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Cahier :

Tourisme durable et enjeux stratégiques

coordonné par Erick Leroux

Comité scientifique

SuSa

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Introduction

par Erick Leroux33

Le développement durable occupe une place majeure dans la plupart des entreprises touristiques, principalement en raison de leur responsabilité sociale et environnementale vis-à-vis de la société. De même, les gouvernements intègrent le développement durable dans la plupart des projets liés aux territoires et au tourisme.

Les enjeux stratégiques des entreprises touristiques investies dans le développement durable reposent, comme pour toute entreprise, sur leur capacité à se maintenir en tant qu’activité dans le futur, tout en veillant à ce que les conditions du développement durable soient respectées. La prospérité des entreprises de tourisme s’avère indispensable afin que le secteur enregistre des retombées économiques satisfaisantes pour les populations d’accueil. Néanmoins, malgré la croissance des marchés du tourisme dans le monde, un certain nombre d’entreprises sont en proie à des difficultés en raison de la crise. Les TPE ou les PME ont un accès généralement limité au marché, et des projets de création de produits touristiques durables échouent en raison de stratégies mal évaluées.

Il convient de rappeler les principaux enjeux stratégiques qui reposent sur plusieurs axes :

- La compréhension des marchés touristiques La viabilité des entreprises touristiques individuelles dépend de leur capacité à identifier les destinations touristiques rentables à long terme, et aussi de leur adaptation aux marchés, et de leur usage des TIC. A cela, s’ajoutent la disponibilité et la qualification du personnel qui se révèlent constituer un réel problème dans certains pays. Enfin, les politiques de communication doivent être efficaces pour assurer l’attrait de l’environnement naturel et culturel des destinations, en sachant que le maintien et la préservation des écosystèmes garantissent à la fois la viabilité des destinations touristiques et un certain niveau de bien-être pour les touristes.

- La satisfaction des touristesLa pérennité des entreprises touristiques suppose que les touristes soient satisfaits des prestations de celles-ci, qui doivent mettre en place des contrôles liés à la qualité, en veillant au rapport qualité-prix de manière à ce que leurs 33. Erick LEroux, Maître de conférences HDR, IUT de Saint DENIS, Laboratoire LARGEPA Paris II, [email protected]

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politiques tarifaires coïncident avec les attentes du marché. De même, sont indispensables des politiques qui promeuvent la qualité, ainsi que des contrôles assurant un niveau de satisfaction des visiteurs permettant de les fidéliser.

- Les actions favorisant l’augmentation du niveau de consommation des touristesLe développement des territoires visités et la prospérité de leurs habitants peuvent être soutenus par des politiques axées sur l’allongement de la durée des séjours, en vue d’augmenter les occasions de dépense en promouvant les produits locaux (produits alimentaires, objets artisanaux) et en renforçant le système de distribution, notamment le commerce de détail.

- L’emploi des TICLes TIC sont devenues pour le secteur du tourisme un enjeux stratégique. En France les ventes dans le secteur du tourisme via Internet s’élevaient en 2011 à 10,7 milliards d’euros et représentaient 19% des ventes en ligne (sources : Fevad, IFM, Kantar Worldpanel, GfK, Precepta, Conseil National du Tourisme, Insee). L’usage d’Internet dans le tourisme s’est généralisé, notamment au niveau des entreprises avec le tourisme d’affaires, les tour-opérateurs, les hôtels et les prestataires de service qui réalisent une part importante de leur production sur Internet, et les collectivités locales et organismes territoriaux qui promeuvent leur territoire via Internet…

- La pratique de la Responsabilité sociale et environnementaleLes entreprises du secteur du tourisme sont de plus en plus nombreuses à reconnaître que leurs responsabilités à l’égard de la société ne se limitent plus à produire ou à offrir des services, sans tenir compte de l’environnement ainsi que des populations d’accueil et de leur territoire où séjournent les touristes. En cela, certaines entreprises touristiques ont mis en place des systèmes de gestion de l’environnement ou soutiennent des projets sociaux et environnementaux auprès des communautés avec lesquelles elles développent leurs activités. D’autres appliquent les principes du développement durable dans l’élaboration de leurs programmes de voyage, la sélection de leurs fournisseurs, l’association avec les communautés locales et l’information fournie aux touristes.

Les priorités du développement durable concernent donc autant les domaines d’intérêt public que privé. Même si le secteur privé reconnaît progressivement sa responsabilité, c’est aux gouvernements que revient le rôle de leader dans ce domaine. Dans le secteur du tourisme, les états et gouvernements jouent un rôle stratégique majeur en favorisant l’adhésion de nombreux professionnels du tourisme aux principes du développement durable et les aident à les mettre en pratique.

Dans la majorité des pays, le secteur du tourisme se singularise par une multitude de plusieurs milliers d’entreprises, dont une large partie est constituée de petites

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entreprises ou de TPE. Elles ont besoin de conseils et d’aide pour adopter de nouvelles priorités, notamment celles liées au développement durable. C’est ce à quoi les instances gouvernementales se sont attelées en leur apportant du soutien dans la prise en compte de normes telles que celles de la GRI ou 26000 ou encore du Grenelle de l’environnement en France. Les gouvernements interviennent également pour le développement durable du tourisme au niveau de l’aménagement du territoire ou de la réglementation de la protection de l’environnement et du littoral. Les principales mesures des gouvernements en faveur du développement durable dans le secteur touristique peuvent être déclinées de la manière suivante :

- Octroyer les moyens nécessaires aux communautés locales dans leur développement territorial Un des principes de base sur le plan territorial concernant le développement du tourisme mis en place par les états, est de laisser les acteurs stratégiques et les parties prenantes prendre part à des gouvernances locales dans une optique de gestion participative.

- Contrôler les flux logistiques et touristiques Les périodes de pointe, qui occasionnent des encombrements provoqués par le nombre démesuré de touristes et/ou de leurs véhicules, constituent un danger pour le bien-être des communautés locales. Afin de mieux réguler ces flux, les institutions publiques (ex CRDT) interviennent en réalisant des campagnes de promotion pour encourager les visites hors saison.

- Inciter les touristes à se comporter de manière bienveillante à l’égard des communautés localesPuisque que les motivations des touristes s’avèrent diverses, les gouvernements et surtout les collectivités locales convertis au développement durable, ont le devoir d’informer les premiers, de les encourager à découvrir et respecter les environnements et les cultures des sites visités. Ces actions de communication constituent un moyen efficace permettant de sensibiliser les visiteurs aux impacts environnementaux et sociaux d’une destination touristique. Parmi les actions de communication menées dont l’objectif est d’agir sur le comportement des touristes, citons celles portant sur : • des informations sur la fragilité des sites naturels, les communautés d’accueil et leurs valeurs ;• des campagnes d’affichage afin d’encourager les bons comportements, avec des affiches en plusieurs langues ; • des actions de prévention pour lutter contre des conditions de travail déplorables de certains salariés, le tourisme sexuel et l’exploitation des enfants.

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- Permettre la conservation des sites historiques et du patrimoine culturel Dans de nombreux pays, les sites historiques et culturels attirent de nombreux visiteurs, qui peuvent les dégrader. A ce sujet, les gouvernements locaux et les instances locales s’emploient à mettre en place des politiques liées à : • la préservation des sites du patrimoine historique et culturel par des travaux de protection (certains bénéficient d’aides en raison de leur inscription au patrimoine mondial). • une gestion efficace des flux des visiteurs pour éviter les encombrements sur les lieux de visites.• une meilleure compréhension et au respect des cultures locales ainsi qu’à la recherche de moyens pour assurer des retombées positives et aussi financières pour les communautés locales.

