafic de migrants? Comment définir l'exploitation? Esclavage, servitude ou travail forcé?Certains termes qui peuvent porter à confusion seront précisés même si les situations nesont pas toujours faciles à qualifier.

20 Ibid.21 Id., p.41

Introduction

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Qu'est ce que l'exploitation?Tout au long de ce travail, le terme ''exploitation'' sera souvent employé. Celui-ci n'a

pas été défini par le droit international, les conventions s'y référant comme le Protocole dePalerme ont laissé le choix aux États parties de le faire. Le Protocole cite par exemple uneliste de certaines formes d'exploitation sans pour autant préciser ce vocable.22 En revanche,les formes d'exploitation telles que l'esclavage, la prostitution, le mariage forcé ou encore letravail forcé ont été définies et acceptées de manière consensuelle. Dans ce travail, le termeexploitation sera utilisé conformément au sens donné par le dictionnaire de l'AcadémieFrançaise23 c'est à dire le fait de tirer de quelque chose un profit illicite ou excessif.

Traite des êtres humains ou trafic de migrants?Esclavage, trafic et traites sont trois notions qui sont souvent indissociables mais qui

prêtent à confusion. La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationaleorganisée de 2000, dite la Convention de Palerme, a permis une avancée dans ledomaine de la traite. Cette convention comporte des protocoles additionnels dont leProtocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationaleorganisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier desfemmes et des enfants dit le Protocole de Palerme. Une définition juridique de la traite a étéforgée à l'occasion de la rédaction de ce Protocole. Celle-ci concerne:

« le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil despersonnes, en recourant à la force, à la menace ou d'autres formes de contraintesou par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation devulnérabilité, ou en donnant ou en recevant des paiements ou des avantagespour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre auxfins d'exploitation. L'exploitation comprend au minimum, l'exploitation de laprostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou lessévices forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitudeou le prélèvement d'organes »

Le Protocole de Palerme a été salué pour sa nouvelle approche qui ne limite plus la questionde la traite à la prostitution. Il défie l'idée reçue selon laquelle la traite des femmes seraituniquement liée à la prostitution. En effet, de nombreux États associent automatiquement,encore aujourd'hui, les phénomènes de traite et de prostitution. Cette confusion a eu desconséquences sur les politiques nationales puisque la lutte contre la traite a été le plussouvent appréhendée par le débat sur la prostitution et la lutte contre le proxénétisme.Pourtant, la traite et le proxénétisme sont deux infractions différentes.

Avant l'année 2000, les termes ''traite des êtres humains'' et ''trafic de migrants'' étaientutilisés pour qualifier le même phénomène. Cette utilisation à tort a également eu desconséquences sur les politiques de lutte préconisées. Pourtant, ce sont deux conceptsdifférents. Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel àla Convention de Palerme qualifie le terme trafic illicite de migrants comme:

22 En vertu de l'article 3 a) du Protocole de Palerme, « ..l’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitutiond’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage,la servitude ou le prélèvement d’organes... »

23 Dictionnaire de l'Académie Française, 8ème édition.

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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« le fait d'assurer, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantagefinancier ou un autre avantage matériel, l'entrée illégale dans un État partie d'unepersonne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État. »24

L'Union Européenne distingue également la traite de l'aide à l'entrée illégale sur un territoirenational. On peut le remarquer de par le fait qu'elle définit ces concepts avec deuxinstruments contraignants différents: d'une part, la Décision-cadre du Conseil 2002/629/JAIdu 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains et d'autre part, laDirective du Conseil 2002/90/CE définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irrégulierdu 5 décembre 2002, complétée par la Décision-cadre du Conseil 2002/946/JAI du mêmejour visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l'aide à l'entrée, au transit etau séjour irrégulier.

Il est évident que la différence entre les deux concepts sur le terrain est difficile àidentifier. Les deux phénomènes empruntent les mêmes trajectoires d'immigration et lesmêmes réseaux ce qui les rend moins visibles et difficiles à être identifiés.25 Les victimesde traite voyagent souvent avec des travailleurs migrants ou des réfugiés, il n'y a pas detrajectoire spécifique pour la traite.

Au delà de ces similitudes, ces concepts sont bien différents dans leur fin. La traiteconduit à une exploitation de la force de travail d'une personne. Le trafic de migrants tireprofit d'un contexte difficile de pouvoir migrer légalement en faisant payer des sommesconsidérables aux personnes désirant quitter ou fuir leur pays.26Une fois arrivé sur leterritoire, le migrant qui utilise un trafic est libre de ses faits et gestes alors que la personnefaisant les frais d'une traite ne l'est pas. De plus, le trafic de migrants est forcémenttransnational alors que la traite peut-être tout à fait de nature nationale.

A ces similitudes qui portent à confusion, s'ajoute un problème de vocabulaire. Latraduction des termes anglophones dans les pays de langue latine peut également poserproblème. En anglais, il existe deux mots distincts pour désigner ces phénomènes. Le traficdes êtres humains est traduit par ''smuggling'' et la traite des êtres humains par ''trafficking''.Au niveau international, l'expression trafic de migrants est préféré pour désigner la traite. Parexemple, l'expression ''trafficking in humain being'' est traduit en français courant par traficdes êtres humains alors qu'il désigne la traite des êtres humains. De plus, la majorité de ladocumentation sur la traite est rédigée en anglais. Lorsque les informations sont traduites,la presse parle donc souvent de ''trafic des êtres humains'' alors qu'il s'agit de ''traite desêtres humains''

Enfin, on remarque que les États ont encore des réticences à reconnaître latraite comme une atteinte aux droits fondamentaux de l'être humain. Dans certaineslégislations, la traite relève exclusivement ou en grande partie du droit pénal etnon des droits de l'homme. Nombre de juristes ont d'ailleurs déploré le fait quele Protocole de Palerme qui organise la lutte contre la traite ne relève pas de laprotection des droits fondamentaux mais de la répression contre le crime organisé.

Esclavage, servitude ou travail forcé?

24 Article 3-a) du Protocole additionnel contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer.25 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains, Réalités de l'esclavage contemporain . Paris: La Découverte. p.1726 Ibid.

Introduction

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La notion de traite est ainsi bien définie en droit international, mais les notionsd'esclavage, de servitude et de travail forcé se heurtent souvent à la difficulté de s'adapterà la modernité de l'exploitation de notre époque.

La notion de travail forcé est souvent une source d'ambiguïté, elle est périodiquementutilisée pour qualifier des situations d'esclavage. Or, ces deux concepts sont distincts. L'OITdans son rapport de 2005 a précisé en quoi le travail forcé n'est pas de l'esclavage:

« L'esclavage est l'une des formes du travail forcé. Il désigne une situation danslaquelle une personne ou un groupe est soumis au pouvoir sans limite d'uneautre personne ou d'un autre groupe (...). Il est presque certain qu'une personneréduite en esclavage sera contrainte de travailler, mais sa condition ne se limitepas à ce seul aspect. Par ailleurs, l'esclavage est un statut permanent qui setransmet souvent d'une génération à l'autre et non un statut temporaire. »27

Il convient de noter que ce rapport n'est en aucun cas contraignant et n'a crée aucunenorme juridique, cette définition n'a pas été acceptée de manière consensuelle par les ÉtatsIl permet tout de même de comprendre les différences de concept. Pour autant, le débat setrouve aujourd'hui davantage autour de la distinction entre ''esclavage'' et ''servitude''.

Contrairement à la servitude pour dettes, la notion de servitude n'a pas été définiepar les conventions onusiennes. C'est la CEDH qui, après examen des conventionsinternationales et de sa jurisprudence, a affirmé que « la servitude (...) s'analyse en uneobligation de prêter ses services sous l'empire de la contrainte et qu'elle est à mettre en lienavec la notion d'esclavage qui la précède »28

Selon le CCEM, le terme ''esclavage domestique'' est inadéquat pour qualifier lessituations d'exploitation domestique. En effet, le terme ''esclavage'' fait référence à la seulephase de l'exploitation de l'être humain qu'elle ait nécessité une phase de traite ou non.Or, en ce qui concerne l'esclavage domestique, l'asservi est d'abord recruté grâce à unphénomène de traite. De plus, le fait d'utiliser le terme ''esclavage'' signifie qu'il y a uneréification totale de l'individu. La personne est censée être l'équivalent d'un objet et estconsidérée uniquement pour sa force de travail. Les degrés intermédiaires entre l'esclavageet le travail forcé sont ainsi considérés comme une situation de servitude.

Pour autant, la définition de la servitude donnée par la jurisprudence de la CEDH aété massivement critiquée. La définition d'esclavage peut très bien s'appliquer aux casd'exploitation domestique. Celle-ci, centrée sur la notion de propriété (conformément àl'article 1 de la Convention de 1926), vise l'exercice de certains attributs du droit de propriétéce peut s'appliquer à l'exploitation domestique (ce point sera amplement précisé dans leTitre 1). De plus, nous utiliserons le terme ''esclavage domestique'', expression utilisée dansles publications officielles de l'ONU afin de toucher un grand public tout au long de ce travail.

De plus, les États ont souvent besoin d'outils statistiques valables afin d'évaluer unesituation et de la solutionner. Or, l'esclavage moderne est aujourd'hui invisible du fait deson caractère clandestin. Les statistiques concernant l'esclavage sont rares, les Étatsne préférant pas communiquer sur ce sujet. Pour autant, des statistiques de 2006 sont

27 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains Réalités de l’esclavage contemporain La Découverte, p. 9028 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, Siliadin c. France, Arrêt du

26 juillet 2005, requête n° 73316/01, (par. 124) disponible sur: http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=siliadin&sessionid=75985311&skin=hudoc-fr

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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disponibles en annexe.29 Après ce point de précision de vocabulaire, il convient de présenterles caractéristiques de l'esclavage domestique.

4-L'esclavage domestique en perspectiveCe travail de recherche va se concentrer essentiellement sur l'esclavage domestique,phénomène hautement méconnu en Europe notamment en France. Les témoignages quidébutent cette introduction sont malheureusement vérifiés sur le terrain par les autoritésde police judiciaire et les membres de l'unique association qui s'occupe spécifiquement decette problématique en France: le Comité de lutte Contre l'Esclavage Moderne.

Fondée en 1994 pour lutter contre toutes les formes d'esclavage, le CCEM s'estrapidement spécialisé dans la prise en charge des victimes de l'esclavage domestique. Samission est premièrement d'assister les victimes dans leurs procédures judiciaires contreleurs employeurs. Le Comité a donc à son actif une expérience et une connaissance accruedes défis et des lacunes des institutions judiciaires face à la répression des faits d'esclavage.Le CCEM fait référence à la situation d'esclavage domestique comme

« toute personne placée en état de vulnérabilité par une contrainte physique et/ou morale, et qui se trouve dans l'obligation de fournir un travail sans qu'il luisoit allouée une contrepartie réelle et ce, dans un contexte privatif de libertés etcontraire à la dignité humaine. » 30

Ces situations s'accompagnent parfois de violence physique et/ou sexuelles. Selon cequ'a pu observer le Comité, les exploitants adoptent des méthodes similaires pourpermettre l'asservissement de la victime. Ces moyens d'actions sont typiques de l'esclavagedomestique et le différencie des autres formes contemporaines d'esclavage.

On distingue trois catégories de victimes. La première fait référence à des personnesqui ont été recrutées dans leur pays d'origine par des agences pour occuper un emploide domestique à l'étranger. Ce sont des cas assez rares. Ces personnes viennentgénéralement des pays de l'Asie du Sud Est.

La deuxième catégorie concerne des individus qui ont été victimes de trafiquants,on retrouve les mineurs originaires d'Afrique de l'Ouest. Selon le CCEM, depuis deuxdécennies, on constate une recrudescence de trafic d'enfants dans cette région.

La troisième catégorie concerne les personnes déjà employées dans des paysétrangers mais qui doivent suivre leur employeur lorsque ces derniers séjournent dans despays européens. C'est le cas des domestiques de l'Asie du Sud Est qui travaillent pour desagents diplomatiques du Proche ou du Moyen Orient.

Dans la majorité des cas, le processus a débuté par un recours à la traite c'est à dire ledéplacement de la victime sur un autre territoire en vue de l'exploitation de la force de travailde la personne. L'exploitant est souvent lui-même l'auteur de la traite et de l'exploitation.Lorsque l'employeur passe par un recruteur, il le fait de manière individuelle et sporadique.L'organisation en réseau des exploitants de l'esclavage domestique n'est pas avérée. Le

29 Voir Annexe 1 p.11130 Institut des hautes études de la sécurité intérieure, 2002. Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de

l’Union européenne, [Paris], IHESI, p.33

Introduction

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recrutement se fait souvent au moyen de tromperies. L'employeur promet une régularisationde la situation administrative ou une scolarisation des personnes mineures. Arrivé dans lepays de l'employeur, l'exploitation consiste à faire des tâches domestiques quotidienneset de garde d'enfants. L'exploiteur peut soit vendre les services de la victime à d'autrespersonnes ou bénéficier lui-même de manière exclusive de ces services, ce qui est lasituation la plus fréquente. La preuve de l'exploitation est dans ce cas difficile à établir et lesgains tirés de l'exploitation difficilement chiffrables.

L'une des particularités de l'esclavage domestique est qu'il n'y a pas de profil typed'exploitant. Ils proviennent de toute classe sociale allant de personnes d'origine trèsmodeste à des agents diplomatiques. Leur seul point commun est leur lien avec la migration.Dans la majorité des cas, ils ont la même origine que les personnes exploitées. Cela peut-être le fait d'un couple mixte dont le mari est généralement ressortissant d'un pays européenou de couples expatriés qui ont ramené dans leurs bagages une domestique à l'occasiond'un séjour dans leur pays d'origine. Selon le CCEM, la majorité des employeurs sontoriginaires de l'Afrique de l'Ouest, du Proche et du Moyen Orient.

Un témoignage recueilli par la Mission d'information commune sur les diverses formesde l'esclavage moderne en France réalisée par l'Assemblée Nationale permet d'illustrer lesliens que les exploitants ont en général avec la migration:

« Madame O. retourne en Afrique régulièrement et ramène d'autres enfantsqu'elle place dans des familles. Elle avait un salon de coiffure. L'argent lui étaittoujours versé, et nous n'avions droit à rien. (...) Nous vivons dans un payspauvre, alors quand des personnes viennent nous faire des propositions, noussommes contentes, nous pensons que nous pourrons nous en sortir, vivrecomme tout le monde. Or quand on arrive en France, on s'aperçoit que cespropositions ne sont pas respectées.31

5-La mobilisation de l'Union EuropéenneIl est évident que sans certains acteurs, la lutte contre l'esclavage et la traite ne pourraitavancer. Le rôle de la société civile dans ce domaine est essentiel. Des associations commele CCEM ou Antislavery International sont des acteurs de la lutte en Europe. Dans le cadredu programme DAPHNE32de la Commission Européenne, des études ont été menées auniveau européen pour évaluer les systèmes de répression et de protection des victimes.Il en est ressorti une hétérogénéité des pratiques de répression dans la transposition desnormes internationales. Ceci est surement dû au fait des différences de tradition juridiques.Au niveau européen, les États n'ont pas la même conception du phénomène ce qui fragilisela protection des victimes de ce genre de trafic. La traite des êtres humains, par exemple,n'est pas reconnue par tous les pays européens. Cette différence de conception influenceleur politique de lutte, ce qu'on appelle le tout répressif ou la répression associée à laprotection des victimes.

31 Assemblée Nationale, 2001, « Audition de Paulette Lokassa », Rapport d’information sur « Les diverses formes de

l’esclavage moderne », tome I, n°3459, p.5432 Programme d'action communautaire qui prévoit des mesures préventives visant à lutter contre la violence envers les enfants, lesjeunes gens et les femmes.

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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Néanmoins, depuis l'adoption de la décision cadre du 19 juillet 2002 relative à la luttecontre la traite des êtres humains, l'Union Européenne a élargit son plan de lutte. En effet,depuis les années 1990, l'Union Européenne avait adopté des actions communes afin delutter contre l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, impulsées par la présidencede la Belgique en 1995. On peut citer:

- l'Action commune 96/700/JAI du Conseil du 29 novembre 1996 relative àl'établissement d'un programme d'encouragement aux personnes responsables de l'actioncontre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants

- l'Action commune 96/748/JAI du Conseil du 16 décembre 1996 qui élargit le mandatdonné à l'unité ''Drogues'' Europol

- l'Action commune 97/154/JAI du 24 février 1997 qui invite les États membres à revoirleurs législations pour mettre en place des sanctions pénales effectives et dissuasives pourles responsables de la traite internationale.

Or, ces textes n'étaient pas des textes contraignants même s'ils témoignent d'une prisede conscience générale.

Depuis, la Décision-cadre 2002/629/JAI du 19 juillet 2002 a pour objectif de compléterles instruments déjà destinés à la lutte contre la traite notamment le programme DAPHNE, leréseau judiciaire européen et les magistrats de liaison. On peut également citer la Directive2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissantsde pays tiers qui sont victimes de la traite ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigrationclandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes.Ces textes sont contraignantset sont devenus essentiels à la lutte en Europe.

Selon Georgina Vaz Cabral33, ces instruments ont malheureusement des approchesuniquement répressives vers la lutte contre l'immigration clandestine. Pour autant, on peutféliciter l'Union Européenne pour une telle mobilisation même si celle-ci est lacunaire. Uneprise de conscience est en marche.

6-La répression en FranceEn France, de nombreuses lacunes existent dans la transposition des engagementsinternationaux de l'État en matière de lutte contre les formes contemporaines d'esclavage.L'incrimination de l'esclavage n'existe pas en tant que telle dans le droit interne malgré lesrecommandations du Conseil de l'Europe et la jurisprudence de la Cour Européenne desDroits de l'Homme dans l'affaire Siliadin c. France. Pourtant, la réduction en esclavage entant que crime de masse est considérée comme un crime contre l'humanité et est puni deréclusion criminelle.

L'article 211-1 du Code pénal dispose que:« La déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive etsystématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis deleur disparition, de la torture ou d'actes inhumains, inspirées par des motifspolitiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisées en exécution d'un

33 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains Réalités de l’esclavage contemporain La Découverte., p. 175

Introduction

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plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile sont punies de laréclusion criminelle à perpétuité »

L'expression « organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe depopulation civile » démontre que ce crime doit être mené à l'égard d'un groupe.Il ne peuts'appliquer à des cas de réduction en esclavage individuels.

De même, jusqu'en 2003, il n'existait pas d'incrimination spécifique de traite des êtreshumains en France. Les ONG actives notamment le CCEM ont milité pendant une annéepour faire valoir la cause de la traite au niveau national. Une Mission d'information communesur les diverses formes de l'esclavage moderne a été mis en place par l'Assemblée nationaleau début de l'année 2001. Le rapport (L'Esclavage, en France aujourd'hui) a été rendu publicle 14 décembre de la même année. Ce fut le début d'une prise de conscience nationale del'existence de situations d'esclavage et de traite des êtres humains en France. Ce rapportdénonce de nombreuses lacunes juridiques dans la répression et l'aide aux victimes touten recommandant des solutions possibles.

Pour palier au manque d'incrimination spécifique d'esclavage, la répression duphénomène se fait sur le fondement des articles 225-13 et 225-14 du Code pénal. L'article225-13 dispose que:

« Le fait d'obtenir d'une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendancesont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de services non rétribuésou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importancedu travail accompli est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 Eurosd'amende. »

En vertu de l'article 225-14,« Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état dedépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travailou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ansd'emprisonnement et de 150 000 Euros d'amende. »

Ces articles font de la dignité humaine une valeur protégée par le droit interne mais leurséléments constitutifs sont difficiles à caractériser. Par voie de conséquence, la difficulté deleur application aux cas d'esclavage domestique limite l'efficacité de la répression.

De même, le dispositif d'aide aux victimes et de protection est rudimentaire faceà d'autres pays européens. La victime d'esclavage domestique n'est généralement pasreconnue comme victime de traite des êtres humains ce qui limite le dispositif de répressionet d'aide à son égard.

Le but de ce travail est d'abord informatif, un plus grand nombre devrait être au courantde ce fléau en France. Il recherche à apprécier l'efficacité et l'effectivité de la lutte contrece phénomène en droit international. Il veut enfin démontrer les failles du système derépression des exploitants et de protection des victimes dans une perspective d'améliorationdans un futur proche.

Ce travail de recherche a connu un principal écueil méthodologique qu'il sembleopportun de mentionner. La problématique de l'esclavage domestique n'est pas un sujetconnu du grand public et est souvent considérée comme un sujet tabou. Il a donc étédifficile de trouver une diversité des sources pour avoir des informations précises, peud'associations et de structures spécialisées s'occupant spécifiquement de ce phénomèneen France.

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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Au vu de cette présentation succincte de l'esclavage moderne, le but de ce mémoiresera de déterminer dans quelle mesure la mobilisation de la communauté internationalepour lutter contre ce phénomène quant à la répression de l'esclavage domestique et laprotection des victimes est retranscrite et appliquée dans le droit interne. Après avoir étudiéles fondements de la répression (Partie 1), nous analyserons les dispositifs de protectionet de réhabilitation des victimes (Partie 2).

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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Partie 1: La répression du phénomèneesclavagiste

L'esclavage domestique est une forme d'asservissement moderne qui souvent invisibleà l'œil nu est appréhendé avec difficultés. Lutter contre l'esclavage domestique est undéfi quotidien pour les juristes qui s'y attaquent. Selon les juristes du Comité de LutteContre l'Esclavage Moderne qui accompagnent les victimes, la lutte contre ce fléau estd'autant plus difficile qu'aucune définition claire et précise de l'esclavage moderne ou desformes contemporaines d'esclavage a été acceptée de manière consensuelle par tous lesÉtats Certes, des définitions existent dans nombre de conventions mais le phénomènede l'esclavage moderne englobe diverses situations que le concept même d'esclavage endroit international est mis à mal. Le défi qui se dresse aujourd'hui devant la communautéinternationale est l'adaptation des définitions juridiques de l'esclavage classique à lamodernité de la réalité.

La répression du phénomène esclavagiste au niveau international sera tout d'abordanalysée (Titre 1) avant d'exposer les mesures qui sanctionnent l'esclavage domestiquedans la législation interne (Titre 2).

Titre 1: Le cadre juridique international de la lutteSelon la juriste Michele Cavallo, la notion des « formes contemporaines d'esclavage » 34

n'a pas connu au niveau du droit international une consécration juridique en bonne et dueforme pour que ces pratiques soient « sanctionnées en tant qu'esclavage. » 35 Il n'y a pasde critères uniques adoptés au niveau international permettant de sanctionner l'esclavagedomestique.

Depuis une dizaine d'années, des efforts conventionnels ont été entrepris pourlutter contre ce phénomène mais il manque une définition opératoire et consensuellede l'esclavage domestique. Ce phénomène peut être appréhendé par les concepts deservitude ou de travail forcé mais ceux-ci n'englobent pas toutes les caractéristiques del'esclavage domestique (I). En ce sens, la jurisprudence internationale, notamment celle dela Cour Européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Siliadin c. France peut éclairer cephénomène et tenter d'élucider les éléments constitutifs de cette infraction afin de permettreune meilleure répression (II).

Chapitre I-Le droit conventionnel de la répression de l'esclavage34 Cavallo, M. 2006. Formes contemporaines d’esclavage, de servitude et travail forcé. TPIY et la CEDH entre passé et avenir. Droitsfondamentaux, n°6, p. 235 Ibid.

