cinequanon décembre #3

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Numéro 3 Décembre Sex, drugs and rock ‘n’roll p 10 Tim Burton p 20 Francis Ford Coppola p 23 Interview d’Olivier Duhamel p 35

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Journal n°3 - décembre 2009

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Numéro 3

Décembre

Sex, drugs and rock ‘n’roll p 10 Tim Burton p 20 Francis Ford Coppola p 23 Interview d’Olivier Duhamel p 35

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Edito Un parfum de soufre dans la programmation du Ciné-Club…de libérations en expérimenta-tions, les héros du cycle Sex, Drugs and Rock&Roll sont des écorchés vifs, des jus-qu’au-boutistes fuyant les réalités du monde. Fuyant les prévisions mayas et la fin du mon-de annoncé ? Le film 2012 a défrayé la chro-nique ; au milieu d’actualités plates, une peti-te catastrophe planétaire a eu tôt fait d’é-gayer les journalistes. Fort heureusement, les films en salle ne se restreignent pas aux blockbusters et quelques perles viennent réchauffer ce mois de novembre ; étudiants, vous pouvez même joindre l’utile à l’agréable avec In the Loop, véritable plongée dans le milieu des conseillers en communication poli-tique. Et puisque Coppola revient sur le de-vant de la scène avec son dernier film Tetro, retrouvez dans ce numéro le compte-rendu de sa masterclass et la critique de son der-nier opus. Votre œil averti remarquera aussi que notre numéro de décembre est en fait sorti au mois de novembre : les perturbations calen-daires sont à la mode, et disons-le, nous trouvons cela plus rock’n’roll.

Noémie Calais

Contacts Ciné-club :

Margaux Juvénal

Contact BdA :

Ana Webanck

Contacts Journal :

Noémie Calais

Alexandra Besly

Vincent Danon

Rejoignez le groupe Facebook pour plus d’informations : Ciné Club {BDA Sciences Po}.

[email protected]

http://cinequanonscpo.free.fr/

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Cahier critique p. 4 Sorties du 21/10 p. 4 Sorties du 04/11 p. 5 Sorties du 11/11 p. 6 Sorties du 18/11 p. 9 Cycle du mois p. 10 Boogie Nights p. 10 Hair p. 11 Sailor et lula p. 12 Las Vegas Parano p. 17 La salle du mois Le Latina p. 19 Inclassable p. 20 Tim Burton p. 20 Master class Coppola p. 23 Tetro p. 27 Petit Indi p. 29 Les ailes du désir p. 32 La légion d’honneur p. 34 Le cinéma selon… Olivier Duhamel p. 35

Sommaire

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Sortie en salles du 21/10/2009

Sin Nombre, Cary Fukunaga

Le « Des images peuvent choquer » sur l’affiche de Sin nombre semble un avertissement bien peu précis à la sortie de ce récit tragique. Sayra, une jeune émigrée du Hondu-ras, traverse l’Amérique centrale pour atteindre l’eldorado étasunien. Willy, alias Casper, est membre de la « MS-13 », la Mara Salvatrucha, un des gangs les plus violents du Salva-dor à L.A. Quand Willy se venge de la mort de sa fiancée en tuant le boss de son gang, pourchassé par tous ses anciens camarades, il se lie d’amitié pour Sayra sur le toit du train qui transporte les clandestins à travers le Mexique. C’est sur cette relation que repose la force du film : Sayra est dé-terminée et calme alors que Willy, habitué à tuer dès son plus jeune âge,

Alimenté par des étudiants de SciencesPo et d’ailleurs, Cine Qua Non passe en revue les films en salle, nouvellement sortis ou rediffusés. Non exhaustif, le Cahier Critique a vocation à être complété par le blog (http://cinequanonscpo.free.fr/) qui recense de surcroît quelques sorties DVD. Pour débattre en société, les fiches techniques sont dépassées : les critiques prennent le relais !

Sin Nombre Les herbes folles

L’imaginarium du docteur Parnassus

2012 In the loop

est absolument sans repères. Unis par la solitude et par la peur, ils s’en-traident et créent une tension entre eux, qui n’est ni amoureuse, ni amica-le, mais presque animale. Cette ten-sion atteint son paroxysme à la fin, lorsque Willy est criblé de balles par le gamin qu’il avait recruté, Smiley, alors que Sayra regarde impuissante de l’autre côté de la rive qu’elle vient de traverser. La différence entre deux rives. C’est peut-être cela le sujet de Sin nombre. La différence entre les énormes auto-routes des USA et les bidonvilles mexicains, que quittent des milliers de gens qui meurent sur des rails per-dus au fin fond du Mexique. La diffé-rence entre la sécurité et des gang-sters tatoués de la tête au pied qui tuent et violent. Si le thème de ce film est similaire à celui de La Vida Loca de Christian Poveda (R.I.P.), le

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dans ce quotidien inhumain. Servi par une B.O. de bon son latino, Cary Fukunaga, qui vient grossir la liste des jeunes réalisateurs sur-doués, mérite entièrement ses prix à Deauville et à Sundance et, avec ce premier film, montre une intensité si forte qui ne nous ne laisse que dans l’attente du prochain Ayan Meer

choix de la fiction est payant puisque, paradoxalement, il fixe les « maras » dans davantage de réalisme, comme cette scène d’initiation où le petit Smi-ley est tabassé pendant treize secondes par les autres membres du gang. Il montre également l’extrême violence et la bestialité d’un monde barbare, braquant tout de suite le spectateur

Sortie en salles du 04/11/2009

À titre mystérieux, film imprévisible. Alain Resnais sait comme personne prendre le public à contre-pied. Ci-néaste à part dans le paysage français, à la recherche de formes nouvelles tout en restant apprécié du grand pu-blic, il est l'un des derniers piliers de la Nouvelle Vague encore en activité. Autant dire un grand. Mais son goût pour l'expérimentation semble avoir atteint ses limites. La sauce ne prend cette fois-ci absolument pas. Il va jus-qu'à s'auto-caricaturer dans cet im-monde excès de voix-off et de roma-nesque bas de gamme. Difficile d'ad-mettre qu'un tel gâchis vient de sa ca-méra. On en vient même à croire que, sachant qu'il n'a plus rien à prouver, il a décidé de faire son projet dans son coin, sans se soucier une seconde des attentes du public, qui, quoi qu'il filme, sera au rendez-vous. Devant Les her-bes folles, on ne comprend en effet plus où il veut en venir ; la mise en

scène conserve une certaine énergie, mais elle ne suffit pas à sauver le film. Resnais semble avoir voulu faire de chaque scène une "fantaisie", en mul-tipliant les répliques lourdes et les divagations. À la différence de L'année dernière à Mariendbad ou Mon oncle d'Amérique, films-labyrinthes d'une beauté plastique indéniable, les effets sont tellement appuyés qu'ils devien-nent écœurants, à coup de lumières fluos et de décors criards, si bien qu’on n’a plus envie d’essayer de comprendre (en admettant que Res-nais y ait mis une signification). Dom-mage, car on aurait aimé l'aimer, ce film rempli de références au Septième art, autant que l'émouvant Cœurs. Mais plutôt que de suivre la majorité des critiques, étonnement dithyrambi-ques à l'égard de ce nouvel opus, mieux vaut attendre son prochain film, qu'on dit en pleine préparation. Même à 87 ans, son envie de (faire du) cinéma semble rester intact. Reste à la canaliser. E. B.

Les Herbes Folles, Alain Resnais

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d’avance : il sauvera sa fille ! Com-mence alors l’incroyable aventure : personnages extraordinaires, scènes de théâtre ambulant, paysages fééri-ques, nous suivons le docteur Parnas-sus dans sa course folle, voyageant à travers le temps et les décors psyché-déliques par le biais de mystérieux miroirs. Mais l’Imaginarium c’est aussi l’his-toire d’une résurrection. Malgré le tournage interrompu par le deuil de l’acteur Heath Ledger, Thierry Giliam le fait revivre comme par enchante-ment. Apparition ou réincarnation, la présence de l’acteur disparu est trou-blante. Par un tour de passe-passe, avec l’appui de stars du cinéma telles que Johnny Depp, Colin Farrell et Ju-de Law, les scènes où apparaissent Heath Ledger n’ont pas été coupées, donnant à son personnage, Tony, plu-

sieurs visages. Les frontières entre fiction et réalité deviennent troubles et poreuses : l’impossible disparaît. L’Imaginarium du doc-teur Parnassus nous invite alors à croire au pouvoir du septième art, celui de redonner la vie pour de brefs instants.