Mais de toutes les stratégies à continuer en priorité par les entreprises et les gouvernements, ce sont celles qui portent sur une consommation modérée des ressources naturelles et l’utilisation de transports moins polluants liés notamment aux transports aériens et aux voitures. Il ne peut y avoir un avenir dans le secteur du tourisme sans une gestion rationnelle des ressources naturelles telles que l’eau douce, les forêts, les minéraux ou encore les combustibles fossiles et une limitation de l’usage des moyens de transports polluants. Ces stratégies portent surtout sur :• la réutilisation et le recyclage de l’eau dans la mesure du possible• l’encouragement à l’installation de nouveaux systèmes de production d’énergie propre • le comportement des visiteurs en conseillant d’utiliser de manière raisonnable et responsable des ressources telles que l’eau et une meilleure gestion de leurs déchets • la réduction de l’utilisation des produits chimiques nocifs pour l’environnement • l’utilisation raisonnée des moyens de transports afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre

Les articles sélectionnés pour ce cahier spécial, issus des « 2èmes journées scientifiques du Tourisme Durable » organisées à l’IPAG-Université de Poitiers, les 23 et 24 Juin 2011 à Poitiers, avec le parrainage de l’Aderse, de l’AFEST et du laboratoire de gestion LARGEPA de Paris II, ont pour objet de prendre en considération les avancées en recherche en stratégie du tourisme durable avec la mise en place de pratiques touristiques liées fortement au développement durable. 23 communications ont été présentées lors de ce colloque, 9 ont été pré-sélectionnées pour ce cahier spécial et 4 ont finalement été retenues.

En matière d’innovation soutenable, Nathalie Fabry, Sylvain Zeghni et Jean-Pierre Martinetti, présentent « en rupture avec les paradigmes dominants en matière de tourisme, la CCTD qui a pour ambition de diffuser une culture partagée, des compétences spécifiques, des savoir-faire multiples mais aussi de créer des

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outils adaptés pour concrétiser un nouveau mode de développement touristique soutenable qui replace l’Homme et le territoire au cœur de l’activité touristique. D’un point de vue analytique, cette CCTD s’apparente à un cluster de tourisme durable ».

Sur le plan culturel et plus particulièrement au niveau de la valorisation des produits artisanaux dans le cadre du tourisme durable, Marielle Salvador-Perignon aborde « les offres de tourisme culinaire qui se développent et semblent répondre aux attentes de certains touristes. Dans ce cadre, pour l’auteur il semble intéressant d’étudier les liens avec les exigences du tourisme durable. En effet, ces produits sont souvent achetés sur les lieux de vacances par les touristes culinaires notamment. Ces produits caractéristiques d’une région, s’ils constituent un moyen de valoriser un capital culturel local, doivent néanmoins être identifiés comme tel par les individus ».

Concernant le tourisme durable et les expériences touristiques, Antoine Marsac, Anne-Marie Lebrun et Patrick Bouchet proposent « un dispositif d’analyse prenant en compte aussi bien les effets du tourisme en termes de développement durable et de valorisation des territoires que les expériences récréatives recherchées ou vécues par les touristes. Ce dispositif requiert une approche multi-échelle et pluridisciplinaire combinant l’apport des sciences de gestion à celui des sciences sociales. Il appréhende l’expérience touristique à travers l’analyse des discours des touristes et l’observation des interactions, l’analyse des usages des territoires couplée à l’étude des pratiques des prestataires ».

Dans le secteur hôtelier, Soumaya Hergli, Jean-Michel Sahut et Frédéric Teulon s’intéressent à « l’analyse de la politique de développement durable et des stratégies sous-jacentes, au sein d’une grande chaîne hôtelière comme le groupe Accor, qui montre que les risques de détournements sont forts car cette dernière peut s’orienter vers la commercialisation, la communication, la requalification d’actions déjà anciennes, la valorisation de l’image de marque… La définition de stratégies optimales de développement durable dans des groupes hôteliers si diversifiés en termes de marque et de positionnement, comme Accor, doit donc reposer sur des principes et logiques forts permettant réellement d’adopter un tourisme durable ».

Chacun de ces articles apporte un éclairage sur la mise en pratique de la stratégie du tourisme durable sur le plan de l’innovation, du patrimoine culturel, du territoire et des expériences touristiques et du secteur hôtelier.

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L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

par Nathalie Fabry34, Sylvain Zeghni35 et Jean-Pierre Martinetti36

Résumé

En rupture avec les paradigmes dominants en matière de tourisme, la CCTD a pour ambition de diffuser une culture partagée, des compétences spécifiques, des savoir-faire multiples mais aussi de créer des outils adaptés pour concrétiser un nouveau mode de développement touristique soutenable qui replace l’Homme et le territoire au cœur de l’activité touristique. D’un point de vue analytique, cette CCTD s’apparente à un cluster de tourisme durable dont il nous reviendra de préciser les contours et les fonctionnalités.

Abstract

Breaking with the dominant paradigm over tourism, the CCTD has as an ambition to diffuse a shared culture, specific competencies, various knowledge and know-how. It has also the aim to create adapted tools and to pave the way of a sustainable tourism, which replaces humans and territories in the core of the tourism activity. From an analytical point of view, this CCTD may be considered as a sustainable tourism cluster, which needs to be developed and explained (borders and functionalities).

Le phénomène touristique est de plus en plus confronté au défi de la durabilité. Ce dernier constitue un challenge pour les destinations touristiques comme pour les acteurs et peut, sous certaines conditions, constituer un levier majeur de l’attractivité des destinations. Aussi la recherche de nouveaux modèles organisationnels et de nouveaux outils pour les acteurs publics et privés concernés par la mise en place du tourisme durable et par le management de projets touristiques durables est-elle stratégique.

Dans le cadre d’une approche systémique qui conduit à appréhender dans leur complexité les interactions mais aussi les artefacts d’un nouveau mode de développement touristique plus « soutenable », des praticiens ont engagé, depuis le début des années 2000, dans le cadre d’un processus créatif, progressif et continu, la conception et la réalisation d’un projet innovant de capitalisation et 34. NathaLiE Fabry, Maître de Conférences HDR, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, LVMT, [email protected]. SyLvaiN ZEghNi, Maître de Conférences HDR, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Laboratoire LVMT, [email protected]. JEaN-PiErrE MartiNEtti, Directeur général de la CCTD, PAST, Université de Paris 1, [email protected]

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de partage du savoir, d’interventions et d’appuis s’inscrivant sur le long terme. Il s’agit de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable37 (CCTD).

En rupture avec les paradigmes dominants en matière de tourisme, conçu à partir d’une nouvelle forme d’organisation en réseau de réseaux autour d’une plateforme opérationnelle de connaissances, d’accueil et d’animation au service de l’ensemble des acteurs et des espaces concernés, la CCTD a pour ambition de diffuser une culture partagée, des compétences spécifiques, des savoir-faire multiples mais aussi de créer des outils adaptés pour concrétiser un nouveau mode de développement touristique soutenable qui replace l’Homme et le territoire au cœur de l’activité touristique. D’un point de vue analytique, cette CCTD s’apparente à un cluster de tourisme durable dont il nous reviendra de préciser les contours et les fonctionnalités. Le présent papier souhaite présenter comment, dans le cadre de la CCTD au cœur de territoires ruraux en Haute - Provence mais à proximité d’un grand site naturel (le Verdon), du projet international ITER, des agglomérations aixoises et marseillaises, des praticiens ont développé une organisation soutenable.

Dans un premier temps (1) nous poserons les fondements théoriques de la mise en réseau des acteurs en matière de tourisme durable et montrerons en quoi il sert de support à l’innovation soutenable. Dans un second temps (2), nous montrerons que la construction d’un tourisme durable doit être localisée et nous présenterons de manière critique la dynamique d’innovation de la CCTD.

