comment dresser la cartographie de vos ressources humaines
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La crise économique actuelle est sans précédent, à tout le moins pour la génération au pilotage des entreprises. Réaction humaine: la gestion de l’urgence tend à postposer l’installation ou l’exploitation d’outils RH pourtant essentiels. Naviguer dans les eaux troubles de l’économie nécessite par exemple une bonne « cartographie » de votre équipage.TRANSCRIPT
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Edition spéciale - Novembre 2009
« Comment tenir le cap... par tous les temps? »:
tel était le fil rouge rythmant cet Inspiration
Breakfast organisé au Cercle du Lac, à Louvain-
la-Neuve. D’entrée de jeu, Marie-Bernard Guillaume, Senior Business Consultant chez
Mercuri Urval, a épinglé différents contextes
dans lesquels disposer d’une « photographie »
des savoir-faire et/ou savoir-être des colla-
borateurs peut se révéler porteur de valeur
ajoutée. Tous sont d’ailleurs loin d’être assi-
milables à un long fleuve tranquille, comme le
rappelle opportunément la mention « par tous
les temps » dans l’intitulé du sujet du jour.
Exemple: face à un marché médical en boule-
versement, une firme pharmaceutique s’in-
terroge sur ses forces de vente. Sont-elles
conscientes des évolutions à l’œuvre et, sur-
tout, sont-elles prêtes à y répondre? Autre
point de départ, celui du patron de grosse PME
qui doit doubler son chiffre d’affaires dans les
trois ans après avoir réalisé une introduction
en Bourse: est-ce que son équipe managériale
est à la hauteur pour réaliser cette stratégie?
Inutile de le rappeler: le monde financier vient
de vivre un séisme sans précédent. Il est dès
lors vital pour le DRH qui évolue dans ce sec-
teur d’identifier les managers qui adhèrent à
la nouvelle culture et ceux qui y résistent afin
de lancer les actions adéquates. Enfin, lors
de processus d’acquisition, la « due diligence
RH » est souvent oubliée. Or, la réussite d’une
telle opération dépend du « mix » de compé-
tences en présence et de la manière dont les
gens vont travailler ensemble…
La crise économique actuelle est sans précédent, à tout le moins pour la génération au pilotage des entreprises. Réaction humaine: la gestion de l’urgence tend à postposer l’installation ou l’exploitation d’outils RH pourtant essentiels. Naviguer dans les eaux troubles de l’économie nécessite une bonne « cartographie » de votre équipage, rappelait ainsi Marie-Bernard Guillaume lors d’un Inspiration Breakfast organisé par Mercuri Urval, ce 25 septembre. Le « Talent Mapping » de vos collaborateurs représentera un ingrédient clé pour fi gurer parmi les premiers sur la balle au moment de la reprise.
TEXTE: CHRISTOPHE LO GIUDICE
Comment dresser la cartographie de vos ressources humaines
Inspiration Breakfast
« Disposer d’une photographie des savoir-faire et savoir-être des collaborateurs se révèle porteur de valeur ajoutée. »
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Comment démarrer un exercice de cartographie
des ressources humaines? « Tout doit partir de
la stratégie business, souligne Marie-Bernard
Guillaume. Il s’agit de la traduire en compéten-
ces requises et de mesurer l’écart avec les compé-
tences existantes. La plus grande difficulté vient
de là: rendre les choses concrètes, parler en ter-
mes de rôles et de comportements en restant sim-
ple et pragmatique. » Plusieurs méthodes peu-
vent être adoptées. La plus classique consiste à
« classer » les personnes sur un graphe à deux
axes, sur base de la performance présente et
du potentiel à développer. On arrive ainsi à une
carte répartissant le personnel en quatre grou-
pes: les « piles non rechargeables » – tel que
l’exprime judicieusement Véronique Guilmot –
(faible performance, potentiel faible), les « ta-
lents » (performance faible, potentiel élevé),
les « hauts performeurs actuels » (performance
élevée, potentiel faible » ; les « hauts perfor-
meurs actuels et futurs » (performance élevée,
potentiel élevé).