Julie Astoul

L’Imaginarium du docteur Parnassus, Terry Giliam

Après le maigre succès des Frères Grimm et de Tideland, le réali-sateur américain Terry Giliam nous plonge de nouveau au cœur d’un monde fantastique ; savoureux mé-lange de rêves farfelus, de poésie et d’imagination débridée. L’Imagina-rium c’est l’histoire d’un homme dési-rant gouter au nectar interdit, avide d’immortalité et de jeunesse impéris-sable. Pour assouvir ses envies, il pac-tise avec le diable, l’étrange Mr Nick, fantôme faustien, et devra lui offrir sa fille le jour de ses seize ans. Contre toutes attentes, le docteur Parnassus rencontre l’amour et se heurte à ses erreurs passées. Mais rien n’est joué

Sortie en salles du 11/11/2009

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L’Imaginarium du docteur

Parnassus, Il y a mille ans, le docteur Parnassus (Christopher Plummer) obtenait l’im-mortalité suite à un pari avec le Diable (Tom Waits). Des siècles plus tard, pour séduire une femme, il échange l’immortalité contre la jeunesse, et accepte pour cela que le jour de leurs seize ans, ses enfants reviennent au Démon. Aujourd’hui, le docteur Par-nassus tente de gagner sa vie grâce à son imaginarium, un miroir magique par lequel chacun peut accéder à son propre univers mental. Installé dans une roulotte d’un autre âge à l’équipa-ge étrange, il propose son attraction aux londoniens, apparament peu en-clins à s’y attarder. Or la fille de Par-nassus (Lili Cole) approche de l’âge fatidique, et le diable n’est pas loin. Pour tenter de la sauver, le docteur accepte un nouveau pari, et se lance pour le gagner dans une course folle contre le temps, entrainant dans son sillage sa troupe farfelue, mais aussi le mystérieux Tony (successivement Heath Ledger, Johnny Depp, Jude Law et Colin Farell) sauvé in extremis de la mort par Valentina, la fille de Parnas-sus. Vous m’accorderez que l’histoire est quelque peu tirée par les cheveux, mais passons. Heath Ledger, le mythe de Faust, une roulotte, Lili Cole, un ancien Monthy-Python, un rocker gé-nialissime dans le rôle du diable, Lon-dres, un trio infernal de sex-symbol masculins… On a vraiment envie d’ai-

mer le film. Bizarrement, ça ne prend pas. En fait, c’est trop. Trop de bruit, trop d’effets spéciaux, trop d’intrigues à la fois… L’onirisme décalé qu’on at-tend s’apparente finalement plus à du fantastique de pacotille. Il y a bien ces quelques scènes du début, ce Londres industriel et crasseux, ces personna-ges bizarres, et puis la roulotte, qui ne sont pas sans rappeler l’univers d’Ele-phant Man. Malheureusement ce qui aurait pu ressembler à un bon David Lynch se révèle plus proche d’un mau-vais Tim Burton. Les acteurs sont tous très justes, mais leur performance est écrasée par une débauche d’effets sonores et visuels franchement épui-sants. Chacun des éléments du scénario pris séparément auraient suffis à faire un film : l’accès à l’inconscient, le pacte avec le diable, le mystérieux Tony… Terry Gilliam choisit d’intégrer les trois dans une même histoire, mais enchai-ne pour ce faire les tours de passe-passe scénaristiques. Le plus fort est peut être celui qui, suite à la mort de Heath Ledger en plein tournage, per-met à trois acteurs différents d’incar-ner son rôle. L’idée est bonne, et l’hommage plus que légitime, mais dans ce film déjà beaucoup trop den-se, le procédé passe presque inaperçu, et paraît à la fois inutile et artificiel. On en sort avec une envie impérieuse de se reposer au calme, ce qui, après deux heures passées sur un fauteuil dans une salle sombre, est plutôt mauvais signe.

Margaux Leridon

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2012, Roland Emmerich Si vous n'êtes pas familiers du calen-drier des PTT Mayas, alors peut-être n'avez-vous pas remarqué qu'il se termine plutôt abruptement en 2012 par ce qu'il faut bien appeler... la fin du monde. Et comme les Mayas, en plus de porter de chouet-tes coiffures à plumes et de manger de l'iguane à longueur de journée, sont aussi de prodigieux astrolo-gues, nos braves scientifiques contemporains n'ont plus qu'à confirmer leur prédiction à coup de neutrons fissurés et autres inver-sions de polarité magnétique. À par-tir de ce scénario plutôt léger, Ro-land Emmerich parvient à nos livrer un des blockbusters les plus lourds de l'année, accompagné d'une cou-che d'effets spéciaux aussi épaisse que le fond de teint de Posh. Il faut dire que les films eschatologiques, c'est un peu sa spécialité: Indepen-dance Day et The Day After Tomor-row, c'était déjà lui, et à l'époque c'était plutôt réussi. 2012 toutefois, ne fait pas dans la dentelle - après tout, la fin du monde n'épargne per-sonne, de la Basilique Saint Pierre au Christ de Rio, en passant par Los Angeles elle-même. En revanche, pour ce qui est de l'effondrement de la Mecque initialement prévu, on repassera - Roland n'ayant aucune

envie, selon ses propres dires, de se retrouver avec une fatwa aux fesses. De fait, les 2h40 du film dégoulinent de bons sentiments consensuels à souhait, et s'achè-vent sur un happy end particulière-ment déprimant: le héros (John Cusack, nettement moins sexy que son prédécesseur Jake Gyllenhaal) se rabiboche avec sa famille - évi-demment recomposée - et ce qui reste de l'humanité n'a plus qu'à faire de l'Afrique le "Nouveau Monde". On se retient de lancer une blague de conclusion sur le fait que le film catastrophe de l'année est une catastrophe tout court, et on vous conseille plutôt d'aller voir Tempête de Boulettes Géantes et ses pluies de hamburgers, c'est plus drôle.

Fanny Rhamouni

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Sortie en salles du 18/11/2009

In the loop, Armando Iannucci Armando Iannucci, pour son passage au long-métrage, a choisit d'adapter sa série The thick of it, choix payant car le passage au format "film" lui permet une plus grande visibilité (qui avait déjà entendu parler de la sé-rie ?). Au milieu des romances et des comédies potaches, In the loop fait réellement du bien : on rit sans pour autant laisser son cerveau à l'entrée du cinéma. Iannuci et ses coscénaris-tes sont parvenus à rendre accessible un sujet qui aurait vite pu tourner au brûlot politique maladroit, en écri-vant une satire mordante sur les conseillers ministériels, personnages

habituellement dans l'ombre. L'hu-mour rend non seulement le propos plus vivant, mais surtout fait le film. Les répliques que s'envoient les per-sonnages à chaque scène valent à elles seules le détour. Le parti pris de filmer en style "documentaire", la plupart du temps assez pénible, donne ici l'impression de vivre les situations en direct. In the loop, par son aplomb et son habileté, fait pen-ser aux "petits" films de Soderbergh, la prétention en moins, la bonne humeur en plus. Saluons enfin l'en-semble du casting - la plupart des acteurs jouaient déjà dans la série, qui parvient à faire exister chaque personnage avec une crédibilité troublante.

E.B

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Projection le 25 novembre 2009 à 17h et 19h en Jean Moulin.

A l’origine, Paul Thomas Anderson réalise un court-métrage sur John Hol-mes, acteur porno, sous la forme d'un faux documentaire, qu'il approfondit par la suite en écrivant un scénario plus épais. L’intrigue évoluera pen-dant trois ans avant de devenir en 1997 le film que l'on sait, grandiose fresque sur une époque décadente, la faune du Los Angeles de la fin des an-nées 70. Au moment du tournage P.T Anderson, alors inconnu en France (à son actif à l'époque, Hard eight, thril-ler avec Gwyneth Paltrow, jamais sorti sur notre territoire), n’a que 27 ans mais parvient à imposer sa vision à des producteurs d’abord réticents. Il n'a pas encore réalisé les monuments que sont Magnolia et There will be blood, mais dès les premières images, son style se fait particulièrement inci-sif, un mélange de précision ahurri-sante et de vitalité scorsésienne. L'ampleur de sa mise en image ne s'est jamais démentie depuis. Boogie nights fait parti de ces films qui qui se revoient volontiers, tant chaque scène est chargée d'une telle intensité

qu'une seule vision ne serait suffi-sante. Le milieu atypique qu’Ander-son choisit de filmer ne semble être en fin de compte qu'un prétexte pour faire revivre l’âge d’or de Los Angeles à travers les yeux de person-nages peu communs, comme Martin Scorsese scrutait deux ans plus tôt la naissance de Las Vegas avec Casino. L’influence du réalisateur italo-américain est d’ailleurs manifeste tout au long du film. Comme Scorse-se abordait la mafia dans Les affran-chis à travers le parcours iniatique d’Henry Hill depuis son adolescence, Anderson infiltre ici l’industrie du X en suivant Eddie Adams de son en-trée dans cette sphère hostile jus-qu’à sa déchéance, en passant par

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ses heures de gloire. Ce système per-met au réalisateur de nous faire dé-couvrir en même temps que le per-sonnage les décors et les règles du jeu. S’il faut admettre que Boogie nights doit beaucoup à Scorsese (ne serait-ce que le dernier plan qui dé-tourne allégrement l’épilogue de Ra-ging Bull), parler de plagiat reviendrait à nier l'inventivité et la soif de déme-sure qui caractérise autant P.T Ander-

son que ses personnages. Rien que la dernière demi-heure, le point culminant du film, comporte bien plus d’idées vi-suelles et narratives que la plupart des œuvres complètes de bien des réalisa-teurs. Plus de dix ans après sa sortie, Boogie nights surprend encore, tant son ambition demeure rare dans le cinéma contemporain. kkkkkkkkkkkk E.B.

(Milos Forman, 1979)

Mercredi 2 décembre, amphithéâtre Jean Moulin, 17h et 19H

Si le kitsch est, selon la formule de Kundera, "la station de correspon-dance entre l'être et l'oubli", alors Hair se trouve quelque part du côté du terminus. Comédie musicale em-blématique de années 70, Hair met en scène la lutte - délicieusement caricaturale -d'une bande de hippies débraillés contre la bonne société new-yorkaise de l'époque. A coup de pantalons trop larges et de cheveux longs, nos gais lurons parviennent à débaucher Claude Bukowski, jeune péquenot du Middle East sur le point de s'enrôler dans l'armée. Le drame, c'est que Claude tombe amoureux de Sheila, riche héritière et amatrice de courses équestres à Central Park, lors d'une scène d'anthologie dont on parierait qu'elle dure au moins mille ans - sans pour autant parvenir à éga-ler la prouesse larmoyante que cons-

titue l'agonie vietnamienne de Berger, baba cool en chef qui a le malheur de finir sa vie dans une poussière incroya-blement jaunâtre, et - sacrilège! - les cheveux ras. Épargnons-nous les der-nières scènes pour en venir à ce qui fait l'intérêt du film - car Hair, en dépit de chorégraphies douteuses, de chansons catastrophiques (à l'exception peut être de Let the sunshine et Aquarius), d'une photographie qui n'a pas survécu aux années 80 et d'acteurs ridicules, n'en manque pas. À la seule condition de le prendre pour ce qu'il est: une curiosité cinématographique, dont on se demande bien ce qu'elle vient faire dans l'oeuvre de Milos Forman (Vol au dessus d'un Nid de coucou, Amadeus) mais qui mérite d'être vue au moins une fois - et rien qu'une seule. Hair, c'est le produit des seventies dans ce qu'elles ont fait de pire - un produit insouciant, bordélique, authentique, ridicule, libéré, en un mot: culte.