1. Les enjeux théoriques de la mise en réseau des acteurs du tourisme durable

Pour se développer par le tourisme, une destination doit être en mesure de bénéficier des effets positifs du tourisme tout en en limitant ou neutralisant ses effets négatifs. Sans la maîtrise de la croissance du secteur touristique au service d’un projet de développement territorial, le tourisme peut à court terme générer des recettes mais à plus long terme mettre en péril l’équilibre environnemental voir socio-économique du territoire surexposé au tourisme. Le tourisme, phénomène complexe et transversal, nécessite donc une approche intégrée et systémique. Tant du côté de l’offre que de celui de la demande et que du point de vue des autorités régulatrices, l’activité touristique repose sur des acteurs interdépendants œuvrant, à titres divers, à la valorisation d’une destination. C’est pourquoi mettre les acteurs du tourisme (acteurs directs, indirects, institutions, administrations, etc.) au centre de l’analyse du phénomène touristique est important si l’on cherche à saisir les logiques de fonctionnement du tourisme comme système. Ce d’autant plus qu’il s’agit moins d’installer le tourisme sur un territoire que de l’ancrer durablement dans le territoire.37. http://www.cctd.eu

L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

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Analyser les enjeux théoriques de la mise en réseau des acteurs du tourisme consiste à présenter la notion de cluster de tourisme mais surtout à développer la spécificité du cluster de tourisme durable (1.1). Cluster sans périmètre territorial et spatial strict, il doit sa raison d’être à son projet de développement, à ses innovations organisationnelles, à sa capacité à les diffuser et à les transférer. Il rend nécessaire l’adoption par les parties prenantes d’une approche localisée participative (1.2).

1.1. Le cluster de tourisme durable (CTD)

Un cluster38 de tourisme ajoute aux fondamentaux d’une destination une dimension relationnelle forte. Le cluster de tourisme est « un espace de coordination et un arrangement institutionnel qui rend la destination visible (du point de vue de la demande) et lisible (du point de vue des parties prenantes)» (Fabry et Zeghni, 2012 : 101). Il est un vecteur d’interactions à double titre. Premièrement, au titre de la connaissance en raison de sa contribution à la production, diffusion, transmission et circulation du savoir tacite et explicite entre les agents, en particulier grâce à la présence d’organismes de formation et d’universités. Cela peut favoriser l’émergence de bonnes pratiques (Forsman et Solitander, 2003). Deuxièmement au titre des externalités d’infrastructures et de réseaux de transports qui favorisent l’accessibilité et les mobilités inhérentes à toute destination touristique. Au-delà de ces interactions, le cluster génère des proximités stratégiques entre les acteurs. Ces derniers, dans le tourisme, sont à la fois interdépendants et complémentaires. Ils développent donc des liens de coopération et de compétition39 qui peu ou prou instaurent une confiance et une collaboration entre les acteurs et contribuent à développer une culture locale. Ces proximités tendent à forger un portefeuille d’actifs spécifique caractéristique du territoire. Ainsi, comme nous l’avons précisé par ailleurs, « le cluster de tourisme est un lieu de création, d’animation et de gestion d’un pool de ressources et d’actifs par des acteurs considérés comme des parties prenantes. (…) Il aide la destination, comprise comme un système économique innovant, à passer de la notion d’espace touristique à celle de destination touristique, ce qui renforce l’attractivité de la destination et la renommée de la place » (Fabry et Zeghni, 2012 : 104).

38. Avant d’être appliqué au tourisme, le cluster a été utilisé pour l’analyse de la concentration spatiale des activités de services et de certaines industries. Il n’y a pas de définition arrêtée et stable du cluster, ce que ses adeptes (Benneworth, 2003 ; Lorenzan, 2005) comme ses contradicteurs ne cessent de rappeler (Motoyama, 2008 ; Torre, 2006). La définition la plus couramment admise est celle de Porter (2000 : 15) pour qui un cluster est “une concentration géographique d’entreprises interconnectées, de fournisseurs spécialisés, de services dédiés, d’entreprises connexes et d’institutions d’un domaine particulier qui à la fois coopèrent et se font concurrence”. Le cluster est considéré comme un outil porteur du dynamisme et du développement économique local (Giuliani, 2005 ; Hill et alii, 2000 ; Möhring, 2005 ). Avec la crise actuelle, il est même présenté comme le moyen de renouveler les bases de l’économie américaine à l’ère post-industrielle, ce que Muro et Katz (2010) qualifient de new cluster moment. Voir également Wolfe et Gertler (2004) pour une application au Canada ; Rosenfeld (2002) pour les Etats-Unis ; Chaminade et Wang (2008) pour l’Asie ; Ketels, Lindqvist et Sölvell (2006) pour les pays d’Europe centrale et orientale ; Ketels (2009) pour la Suède. Pour la genèse du concept de cluster de tourisme voir Fabry (2012), Fabry, Zeghni et Spindler (2010), et pour des applications pays voir Erkus Öztürk (2009), Ferreira et Estevao (2009), Gollub et al. (2002), Jackson et Murphy (2006), McRae-Williams (2004), Nordin (2003), Novelli et al. (2006), Poon 2003.39. Une stratégie sectorielle de coopération entre les firmes du secteur est nécessaire car le cluster est affaire de coopération et non d’alliances (Andersson et al., 2009).

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Le cluster de tourisme gagne à être localisé sur un périmètre territorial précis afin que la destination prenne sens pour les touristes et les acteurs du tourisme. Il peut alors être compris comme un support cohérent à l’action d’acteurs du tourisme ancrés à un territoire à vocation touristique. Le cluster de tourisme doit aussi être appréhendé comme un environnement relationnel capable de générer de l’information, du savoir, des bonnes pratiques et porter les réseaux d’acteurs (Ewen, 2007 ; Fabry et Zeghni, 2011 ; Giuliani et Bell, 2005 ; Nordin, 2003 ; Schoales, 2006), en particulier si on raisonne en termes de cluster de tourisme durable.

Figure 1 : le cluster de tourisme durableFondamentaux de la destination Ressources touristiques

Acteurs et compétencesAccessibilités et infrastructures Commercialisation et venteClimat des affaires avoirs (naturels, culturel, historique, ethnique, créé), événements / festivals…Savoir, compétences, innovations, infrastructures dédiées & équipements, travail qualifié, Qualité, Recherche, universités…

Dynamique générée par le cluster de tourismeLes parties prenantes… Territoires

Acteurs directs et indirectsInstitutions

…créent, gèrent et animent un pool de ressources et d’actifs

Interrelations liées à la connaissanceInterrelations liées aux externalités d’infrastructures et de réseauxProximités stratégiques entre acteurs interdépendants

Dynamique supplémentaire générée par le tourisme durable

Les parties prenantes intègrent le tourisme durable…

Les 4 dimensions de la soutenabilité : environnement, économie, culture et société, politique et institutions.

…dans la création, la gestion et l’animation du pool de ressources et d’actifs…

Innovation de produitsAdaptation, innovation de procédés, Coopération et concurrence entre acteurs, Externalités, Partage du savoir…Normalisation, standardisation

…et les touristes valident le projet touristique

Adoption de pratiques durables par les touristesRenforcement de l’image durable de la destination

Source : d’après Fabry et Zeghni (2012)

L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

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Comme le montre la Figure 1, un cluster de tourisme durable (désormais CTD) est un cluster de tourisme qui respecte et met en œuvre les quatre dimensions de la durabilité40 : (1) soutenabilité environnementale et écologique (i.e. préservation des ressources naturelles et touristiques) ; (2) soutenabilité économique (i.e. utilisation efficiente et management durable des ressources) ; (3) soutenabilité socio-culturelle (i.e. garantie de la diversité culturelle, des valeurs locales) ; (4) soutenabilité politique et institutionnelle (i.e. développement de mécanismes démocratiques, société civile). Ce type de cluster aide une destination touristique à se structurer sur des pratiques et des valeurs durables, à produire des innovations et favoriser l’émergence de pratiques innovantes et durables. La raison d’être du CTD réside dans sa capacité à articuler les actions d’acteurs hétérogènes dans le but de mettre en œuvre, à chaque échelon, des pratiques de tourisme durable afin de produire des externalités, de permettre le partage de savoir, de générer des innovations, contribuant à différencier l’offre (Lazzaretti et Petrillo, 2006) mais aussi à conforter les touristes dans les pratiques durables. La Figure 1 montre l’importance de la dynamique générée par le cluster pour renforcer la cohésion entre les acteurs et leur niveau de coopération pour faciliter l’émergence de pratiques durables. Le concept de CTD met en avant l’importance de l’arrangement institutionnel local pour une destination qui se projette dans le long terme et qui est perçue et reconnue comme telle par les touristes.

