chap 3

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  • EPFL - ENAC - IA - LTH2

    Thorie de larchitecture III

    Professeur Bruno Marchand

    Utzon aurait-il en tte laphorisme dAuguste Perret: Le grand architecte, cest celui qui prpare de belles ruinesAuguste Perret cit par R. Claude dans Auguste Perret et la demeure, Fouleurs, n 4, 1944. Lorsqu la fin de son mandat pour lOpra de Sydney, il compare, dans des propos amers et dsabuss, les futures ruines de lOpra celles, sublimes, du Chichn Itzucatan, quil a visit lors dun sjour au Mexique, en 1949. Comme il la affirm dans son texte Platforms and Plateaus de 1962, Utzon identifie la monumentalit la prennit du socle ettion sublime avec le paysage, limage des plateformes qui accueillent des temples prcolombiens, o il remarque aussi limportance de la prsence monumentale des emmarchements et traste entre la base solide et la lgret des constructions quelle accueille.La plateforme est un lment architectural fascinant. Jai t pour la premire fois fascin par ces plateformes lo voyage dtude au Mexique, en 1949, o jai dcouvert plusieurs variations de lide et de la dimension de ces lments. Ils irradient une grande force.J. Utzon, Platforms and Plateaus: I

    Danish Architect, Zodiac, n 10, 1959.Ces principes fondent en quelque sorte la monumentalit de lOpra de Sydney: un socle surlev accueille des coques nervures, inspires du monanique et dont la fragilit, par contraste, est une rponse motionnelle et romantique aux lments du monde naturel. Les votes se fondent avec les nuages, en lvitation au-dessus de la borme porte des votes dUtzon est, comme dans le cas de la structure mtallique de Kahn, un travail remarquable dingnierie. Mais dans cette analogie entre la structure des votes et lerelles, nous pouvons revenir linterprtation organiciste et romantique que fait Viollet-le-Duc de larchitecture gothique quand il affirme:De mme quen voyant la feuille dune plante, on elante entire (...) de mme en voyant un profil, on en dduit les membres darchitecture; le membre darchitecture, le monument.Ds les annes quarante, la ncessit de dpasser le fonclaffirmation des valeurs esthtiques et humanistes amne lhistorien Sigfried Giedion, associ Jos-Luis Sert et Fernand Lger, prconiser lmergence dune Nouvelle Monumentalits la forme dun manifeste et cense reprsenter la troisime tape du mouvement moderne, aprs celles de la cellule du logement et de la planification.Pour les auteurs de ce manifeste,siices sont crs pour exprimer la conscience sociale et la vie collective dun peuple, celui-ci exigera quils ne soient pas simplement fonctionnels. Il demandera quil soit tenu compte, dans leon besoin de monumentalit et dlvation de lme.S. Giedion, F. Lger et J.-L. Sert, Nine Points on Monumentality in S. Giedion, Architektur und Gemeinschaft, Rowohlt Verlag, Hambrtant, pour certains architectes qui sestiment proches de la modernit des annes vingt, le terme monumentalit a une connotation ngative car il reprsente la fois le symbole de la pue lidologie des tats totalitaires et le retour aux valeurs de lacadmisme. Peut-on faire des monuments et rester fidle aux acquis du mouvement moderne? Quest-ce qui caractrise un mingtime sicle?Ces questions ne sont quune facette dun dbat complexe et parfois confus (surtout cause de la difficult de dfinir de faon prcise ces notions) consacr la significatiohitecture publique de laprs-guerre. La revue anglaise The Architectural Review consacre le numro de septembre 1948 un symposium, auquel participent G. Paulsson, H.-R. Hitchcock, W