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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Les différents instruments mis en place pour lutter successivement contre la traite des êtreshumains et l'esclavage reflètent plusieurs âges des relations internationales. En effet, dubilatéralisme au système onusien actuel, en passant par la SDN et le multilatéralisme, laramification des traités dans ce domaine est importante.

Cette partie n'est pas simplement une énonciation des conventions ou traités en vigueuraujourd'hui, mais elle se veut être un inventaire plus que nécessaire pour comprendreles engagements internationaux qui lient les États en matière d'esclavage moderne. Cettesuccession de traités témoigne également de la diversification de la problématique et deson caractère contemporain. Aussi, le choix des conventions présentées est motivé par leurnature contraignante pour la France.

La définition de l'esclavage a toujours été matière de désaccords depuis le début dumouvement abolitionniste. Pour les organes onusiens, ce désaccord résulte de divergencesd'opinions concernant les pratiques pouvant être assimilées à l'esclavage mais aussi dufait que la définition d'un phénomène interdit conditionne les mesures que les États doiventprendre pour lutter contre celui-ci. Des litiges ont toujours existé concernant les stratégiesrépressives à adopter.36

La construction juridique de la notion d'esclavage s'est d'abord faite par une répartitioninitiale des rôles entre la SDN et l'OIT d'une part et entre les notions d'esclavage et de travailforcé d'autre part. Afin de mieux comprendre le phénomène de l'esclavage domestique, ilest nécessaire ici d'identifier ce que recouvrent les concepts de l'esclavage et la servitude(1) mais également le travail forcé (2). Pour lutter efficacement contre le phénomène del'esclavage moderne, la traite des êtres humains doit être également combattue (3).

1-Les définitions internationales de l'esclavageLa Convention relative à l'esclavage de 1926 (1-1) et la Convention supplémentaire relativeà l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analoguesà l'esclavage du 7 décembre 1956 (1-2) définissent la notion d'esclavage. La Commissioneuropéenne des droits de l'homme est venue préciser la distinction entre les notionsd'esclavage et de servitude (1-3).

1-1. La Convention relative à l'esclavage de 1926La Convention de 1926 est la première convention qui propose une définition juridiquede l'esclavage. Pour qu'il y ait esclavage, une condition centrale doit être remplie : laconsidération de la victime en tant que propriété d'un autre être humain.

En effet, il est indiqué dans l'article 1 que l'esclavage est « l'état ou la condition d'unindividu sur lequel s'exerce les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux ». Lesattributs du droit de propriété sont au nombre de trois:

- l'usus qui qualifie le droit d'utiliser son bien,- le fructus qui est le droit de percevoir les fruits ou les produits (un fruit est un revenu

qui se renouvelle comme une récolte ou un loyer, un produit est un revenu qui amoindrit lavaleur du bien comme une carrière ou une mine),

- l'abusus qui est le droit de disposer de sa propriété comme on l'entend (donation,vente, transformation ou destruction).

36 Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, 2002. Abolir l'esclavage et ses formes contemporaines.Nations Unies. p.4

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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On note que cette définition est relative au phénomène esclavagiste issu de la traitenégrière et de la relation bien-propriétaire qui liait l'esclave et le maître. Le paragraphe 2du même article fait référence à la traite en évoquant également les attributs du droit depropriété:

« La traite des esclaves comprend tout acte de capture, d'acquisition ou decession d'un individu en vue de le vendre ou de l'échanger, tout acte de cessionpar vente ou échange d'un esclave acquis en vue d'être vendu ou échangé, ainsique, en général, tout acte de commerce ou de transport d'esclave. »

Cette première définition de l'esclavage a progressivement été considérée comme obsolètepar la communauté de juristes qui devaient lutter contre de nouvelles formes d'esclavagesdont les caractéristiques n'étaient plus celles de la traite du 19ème siècle. L'esclavageest devenu plus subtil, invisible aux yeux de la loi car n'arborant pas toutes lescaractéristiques du droit de propriété. Or, selon cette définition, l'esclave est défini commeétant juridiquement la propriété d'une autre personne, ce qui signifie la négation de sapersonnalité juridique. Cet exercice du droit de propriété suppose que la personne doit êtretraitée comme un objet ou un bien. L'urgence était d'avoir des moyens répressifs afin depunir pénalement les nouvelles formes d'esclavage. Cette convention de 1926 avait commeprincipale faiblesse et défaut de ne pas se fonder sur une valeur protégée pour faire valoirl'interdiction37. C'est la convention de 1956 qui va remédier à cette lacune.

1-2. La Convention supplémentaire de 1956La Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaveset des institutions et pratiques analogues à l'esclavage du 7 décembre 1956 reprendla même définition de la Convention précédente de 1926 dans son article 7. L'avancéefondamentale se trouve en ce que la convention de 1956 se fonde sur une valeur essentielle:la dignité humaine. La référence à cette valeur permet de « renforcer l'interdit et d'ouvrirla définition » 38.

Le Préambule de la Convention de 1956 dispose que « La liberté est un droit que toutêtre humain acquiert à sa naissance » et évoque le fait que le peuple des Nations Uniescroit « dans la dignité et la valeur de la personne humaine ». L'esclavage est maintenantconsidéré comme une pratique discriminatoire exercé sur la liberté de la personne qu'on neconsidère pas comme être humain.

La Convention de 1926 en précisant l'exercice des attributs du droit de propriété « oucertains d'entre eux »39 prévoyait déjà d'élargir la notion aux formes non traditionnelles.Quelques décennies plus tard, la Convention de 1956 élargit le champ d'application enincluant des pratiques telles que la servitude, le servage, la cession de femmes (mariageforcé, transmission par héritage) ou la cession d'enfants en vue de leur exploitation40. Onpeut conclure en disant que la notion de propriété reste un concept central et incontournablede la qualification d'une situation d'esclavage.

La notion d'esclavage se confond souvent avec celle de servitude. La CEDH a pu seprononcer sur cette distinction.

37 Massias, F., 2006. L’esclavage contemporain: les réponses du droit. Droit et Cultures, 39, p.10438 Ibid.

39 Article premier de la Convention de 192640 Article premier de la Convention de 1956 disponible sur http://www2.ohchr.org/french/law/esclavage_abolition.htm

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1-3. La Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et deslibertés fondamentales et la protection des victimes via l'article 4L'article 4 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme comporte 3 paragraphes.Le premier dispose que « nul ne peut-être tenu en esclavage ni en servitude ». Le deuxièmedispose que « nul ne peut-être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ». Leparagraphe 3 énonce quant à lui quatre cas de figure qui échappent à la définition du travailforcé.

La servitude et l'esclavage sont tous deux présents dans le même article. Selon laCommission européenne des droits de l'homme, la servitude se distingue de l'esclavage parson degré et non sa nature.41De plus, l'esclavage et la servitude investissent le statut d'unepersonne en totalité alors que ce n'est pas le cas du travail forcé.42 Ces deux paragraphessont également différenciés par la disposition de l'article 15 paragraphe 2 qui énonce queseul le premier paragraphe de l'article 4 (mais pas son paragraphe 2) ne peut faire l'objetd'une dérogation, même en temps de guerre.43 Le point à évoquer est que l'article 4 nedonne aucune définition de l'esclavage ni de la servitude, c'est également le cas pour letravail forcé.

Cependant, la Commission européenne des droits de l'homme à propos de l'affaireVan Droogenbroeck c.Belgique a indiqué que la Cour pouvait recourir aux instrumentsinternationaux disponibles pour définir et mieux encadrer les notions contenues dans l'article444. La Cour fait appel dans cette affaire à la définition de l'esclavage contenue dans laConvention de 1926. La Commission Européenne des droits de l'homme a défini la servitudecomme « l'obligation de vivre et de travailler sur la propriété d'autrui et de lui fournir certainsservices, rémunérés ou non, ainsi que l'impossibilité de changer de condition ».45 Dans cetteaffaire, le requérant se plaignait d'avoir été contraint à travailler en détention pour pouvoirconstituer une somme d'argent nécessaire à sa libération. La Cour a estimé qu'il n'avait pasété soumis à une situation de servitude et qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 4.

En ce qui concerne l'arrêt de principe Siliadin c. France du 26 juillet 2005, la Cour acondamné la France en vertu de la violation de l'article 4 de la Convention. Cet arrêt marqueun tournant majeur dans le domaine de l'esclavage domestique. Il permet de préciser lanotion de servitude, il sera plus spécifiquement analysé dans le Chapitre 2.

De manière générale, la personne exploitée est souvent amené à pratiquer un travailforcé. Pour autant, il existe des distinctions entre le travail forcé et l'esclavage. L'OIT s'estefforcée de préciser la notion de travail forcé.

41 Rapport de la Commission dans l'affaire Van Droogenbroeck du 9 juillet 1980, Cour, série B n°44, p.30. Référencetrouvée dans la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, par.95, disponible sur http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/197.htm

42 Pettiti, L.-E., La Convention Européenne des Droits de l’Homme Commentaire article par article Economica., 1995, p. 17743 Id, p.17844 Rapport de la Commission dans l'affaire Van Droogenbroeck du 9 juillet 1980, Cour, série B n°44, p.30 Référence

trouvée dans la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, par.95, disponible sur http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/197.htm

45 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Siliadin c. France, arrêt du 26juillet 2005, requête n° 73316/01, par. 123 disponible sur: http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=siliadin&sessionid=75985311&skin=hudoc-fr

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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2-Conventions de l'Organisation Internationale du Travail relatives au travailforcé (1930 et 1957)L'OIT étant l'organisme chargé de superviser et d'élaborer les normes internationales dutravail a mis en place à la suite des Nations Unies certaines conventions internationalesconcernant le respect des droits fondamentaux au travail. Cet organisme a adopté 183conventions qui forment un Code international du travail couvrant de nombreux domaines.

Les quatre objectifs fondamentaux de l'organisation sont d'éliminer le travail forcé, degarantir la liberté d'association y compris la liberté syndicale, d'abolir le travail des enfantset en finir avec les discriminations dans l'emploi.46 Deux conventions de l'OIT concernentl'abolition du travail forcé ou obligatoire. Les conventions n°29 sur le travail forcé de 1930(2-1) et n°105 sur l'abolition du travail forcé de 1957 (2-2) sont celles qui ont connu le plusde succès et ont été le plus largement ratifiées. Les dispositions fondamentales de ces deuxconventions seront exposées ci-dessous.

2-1. Convention (n°29) sur le travail forcé de 1930Actuellement, cent cinquante neuf pays ont ratifié cette convention fondamentale dontla France. Elle est entrée en vigueur en France le 24 juin 1938. Dans cette partie,les dispositions de la convention seront examinées succinctement selon trois points: ladéfinition du travail forcé ou obligatoire (a), les dispositions prévues par les articles 1paragraphe 1 et 25 de la convention (b) et enfin les exceptions du champ d'application dela convention (c).

a) Définition du travail forcé ou obligatoireDans la Convention n°29 sur le travail forcé de 1930, le travail forcé est défini à l'article 2-1comme « tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconqueet pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré ».

Deux critères ont souvent été retenus et réaffirmés par l'organisation pour lacaractérisation d'une situation de travail forcé ou obligatoire, ce sont l'exécution du travailou du service sous la menace d'une peine et contre la volonté de la personne.

Menace d'une peine quelconqueIl a été précisé que la peine n'est pas forcément de caractère pénal mais peut

concerner la privation de certains droits ou privilèges47. La menace peut prendre diversesformes jusqu'à aller aux violences physiques et à des contraintes physiques. Les menacespeuvent aussi être plus subtiles c'est-à-dire d'ordre psychologique comme c'est le cas pourl'esclavage domestique. Les travailleurs immigrés sont menacés d'être dénoncés à la policeou aux services d'immigration. L'employeur peut également confisquer les papiers d'identitéde la personne et la contraindre à travailler. Il peut s'agir de menaces pécuniaires, le travailforcé s'effectue alors pour le remboursement d'une dette. Ce sont des situations auxquellesl'OIT doit faire face régulièrement.

Offert de plein gré

46 Voir le site de l'OIT http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/mission-and-objectives/lang--fr/index.htm47 Conférence internationale du Travail, 14e session, 1930: Compte rendu des travaux, troisième partie, p. 691. CEACR, étude

d’ensemble de 1979 sur l’abolition du travail forcé, par. 21. Référence trouvées dans Kern M. et Sottas C., Liberté des travailleurs:interdiction du travail forcé ou obligatoire, p. 45

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Là encore cette composante de la définition juridique a été étudiée par les organes decontrôle de l'OIT qui ont mis en exergue plusieurs facettes du problème: la forme et l'objetdu consentement, les incidences des contraintes extérieures et des pressions indirectes,imputable ou non à l'État ou à l'employeur et la possibilité pour un mineur (ou ses parents)de donner un consentement valable.

En ce qui concerne la forme et l'objet du consentement, l'OIT n'a pas précisé lesmodalités du consentement. Elle s'est accordée pour ne s'attacher au consentement formelque dans les cas où le libre arbitre ne peut-être « présumé ».48

Pour ce qui est de l'objet du consentement, l'OIT distingue les situations de recherched'emploi et l'acceptation concrète d'une situation. Généralement, lorsque des travailleursmigrants ont été amenés à accepter des situations de travail forcé par la ruse, la force, defausses promesses ou par la confiscation des papiers, les organes de contrôle de l'OIT ontconstaté la violation de la convention. Les victimes en situation de travail forcé sont souventdes personnes qui à l'origine se sont engagées de plein gré dans cette situation et ontensuite découvert qu'elles ne pouvaient plus la quitter. Elles ont découvert l'impasse danslaquelle elles étaient comme c'est souvent le cas pour l'esclavage domestique. Menaces,confiscation des papiers, ou pressions psychologiques viennent souvent accompagner letravail forcé.

Rôle des contraintes extérieures ou indirectesLes contraintes extérieures ou indirectes font référence au cadre législatif qui assure

ou limite la liberté de s'offrir de plein gré. La liberté de choisir parmi toutes les possibilitésde catégories d'emploi n'est pas suffisant pour l'organisation notamment dans le cas où deslois nationales obligent les individus à avoir une activité lucrative pour tous les citoyens.Cette obligation de travailler a été jugée comme incompatible avec les conventions de1930 et 195749. La contrainte extérieure ou indirecte peut résulter des actes de certainesautorités telles qu'une loi mais également de la pression que peut exercer un employeurenvers un travailleur migrant lorsque ses papiers d'identité sont confisqués. Dans ce cas,la responsabilité de l'État est également engagée aux termes de la convention.

Possibilité pour un mineur (ou ses parents) de donner un consentement valableLes organes de contrôle de l'OIT dans le cadre du consentement ont pu mettre en

évidence le fait que des mineurs pouvaient donner leur consentement de leur plein gré etdans certaines conditions. Cette affirmation vient du fait que dans la plupart des ordresjuridiques nationaux qui prévoient l'âge de la majorité civile entre 18 et 21 ans, il est possiblepour des mineurs de conclure des contrats de travail à partir d'une limite d'âge souventcorrespondant à la fin de la scolarité obligatoire (à partir de 16 ans en France selon l'articleL.131-1 du Code de l'éducation). Cependant, les emplois dangereux pour la santé, lasécurité ou la moralité sont interdits aux enfants de moins de 18 ans conformément auxdispositions des conventions applicables en la matière de l'OIT comme par exemple l'article3-150 de la convention n°138 de 1973 ou les articles 1, 2 et 3d de la convention de l'OIT sur

48 Kern & Sottas Rapport de l'OIT, Chapitre 3, Liberté des travailleurs: l'abolition du travail forcé ou obligatoire p. 4749 Conférence internationale du Travail, 14e session, 1930: Compte rendu des travaux, troisième partie, p. 691. CEACR, étude

d’ensemble de 1979 sur l’abolition du travail forcé, par. 45. Référence trouvées dans Kern M. et Sottas C., Liberté des travailleurs:interdiction du travail forcé ou obligatoire, p. 45

50 L'article 3-1 de la Convention n° 138 relative à l'âge minimum dispose que « L'âge minimum d'admission à tout type d'emploiou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s'exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité oula moralité des adolescents ne devra pas être inférieur à dix-huit ans. »

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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les pires formes de travail des enfants de 199951. Ce dispositif a été validé pour permettreque ni un mineur ni une personne bénéficiant de l'autorité parentale ne puisse consentirà l'accès à un emploi de ce type. Les organes de contrôle de l'OIT ont ainsi soulever denombreux cas d'exploitation de main d'œuvre enfantine au sens de la convention n°29 surle travail forcé.

b) Exceptions du champ d'application de la Convention (article 2-2)Cependant, l'alinéa 2 de l'article 2 de la Convention restreint la définition donnée auprécédent alinéa du travail forcé. Il est nécessaire de préciser le champ d'application de laConvention afin de mieux cerner les activités en question.

Toutefois, le terme de travail forcé ne comprendra pas aux fins de la présenteconvention: a) tout travail ou service exigé en vertu des lois sur le servicemilitaire obligatoire et affecté à des travaux d'un caractère purement militaire;b) tout travail ou service faisant partie des obligations civiques normales descitoyens d'un pays se gouvernant pleinement lui-même; c)tout travail ou serviceexigé d'un individu comme conséquence d'une condamnation prononcée parune décision judiciaire, à la condition que ce travail ou service soit exécutésous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et que ledit individune soit pas concédé ou mis à la disposition de particuliers, compagnies oupersonnes morales privées; d) tout travail ou service exigé dans le cas de forcemajeure, c'est à dire dans le cas de guerre, de sinistres ou menaces de sinistrestels qu'incendies, inondations, famines, tremblements de terre, épidémies etépizooties violentes, invasions d'animaux, d'insectes ou de parasites végétauxnuisibles, et en général toutes circonstances mettant en danger ou risquant demettre en danger la vie ou les conditions normales d'existences de l'ensembleou d'une partie de la population; e) les menus travaux de village c'est à direles travaux exécutés dans l'intérêt direct de la collectivité par les membres decelle-ci, travaux qui, de ce chef, peuvent être considérés comme des obligationsciviques normales incombant aux membres de la collectivité à condition que lapopulation elle-même ou ses représentants directs aient le droit de se prononcersur les biens fondés de ces travaux. »

Cette définition du travail forcé est celle retenue par le droit international et est égalementdevenue une règle coutumière de par le nombre important des pays qui ont ratifiée laconvention.

c) Mesures prévues par les articles 1 paragraphe 1 et 25 de la ConventionEn vertu de l'article 1 de la Convention n°29 de 1930 les États partis à la Conventions'engagent à « supprimer l'emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes,dans le plus bref délai possible ». Cette obligation implique pour l'État une obligation des'abstenir et d'agir. L'État doit éviter de mettre en place un travail forcé ou obligatoire ouimposé par d'autres. Il doit également abroger toutes les lois et toutes les dispositionsadministratives qui prévoient ou tolèrent le recours au travail forcé ou obligatoire. Le recours

51 Article 3 d) de la Convention de 1999 relative aux pires formes de travail des enfants dispose que « (...)l'expression les piresformes de travail comprend (...) les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles denuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l'enfant. »

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à ce type de travail doit devenir illégal dans le droit national. De même, l'État doit assurerque le fait d'exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire soit passible de sanctionspénales et que « les sanctions exigées par la loi [soient] réellement efficaces et strictementappliquées » 52

2-2. Convention n°105 sur l'abolition du travail forcé de 1957La Convention sur l'abolition du travail forcé de 1957 entrée en vigueur le 17 janvier 1959dispose dans son article 2 que:

« Tout membre de l'Organisation Internationale du Travail qui ratifie la présenteConvention s'engage à prendre des mesures efficaces en vue de l'abolitionimmédiate et complète du travail forcé ou obligatoire.. »

La France est partie signataire de cette convention depuis le 25 juin 1957 mais celle-ci estentrée en vigueur seulement le 18 décembre 1970.

Ainsi, le travail forcé ou obligatoire est interdit au niveau international de manièrepresque universelle. En effet, rappelons que ces deux conventions de l'OIT traitant dutravail forcé ou obligatoire sont celles qui ont été les plus largement ratifiées. De plus, laDéclaration de l'OIT relative aux principes et aux droits fondamentaux au travail, adoptéepar la Conférence internationale du Travail à sa 86ème session en 1998:

« Déclare que l'ensemble des Membres, même lorsqu'ils n'ont pas ratifié lesconventions en question, ont l'obligation, du seul fait de leur appartenance àl'Organisation de respecter, promouvoir, et réaliser de bonne foi et conformémentà la Constitution, les principes concernant les droits fondamentaux qui sontl'objet de ces conventions, à savoir l'élimination de toute forme de travail forcéou obligatoire. »53

Une obligation de respecter les principes des droits fondamentaux incombe donc à l'ÉtatLe phénomène de l'esclavage passe également par une phase de traite. La mobilisation

internationale face à ce phénomène s'est multipliée cette dernière décennie face à ce fléau.Il est également essentiel d'analyser la répression de ce phénomène.

3-Les Conventions récentes contre la traiteAvant la Convention de Palerme de 2000, plusieurs autres instruments juridiques régissaientla traite des êtres humains, avant la SDN, pendant et après la SDN. Cependant, de nouvellesconventions contre la traite des êtres humains ont pu réactualiser et améliorer la lutte contreces phénomènes. Le Protocole de Palerme (3-1) et la Convention du Conseil de l'Europesur la traite des êtres humains (3-2) seront exposés.

3-1. Le Protocole de la Convention des Nations Unies contre la criminalitétransnationale organisée dit le Protocole de Palerme

52 Article 25 de la Convention n° 29 relative au travail forcé53 Organisation Internationale du Travail, 2004, Les conventions fondamentales de l'OIT, Déclaration de l'OIT relative

aux principes et aux droits fondamentaux au travail, p. 73. Disponible sur: http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---

ed_norm/---declaration/documents/publication/wcms_095896.pdf

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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Dans le cadre de la Commission de l'ONU pour la prévention du crime et la justice pénale,trois protocoles additionnels relatifs à la traite des personnes, au trafic des migrants et autrafic d'armes ont été ajoutés à la Convention contre la criminalité transnationale organisée.

C'est dans le cadre du premier protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punirla traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, qu'une définition claire dela traite a été forgée après de vives discussions et négociations. 147 États ont ratifié cetteConvention dont le but essentiel était de renforcer la coopération internationale en matièrepénale pour une répression commune contre le crime international organisé. Pour arriver àcette fin, il était donc nécessaire d'harmoniser les systèmes légaux nationaux en précisantla définition des termes utilisés. L'article 3 du troisième protocole à la Convention désignepar ''traite des personnes'':

a)(...) le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil depersonnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autresformes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité oud’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements oud’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur uneautre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitationde la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travailou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, laservitude ou le prélèvement d’organes; b) Le consentement d’une victime de latraite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a) duprésent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés àl’alinéa a) a été utilisé; c) Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergementou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés comme une “traitedes personnes” même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l’alinéaa) du présent article; d) Le terme “enfant” désigne toute personne âgée de moinsde 18 ans

Selon les juristes spécialistes du phénomène d'esclavage contemporain comme notammentGeorgina Vaz Cabral, cette définition juridique se compose de deux éléments essentielsà l'incrimination de l'esclavage moderne54: le processus de soumission qui passe par lerecrutement, le transport, le transfert, l'hébergement...et les moyens qui ont été utilisés pourarriver à ce processus: menaces, violence, fausses promesses.. L'autre élément central estle but recherché par l'esclavagiste à savoir exploiter les individus à des fins esclavagistes.Cette caractéristique importante différencie la traite des autres processus migratoirescomme le trafic des migrants par exemple. On identifie donc trois composantes: une action(le recrutement), un moyen (la menace) et un but (l'exploitation). Il est aussi essentiel depréciser que la traite peut-être interne à un pays ou externe par le franchissement d'une oude plusieurs frontières.