1.2. La nécessaire approche localisée participative

Si le concept de cluster s’adapte aussi bien au tourisme, c’est que ce secteur, quelle que soit l’échelle considérée, fait intervenir une multiplicité d’acteurs, individuels et collectifs, publics et privés. Chacun d’eux défend ses intérêts propres, lesquels peuvent être divergents. Il existe donc au sein du tourisme conçu comme système, un ensemble de logiques d’actions. Par exemple, les autorités locales font du développement touristique un instrument de développement économique et social alors que les entreprises recherchent une maximisation individuelle de leur chiffre d’affaires et que les habitants acceptent les retombées positives de l’activité touristiques tout en refusant les nuisances induites par celles-ci. Dépassant le territoire local, tous les acteurs du système doivent également prendre en compte les politiques mises en œuvre par les autorités nationales voire supranationales. Le tourisme n’est donc pas uniquement constitué de marchés ou d’espaces et d’actifs valorisables. Il est surtout constitué d’acteurs avec des compétences stratégiques propres qui agissent dans le cadre de leurs 40. Pour l’OMT (2004) “(…) sustainable tourism should: (1) Make optimal use of environmental resources that constitute a key element in tourism development, maintaining essential ecological processes and helping to conserve natural heritage and biodiversity. (2) Respect the socio-cultural authenticity of host communities, conserve their built and living cultural heritage and traditional values, and contribute to inter-cultural understanding and tolerance. (3) Ensure viable, long-term economic operations, providing socio-economic benefits to all stakeholders that are fairly distributed, including stable employment and income-earning opportunities and social services to host communities, and contributing to poverty alleviation. Sustainable tourism development requires the informed participation of all relevant stakeholders, as well as strong political leadership to ensure wide participation and consensus building. Achieving sustainable tourism is a continuous process and it requires constant monitoring of impacts, introducing the necessary preventive and/or corrective measures whenever necessary. Sustainable tourism should also maintain a high level of tourist satisfaction and ensure a meaningful experience to the tourists, raising their awareness about sustainability issues and promoting sustainable tourism practices amongst them”. http://www.world-tourism.org/sustainable/concepts.htm

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intentionnalités selon des normes juridiques et sociales données et qui ne visent pas forcément la durabilité. Pour devenir une priorité, la durabilité doit s’inscrire dans un espace géographique délimité et progressivement s’imposer aux acteurs comme un choix stratégique pertinent.

Partant du principe qu’un CTD résume le projet de développement d’une destination qui veut vivre du tourisme durable et se développer par le tourisme durable, nous proposons les quatre hypothèses suivantes :

- Proposition 1: le cluster de tourisme durable CTD est le meilleur support pour mettre en pratique le tourisme durable dans une destination. La valeur générée par ce type de cluster est supérieure à l’addition des valeurs individuelles qui la composent.

- Proposition 2 : la mise en place d’un CTD dépend de l’adoption par les acteurs et les institutions de pratiques durables mais aussi du niveau qui porte le développement durable.

- Proposition 3 : l’output d’un CTD est de faciliter (empower) la soutenabilité en mettant en place, en partageant et en diffusant les bonnes pratiques aux sein d’acteurs aux horizons temporels et stratégiques différents voire contradictoires.

- Proposition 4 : une approche localisée du tourisme durable est nécessaire car si le cadre général d’appréhension du tourisme durable est aujourd’hui bien partagé, se contenter d’une approche globale risquerait d’apparaître comme technocratique aux acteurs locaux (Ceron et Dubois, 2000) comme aux touristes.

En fait, le CTD est un espace d’articulation des quatre dimensions de la durabilité et surtout un espace de médiation entre les différents acteurs en présence. C’est ce qui différencie le cluster de la simple gestion localisée des ressources (Theys, 2002).

L’élaboration d’une démarche de tourisme durable doit reposer sur les acteurs d’un territoire dans une logique participative (Fabry et Zeghni, 2010). Comme le suggèrent Ceron et Dubois (2000 : 45), « Si l’on s’intéresse au territoire, on devra organiser un dialogue et une confrontation de différentes catégories d’acteurs avec leur préoccupations et priorités diverses. Il faudra donc à la fois partir d’une spécificité territoriale qui dépasse les préoccupations de chaque catégorie d’acteurs et tenir compte de celles-ci. Pratiquement, cela se traduit par l’élaboration d’une batterie d’indicateurs centrée sur les problèmes identifiés pour le territoire ». Il ne s’agit pas de construire des indicateurs pour eux-mêmes mais d’en faire le cœur d’une démarche de pilotage d’un développement touristique durable. Cette démarche peut être décomposée en 5 étapes (Figure 2).

L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

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Figure 2 – Les étapes de la démarche participative

Source : Fabry et Zeghni (2010 : 361)

Elle prend tout d’abord appui sur un état des lieux du territoire, c’est-à-dire une analyse des politiques publiques et de leurs impacts ainsi que des enjeux locaux d’une part et des attentes des acteurs privés d’autre part. En fait, cette première étape permet d’analyser le potentiel d’agglomération, l’intensité de l’activité touristique, le rôle, l’implication et l’importance de chaque acteur dans le cluster, les relations et leur intensité au sein du cluster, le degré de complémentarité des acteurs, les intérêts divergents des acteurs et de repérer les manques en termes d’activité ou de présence d’acteurs.

Une fois posé l’état des lieux, la seconde étape est celle du diagnostic élaboré sur la base d’une analyse SWOT pour chaque dimension de la soutenabilité afin d’identifier les forces, faiblesses, opportunités et menaces en matière d’adoption des pratiques soutenables. Cette étape devra permettre de savoir si les politiques locales menées sont en conformité avec les enjeux touristiques prioritaires et servira de base à l’élaboration de diagnostics contradictoires. Ces derniers serviront de point d’appui au débat participatif et permettront par la confrontation des points de vue, l’élaboration d’une table locale d’indicateurs du tourisme durable.

Une troisième étape doit permettre de construire et de hiérarchiser avec l’ensemble des acteurs les axes prioritaires tandis que la quatrième étape consiste en l’élaboration du plan d’action.

Enfin, la dernière étape, celle de l’évaluation, consistera à piloter, à l’aide de la table d’indicateurs locaux la politique de développement touristique durable.

La construction, dans le cadre d’une démarche participative localisée, d’une table d’indicateurs locaux permet de prendre en compte la diversité des situations locales tout en gardant un cadre de réflexion global évitant ainsi à la fois l’écueil technocratique et celui du localisme. Cette construction met au centre de l’édifice l’information qui constitue le socle de l’émergence de nouvelles pratiques durables.

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La Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD), de par sa construction partenariale réunissant les collectivités locales, les acteurs privés et les experts universitaires, et sa participation aux programmes européens, constitue une tentative intéressante de constitution d’un cluster de tourisme durable. En adoptant une démarche participative et localisée, la CCTD est devenu un espace de production d’instruments d’évaluation facilement appropriables par les acteurs locaux dont il faudra questionner le statut de cluster au regard de nos quatre hypothèses posées.

2. Construire une approche localisée du tourisme durable : l’exemple de la CCTD

La Cité de la Culture et du Tourisme Durable est un pôle d’excellence rurale41 spécialisé dans le tourisme durable et la valorisation du patrimoine. C’est un espace de production et de partage de savoir, un espace de diffusion des bonnes pratiques et un espace de partage des bonnes pratiques via les nombreuses coopérations internationales essentiellement dans le cadre euro-méditerranéen. Nous allons voir que la spécificité de la CCTD porte sur sa structure en plateforme opérationnelle et sur les outils développés pour faciliter l’émergence de bonnes pratiques durables à l’échelle internationale (2.1). Pour finir, nous nous demanderons si la configuration de la CCTD correspond bien à un cluster au sens où nous l’avons défini dans notre première partie (2.2).