Fanny Rhamouni

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Mercredi 9 décembre, amphithéâtre Jean Moulin, 17h et 19h

Sailor et Lula, Palme d'Or 1990, est, de fait, l'un des films les plus accessibles de David Lynch et reste quelque peu atypique dans sa filmographie. Adapté de l'œuvre de Barry Gifford (avec qui Lynch collaborera de nouveau en 1997 pour Lost Highway), Sailor et Lula est une histoire d'amour torride sur fond de rock n’roll, de virées dans le désert aride du Texas, de braquage de banque et de cérémonies vaudous. Tout commence à partir d’une relation passionnelle, exclusive mais contrariée. Sailor et Lula s’aiment mais la mère de la jeune fille s’oppose à cette liaison. En liberté conditionnelle après avoir été envoyé en prison à cause de Ma-rietta, la marâtre jalouse et détraquée, Sailor en profite pour s’enfuir avec Lu-la, rebelles sans cause, pour une virée à travers le Texas. Folle de rage, Ma-rietta décide de lancer des tueurs à gage à leurs trousses… Comme on peut le remarquer dès les premières secondes du film, Sailor et Lula se distingue des précédents opus de Lynch. A mille lieux de l’univers noir, désespéré et industriel d’Eraserhead, du réalisme tragique d’Elephant Man, du monde de science-fiction de Dune ou de l’ambiance nocturne, perverse et décadente de Blue Velvet, Sailor et Lu-la, par son optimisme et sa fin heureu-

se, ressemble davantage à un conte des temps modernes, concentré de Roméo et Juliette et de Bonnie et Cly-de, se déhanchant sur le rock fifties (nostalgie d’un monde meilleur où l’a-mour était encore un sentiment pur et désintéressé ?) de Gene Vincent (le fameux Be-Bop-A-Lula, le choix du pré-nom Lula n’étant d’ailleurs pas anodin) et d’Elvis Presley ou se laissant porter par la suave et sensuelle mélodie du Wicked Game de Chris Isaak. Sailor et Lula est un film rock, tonitruant, vio-lent, survolté et passionné mais aussi flamboyant, comme le feu de l’amour (toute allusion à un célèbre soap-opera étant ici exclue) qui anime, brûle et consume le couple, avide de goûter à tous les excès de leur jeunesse. Le feu est d’ailleurs un thème récurrent du film, symbole du désir sexuel effréné et sauvage (le titre original du film étant Wild at Heart) ainsi que de l’amour que se vouent Sailor et Lula. Mais le feu, par son perpétuel vacillement, par la chaleur qu’il dégage et les brûlures qu’il inflige représente aussi le vivant (à savoir nos deux héros, dans la force de leur jeune âge), en opposition à l’u-nivers pourri, corrompu et dénué d’a-mour qui les entoure, à ce monde « vieilli » dont la flamme s’éteint, re-présenté entre autres par la vieille Ma-rietta et son amant sexagénaire aux allures de grand-père débonnaire. Il montre enfin la rébellion et le désir d’évasion du couple (le prénom Sailor,

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« marin » en français, est en cela ré-vélateur) : Sailor, James Dean au ra-bais, est animé par la flamme de la révolte, sans vraiment savoir contre quelle cause il s’élève (ainsi, sa veste en serpent (sic) représente le « symbole de son individualité et de sa croyance en la liberté personnel-le », sans autres explications). Sailor et Lula est donc un conte initia-tique sur le modèle du Magicien d’Oz (comme on peut le remarquer, entre autres occurrences, avec la fée qui réveille la conscience et l’amour de Sailor, à la fin du film), le récit d’une innocence juvénile, menacée et vio-lée par des éléments (la prison, l’en-fantement et les responsabilités qui vont avec etc) et des personnages extérieurs (la sorcière Marietta, le psychopathe Bobby Peru, joué à la perfection par Willem Dafoe, ou la tentatrice Isabella Rossellini), tous plus inquiétants, dangereux et mala-des les uns que les autres. Mais si cette innocence finit par être irrémé-diablement perdue (Lula accouchera de l’enfant de Sailor alors que ce der-nier a été renvoyé en prison), les deux amants finiront néanmoins par entrer de plain pied dans le monde adulte, raisonné et responsable, sans pour autant abandonner l’amour qui les lie, contrairement à Marietta, femme haineuse et desséchée qui refuse de vieillir. C’est d’ailleurs tout le sens de la déclaration d’amour de Sailor à Lula et son fils en conclusion du film, dé-claration qui est en fait Love Me Ten-der chantée par Nicolas Cage. Si fina-

lement, leur histoire d’amour triomphe des dangers inhérents à tous les contes, étapes nécessaires à l’initiation, il s’en est fallu de peu que Sailor et Lula ne subissent le destin tragique des couples maudits, succombant en pleine jeunesse aux excès qui amènent leur destruction, comme le suggère la scène poignante et quelque peu surréaliste de la rencontre avec une rescapée d’un accident de voi-ture.

Notons que peu d’éléments typi-quement lynchiens apparaissent dans ce film ; ainsi, la musique d’Angelo Badala-menti, compositeur fétiche de Lynch, se fait moins présente (alors qu’elle occupe une place prédominante dans la série Twin Peaks, réalisée juste avant Sailor) et les situations insolites et, de prime abord, difficilement compréhensibles se font plus rares. Cela dit, certains élé-ments restent loufoques comme le culte vaudou, l’épisode à la Nouvelle-Orléans ou la scène avec Crispin Glover (le ma-niaque cousin Dell), l’un des acteurs les plus étranges de Hollywood. La majeure partie de ses apparitions a malheureu-sement été coupée au montage mais on peut retrouver l’intégralité des scènes supprimées (environ une heure) dans le coffret Lime Green Set, récemment sorti aux Etats-Unis, où l’on peut voir notam-ment le cousin Dell en pompiste halluci-né. Cependant, l’un des thèmes lyn-chiens récurrents (le Mal caché derrière les apparences et les secrets) reste pré-sent, quoique relégué au second plan, avec la vérité terrible sur la mort du pè-re de Lula. Guillaume Narguet

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villes américaines, comme le montrent des œuvres comme Twin Peaks (1991) ou Blue Velvet (1986). Sailor et Lula a pour point de départ le roman Wild at Heart : the story of Sailor and Lula de Barry Gifford. David Lynch a développé les personnages secondaires et l’action, restructuré les flash-back et la fin. Il a surtout « adouci » l’histoire. Let’s tell a story… Alors qu’il assiste à une réception mondaine, Sailor (Nicolas Cage) est accusé par Bob Ray Lemon d’avoir abu-sé de la mère de Lula (Laura Dern), sa fiancée. Cette femme ne veut en fait que séparer les deux amants et suppri-

Sailor et Lula, de David Lynch (1990)… ou les Adam et Eve modernes David Lynch est un cinéaste – photo-graphe – peintre américain né en 1946. Dans toute sa carrière, tant artistique que cinématographique, il s’est employé à utiliser de nouvelles approches dans la manière de cons-truire un film. Attiré par les univers noirs, fantastiques et cauchemar-desques, il n’est pas rare que l’on se sente comme dans un rêve lorsqu’on se laisse emporter par son traite-ment des images et de la mise en scène (à citer ici : Mulholland Drive (2001)). Il s’est souvent intéressé à l’américain moyen dans les petites

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mer Sailor, témoin de sa vie passée quelque peu tumultueuse. Les deux hommes en viennent aux mains et Sailor tue son agresseur. Emprison-né pendant 22 mois et 18 jours, il sort et retrouve Lula. Partis pour la Californie, la mère de Lula, folle de rage, envoie son compagnon et un mafioso à leur poursuite. S’ensuit une cavale peuplée de ren-contres avec des personnages étran-ges et même inquiétants, qui ouvri-ront les portes d’un univers noir et hypnotisant, ainsi que de nombreux secrets… A la fois violent, drôle, romantique, esthétique et paniquant, le film a reçu la Palme d’Or à Cannes en 1990. Si une chose est sûre, c’est que Sai-lor et Lula est l’œuvre la plus acces-sible du réalisateur. Construite sur un schéma plutôt classique du point de vue de la narration (début, milieu et fin, et puis surtout dans cet ordre là, en mettant de côté les flash-back), l’étrangeté du film réside da-vantage dans l’extravagance des personnages et des accessoires qui les accompagnent. Sailor, c’est le Travolta de Grease en beaucoup plus ringard, excentrique et violent. Et donc pour ces raisons, il n’en est que beaucoup plus inté-ressant et complexe. Il ne s’intéres-se qu’à Lula et ne quitte jamais sa veste en peau de serpent qui repré-sente « son individualité et sa croyance en sa liberté personnelle »,

ainsi que sa T-Bird des années 1950 (qui fait bien entendu référence à James Dean). Brutal et séducteur, son personnage se dévoile pleine-ment dans la scène mythique du concert de Powermad pendant la-quelle le couple se déchaine sur le son du groupe de punk, avant que Lula ne se fasse embarquer par un autre client de la boîte. Lorsque la musique s’arrête, Sailor demande à l’homme en question de s’excuser auprès de sa « girl ». Celui-ci refuse et se prend un poing en pleine figu-re. Et pour conclure la scène de dra-me, Sailor prend le micro du groupe et chante le fameux « Love me ten-der » d’Elvis, devant l’hystérie de toutes les personnes de sexe fémi-nin dans la salle. Sailor ou le cheva-lier servant. Lula, c’est la grande bringue en leg-gings en dentelle, toujours un che-wing-gum à la bouche, rouge à lè-vres rouge sang, cheveux blond pla-tine, longs et ondulés, qui adule son homme et qui tente de s’échapper de l’hypocrisie mafieuse de sa famil-le, et notamment de l’emprise de sa mère, un peu comme une Blanche-Neige redécouverte. Sailor et Lula, ce sont les Adam et Eve ou les Tristan et Iseult des an-nées 1990, les deux amants seuls contre tous. Cependant, lorsque David Lynch revisite ce mythe là, il envoie balader les normes et les convenances, comme à son habitu-de. Sailor et Lula, c’est le couple à la