L'article 3 a ainsi été jugé comme très réaliste et progressif car il reflète ce qu'estréellement la traite. Il couvre toutes les formes d'exploitation que recouvre l'esclavage oule travail forcé. L'infraction de traite s'applique ainsi indifféremment du sexe, de l'âge dela victime ou du franchissement ou non d'une frontière. Il a été également souligné quele fait de reprendre les notions de servitude, d'esclavage et de travail forcé permettait unepossibilité d'interprétation assez large. Ainsi, la traite a été défini au niveau international maisces dispositions ainsi que les notions d'esclavage ou de travail forcé n'ont pas forcément été

54 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains Réalités de l’esclavage contemporain La Découverte., p. 15

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transposées dans le cadre national ce qui rend la lutte contre ces phénomènes beaucoupplus difficile. (Titre 2)

3-2. La Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite desêtres humainsLa Convention des Nations Unies vue précédemment a suscité un nouvel engouementpour le sujet de la traite au niveau international et régional. La Convention du Conseil del'Europe a été adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, en marge du troisième Sommet des chefsd'Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe. Entrée en vigueur le 1er février 2008après dix ratifications, elle compte aujourd'hui 34 ratifications et neuf États membres duConseil signataires mais qui ne l'ont pas encore ratifiée. Pour autant, il semblerait que letraité ne portera tous ses fruits que lorsqu'un réseau systématique de ratifications couvriral'ensemble de l'Europe55. De plus, ce traité est une convention ouverte, c'est à dire uneconvention du Conseil de l'Europe et non une convention européenne ce qui signifie quecelle-ci a vocation à intégrer des pays autres que ceux des 47 pays membres du Conseil. LaConvention s'inscrit totalement dans le prolongement du Protocole de Palerme qui est selonEmmanuel Decaux paraphrasé dans de nombreuses dispositions. La Convention précisetout de même que « la présente Convention a pour but de renforcer la protection instauréepar le Protocole et de développer les normes qu'il énonce. » (art.39)

Cependant, une autre disposition a suscité la polémique car elle mettait en placeune « clause de déconnexion »56 en accordant un droit de décrochage pour le droitcommunautaire:

« Les Parties qui sont membres de l'Union européenne appliquent, dans leursrelations mutuelles, les règles de la Communauté et de l'Union européenne dansla mesure où il existe des règles de la Communauté ou de l'Union Européennerégissant le sujet particulier concerné et applicables au cas d'espèce, sanspréjudice de l'objet et du but de la présente convention et sans préjudice de sonentière application à l'égard des autres parties » (art.40-3)

Ainsi pour Decaux, cette Convention est à géométrie variable, délimitée par le Protocole dePalerme et le droit communautaire notamment par la décision cadre du Conseil de l'UnionEuropéenne du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Pourtant,cette convention a le mérite d'être « un instrument juridique international centré sur lesdroits de la personne humaine des victimes de la traite. » 57 Une dynamique nouvelle estdonc lancée, celle de combiner la protection des victimes et la répression des trafiquants.

Au regard de tout ce qui précède, on comprend que la notion de propriété est aucentre de la définition de l'esclavage et de ses pratiques analogues. L'expression ''l'unou l'ensemble des attributs du droit de propriété'' qui caractérise l'esclavage était déjàdestinée à élargir la notion d'esclavage classique connue avec la traite négrière à des formesd'asservissement qui produiraient les mêmes effets.

Le propre de l'esclavage classique était de traiter la personne comme un bien. Lespropriétaires d'esclaves pouvaient vendre leurs esclaves, les céder ou en acheter. Anotre époque, il est rare que de telles pratiques soient utilisées. Aussi, il est nécessairede ne pas uniquement considérer la notion d'attributs du droit de propriété comme

55 Decaux, E. Les formes contemporaines d'esclavage, Leiden : M. Nijhoff, 2009, p.9956 Id, p.101

57 Ibid.

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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seules caractéristiques de l'esclavage. On peut citer la restriction du droit de la personneà circuler librement, le contrôle exercé sur ses biens personnels ou l'absence deconsentement donné en connaissance de cause. Ces caractéristiques se retrouvent dansla jurisprudence internationale ce qui permet de mettre en lumière d'autres paramètres duphénomène esclavagiste. Après avoir vu ces définitions et l'engagement de la communautéinternationale pour lutter contre l'esclavage et la traite des êtres humains, on peut tout demême s'interroger sur les frontières existantes entre les notions de servitude, d'esclavageet de travail forcé.

Chapitre II-La mise en application de la répression: l'apport de lajurisprudence internationale

Pour réprimer le phénomène esclavagiste, le droit conventionnel émet des normesjuridiques à respecter. Pour que la répression soit effective, des définitions communessont acceptées de manière consensuelle pour permettre la répression du phénomèneesclavagiste. Pour autant, des zones d'ombre résident encore en ce qui concerne la notionde servitude et la frontière avec celle de l'esclavage. Pour élucider cette interrogation, lacomparaison de la jurisprudence du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (1)et celle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme est intéressante à analyser (2).

1-Interprétation extensive de la notion d'esclavage et de servitude par leTPIYDans l'affaire Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Zukovic, du22 février 2001, la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pourl'ex-Yougoslavie s'est prononcée sur les éléments constitutifs de l'esclavage. Lors de cejugement confirmé par la Cour d'Appel, une interprétation extensive de la définition del'esclavage en droit international a été faite. Dans l'affaire, trois soldats serbes étaientaccusés de ségrégation et de violences sur des femmes musulmanes de Bosnie. Une descharges retenues contre les deux premiers accusés était la réduction en esclavage entant que crime contre l'humanité sanctionnée par l'article 5 c) du Statut du tribunal58. Cestypes de condamnation ont été les premières prononcées par un tribunal international ence qui concerne l'esclavage.59 Ils étaient accusés d'avoir réduit en esclavage des femmesmusulmanes qui étaient sous leur contrôle pendant l'occupation militaire en les obligeant àeffectuer des travaux domestiques et à des rapports sexuels avec eux-mêmes et d'autressoldats. Les juges en charge de cette affaire ont eu recours à la Convention de 1926 pourdéfinir l'esclavage étant donné que la définition de celui-ci n'est pas donné par le Statut dutribunal. Ceux-ci ont statué à la lumière de la définition de 1926 que:

« sont révélateurs d'une réduction en esclavage les éléments de contrôle et depropriété, la limitation et le contrôle de l'autonomie, de la liberté de choix ou

58 L'article 5 c) du Statut du TPIY dispose que: « Crimes contre l’humanité: Le Tribunal international est habilité à juger les personnesprésumées responsables des crimes suivants lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ouinterne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit : a) assassinat ; b) extermination ; c) réduction en esclavage ; d)expulsion ; e) emprisonnement ; f) torture ; g) viol ; h) persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses ; i) autresactes inhumain » Le Statut du TPIY est disponible sur http://www.icty.org/x/file/Legal%20Library/Statute/statut_sept08_fr.pdf59 Cavallo, M. 2006. Formes contemporaines d’esclavage, de servitude et travail forcé. TPIY et la CEDH entre passé et avenir. Droitsfondamentaux, n°6 p. 7

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de circulation et, souvent, les bénéfices retirés par l'auteur de l'infraction. Leconsentement ou le libre arbitre de la victime fait défaut. » (...) « Sont égalementsymptomatiques l'exploitation, le travail ou service forcé ou obligatoire, (..),l'utilisation sexuelle, la prostitution et la traite des êtres humains. (..) Le faitd'acquérir ou de céder une personne contre une rémunération ou un avantage ennature n'est pas un élément constitutif de la réduction en esclavage, mais c'estun bon exemple de l'exercice du droit de propriété sur autrui ».60

Selon Cavallo, cet arrêt marque la « conceptualisation de la notion de forme contemporained'esclavage ». 61 Le tribunal ad hoc donne une interprétation extensive de la notiond'esclavage connue de la définition de 1926. L'élément constitutif de l'infraction est l'exerciced'un ou de plusieurs attributs du droit de propriété sur un individu, les manifestationsconcrètes de l'infraction qui peuvent être diverses et variées ne sont qu'en fait qu'uneindication à prendre en compte. Pour la juriste, ceci induit le fait que le travail forcé ouobligatoire, la servitude, la prostitution et la traite des êtres humains sont des conceptsjuridiques qui se retrouvent dans la notion d'esclavage. La Cour précise qu'une pratiquepeut remplir les critères remplis par la Convention de 1926 s'il y a

« le contrôle des mouvements d'un individu, le contrôle de l'environnementphysique, le contrôle psychologique, les mesures prises pour empêcher oudécourager toute tentative de fuite, le recours à la force, les menaces de recourirà la force ou la contrainte, la durée, la revendication de droits exclusifs, lestraitements cruels et les sévices, le contrôle de la sexualité ou le travail forcé. »(par. 543).62

Ce qui résulte de cette interprétation, est le fait que les situations d'esclavage peuvent sedistinguer par leurs modalités de mise en œuvre et avoir une certaine marge de manœuvrepar rapport à la notion classique d'esclavage. Cependant, les conséquences des actesesclavagistes sont des éléments matériels qui sont typiques de l'esclavage tel que définidans le droit international coutumier.

La Cour d'Appel a rappelé le fait que le concept traditionnel d'esclavage voulant qu'onconsidère les esclaves comme des biens meubles sur lesquels le droit de propriété s'exercetotalement a évolué. « Dans les diverses formes contemporaines d'esclavage, la victimen'est pas soumise à l'exercice du droit de propriété sous la forme la plus extrême » 63 .L'exercice de l'un de l'ensemble des attributs du droit de propriété entraîne plus ou moinsune destruction de la personnalité juridique. La Cour estime que la destruction est plusgrave dans le cas où l'individu est considéré comme un bien meuble mais « il ne s'agit làqu'une différence de degré » 64. En d'autres termes, l'exercice d'un seul attribut du droit depropriété est suffisant à la qualification d'une situation d'esclavage. Selon la juriste Cavallo,

60 Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie, Première Chambre, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir

Kovac et Zoran Vulkovic, arrêt du 22 février 2001, requête n° IT-96-23&23/1, par. 543. Disponible sur le site du TPIY http://

www.icty.org/61 Cavallo, M. op. cit. p.762 Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, op. cit., par. 543

63 Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, Cour d'Appel, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et ZoranVulkovic,arrêt du 12 juin 2002, requête n° IT-96-23&23/1, par. 117. Disponible sur le site du TPIY http://www.icty.org /

64 Ibid.

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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cette lecture est novatrice dans le sens où elle permet de frapper de crime d'esclavagetoutes les formes contemporaines d'esclavage dont la caractéristique commune serait la

« possession de facto d'un individu sur lequel s'exercent différemment l'unou certains des attributs de ce droit, à savoir la jouissance et la dispositionexclusives, ainsi que les fruits directs ou les bénéfices indirects qui peuvent s'entirer. »65

Enfin, cette nouvelle lecture permet aussi d'affirmer que la servitude découle d'une situationd'esclavage. Le rapport entre servitude et esclavage est ainsi résolu par la Cour puisquel'esclavage englobe les cas de servitude.

Pour autant, cette interprétation extensive a été contredite par celle de la Coureuropéenne des droits de l'homme dans l'affaire Siliadin c. France.

2-Interprétation restrictive de la notion d'esclavage de la CEDHLa Cour européenne des droits de l'homme a également pu juger une affaire d'esclavagedomestique dans son arrêt Siliadin c. France du 26 juillet 2005. Elle a ainsi pu préciser lesnotions d'esclavage, de servitude et de travail forcé.

Cet arrêt est très important dans la jurisprudence de la Cour du fait de la raretédes affaires d'esclavage domestique qui sont portées devant la Cour. Cette affaire s'estinscrite dans un contexte de prise de conscience, notamment avec le rapport d'informationcommune sur les diverses formes de l'esclavage moderne de l'Assemblée nationale en200166, ou le rapport du Conseil économique et social sur l'esclavage contemporain et sesréseaux de 200367. On peut citer également les travaux de l'Assemblée parlementaire duConseil de l'Europe, notamment la recommandation 1525 du 26 juin 2001, qui demandaitaux États

ainsi que la recommandation 1663 du 22 juin 2004, qui encourageait les États membresà « lutter de toute urgence contre l'esclavage domestique sous toutes ses formes et deveiller à ce que le maintien d'une personne dans n'importe quelle forme d'esclavage soitconsidérée comme un crime dans tous les États membres. » 68

L'affaire concerne une jeune fille togolaise, mineure à l'époque des faits. En 1994, celle-ci arrive à Paris âgée de quinze ans, accompagnée de Mme D. ressortissante françaised'origine togolaise. Elle était munie d'un passeport avec un visa touristique. L'accord passéentre les parents de Mlle Siliadin et les époux D. était qu'elle devait travailler chez Mme D.pour le remboursement de son billet d'avion et que celle-ci en contrepartie devait s'occuperde la régularisation de sa situation sur le territoire français et la scolariser. Dans les faits,la requérante fut la domestique non rémunérée des époux D., son passeport ayant été parailleurs confisqué. Avec l'accord de Mlle Siliadin, la requérante est devenue la domestiqued'un autre couple, les époux B. Chez eux, la requérante dormait sur un matelas dans lachambre des enfants, travaillait de 7h30 du matin à 22h30 le soir, sans être payée. Grâce

65 Ibid.66 Assemblée Nationale, Rapport d’information sur « Les diverses formes de l’esclavage moderne », Assemblée Nationale,

tome I, n°3459, 12 décembre 2001. Disponible surhttp://www.assemblee-nationale.fr/legislatures/11/pdf/rap-info/i3459.pdf67 Monrique, M. L'esclavage contemporain et ses réseaux, Rapport du Conseil Economique et Social, février 2003. Disponible

sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000173/0000.pdf68 Article 6 b) des recommandations disponible sur http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta04/

EREC1663.htm

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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à l'intervention d'une voisine et du Comité contre l'Esclavage moderne, les époux B. furentpoursuivis pour avoir « obtenu d'une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sasituation de dépendance la fourniture de services non rétribués » 69 , grâce à des « conditionsde travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine » 70 Les époux B. ont étécondamnés par le tribunal de grande instance de Paris pour le seul premier motif. Ils ontensuite été relaxés en appel, le parquet général ne s'est pas pourvu en cassation. Sur lepourvoi de Mlle Siliadin, la Cour de Cassation cassa et annula l'arrêt rendu le 19 octobre2000 par la Cour d'appel de Paris. Statuant sur renvoi après cassation, la Cour d’appel deVersailles, Cour de renvoi, s’est prononcée sur les seules dispositions civiles, les demandesd'indemnisation de la victime ont été ignorées et les époux B. n'ont fait l'objet d'aucunesanction pénale.

La requérante a donc invoqué le fait que l'État ne lui ait pas accordé une « protectionconcrète et effective contre les pratiques interdites » 71 par l'article 4. En d'autres termes,l'obligation positive de l'État était mise en cause.

La Cour a procédé en deux temps. Son raisonnement a été de partir du plus basseuil des qualifications requises pour ensuite envisager les qualifications les plus hautes.72La Cour a tout d'abord déterminé si le paragraphe 2 de l'article 4 avait été violé dans saprohibition du travail forcé ou obligatoire. A cette fin, la Cour se réfère à la définition dutravail forcé (vu dans le Chapitre I), à savoir l'article 2 paragraphe 1 de la Convention n°29de l'OIT qui qualifie le travail forcé comme « tout travail ou service exigé d'un individu sousla menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de sonplein gré ». La Cour donne une interprétation extensive du concept de peine en l'identifiantà une « contrainte physique ou morale » (par.118) comme élément constitutif unique de lanotion de travail forcé. La Cour estime ainsi que

« si la requérante mineure à l'époque des faits n'était pas sous la menace d'unevéritable peine, elle était dans une situation similaire car elle pouvait ressentirune menace psychologique de par son situation irrégulière sur l'État français, etsa crainte d'être arrêtée parles forces de l'ordre ».(par.118)

La Cour reconnaît également qu'« il ne saurait sérieusement être soutenu » qu'elle ait« accompli ce travail de son plein gré » (par. 119). Elle a donc été soumise à un travail forcéau sens de l'article 4 de la Convention.

En ce qui concerne le fait de savoir si la requérante avait été dans un état de servitudeou d'esclavage. Les juges s'adonnent à une interprétation de l'article 4 très intéressante. Ilsrappellent d'abord la définition de l'esclavage de la Convention de 1926 et constatent quecelle-ci correspond à l'esclavage « tel qu'il a été pratiqué pendant des siècles » (par. 122).La

69 Article 225-13 du Code pénal français en vigueur à l'époque: « Le fait d'obtenir d'une personne, en abusant de sa vulnérabilitéou de sa situation de dépendance, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapportavec l'importance du travail accompli est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. »

70 Article 225-14 du Code pénal français en vigueur à l'époque: « Le fait de soumettre une personne, en abusant de savulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaineest puni de deux ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. »

71 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Siliadin c. France, arrêt du 26juillet 2005, requête n° 73316/01, par. 58 disponible sur: http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=siliadin&sessionid=75985311&skin=hudoc-fr

72 Massias, F. 2006. L’arrêt Siliadin. L’esclavage domestique demande une incrimination spécifique, Revue de ScienceCriminelle, p. 140.

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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Cour en conclue que « bien que la requérante ait été (..) clairement privée de son librearbitre, il ne ressort pas du dossier qu'elle ait été tenue en esclavage au sens propre, c'està dire que les époux B. aient exercé sur elle, juridiquement, un véritable droit de propriété,la réduisant à l'état d'objet. » (par.122)

La Cour va ensuite appliquer le raisonnement déjà appliqué lors de l'affaire VanDroogenbroeck c. Belgique du 9 juillet 1980. La notion de servitude avait été définie commetelle: « ..en plus de l'obligation de fournir à autrui certains services, la notion de servitudeenglobe l'obligation pour le serf de vivre sur la propriété d'autrui et l'impossibilité de changersa condition »(par.123). La Cour conclut que la « requérante, mineure à l'époque des faitsa été tenu en état de servitude au sens de l'article 4 de la Convention. ». (par.129)

On remarque ici que la Cour procède à un raisonnement progressif en ce qui concernela gravité des violations afin de dégager des notions effectives.73 Elle relie les trois notionsd'esclavage, de travail forcé et de servitude les unes aux autres pour établir une hiérarchiede gravité interne à l'article 4. « La servitude apparaît comme moins que l'esclavage maisplus que le travail forcé ». 74

Cet arrêt a été salué pour sa modernité et l'actualisation qui a été faite de la notion deservitude qui a pu être défini par la Cour faisant de ce concept une notion utile. Pour autant,certains manquements du jugement peuvent être notées.

Pour Cavallo, la Cour adopte dans cet arrêt une lecture de la définition de l'esclavagede 1926 beaucoup plus « stricte que la lettre de la disposition elle-même ». 75 Le droit depropriété ne doit pas être réellement exercé, ce sont l'un ou plusieurs de ses attributs quidoivent s'exercer, pas nécessairement l'ensemble des attributs. La Cour s'appuie aussi surla distinction entre servitude et esclavage alors que la servitude contient une incertitude dedéfinition. De plus, elle élargit la notion de servitude en prenant le risque d'empiéter sur ladéfinition de l'esclavage.

On peut également noter que la qualification de l'esclavage domestique comme étantune « nouvelle forme d'esclavage » 76 avait pourtant déjà été faite de manière expressisverbis dans la recommandation 1523 du Conseil de l'Europe datant de 2001.

La divergence entre les interprétations des deux juridictions est évidente. Ces arrêtsmontrent que les éléments constitutifs de la notion d'esclavage ne sont pas universellementcaractérisés. Il s'avère donc que la notion d'esclavage à la lumière de la modernité est enconstruction juridique. Les notions de formes contemporaines d'esclavage, de servitude,et d'esclavage sont en devenir. Il est clair que de nouveaux cas jurisprudentiels sontnécessaires à la précision des définitions. En attendant, des formes contemporainesd'esclavage peuvent ne pas être prises en compte à la hauteur de leur gravité et passer outreune sanction louable à cause d'une qualification claire et précise de ce qu'est l'esclavageà notre époque et dans nos sociétés modernes.

La jurisprudence de la CEDH dans l'affaire Siliadin c. France a démontré les faillesde la répression française à l'encontre de l'esclavage domestique. Il semble opportun de

73 Cavallo, M. 2006. Formes contemporaines d’esclavage, de servitude et travail forcé. TPIY et la CEDH entre passé et avenir.Droits fondamentaux, n°6 p.13

74 Ibid.75 Ibid.76 Article 1 de la recommandation 1523 du Conseil de l'Europe disponible sur http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/

Documents/AdoptedText/ta01/FREC1523.htm

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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rappeler la responsabilité étatique face aux engagements internationaux avant de concluresur cette partie.

3-La responsabilité étatiqueAprès avoir vu le droit conventionnel qui régit la problématique de l'esclavage, il estnécessaire de rappeler que les États parties à ces conventions ont la responsabilité juridiquede les respecter et de garantir leurs applications.

Selon le droit coutumier, aucun État ne peut justifier le non respect d'un engagementinternational par des règles de son ordre juridique interne.77 Les États n'ont pas que desobligations négatives face à leurs engagements internationaux dans le domaine des droitsde l'homme. Les États ont aussi des obligations positives dans le but de garantir le respectde ces principes à travers des législations adaptées et des recours effectifs. L'article 2,paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que lesÉtats « s'engagent à respecter et à garantir.. » les droits énoncés. Ainsi les États doiventrespecter les obligations émises dans la Convention mais également les faire respecter.

Dans l'arrêt de principe de la Cour européenne des droits de l'homme du 26 juillet 2005dans l'affaire Siliadin c. France, la Cour met l'accent sur ces obligations positives:

Par cette désignation, l'interdiction de l'esclavage, de la servitude et du travail forcépartage la même qualification avec le droit à la vie et l'interdiction de la torture et destraitements inhumains et dégradants. Cette interdiction fait maintenant partie des valeursessentielles à l'ordre public européen des droits de l'homme.

De même, la Cour se réfère à la Convention de l'OIT sur le travail forcé de 1930, laConvention supplémentaire de 1956 et la Convention des droits de l'enfant de 1989, l'affaireconcernant une mineure et rappelle:

« Dans ces conditions, la Cour estime que limiter le respect de l'article 4 de laConvention aux seuls agissements directs des autorités de l'État irait à l'encontredes instruments internationaux spécifiquement consacrés à ce problème etreviendrait à vider celui-ci de la substance. Dès lors, il découle nécessairementde cette disposition des obligations positives pour les gouvernements au mêmetitre que pour l'article 3, par exemple, d'adopter des dispositions en matièrepénale qui sanctionnent les pratiques visées par l'article 4 et de les appliquer enpratique » (par. 89)

Ainsi, la Cour appliquant le même raisonnement que dans la jurisprudence relative à l'article3, réaffirme les obligations positives de l'article 4 de la Convention. L'État partie a d'abordl'obligation de ''ne pas faire'' et sa responsabilité peut-être engagée si tel n'est pas le cas. Ila l'obligation positive de prendre les mesures nécessaires afin de protéger toute personnerelevant de sa juridiction contre des pratiques privées relevant de sa juridiction. La Courconfère donc à l'article 4 un effet horizontal. L'État a l'obligation de faire respecter cetarticle entre personnes privées sous peine d'engager sa responsabilité. L'article 4 est ainsiapplicable aux relations interindividuelles.