    Giedion, W. Gropius, L. Costa et A. Roth, qui fait surtout ressortir des points de vue contrasts sur les formes aptes exprimer la monumentalit.A ce sujet Walter Gropius sexclame,Le viet le symbole dune conception statique du monde, dpasse aujourdhui par la relativit et par des nergies changeantes. Je crois, ds lors, que lexpression de la monumentalit est en trainienter vers un nouveau modle correspondant une forme leve de la vie civique, un modle caractris par la flexibilit, la croissance continue et le changement.W. Gropius, discours lorposium In search of a new monumentality, The Architectural Review n 621, 1948.La question de la monumentalit est pralablement pose loccasion du scandale provoqu par le clas

    numental et dcoratif du sige de lentreprise ptrolire Shell, termin en 1942 par larchitecte hollandais Jacobus Johannes Pieter Oud La Haye. Pour la composition de ldifice, Oud sappdes principes classiques comme la symtrie et les tracs rgulateurs et semble ngliger les critres usuels dutilit et de fonctionnalit, ce qui lui vaut lincomprhension de la plupart des crentifs lvolution de larchitecture moderne de limmdiat aprs-guerre.Pour OudLa vraie architecture ancienne et nouvelle peut et doit crer de lmotion. En dautres termes, elle doit traision esthtique de lun (larchitecte) lautre (celui qui regarde).J.-J. P. Oud, Mr. Oud replies, Architectural Record, mars 1947.La vraie architecture doit crer de lmotion: ces mots rangement le passage du texte Architecture de 1910, dans lequel Adolf Loos attribue larchitecte la tche de provoquer des motions justes figures par des images vocatrices commque doit vous dire: dpose ton argent, il sera bien gard. A. Loos, Architecture (1910) in Paroles dans le vide, Malgr tout, ditions Ivrea, Paris, 1994.En voquant les motions quun obje veiller, Loos et Oud posent, quelques dcennies dintervalle, un mme problme, celui du caractre du btiment. Ils renvoient ainsi la thorie des caractres du 18me sicle et lart dctriser qui, comme laffirme Quatremre de Quincy, est lartde rendre sensibles, par les formes matrielles, les qualits intellectuelles & les ides morales qui peuvent sexprimer dans lee faire connatre, par laccord & la convenance de toutes les parties constitutives dun btiment, sa nature, sa proprit, son emploi, sa destination.Quatremre de Quincy, Encyclopdie m

    is, Lige, 1788.Et cest justement parce quil part du postulat quune construction doit provoquer des sentiments et exprimer, travers sa forme, son rle dans la socit quOud renonce, des trente, au paradigme machiniste et industriel de la modernit pour revenir aux formes habituelles de reprsentation des programmes publics. Ce qui lamne dire, de faon laconique, racteurs: Je dois avouer que je ne crois pas quon puisse appliquer les formes des maisons ouvrires et des usines aux immeubles de bureaux, aux Htels de Ville et aux glises.J.J.P. Ou replies Architectural Record, mars 1948.Dans limmdiat aprs-guerre, la Monumentalit va faire lobjet dune profusion de dfinitions auxquelles Louis Kahn rpond par cette affirmation:

    numentalit est nigmatique... et on ne peut pas la crer volontairement.Louis I. Kahn, Monumentality in Paul Zucker (d.), New Architecture and City Planning, Philosophical Library, New4.Kahn illustre son texte sur la Monumentalit par deux esquisses: dans lune il dessine un centre civique, un espace couvert par une structure mtallique de trs grande porte, rendant ains exploits techniques obtenus par lemploi de ce matriau. La monumentalit de cet espace rside dans le sentiment provoqu par la grande porte, sa hauteur corrlative, et dans son rapporaysage naturel.Dans lautre esquisse, Kahn reprsente une structure no-gothique en mtal en regard de la construction de la cathdrale de Beauvais, recopie du livre de Choisy. Cest sur ette image que Kenneth Frampton fait remarquer que Kahn identifie la monumentalit la tectonique, dans une relation dialectique propre exprimer la qualit spirituelle de larchitecture, e