2.1. Une plateforme d’excellence en tourisme durable

La plateforme, créée en 2007, est localisée à Gréoux-les-Bains (PACA) et est articulée autour de trois pôles : le pôle connaissance et expertise qui regroupe des activités de formation, d’observation, de veille, un centre de ressources, des experts, etc. ; le pôle congrès & séminaires qui héberge des séminaires, de l’événementiel et des visio-conférences autour de la problématique de la durabilité et le pôle patrimoine et culture pour gérer et animer le patrimoine culturel du site.

La CCTD présente la particularité d’être un réseau de réseaux localisé et ouvert sur le monde grâce à la plateforme virtuelle et interactive animée par une communauté composée d’acteurs nationaux et/ou internationaux, issus des collectivités territoriales (Région, conseil général, communautés de communes, UE), de la sphère privée (Vacances Bleues, l’Occitane, CCI, voyages SNCF, Orange, Servitour, etc.), des ONG, des universités (Nice, Aix-Marseille, Paris 1, etc.). Elle met en action des partenaires publics, privés, des ONG pas forcément issus du secteur du tourisme mais tous sensibles à la problématique de la durabilité et tous désireux de développer des outils, de partager des bonnes 41. http://poles-excellence-rurale.datar.gouv.fr/

L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

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pratiques labellisées et de créer et transférer des connaissances relatives au tourisme durable.

La gouvernance est de nature participative avec un exécutif (comité de pilotage) et un réseau d’experts42. La participation de la CCTD aux principaux programmes européens tels Interreg III, ERNEST, LEONARDO, GRUNDTVIG lui assure un soutien et un rayonnement institutionnel, financier et international important (Figure 3).

Figure 3 - Programmes et réseaux européens de la CCTD

Source : J.P Martinetti © CCTD

Cette structure partenariale favorise la cohérence des projets locaux (notamment Agenda 21) et engendre une dynamique qui correspond à celle de notre proposition 1.

De même, cette structure partenariale facilite l’adoption par les parties prenantes à la CCTD de pratiques durables en même temps qu’elle est un élément de dynamisme indépendant des acteurs qui portent le développement durable. En ce sens, la CCTD répond à notre proposition 2.

La valeur ajoutée de la CCTD se situe au niveau de l’expérimentation de projets car elle s’appuie sur la production d’outils organisationnels spécifiques et innovants résumés dans la Figure 4 et dans les principes de la gestion de projet durable (Carlier et al., 2006).

42. Les thématiques couvertes sont par exemple : ressources et énergies, veille, qualité, emploi, compétitivité, identité, culture et patrimoine, intégration, mobilité, éthique, climat et biodiversité, territoires, gouvernance, accueil, solidarité…

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Figure 4 : La boîte à outils de la CCTD

Outil Objectif / caractéristiquesSIMC© : Système Informationnel de Management de la Connaissance

Diffuser une veille sur le tourisme durable et alimenter la Revue REPERTOIRE (REvue PERmanente TOurisme Innovation REcherche) Système sécurisé constitué de progiciels spécifiques qui permettent une gestion informatisée des missions de la CCTD et des outils développés à cet effet. Ce système intelligent d‘assistance au développement et d’aide à la décision est accessible par Internet pour les données diffusables au grand public, Intranet pour le personnel, et Extranet pour les données réservées aux abonnés, chercheurs et clients adhérents.

Les composantes du SIMC« Hub » de Gréoux-les-Bains

Animer via l’organisation d’évènements, de colloques, de séminaires, d’expositions, de visio-conférences, etc.

Modules en présentiel ou en e-learning

Former et accompagner les professionnels du tourisme et de la culture désireux d’intégrer la dimension du développement durable dans leurs expertises et leurs projets grâce à des méthodes pédagogiques qui allient connaissance théorique et mise en situation pratique.

Equalto© Piloter et évaluer les projets de développement touristique durable, mais également évaluer les opérateurs et leurs produits ainsi qu’une destination. Equalto a donné naissance à une famille d’outils spécialisés (équipements, produits, destinations).

Evalto© Piloter, évaluer et mesurer l’impact de la fréquentation touristique sur la population locale afin de fixer la capacité de charge d’une destination. Il s’agit d’un procédé d’évaluation des impacts économiques, psychologiques (sur la population) et physique (sur la nature et le paysage) de l’activité touristique sur un territoire. Evalto a donné lieu à la déclinaison d’outils spécialisés dans la mesure d’impacts spécifiques : valeur, acteurs et milieux.

Netjac© Mise en réseau des acteurs, base de données d’échanges d’expériences et de bonnes pratiques, de création de produits et de diffusion de programmes de recherches.Conçu par la CCTD dans le cadre du programme européen ERA-NET ERNEST.

La production d’outils de pilotage et d’évaluation de projet de type EVALTO et EQUALTO est principalement centrée sur une compilation d’indicateurs du tourisme durable de l’OMT et de l’UE. Cette compilation s’est enrichie d’une adaptation de ces indicateurs au contexte local (Agenda 21, charte, schéma, labels, etc.) et d’indicateurs proprement locaux résultant d’un dialogue avec les opérateurs in situ. Il s’agit de mettre en adéquation opérationnelle le projet, le contexte dans lequel il s’inscrit et les règles relatives aux conditions de mise en œuvre du développement durable dans le secteur du tourisme. En ce sens, il constitue un outil privilégié qui peut déboucher à la fois sur une notation et sur le pilotage de projets touristiques. De manière générale, plus la note est élevée, plus le niveau d’excellence atteint est fort. La note AAA correspond à un niveau d’atteinte des critères à 90%, la note C indique un résultat atteint de 10%. Ce procédé propose aux porteurs de projet un cadre de références et un

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outil commun permettant, dès l’amont du projet touristique durable, d’en évaluer l’impact sur la destination.

La base de connaissance sur les bonnes pratiques NETJAC constitue un levier essentiel de diffusion des connaissances. Conçue comme un forum semi-ouvert, les bonnes pratiques sont évaluées en fonction de leur degré de transférabilité et discutées par la communauté. A vocation internationale, elle est un lieu d’échanges permanents.

2.2. Cluster or not cluster ?

Afin de répondre à nos propositions 3 et 4, il faut néanmoins s’interroger sur la nature de la production des indicateurs. Celle-ci repose sur un travail d’experts centré sur des indicateurs généraux à 80% et, pour le reste, des indicateurs locaux (20%). Dans cette phase de construction, le dialogue avec la population, les associations, les collectivités est assez réduit. La prise en compte des documents stratégiques locaux, type agenda 21, par les experts, est certes une démarche tendant à prendre en compte la demande locale. Néanmoins, cette phase de construction n’est pas très participative. De plus, le principe même de notation induit une standardisation des projets c’est-à-dire une mise en conformité de ceux-ci par rapport à des critères largement indépendants du territoire. En ce sens, le CCTD pourrait apparaître comme une agence de notation des projets sans réelle source de légitimité. Cependant l’appropriation et la diffusion de ces outils repose sur une démarche participative qui permet à chaque acteur d’évaluer lui-même son projet. La CCTD fourni la boîte à outils et les acteurs auto-évaluent les projets qu’ils portent. Ce n’est donc pas la CCTD qui note mais l’auto-évaluation à partir d’un outil générique mais néanmoins adapté par l’acteur lui-même à sa propre situation.

Ainsi, dans le cas d’EVALTO, un questionnaire normalisé pour une part de 80% et prenant en compte les spécificités du territoire à 20% est administré à 4 publics : les touristes, les habitants, les professionnels du tourisme et plus largement de l’économie et enfin les décideurs publics. La CCTD n’intervient ici qu’en tant qu’expert logistique mais c’est le client qui évalue in fine son projet.