Conclusion Titre 1

77 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, Loizidou c. Turquie,arrêt du 18 décembre 1996, requête n° 15318/89,disponible sur http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=loizidou&sessionid=76040608&skin=hudoc-fr

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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La mobilisation de la communauté internationale en faveur de la répression du phénomèneesclavagiste et de la traite des êtres humains peut-être mesurée par la multiplicité des traitésinterdisant l'esclavage et ses pratiques analogues. Pour autant, les critères pouvant définirune situation d'esclavage moderne et de caractériser l'esclavage domestique sont loin d'êtreacceptés unanimement.

Suite à l'affaire Siliadin c. France, qui a eu de grands retentissements dans le mondejuridique, une prise de conscience a été initiée, le tout serait de transposer ces normesinternationales dans les législations nationales ce qui est loin d'être effectif. (Titre 2).

Titre 2: La législation nationale face à l'exploitationdomestique

Dans cette partie, nous analyserons la législation française quant à la répression del'esclavage domestique à la lumière des engagements internationaux de la France (Chapitre1). Nous nous intéresserons également aux législations italiennes et belges qui constituentun modèle à suivre dans le domaine de la répression de l'esclavage domestique (Chapitre2).

Chapitre I-Les incriminations de l'exploitation domestique en France:un dispositif légal interne inadapté

Dans le droit interne français, l'incrimination d'esclavage domestique n'existe pas. Pourtant,les recommandations du Conseil de l'Europe et l'affaire Siliadin auraient dû amenerle législateur à définir une incrimination spécifique pour l'esclavage domestique. Parconséquent, les faits découlant de l'exploitation domestique sont réprimés par deux délitsvisés aux articles 225-13 et 225-14 du Code pénal français. Ces infractions ont été créespar le nouveau Code pénal suite aux lois du 22 juillet 1992. Des modifications du législateurantérieures à l'affaire Siliadin datant de 2003 ont suivi. Elles se trouvent dans la section IIIdes « conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité de la personne » duchapitre V « des atteintes de la dignité de la personne », du Livre II consacré aux crimeset délits contre les personnes du Code pénal.

Article 225-13 CP: « le fait d'obtenir d'une personne dont la vulnérabilité ou l'étatde dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de servicesnon rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapportavec l'importance du travail accompli est puni de cinq ans d'emprisonnementet de 150 000 euros d'amende. » Article 225-14 CP: « Le fait de soumettre unepersonne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connusde l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avecla dignité humaine est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 eurosd'amende. »

Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amendelorsque les infractions sont commises à l'égard de plusieurs personnes ou à l'égard d'unmineur. De même, lorsqu'elles sont commises à l'égard de plusieurs personnes dont un ou

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plusieurs mineurs, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et de 300 000 eurosd'amende en vertu de l'article 225-15 du Code pénal.

Selon le CCEM, les exploitants domestiques sont rarement poursuivis et sanctionnéssur le terrain de l'article 225-14. En effet, nous verrons que pour incriminer le délit de desoumission à des conditions de travail ou d'hébergement contraires à la dignité humaine, lestribunaux exigent des éléments de faits (violences physiques, cadences de travail infernales,logements insalubres..) qui sont souvent absents des cas d'esclavage domestique.

Le Code pénal fait donc de la dignité humaine une valeur fondamentale qui estpénalement protégée. Pour autant, l'application de ces articles à des situations de fait estplus difficile à appréhender. Nous analyserons dans un premier temps la condition communeà l'applicabilité des deux articles (1) avant d'exposer les éléments constitutifs de chaqueinfraction (2).

1-Condition commune aux articles: « ..une personne..dont la vulnérabilité oul'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur.. »L'article 225-15-1 dispose que:

« pour l'application des articles 225-13 et 225-14, les mineurs ou les personnesqui ont été victimes des faits décrits par ces articles à leur arrivée sur le territoirefrançais sont considérés comme des personnes vulnérables ou en situation dedépendance »

La juriste Daury-Fauveau s'interroge sur la nature de cette présomption78. La présomptionest-elle simple ou irréfragable? Le législateur n'a pas précisé cet aspect. Si la présomptionest simple, le prévenu doit apporter la preuve contraire c'est à dire prouver que malgrél'âge mineure de la victime présumée ou de l'arrivée récente de celle-ci, elle n'est pas ensituation de vulnérabilité ou dans un état de dépendance. Pour cela, il doit par exempleapporter la preuve que la requérante avait tissé des liens sociaux durant son séjour enFrance ou était libre d'aller et venir à sa guise. Au contraire, si la présomption est irréfragable,aucune preuve d'absence de vulnérabilité ou d'état de dépendance ne sera acceptée.Or, selon la juriste, il est nécessaire de considérer que la présomption est simple afin derespecter les engagements internationaux de la France envers la Convention européennede sauvegarde des droits de l'homme. En effet, l'article 6-2 de la Convention pose le principede présomption d'innocence. Pour respecter ce principe, il est nécessaire de permettre auprévenu d'apporter les preuves contraires à la présomption.

Une interrogation se pose également en ce qui concerne le délai de la présomption.En d'autres termes, pendant combien de temps la présomption protège le requérant? Aquel moment l'étranger sur le territoire français peut-il être considéré comme complètementindépendant et non vulnérable? Ces interrogations démontrent la portée élargie que peuventavoir ces incriminations. Le législateur n'a pas précisé certaines conditions qui sont àl'appréciation du juge. Pour Daury-Fauveau, « chaque condition des délits soulève desinterrogations, parfois si fondamentales qu'elles reviennent en substance à hésiter sur lepoint de savoir si le comportement est ou non punissable. »79 La jurisprudence est venuepréciser certaines interrogations que le législateur avait laissé volontairement en suspensafin de pouvoir protéger les victimes de manière non restrictive.

78 Daury-Fauveau, M., Le droit pénal de l’esclavage moderne, Semaine Sociale Lamy, 2005, n° 121379 Id.

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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Si la présomption de vulnérabilité ne s'applique pas à la victime, c'est au juge de déciderdu caractère vulnérable et dépendant de la victime.

Les notions de dépendance et de vulnérabilitéRappelons que ces notions sont présentes dans les deux articles. Or, aucun des articles

précise ce que constituent réellement ces concepts. La notion de vulnérabilité est présentedans de nombreux articles du Code pénal en tant que circonstance aggravante. La formulejuridique utilisée dans de nombreux cas est celle-ci: « due à son âge, à une maladie, àson infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse. » Cettecirconstance aggravante a connu avec le Nouveau Code pénal une extension. Par exemple,l'alinéa 3 de l'article 222-24 du même code punit de vingt ans de réclusion criminelle le violcommis « sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie,à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, estapparente ou connue de l'auteur. » 80 La vulnérabilité peut aussi regrouper les élémentsconstitutifs d'origine sociale ou culturelle ce qui inclut donc les immigrés81. Quant à l'étatde dépendance, il peut-être selon Florence Massias, la conséquence d'un lien de droit oud'une situation de fait82. Il peut s'agir d'une dépendance économique ou alors affective.

Dans les articles 225-13 et 225-14, la vulnérabilité ou l'état de dépendance estconsidérée comme une condition préalable. Or, les articles ne précisent ni l'âge, ni ladéficience, ni l'état de grossesse ce qui laisse une grande place à l'appréciation des juges.

Contrairement à la présomption, il est arrivé que le juge récuse le seul critère dela minorité ou de l'extranéité pour désigner une situation de vulnérabilité ou d'état dedépendance. Mais la Cour de Cassation dans un jugement du 13 janvier 2009 a cassé etannulé un arrêt ayant relaxé les prévenus qui avaient employé et logé à leur domicile unejeune ressortissante ivoirienne, mineure, non scolarisée, sans ressources et sans papiers.Ces derniers avaient été conservés par la prévenue. Les juges du second degré avaientretenu que l'état de vulnérabilité ne pouvait résulter de la seule extranéité de l'intéressée.La Cour de Cassation rappelle dans son jugement qu'

« en toute hypothèse, se rend coupable de soumission d'une personnevulnérable ou dépendante à des conditions de travail incompatibles avec ladignité humaine, le prévenu qui emploie et loge à son domicile une jeune fillemineure, étrangère, en situation irrégulière et sans ressources. »83

Ainsi, la situation irrégulière et la minorité sont bien des éléments de la vulnérabilité. SelonBénédicte Bourgeois, les juges du fond ne respectent pas cette jurisprudence de la Courde Cassation ce qui est regrettable pour la victime.84

80 L'aggravation liée à la vulnérabilité de la victime concerne le meurtre (art. 221-14, 3°), l'empoisonnement (art. 221-5, 3°),la torture accompagnée ou non d'actes de barbarie (art.222-3, 2°, art. 222-4), les violences ayant entrainé la mort (art. 222-8, 2°),les violences ayant entrainé des mutilations (art.222-10, 2°), les violences ayant entrainé une incapacité totale supérieure à huit jours(art.222-12, 2°), l'administration de substances nuisibles (art. 222-15), le viol (art. 222-24, 3°), agression sexuelle (art.222-29, 2°),le proxénétisme (art. 225-7, 2°), le bizutage (art. 225-16,2°), le vol facilité par cet état (art. 311-4, 5°), l'extorsion (art. 321-2, 2°),l'escroquerie (art. 313-2, 4°), les destructions, déprédations, détériorations, sans danger pour les personnes facilitées par cet état(art. 322-3).

81 Badinter R., 1986. Présentation du projet de Code pénal de 1986, Dalloz, p.41 et 4282 Massias, F., 2006, L’esclavage contemporain: les réponses du droit. Droit et Cultures, 39, p. 119

83 Crim., 13 janvier 2009, Bull. Crim. 2009, n°9, pourvoi n°08-80.787, p.2584 Entretien avec Bénédicte Bourgeois, responsable juridique du CCEM.

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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Il est maintenant opportun d'analyser les éléments constitutifs des articles 225-13 et225-14.

2-Les éléments constitutifs de chaque infractionPour que l'infraction soit caractérisée il faut rapporter la preuve soit qu'il y a eu unerémunération des services sans rapport avec l'importance des services effectués (2-1) soitdes conditions d'hébergements ou de travail incompatibles avec la dignité humaine (2-2).

2-1. L'article 225-13: La fourniture de services non rétribués ou en échanged'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travailaccompli

Pour cet article, le premier élément consiste à obtenir un travail85. Le deuxième élément estune disproportion manifeste entre le travail et la rétribution. La victime doit donc en d'autrestermes effectuer un travail non rémunéré ou peu rémunéré. Lorsque le délit est caractérisé,il constitue en lui-même une atteinte à la dignité humaine de par l'absence ou le peu derémunération.

La question du pécule rémunératoire peut se poser car l'infraction de l'article 225-13peut ne pas être constituée si l'intention de verser un pécule à la fin de la période de travailest prouvée. Dans l'affaire Siliadin, la Cour de Cassation dans son arrêt du 11 décembre2001 censure l'arrêt de la Cour d'Appel en disant:

« Que par ailleurs, pour dire non établie l'infraction prévue par l'article 225-13du Code pénal les juges ajoutent que la non rétribution ou la rétributionmanifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli peut paraîtrecomme réelle, encore que l'intention des prévenus de lui constituer un péculepour le lui remettre à son départ n'ait pas été sérieusement contestée. » 86

La Cour d'Appel soutient le fait qu'à partir du moment où l'intention de verser un pécule estavérée, l'article 225-13 ne peut s'appliquer. Or, le pécule ne doit pas être un critère pourcaractériser l'infraction. Il en ressort que ce qui est à considérer est la non rémunération alorsque la victime a effectué un travail. Ce qui est jugé est l'atteinte à la dignité de la personne.

2-2. L'article 225-14: la soumission à des conditions de travail oud'hébergement incompatibles avec la dignité humaineL'infraction de cet article est de soumettre la victime à des conditions de travail oud'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. L'atteinte à la dignité humaine estdevenue ainsi constitutif du délit. La différence avec l'article 225-13 c'est qu'« il réalisel'atteinte à la dignité tandis que l'atteinte à la dignité réalise 225-14 » 87

Les exploitants domestiques sont rarement condamnés sur le fondement de cetarticle. Ceci est dû à la difficulté de rassembler des preuves constituant l'atteinte à ladignité humaine. Dans cette partie, l'analyse jurisprudentielle est essentielle pour essayer

85 Massias Florence, L'esclavage contemporain, les réponses du droit, Droit et Cultures n°39, p. 12086 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, Siliadin c. France, Arrêt du 26

juillet 2005, requête n° 73316/01, par.43 disponible sur: http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?

item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=siliadin&sessionid=75985311&skin=hudoc-fr87 Massias, F., 2006, L’esclavage contemporain: les réponses du droit. Droit et Cultures, 39, p.120

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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de comprendre comment le juge interprète les situations d'esclavage domestique. Laconjonction « ou » démontre que les deux conditions sont distinctes. Nous étudieronsd'abord les conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine (a) puis lesconditions de travail incompatibles avec la dignité humaine (b).

a) Les conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaineCette notion suppose deux conditions. La première est que l'hébergement doit faire l'objetd'une contrepartie et doit se faire sur une certaine durée. En effet, l'article 225-14 visel'exploitation d'une personne dont le propriétaire retire un bénéfice (loyers ou autres). Cecipermet d'exclure toute personne qui offrirait gratuitement son logement. De plus, la notion delogement implique une durée car le but est de fournir un logement pour y vivre ou travaillersur le long terme. Selon Bénédicte Bourgeois,88les comportements esclavagistes sont punissur le terrain de l'article 225-14 de manière exceptionnelle. Selon l'interprétation qu'en fontles tribunaux, il est nécessaire d'avoir des éléments de faits pour prouver l'exploitation etl'atteinte à la dignité humaine. Ce qui pose problème c'est que ces éléments de faits commedes brimades, cadences infernales ou hébergement dans des locaux insalubres sont descritères qui ne se rencontrent pas dans des situations d'exploitation domestique.

A titre d'exemple, dans l'affaire Siliadin, dans son arrêt du 10 juin 1999, le tribunal degrande instance de Paris conclue que:

« quant aux conditions d'hébergement, le tribunal releva que les époux B., quiétaient aisés, n'avaient pas jugé utile de réserver un espace personnel à larequérante, que si cette situation était regrettable et dénotait leur manque deconsidération à son égard, elle ne pouvait être regardée comme attentatoire àla dignité humaine, un certain nombre de personnes en région parisienne, nedisposant pas de chambre individuelle. Un hébergement contraire à la dignitéhumaine aurait supposé une pièce insalubre, non chauffée, l'impossibilité d'avoirune hygiène élémentaire, un local présentant des anomalies telles que sonoccupation serait dangereuse. » (par. 27)89

Pour Massias, ce jugement montre que le tribunal ne met pas en exergue l'impossibilité detoute intimité pour la jeune femme, qui n'est pas une enfant et n'est plus une adolescente.90

De plus, celle-ci ne partage pas la chambre mais tire un matelas dont elle ne dispose quede 22h30 à 7h dans la chambre des enfants qui ne sont pas ses frères et sœurs, ni sescousins. Pour le CCEM, il faudrait pouvoir retenir l'exploitation abusive du travail commeune présomption ce qui faciliterait la qualification de l'article 225-14.

Ce qu'il en résulte des différentes affaires traitées, est le fait que le juge doit interprétersi les conditions d'hébergement constituent une atteinte à la dignité humaine ou non. Or,le problème réside dans la fixation du seuil de la dignité. La notion d'atteinte à la dignitéhumaine est subjective. Chaque personne et donc chaque juge a son seuil de tolérancepropre. Cette matrice peut expliquer la rareté des jugements sur la base de l'article 225-14.

88 Entretien avec Bénédicte Bourgeois, responsable juridique au CCEM89 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, Siliadin c. France, Arrêt du 26

juillet 2005, requête n° 73316/01, par. 27, disponible sur http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?

item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=siliadin&sessionid=75985311&skin=hudoc-fr90 Massias, F. 2006. L’arrêt Siliadin. L’esclavage domestique demande une incrimination spécifique, Revue de Science Criminelle,p.145

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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b) Les conditions de travail incompatibles avec la dignité humaineEn ce qui concerne les conditions de travail, là encore, la jurisprudence précise que leseul fait de ne pas respecter la réglementation du travail n'est pas suffisant à caractériserl'infraction. Dans le même arrêt précédent, le tribunal de grande instance de Paris précise:

« s'il paraissait établi que la réglementation du travail n'était pas respectée auregard de la durée du travail et du temps de repos, cela était insuffisant pourconsidérer que les conditions de travail étaient incompatibles avec la dignitéhumaine, ce qui impliquerait par exemple des cadences infernales, des insulteset brimades fréquentes, la nécessité d'une force physique particulière sanscommune mesure avec la nature de l'employé, l'exercice de l'activité, dans unlocal insalubre, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. » (par.26)

Ainsi, les éléments de faits que la jurisprudence requiert sont difficiles à prouver et n'existentpas forcément dans le cas d'esclavage domestique, notamment en ce qui concernel'exercice de l'activité dans un local insalubre puisque la victime est souvent cloîtrée dansle logement de l'exploitant. Cependant, l'arrêt de la Cour de Cassation du 13 janvier 2009marque un tournant dans la jurisprudence française. En effet, la Cour énonce:

Attendu (...) que Marthe X..., dont Affiba Y... avait conservé le passeport, avaitété chargée par celle-ci d’exécuter, en permanence, sans bénéficier de congés,des tâches domestiques, rétribuées par quelque argent de poche ou envoi desubsides en Côte-d’Ivoire, l’arrêt retient, pour confirmer la décision de relaxe,que la jeune fille disposait des mêmes conditions de logement que les membresde la famille et qu’elle était l’objet de l’affection véritable de la prévenue; queles juges en déduisent l’absence d’atteinte à la dignité humaine; Mais attenduqu’en se déterminant ainsi, alors que tout travail forcé est incompatible avecla dignité humaine, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légalesde ses propres constatations, n’a pas justifié sa décision au regard des textessusvisés »

Cet arrêt est fondamental car il pose le principe que tout travail forcé est incompatible avecla dignité humaine. Le travail forcé se retrouve donc dans le champ d'application de l'article225-14, issu de l'article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme. Cependant,les professionnels de la justice du premier et second degré ne connaissent pas forcémentcette jurisprudence et n'incriminent pas les cas d'esclavage domestique sur la base del'article 225-14. Selon Bénédicte Bourgeois, il est difficile dans la pratique de faire respectercette jurisprudence par les tribunaux en France.91

Ainsi, les textes législatifs qui sanctionnent l'exploitation domestique sont soumis àl'appréciation souveraine des juges du fond. Les juristes s'accordent pour dire que cestextes manquent de précision ce qui ne permet pas une réponse judiciaire adéquate auxcas d'esclavage domestique. Nous verrons que l'incrimination de traite des êtres humainsn'est là encore non appliquée aux cas d'esclavage domestique contrairement à ce qui sepasse chez nos voisins européens tels que la Belgique et l'Italie.

Chapitre II-L'incrimination de la traite des êtres humains

91 Entretien avec Bénédicte Bourgeois, responsable juridique au CCEM

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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La victime d'exploitation domestique est souvent recrutée par l'employeur lui-même dansson pays d'origine. La phase d'exploitation commence donc par un phénomène de traite.Là encore, les exploitants domestiques ne sont souvent pas condamnés sur le fondementde l'article 225-4-1 du CP qui sanctionne l'infraction de traite des êtres humains en droitinterne (1). Pourtant, la définition donnée de la traite par le Protocole de Palerme92 estprécise et peut s'appliquer aux situations d'esclavage domestique comme c'est le cas dansla législation belge et italienne (2)

1-Le délit de traite et l'exploitant domestique en FranceEn vertu de l'article 225-4-1 du CP crée par la loi du 18 mars 2003 n°2003-239, la traite estdéfinie comme ce qui suit:

Article 225-4-1 CP: « « la traite des être humains est le fait, en échange d'unerémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunérationou d'avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, del'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à la disposition d'un tiers, mêmenon identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne desinfractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitationde la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sadignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit. Latraite des êtres humains est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000euros d'amende.

Sous cette version, ce texte n'était pas applicable à des cas d'esclavage domestique.En effet, la particularité de l'exploitation domestique réside en ce que le recrutement,l'hébergement et l'exploitation se fait souvent par l'exploitant lui-même. Il est très rare queles victimes soient recrutées par des réseaux organisés. Or, ce texte prévoyait de punir lesexploitants qui avaient recruté des victimes pour les mettre « à la disposition d'un tiers ».Ici, seuls les intermédiaires étaient sanctionnés. Cette incrimination devait permettre desanctionner l'intermédiaire qui a fourni à un employeur la main d'œuvre et qui lui, commetles délits des articles 225-13 et 225-14. En conséquence, seule la phase d'exploitation étaitincriminée par le droit interne français.

La loi du 20 novembre 2007 n° 2007-1631 suite à la condamnation de la France par laCour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Siliadin c. France en 2005 est venuecorriger cette anomalie au regard des engagements internationaux de la France. La loi aajouté les mots « à sa disposition ». Ce texte doit pouvoir s'appliquer aux cas de conditionsd'hébergement ou de travail contraires à la dignité humaine. Or, nous avons vu que pour lajurisprudence, ce cas ne s'applique qu'à des cas de violations extrêmes avec des élémentsde faits nécessaires à l'incrimination des délits.

Pourtant, cet article même modifié n'est pratiquement pas utilisé pour réprimer les casd'exploitation domestique. Selon Bénédicte Bourgeois93, les services de police estiment que

92 Pour rappel, lé définition de la traite par le Protocole de Palerme est: « a)(...) le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergementou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement,fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pourobtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum,l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou lespratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes (..) »

93 Entretien avec Bénédicte Bougeois, responsable juridique au CCEM

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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le texte est trop compliqué à mettre en application. Le terme « promesse de rémunérationou d'avantage » serait difficile à qualifier.

La définition de traite consacrée par le protocole de Palerme et par la Décision-cadrede 2002 impose l'emploi de moyens de coercition à l'encontre d'une personne majeureou l'abus de sa vulnérabilité comme élément constitutif de la traite. Or, le délit de traite endroit interne n'est pas sanctionné en vue de ces moyens employés. Il ne s'agit pas là d'unélément constitutif mais d'une circonstance aggravante en vertu des articles 225-4-2 duCode pénal et suivants. Ceci montre que la définition de la traite en droit interne est pluslarge que celle retenue au niveau international en ce qui concerne les moyens utilisés.

En revanche, la définition française prend en compte la recherche du profit ce qui faitd'elle une définition plus étroite. En exigeant la preuve du profit, cet article du Code pénalne permet pas de réprimer l'ensemble des comportements visés par le droit internationalnotamment l'esclavage domestique. La personne qui exploite quelqu'un à titre gratuit sansavoir reçu la promesse d'un avantage ne serait pas un exploitant au sens du droit français.

Il semble ici judicieux d'analyser ce qui existe dans nos pays voisins afin de voir despossibilités de réformes.