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recherche de l’amour infini et éter-nel, vivant au jour le jour avec une sincérité et une intensité étonnante (à voir toutes les conversations qu’ils entretiennent après l’amour). Un peu comme deux enfants dans leur bulle. Ce qui n’empêche pas leur road trip d’être également violent et extrême-ment torride au lit. Ils sont aussi l’i-cône de la rébellion américaine : rejet des valeurs parentales, look punk en-tre noir total et peaux d’animaux. Ils fuient l’oppression et la mort, le feu également (importance du rouge et des allumettes). Toujours décalés, caricaturaux par bien des côtés, David Lynch arrive à créer des personnages réels dans un univers étrange de par les rencontres qu’ils font (laissons le plaisir de découvrir un Willem Dafoe pervers et une Isabella Rossellini plus machiavélique que jamais), tous ces personnages « over the rain-bow » (pour reprendre l’expression de Laurent Vachaud, critique à Posi-tif) qui feront tout pour les séparer, les blesser, les éliminer, et qui s’éri-

gent en véritables opposants aux héros. Car Sailor et Lula est bel et bien un conte, malgré un rejet des formes classiques (et ce notamment au moyen de l’utilisation de nombreux flash-back pour nous laisser décou-vrir, entre autres, les traumatismes de Lula). Une fois de plus, Lynch affi-che son style, son authenticité, sa spécificité dans ce film. Il ne laisse pas de côté les nombreuses référen-ces à d’autres films, à d’autres ci-néastes : La Fureur de Vivre, mais également Le Magicien d’Oz (les souliers rouges de Lula lorsque Wil-lem Dafoe abuse d’elle, la mère de Lula volant dans les airs sur un ba-lai). Arborant une photographie irré-prochable, presque scintillante, des couleurs saturées au maximum, vi-ves, gênantes même parfois, il nous fait une fois de plus découvrir un rêve, le sien. Rythmé, et ce notam-ment grâce à une utilisation perti-nente de la musique et des sons di-vers, le film ne fait que rebondir sans cesse, nous laissant par mo-ment angoissés, par d’autres fasci-nés par tant de sensualité. L’exacer-bation et l’excès emplissent l’écran, de la première à la dernière minute, en amour, en crainte, en brutalité mais aussi en étrangeté et en érotis-me. Cette étrangeté que l’on retrou-vera dans Twin Peaks, et cet érotis-me si bien caractérisé dans Mulhol-land Drive. En un mot, un chef d’œuvre d’émotions et de plastique.

Margaux Juvénal

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Mercredi 16 décembre, amphithéâ-tre Jean Moulin, 17h et 19h

Il y a des films qui, malgré la meilleure volonté du monde, sont impossibles à résumer. Las Vegas Parano en fait par-tie. Ce film burlesque et exubérant du dé-janté Terry Gilliam (dont le dernier film, L’Imaginarium du Docteur Parnassus, vient tout juste de sortir en salles), réali-sé en 1997, est adapté du récit autobio-graphique éponyme de Hunter S. Thompson, principal représentant du journalisme gonzo. Cette méthode d’in-vestigation journalistique repose sur l’ultra-subjectivité ; ainsi, le journaliste devient partie intégrante de son repor-tage et s’y implique personnellement. Il insiste alors sur les facteurs subjectifs qui l’ont amené à « déformer » la réali-té. Dans le roman, et a fortiori dans le film, il s’agit de l’alcool et surtout de la drogue. Las Vegas Parano décrit donc le trip halluciné effectué en 1971 (période de l’après-Woodstock) par Terry Duke, alias Hunter S. Thompson (joué par Johnny Depp, parfait, comme toujours) et de son avocat le Dr Gonzo (Benicio Del Toro, avec quelques kilos en trop), en route vers Las Vegas, ville de tous les excès, afin de réaliser un reportage sportif sur une course de motos dans le désert. Bien évidemment, ce séjour sera davantage un prétexte à une consom-mation effrénée de drogues en tous genres qu’un reportage sur des motos,

reportage avorté avant même d’avoir commencé. Dès les premières minutes, on est plon-gé dans l’ambiance délirante (au sens propre) et psychédélique qui sera celle de tout le film : les deux compères sous acides, au volant (sic) de leur Cadillac Fleetwood Eldorado bourrée de subs-tances illicites (tout y est, du LSD à la mescaline en passant par la coke, la marijuana, l’adrénochrome, l’éther, sans compter les poppers et l’alcool à foison), prennent un auto-stoppeur (Tobey Maguire, lui-même à l’ouest et à la coupe de cheveux indéfinissable) et lui font part de leurs expériences « artificielles », prétexte à des répliques cultes dignes d’un cadavre exquis. Flori-lège (en français) : « Attends! faut pas s'arrêter ici ! C'est le pays des chauves souris ! » « Un mot de plus et j’te couvre de sangsues, t’as pigé ? » « C'est mon avocat, et non une pauvre épave ramassée dans un bouge. Hein ? Un étranger. Il est probablement Polynésien. C'est pas gênant j'espère ? T'es pas raciste ? - Oh non ! - Je m'disais aussi... Parce que, en dépit de sa race, cet homme est extrêmement valable à mes yeux. »

Pour traduire la subjectivité du récit de Thompson, Gilliam choisit de faire par-tager au spectateur les visions des deux protagonistes. On assiste donc à un déluge d’images anamorphosées, de distorsion de la réalité (un casino se liquéfie, les clients d’un bar se transfor-

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ment en dinosaures, des chauves-souris pourchassent la voiture de nos deux toxicos etc) et de créatures tout droit sorties du Festin nu de Cronen-berg. Gilliam illustre le livre de Thompson jusqu’à l’overdose. Le spectateur, et c’est l’effet recherché, en ressort aussi lessivé que les héros défoncés. C’est peut-être le seul dé-faut qu’on puisse reprocher au film : l’usage intensif des effets spéciaux, qui sont par ailleurs tout à fait convaincants et nous font vivre le trip comme si nous y étions, tend à assimi-ler le film à un livre d’images superbes mais sans réelle profondeur ; de plus, le trip, qui s’étire sur deux heures, peut finir par lasser. Mais cela reste négligeable face à la virtuosité techni-que dont fait preuve le metteur en scène et à la fidélité de Gilliam au li-vre, qui se traduit notamment par l’accumulation de scènes digressives et l’absence de scénario linéaire. Les références sont nombreuses : pour la littérature, Baudelaire (les Pa-radis artificiels), Thomas De Quincey (Confessions d’un Mangeur d’opium) ou, plus proches de nous, William S. Burroughs (et son classique Le Festin

nu) ; pour le cinéma, on pense par exemple aux délires visuels de Ken-neth Anger ou à Easy Rider pour le côté road-movie. Las Vegas Parano se fait ainsi le mi-roir d’une société américaine déli-quescente, post-hippie, décadente et corrompue par l’argent-roi. C’est dans l’usage de la drogue que les margi-naux trouvent un exutoire, c’est par la transgression des interdits que l’on s’échappe de cette société étriquée et que l’on part à la recherche d’un idyl-lique, et impossible, rêve américain. Comme l’a écrit Thompson : « De temps à autre, quand votre existence devient trop compliquée et que vous vous sentez encerclé par les petites bêtes fouineuses, le seul remède au-thentique est de se bourrer des pro-duits chimiques les plus atroces, puis de descendre à tombeau ouvert de Hollywood à Las Vegas ». Ainsi, le film, comme le livre, s’élève contre le matérialisme, qui a succédé à l’utopie des années hippies et dont Las Vegas est le symbole le plus évident, et dé-plore la fin d’une époque où tout semblait permis et libre. Lui a succédé la période désenchantée de la guerre du Viêt-Nam et de la présidence Nixon. La scène du suicide manqué du Dr Gonzo (jetant dans son bain la ra-dio qui passe la chanson White Rab-bit) est particulièrement représentati-ve de ce point de vue. Finalement, comme le dit Duke, « la vie n’est pas faite pour les drogués psychédéli-ques ».

Guillaume Narguet

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Le Latina, Nouveau apparem-ment, est un petit cinéma situé dans le Marais à mi-chemin entre les ber-ges de la Seine et le carrefour de la République. Crée en 1984, il est un espace culturel latin où se décou-vrent et se diffusent des œuvres ci-nématographiques latines. Sous l’égi-de de l’Union Latine son premier propos est de permettre l’accès au cinéma d’expression latine méconnu en France.