« Nous utilisons également le modèle du lea-
dership situationnel permettant au leader
d’adapter son comportement et son style de ma-
nagement aux collaborateurs qu’il dirige, pour-
suit-elle. La technique de l’organigramme offre
quant à elle d’avoir, sur un simple format A4, une
représentation schématique fondée sur un code
couleur. Par exemple: le vert pour ‘adhérant à la
nouvelle culture’, l’orange pour ‘résistant à la
nouvelle culture’, le bleu pour ‘adhérant passif’
et le rouge pour ‘opposant’. Dans les processus
de changement, nous utilisons la métaphore du
‘serpent’ pour répertorier les ‘agents de chan-
gement’, les ‘suiveurs’, les ‘résistants’ et les
‘impossible à changer’ ou encore la courbe glo-
bale du changement pour marquer les différentes
étapes à franchir: ‘ignorance/déni’, ‘prise de
conscience’, ‘peur/résistance’, acceptation/ex-
ploration’ et ‘engagement/proactivité. »
Attention toutefois: l’exercice n’est pas sans
obstacles et autres pièges. Marie-Bernard
Guillaume en cite quelques-uns, parmi les plus
fréquents:
le • filtre personnel ou le « clientélisme »:
« Le manager se dit qu’il connaît bien
ses gens: il les a recrutés; il travaille avec
eux au quotidien, etc., résume-t-elle. Or,
l’être humain est ainsi fait qu’il filtre la
réalité en fonction de son cadre de réfé-
rence. Un biais qui risque de fermer bien
des portes… »
Inspiration Breakfast
Autour de la table, les participants mettent, eux aussi, en évidence les raisons justifiant un
tel exercice de cartographie de leur personnel.
Marie-Claire Rodrique, HR Manager chez Lloydspharma: « Notre société a grandi par acqui-
sitions. Elle est la somme de plus de septante entreprises différentes! Le succès d’une pharma-
cie repose en majeure partie sur son personnel. Celui-ci reste donc le plus souvent en place. Par
contre, le propriétaire décide parfois de ne plus travailler dans sa pharmacie après la revente.
Et, souvent, on observe un fléchissement dans les chiffres suite à l’opération. La difficulté
vient du fait que l’entreprise était gérée par un indépendant et qu’elle l’est désormais par un
salarié, ce qui revêt d’autres finalités et exige d’autres approches du business. »
Lone Christiansen, HR Director Europe & CIS chez Knauf Insulation: « Suite à une acquisi-
tion, nous avons été confrontés à la problématique d’avoir à réduire une force de vente deve-
nue trop importante. Nous avons procédé à un assessment non seulement des compétences,
mais aussi et surtout des attitudes. Il fallait nous assurer que les personnes que nous allions
sélectionner correspondaient à la culture de notre entreprise. La société reprise fonctionnait
avec une structure formelle et hiérarchique, là où notre culture est ouverte, entrepreneuriale.
Les attitudes ont même été jugées plus importantes que les compétences techniques, car ces
dernières peuvent être mises à niveau. Le processus a pris la forme d’un jeu de rôle en situation
de visite d’un client, devant un panel chargé de coter chaque vendeur. Nos propres vendeurs
ont pris part à l’évaluation afin que l’exercice soit perçu comme étant le même pour tous. Elle
nous a permis de réduire la force de vente de 100 à 60 personnes, avec très peu d’erreurs, puis
de construire un plan de formation afin de combler les lacunes identifiées. »
Véronique Guilmot, DRH de l’I.N.D.C. (Entité Jolimontoise): « Il y a un peu plus d’un an,
j’ai rejoint une entreprise industrielle qui venait de vivre un plan social avec le licenciement
de 150 personnes. Deux mois après mon arrivée, nous avons dû nous séparer de 50 personnes
supplémentaires. Ne pas connaître les personnes offre l’avantage d’être neutre et de pouvoir
prendre ces décisions difficiles sans avoir de passé dans l’entreprise. Mais elles doivent éga-
lement reposer sur une analyse rigoureuse des compétences afin de ne pas apparaître comme
arbitraires. Dans le milieu hospitalier où je suis revenue, disposer d’une cartographie du per-
sonnel est essentiel. Exemple: un patient ne parlant que le turc se rend aux urgences. Il faut
pouvoir identifier très rapidement dans votre personnel qui parle le turc. Autre exemple: face
à la pandémie de grippe, il est possible que nous nous retrouvions face à un grand nombre
d’absents. Nous devons donc étudier comment réallouer nos ressources en prenant en compte
les besoins des services et les compétences requises. Regarder le diplôme ne suffit pas: des
compétences additionnelles se développent avec l’expérience et de la formation continue… »
Véronique Guilmot:« Dans le milieu hospitalier, disposer d’une cartographie du personnel est essentiel. Face à la pandémie de grippe, par exemple, nous devons étudier comment réallouer nos ressources en prenant en compte les besoins des services et les compétences requises. »
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la • gestion de l’urgence versus la prise
en charge de l’important: « Plus particu-
lièrement en période de crise, on peut être
tenté de reporter le mapping a des temps
plus calmes. Or, on voit bien avec l’exem-
ple de la grippe mexicaine ou avec celui
des fusions/acquisitions que cette carto-
graphie prend tout son sens dans une crise
ou dans une phase de changement où ‘on
a d’autres choses à faire’. Il est essentiel
de réaliser la cartographie en permanence
et, surtout, d’en faire un outil vivant. »
l’• absence de relais: « Le cas est classique,
illustre-t-elle. Le CEO demande à ses ‘di-
rect reports’ d’identifier, pour chaque ma-
nager, deux à trois successeurs potentiels.