2-La pénalisation de traite des êtres humains en Belgique et en ItalieAprès avoir vu les bases de la répression française de l'esclavage domestique et seslacunes, il semble opportun d'analyser ce qui existe dans nos pays voisins et d'en tirerdes leçons. Des études ont été menées à partir des années 2000 à l'initiative du domaineassociatif afin de mieux comprendre le phénomène esclavagiste en Europe et d'aiguiller leslégislateurs européens pour mieux réprimer ce phénomène. Au premier abord, il semble quechaque pays européen a son propre système répressif malgré les efforts d'harmonisation.Des réformes dans le domaine judiciaire reste donc important afin de permettre une politiquejudiciaire commune effective.

En premier lieu, les approches législatives divergent en ce qui concerne lareconnaissance du phénomène de traite ou d'esclavage par les systèmes législatifs.

De manière générale, selon le CCEM,94 l'Espagne et la France réduisent en pratiquela question de la traite des êtres humains aux thèmes du proxénétisme aggravé et de laprostitution. La Belgique quand à elle regroupe dans ce terme des formes d'exploitationtrès différentes telles que l'exploitation sexuelle, l'exploitation par le travail et le trafic desmigrants. Au contraire, l'Autriche et l'Italie différencient dans leur système législatif la traitedes êtres humains et le trafic des migrants qui est considéré comme une autre violation desdroits fondamentaux. L'Italie connait un régime spécial car c'est le seul pays à considérer latraite des êtres humains comme une forme d'esclavage. Nous allons plus spécifiquementétudier le système répressif de l'Italie et de la Belgique, deux pays pionniers en matière derépression du phénomène esclavagiste. Les deux pays reconnaissent de manière pleine etentière l'esclavage ou la traite mais chaque système comporte ses propres lacunes.

2-1. La Belgique: forte condamnation de la traite des êtres humains depuis1995Le Code pénal belge ne prévoit pas d'incrimination contre l'esclavage en tant que tel mais ilcondamne et définit la traite des êtres humains. Il est à noter que la Belgique utilise le terme

94 Institut des hautes études de la sécurité intérieure, 2002. Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de l’Unioneuropéenne, [Paris], IHESI, p. 45

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

45

''traite des êtres humains'' pour qualifier l'esclavage. La loi du 13 avril 1995 contenant desdispositions en vue de la répression de la traite et du trafic des êtres humains précise ladéfinition de traite des êtres humains.

L'article 77 bis de la loi du 15 décembre 1980 modifié par la loi du 13 avril 1995 disposeque:

« Quiconque contribue, de quelque manière que ce soit, soit directement soit parun intermédiaire, à permettre l’entrée ou le séjour d’un étranger dans le Royaumeet ce faisant : 1°fait usage à l’égard de l’étranger, de façon directe ou indirecte, demanœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d’une forme quelconquede contrainte ; 2° ou abuse de la situation particulièrement vulnérable danslaquelle se trouve l’étranger en raison de sa situation administrative illégaleou précaire, d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’unedéficience physique ou mentale ; sera puni d’un emprisonnement d’un an àcinq ans et d’une amende de cinq cents francs (12,38 euros) à vingt-cinq millefrancs (619,73 euros). §2. L’infraction visée au § 1er sera punie de réclusion etd’une amende de cinq cents francs (12,38 euros) à vingt-cinq mille francs (619,73euros), si elle constitue une activité habituelle. §3. L’infraction visée au §2 serapunie des travaux forcés de dix ans à quinze ans et d’une amende de mille francs(24,79 euros) à cent mille francs (2478,94 euros), si elle constitue un acte departicipation à l’activité principale ou accessoire d’une association, et ce, que lecoupable ait ou non la qualité de dirigeant. (…) »

Cet article condamne l'exploitation de l'étranger sans forcément que cela soit uneexploitation sexuelle. De plus, la loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vuede renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiquesdes marchands de sommeil a ajouté certaines caractérisations à la répression des auteursde la traite (qui est aussi appelé esclavage moderne en Belgique). L'article 433 quinquiesdu Code pénal crée suite à la loi citée ci-dessus nous intéresse particulièrement. Celui-cidispose que:

« Constitue l'infraction de traite des êtres humains le fait de recruter, detransporter, de transférer, d'héberger, d'accueillir une personne, de passer oude transférer le contrôle exercé sur elle, afin : 1° de permettre la commissioncontre cette personne des infractions prévues aux articles 379, 380, § 1er et§ 4, et 383bis, §1er; 2° de permettre la commission contre cette personne del'infraction prévue à l'article 433ter; 3° de mettre au travail ou de permettre la miseau travail de cette personne dans des conditions contraires à la dignité humaine;4° de prélever sur cette personne ou de permettre le prélèvement sur celle-cid'organes ou de tissus en violation de la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement etla transplantation d'organes; 5° ou de faire commettre à cette personne un crimeou un délit, contre son gré. Sauf dans le cas visé au 5, le consentement de lapersonne visée à l'alinéa 1er à l'exploitation envisagée ou effective est indifférent.§ 2. L'infraction prévue au § 1er sera punie d'un emprisonnement d'un an à cinqans et d'une amende de cinq cents euros à cinquante mille euros. § 3. La tentativede commettre l'infraction visée au § 1er sera punie d'un emprisonnement d'un anà trois ans et d'une amende de cent euros à dix mille euros. »

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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Ainsi, l'esclavage domestique tel que défini par le CCEM entre ici pleinement dans le cadrede l'article 77 Bis de la loi du 15 décembre 1980 sur la traite des étrangers repris dans lecadre de la loi sur la traite. On dénote ici une prise de conscience de la Belgique du besoinde législation pour les cas d'exploitation allant jusqu'à l'esclavage. Prise de conscience bienantérieure à la France.

De plus, en vertu de l'article 8 de la loi de 1995, la législation belge détient une clauseextra territoriale, qui permet à la Belgique de poursuivre le:

« belge ou (de) l’étranger trouvé en Belgique, qui aura commis hors du territoiredu Royaume une des infractions prévues par les articles 372, 373, 375, 376 et376 et 377 du Code pénal si le fait a été commis sur la personne d’un mineur demoins de 16 ans accomplis, par les articles 379, 380bis, 381bis et 383bis, § 1 er et § 3, du même Code, par l’article 77 bis, § 2 et § 3, de la loi du 15 décembre 1980sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangerset par les articles 10,11,12 et 13 de la loi du 9 mars 1993 tendant à réglementer età contrôler les activités des entreprises de courtage matrimonial ».95

On peut également souligner que la législation française, belge et italienne mettent l'accentsur la vulnérabilité et le caractère dépendant de la victime. On peut dire que cette notion estau centre du système de répressif européen.

2-2. L'Italie: un pays pionnierL'Italie de par son positionnement géographique et par l'ampleur du phénomène de latraite au sein de ses frontières a une approche très respectueuse de ses engagementsinternationaux en la matière. C'est l'un des rares pays européens avec l'Autriche à appliquerdirectement les conventions internationales des Nations Unies de 1926 et de 1956 quidéfinissent le phénomène esclavagiste. L'Italie a une longueur d'avance sur ses voisinseuropéens. Avant même que l'Union Européenne invite tous les pays à intégrer dans leurprocessus de répression de la traite des cadres d'aides aux victimes en 199796, l'Italie avaitdéveloppé les mesures d'aide aux victimes. La répression de la traite trouvait son fondementdans les articles relatifs au proxénétisme, le crime organisé et l'esclavage ou conditionsanalogues à l'esclavage.

Depuis 2003, la législation italienne a connu quelques révisions. La loi n°228/03 du 11août 2003 relative aux mesures contre la traite des êtres humains a révisé les infractionsde réduction et maintien en esclavage (article 600), de traite et de commerce des êtreshumains.

L'article 600 du Code pénal modifié par la loi n°228/03 dispose que:« 1. Quiconque exerce sur une personne les attributs correspondants à ceuxdu droit de propriété ou quiconque réduit ou maintient une personne dans unétat d'assujettissement continu, la contraignant à des prestations de travail,ou sexuelles ou bien à la mendicité ou à toutes prestations qui entraine uneexploitation , est puni de huit ans à vingt ans d'emprisonnement. 2. La réductionou le maintien en état d'assujettissement a lieu lorsque la personne qui a autorité95 Loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite et du trafic des êtres humains

disponible sur http://www.centroreinasofia.es/admin/leyes/1/Loi_13_avir_1995.pdf96 Action Commune 97/154/JAI du 24 février 1997 relative à la lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle desenfants disponible sur http://europa.eu/legislation_summaries/other/l33072_fr.htm

Partie 1: La répression du phénomène esclavagiste

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fait usage de violence, de menace, de tromperie, d'abus d'autorité ou abuse desituation d'infériorité physique ou psychique ou d'une situation de nécessité,ou par l'usage de la promesse ou le don de sommes d'argent ou d'autresavantages. »97

Cette dernière version de l'article 600 est le fruit d'une longue évolution jurisprudentielle.L'ancienne version avait été introduite après application directe des conventionsinternationales. L'article 600 s'appliquait seulement aux esclaves qui avaient un statut légalpropre jusqu'en 1984. Un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 20janvier 1984 a permis l'application de cet article aux formes contemporaines d'esclavage. Enl'espèce, le juge italien a condamné sur la base de cet article, cinq personnes responsablesd'un trafic d'enfants entre la Yougoslavie et l'Italie. Cette jurisprudence a ensuite étéconfirmée par la cour d'assises de Milan dans l'arrêt du 18 mai 1988 dans le cas d'espèced'enfants qui étaient dans l'obligation de voler98. La Cour a donc condamné les responsablesde pratiques pour réduction en esclavage de mineurs, par référence à la Convention de195699.

La traite des êtres humains est définie par l'article 601du Code pénal:« Quiconque soumet à la traite une personne qui se trouve dans les conditionsdécrites à l'article 600 ou, à des fins de commettre les crimes dudit article, latrompe ou la contraint avec l'emploi de violence, menace, d'abus d'autorité oud'une situation d'infériorité physique ou psychique ou d'un état de nécessité,ou par la promesse ou le don de somme d'argent ou d'autres avantages à lapersonne sur qui elle a autorité, à entrer ou à séjourner ou à sortir du territoirenational ou à se transférer à l'intérieur du territoire, est puni de huit à trente ansd'emprisonnement. »

Ainsi, le législateur italien a lié expressis verbis l'infraction de traite à celui de la réductionen esclavage. Cet article reprend la définition de traite donné par le Protocole de Palerme.De plus, le crime de traite est puni même si l'exploitation n'a pas encore eu lieu, le fait dedéplacer la victime dans le but de l'exploiter suffit à constituer l'infraction.

On remarque que la répression de la traite dans les législations belges et italiennessont beaucoup plus précises et englobent les cas d'esclavage domestique. Un rapport del'Assemblée Parlementaire française de 2001 sur la répression des formes contemporainesd'esclavage en France prônait des réformes de législation identiques aux infractionsitaliennes. Le système de répression italien semble être plus conforme à la réalité duphénomène esclavagiste.

Conclusion Partie 197 Traduction officielle, Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains Réalités de l’esclavage contemporain La

Découverte, p.19898 Pour plus d'informations, voir Vaz Cabral, op. cit., p.19399 Article 1 alinéa d de la Convention de 1956: « Toute institution ou pratique en vertu de laquelle un enfant ou un adolescent demoins de dix-huit ans est remis, soit par ses parents ou par l'un d'eux, soit par son tuteur, à un tiers, contre paiement ou non, en vuede l'exploitation de la personne, ou du travail dudit enfant ou adolescent »

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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La mobilisation de la communauté internationale contre le fléau que constituent les formescontemporaines d'esclavage est indéniable et louable. Il est évident que le conceptd'esclavage moderne est encore en construction. Cependant, l'application de ces définitionsinternationales notamment en ce qui concerne la traite est loin d'être uniforme en Europe. EnFrance, l'incrimination de l'esclavage domestique n'existe pas malgré sa condamnation de2005 et les recommandations du Conseil de l'Europe. Malgré cet événement, le dispositif derépression français reste lacunaire. La victime d'esclavage domestique du fait du manqued'incrimination spécifique ne peut se considérer comme telle. De même, le fait qu'elle ait étévictime de traite n'est souvent pas reconnu ce qui empêche une identification personnelleen tant que tel et une reconnaissance par l'État.

Cette absence de considération empêche la victime d'esclavage domestique d'accéderà des mesures d'aide prévues par l'État. Le système de protection et de réhabilitationen France reste ainsi également lacunaire de par un manque de respect des normesinternationales (Partie 2).

Partie 2: Le régime de protection individuelle

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Partie 2: Le régime de protectionindividuelle

Nous avons vu dans la première partie les différentes dimensions de la répression duphénomène esclavagiste. Cependant, la répression n'est pas la seule composante dela lutte contre l'esclavage domestique. La garantie d'une protection efficace et réelle estégalement un élément central dans l'éradication de cette atteinte aux droits de l'homme.

Des dispositions de protection des victimes sont prévues par le Protocole de Palerme.L'article 6-3 du Protocole dispose que:

Chaque État Partie envisage de mettre en œuvre des mesures en vue d’assurerle rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite despersonnes, y compris, s’il y a lieu, en coopération avec les organisations nongouvernementales, d’autres organisations compétentes et d’autres éléments dela société civile et, en particulier, de leur fournir: a) Un logement convenable;b) Des conseils et des informations, concernant notamment les droits quela loi leur reconnaît, dans une langue qu’elles peuvent comprendre; c) Uneassistance médicale, psychologique et matérielle; et d) Des possibilités d’emploi,d’éducation et de formation. 4. Chaque État Partie tient compte, lorsqu’il appliqueles dispositions du présent article, de l’âge, du sexe et des besoins spécifiquesdes victimes de la traite des personnes, en particulier des besoins spécifiquesdes enfants, notamment un logement, une éducation et des soins convenables.5. Chaque État Partie s’efforce d’assurer la sécurité physique des victimes de latraite des personnes pendant qu’elles se trouvent sur son territoire. 6. ChaqueÉtat Partie s’assure que son système juridique prévoit des mesures qui offrentaux victimes de la traite des personnes la possibilité d’obtenir réparation dupréjudice subi.

De plus, la CEDH a rappelé les obligations positives qui pèsent sur les États en matièrede protection des victimes de traite et d'esclavage lors de l'affaire Rantsev c. Chypre etRussie du 7 janvier 2010. Lors de cette affaire, la Cour reconnaît pour la première foisl'applicabilité de l'article 4 aux affaires de trafic d'êtres humains ( par.273-274). La Courénonce que le « trafic d'êtres humains, par sa nature même et le but de son exploitation, secaractérise par l'exercice de pouvoirs relevant du droit de propriété. » 100 (par. 281) et qu'« ilmenace la dignité humaine et les libertés fondamentales de ses victimes » 101 (par. 282). Suitune série d'obligations positives énoncées à l'égard des États. Ils doivent agir de manièreeffective contre ces pratiques en prenant des mesures à trois niveaux: « prévenir le trafic,

100 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, Rantsev c. Chypre et Russie, Arrêt du 7 janvier 2010, requêten° 25965/04, disponible sur : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=rantsev%20|%2025965/04&sessionid=75985594&skin=hudoc-fr Traduction personnelle « The Court considers that trafficking in human beings, byits very nature and aim of exploitation is based on the exercice of powers attaching to the right of ownership »101 Id.,Traduction personnelle « ..trafficking threatens the human dignity and fundamental freedoms of its victims »

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protéger les victimes et..punir les trafiquants » 102 (par. 284). Ils doivent notamment prendredes mesures de protection des victimes avérées ou potentielles lorsqu'ils savent qu'un« risque réel ou immédiat pèse sur elles ». 103 (par. 286). Chypre et la Russie ont finalementété condamnés pour violation de l'article 4 dans cette affaire. Ce bref exemple montrel'ampleur des engagements et des obligations des États en terme de protection, de suiviet de rétablissement dans leurs droits économiques et sociaux des victimes d'esclavage etde traite des êtres humains.

A la lumière de ces obligations, nous examinerons les mesures effectives de protectionet d'aide qui existent en France. La protection de la victime est d'abord conditionnée par lestatut et la qualité de victime qui lui a été reconnue ou non par la justice (Titre 1). Sa priseen charge passe aussi par un dispositif d'aide aux victimes (Titre 2).

Titre 1: Le statut de la victime au centre du processusde protection

La reconnaissance du statut de victime de traite est primordiale à l'accompagnementjuridique et la prise en charge de la victime. Cette reconnaissance n'est pas applicable pourla victime d'esclavage domestique. (Chapitre I) De plus, la personne exploitée se heurteà des obstacles tout au long de ses démarches juridiques ce qui rend difficile l'accès auxdispositifs de protection (Chapitre II).

Chapitre I-La protection de la victime de traiteLe processus de protection de la victime après dénonciation de l'exploitation dépenddu statut juridique de celle-ci. Contrairement aux autres législations européennes (2), lalégislation française ne permet pas la reconnaissance de l'exercice d'une traite aux victimesd'exploitation domestique ce qui a des conséquences sur leur régime de protection (1)

1-En France: la non reconnaissance du statut de traite à la victimed'esclavage domestique.Jusqu'en 1848 la notion d'esclavage figurait dans le droit français et qualifiait un état deservitude. A l'abolition de l'esclavage, cette notion a complètement disparu du droit interne.Comme vu précédemment, une seule condamnation existe pour interdire l'esclavage,l'article 211-1 condamne la réduction en esclavage comme crime contre l'humanité, l'auteurde cet acte est puni de la réclusion criminelle à perpétuité. Cet article fait référence à descrimes de masse qui ne peuvent s'appliquer à des cas individuels tel que cela est le caspour l'esclavage domestique.

Rappelons que le Code pénal français détient les outils nécessaires afin de sanctionnerles délits qui caractérisent l'esclavage moderne. Pour autant, ces outils ne permettent pas

102 Id, Traduction personnelle « .the spectrum of safeguards set out in national legislation must be adequate to ensure the practicaland effective protection of the rights of victims or potential victims of trafficking. Accordingly, in addition to criminal law measures topunish traffickers . »103 Id, Traduction personnelle « ...that an identified individual had been, or was at real and immediate risk of being, trafficked orexploited within the meaning of Article 3(a) .. »

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de qualifier une situation d'esclavage en tant que telle. La victime sur le territoire françaisne peut pas s'assimiler comme étant victime d'une situation d'esclavage domestiquepuisqu'aucune incrimination n'existe pour sanctionner l'esclavage domestique.

De même, jusqu'en 2003, l'incrimination de traite des êtres humains n'existait pas enFrance. L'article en question ne pouvait pas s'appliquer aux cas d'esclavage domestiquejusqu'à la modification de la loi du 20 novembre 2007 n° 2007-1631. Malheureusement,cette incrimination n'est toujours pas appliquée aux cas d'esclavage domestique pour desraisons de complexité textuelle.

Cet état de fait a des conséquences sur le régime de protection de la victime.L'absence des avantages liés à la reconnaissance de victime de traiteL'article 225-4-1 est la transposition dans notre droit interne de la définition de la traite

de la Convention de Palerme104. La condition prévue par l'article pour que la victime de traitesoit reconnue comme telle est que celle-ci doit être amenée à connaître des conditions detravail ou d'hébergement contraires à la dignité humaine. Or, l'article 225-14105 est rarementappliqué dans les cas d'esclavage domestique comme nous l'avons vu et l'incriminationde l'article 225-13 ne constitue pas une condition valable pour la constitution de crime detraite des êtres humains. Pourtant, l'esclave domestique est bien victime d'une traite lors deson recrutement. Ce fait a des conséquences importantes sur la protection de la victime,elle ne peut pas bénéficier des avantages administratifs et sociaux qui découlent de lareconnaissance du statut de victime de traite.

L'article R. 316-1 du Code l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du droit d'asile LivreIII, Titre II, chapitre 6 dispose que:

« Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjourtemporaire portant la mention « vie privée et familiale » peut-être délivrée àl'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commisà son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-10 duCode pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personnepoursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L.311-7n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'uneactivité professionnelle. En cas de condamnation définitive de la personne miseen cause, une carte dé résident peut-être délivrée à l'étranger ayant déposéplainte ou témoigné.

En ne bénéficiant du statut de victime de traite d'êtres humains, la victime d'esclavagedomestique ne peut prétendre non seulement à une facilitation des procédures d'octroi detitre de séjour (1-1) mais aussi à des droits spécifiques (1-2).

104 Pour rappel, l'article 225-4-1 du Code pénal dispose: « la traite des être humains est le fait, en échange d'une rémunérationou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage, de recruter une personne, de la transporter, de latransférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à la disposition d'un tiers , même non identifié, afin soit de permettre lacommission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité,de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit.La traite des êtres humains est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

105 L'article 225-14 du Code pénal dispose « Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendancesont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est punide cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »

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1-1. L'octroi du titre de séjour à la victime de traiteLa directive 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 crée un nouveau cadre juridique pourl'octroi d'un titre de séjour pour les ressortissants des pays tiers victimes de la traite desêtres humains qui ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avecles autorités compétentes. Cette directive répond aux exigences du Protocole de Palermeet est une suite logique à la directive 2002/90/CE du 28 novembre 2002 définissant l'aideà l'entrée, au transit et au séjour irrégulier et à la Décision Cadre 2002/629/JAI du Conseildu 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Cette directive a ététransposée dans le droit interne par le décret du 13 septembre 2007. 106

La circulaire du 5 février 2009107 du Ministère de l'Immigration, de l'intégration, del'identité nationale et du développement solidaire explicite les conditions d'octroi d'un titrede séjour aux victimes de traite. Le texte prévoit explicitement trois étapes dans l'octroi dutitre de séjour. La première consiste à identifier et à informer la victime de ses droits. Lacirculaire rappelle les définitions de proxénétisme et de traite des êtres humains prévuesrespectivement par les articles 225-5 et 225-4-1 du Code pénal. Aussi, il est précisé que« les infractions visées ne concernent pas uniquement les personnes qui seraient victimesd'exploitation sexuelle, mais également celles qui seraient exploitées dans le cadre du travailforcé ou de servitude, d'esclavage domestique, de mendicité forcée.. » La première étapeconsiste à informer la victime de ses droits dans le but de soit bénéficier d'un délai deréflexion, soit déposer plainte ou témoigner lors d'une audition par les services de police oude gendarmerie. La victime doit ainsi être informée de ses droits prévus à l'article R. 316-1du CESEDA, des mesures de protection et d'hébergement prévues.

La deuxième étape consiste à informer la victime d'un délai de réflexion possible. Ledélai est prévu pour que la victime puisse se défaire de l'influence de ses exploitants etqu'elle puisse décider si elle souhaite coopérer ou non avec les autorités. Le délai n'est pasobligatoire, la victime peut choisir de coopérer tout de suite avec les autorités françaises envue de l'arrestation des auteurs de l'infraction. Le délai est de trente jours à compter de laréception d'un récépissé suite aux informations données par la victime jusqu'à la date dedépôt de plainte. Le délai n'est pas renouvelable, il peut être écourté si la victime déposeplainte ou témoigne ou si celle-ci a renoué contact avec les auteurs de l'infraction ou si saprésence en France constitue une menace à l'ordre public.