La façade moderne au cœur de la rue du temple, mesure à peine dix mètres de large ; s’y côtoient à l’affiche des documentaires, des films hispanophones ou lusophones, mais aussi depuis peu des oeuvres roumaines, italiennes, françaises…Bâti sur l’emplacement d’un ancien bureau de la Gabelle datant du XVIIè-me siècle, ce cinéma dont les fonde-ments sont parmi les plus anciens de la capitale et rénové en 1995, laisse voir par transparence les tons rouges et ocres de son intérieur, couleurs chaudes de la latinité. Toujours axé sur le cinéma espagnol et latino-américain, le Latina répond depuis peu au nom de Nouveau Latina, dans un soucis d’ouverture, de dynamis-me et sûrement de survie… Il propo-se deux salles obscures. La première au rez-de-chaussée, la salle Buñuel, en hommage au cinéaste espagnol, offre 180 sièges et un son Dolby, quant à la seconde, baptisée Rosseli-

ni, vous attend à l’étage. Plus modes-te, dotée de 60 sièges, elle conserve une grande qualité, celle d’être consa-crée aux reprises et aux continuations. Autre atout de ce cinéma parisien, il fait souvent usage de son tarif unique à cinq euros, notamment pour les Mi-nuits Cultes, tous les samedis, qui pro-posent une programmation originale de films déviants, particuliers, icono-clastes : un plaisir qui n’allège pas trop les bourses étudiantes ! Cinéma d’Art et d’Essai, il est aussi un centre multi-culturel compo-sé de Renoir, une galerie d’Art, et d’un bistrot, aux saveurs latines, où jouxte la large piste de danse qui invite ses visiteurs, dans la pénombre, à un Tan-go ou une Salsa. Bien que l’on puisse y déguster des tapas tout en buvant du vin argentin ou bien encore se griser de cocktails brésiliens, le Nouveau Latina demeure un espace de promo-tion de la culture latine. Il s’y déroule, comme une bobine, des avant-premières en présence des réalisa-teurs et son soutien aux festivals latins transparaît au gré des conférences de presse, de reprise de films, qui y ont lieu. Le Latina fait même, ponctuelle-ment, son (F)estival…

Carmen Bouley de Santiago

Le Nouveau Latina 20, rue du Temple

75004 Paris

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Le monde magique de Tim Burton

La preuve par trois A l’occasion de la réédition de la co-pie remasterisée du malicieux Beetle-juice, sorti en 1988, Le Champo orga-nisait les nuits Tim Burton. S’enchai-naient pour la 4e nuit : Charlie et la chocolaterie, Pee-Wee et Beetlejuice. A noter que le Champo est la seule salle à disposer de cette copie, avec la Cinémathèque. It’s a wonderful world Il y a encore de la magie dans le mon-de. Tim Burton entend nous le prou-ver à chacun de ses films. Particuliè-rement la magie de l’enfance, le char-me de l’innocence, ses rêves mais aussi ses traumatismes. Ses petits personnages sont clairvoyants, aima-bles et s’émerveillent encore du mon-de qui les entoure. Charlie réchauffe le cœur de n’importe quel altermon-dialiste, Pee-Wee nous émeut par sa candeur, lui qui vit son rêve d’enfants et fait de son quotidien un conte de fées. La fille gothique qui apparait dans Beeltejuice, film plus noir que les autres, concentre plus les troubles de l’enfance tout en étant toujours la seule qui a l’ouverture d’esprits de voir les fantômes, et la plus raisonna-

ble face aux folies parentales, new age consumers. Les enfants, ou ceux qui agissent comme des enfants, sont les héros de ce monde. Tim Burton combat la désillusion des adultes, qui s’entê-tent à vouloir rendre gris chaque parcelle de son monde merveilleux. Charlie et la chocolaterie Dans les histoires extraordinaires, on retrouve toujours un être plein de bienveillance qui, aidé de ses al-liés (ses parents, ses grands parents) affronte le triste univers adulte : bienvenue dans la société de consommation. Le bonheur est de-venu monnayable en barres de cho-colat ou en boites de caramel. Tout a un prix, et la morale s’efface. Il y a 20 ans, les secrets de fabrication de son usine-chocolaterie étant déro-bés, Willy Wonka, excentrique de son état, a fermé les portes. 20 ans plus tard, elle fonctionne toujours, portes closes, sans ouvriers. Et le monde ne s’est pas amélioré. Willy Wonka, formidable Johnny Depp, décidé donc d’égayer cette triste terre. Il lance un concours : les cinq petits chanceux qui trouveront les cinq billets d’or dissimulés dans les tablettes de chocolat pourront, avec un de leur proche, venir visiter son usine.

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Mais la chance s’achète. La première partie du film se consacre à découvrir les 5 enfants, tous plus dégénérés les uns que les autres. Comme Grand-Pa l’avait prédit, c’est un fat boy qui trou-ve le premier billet. Un allemand qui a les moyens de s’enfiler 20 tablettes par jour, contrairement à Charlie qui n’en a qu’une par an. La 2e gamine, insup-portable Verucca, cumule les travers de la société d’abondance. Ses moin-dres souhaits sont exécutés sans sour-ciller par Daddy, incapable de dire non à sa fille qui vit au milieu de seulement un poney, trois chiens, 4 chats, 2 per-ruches, etc. Pour réaliser la quête de sa fille, il met son usine à contribution. On en viendrait à croire que le bon-heur a un prix. Puis vient Violet, fantastique Violet. Une pub l’oréal, l’arrogance en (encore) plus, à la sauce Yes I can. Comme lui a appris maman, i’m the best, i’m a winner.

Quant à ce Mike, qui pourrit au fin fond du Colorado, entre des armes et des cerfs empaillés, c’est un cerveau au milieu de simplets, qui s’acharne à sur des jeux vidéos. Grâce à un savant calcul, avec l’achat d’une seule tablet-te, il trouve le 4e billet. Et le choco-lat ? Mike s’en fout, Mike n’aime pas le chocolat. Il ne s’agit plus d’avoir ce qu’on veut, il s’agit d’avoir, en quanti-té, en abondance et le signaler à tous. Au milieu de ces enfants, arrive Char-lie, le chanceux. Evidemment, malgré 2 faux suspens, il trouvera son billet. Une occasion de plus pour Burton de moquer l’avilissante nature corrom-pue des adultes, tentant d’acheter le Saint-Graal de Charlie. Lui-même, son billet en main hésite : l’argent - sa famille en a désespérément besoin- ou son rêve. Mais dans ce film, il est à comprendre que la plus miséreuse des familles, est la plus souhaitable et magique. Le grand-père préfère les

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bouillons de soupe à la déception de son petit fils. Emotions version Tim Burton : une touche moraliste et 10 tonnes d’effets spéciaux. Et ils sont légions dans la 2e partie du film. L’usine se révèle dans un splendide spectacle où l’extravagant Willy Wonka joue au spectateur ébloui et se refuse à agir en tant que maître des lieux, en tant qu’adulte responsable : Why aren’t you there ? –Because there, i couldn’t see the show, right, annoying little girl ? Ici, l’Usine a donc le rôle principal. De salles en salles, les affreux garne-ments périssent de leurs péchés de consommation, sous les chants des Oompa Loompa. Tout le génie de Burton s’étale dans ce machinisme, dans ces mécanismes innovants et surprenants dont l’ascenseur de ver-re est l’éclatante réussite. Charlie et la chocolaterie était une fable d’un britannique amer et cyni-que. Burton en a fait un tableau merveilleux. Cette société de

consommation licencie les hommes pour les machines avant d’engager des hommes pour les réparer : Tim Burton ridiculise cette société d’a-bondance où les vrais déchets sont ces enfants pourris par les médias et l’opulence. Tout le chocolat du monde ne vaut pas une famille. Et le petit Charlie guérira, comme attendu, le trauma-tisme de Willy Wonka, rejeté par son père dentiste durant son enfance. Finalement, la morale serait que les parents ne jouent pas contre nous, mais nous protègent. Le jour où ils renoncent à nous protéger du monde extérieur, c’est Verruca, Violet, Mike ou Augustus qui règnent. On avait reproché à Roald Dahl la noirceur de son histoire - jusqu’à la couleur de peau des Oompa Lompa. On reprochera -légèrement- à Tim Burton de n’avoir pas peint un monde plus terrifiant. On lui pardonnera. En 2005, il venait d’être papa.

Alexandra Besly

Photo extraite de Beetlejuice

Beetlejuice

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valeur commerciale. Et même si sa carrière a brusquement changé après le tournage du Parrain, les produc-teurs sont restés réticents à financer des projets inhabituels. Les films origi-naux nécessitent à la fois de l’argent personnel et une âme de jeune réali-sateur : « What I do now as an old man is the career of a young man ! » La conversation se poursuit sur les derniers films de Coppola : le cinéaste aurait-il trouvé une nouvelle jeunesse avec l’Homme Sans Age ? Les deux derniers films de Coppola ont été mar-qués par un éloignement des Etats-Unis (L’Homme sans Age tourné en Roumanie, Tetro en Argentine) dû à deux facteurs : profiter des décors naturels des lieux, et s’immerger dans la culture d’un pays (« enjoy the lifes-tyle ») d’autre part. Profiter davanta-ge, en somme. Comment Coppola parvient-il à ren-dre ses films personnels ? L’on ap-prend ici que Coppola s’est inspiré de sa propre famille pour réaliser Le Par-rain ! Comme le cinéaste n’avait aucu-ne connaissance du monde des gang-sters, il a décidé de se servir de ses propres observations pour rendre la famille Corleone authentique. Coppola, grand amateur de littératu-re, place toujours, dans ses adapta-tions, le nom de l’auteur avant le nom du film (Bram Stoker’s Dracula) : l’écri-vain est-il supérieur au cinéaste ? Toujours sensible au livre et à l’histoi-