    c le principe du rationalisme gothique et de la vrit structurelle de Viollet-le-Duc. A partir de cette esquisse, nous pouvons faire lhypothse que, pour Kahn, lidentification de la monumentapression de la structure primaire passe par lvocation du thme de la ruine et ses valeurs de prennit et de dure.Jrn Utzon aurait-il en tte laphorisme dAuguste Perret:Le grand architt celui qui prpare de belles ruinesAuguste Perret cit par R. Claude dans Auguste Perret et la demeure, Formes et Couleurs, n 4, 1944.lorsqu la fin de son mandat pour lOpra de Sympare, dans des propos amers et dsabuss, les futures ruines de lOpra celles, sublimes, du Chichn Itz, dans le Yucatan, quil a visit lors dun sjour au Mexique, en 1949. Comme ilm dans son texte Platforms and Plateaus de 1962, Utzon identifie la monumentalit la prennit du socle et la relation sublime avec le paysage, limage des plateformes qui accueil temples prcolombiens, o il remarque aussi limportance de la prsence monumentale des emmarchements et du contraste entre la base solide et la lgret des constructions quelle acc plateforme est un lment architectural fascinant. Jai t pour la premire fois fascin par ces plateformes lors dun voyage dtude au Mexique, en 1949, o jai dcouvert plusieurs variatiide et de la dimension de ces lments. Ils irradient une grande force.J. Utzon, Platforms and Plateaus: Ideas of a Danish Architect, Zodiac, n 10, 1959.Ces principes fondent en quelquonumentalit de lOpra de Sydney: un socle surlev accueille des coques nervures, inspires du monde organique et dont la fragilit, par contraste, est une rponse motionnelle et rom

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    LE PLAN LIBRE. LE CORBUSIERET LES CINQ POINTS DELARCHITECTURE NOUVELLE3

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    LE CORBUSIER

    Larchitecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblssous la lumire. Nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumire; lesombres et les clairs rvlent les formes; les cubes, les cnes, les sphres, lescylindres ou les pyramides sont les grandes formes primaires que la lumirervle bien; limage nous en est nette et tangible, sans ambigut. Cest pourcela que ce sont de belles formes, les plus belles formes. Tout le monde estdaccord en cela, lenfant, le sauvage et le mtaphysicien. Cest la conditionmme des arts plastiques.Le Corbusier, Vers une architecture, Crs, Paris, 1923, p. 16

    Cette affirmation est situe au dbut du chapitre Le volume de Vers unearchitecture, le volume tant le premier des Trois rappels messieurs lesarchitectes, ces architectes qui ont perdu le sens de la conception desformes primaires, reprsentes la fois par les silos et certaines usinesamricaines et par les formes pures typiques de larchitecture gyptienne,grecque ou romaine notamment les volumes simples de la Leon deRome, apprhends lors de voyages formateurs.

    De quelques influences et voyages formateurs

    La formation de jeunesse de Le Corbusier est en effet enrichie la fois parune srie de voyages et par la rencontre de personnalits remarquables.Litinraire du voyage en Italie en 1907 suit les conseils de CharleslEplattenier, matre des annes de formation La Chaux-de-Fonds,comme le confirme Le Corbusier : jusquen 1907, dans ma ville natale, jaieu le bonheur davoir un matre, LEplattenier, qui fut un pdagogue capti-vant; cest lui qui ma ouvert les portes de lart. (Le Corbusier et P. Jeanneret,uvre Complte (O.C.) 1910-1928, Girsberger, Zurich, 1937, p. !!!!!!!!!!)

    Une autre personalit, Auguste Perret, fut un vritable mentor pour lejeune architecte, lintroduisant la culture classique franaise et aux nou-veaux matriaux comme le bton arm. En 1908-1909, Perret jouait unrle hroque en prtendant construire en ciment arm et en affirmant aprs de Baudot que ce procd de construction nouveau allait apporterune nouvelle attitude architecturale. Auguste Perret occupe dans lhistoirede larchitecture moderne une place trs prcise, de trs haut rang. Cestun constructeur (Ibidem, p.!!!!!! ).