Au bout du compte, on observe que c’est
réalisé pour les N-3 et N-4, mais on s’aper-
çoit qu’il n’en est rien pour les ‘direct re-
ports’ eux-mêmes! Il manque la couche de
N-2 prêts à prendre la relève, car les ‘direct
reports’ craignent par exemple de ‘creuser
leur propre tombe’ en développant des
concurrents potentiels... »
le • filtre de la performance ou du diplôme:
« C’est un autre classique: le meilleur ven-
Marie-Bernard Guillaume: « Au terme de la crise, il sera crucial d’avoir gardé les bonnes personnes à bord car ce sont elles qui feront redémarrer les machines et vous permet-tront de tourner à plein régime. »
Laurent Gevers, HR Generalist chez GSK
Biologicals: « Chez GSK Biologicals, nous
utilisons une matrice à deux axes éva-
luant, d’une part, la performance – ce
que la personne délivre à court terme –
et, d’autre part, le potentiel – correspon-
dant à la possibilité de progresser et de
continuer à grandir – en neuf positions.
Le manager y positionne ses cadres, puis
une discussion est menée sur les actions
à prendre par rapport à l’endroit où il a
positionné chacun. »
Véronique Guilmot: « Pour qu’une ma-
trice soit utile, chaque case doit en effet
avoir ses ‘do & don’t’. Ensuite, il faut avoir
la pédagogie nécessaire pour expliquer
les positionnements. Dans la situation
où l’on aboutissait au licenciement de 50
personnes, le message devait être clair:
l’individu n’est pas ‘mauvais’ en soi, mais
il est moins bien évalué que d’autres. Si on
avait été en situation de préserver l’em-
ploi, nous l’aurions gardé. Il est important
de jouer la balle, et non pas le joueur. »
Les participants n’ont aucun mal à mettre en
évidence des pièges qu’ils ont eux-mêmes
pu observer au cours de leur carrière dès lors
qu’il s’agit de cartographier la force de tra-
vail de l’entreprise.
Laurent Gevers: « Je pense par exemple aux
plans de succession. Parfois, on rédige un beau
plan et, le jour où il faut le mettre en applica-
tion, on ne le suit pas car on se trouve dans
l’urgence. Bien des entreprises vivraient diffi-
cilement l’épreuve du ‘reality check’. Or, si on
ne suit pas le plan défini, il devient difficile de
valoriser l’exercice auprès des managers. Atten-
tion aussi à la démotivation: on fait des plans à
trois ou cinq ans avec du développement asso-
cié et on arrive au constat que les gens ne sont
jamais vraiment tout à fait prêts… »
Danielle Knott, Vice-President HR Group
chez Carmeuse: « La différence entre le plan
et la réalité peut s’expliquer par le fait qu’on
n’ait pas forcément envie de nommer un pa-
tron ou un manager reflétant celui qu’on
avait auparavant. Celui qui identifie des suc-
cesseurs potentiels a souvent tendance à ne
choisir que des personnes qui lui ressemblent.