La troisième étape consiste en la délivrance du titre de séjour. Les victimes ayantdécidé de coopérer avec les autorités peuvent obtenir une carte de séjour temporaire portantla mention « vie privée et familiale ». Celles-ci a une durée supérieure à six mois et estrenouvelable pendant toute la période de la procédure judiciaire jusqu'à son achèvement,et donc épuisement des voies de recours. La demande d'admission au séjour doit êtreaccompagnée d'un récépissé de dépôt de plainte ou faisant référence à la procédure pénaledéjà engagée. Lorsque la condamnation est définitive, la victime peut se voir délivrer unecarte de résident valable dix ans.

La circulaire précise la procédure pour des cas particuliers. S'il y a absence decondamnation des auteurs et de la mise en cause des victimes, les préfets détiennent unpouvoir d'appréciation de maintien du droit de séjour sur le fondement de l'article L.313-11-7

106 Décret n° 2007-1352 du 13 septembre 2007 r elatif à l'admission au séjour, à la protection, à l'accueil et à l'hébergementdes étrangers victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme et modifiant le code de l'entrée et du séjourdes étrangers et du droit d'asile (dispositions réglementaires) disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000465136&dateTexte=

107 Circulaire n° IMIM0900054C du 5 février 2009 disponible sur http://www.gisti.org/IMG/pdf/norimim0900054c.pdf

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du CESEDA pour des motifs tenant à la vie privée et familiale ou sur le fondement de l'articleL.313-14 du CESEDA pour des raisons exceptionnelles ou humanitaires. De même, lesmineurs demandant une régularisation de séjour peuvent bénéficier d'un droit au séjoursur le fondement de l'article L.316-1 à condition qu'ils aient au moins seize ans et qu'ilsveulent exercer une activité salariée conformément à l'article R.316-3 du CESEDA. Enfin,pour les victimes qui ne coopèrent pas avec les autorités de police judiciaire par craintede représailles, les préfets peuvent déroger à la condition de dépôt de plainte ou detémoignage. Ils peuvent délivrer un titre de séjour en prenant en compte les éléments quicaractérisent la situation des victimes et des efforts de réinsertion consentis par celle-ci(exercice d'une activité professionnelle, formation linguistique...)

La victime d'esclavage domestique n'étant souvent pas considérée comme une victimede traite bien qu'il y ait eu recours à la traite à l'origine de l'exploitation, ne peut bénéficierde ce dispositif privilégié d'octroi de titre de séjour. Si l'auteur des délits est condamnésur un autre fondement que les articles énoncés à l'article L-316-1 du CESEDA, la victimepeut obtenir une carte de séjour temporaire à renouveler tous les ans portant la mention« vie privée et familiale » conformément à l'article 313-14 du CESEDA. Mais les conditionsd'octroi sont exigeantes. De plus, l'octroi de ce titre est soumis au pouvoir discrétionnairedes préfectures. L'article R-311-1 qui dispose de la compétence des préfets utilise le verbe« pouvoir ». Ainsi pour des affaires similaires, le CCEM assiste à des traitements de dossierdifférents selon le bon vouloir des préfets. Cette différence démontre prioritairement quele statut de la victime d'exploitation domestique ne permet pas un régime de protection etd'aide aux victimes solide.

1-2. La privation de droits spécifiquesSelon les dispositions des articles R. 316-1, R.316-6, R. 316-7, R. 316-8 du CESEDA, issuesdu décret n°2007-1352 du 13 septembre 2007 la victime de traite peut bénéficier de mesuresd'accueil et d'hébergement et de protection policière si nécessaire, d'une allocation d'attenteet d'une ouverture de droit à une protection sociale. De plus, la victime de traite selon l'article706-3 du Code de Procédure Pénale peut avoir accès à la Commission d'indemnisation desvictimes d'infraction (CIVI).

L'article 706-3 du CPP dispose que:« Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou nonqui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparationintégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sontréunies les conditions suivantes (...) 2. Ces faits (....) soit sont prévus et répriméspar les articles 222-22 à 222-30, 225-4-1 à 225-4-5 et 227-25 à 227-27 du Codepénal. »

Ainsi, les victimes d'esclavage domestique dont les auteurs sont condamnés sur d'autresfondements que l'article condamnant la traite ne peuvent pas accéder à la CIVI. Le CCEMtente de montrer que l'élément matériel de la condamnation est la traite pour que les victimespuissent accéder à la CIVI, ces tentatives n'aboutissent généralement pas.

De même, les victimes d'esclavage domestique ne peuvent prétendre à l'allocationtemporaire d'attente (ATA). Cette allocation concerne un régime de solidarité destinéaux demandeurs d'asile et à certaines catégories de ressortissants étrangers comme lesvictimes de traite. Elle n'est pas attribuée sans conditions: les ressources de l'individu sontprises en compte. Les étrangers qui coopèrent avec les autorités policières et qui ont pu

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obtenir une carte de séjour temporaire peuvent donc bénéficier d' une allocation de 10,83euros par jour pendant la période de validité de leur séjour.108

La victime d'exploitation domestique en France se retrouve souvent dos au mur avecl'impossibilité de bénéficier des dispositifs d'aide aux victimes de traite prévues par la loi.Les personnes concernées ne comprennent souvent pas pourquoi des mesures de soutienqui existent ne peuvent s'appliquer à leur cas alors qu'elles ont vécus une situation de traited'être humains. Pour elles, c'est une nouvelle victimisation qui se met en place. Là encore, ilest important de comparer les dispositions existantes en Belgique et en Italie afin d'y trouverdes possibilités de réformes.

2-Les cas belges et italiens: des dispositions de protection à suivreA la différence de l'Italie qui ne prévoit aucune condition à la protection de la victime de traiteet d'exploitation domestique (2-2), la Belgique en préconise (2-1).

2-1. En Belgique: une protection importante sous conditionsLa législation belge quant à elle prévoit depuis la circulaire du 7 juillet 1994 unerégularisation de séjour pour les étrangers victimes de la traite. Les dispositions pour luttercontre la traite des êtres humains en Belgique existent depuis 1980 mais ont connu degrandes modifications en 1994 et en 2005 comme nous l'avons déjà précisé antérieurement.Ainsi, au début des années quatre-vingt-dix, le Parlement belge a instauré une commissiond'enquête afin d'améliorer la répression et permettre l'abolition de la traite des êtres humainset la pornographie enfantine. A la suite de cette commission, le législateur a adopté la loiportant sur « Loi sur la traite des êtres humains ». La traite des êtres humains est ainsidevenue une infraction spécifique sans que le législateur ait pour autant défini la traite. Lejuge utilise des infractions constitutives sans se limiter à la seule exploitation sexuelle.

La loi du 10 août 2005 modifie la répression et renforce la lutte contre le trafic d'êtreshumains et les marchands de sommeil109. Elle transpose plusieurs traités internationauxdans le droit interne et dispose que l'incrimination de traite des êtres humains ne concernepas que les étrangers. Concernant la protection des victimes, la loi du 13 avril 1995 donnela responsabilité et compétence au Centre pour l'Egalité des Chances et la Lutte contre leRacisme pour mener la promotion, la coordination et le suivi de la politique de lutte contrela traite internationale.

La Belgique délivre des titres de séjour et des autorisations d'occupation c'est à diredes permis de travail aux victimes de la traite à condition que celles-ci coopèrent avec lajustice dans les procédures judiciaires pour permettre l'arrestation des trafiquants. C'est unecondition très contraignante pour les victimes qui craignent des représailles de la part deleurs employeurs ou proxénètes mais cette condition est sine qua non pour l'avancée de lalutte. La Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre la traite internationaledes êtres humains a crée deux centres d'accueil pour les victimes de la traite, l'un àBruxelles, l'autre à Liège. Ils assurent un accompagnement social, juridique et administratifaux victimes et préparent également leur retour éventuel au pays.110

Le titre de séjour accordé est temporaire mais la victime peut demander un titre pour unedurée indéterminée à partir du moment où son exploitant est assigné devant un tribunal, cela

108 Informations recueillies sur le site internet: http://vosdroits.service-public.fr/F16118.xhtml109 Selon Le Larousse, un marchand de sommeil est un logeur qui exploite ses clients.110 Voir le site du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme http://www.diversite.be/?

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signifie que la plainte ou la déclaration est considérée comme significative pour la procédurejudiciaire. Ce dispositif belge prend surtout en charge les victimes pour la prostitution maiségalement de plus en plus de victimes d'exploitation domestique.

Il convient maintenant de présenter le système de protection italien.

2-2. En Italie: une prise en charge et une protection sans conditionsL'Italie à la différence de la Belgique a instauré un statut de la victime qui est au centremême du système de lutte contre la traite et l'esclavage moderne. Le législateur italiena mis en place un statut de victime de traite des êtres humains grâce à l'article 18 dela loi n° 286/98 relative à la règlementation de l'immigration et la condition des étrangersdu 6 mars 1998. Cet article dispose une procédure de régularisation administrative plussouple spécifiquement applicable aux victimes de « situations de violences ou d'exploitationgraves. » (art.18-1). Un avis favorable ou une proposition du procureur de la République,d'un Préfet de Police ou du service social de la collectivité locale « au vu des élémentsattestant l'existence des conditions » 111 d'applicabilité et selon la coopération de l'étrangerdans la procédure judiciaire (art. 18-2), un permis de séjour spécial peut-être délivré àl'étranger. Ceci dans le but de permettre à la victime d'échapper à la violence et de bénéficierd'un programme d'assistance et d'intégration sociale.

De manière générale, il existe en Italie deux procédures par lesquelles une victimepeut faire des démarches afin d'acquérir un titre de séjour temporaire donnant droit à uneassistance. La première concerne le parcours judiciaire. La victime doit coopérer avec lesautorités compétentes sous la forme d'un dépôt de plainte et la délivrance du titre de séjourest faite sur demande du procureur. La seconde consiste à obtenir une délivrance surdemande des associations ou des services sociaux de la collectivité qui ont présenté unprojet de réhabilitation. Dans ce cas, aucune coopération formelle et obligatoire de lavictime est nécessaire. Cependant, elle doit tout de même transmettre des informationsà l'association qui les transmet ensuite au préfet. De plus, dans ce second cas, le préfetest libre d'apprécier les dangers auxquels fait face la victime pour lui octroyer des mesuresd'assistance. Ici, la coopération avec la police n'est pas une condition sine qua non pourbénéficier d'un système d'aide aux victimes. Ainsi, selon Georgina Vaz Cabral, seule « lavolonté de se soustraire aux réseaux criminels et de s'intégrer dans le pays de destinationconditionne la protection de la victime. » 112

Le permis délivré est valable six mois, et peut être renouvelable un an et plus si uneprocédure judiciaire est déclenchée. Si l'étranger dispose d'un contrat de travail en cours,il peut être transformé en permis de travail. S'il est inscrit dans un établissement scolaireou dans une université, il peut obtenir un titre de séjour pour étudiant. Ce système deréintégration permet à l'individu de se réinsérer dans la société et de ne plus se considérercomme victime. Ce parcours social est censé permettre l'installation d'un système deconfiance en la justice avec qui la victime peut établir une coopération dans l'avenir.

L'article 18 de la loi n° 286/98 relative à la règlementation de l'immigration et la conditiondes étrangers du 6 mars 1998 permet donc aux victimes d'accéder à des programmesd'assistance sociale proposés par des associations et ONG reconnus par l'État. Cesprogrammes sont d'une durée de six mois et sont financés par l'État. Le système italienest exemplaire et est envié par les associations et les victimes des autres pays européens.

111 Cabral, La traite des êtres humains, p.201112 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains Réalités de l’esclavage contemporain, La Découverte,, p.201

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Cependant, des difficultés demeurent, la délivrance du titre de séjour n'est pas toujoursautomatique puisque celle-ci est à la discrétion des préfets.

Le régime de protection est donc dépendant du statut de la victime reconnu par lejuge. Malheureusement, en France, la victime d'exploitation domestique ne peut se prévaloirde son expérience de traite de par la non applicabilité de l'article 225-4-1 du Code pénalà son cas. Ce fait a des conséquences sur la suite de la procédure, la victime ne peutbénéficier des dispositifs de réhabilitation prévus pour les victimes de traite. Les législationsbelges et italiennes ont quant à elles un système d'aide et de protection qui peuvents'appliquer totalement aux cas d'exploitation domestique. Celles-ci peuvent constituer unesource d'inspiration pour de prochaines réformes afin de lutter de manière efficace contrece phénomène.

En plus d'un système de réhabilitation défaillant, les victimes d'exploitation domestiquese heurtent à plusieurs obstacles tout au long de leur procédure judiciaire.

Chapitre II-Les obstacles juridiques à dépasser pour les victimesLa victime d'exploitation domestique se retrouve face à des obstacles de faits de parson statut de victime lors de la procédure judiciaire (1). La victime peut également êtreconfrontée à un déni de justice dans les cas où l'exploitant bénéficie d'une immunitéjuridictionnelle (2).

1-Les obstacles immédiatsLes deux principaux obstacles juridiques que les victimes doivent affronter sont le dépôt dela plainte (1-1) et les délais de prescription (1-2).

1-1. Le dépôt de plainteLe dépôt de la plainte est une étape cruciale pour la victime. Elle conditionne la protectionjuridique de celle-ci. Comme nous l'avons traité précédemment, la France et l'Italie sont lesdeux pays européens qui ne basent pas leur action sur le dépôt de plainte, le témoignagesuffit à bénéficier des mesures de protection. Pourtant, de cette étape majeure dépendla réparation des préjudices de la victime. Malheureusement, la majorité des victimes nepeuvent surmonter cet obstacle, par crainte de représailles de la part des auteurs del'infraction et de la police.

Les victimes d'esclavage domestique ont dans la majorité des cas peur de représaillesnon seulement pour leur personne mais également pour leur famille restée dans leur paysd'origine. Elles subissent des pressions familiales, leur entourage familial leur demandentsouvent de ne pas porter plainte et ainsi de n'entamer aucune procédure judiciaire parcrainte d'être mal vu par leur communauté. L'image de la famille et leur dignité sont enjeu dans leur pays d'origine. Comme le fait remarquer le CCEM, si la victime ose porterplainte, elle sera vue comme « un traître » 113 par toute sa communauté. En effet, dansde nombreux cas, la personne est exploitée par des membres de sa propre communauté.Paradoxalement, les personnes appartenant à la communauté de la victime joue souvent

113 Institut des hautes études de la sécurité intérieure, 2002. Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de l’Unioneuropéenne, [Paris], IHESI, p.91

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un rôle décisif dans sa prise de conscience personnelle et dans sa décision de sauter lepas et de porter plainte.

De plus, la situation irrégulière de la victime sur le territoire français est souvent vécuecomme une crainte à dépasser. La victime redoute d'être reconduite à la frontière. Commele souligne le CCEM, en France, « l'irrégularité du séjour est privilégié au statut de victime. »114 . Lors du dépôt de plainte, les victimes sont d'abord mises en centre de rétentionadministratif avant même qu'elles aient expliqué leur cas. Cette lacune de la procédurejudiciaire est déplorable pour la protection de la victime qui vit souvent cette rétention commeune détention, l'impact psychologique pour la suite de la procédure est non sans effet.

1-2. Des délais de prescription défavorables au victimeDans les cas d'esclavage domestique, le délai de prescription est souvent défavorable auxvictimes. Lorsqu'il s'agit d'un crime contre l'humanité comme le prévoit l'article 212-1 duCode pénal, l'esclavage est un crime imprescriptible. Rappelons que les cas d'esclavagemoderne ne peuvent être qualifiés de crimes contre l'humanité. Pour cette raison, les règlesde droit commun en terme de prescription s'appliquent à ces délits.

Ainsi selon l'article 7 et 8 du Code de Procédure Pénale, à compter du jour où le crime aété commis, la prescription pour les crimes est de dix ans révolus, pour les délits de trois ans.Or, les faits incriminés dans les articles 225-13 et 225-14 qui qualifient l'esclavage modernesont de nature délictuelle et non criminelle. Comme le précise le rapport de l'AssembléeNationale115, seuls les faits de viol et de proxénétisme aggravé sont de nature criminelledans ce cas.

La plupart des victimes d'esclavage domestique sont recrutées par l'employeurlorsqu'elle sont mineures et sont renvoyées chez elle à l'âge adulte. La victime a donc troisans pour dénoncer les faits à partir du moment où elle quitte le domicile de l'employeur. Or,les victimes sont souvent intimidées et craignent toujours leur employeur pour pouvoir ledénoncer. L'employeur fait souvent partie de leur propre famille ce qui complique les choses.Etant mineures, elles ne trouvent souvent pas la force et le courage de les dénoncer. Arrivéeà l'âge adulte, la prescription de l'action publique rend leurs démarches impossibles.

Le CCEM milite pour une adaptation de la législation en matière de prescription, commececi a été fait pour les affaires d'atteintes sexuelles sur mineurs en France. En effet,des règles dérogatoires existent en matière de délits sexuels à l'encontre de mineurs. Ledeuxième alinéa de l'article 8 du Code de procédure pénale dispose que les délais deprescription pour ces délits commencent « à courir à partir de la majorité de la victime. »C'estce type de dérogation pour laquelle milite le CCEM en faveur des victimes d'esclavagedomestique. Cette disposition a été motivée par le fait que des victimes mineures devaientavoir le temps de porter plainte envers leurs agresseurs présumés, comme c'est aussil'argument pour les victimes d'exploitation domestique.

Ces difficultés se transforment en quasi-impossibilités lorsque les exploitantsbénéficient d'une immunité juridictionnelle.

2-Le cas de l'immunité diplomatique

114 Id.115 Rapport d’information sur « Les diverses formes de l’esclavage moderne », tome I, n°3459, Assemblée Nationale, 12

décembre 2001 disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/legislatures/11/pdf/rap-info/i3459.pdf

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Nombre de victimes de l'esclavage domestique sont des personnels privés exploitéspar des individus bénéficiant du statut d'agent diplomatique. En France, selon unrapport du Conseil de l'Europe116 datant de 2001, 20% des employeurs de ces victimesbénéficient de l'immunité diplomatique. Dans certains pays européens, le problème del'esclavage domestique n'est exclusivement vu que de cette perspective. A titre d'exemple,Bruxelles, ville internationale par excellence en Europe, où se côtoient quelques 250missions diplomatiques étrangères dont 170 ambassades bilatérales et 70 organisationsinternationales, regorge de cas d'esclavage domestique dont l'employeur se prévaut d'uneimmunité diplomatique.

Hélas, dans le cadre de l'esclavage domestique, immunité diplomatique rime souventavec impunité. Les Conventions de Vienne de 1961 et 1963 respectivement sur les relationsdiplomatiques et les relations consulaires organisent un système de privilège et d'immunitédestiné à l'origine à éviter aux membres du corps diplomatique des pressions sur leursmissions professionnelles dues à des procédures judiciaires menées devant les juridictionsde l'État accréditaire (c'est à dire l'Etat hôte). Ce sont donc des garanties accordées auxmembres du personnel diplomatique dans le but de les protéger contre des ingérences del'Etat accréditaire et de faciliter le fonctionnement de l'institution diplomatique. De manièregénérale, les garanties, immunités et privilèges varient en fonction du niveau hiérarchiqueet de la catégorie de la représentation officielle. De même, les personnels des organisationsinternationales bénéficient eux aussi de privilèges et d'immunités qui sont définis dans lesstatuts de l'organisation ou dans l'accord de siège reliant l'Etat d'accueil et l'organisation.

La Convention de Vienne de 1961 distingue les membres du personnel diplomatiquequi sont qualifiés de « membres du personnel de la mission qui ont la qualité de diplomates »117, les membres du personnel technique et administratif qui sont employés dans « lesservices techniques et administratifs » 118 , les membres du personnel de service qui sontemployés au « service domestique de la mission » 119 . Les « domestiques privés » 120 sontles personnes employées au service « d'un membre de la mission » 121, ce sont des individusqui ne dépendent pas de l'Etat accréditant, ils ne sont pas employés de l'Etat accréditant.

L'article 31 de la Convention de 1961 dispose que les agents diplomatiques jouissentd'une immunité de juridiction pénale, civile et administrative sauf dans trois cas bienspécifiques. S'il s'agit d'une action réelle concernant un immeuble privé sur le territoire del'Etat hôte, d'une action concernant une succession (l'agent doit figurer comme exécuteurtestamentaire, administrateur, héritier ou légataire et ce à titre privé) ou encore s'il s'agitd'une action commerciale ou professionnelle exercée en dehors de ses prérogativesofficielles. Le diplomate bénéficie également d'une immunité d'exécution.

Juridiquement, les diplomates jouissent du principe d'inviolabilité de la personne etdes biens, privilèges qui sont étendus à leurs conjoints et aux enfants mineurs. Selon laConvention de 1961:

116 Connor, J. 17 mai 2001 L'Esclavage domestique, Rapport de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes etles hommes Doc. 12906, Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, 17 mai 2001. Disponible sur: http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/doc01/FDOC9102.htm

117 Article 1 de la Convention de Vienne de 1961118 Id.119 Id.120 Id.121 Id.

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« Article 29 La personne de l’agent diplomatique est inviolable. Il ne peutêtre soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention. L'État accréditairele traite avec le respect qui lui est dû, et prend toutes mesures appropriéespour empêcher toute atteinte à sa personne, sa liberté et sa dignité. Article30 1. La demeure privée de l’agent diplomatique jouit de la même inviolabilitéet de la même protection que les locaux de la mission. Ses documents, sacorrespondance et, sous réserve du paragraphe 3 de l’article 31, ses biensjouissent également de l’inviolabilité. »

Ainsi, du fait du principe d'inviolabilité de la personne, l'agent diplomatique ne peut êtrearrêté, détenu, extradé ou encore expulsé. De même, il ne peut être dans l'obligation detémoigner, son consentement est nécessaire. Ces immunités en pratique sont de véritablesobstacles à la poursuite d'une enquête de police judiciaire. La réunion de preuves est unvéritable défi dans ces cas là.

En ce qui concerne les fonctionnaires consulaires, les privilèges accordés sont plusréduits. Mais ils ne sont mis en état d'arrestation qu'en cas de crime grave et ne sontincarcérés qu'après exécution d'une décision judiciaire définitive. Ils ne sont pas justiciablesdes juridictions de l'Etat hôte pour des actes exercés dans le cadre de leur fonction.

Parallèlement à ces immunités, la Convention de Vienne dispose en son article 41 queles agents diplomatiques et assimilés « ont le devoir de respecter les lois et règlementsde l'Etat accréditaire ».

En cas de situation d'esclavage, l'Etat accréditant ou l'organisation internationale peutdécider de lever ou de renoncer à l'immunité de juridiction de l'agent ou alors de le révoquersans que celui-ci y consentisse. Pour autant, la levée de l'immunité juridictionnelle n'entrainepas automatiquement de levée de l'immunité d'exécution. En effet, ces renonciations doiventêtre faites séparément et de manière expresse. Cette procédure est utilisée de manièreexceptionnelle du fait de la lourdeur administrative de la procédure. Il est très rare quecela se produise mais non impossible. En effet, à titre d'exemple, en 1999, grâce à l'actiondu CCEM et d'une association Enfance et Partage, un cas d'esclavage domestique chezun haut fonctionnaire de l'UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, lascience et la culture) a été informé au parquet de Nanterre. Une enquête de suspicion demauvais traitements a été ouverte et pour la première fois l'ancien directeur général a décidéà la demande du parquet général de lever l'immunité de son agent, ancien ministre duBurundi. Cependant, le fonctionnaire a fait valoir son immunité et a exercé toutes les voies derecours pour annuler la procédure. Un non lieu a été prononcé mais la Cour de Cassation aannulé et cassé le non lieu. En 2006, l'affaire était en attente de jugement. Ce cas démontreà quel point l'immunité diplomatique peut avoir des impacts retentissants même après salevée.