    Lors du voyage en Orient de 1911, Le Corbusier dcouvrira successivementConstantinople, le mont Athos et lAcropole. Ce voyage est un acte dcisifdans la maturit qui le conduira vers son installation dfinitive Paris o,en 1917, Auguste Perret lui prsente le peintre Amde Ozenfant.Ensemble, ils vont publier des ouvrages tels quAprs le Cubisme (Ed. desCommentaires, Paris, 1918) ou La Peinture moderne (Crs, Paris, 1925) etditer, avec Paul Derme, la revue LEsprit Nouveau (1920-1925). Ozenfant ajou un rle important dans la carrire de larchitecte en lui rvlant nonseulement ses qualits occultes de peintre, mais aussi en impulsant lapriode de maturit des annes vingt, qui correspond au dveloppementde lesthtique puriste. (F. Ducros, Ozenfant (Amde) (1886-1966) in J.Lucan(dir.), Le Corbusier, une encyclopdie, Centre Georges Pompidou, Paris, 1987, p. 279)

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    LARCHITECTE ET LE PEINTRE

    Dans un de ses essais sur Le Corbusier, Bruno Reichlin a analys lesconnexions entre sa peinture puriste et les projets architecturaux quileffectuait la mme priode. (B. Reichlin, Jeanneret-Le Corbusier, painter-architect in E. Blau, N. J. Troy, Architecture and Cubism, Centre CanadiendArchitecture, Montral, 1997, pp. 195-218.) Le Corbusier et Ozenfant conce-vaient en effet leur peinture dans les trois dimensions et non comme unesurface, tablissant ainsi un lien direct avec larchitecture, ceci autour duconcept despace. Reichlin a mis en exergue les traits caractristiques cor-respondant aux diffrentes tapes de lvolution de la composition de cespeintures : dune part, le remplacement progressif dune centralit uniquepar une texture constitue dune multitude de centralits, sans hirarchieapparente; dautre part, la concentration dvnements vers la priphriedu tableau, crant par l un mouvement centrifuge dans la compositiondes tableaux; enfin, la perception simultane dune multitude dvne-ments, les objets tant situs la fois dans des plans diffrents, devant ou larrire, horizontaux ou verticaux.

    Si, partir de ces principes, nous nous rfrons maintenant aux projetsarchitecturaux, on peut constater que plusieurs villas puristes de LeCorbusier comme la Villa Stein (1926-1928) Garches, par exemple secaractrisent aussi par une composition polycentrique. De mme, la posi-tion centrale de la salle-de-bains dans ltage suprieur de la Villa Besnus(1922-1923) Vaucresson induit un mouvement priphrique continu etune vue toujours changeante des espaces. Enfin, la multitude dvne-ments fait cho la notion de promenade architecturale (voir plus loin,page 39) et la perception spatiale conditionne par le mouvement et sondroulement dans le temps.

    Les tracs rgulateurs

    La composition de plusieurs des peintures de Le Corbusier de la priodepuriste tait contrle par la mthode des tracs rgulateurs, pratiquetendue aux projets darchitecture et prsente pour la premire fois en1921 dans le numro 5 de LEsprit Nouveau : le recours une rgle math-matique pour larchitecture est conu comme un procd inhrent lacti-vit cratrice. (D. Matteoni, Tracs rgulateurs in J. Lucan (dir.), Le Corbusier,une encyclopdie, op. cit., p. 409.)

    Le contrle des proportions des dessins par des tracs rgulateurs taitune pratique courante pour des architectes comme Auguste Perret. Pour LeCorbusier, dans la mthode de projet, lutilisation dun module mesure etunifie; un trac rgulateur construit et satisfait. Un trac rgulateur est uneassurance contre larbitraire. (Le Corbusier, Vers une architecture, op. cit.,p.!!!!!!!! ) Dautre part, et ds le moment que (...) la chose technique prc-de et est la condition de tout, (...) elle porte des consquences plastiquesimpratives et (...) entrane parfois des transformations esthtiques radi-cales, il sagit ensuite de rsoudre le problme de lunit, qui est la clef delharmonie et de la proportion. Les tracs rgulateurs servent rsoudre leproblme de lunit. (Le Corbusier, Almanach darchitecture moderne, Crs,Paris, 1926, p.!!!!!!!!! )

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    LES CINQ POINTS D'UNE ARCHITECTURE NOUVELLE

    En 1927, Le Corbusier publie simultanment dans une publication sur sesmaisons ralises au Weissenhof de Stuttgart (Le Corbusier, Pierre Jeanneret,Zwei Wohnhuser, durch Alfred Roth, Akadem. Verlag Dr. Fr. Wedekind & Co.,Stuttgart, 1927) et dans la revue LArchitecture Vivante (n 17, 1927) les l-ments dun code nouveau de larchitecture quil intitule Les cinq pointsdune architecture nouvelle :