Il faut donc bien distinguer la phase de construction des outils, réservée aux experts, la phase d’adaptation reposant sur une co-construction avec le client et la phase d’administration de l’outil qui ne repose quasiment que sur le client. Dans un avenir proche il sera sans doute nécessaire d’accroître la démarche participative dans la phase de construction des outils afin de mieux prendre en compte la proposition 4.

La CCTD en développant sa base de bonnes pratiques NETJAC comme outil semi-ouvert de partage contribue à la diffusion des bonnes pratiques non

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seulement au sein des acteurs de la CCTD mais également au sein du réseau euro-méditerranéen auquel elle participe. Cette base de connaissance NETJAC repose sur une démarche participative et collaborative d’évaluation des bonnes pratiques et notamment du degré de leur transférabilité en fonctionnant sur une démarche de type Wiki. Le développement de NETJAC correspond donc bien à la proposition 3.

Conclusion

La CCTD est une plateforme opérationnelle et collaborative qui « produit » de l’expertise, de l’évaluation de projets touristiques et qui repose sur la coopération entre acteurs complémentaires et variés. Le point commun de ces acteurs est leur intérêt, à des titres très divers, pour le développement touristique durable. Cette architecture montre combien un projet de tourisme durable doit être pensé en amont et envisagé dans sa globalité (sociale, économique…). Il confirme que le tourisme durable a besoin de s’appuyer sur un système de management de la connaissance complexe. Mais des outils et un réseau d’experts suffisent-ils à cette tâche ? La jeunesse de la CCTD nous interdit pour l’instant d’émettre des conclusions hâtives.

Le cluster met les acteurs en position d’être co-créateurs et coproducteurs de valeur. Le cluster ne bénéficie pas seulement de la destination mais il donne du sens à la destination et surtout à l’action des parties prenantes. De notre point de vue c’est ce qui marque la différence entre un réseau et un cluster43.

L’exemple de la CCTD questionne la nature de la création, de la diffusion et du partage du savoir au sein d’un cluster. Le cluster est un système complexe animé par des échanges de savoir entre divers niveaux (individus, entreprises, institutions) et entre divers regroupements d’acteurs. Comment ces flux de savoir contribuent-ils à la création d’un nouveau savoir véhiculé et articulé autour des réseaux d’acteurs ? Comme Arthur et al. (2001) l’ont montré, trois catégories de savoir doivent être mobilisés au sein d’un cluster : le savoir pourquoi (les motivations individuelles à développer du savoir et à le partager), le savoir comment (utilisation individuelle du savoir par l’expertise et la compétence) et le savoir qui (liens individuels et relations à travers lesquels le savoir est créé et partagé). Il est alors pertinent de considérer que le cluster de tourisme durable sert de fondement à un cercle vertueux de connaissances et de pratiques dédiées au tourisme durable.

43. Comme le souligne Rosenfeld (2002 : 11) la différence entre un cluster et un réseau se décline en 6 points : (1) les clusters attirent les services spécialisés tandis que le réseau permet aux entreprises d’accéder à ces services spécialisés à moindre coût, (2) les clusters sont ouverts tandis que les réseaux sont fermés en termes d’adhésion, (3) les clusters reposent sur des valeurs sociales (confiance, réciprocité) tandis que le réseau en basé sur des accords contractuels, (4) le cluster attire des entreprises aux compétences proches et complémentaires tandis que le réseau permet aux entreprises de s’engager dans un système de production complexe, (5) le cluster repose sur la compétition et la coopération tandis que le réseau repose sur la coopération, (6) le cluster a une vision collective élargie alors que le réseau s’inscrit plus dans une logique d’affaires.

L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

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L’innovation soutenable dans le tourisme : le cas de la Cité de la Culture et du Tourisme Durable (CCTD)

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Tourisme culinaire et valorisation des pro-duits artisanaux : vers un tourisme durable

par Marielle Salvador-Perignon44

Résumé

Les offres de tourisme culinaire se développent et semblent répondre aux attentes de certains touristes. Dans ce cadre, il est intéressant d’étudier les liens avec les exigences du tourisme durable. Ces liens seront abordés à travers la recherche des caractéristiques des produits artisanaux. En effet, ces produits sont souvent achetés sur les lieux de vacances par les touristes culinaires notamment. Ces produits caractéristiques d’une région, s’ils constituent un moyen de valoriser un capital culturel local, doivent néanmoins être identifiés comme tel par les individus. Si la littérature fournit des éléments de réponse sur ce que sont les produits du terroir pour les consommateurs, il n’existe rien sur ce que signifie chez ces mêmes consommateurs, la fabrication artisanale d’un produit. L’étude des représentations mentales des individus permet d’apporter des précisions quant aux critères saillants d’un produit issu d’une fabrication artisanale, et révèle que ce dernier porte en lui-même les conditions d’un tourisme durable, respectueux des ressources culturelles et naturelles.

Abstract

The activities of culinary tourism are developed and appear to meet the expectations of some tourists. It seems to be interesting to study the links with the sustainable tourism. We research these links through on the characteristics of local products. Indeed, these products are often purchased on vacation by culinary tourists. These products characteristic of a region, if they are a mean to promote a local cultural capital, must be identified as such by individuals. Although the literature provides some answers on what the local produce means for consumers, we have not got information about traditional production. Our study of individuals’ representations provides precisions as to the particular criteria of a traditional product, and reveals that this production in itself contains the conditions of sustainable tourism.

Le marché du tourisme culinaire est en forte progression, en témoigne notamment le succès des coffrets-cadeaux Smartbox « escapades gourmandes » qui représentaient 40% des ventes de la société en 201045. Séjour dans un Relais & Châteaux, week-end autour de la connaissance d’un produit ou repas gastronomique, participation à des ateliers de cuisine, les offres sont diverses. 44. MariELLE SaLvador-PErigNoN, Enseignant-chercheur, ESC Chambéry, [email protected]. « Le tourisme gastronomique a le vent en poupe », Le Parisien.fr, 22 novembre 2009.

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Le touriste culinaire est celui qui associe le but d’une visite touristique à un produit alimentaire local. Cet intérêt pour l’alimentation, cette quête d’authenticité au travers de produits porteurs de l’identité d’un lieu et d’une culture locale, est légitime voire nécessaire pour certains individus. Les sociologues de l’alimentation (Fischler, 1999 ; Corbeau et Poulain, 2001 ; Poulain, 2002) l’expliquent par le paradoxe auquel sont confrontés les individus, tout du moins dans notre hémisphère. N’ayant plus désormais le souci vital de trouver leur nourriture, les voici confrontés à celui de choisir ce qu’ils désirent manger. C’est cette liberté qui entraîne des errances et la recherche de nouveaux ou d’anciens repères gustatifs. Si l’on ajoute à cela les crises alimentaires qui ont ravivé la méfiance à l’égard des aliments, mais aussi l’absence de connaissances réelles des techniques utilisées par les industries agro-alimentaires, le mangeur, face à des aliments devenus des OCNI ou objets comestibles non identifiés (Fischler, 1999), est devenu un être en quête de réassurance (Gallen, 2001).

Toute l’année, le consommateur peut lire sur les packagings la promesse de biscuits issus d’un « savoir-faire traditionnel » (La Mère Poulard) ou que le blé y est « broyé sur meule de pierre » (Agir Carrefour). Les marques, en mettant en avant certaines caractéristiques de fabrication cherchent ainsi à susciter des croyances chez les individus quant à la qualité de leurs produits. Mais en consommateurs de plus en plus avertis, et face à un choix pléthorique de produits dans les linéaires, il ne suffit plus de promettre que le produit est artisanal pour que ces derniers soient tentés de le croire et de se laisser séduire. Dans ce contexte, qu’est ce qu’un produit de fabrication artisanale aux yeux des individus ? Car si la littérature (Aurier et al., 2005) précise les caractéristiques des produits du terroir, nous n’avons trouvé aucune étude relative à la perception par les individus de la fabrication artisanale d’un produit alimentaire.