Le passage de témoin est alors l’occasion de
changer. Il faut reconnaître que, dans l’ur-
Laurent Gevers: « Parfois, on rédige un beau plan de succession et, le jour où il faut le mettre en application, on ne le suit pas. Il devient alors difficile de valoriser l’exercice auprès des managers. »
Inspiration Breakfast
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deur est nommé directeur commercial ou
l’ingénieur est forcément celui qui passera
manager. Mais un très bon vendeur, pas plus
qu’un diplôme de polytechnique, ne font
automatiquement un bon manager. »
Pour conclure, Marie-Bernard Guillaume invite à
se poser les bonnes questions: quelle sera votre
stratégie en matière de cartographie de vos res-
sources humaines? Comment, quand et vers qui
allez-vous communiquer à ce sujet? Pour faire
passer quels messages? Qui sera le responsable
du projet? Comment choisir les participants?
Quels seront les next steps/plans d’actions?
Quel sera le timing? « Au terme de la crise, il sera
crucial d’avoir gardé les bonnes personnes à bord
car ce sont elles qui feront redémarrer les machi-
nes et vous permettront de tourner à plein régime,
conclut-elle. La démarche exige un certain cou-
rage managérial, la capacité d’affronter les résis-
tances au changement et un investissement dans
le développement, avec une attention particulière
aux hauts potentiels. Mais le retour sur investisse-
ment sera à la hauteur de l’effort engagé. »
gence, il y a tout à coup beaucoup plus de
créativité et on trouve alors des personnes à
qui on n’aurait pas du tout songé spontané-
ment pour exercer le poste en question... La
tendance naturelle est à réfléchir de façon à
préserver la continuité, alors que cette carto-
graphie devrait être l’occasion de pratiquer un
peu de hors-piste. »
Yves Legrand, Human Resources Manager
chez Pfizer: « Un plan de succession doit être
quelque chose de vivant, et je pense aussi qu’il
doit concerner tout le monde, y compris les ni-
veaux inférieurs. Parfois, en effet, des gens à
qui l’on n’avait pas pensé se révèlent. Il faut
donc mener cet exercice de façon détaillée et
essayer de mettre en situation le maximum de
personnes pour leur permettre de se révéler. »
Danielle Knott: « Un autre piège réside dans
la communication. On voit des hauts poten-
tiels assis sur leurs acquis ou attraper la grosse
tête parce qu’ils connaissent l’attention qu’on
leur porte. Si ce n’était pas le cas, peut-être
auraient-ils conservé leur motivation? »
Lone Christiansen: « Quand on communi-
que sur les plans de succession, on crée aussi
des attentes tant en termes de missions que
de salaires… »
Patrice Roulive, COO chez Telemis: « Dans
notre PME, un manager a quitté l’entrepri-
se. Nous l’avons remplacé par un externe et
ça s’est mal passé. Nous avons alors fait le
choix de quelqu’un en interne et nous avons
communiqué qu’à un horizon d’un an, il
serait prêt pour la fonction. Au début, ce
ne fut pas facile à gérer car cette personne
était plus jeune que certains membres de
l’équipe. On a beaucoup travaillé avec des
formations, des 360° et de la communica-
tion à différents niveaux et cela s’est finale-
ment très bien passé. »
Marie-Claire Rodrique: « La transparence a
ses vertus, notamment à l’égard des représen-
tants du personnel, mais le suivi doit alors être
encore plus rigoureux. On est très vite rattrapé
par ce qu’on a mis en place si on n’est finale-
ment pas en mesure de le respecter à 100%. »
Yves Legrand: « Lorsque la démarche a voca-
tion à développer les personnes, il est utile de
travailler sur base d’une auto-évaluation. Ce
qui permet de dépasser le filtre du manager et
de faire accepter plus facilement la démarche
par la personne. »
Danielle Knott: « Chez Carmeuse, nous
avons mis en place un système de performan-
ce dans le cadre duquel le collaborateur est
l’initiateur de la démarche. Il s’auto évalue
et le manager reçoit ensuite cette auto éva-
luation. L’entretien a lieu ensuite sur cette
base et, dans ce cas, ce n’est plus le manager
qui commence à parler. Il y a en outre une
obligation de compréhension totale. Le ma-
nager est en ‘lecture seule’: le collaborateur
traduit ses objectifs sur papier et, si la com-
préhension n’est pas suffisante, cela oblige
le manager à réexpliquer. »
Danielle Knott: « La tendance naturelle est à réfléchir de façon à préserver la continuité, alors que cette cartographie devrait être l’occasion de pratiquer un peu de hors-piste. »
Lone Christiansen: « Quand on communique sur les plans de succession, on crée aussi des attentes tant en termes de missions que de salaires… »
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