    1. Les pilotis. (...) La maison sur pilotis! La maison s'enfonait dans le sol :locaux obscurs et souvent humides. Le ciment arm nous donne les pilotis. Lamaison est en l'air, loin du sol; le jardin passe sous la maison, le jardin est aussisur la maison, sur le toit. 2. Les toits-jardins. (...) Le ciment arm est le nouveau moyen permettant la ra-lisation de la toiture homogne. Des raisons techniques, des raisons d'cono-mie, des raisons de confort et des raisons sentimentales nous conduisent adopter le toit-terrasse.3. Le plan libre. Jusqu'ici : murs portants; partant du sous-sol, ils se superpo-sent, constituant le rez-de-chausse et les tages, jusqu'aux combles. Le planest esclave des murs portants. Le bton arm dans la maison apporte le planlibre ! Les tages ne se superposent plus par cloisonnements. Ils sont libres.Grande conomie de cube bti, emploi rigoureux de chaque centimtre. Grandeconomie d'argent. Rationalisme ais du plan nouveau !4. La fentre en longueur. La fentre est l'un des buts essentiels de la maison.Le progrs apporte une libration. Le ciment arm fait rvolution dans l'histoirede la fentre. Les fentres peuvent courir d'un bord l'autre de la faade. Lafentre est l'lment mcanique-type de la maison; pour tous nos htels parti-culiers, toutes nos villas, toutes nos maisons ouvrires, tous nos immeubleslocatifs ...5. La faade libre. Les poteaux en retrait des faades, l'intrieur de la maison.Le plancher se poursuit en porte--faux. Les faades ne sont plus que desmembranes lgres de murs isolants ou de fentres. La faade est libre; lesfentres, sans tre interrompues, peuvent courir d'un bord l'autre de la faa-de.Le Corbusier et P. Jeanneret, O.C. 1910-29, op. cit., p. 128

    Lintrt principal des Cinq points rside dans le fait quils constituentune tentative indite de codifier le langage architectural selon un principede renversement des valeurs classiques, ce quAlan Colquhoun intitule ledplacement de concepts. (A. Colquhoun, Dplacements des concepts chezLe Corbusier in A. Colquhoun, Recueil dessais critiques. Architecture moderne etchangement historique, Pierre Mardaga Editeur, Bruxelles, Lige, 1985, pp. 59-74.)

    Dans cette optique, le pilotis apparat comme le retournement du socleclassique, le vide la place du plein; la faade libre remplace lorganisationrgulire des ouvertures par une surface librement compose; le plan librecontredit le principe canonique de lassujettissement des pices la dispo-sition des murs porteurs; la fentre en longueur apparat comme linversede la fentre verticale, anthropomorphique; enfin, le toit terrasse simpose la place des mansardes, les chambres de bonne et les tendages tantremplacs par des pices de rception en contact direct avec le jardinsuprieur.

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    Ici sont appliques trs clairement, les certitudes acquises jusquici ; les pilotis, le toit-jardin, leplan libre, la faade libre, la fentre en longueur coulissant latralement. Le trac rgulateur est ici un trac automatique fourni par les simples lments architecturaux chelle humaine tels que lahauteur des tages, les dimensions des fentres, des portes, des balustrades. Le plan classique estrenvers ; le dessous de la maison est libre. La rception est au sommet de la maison. On sort direc-tement sur le toit-jardin do lon domine les vastes futaies du Bois de Boulogne; on nest plus Paris, on est comme la campagne. (Le Corbusier, Oeuvres compltes)

    Dans la maison Cook, Boulogne-sur-Seine, (Le Corbusier) tire les consquences du procd dela maison sur pilotis : une partie seulement, la cage descalier-vestibule, est enserre dans desmurs. A ltage suprieur, les parois non-porteuses font leur apparition, et lalignement des fentresen continu va jusquau bout de la logique. () Cet ouvrage est le seul voir maison et toit sinterp-ntrer totalement. La grande pice de la maison prend sur la surface du toit jusqu la hauteur du bal-daquin qui a pour fonction de protger de la pluie. Un escalier conduit de la grande pice un cabi-net de travail plus petit, lequel, au niveau du toit, constitue llment intermdiaire dun engrenagequi lie insparablement intrieur et extrieur. (S. Giedion, Construire en France, Construire en fer,Construire en bton (1928), Les Editions de la Villette, Paris, 2000, p. 96.)