Il s’agit donc ici de mieux comprendre les liens qui existent entre le tourisme culinaire et le tourisme durable à travers l’étude des caractéristiques des produits artisanaux. En effet, ces derniers font partie de l’offre touristique en générale et de l’offre culinaire en particulier. Il est donc intéressant de mieux cerner ce qui constitue, pour les individus, un produit artisanal afin de mette en exergue les éléments qui seraient constitutifs d’un tourisme durable. Ainsi, après une première partie attachée à définir le tourisme culinaire en tant qu’expérience de consommation touristique et les liens que nous pouvons faire avec le tourisme durable, une revue de littérature mettra en avant l’état des connaissances sur les caractéristiques des produits locaux. Une seconde partie présentera les résultats de notre étude des représentations mentales des individus sur le mode de fabrication artisanal du produit alimentaire et mettra en perspective ces critères au regard des exigences que requiert le tourisme durable.

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1. Expérience de tourisme culinaire et valorisation d’un capital culturel local

Les activités de tourisme dans lesquelles l’alimentation tient une place importante sont diverses et imposent une clarification terminologique afin de fixer les limites de ce que recouvre le tourisme culinaire que nous aborderons au regard du courant expérientiel (1.1). Un tourisme qui, au travers des activités qu’il propose, est à même de favoriser un tourisme durable, comme le soulignent certains chercheurs (1.2). Les expériences touristiques vécues peuvent se matérialiser, voire se prolonger par l’intermédiaire des produits proposés dans les lieux visités. Produits dits du terroir ou qualifiés d’artisanaux dont les caractéristiques méritent d’être explicitées afin qu’ils soient à même de répondre aux attentes de ces touristes d’un genre particulier que sont les touristes culinaires (1.3).

1.1. Tourisme culinaire, gastronomique, agrotourisme : précisions terminologiques et approche par le concept d’expérience de consommation

Le tourisme culinaire consiste à « découvrir et explorer la culture et l’histoire d’un lieu à travers son alimentation et les activités qui lui sont liées par la création d’expériences mémorables » (Long, 1998, p.186). Lorsque l’on évoque un tourisme culinaire, il s’agit en définitive d’insister sur l’idée d’une connaissance et d’une imprégnation d’une culture, d’une société ou d’un lieu à travers les plats et/ou les boissons consommés (Jacobs, Smits, 2007). Selon ces auteurs, il existe différents types de touristes culinaires qui sont fonction de l’intérêt croissant éprouvé pour l’alimentation de qualité (Figure 1). Au plus bas de l’échelle, le touriste culinaire occasionnel est celui qui peut être amené à participer à des activités culinaires mais celles-ci ne sont pas sa motivation première. Il s’agit alors d’un « rural/urban tourism » selon Hall et Mitchell (2005). A un niveau intermédiaire, le touriste culinaire proprement dit choisira sa destination en fonction de l’intérêt culinaro-culturel qu’elle présente. Il recherche plutôt une certaine authenticité lui permettant de saisir « l’esprit du lieu » (Jacobs, Smits, 2007) à travers de multiples activités comme les visites de marchés locaux, de festivals mettant à l’honneur un produit local. Enfin, en haut de l’échelle, le touriste gastronomique organisera son voyage autour d’un ou de quelques établissements de renommée internationale. Il s’agit du « gourmet tourism » selon la classification proposée par Hall et Mitchell (2005). Celui-ci se distingue du touriste culinaire en ce sens que sa motivation est moins la recherche d’une authenticité que celle de vivre des expériences gustatives uniques dans un cadre d’excellence. Enfin, le touriste culinaire ne doit pas, à notre sens, être enfermé dans l’agrotourisme qui privilégie davantage la découverte du milieu agricole dans son ensemble en favorisant les rencontres entre producteurs agricoles et touristes et qui est avant tout une activité touristique complémentaire de l’agriculture.

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Le consommateur est aujourd’hui perçu comme un être à la recherche d’expériences sensorielles, d’esthétisme, de plaisirs et d’émotions afin de donner du sens à son existence. D’une manière générale, les activités liées au tourisme peuvent constituer des expériences au regard du courant expérientiel.

Figure 1 : Le tourisme culinaire (Jacobs, Smits, 2007)

Le courant de recherche initié par Holbrook et Hirschman (1982) a contribué à modifier le regard porté sur le consommateur. Non plus seulement considéré comme un être rationnel, il est perçu comme un être à la recherche d’expériences sensorielles, d’esthétisme, de plaisir et d’émotions afin de donner un sens à sa vie. L’expérience de consommation, définie par Filser (2002) comme les conséquences positives et négatives que le consommateur retire de l’usage d’un bien ou d’un service, est productrice d’émotions et de sensations à travers la distribution et la mise en scène des produits sur le lieu de vente mais aussi de l’individu par un appel à son imaginaire. Si la théâtralisation de certains lieux de vente tend à faire vivre des expériences extraordinaires, Filser (2002) nous rappelle que tout acte de consommation peut être une expérience. Le réenchantement passe autant

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par la revalorisation des expériences les plus ordinaires et les plus simples que par une course à la démesure (Caru et Cova, 2006). L’individu, n’est alors plus seulement un être passif mais bien un producteur actif de sens.

Dans ce contexte, le tourisme culinaire apparaît un terrain favorable à la production d’expériences de consommation chez les individus. En effet, les activités de tourisme culinaires peuvent se déployer selon les quatre phases de l’expérience déterminées par Arnould et al. (2002), à savoir : l’expérience d’anticipation (planification de l’activité), l’expérience d’achat (d’un produit sur un marché), l’expérience proprement dite (lors d’un repas ou lors du contact avec un producteur par exemple) et enfin l’expérience de souvenirs (après la visite chez un producteur). Le tourisme culinaire est par ailleurs propice à la recherche de liens entre les individus autour de valeurs communes, constitutifs de contextes sociaux qui façonnent l’expérience de consommation (Caru et Cova, 2006). Enfin, le touriste culinaire est un acteur expérientiel puisqu’il recherche du sens à travers sa quête d’authenticité. En suivant des stages de cuisine, en découvrant des marchés, le touriste culinaire devient co-créateur de sa propre expérience et participe ainsi à atteindre des sensations et du plaisir.

Le tourisme culinaire est donc une forme de tourisme qui, en privilégiant l’approche d’un lieu et de sa culture au travers des activités qui entourent l’alimentation, est à même de répondre aux exigences d’un tourisme durable.

1.2. Quand le tourisme culinaire favorise l’émergence d’un tourisme durable

Le programme des Nations Unies en 2006 sur le développement durable du tourisme fixe douze objectifs en faveur d’un tourisme durable, respectueux de l’environnement et des cultures locales (Leroux, 2010). L’OMT définit celui-ci comme étant « Un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ». En effet, les activités liées au tourisme n’étant pas fondamentalement économes en ressources naturelles, elles intègrent désormais des problématiques de développement durable. Néanmoins, les conséquences plus ou moins néfastes d’une activité touristique dépendront des objectifs recherchés par les touristes (Camus et al., 2010).

Les attentes du touriste culinaire sont nombreuses mais focalisées sur cette recherche de l’authenticité du lieu, de sa culture et de son histoire, au travers des repas qu’il prendra tout au long de son séjour, et des produits qu’il achètera et qu’il consommera à son retour, prolongeant ainsi le souvenir de ses vacances à la manière d’une madeleine de Proust. Hall (2006) souligne ainsi que le touriste culinaire contribue à sa façon à la diversification et au maintien d’une diversité des

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variétés de fruits et légumes locaux, voire même à la réintroduction de variétés anciennes, abandonnées par la production de masse pour des spécimens à plus hauts rendements. Car pour le touriste culinaire, il n’y a aucun intérêt à retrouver sur son lieu de vacances les mêmes aliments que ceux consommés tous les jours chez lui. Les restaurateurs locaux ont, à ce titre, un rôle important à jouer puisqu’ils peuvent être les premiers à favoriser la rencontre entre ces aliments et produits locaux et le touriste culinaire. Ils sont en quelque sorte des ambassadeurs d’une consommation locale qui favorise par ailleurs la réduction de l’empreinte carbone (Boniface, 2003 ; in Sims, 2009).