Conversation with a Godfather

Masterclass de Francis Ford Coppola au Forum des Images le 11/11/09

Masterclass de Francis Ford Coppola ? Appelons ça Conversation with a God-father. En ce 11 novembre, la salle 500 du Forum des Images était comble pour accueillir le maître. Après quel-ques extraits de ses plus fameux films (The Godfather, Apocalypse Now, The Conversation, Bram Stoker’s Dracula), l’homme arrive : un septuagénaire ave-nant et bienveillant, à la voix grave et posée. Mais prenez garde, sous ses allures de grand-père débonnaire se cache un cinéaste qui a marqué les quarante dernières années de ses trou-vailles et, disons-le, de son génie. Après une standing-ovation, P. Méri-geau amorce la conversation : de ques-tions générales en anecdotes, voici le résumé de la masterclass. Tout d’abord, pourquoi recevoir Cop-pola en ce mois de novembre ? Tetro, le dernier film du cinéaste, présenté à la quinzaine des réalisateurs de Can-nes, est sorti ce 23 novembre. Film très personnel, il relate l’histoire de Bennie, jeune homme tentant de comprendre son frère et ses relations houleuses avec leur père. (voir critique page…) Le cinéaste n’avait pas écrit de scéna-rio original depuis 1974 et Conversa-tion Secrète. Pourquoi ? Jeune, Coppo-la voulait avant tout être un bon père de famille et subvenir correctement aux besoins de cette dernière, ce qui l’a contraint à réaliser des films à haute

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étaient trop lourdes pour être dépla-cées. Passons maintenant aux préférences de F.F. Coppola : le cinéma japonais par exemple a-t-il eu une influence sur ses films ? Sans aucun doute, mais le cinéma ja-ponais, dans lequel il admire l’honnê-teté et la précision, n’est pas le seul à l’avoir inspiré ! Coppola a grandi à une époque de grande effervescence ciné-matographique et s’est retrouvé pris dans deux ouragans (« two storms ») : d’une part les films de la grande pério-de hollywoodienne (Orson Welles…), et d’autre part les films français, an-glais, ou plus largement européens comme ceux d’Ingmar Bergman. Il se dit aussi fasciné par les films d’Eisens-tein, car il y voit l’enfance du cinéma, avant que ce dernier ne devienne une industrie. Les débuts du cinéma ont été des temps d’audace et d’expéri-mentation ; la période muette de

re, Coppola considère comme une marque de considération de placer le nom de l’auteur avant celui du film, d’autant plus qu’il aimerait lui aussi, un jour, jouer le rôle de l’écrivain… Le tournage du Parrain a été très dur, comment le cinéaste a-t-il vécu cette pression psychologique ? La réalisa-tion de ce film a été particulièrement éprouvante, et semée d’obstacles ,« a nightmare experience » selon les mots de Coppola ! Opposés au choix de la musique, des décors et voulant placer l’action dans les années 1970 plutôt que dans les années 1940 pour des raisons de budget, les producteurs menaçaient chaque semaine de le remplacer par un autre réalisateur. C’est pourquoi ni les producteurs ni le réalisateur ne s’attendaient à un tel succès : « miracles sometimes hap-pen ! ». Dans Tetro, Coppola utilise beaucoup le plan fixe ; pourquoi ce choix ? Pour faire des choix dans la manière de ré-aliser, il suffit de se rappeler le thème du film. Par exemple pour Le Parrain, tout le film tourne autour de l’idée de succession. Si vous questionnez le thè-me, toutes vos interrogations sur le style photographique du film se résou-dront d’elles-mêmes ! Ici, il a trouvé que les caméras mobiles poseraient problème car, parfois, combiner le mouvement de la caméra avec celui de la scène annihile le mouvement ! Pour Tetro, il avait envie de revenir à une façon de filmer plus classique, comme dans les temps où les caméras

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1921-1927 et ses nombreux chef d’oeuvre par exemple ! Le cinéma est un langage, qui, depuis son apparition, a évolué, et évoluera encore à mesure des innovations. A l’époque du Parrain, plus personne ne voulait de Marlon Brando, dont la carrière avait décliné à la fin des an-nées 1960. Comment se décide-t-on pour un acteur ? Marlon Brando avait effectivement perdu les faveurs du public et des réalisateurs, un peu com-me John Travolta avant Pulp Fiction, et Le Parrain lui a permis de faire son co-me-back. En fait, on ne choisit pas tou-jours ses acteurs volontairement, par-fois leur talent s’impose à vous ; c’est comme lorsque vous vous rendez à un dîner et que vous ne parvenez pas à oublier l’un des convives qui vous a particulièrement impressionné. De plus, il ne faut pas avoir d’a priori sur des acteurs qui n’ont jamais pris de cours : les Italiens par exemple sont des acteurs-nés ! Pourquoi associer, comme le cinéaste le fait souvent, acteurs jeunes et che-vronnés ? Il est intéressant de travail-ler avec des groupes d’acteurs dont le niveau d’expérience varie car chacun fonctionne d’une manière différente (dans Tetro, l’un des deux acteurs n’est à l’aise qu’au bout de beaucoup de prises, là où l’autre a besoin de sponta-néité) et il faut réussir à les combiner. Pour y parvenir, l’improvisation et les jeux de rôle aident énormément. Par exemple, pour Le Parrain, la première

rencontre des acteurs a été l’objet d’une improvisation autour d’un dî-ner ; ainsi, chacun a joué son person-nage dès le début, ce qui a créé beau-coup de connivences dans le groupe (et du respect, car tous étaient im-pressionnés par Marlon Brando !). Il est beaucoup plus facile de diriger des acteurs qui sont leurs personnages. Lorsqu’il produit un film, quel est le niveau d’intervention du cinéaste ? En fait, Coppola en produit peu. Quand il était plus jeune, et plus célè-bre, on lui demandait d’apposer son nom sur l’affiche dans le but d’obtenir plus de rentrées financières. Désor-mais il ne produit plus que les films qu’il encourage, comme ceux de Geor-ge Lucas qu’il a toujours considéré comme un « young talented kid », ou ceux de ses enfants. On dit qu’il ne faut pas hésiter à voler aux grands maîtres. Qu’est-ce qu’un jeune cinéaste pourrait voler à F.F. Coppola ? « Steal from the best » lui disait son père. Selon Coppola, il ne peut être considéré comme du vol que de se réapproprier des techniques, et voir ses idées reprises par les publici-taires par exemple lui apparaît comme un honneur. Altruiste, il ajoute qu’il serait ravi si un quelconque aspect de ses films pouvait être utile à un jeune cinéaste. La parole passe au public. Un premier intervenant remarque que la remon-tée du fleuve dans Apocalypse Now

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s’apparente à un retour vers l’âge d’or, là où la remontée dans le temps de l’Homme sans Age est un retour vers la jeunesse : d’où vient cette quête du passé ? Coppola a toujours été fasciné par le passé – par le futur également, comme le démontre sa soif de nouvelles technologies. Certes, il se sent à l’aise avec le futur, mais il aime le passé, pure création intellec-tuelle des êtres humains et preuve de leur conscience d’eux-mêmes. Une seconde intervenante demande quels conseils pourrait donner F.F. Coppola à un réalisateur qui prépare-rait son premier film… L’un des conseils simples que l’on peut donner à un jeune réalisateur est qu’il mesure «the importance of tying acting and

writing together », de tenter par la réalisation de reproduire fidèlement l’esprit du texte. Garder ce précepte à l’esprit est primordial, car il donne une cohérence permettant de passer outre une mauvaise photographie ou une mauvaise mise en scène. Après environ 90 minutes ponctuées d'extraits de Tetro, la Masterclass s'achève : le fameux F.F. Coppola s'est somme toute livré comme un cinéaste proche des réalités et bien conscient des difficultés du métier. Partager et questionner plutôt que donner des leçons, voilà peut-être, pour épauler le talent, la clé du succès.

Noémie Calais

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23 décembre 2009

TETRO

La renaissance

des artistes

C'est en pénétrant le mystère du temps, obsession cinéphilique s'il en est, que le mythe Coppola tend à se découvrir une seconde jeunesse. Dans la vague créatrice d'une époque révolue, loin des budgets pharaoni-ques et des stars, "Tetro" incarne par-faitement l'idée lancée avec "L'homme sans âge" : celle d'un ciné-ma révélateur pour son cinéaste, metteur en scène de ses propres maux, de ses mensonges, de ses tra-hisons, douleurs et bonheurs. Bref, de ses souvenirs en mémoire et de ses générations. Avec l'imperfection et la naïveté d'un jeune premier déjà maître de la caméra, Coppola dompte son histoire personnelle en jurant que rien de ce récit n'est autobiogra-phique. Pourtant, dans ses écarts à la vérité que lui seul connaît, il y a au moins là l'autobiographie d'un fantas-me, l'application esthétique d'un vé-cu intérieur. Sur un ton inclassable, entre farce caricaturale et film burles-

que, drame passionnel sur la rivalité familiale et romance tourmentée, "Tetro" déconcerte dans son admi-rable propension à passer d'un gen-re à l'autre sans jamais n'appartenir à un quelconque style fondé. Cop-pola maîtrise ces démarcations par un scénario qui trouve de l'interêt dans chacune de ses métamorpho-ses stylistiques, toujours en navi-guant dans une pensée de cinéma illimité, sans barrières. Le N & B du film joue du clair/obscur de manière chic mais naturelle, comme si le grain sortait tout droit d'un vieux film argentin des années 50. Esthéti-quement, dans la composition des plans comme dans la matière qui réside des personnages, "Tetro" est absolument sublime. Il contourne l'esthétisme pour une image artisa-nale travaillée mais jamais intellec-tualisée. L'image n'a pas de fonction directrice mais elle traduit simple-ment les inévitables ambiances qui découlent de cette famille recompo-sée dans le non-dit, silence para-doxalement hystérique et constam-ment changeant qui permet au film l'élargissement de sa palette émo-tionnelle. A l'inverse de "L'homme sans âge", qui se basait sur un prin-cipe très cinématographique (la mé-tamorphose, l'inversion du temps, les effets fantastiques de la projec-tion mentale, toutes ces choses que Méliès a rêvé), "Tetro" appartient plus à un style littéraire sur l'empire familial (thème central du Parrain). Il