    Villa Cook, Boulogne-sur-Seine (1927)

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    LES QUATRE COMPOSITIONS

    Paralllement lnonc des Cinq points Le Corbusier a procd uneclassification des formes extrieures de ses villas puristes apportant ainsila preuve que la forme ne rsulte pas uniquement de lintrieur, comme lastricte application des Cinq Points pourrait le laisser croire quil diff-rencie selon quatre types :

    Le premier type montre chaque organe surgissant ct de son voisin, sui-vant une raison organique le dedans prend ses aises, et pousse le dehors quiforme des saillies diverses. Ce principe conduit une composition pyramida-le, qui peut devenir tourmente si lon ny veille (Auteuil).Le second type rvle la compression des organes lintrieur dune envelopperigide, absolument pure. Problme difficile, peut-tre dlectation de lesprit;dpense dnergie spirituelle au milieu dentraves quon sest imposes(Garches). Le troisime type fournit, par lossature apparente, une enveloppe simple, clai-re, transparente comme une rsille; il permet, chaque tage diversement,dinstaller les volumes utiles des chambres, en forme et en quantit. Type ing-nieux convenant certains climats; composition trs facile, pleine de res-sources (Tunis). Le quatrime type atteint, pour lextrieur, la forme pure du deuxime type; lintrieur, il comporte les avantages, les qualits du premier et du troisime.Type pur, trs gnreux, plein de ressources lui aussi (Poissy). Le Corbusier, Prcisions sur un tat prsent de larchitecture et de lurbanisme, Crs,Paris, 1930, p.!!!!!!!!!!

    On peut constater que la classification de Le Corbusier repose essentielle-ment sur deux modles de base opposs : le modle pittoresque de la tra-dition Arts and Crafts anglo-saxonne (illustr par le premier type) et lemodle classique de la villa palladienne (illustr par le deuxime type). Cedernier problme difficile conduit deux expressions possibles dunprisme pur : la dfinition dune masse construite compacte et centrale, quiirradie de faon centrifuge dans une rsille de piliers (Villa Blaizeau,Carthage, 1928); ou alors la dlimitation dune limite prcise, construite, lintrieur de laquelle des vides sont creuss (Villa Savoye, Poissy, 1928-1930).

    Peut-on nanmoins prtendre que les exemples sont disposs selon unordre progressif, la maison Savoye reprsentant ainsi une sorte daboutis-sement ? Malgr le fait que cette ralisation reprsente la fin du cycle desvillas puristes, on peut logiquement en douter. On sait que Le Corbusierreprend plusieurs reprises des schmas esquisss des annes de dis-tance dont la validit et pertinence lui semblent toujours dactualit.

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    LA PROMENADE ARCHITECTURALE

    Cest propos de la Villa La Roche (1923-1925) que le Corbusier explicitepour la premire fois la notion de promenade architecturale. On entre : lespectacle architectural soffre de suite au regard; on suit un itinraire et lesperspectives se dveloppent avec une grande varit; on joue avec laffluxde la lumire clairant les murs ou crant des pnombres. Les baiesouvrent des perspectives sur lextrieur o lon retrouve lunit architectu-rale (Le Corbusier et P. Jeanneret, O.C. 1910-1928, op. cit., p.!!!!!!!!)

    Cette description nous renvoie la fois aux parcours et la multiplicit despoints de vue du pittoresque dans lart grec caractristique de la compo-sition de lAcropole dAthnes analyse par Auguste Choisy et aux jeuxdeffets et de simultanit des objets des peintures puristes. Dans les villaspuristes, selon litinraire de la promenade, le visiteur exprimente ()les caractristiques constantes et invariables de lobjet architectural.Lespace de la peinture est virtuel et dans ce cas le point de vue extrieurest unique (). Par contraste, la comprhension de larchitecture demandelintgration rciproque, durant la dure relle dune promenade, dunemultiplicit de vues depuis diffrents points de vues. (B. Reichlin,Jeanneret-Le Corbusier, painter-architect, op. cit., p. 205.)