Une autre solution théorique est possible, une action judiciaire peut-être menée devantl'Etat accréditant ou celui-ci peut déclarer le diplomate persona non grata. Néanmoins, enpratique cela est très rarement effectué de par les conséquences néfastes qu'une telleprocédure peut avoir sur les relations diplomatiques des États.

De fait, dans la plupart des cas, une solution à l'amiable est recherchée pour larésolution du litige avec l'aide du CCEM. Les victimes ne trouvent donc pas réparationdes dommages subis d'autant plus qu'un permis de séjour temporaire ne peuvent leur êtreaccordé. En effet, l'octroi d'un permis de séjour dans ces cas là est conditionnée à l'existenced'une procédure judiciaire.

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Face à ce que les juristes spécialisés dans l'esclavage appellent clairement un déni dejustice, la prévention est souvent la solution la plus envisageable. Ces dernières années,le Ministère des Affaires étrangères français a porté ses efforts sur la prévention envers lepersonnel domestique des diplomates, les victimes potentielles ces dernières années. Cetaspect du problème sera traité dans le Titre 2.

Conclusion Titre 1Le statut de la victime est au centre du processus de protection et détermine les difficultésque la personne exploitée va devoir faire face. La non reconnaissance de victime de traiteest préjudiciable à la personne exploitée qui ne peut bénéficier d'avantages importants. Enplus de ce manque de dispositif adéquat, la victime peut se retrouver face à des situationsd'impunité.

Pour palier au processus de réhabilitation qui ne s'applique pas à la victimed'exploitation domestique, l'accompagnement de celle-ci par le secteur associatif estindispensable.

Titre 2: L'accompagnement de la victimeLa France est le seul pays européen dont le système d'aide aux victimes est aussi incomplet.Aucune assistance sociale aux victimes de l'esclavage domestique n'existe. Ce sont desONG qui doivent prendre en charge non seulement le suivi social, la facilitation d'accès à lajustice mais également la protection des victimes. Nous verrons dans un premier temps lesdispositions d'aide aux victimes mis en place par le secteur associatif, ses réussites et seslacunes (Chapitre I) puis les solutions possibles en vue d'une amélioration de la protectionet de la lutte contre ce fléau (Chapitre II).

Chapitre I-L'aide aux victimesPour palier aux carences étatiques, le domaine associatif a mis en place des dispositifsd'aide incontournables pour la prise en charge des personnes exploitées (1). Pourtant, deslacunes existent et demanderaient des aménagements des pouvoirs publics. (2)

1-Les dispositifs existantsAfin de protéger la victime, la société civile a milité pour que des mesures effectives soientprises (1-2). Grâce à cette mobilisation, un système d'éloignement est possible via ledispositif Ac-Sé (1-1)

1-1. Le programme Ac-Sé: Accueil Sécurisant dans un autre départementL'Ac-Sé (Acceuil Sécurisant) est un dispositif national d'accueil et de protection des victimesde la traite des êtres humains qui a été mis en place en octobre 2001 par l'associationALC (Accompagnement, Lieu d'accueil, Carrefour Educatif et Social ) basée à Nice aprèsun appel à projet de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS)122. Ce dispositif

122 Informations trouvées sur le site http://www.acse-alc.org/

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propose un accueil aux victimes majeures de traite, françaises ou étrangères qui sonten danger localement et qui ont besoin d'un éloignement géographique de leur lieud'exploitation. Selon le décret n°2007-1352 du 13 septembre 2007 une victime de traite endanger localement peut être orientée vers « le dispositif national d'accueil et de protectiondes victimes, mis en œuvre par voie de convention entre le ministre chargé de l'actionsociale et l'association qui assure la coordination de ce dispositif. »

Ce dispositif s'appuie sur un réseau d'associations et d'organisations spécialiséesdans l'accompagnement des victimes de traite à des fins d'exploitation et de centred'hébergement. Ac-Sé propose un hébergement et un accompagnement éloigné du lieud'exploitation à la victime de traite. C'est également un dispositif ressource pour lesprofessionnels en contact avec ces victimes: services de police, associations...Ce serviceétatique permet également de faire avancer les recherches sur ce phénomène et d'acquérirune meilleure connaissance et une meilleure appréhension du phénomène de traite et sesconséquences sur les victimes. Cette avancée significative dans la prise en charge possibledémontre le rôle indéniable des associations françaises.

1-2. L'accompagnement du secteur associatifLe rôle des associations et des ONG dans la lutte contre l'esclavage moderne et la traite desêtres humains n'est plus à démontrer. Leur accompagnement tout au long des procéduresjudiciaires et même avant est irremplaçable. Leur capacité d'expertise est un riche outilpour l'amélioration de la répression et du régime de protection en France ainsi qu'auniveau international. En ce qui concerne le CCEM fondé en 1994, il prend en charge enmoyenne une centaine de dossiers par an. En 2010, le nombre exact était de 126 dont 15à 30 nouvelles affaires par année.123 L'association parisienne apporte un soutien juridique,sociale et administrative. Des dizaines d'avocats bénévoles assistent les victimes et desactions de prévention et de sensibilisation sont menées de manière parallèle.

Le rôle des membres de la société civile tels que le CCEM ne se limite pas auseul accompagnement de la victime. Au niveau national, le secteur associatif cherche àinformer les autorités de ces situations, à militer pour l'adoption de mesures répressiveset d'assistance et à faire respecter ces mesures. Le CCEM milite en particulier pour lerespect de la jurisprudence de la CEDH, faire valoir le droit de la victime à une répressioneffective et faire valoir le délit de traite dans les affaires d'esclavage domestique. Auniveau international, les efforts du secteur associatif porte sur le contenu des politiqueseuropéennes et internationales qui ont des impacts sur les législations nationales et sur lacréation de réseaux qui facilitent l'assistance et le retour vers le pays d'origine.124

Cet engagement de la société civile est à saluer. Pourtant, certains de cesaménagements d'aide contiennent de grandes lacunes.

2-Les dispositifs à améliorerDes changements dans le processus de prise en charge de la victime seraient lesbienvenus, notamment en ce qui concerne les mineurs (2-1), l'hébergement d'urgence (2-2)et l'accès aux soins psychologiques (2-3).

2-1. La question des victimes mineures

123 Entretien avec Bénédicte Bourgeois124 Vaz Cabral, G. 2006. La traite des êtres humains Réalités de l’esclavage contemporain La Découverte, p.180

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Les mineurs en proie à la traite à des fins d'exploitation par le travail sont souvent étrangerset sans papiers. Ils arrivent en France sans l'aide de structures de réseaux. Pourtant, ils sontsouvent d'abord considérés par les services de police comme des délinquants en infractionalors qu'ils sont de fait en premier lieu des victimes. Un changement de prise en chargedes mineurs étrangers serait ici le bienvenu selon les membres des associations œuvrantdans ce domaine.

Il convient de rappeler que la France est liée à des obligations internationales en cequi concerne la protection des mineurs. La Convention relative aux droits de l'enfant de1989 a mis en évidence la nécessité d'accorder une protection particulière à l'enfant victimede traite. La Convention dispose qu'en cas de traite ou d'exploitation par le travail, lesÉtats parties doivent réprimer de tels faits mais aussi faciliter la « réadaptation physiqueet psychologique et la réinsertion sociale » 125 de tout mineur concerné. La Conventionpréconise également « des procédures efficaces pour l'établissement de programmessociaux » 126 afin de protéger l'enfant. Ces principes sont souvent repris dans les autrestextes relatifs à l'exploitation par le travail. On peut citer la Convention de l'OIT n° 182qui impose aux États parties de prendre « des mesures efficaces dans un délai déterminéafin de prévoir l'aide directe nécessaire et appropriée pour soustraire les enfants aux piresformes de travail des enfants et assurer leur réadaptation et leur intégration sociale. » 127

Ces encouragements sont aussi présents dans la Convention de Varsovie et la Conventionde Palerme128 .

En France, le dispositif départemental d'aide sociale à l'enfance (ASE) doit prendre desmesures effectives d'assistance protectrices des droits de l'enfant en faveur des mineursvictimes de traite ou d'exploitation. L'ASE a pour mission d'apporter « un soutien matériel,éducatif et psychologique » 129 aux mineurs, à leur famille ou au détenteur de l'autoritéparentale confrontés à des difficultés qui risqueraient de compromettre leur santé, leursécurité ou leur moralité. Pourtant, les mineurs victimes de traite ou d'exploitation, souventétrangers et isolés ont du mal à bénéficier de ce dispositif. Ces lacunes sont là encore uneconséquence du manque de clarté dans la définition de victime de traite ou d'exploitation.Selon un rapport de la CNCDH, les services de police sont souvent confrontés à la difficultéd'identifier une situation de danger pour le mineur130. En ce qui concerne l'exploitationdomestique, nombre de mineurs ont vu se voir refuser toute prise en charge par l'ASE.Ce rapport de la CNCDH a d'ailleurs préconisé l'apport de formation à l'identification d'unesituation de traite ou d'exploitation aux professionnels de l'ASE.

D'autres lacunes existent en ce qui concerne les dispositifs d'aide aux victimes, l'unedes plus importantes est sans doute le manque d'hébergement d'urgence.

2-2. Manque d'hébergement d'urgence125 Article 39 de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989126 Article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989127 Article 7-2 b) et c) de la Convention n° 182 relative à l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate

en vue de leur élimination de 1999128 Articles 2-a, 6-4, 9-1b et 9-4 du Protocole de Palerme, 2000 ; articles 5-3, 10-1, 12 et 28-3 de la Convention de Varsovie, 2005129 Avis sur La traite et l’exploitation des êtres humains en France, Commission Nationale

Consultative des Droits de l’Homme, 18 décembre 2009, p. 279. Disponible sur: http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/Etude_Traite_et_exploitation_des_etres_humains_en_france.pdf

130 Pour plus d'informations sur ce problème en particulier voir id. p. 280

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La victime prise en charge par une cellule associative rencontre souvent un premierobstacle, celui de trouver un refuge loin de l'exploitant domestique131. Pour les premiersjours, la victime peut-être hébergée chez des compatriotes, la famille, des amis ou descongrégations religieuses mais cela pour une période à court terme. L'hébergement surle temps plus durable est quelque fois trouvé grâce à un réseau de familles d'accueilbénévoles mais pour la plupart des cas, l'hébergement d'urgence via le 115 reste la seulesolution envisageable. L'hébergement d'urgence est une compétence de l'Etat qui proposeun logement pour une nuit, un couvert et l'accès à un dispositif d'hygiène. La plupart despersonnes hébergées par le 115 sont des femmes avec enfants car elles restent un publicprioritaire pour le Samu Social. La loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 institue le droit opposableau logement, les personnes bénéficiant de l'hébergement d'urgence ont le droit de restertant qu'une solution sur le long terme n'est pas trouvée. L'article 4 de la loi précitée disposeque

« Toute personne accueillie dans un centre d'hébergement d'urgence doit pouvoir ydemeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cetteorientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers unlogement, adaptés à sa situation. »

Cette loi établit le principe de continuité dans la prise en charge des personnessans-abris ce qui suppose la fin de la notion de durée maximale dans les centresd'hébergement d'urgence, que cela concerne des places dans des centres conventionnésou des places dédiées dans des CHRS (Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale).On retrouve ce principe dans la circulaire du 19 mars 2007. Le plan d'action renforcé endirection des personnes sans abris a transformé 10 500 places d'hébergement d'urgenceen places d'hébergement de stabilisation et en places en Centre d'Hébergement et deRéinsertion Sociale. Pour le CCEM, cette disposition ne permet pas une évolution dansla prise en charge des personnes victimes d'esclavage domestique car l'hébergement etl'accompagnement social sont souvent mal adaptés à la situation des victimes en besoin desoutien psychologique. Aussi, le nombre réduit des places en CHRS (moyen plus adaptéaux victimes du CCEM) ne permet pas une augmentation de place pour un hébergementd'urgence. Le CCEM détient un appartement d'urgence contenant quatre places, l'urgencepeut souvent durer deux ou trois années pendant la procédure judiciaire. Un besoin énormese fait donc ressentir aujourd'hui dans ce domaine.

De plus, les personnes bénéficiant d'un logement dans une structure spécialiséecomme les CHRS doivent souvent être dans une situation régularisée et déjà avoir à leuractif un projet d'insertion par le logement.

Selon le CCEM, ce problème de logement pose des freins à la régularisation de lasituation de la victime. Aucune adresse stable et définitive ne peut être communiquéeaux services administratifs ce qui peut être un motif de transfert de dossiers ou de noninstruction du dossier par les services instructeurs de la demande. Cela peut aussi êtreun frein à l'accueil des victimes dans des structures qui proposent des accompagnementsplus adaptés comme par exemple les centres maternels pour les jeunes mères. La situationadministrative irrégulière de ces personnes est un obstacle à leur accueil.

2-3. Le problème de l'accès aux soins psychologiques adéquats

131 32% des entretiens de l'année 2009 menés au CCEM concernaient la régularisation des problèmes de logement. Rapport annuel2009 du CCEM, p. 15

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L'accès aux soins est aujourd'hui l'un des besoins les plus importants à pourvoir pour lesvictimes après celui du logement. Celles-ci doivent avoir rapidement accès aux soins desanté et psychologiques du fait des années d'exploitation qu'elles ont subies. Le Comité lesaide dans leurs démarches pour obtenir l'Aide Médicale de l'Etat (AME) et la CouvertureMaladie Universelle. Mais de plus en plus de médecins et de pharmaciens sont réticents àl'idée d'accepter l'AME. Le CCEM essaye aujourd'hui de fournir des soins psychologiquespar des psychologues aguéris des problématiques de l'exploitation domestique, mais cesefforts ne sont en aucun cas suffisants pour les victimes.

Le dispositif d'aide aux victimes d'exploitation domestique est souvent assuré parle secteur associatif qui grâce à un travail en réseaux parvient à fournir des solutions.Malheureusement, ces solutions sont souvent précaires et comportent des manquementscriants. Face au manque de prise en charge effective qui est censé être assuré demanière efficace par l'Etat au vu de ses engagements internationaux, des solutions ont étéproposées.

Chapitre II-Les solutions possibles en vue d'une amélioration de laprotection des victimes

Dans le but de renforcer la protection des personnes exploitées, des réformes ont étéproposées par différents corps de métier de la justice mais essentiellement par le secteurassociatif. La protection passe par certes des mesures de protection post-exploitation maisaussi par la prévention et la répression. L'amélioration de la répression sera déjà un grandpas pour la protection des victimes et la dissuasion des exploitants. Des réformes surle moyen terme (1) mais également une série de recommandation et de proposition deréformes de la CNCDH seront exposées (2).

1-Les réformes sur le moyen termeNombre de juristes spécialisés dans le domaine de l'esclavage et de la traite approuvent lefait que des réformes seraient profitables aux victimes. Une meilleure prise en charge dela victime dont l'exploitant est agent diplomatique (1-1), une sensibilisation des services depolice et des magistrats à la problématique de l'exploitation (1-2) ou encore la mise en placede peines plus dissuasives (1-3) font partie des solutions possibles à appliquer.

1-1. Prévention pour victimes des diplomatesEn ce qui concerne, les victimes potentiels des agents diplomatiques, le Ministère desAffaires étrangères français a développé une prévention envers le personnel domestiqueétranger arrivant en France. Il semble que la prévention reste l'arme la plus disponible,facile d'accès et efficace contre ce préjudice. Une procédure spéciale de délivrance de visaa été mise en place. La mission étrangère en France ou l'organisation internationale doitannoncer le recrutement fait par une note verbale adressée au Ministère. Une instruction dela demande est nécessaire en premier lieu, puis, le futur employé se voit délivré un visa delong séjour avec mention spécifique par le poste consulaire du lieu où il réside. La délivrancedu visa est conditionnée: la durée de séjour est identique à celle de l'employeur, l'employédoit avoir 18 ans, ne pas appartenir à la famille de l'employeur et ne peut être au serviced'un autre employeur. Un contrat de travail conforme aux normes du droit du travail françaisest nécessaire, celui-ci doit préciser les heures effectuées, la rémunération et les congéspayés. Enfin, l'employeur doit souscrire à un régime de protection sociale pour son employé.

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La carte est remise en mains propres à l'employé à son arrivée. Il est informé de ses droitset un entretien personnalisé avec le ministère doit être réitéré chaque année.

En plus des campagnes menées régulièrement auprès des représentations en France,des documents préventifs sont en ligne sur le site du ministère afin d'informer les employeursdes règles à respecter pour les employés privés. Les services qui traitent des demandesde visa sont aussi prévenus des méfaits.

Un rapport de l'Assemblée Nationale datant de 2001 se félicitait de ces dispositifsmais rappelait que d'autres mesures étaient nécessaires avant d'accentuer la prévention.Notamment, la possibilité de déclarer le diplomate persona non grata ou de lever l'immunitéde juridiction d'agents diplomatiques français doit être sérieusement pris en compte. Ilest évident que ces changements prendront du temps à se mettre en place mais lerespect des droits de la victime en dépend. D'autres réformes sur le terrain sont égalementenvisageables.

1-2. La formation des officiers de police et des magistratsDans le cadre de l'esclavage domestique, l'élément central qui ressort des recherchesjuridiques, des analyses des situations d'espèce et des entretiens avec les professionnelsluttant contre ce phénomène est un manque de spécialisation et de formation desprofessionnels de la justice.

Le CCEM se heurte souvent à un phénomène d'incrédulité de la part des services depolice et des magistrats du parquet. Ce manque de sensibilisation des services de policese traduit sur le terrain par des procès verbaux qui ne comportent aucun élément suffisantqui pourraient caractériser des délits par la suite. Ceci empêche la constitution de dossierssolides en amont d'une ouverture de procès par le parquet. Il devient donc indispensableque des policiers et le personnel de la justice reçoivent des formations à ce sujet afin demieux encadrer la victime et mieux gérer les dossiers juridiques. Dans les cas d'esclavagedomestique, l'enquête à mener est particulièrement minutieuse et demande un travail delongue haleine, les preuves matérielles étant souvent difficiles à rassembler. En effet, lesfaits incriminés se déroulent au domicile de l'exploitant à huit clos, lorsque la victime oseporter plainte, c'est souvent la parole de celle-ci qui est confrontée à celle de l'exploitant.Tout le travail d'assemblage de preuves réside dans le fait de mener une enquête dansle voisinage pour essayer de corroborer le témoignage de la victime avec des faits. Undéséquilibre flagrant apparaît entre le nombre de témoins à l'appui de la défense et celuide l'accusation, c'est là encore une manifestation de la grande vulnérabilité sociale de lavictime.132 Il faut donc être averti de ces paramètres lorsqu'un dépôt de plainte est effectué.Le CCEM milite donc déjà auprès des pouvoirs publics pour que des services de police etde personnels judiciaires spécialisés soient crées pour le traitement des affaires de traiteà des fins d'exploitation par le travail.

1-3. Des peines plus dissuasives

Afin d'améliorer la protection des victimes potentielles qui selon Bénédicte Bourgeois133

passe d'abord par la répression, la solution serait de mettre en place des peines plusdissuasives. Les infractions des articles 225-13 et 225-14 constituent des faits gravesattentatoires à la dignité humaine. Or, les peines encourues sont considérées comme assezfaibles par les professionnels de l'esclavage moderne et de la traite. Les peines prononcées

132 Entretien avec Bénédicte Bourgeois, responsable juridique au CCEM133 Ibid.

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sont souvent en-deçà des peines encourues. Selon un rapport de l'Assemblée nationale quidate de 2001, les chambres correctionnelles prononcent des peines avec sursis d'environsix à huit mois. Des peines de prison ferme n'ont jamais encore été données alors qu'ellessont prévues. Il semble important de mettre en pratique la législation afin de dissuader lespotentiels exploitants et éviter que l'exploitation ne survienne.

D'autres réformes sont à envisager, celles-ci ont été pour l'essentiel préconisées par laCommission Nationale Consultative des Droits de l'Homme.

2-Les recommandations de la Commission Nationale Consultative des Droitsde l'HommeEn 2009, la CNCDH a publié un rapport sur « La traite et l'exploitation des êtres humains »dans lequel 93 recommandations ont été faites afin d'améliorer le système de répressionet de protection des victimes en France. Ce rapport analysait notamment l'applicationdu Protocole de Palerme au niveau national. La première recommandation vise les payseuropéens. En effet, la CNCDH encourage la France à « inviter ses partenaires européensà définir ensemble la notion d'exploitation » afin de mieux réprimer le phénomène de traiteet de préciser les champs d'application des textes internationaux contraignants relatifs à latraite des êtres humains.

L'autre grande recommandation du rapport est de mettre en conformité les dispositionspénales avec le Protocole de Palerme. Pour simplifier l'article 225-4-1, le rapport préconised'abroger les dispositions spéciales relatives à la traite dans le Code pénal et de conserveruniquement cet article, de renoncer à faire de la recherche du profit un élément constitutifde la traite et de faire en sorte que la traite soit punissable quel que soit le cas de travailforcé ou de servitude concerné.134

Suite à l'affaire Siliadin, des propositions de lois ont été faites pour mettre enplace des incriminations spéciales relatives aux infractions d'esclavage et de servitude.Cependant, ces propositions de lois n'ont jamais été adoptée et sont devenues caduquesau renouvellement triennal du Sénat en 2008. Pourtant, dans la décision de la Cour, celle-ciévoque que « les articles 225-13 et 225-14 ne visent pas spécifiquement les droits garantiespar l'article 4 de la Convention mais (...) l'exploitation par le travail et la soumission à desconditions de travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. » Le rapportde la CNCDH recommande également l'adoption d'une incrimination de l'esclavage et de laservitude. Les modifications législatives de 2003 et de 2007 n'ont en aucun cas changé ladonne. D'autres requêtes ont été déposées devant la Cour en ce qui concerne l'esclavagedomestique. S'il s'avérait une nouvelle condamnation de la France, on peut espérer unenouvelle prise de conscience afin de considérer les victimes d'exploitation domestique.

Conclusion Partie 2Le régime de protection des victimes de l'esclavage domestique en France est loin d'êtresatisfaisant au vu des engagements internationaux de l'Etat. Une reconnaissance du

134 Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme. 18 décembre 2009. Avis surLa traite et l’exploitation des êtres humains en France, p. 67. Disponible sur: http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/Etude_Traite_et_exploitation_des_etres_humains_en_france.pdf

Partie 2: Le régime de protection individuelle

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statut de la victime d'esclavage domestique comblerait le manque de prise en chargeet reconnaitrait la particularité de cette forme d'esclavage moderne. Les lacunes dans ledomaine juridique mais aussi social et administratif sont criantes. Pour que la victime soiteffectivement rétablie dans ses droits économiques et sociaux, ces manquements doiventêtre comblés au plus vite. Trop de personnes pâtissent encore du manque du respect desnormes internationales.

On peut féliciter la société civile qui participe à une prise de conscience progressivedu manque de considération pour les victimes d'exploitation domestique dans le systèmejudiciaire. Il convient aussi de saluer les engagements de l'Union Européenne dans ledomaine de la traite, même si une meilleure collaboration serait salutaire pour harmoniserles politiques nationales de lutte.