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émane du scénario une impression de multiplicité du aux traitements complexes des rapports entre les personnages, ainsi qu'à l'apparition de flash-backs qui viennent apporter les clés du passé à des personnages pourtant jamais véritablement cer-nés. On pense tout saisir de ces visa-ges étranges et inquiets car le flash-back soutient les intentions présen-tes mais plusieurs effets viennent contredire notre habituelle pensée : les flash-backs sont en couleur alors que le présent n'est pas teinté, et ceux-ci sont filmés avec un volontai-re modernisme qui inverse l'effet initial du flash-back, tandis que les séquences présentes semblent tour-nées sur la base de photographies d'époque. Ainsi on ne sait jamais où l'on se place dans le temps, avec cette sensation étrange d'être mal-mené dans les méandres temporel-les alors qu'il n'en est rien. La cons-truction en deux parties (pour ne pas dire chapitre), vient aussi rajou-ter à la déstabilisation voulue en effectuant une pression de rythme de l'une à l'autre, et aussi parce que la seconde s'évertue à fondre le ma-tériel technologique dans un champ jusque-là très baroque. On pourrait alors dire de "Tetro", et ce pour plu-sieurs raisons, qu'il est pris aux piè-ges de l'inégalité. Mais ce n'est pas plus un défaut qu'une qualité car celle-ci dessert indéniablement la magie Coppola. Son film est impar-fait bien sûr, mais la maîtrise d'un

monstre sacré se sent plus que ja-mais derrière une production aussi modeste et charmante, jusque dans son choix d'acteurs qui apparaît comme évident alors qu'il tient plu-tôt de valeurs peu populaires. A la lisière entre fiction et autobiogra-phie, drame et fantastique tant le banal devient bizarrement pesant, "Tetro" donne vie à une idée de ci-

néma magnifique : celle qui nous fait franchir les rouages et les méca-niques de l'homme (ici dans le cocon familial) pour les déplacer dans des temps incertains, voire mystiques (la séquence des glaciers brillants tient de la sorcellerie). Le film de Coppola vient donc amorcer cette deuxième jeunesse ; ainsi le cinéma délivrerait l'élixir de vie, la jeunesse éternelle, fantasme parmi les fantasmes que le monde artistique n'a pas fini de mettre en abyme pour en déceler toutes les richesses. Surtout Coppo-la, véritable homme sans âge pour qui la vie redevient alors si longue, si pleine. Jean-Baptiste Doulcet

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çon introverti qui habite chez sa soeur. Leur frère Sergi (Eduardo No-riega) et l’oncle Ramón (Sergi López) viennent de temps à autre leur ren-dre visite. La mère d’Arnau est en prison. Quant au père, personne ne saurait dire ( ni ne voudrait d’ail-leurs) où il se trouve. En suivant l’analyse de Bazin, Petit indi est un film d’ambiance rurale où les paradigmes du western aident à la construction de l’espace mythique auquel nous sommes accoutumés. Je montrerai seulement quelques exemples. La frontière: Recha a filmé ses espa-ces naturels comme s’il s’agissait d’espaces frontaliers. Ainsi des Ter-res de l’Ebre a “Dies d’agost” ou des hameaux de Port Bou et Cerbère a “Les mans buides”. “Petit indi” ne fait pas exception. Vallbona, agglomération proche de Barcelone est un territoire de passa-ge et de changement. Assez proche de la ville, y subsistent cependant des vestiges du monde rural. L’auto-route, la rivière, la voie ferrée sont autant d’éléments qui délimitent l’extension du territoire. Filmé en 2008, cet espace modifié par les tra-vaux entraînés par le futur passage du TGV n’existe déjà plus. Et, si l’es-pace est frontalier les personnages le sont aussi. Le jeune Arnau a un âge limitrophe entre l’adolescence et l’âge adulte. Quant aux personna-

“PETIT INDI” Un Western catalan

C'est ici que je vis, Marc Recha, sortie prévue le 3/03/10. Dans l’article “Le western ou le ciné-ma américain par excellence[1]” André Bazin présente l’histoire du western comme celle du genre qui a traversé l’histoire du cinéma et a survécu à la série B, la parodie, le pastiche ... De nos jours nous pour-rions même ajouter qu’il a dépassé son étape crépusculaire, étape limi-naire qu’aucun autre genre n’a su franchir. Bazin interrogeait l’univer-salité du western affirmant que sa forme narrative permettait d’un cô-té de disposer d’une racine histori-que, et était ainsi relié à la réalité, et d’un autre de pouvoir élaborer des récits grâce à une imagination plus libre. Grâce au pouvoir de fascina-tion qu’il exerçait sur les spectateurs de toutes latitudes Bazin déduisait que de tous les genres, le western était le plus cinématographique. Le cinéaste catalan Marc Recha qui a déjà fait ses preuves dans cinq long-métrages présente son nouveau film “Petit indi”, projeté à la Piazza Gran-de de Locarno l’été dernier. L’auteur a déjà eu l’occasion de présenter à Cannes “Pau i el seu germà” ainsi que “Les mans buides”. Petit Indi raconte l’histoire d’Arnau ( extraordinaire Marc Soto), un gar-

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ges secondaires, particulièrement son frère et son oncle, ils ne jouis-sent pas d’un espace qui leur soit propre. Ce sont des âmes de passa-ge errant à travers un territoire changeant. Le héros. Dans le western, le héros mythique pouvait réaliser d’extraor-dinaires exploits tels que tirer plus vite que personne ou viser le plus juste. Arnau, le héros du film, possè-de la faculté de comprendre les ani-maux. L’on pourrait dire que de fait il leur parle. La séquence où il gagne le championnat d’oiseaux chanteurs fonctionne comme celle d’un duel au far west. Un zoom vertigineux sur un premier plan d’Arnau lors de son triomphe en est la preuve[2]. Mais notre héros est un indien, un homme qui parle avec les animaux et qui vit en harmonie avec la natu-re. Contrairement à l’homme blanc, l’indien jouit des grands espaces où ne règnent ni la loi ni l’ordre. Dans le film de Recha, l’innocence d’Ar-nau le rapproche de l’image de l’in-dien, tandis que le monde des adul-tes est marqué par l’ordre établi qui les emprisonne ( comme la cage de son oiseau) dans un monde de conventions où le développement personnel est impossible. Épopée et tragédie. L’épopée du far west, de la lutte pour les grands es-paces et la survie de l’individu pré-sente du point de vue formel une

composition très claire quant à la relation du héros et du plan. Mon-trant prédilection pour les vastes horizons, les plans d’ensemble du western rappellent toujours la confrontation homme/nature. Un plan splendide du film intègre le personnage d’Arnau en compagnie du renard, tandis que trois lignes traversent l’espace du plan: la voie ferrée, le chemin et la rivière. Une composition qui renforce la lecture épique du film. Le travelling pour renforcer le mou-vement latéral ainsi que l’usage de l’image panoramique si propres au western sont utilisés par Recha lors des déambulations du héros (certainement bressonnien[3]) par les espaces frontaliers. La projection en format scope aide en ce sens. Et comme le disait Bazin, le style épique n’a de sens qu’à partir de la morale qui le justifie. Cette dernière appartient à un monde où le bien et le mal dans leur pureté et nécéssité, coexistent comme deux éléments à la fois simples et fondamentaux. Arnau incarne la bonté de l’innocen-ce et le mal est une menace en pro-venance du monde des adultes. Cet-te métaphore est illustrée lors des courses de lévriers, où chaque chien participe plusieurs fois à la même course derrière un faux lapin. Tou-jours sur le même parcours et sans échappatoire possible. À ce moment, et suivant le modèle Bazin, “l’épopée se fait tragédie par

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l’apparition de la contradiction en-tre la transcendance de la justice sociale et de la singularité de la jus-tice morale, entre l’impératif caté-gorique de la loi, qui garantit l’ordre de la cité future, et celui, non moins irréductible de la conscience indivi-duelle”[4]. Arnau parviendra d’un coup à l’âge adulte et avec lui, per-dra tragiquement sa capacité de communication avec la nature et les animaux. Marc Recha nous a présenté son film le plus représentatif d’un genre, dépassant ainsi une étape plus radi-cale illustrée par son film Dies d’a-gost. Il semblerait que commence une période où le cinéaste se rap-proche d’un public plus large. Et c’est peut-être aussi pour cela qu’il nous déconcerte vers la fin lorsque les règles du genre se font plus évi-dentes et où il semblerait même qu’elles “télégraphient” le dénoue-ment final. Cette observation pour-rait sembler une critique négative du scénario, mais telle n’est pas mon intention. Recha a mis de côté une narration de type contemplatif au profit d’une autre plus descripti-ve où, comme le Hansel du conte, le public ramasse les pierres semées par le cinéaste à son intention. Film de frontière mettant en scène des personnages désorientés, la na-ture s’y inscrit sur le mode épique et la tragédie y apparaît de manière

abrupte. Mais ces paysages habités ne transmettent ni nostalgie ni tris-tesse. La musique (composée par son frère Pau) apporte une bande sonore riche et variée qui, loin d’é-voquer la mélancolie, apporte lu-mière et palette chromatique à un film de textures: les figures géomé-triques du mur de la prison, le cours de l’eau de la rivière Besòs, l’herbe qui naît sur ses berges, les cages des oiseaux, les câbles de haute tension, le train, les nuages, ... Comme le dit Xavier Montanyà, dans le supplé-ment “Cultures” du journal “la Van-guardia”, un cinéma de géopoéti-que. André Bazin aurait aimé.