    La promenade architecturale rapparat de faon magistrale dans lesesquisses prliminaires de la Villa Stein, notamment dans le parcours ext-rieur de la pice lair libre juxtapose la maison. Elle est nouveauvoque lors de la description que Le Corbusier fait du parcours lint-rieur de la Villa Savoye, dont le support principal est la rampe situe aumilieu de la maison et qui relie verticalement tous les tages selon lemode suivant :

    De lintrieur du vestibule, une rampe douce conduit, sans quon sen aperoi-ve presque, au premier tage, o se dploie la vie de lhabitant : rception,chambres, etc. Prenant vue et lumire sur le pourtour rgulier de la bote, lesdiffrentes pices viennent se coudoyer en rayonnant sur le jardin suspendu quiest l comme un distributeur de lumire approprie et de soleil () mais oncontinue la promenade. Depuis le jardin ltage, on monte par la rampe sur letoit de la maison o est le solarium. Larchitecture arabe nous donne un ensei-gnement prcieux. Elle sapprcie la marche, avec le pied; cest en marchant,en se dplaant que lon voit se dvelopper les ordonnances de larchitecture.Cest un principe contraire larchitecture baroque qui est conue sur le papier,autour dun point fixe thorique. Je prfre lenseignement de larchitecturearabe. Dans cette maison-ci, il sagit dune vritable promenade architecturale,offrant des aspects constamment varis, inattendus, parfois tonnants. Il estintressant dobtenir tant de diversit quand on a, par exemple, admis au pointde vue constructif, un schma de poteaux et de poutres dune rigueur abso-lue.Le Corbusier et P. Jeanneret, O.C. 1929-1934, Girsberger, Zurich, pp. 24-25.

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    Cette villa a t construite dans la plus grande simplicit, pour des clients dpourvus totalementdides prconues : ni modernes, ni anciens. Leur ide tait simple : ils avaient un magnifique parcform de prs entours de forts ; ils dsiraient vivre la campagne ; ils taient relis Paris par 30kilomtres dauto.On va donc la porte de la maison en auto, et cest larc de courbure minimum dune auto qui four-nit la dimension mme de la maison. Lauto sengage sous les pilotis, tourne autour des servicescommuns, arrive au milieu, la porte du vestibule, entre dans le garage ou poursuit sa route pour leretour : telle est la donne fondamentale.La maison se posera au milieu de lherbe comme un objet, sans rien dranger. Le vritable jardin dela maison ne sera pas sur le sol, mais au-dessus du sol, trois mtres cinquante : ce sera le jardinsuspendu dont le sol est sec et salubre, et cest de ce sol quon verra bien tout le paysage, beau-coup mieux que si lon tait rest en bas.La construction est faite sur un jeu de poteaux quidistants, portant des chevalets qui, eux-mmes,supportent des poutrelles rgulires et gales : ossature indpendante, plan libre. (Le Corbusier,Oeuvres compltes)

    Villa Savoye, Poissy (1929-31)

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    LE CORBUSIER

    Centrosoyouz, Moscou (1928)

    Concours pour le Palais des Nations,Genve (1927-28)

    Concours pour le Palais des Soviets,Moscou (1931)

    Une petite villa au bord du lac Lman,Corsier (1925)