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Conclusion Générale

Il résulte de ce qui précède qu'un écueil important existe aujourd'hui dans le domainedu DIDH: l'écart entre les textes et la réalité. Reconnaître des droits, s'engager dans unprocessus de lutte pour faire respecter les droits de chaque être humain est louable, maisencore faut-il les appliquer. Le domaine du DIDH a connu de nombreuses critiques de parson manque d'effectivité sur le terrain, un droit à la carte, puisque les États sont libres designer les traités ou non ou encore de les respecter ou non. Pourtant, dire que ces droits sontinutiles serait manquer d'analyse. Ce manque d'application par les États souverains montrele caractère hautement politique de ces proclamations au respect de la dignité humaine.Pour arriver à une application concrète, un long chemin reste à parcourir par les autoritésétatiques.

L'éradication de l'esclavage domestique ne sera pas possible tant qu'au premierabord une coopération réelle entre États européens ne sera pas effective. Le caractèretransnational de cette infraction demande une collaboration internationale combinée à unemise en application des engagements des États dans le domaine de la répression et de laprotection des victimes. Pour cela, une prise de conscience politique est plus que nécessairenon seulement dans nos pays occidentaux mais également dans les pays où ces pratiquesne sont pas réprimées. On dira sûrement que la solution serait de combattre le mal à saracine c'est à dire d'éradiquer la pauvreté et la misère dans les pays d'où sont originairesces victimes. Certes, mais là encore, tenter de supprimer un phénomène demande desactions concrètes mais avant toute action, une prise de conscience est nécessaire. Dans ledomaine de l'esclavage domestique, un changement de mentalité est indispensable.

Espérons que les efforts de la société civile et du Haut Commissariat des Nations Uniesaux droits de l'homme porteront leurs fruits dans un futur proche.

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Entretien

Entretien avec Bénédicte Bourgeois, Responsable juridique du CCEM, 8/08/2011

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Annexes

75

Annexes

Annexe 1: Les formes contemporaines d'esclavagedans le monde

[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiquesde Lyon]

Annexe 2: Protocole additionnel à la Convention desNations Unies contre la criminalité transnationaleorganisée visant à prévenir, réprimer et punir la traitedes personnes, en particulier des femmes et desenfants

Préambule

Les États Parties au présent Protocole,

Déclarant qu’une action efficace visant à prévenir et combattre la traite des personnes,en particulier des femmes et des enfants, exige de la part des pays d’origine, de transit etde destination une approche globale et internationale comprenant des mesures destinéesà prévenir une telle traite, à punir les trafiquants et à protéger les victimes de cette traite,notamment en faisant respecter leurs droits fondamentaux internationalement reconnus,

Tenant compte du fait que, malgré l’existence de divers instruments internationaux quirenferment des règles et des dispositions pratiques visant à lutter contre l’exploitation despersonnes, en particulier des femmes et des enfants, il n’y a aucun instrument universel quiporte sur tous les aspects de la traite des personnes,

Préoccupés par le fait que, en l’absence d’un tel instrument, les personnes vulnérablesà une telle traite ne seront pas suffisamment protégées,

Rappelant la résolution 53/111 de l’Assemblée générale du 9 décembre 1998, danslaquelle l’Assemblée a décidé de créer un comité intergouvernemental spécial à compositionnon limitée chargé d’élaborer une convention internationale générale contre la criminalitétransnationale organisée et d’examiner s’il y avait lieu d’élaborer, notamment, un instrumentinternational de lutte contre la traite des femmes et des enfants,

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Convaincus que le fait d’adjoindre à la Convention des Nations Unies contre lacriminalité transnationale organisée un instrument international visant à prévenir, réprimeret punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, aidera à préveniret combattre ce type de criminalité,

Sont convenus de ce qui suit:

I. Dispositions généralesArticle premierRelation avec la Convention des Nations Uniescontre la criminalité transnationale organisée

1. Le présent Protocole complète la Convention des Nations Unies contre la criminalitétransnationale organisée. Il est interprété conjointement avec la Convention.

2. Les dispositions de la Convention s’appliquent mutatis mutandis auprésent Protocole, sauf disposition contraire dudit Protocole.3. Les infractions établies conformément à l’article 5 du présent Protocole sont

considérées comme des infractions établies conformément à la Convention.

Article 2ObjetLe présent Protocole a pour objet:a) De prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention

particulière aux femmes et aux enfants;b) De protéger et d’aider les victimes d’une telle traite en respectant pleinement leurs

droits fondamentaux; etc) De promouvoir la coopération entre les États Parties en vue d’atteindre ces objectifs.

Article 3Terminologie

Aux fins du présent Protocole:a) L’expression “traite des personnes” désigne le recrutement, le transport, le transfert,

l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la forceou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité oud’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantagespour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux finsd’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autruiou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage oules pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes;

b) Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée,telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque desmoyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé;

Annexes

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c) Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant auxfins d’exploitation sont considérés comme une “traite des personnes” même s’ils ne fontappel à aucun des moyens énoncés à l’alinéa a) du présent article;

d) Le terme “enfant” désigne toute personne âgée de moins de 18 ans.Article 4Champ d’applicationLe présent Protocole s’applique, sauf disposition contraire, à la prévention, aux

enquêtes et aux poursuites concernant les infractions établies conformément à son article5, lorsque ces infractions sont de nature transnationale et qu’un groupe criminel organisé yest impliqué, ainsi qu’à la protection des victimes de ces infractions.

Article 5Incrimination

1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pourconférer le caractère d’infraction pénale aux actes énoncés à l’article 3 du présent Protocole,lorsqu’ils ont été commis intentionnellement.

2. Chaque État Partie adopte également les mesures législatives et autres nécessairespour conférer le caractère d’infraction pénale:

a) Sous réserve des concepts fondamentaux de son système juridique, au fait de tenterde commettre une infraction établie conformément au paragraphe 1 du présent article;

b) Au fait de se rendre complice d’une infraction établie conformément au paragraphe1 du présent article; et

c) Au fait d’organiser la commission d’une infraction établie conformément auparagraphe 1 du présent article ou de donner des instructions à d’autres personnes pourqu’elles la commettent.

II. Protection des victimes de la traitedes personnes

Article 6Assistance et protection accordéesaux victimes de la traite des personnes1. Lorsqu’il y a lieu et dans la mesure où son droit interne le permet, chaque État Partie

protège la vie privée et l’identité des victimes de la traite des personnes, notamment enrendant les procédures judiciaires relatives à cette traite non publiques.

2. Chaque État Partie s’assure que son système juridique ou administratif prévoit desmesures permettant de fournir aux victimes de la traite des personnes, lorsqu’il y a lieu:

a) Des informations sur les procédures judiciaires et administratives applicables;b) Une assistance pour faire en sorte que leurs avis et préoccupations soient présentés

et pris en compte aux stades appropriés de la procédure pénale engagée contre les auteursd’infractions, d’une manière qui ne porte pas préjudice aux droits de la défense.

3. Chaque État Partie envisage de mettre en œuvre des mesures en vue d’assurer lerétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite des personnes, y

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compris, s’il y a lieu, en coopération avec les organisations non gouvernementales, d’autresorganisations compétentes et d’autres éléments de la société civile et, en particulier, de leurfournir:

a) Un logement convenable;b) Des conseils et des informations, concernant notamment les droitsque la loi leur reconnaît, dans une langue qu’elles peuvent comprendre;c) Une assistance médicale, psychologique et matérielle; etd) Des possibilités d’emploi, d’éducation et de formation.4. Chaque État Partie tient compte, lorsqu’il applique les dispositions du présent article,

de l’âge, du sexe et des besoins spécifiques des victimes de la traite des personnes, enparticulier des besoins spécifiques des enfants, notamment un logement, une éducation etdes soins convenables.

5. Chaque État Partie s’efforce d’assurer la sécurité physique des victimes de la traitedes personnes pendant qu’elles se trouvent sur son territoire.

6. Chaque État Partie s’assure que son système juridique prévoit des mesures quioffrent aux victimes de la traite des personnes la possibilité d’obtenir réparation du préjudicesubi.

Article 7Statut des victimes de la traite des personnesdans les États d’accueil1. En plus de prendre des mesures conformément à l’article 6 du présent Protocole,

chaque État Partie envisage d’adopter des mesures législatives ou d’autres mesuresappropriées qui permettent aux victimes de la traite des personnes de rester sur sonterritoire, à titre temporaire ou permanent, lorsqu’il y a lieu.

2. Lorsqu’il applique la disposition du paragraphe 1 du présent article, chaque ÉtatPartie tient dûment compte des facteurs humanitaires et personnels.

Article 8Rapatriement des victimes de la traite des personnes

1. L’État Partie dont une victime de la traite des personnes est ressortissante ou danslequel elle avait le droit de résider à titre permanent au moment de son entrée sur le territoirede l’État Partie d’accueil facilite et accepte, en tenant dûment compte de la sécurité de cettepersonne, le retour de celle-ci sans retard injustifié ou déraisonnable.

2. Lorsqu’un État Partie renvoie une victime de la traite des personnes dans un ÉtatPartie dont cette personne est ressortissante ou dans lequel elle avait le droit de résider àtitre permanent au moment de son entrée sur le territoire de l’État Partie d’accueil, ce retourest assuré compte dûment tenu de la sécurité de la personne, ainsi que de l’état de touteprocédure judiciaire liée au fait qu’elle est une victime de la traite, et il est de préférencevolontaire.

3. À la demande d’un État Partie d’accueil, un État Partie requis vérifie, sans retardinjustifié ou déraisonnable, si une victime de la traite des personnes est son ressortissantou avait le droit de résider à titre permanent sur son territoire au moment de son entrée surle territoire de l’État Partie d’accueil.

Annexes

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4. Afin de faciliter le retour d’une victime de la traite des personnes qui ne possède pasles documents voulus, l’État Partie dont cette personne est ressortissante ou dans lequelelle avait le droit de résider à titre permanent au moment de son entrée sur le territoirede l’État Partie d’accueil accepte de délivrer, à la demande de l’État Partie d’accueil, lesdocuments de voyage ou toute autre autorisation nécessaires pour permettre à la personnede se rendre et d’être réadmise sur son territoire.

5. Le présent article s’entend sans préjudice de tout droit accordé aux victimes de latraite des personnes par toute loi de l’État Partie d’accueil.

6. Le présent article s’entend sans préjudice de tout accord ou arrangement bilatéral oumultilatéral applicable régissant, en totalité ou en partie, le retour des victimes de la traitedes personnes.

III. Prévention, coopération et autres mesuresArticle 9Prévention de la traite des personnes1. Les États Parties établissent des politiques, programmes et autres mesures

d’ensemble pour:a) Prévenir et combattre la traite des personnes; etb) Protéger les victimes de la traite des personnes, en particulier les femmes et les

enfants, contre une nouvelle victimisation.2. Les États Parties s’efforcent de prendre des mesures telles que des recherches,

des campagnes d’information et des campagnes dans les médias, ainsi que des initiativessociales et économiques, afin de prévenir et de combattre la traite des personnes.

3. Les politiques, programmes et autres mesures établis conformément au présentarticle incluent, selon qu’il convient, une coopération avec les organisations nongouvernementales, d’autres organisations compétentes et d’autres éléments de la sociétécivile.

4. Les États Parties prennent ou renforcent des mesures, notamment par le biaisd’une coopération bilatérale ou multilatérale, pour remédier aux facteurs qui rendent lespersonnes, en particulier les femmes et les enfants, vulnérables à la traite, tels que lapauvreté, le sous-développement et l’inégalité des chances.

5. Les États Parties adoptent ou renforcent des mesures législatives ou autres,telles que des mesures d’ordre éducatif, social ou culturel, notamment par le biais d’unecoopération bilatérale et multilatérale, pour décourager la demande qui favorise toutes lesformes d’exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, aboutissantà la traite.

Article 10Échange d’informations et formation

1. Les services de détection, de répression, d’immigration ou d’autres servicescompétents des États Parties coopèrent entre eux, selon qu’il convient, en échangeant,conformément au droit interne de ces États, des informations qui leur permettent dedéterminer:

De L'Esclavage Moderne : La Lutte Contre l'Escalvage Domestique en Droit International

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a) Si des personnes franchissant ou tentant de franchir une frontière internationale avecdes documents de voyage appartenant à d’autres personnes ou sans documents de voyagesont auteurs ou victimes de la traite des personnes;

b) Les types de documents de voyage que des personnes ont utilisés ou tenté d’utiliserpour franchir une frontière internationale aux fins de la traite des personnes; et

c) Les moyens et méthodes utilisés par les groupes criminels organisés pour la traitedes personnes, y compris le recrutement et le transport des victimes, les itinéraires et lesliens entre les personnes et les groupes se livrant à cette traite, ainsi que les mesurespouvant permettre de les découvrir.

2. Les États Parties assurent ou renforcent la formation des agents des services dedétection, de répression, d’immigration et d’autres services compétents à la prévention dela traite des personnes. Cette formation devrait mettre l’accent sur les méthodes utiliséespour prévenir une telle traite, traduire les trafiquants en justice et faire respecter les droitsdes victimes, notamment protéger ces dernières des trafiquants. Elle devrait égalementtenir compte de la nécessité de prendre en considération les droits de la personne humaineet les problèmes spécifiques des femmes et des enfants, et favoriser la coopération avecles organisations non gouvernementales, d’autres organisations compétentes et d’autreséléments de la société civile.

3. Un État Partie qui reçoit des informations se conforme à toute demande de l’ÉtatPartie qui les a communiquées soumettant leur usage à des restrictions.

Article 11Mesures aux frontières

1. Sans préjudice des engagements internationaux relatifs à la libre circulation despersonnes, les États Parties renforcent, dans la mesure du possible, les contrôles auxfrontières nécessaires pour prévenir et détecter la traite des personnes.

2. Chaque État Partie adopte les mesures législatives ou autres appropriées pourprévenir, dans la mesure du possible, l’utilisation des moyens de transport exploités pardes transporteurs commerciaux pour la commission des infractions établies conformémentà l’article 5 du présent Protocole.

3. Lorsqu’il y a lieu, et sans préjudice des conventions internationales applicables, cesmesures consistent notamment à prévoir l’obligation pour les transporteurs commerciaux,y compris toute compagnie de transport ou tout propriétaire ou exploitant d’un quelconquemoyen de transport, de vérifier que tous les passagers sont en possession des documentsde voyage requis pour l’entrée dans l’État d’accueil.

4. Chaque État Partie prend les mesures nécessaires, conformément à son droitinterne, pour assortir de sanctions l’obligation énoncée au paragraphe 3 du présent article.

5. Chaque État Partie envisage de prendre des mesures qui permettent, conformémentà son droit interne, de refuser l’entrée de personnes impliquées dans la commission desinfractions établies conformément au présent Protocole ou d’annuler leur visa.

6. Sans préjudice de l’article 27 de la Convention, les États Parties envisagent derenforcer la coopération entre leurs services de contrôle aux frontières, notamment parl’établissement et le maintien de voies de communication directes.

Article 12Sécurité et contrôle des documents

Annexes

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Chaque État Partie prend les mesures nécessaires, selon les moyens disponibles:a) Pour faire en sorte que les documents de voyage ou d’identité qu’il délivre soient

d’une qualité telle qu’on ne puisse facilement en faire un usage impropre et les falsifier oules modifier, les reproduire ou les délivrer illicitement; et

b) Pour assurer l’intégrité et la sécurité des documents de voyage ou d’identité délivréspar lui ou en son nom et pour empêcher qu’ils ne soient créés, délivrés et utilisés illicitement.

Article 13Légitimité et validité des documents

À la demande d’un autre État Partie, un État Partie vérifie, conformément à son droitinterne et dans un délai raisonnable, la légitimité et la validité des documents de voyage oud’identité délivrés ou censés avoir été délivrés en son nom et dont on soupçonne qu’ils sontutilisés pour la traite des personnes.

IV. Dispositions finalesArticle 14Clause de sauvegarde1. Aucune disposition du présent Protocole n’a d’incidences sur les droits, obligations

et responsabilités des États et des particuliers en vertu du droit international, y compris dudroit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme et enparticulier, lorsqu’ils s’appliquent, de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifsau statut

des réfugiés ainsi que du principe de non-refoulement qui y est énoncé.2. Les mesures énoncées dans le présent Protocole sont interprétées et appliquées

d’une façon telle que les personnes ne font pas l’objet d’une discrimination au motif qu’ellessont victimes d’une traite. L’interprétation et l’application de ces mesures sont conformesaux principes de non discrimination internationalement reconnus.

Article 15Règlement des différends

1. Les États Parties s’efforcent de régler les différends concernant l’interprétation oul’application du présent Protocole par voie de négociation.

2. Tout différend entre deux États Parties ou plus concernant l’interprétation oul’application du présent Protocole qui ne peut être réglé par voie de négociation dans undélai raisonnable est, à la demande de l’un de ces États Parties, soumis à l’arbitrage.Si, dans un délai de six mois à compter de la date de la demande d’arbitrage, les ÉtatsParties ne peuvent s’entendre sur l’organisation de l’arbitrage, l’un quelconque d’entre euxpeut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en adressant une requêteconformément au Statut de la Cour.

3. Chaque État Partie peut, au moment de la signature, de la ratification, de l’acceptationou de l’approbation du présent Protocole ou de l’adhésion à celui-ci, déclarer qu’il ne seconsidère pas lié par le paragraphe 2 du présent article. Les autres États Parties ne sontpas liés par le paragraphe 2 du présent article envers tout État Partie ayant émis une telleréserve.

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4. Tout État Partie qui a émis une réserve en vertu du paragraphe 3 du présentarticle peut la retirer à tout moment en adressant une notification au Secrétaire général del’Organisation des Nations Unies.

Article 16Signature, ratification, acceptation, approbation et adhésion

1. Le présent Protocole sera ouvert à la signature de tous les États du 12 au 15décembre 2000 à Palerme (Italie) et, par la suite, au Siège de l’Organisation des NationsUnies, à New York, jusqu’au 12 décembre 2002.

2. Le présent Protocole est également ouvert à la signature des organisationsrégionales d’intégration économique à la condition qu’au moins un État membre d’unetelle organisation ait signé le présent Protocole conformément au paragraphe 1 du présentarticle.

3. Le présent Protocole est soumis à ratification, acceptation ou approbation. Lesinstruments de ratification, d’acceptation ou d’approbation seront déposés auprès duSecrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Une organisation régionaled’intégration économique peut déposer ses instruments de ratification, d’acceptationou d’approbation si au moins un de ses États membres l’a fait. Dans cet instrumentde ratification, d’acceptation ou d’approbation, cette organisation déclare l’étendue desa compétence concernant les questions régies par le présent Protocole. Elle informeégalement le dépositaire de toute modification pertinente de l’étendue de sa compétence.

4. Le présent Protocole est ouvert à l’adhésion de tout État ou de toute organisationrégionale d’intégration économique dont au moins un État membre est Partie au présentProtocole. Les instruments d’adhésion sont déposés auprès du Secrétaire général del’Organisation des Nations Unies. Au moment de son adhésion, une organisation régionaled’intégration économique déclare l’étendue de sa compétence concernant les questionsrégies par le présent Protocole. Elle informe également le dépositaire de toute modificationpertinente de l’étendue de sa compétence.

Article 17Entrée en vigueur

1. Le présent Protocole entrera en vigueur le quatre-vingt-dixième jour suivant ladate de dépôt du quarantième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation oud’adhésion, étant entendu qu’il n’entrera pas en vigueur avant que la Convention n’entreelle-même en vigueur. Aux fins du présent paragraphe, aucun des instruments déposés parune organisation régionale d’intégration économique n’est considéré comme un instrumentvenant s’ajouter aux instruments déjà déposés par les États membres de cette organisation.

2. Pour chaque État ou organisation régionale d’intégration économique qui ratifiera,acceptera ou approuvera le présent Protocole ou y adhérera après le dépôt du quarantièmeinstrument pertinent, le présent Protocole entrera en vigueur le trentième jour suivant ladate de dépôt de l’instrument pertinent par ledit État ou ladite organisation ou à la date àlaquelle il entre en vigueur en application du paragraphe 1 du présent article, si celle-ci estpostérieure.

Article 18Amendement

Annexes

83

1. À l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur du présentProtocole, un État Partie au Protocole peut proposer un amendement et en déposer le texteauprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Ce dernier communiquealors la proposition d’amendement aux États Parties et à la Conférence des Parties àla Convention en vue de l’examen de la proposition et de l’adoption d’une décision. LesÉtats Parties au présent Protocole réunis en Conférence des Parties n’épargnent aucuneffort pour parvenir à un consensus sur tout amendement. Si tous les efforts en ce sensont été épuisés sans qu’un accord soit intervenu, il faudra, en dernier recours, pour quel’amendement soit adopté, un vote à la majorité des deux tiers des États Parties au présentProtocole présents à la Conférence des Parties et exprimant leur vote.

2. Les organisations régionales d’intégration économique disposent, pour exercer,en vertu du présent article, leur droit de vote dans les domaines qui relèvent de leurcompétence, d’un nombre de voix égal au nombre de leurs États membres Parties auprésent Protocole. Elles n’exercent pas leur droit de vote si leurs États membres exercentle leur, et inversement.

3. Un amendement adopté conformément au paragraphe 1 du présent article estsoumis à ratification, acceptation ou approbation des États Parties.

4. Un amendement adopté conformément au paragraphe 1 du présent article entreraen vigueur pour un État Partie quatre-vingt-dix jours après la date de dépôt par ledit ÉtatPartie auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies d’un instrument deratification, d’acceptation ou d’approbation dudit amendement.

5. Un amendement entré en vigueur a force obligatoire à l’égard des États Parties quiont exprimé leur consentement à être liés par lui. Les autres États Parties restent liés parles dispositions du présent Protocole et tous amendements antérieurs qu’ils ont ratifiés,acceptés ou approuvés.

Article 19Dénonciation

1. Un État Partie peut dénoncer le présent Protocole par notification écrite adressée auSecrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Une telle dénonciation prend effetun an après la date de réception de la notification par le Secrétaire général.

2. Une organisation régionale d’intégration économique cesse d’être Partie au présentProtocole lorsque tous ses États membres l’ont dénoncé.

Article 20Dépositaire et langues

1. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies est le dépositaire duprésent Protocole.

2. L’original du présent Protocole, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol,français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général del’Organisation des Nations Unies.

EN FOI DE QUOI, les plénipotentiaires soussignés, à ce dûment autorisés par leursgouvernements respectifs, ont signé le présent Protocole.

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Annexe 3: Le profil des victimesEn 2009, 77 personnes ont été suivies par l'Assistance du Service Social du Comité de LutteContre l'Esclavage Moderne. Des statistiques, provenant du rapport d'activité de 2009 del'association illustrent certains thèmes vus dans le mémoire.

Moyenne d' âge des personnes prises en chargeCes statistiques démontrent que l'exploitation domestique concerne de plus en plus des

personnes en recherche d'emploi. Ce sont souvent des femmes qui cherchent à subveniraux besoins de leur famille restée dans leur pays d'origine.

Annexe 4: L'hébergement, problématique critiquepour les victimes

Nature des problématiques rencontrées par les77 personnes prises en charge par le CCEM en 2009

Comme le démontre ce tableau, le logement reste la préoccupation essentielle desvictimes.

Annexes

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Types d'hébergement utilisées par les 77 personnes prises en charge par le CCEMSi on considère que l'appartement dont dispose le Comité est un lieu d'accueil

d'urgence comme les foyers ou l'hébergement via le 115, près de 45% des personnesrestent sans solution d'hébergement stable.