Julio Lamaña [1] A.Bazin. Qu’est-ce le cinéma. Le wes-tern ou le cinéma américain par excel-lence. Les editions du Cerf. Paris 2002. pp. 217 – 227. [2] Il rappelle le zoom lors de la premiè-re apparition de John Wayne dans The stagecoach de John Ford (1939) [3] La répétition de plans où l’on voit les pieds de certains personnages rap-pelle le Bresson de Pickpocket (1959). Celui-ci est une référence pour “Petit indi” selon le propre Recha. Le réalisa-teur catalan a rendu visite à Bresson à Paris à diverses occasions quand le ci-néaste français était depuis longtemps déjà éloigné des écrans. [4] A.Bazin. Op.cit. p.225

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Les Ailes du Désir, Wim Wenders L’art a brisé le mur de Berlin. Ou tout du moins l’a fissuré. En 1987, le cinéma a réuni les berlinois avant les coups de marteau, et les a réunis par le haut, par le ciel : Der Himmel über Berlin (le titre alle-mand). Un ciel où des anges obser-vent les habitants de la ville, les ac-compagnent et lisent leurs pensées dans l’ombre d’un noir et blanc clair-obscur. Damiel, un d’eux, tombe amoureux d’une trapéziste, et de-viendra mortel. Les Ailes du désir est avant tout cet-te histoire d’amour entre Damiel et Marion, qui pousse l’ange à accep-ter d’être déchu de son armure et de ses ailes pour tomber au pied du mur séparant la ville. Lorsqu’il fait savoir ses intentions à son compa-gnon Cassiel devant un check point de l’armée, il s’évanouit. Le voile du

noir et blanc tombe pour donner vie à la couleur. L’amour comme preuve d’humanité certes, mais le protagoniste des Ai-les du désir n’est ni Damiel, ni Ma-rion, ni l’amour, mais bel et bien Berlin. « J’ai désiré, j’ai vu luire l’é-clair d’un film sur Berlin. Ainsi Berlin représente-t-il aussi, dans ce désir, le Monde, car c’est un lieu historique de vérité. Aucune cité n’est à ce point symbole, lieu de survie. Mon histoire ne parle pas de Berlin du fait qu’elle s’y déroule, mais parce qu’el-le ne pourrait se passer nulle part ailleurs. » Après un exil américain, Wim Wenders ne pouvait mieux décrire l’essence de cette ville qu’il traite à la manière d’un road-movie, non pas spatial mais spirituel. Et, si Wenders avait privilégié peu de dia-logues dans son chef-d’œuvre Paris, Texas, il laisse place ici à un flux de conscience à la fois poétique et phi-losophique, où les plans séquence

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existent grâce à des monologues et des pensées en voix off qui mon-trent la beauté du scénario écrit par Peter Handke. On peut com-prendre que Wenders ait demandé son aide tant il semble occupé à maîtriser comme un orfèvre les images. Avec une idée géniale, pas-ser du noir et blanc à la couleur : le noir et blanc montre une ville hors du temps, presque sortie d’une fable, éternelle ; la couleur nous plonge dans le quotidien d’une ville mutilée des années ’80. Bien que la figure de l’ange en ap-pelle à un film spirituel, en apesan-teur, ce film est avant tout une ode à l’homme et à la vie réelle, celle du goût du café, des cigarettes, ou du sang que Damiel voit sur lui pour la première fois. Face à la per-fection du transcendant, Wenders nous conte la beauté de l’imperfec-

tion, de l’imprévu, de l’humanité. Damiel dit à Cassiel : « Parfois, je suis las de mon existence d’esprit. Ce serait quelque chose, rentrant d’une longue journée, d’avoir la fièvre, les doigts noircis par le journal, de ne plus être exalté par l’esprit, mais par la courbe d’une nuque, par une oreil-le. » C’est par ailleurs pour cela que le rythme change après a métamor-phose de l’ange : d’une lenteur ex-pression de l’éternité de l’existence de la figure angélique, le film passe à un réel plus rapide et détaillé. Prix de la mise en scène à Cannes (1987), Les Ailes du désir est une véritable méditation sur la vie et l’être, qui universalise une ville et humanise des anges, qui érige le désir au rang de spiritualité et qui offre une vision belle et positive de notre existence.

Ayan Meer

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La Légion d’Honneur fait son cinéma

Instituée en 1802 par Napoléon Bonaparte, la Légion d’Honneur récompense les « mérites émi-nents militaires ou civils » rendus à la Nation ; première distinction honorifique du pays, elle est aussi la plus controversée. En ce mois de novembre, le Grand Maître de l’Or-dre, Nicolas Sarkozy, a épinglé deux figures du cinéma : Dany Boon et Clint Eastwood sont res-pectivement devenus chevalier et commandeur de la Légion d’Hon-neur. Légitime, leur Légion ? Prenons Dany Boon tout d’abord : l’humoriste d’Armentières a réalisé en 2008 le film phare du box-office, qui a, avec ses 20,5 millions d’entrées, dépassé la Grande Va-drouille. Beauf, authentique, bas, drôle…Les épithètes n’ont pas manqué pour décrire le film, mais l’histoire qui apparaissait au début comme une simple comédie de comptoir s’est finalement faite le chantre du bon Français, de l’au-thentique simple et fier de ses raci-nes, des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » aurait dit Brassens. Cristalliser la population autour d’une histoire de ch’tis relè-ve bien du miracle, mais c’est bien « la chaleur humaine » qui a été reconnue et épinglée. Chaleur hu-

maine, maroilles et bière ? Finale-ment pas les pires des services ren-dus à la nation. Changement de style avec la mys-térieuse figure de Clint Eastwood : l’infatigable réalisateur d’Impitoya-ble est un monument vivant, pres-que octogénaire et prolifique com-me jamais. Mais être un monstre américain donne-t-il droit à une récompense française ? Pour la petite histoire, la première décora-tion étoilée accordée à un Améri-cain date de 1853, et a récompen-sé Thomas W. Evans…le dentiste de Napoléon III. Et rappelez-vous, en avril dernier, David Cronenberg se faisait épingler à Toronto par l’ambassadeur de France. Récom-penser Clint, le dinosaure à l’œu-vre édifiante, semble donc d’une logique imparable ; le vert person-nage est qui plus est admirateur de la France, qu’il considère comme « sa deuxième patrie ». Besoin de preuves ? Outre la présence de sa fille Francesca au Bal des Débutan-tes cette année, le tournage de son film Hereafter avec Matt Damon et Cécile de France se déroulera en partie dans les rues de Paris !

Noémie Calais

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1) Vous êtes un homme très pris, avez-vous encore le temps d'aller au cinéma ? Quel est votre rapport à celui-ci ? Le temps, on peut toujours le trou-ver. Désormais, je regarde plus des films sur Canal +, décalé ou non, qu'en salle. Je reste cinéphile, au sens propre du terme : j'aime le cinéma. Et pas cinéphile au sens désormais usuel : peu connaisseur. 2) Avez-vous un film culte, un film qui vous a marqué dans votre jeu-nesse, ou un acteur qui vous inspi-re ? Un acteur, non. Un film culte, sans aucun doute : Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard. Je devais avoir quinze ans quand il est sorti. Je l'ai revu quatre ou cinq fois. Et je suis inca-pable d'expliquer pourquoi. Cette incapacité mérite attention. Dans le film, Godard demande à Samuel Fuller : "qu'est-ce que le cinéma ? ". Et il répond : "Emotion".Tout est dit. 3) Le cinéma peut-il selon vous être un vecteur de communication politique ? Les films critiques com-me ceux de Michael Moore ont-ils un réel impact ? Un impact politique, sans aucun doute. Mais les films de Michael Moore, j'en doute. Trop simplistes,

trop outranciers, trop peu cinéma-tographiques. Satisfaisants pour les militants, mais au-delà ? D'autres films "politiques" me semblent au-trement impressionnants. Dans des genres très différents, des films de Costa-Gravas, comme Z ou Sections spéciales. Et, plus récemment, le magnifique film sur la Stasi en Alle-magne de l'Est, La Vie des Autres. 4) L'affaire Polanski a fait grand bruit : le prestige artistique vous semble-t-il suffisant pour dispen-ser de la loi ? En aucun cas. Mais hors le prestige artistique, le souhait de la victime que l'on n'y revienne pas, le bien-fondé de la prescription, refusée en l'espèce... 5) Le film In the Loop a été diffusé en Boutmy la semaine dernière : pensez-vous que les spin doctors ont changé la donne en matière d'élections politiques ? On change de sujet. Il faudrait que j'ai vu le film. Et une très longue réponse. Autant de raisons d'en rester là. Et juste d'ajouter pour ceux qui nous lisent : "Allez au ciné-ma".

Noémie Calais.

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Mercredi 25 Novembre Boogie Nights, Paul Thomas Anderson 17h et 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Lundi 30 Novembre La Grande illusion, Jean Renoir 19h15, amphithéâtre Emile Boutmy

Mercredi 2 décembre Hair, Milos Forman 17h et 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Mercredi 9 décembre Sailor et Lula, David Lynch 17h et 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Lundi 14 décembre Docteur Folamour, Stanley Kubrick 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Mercredi 16 décembre Las Vegas Parano, Terry Gilliam 17h 19h15, amphithéâtre Jean Moulin

Cinémathèque française Fellini—21 octobre au 20 décembre 2009 Forum des images Tel Aviv—4 novembre au 6 décembre 2009