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    Ecrits de Le Corbusier

    Voyage d'orient, carnets, Feuille d'avis de la Chaux-de-Fonds (articles), 1911; rdition :Electa, Milan, 1987. Vers une architecture, Crs (Coll. de l'Esprit Nouveau), Paris, 1923; rdition : Paris,Arthaud, 1977. Manire de penser l'urbanisme, Gonthier / Denol, Paris 1977. Almanach d'architecture moderne, Crs (Coll. de l'Esprit Nouveau), Paris, 1926;rdition en fac-simil Turin, Bottega dErasmo, 1975, et Paris, Connivences, 1989. Une maison, un palais : la recherche d'une unit architecturale, Crs (Coll. de l'EspritNouveau), Paris, 1928; rdition en fac-simil : Turin, Bottega dErasmo, 1975, et Paris,Connivences, 1989/84 ? Une petite maison, Girsberger (carnet de la recherche patiente), Zurich, 1954; rdition :1987. Prcisions sur un tat prsent de larchitecture et de lurbanisme, diteur, lieu, 1930;rdition en fac-simil : Paris, Vincent Fral, 1960, et Paris, Editions Altamira, 1994. Le Corbusier et Pierre Jeanneret, uvre complte 1910-1929, Artemis, Zurich 1984.

    Ecrits et publications sur Le Corbusier

    S. Von Moos, Le Corbusier, l'architecte et son mythe, Horizons de France, Paris, 1971. E. Kaufman, De Ledoux Le Corbusier : origine et dveloppement de l'architectureautonome, L'Equerre, Paris, 1981. H. Allen Brooks, The Le Corbusier archive (32 volumes), Fondation Le Corbusier Paris,Paris, 1984. L'Esprit nouveau, Le Corbusier et l'industrie 1920-1925, Ernst & Sohn, Berlin, 1987. Le Corbusier Genve 1922-1932 : projets et ralisations, Payot, Lausanne, 1987. Le Corbusier et la Mditerrane, Editions Parenthses, Muse de Marseille, Marseille,1987. J. Lucan, Le Corbusier, une encyclopdie, Centre Georges Pompidou, Paris, 1987. M.Besset, Qui tait le Corbusier?, Genve, Skira, 1968; rdition : 1987. Baker Geoffrey Howard, Le Corbusier. An Analysis of a Form, Van Nostrand Reinhold,London, 1989. Ch. Sumi, Immeuble clart Genf 1932 von Le Corbusier et Pierre Jeanneret, GTA,Zurich, 1989.

    A propos de la villa Cook

    T. Benton, Les villas de Le Corbusier, 1920-1930, La Villette, Philippe Sers, Paris, 1984.

    A propos de la villa Savoye

    Le Corbusier. Villa Savoye, A.D.A Edita, Tokyo.

    Bibliographie

    LE CORBUSIER

    1887 Naissance de Charles-Edouard Jeanneret la Chaux-de-Fonds.1907 Voyage d'Italie.1908-1909 Travaille Paris chez Auguste Perret.1910-1911 Travaille Berlin chez Peter Behrens.1911 Voyage d'Orient.1917 Charles-Edouard Jeanneret s'installe Paris.1918 Fait la connaissance du peintre Amde Ozenfant et expose ses premirespeintures.1919 Fonde, avec le pote Paul Derme, la revue L'Esprit Nouveau (27 numros de 1920 1925).1920 Charles-Edouard Jeanneret prend le pseudonyme de Le Corbusier pour signer sesarticles parus dans L'Esprit Nouveau.1922 Ouvre son atelier d'architecture 35 rue de Svres Paris et s'associe avec soncousin Pierre Jeanneret (avec qui il travaillera jusqu'en 1940).1923 Publication de Vers une architecture.1927 A l'occasion de la ralisation de deux maisons dans la cit exprimentale duWeissenhof Stuttgart, il formule les Cinq points d'une architecture nouvelle.1928 A son initiative, cration des Congrs internationaux d'Architecture moderne (CIAM).1929 Voyage en Amrique du Sud, o il donne une srie de confrences, runies l'annesuivante dans Prcisions sur un tat prsent de l'architecture et de l'urbanisme.1933 Quatrime congrs des CIAM Athnes : partir des rsolutions du congrs, LeCorbusier rdigera la Chartes d' Athnes.1935 Voyage aux USA, qui lui donnera l'occasion de publier, en 1937, Quand lescathdrales taient blanches; voyage au pays des timides.1945 Reoit la commande de l'Unit d'habitation de Marseille (acheve en 1952).1951 Est appel en Inde pour concevoir la capitale du Pendjab, Chandigarh.1965 Le Corbusier meurt le 27 aot, alors quil se baigne au Cap Martin.

    Biographie