L’étude d’Everett et Aitchison (2008) souligne la corrélation qui existe entre l’augmentation de l’intérêt pour le tourisme culinaire et la préservation du capital culturel d’un territoire et de ses ressources naturelles. Le tourisme culinaire, en tant que nouvelle forme de consommation touristique, apparaît également comme un moyen d’assurer la viabilité des destinations touristiques. Car il permet d’étendre la saison touristique qui ne se limite plus exclusivement à une saison, à la manière de la région Périgord, destination estivale mais également hivernale lors de la saison de la truffe, favorisant ainsi des retombées financières plus régulières et plus stables.

Et si les bénéfices sur l’économie locale se déduisent assez logiquement, ils ne sont pas les seuls. Le tourisme culinaire encourage la fierté d’appartenance à une région et le renforcement de l’identité et de la culture locale (Hall, 2006). La promotion des produits alimentaires locaux devient ainsi partie du processus de protection des territoires au travers des labels, des appellations d’origine contrôlées ou protégées. Ces produits en devenant emblématiques d’un lieu, permettent de maintenir la diversité des cultures régionales sur le long terme. Hall emploie ainsi le terme de Slow Tourism pour évoquer ce tourisme proche des principes du mouvement Slow Food.

En définitive, si les conditions d’un tourisme culinaire qui se voudrait durable ne reposent pas exclusivement sur les produits alimentaires fabriqués localement, ceux-ci contribuent néanmoins à véhiculer cette image d’authenticité tant recherchée par ce type de clientèle.

1.3. Produits du terroir, produits artisanaux : quelles distinctions ?

La typicité des produits du terroir et des produits artisanaux est telle qu’ils sont à même de véhiculer une image d’authenticité et de culture, correspondant aux attentes du touriste culinaire. L’authenticité est ici entendue au sens de Camus (2004) qui a permis de faire émerger une échelle de mesure de l’authenticité d’un produit pour les consommateurs en trois dimensions : origine du produit, singularité du produit, projection des valeurs du consommateur dans le produit.

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Nous distinguons volontairement les produits du terroir des produits artisanaux car si la littérature précise les caractéristiques des premiers, celle-ci ne définit pas avec la même précision les seconds.

Thouvenot (1996) propose plusieurs interprétations de ce qu’est un terroir. La première est empruntée à la géographie : le terroir se caractérise alors par des « combinaisons historiques entre facteurs naturels de localisation et minutieux aménagements ou déménagements agricoles réalisés au cours des temps, réalités mouvantes qui vivent et meurent au rythmes des sociétés rurales avec lesquelles ils s’identifient ». Selon l’auteur, l’engouement actuel, essentiellement citadin, prolonge en réalité celui des nobles et des bourgeois du XVIII° siècle pour la nature. A cette époque, le terroir est davantage entendu comme une contrée, une campagne. C’est cette signification qui génère aujourd’hui une autre conception de ce terme qui fait recette : « un symbole culturel et affectif associant gastronomie, goût, savoir-vivre, savoir-être, tradition, authenticité, rusticité, aspiration à une meilleure qualité de vie », et dont on retrouve le sens avec la définition du terroir de la Commission Française du Développement Durable.Les produits issus de terroirs sont des nourritures nostalgiques (Assouly, 2004), la terre étant «auréolée de propriétés et de vertus que le travail du laboureur ou du viticulteur porte à leur comble ». Evoquer le mythe du terroir, c’est provoquer un état nostalgique aux dimensions à la fois cognitive et affective puisqu’il repose sur une mémoire personnelle ou collective, mais également sélective qui transforme les faits, en supprimant les aspects négatifs. Evoquer le terroir c’est donc mentionner la qualité du produit, toute son authenticité, en actionnant des représentations spécifiques d’histoire, de culture et de savoir-faire dans l’esprit des consommateurs.

Si les producteurs définissent clairement ce qu’est un terroir, celui-ci semble rester vague du côté des consommateurs. Aurier et al. (2005) ont donc étudié les perceptions de ces derniers vis-à-vis des produits du terroir. Leur étude a permis de mettre en évidence trois dimensions dans les sources perçues du terroir qui, selon nous, sont révélatrices de cette recherche d’expérience touristique authentique au travers de la quête du produit :

une dimension « géographique », dans la mesure où un produit du terroir - est un produit rattaché à une région d’origine délimitée. Le produit a une identité puisqu’il « vient de quelque part » ;une dimension « métier », liée au savoir-faire traditionnel du lieu et que - l’on retrouve dans les travaux de Camus (2004) sur l’authenticité des produits alimentaires ;une dimension « temps et culture », plus affective, puisqu’elle recouvre - une part de nostalgie (produits de notre enfance, consommés lors des vacances) et d’évasion (découverts lors de voyages).

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Mais dire qu’un produit est de terroir ne suffit plus à convaincre. Les individus doivent percevoir au travers du produit ces trois dimensions. Cela pourra provenir de l’étiquette, du lieu même d’achat (même si l’on sait que certains commerçants peu scrupuleux n’hésitent pas à vendre sur les marchés des ersatz de produits du terroir), des échanges avec le producteur, ou encore des labels. Néanmoins, si certains labels sont des signes de qualité et d’appartenance à un lieu, aucun ne vient certifier que la fabrication d’un produit alimentaire est bien artisanale. Or la caractéristique artisanale d’un produit, parce qu’elle est à même de véhiculer un imaginaire fait d’authenticité et de qualité, est utilisée comme argument de vente aussi bien sur les packagings que par les commerçants eux-mêmes.

Dans l’étude d’Aurier et al. (2005), le terroir est opposé dans les discours à l’industriel, à l’idée de standardisation, mais sans plus de précisions sur ce terme employé. Nous avons néanmoins supposé que les dimensions du terroir relevées par les chercheurs seraient évoquées pour définir un produit artisanal. Mais alors que dans la définition d’un produit du terroir, le mode de fabrication n’apparaît pas comme une dimension à part entière, nous avons émis l’hypothèse que cet intérêt serait plus marqué pour le produit artisanal dans la mesure où la définition de ce dernier vient en stricte opposition au produit qualifié d’industriel. Nous avons donc cherché à connaître quels étaient les critères saillants chez les individus, d’un produit fabriqué artisanalement.

2. Les représentations mentales des individus d’une fabrication artisanale d’un produit fondent un tourisme durable

D’une manière générale, nous pouvons définir le mode de fabrication du produit, qu’il soit industriel ou artisanal, comme comprenant les différentes phases d’un processus, allant de la réception des matières premières à leurs différents traitements inhérents à la création d’un produit alimentaire transformé. Nous distinguons donc le processus de fabrication qui aboutit à un type de conservation, de la conservation elle-même. Afin de préciser ce que recouvre le terme de fabrication artisanale chez les individus, nous avons privilégié une approche par le concept des représentations mentales, emprunté à la psychologie cognitive (2.1). Les items obtenus dans le cadre d’une étude qualitative puis quantitative, caractérisent ce qu’est, pour les individus, un produit alimentaire de fabrication artisanale en opposition à une fabrication qualifiée d’industrielle (2.2). De telles caractéristiques permettent alors de préciser quels sont les moyens qu’il convient de mettre en œuvre, ou de poursuivre, dans une optique de développement d’un tourisme culinaire durable (2.3).

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2.1. L’importance de la prise en compte des représentations mentales des individus dans le domaine alimentaire

Le concept de représentation mentale nous permet de mieux comprendre les rejets ou les acceptations des individus envers certains aliments. Les représentations mentales sont un ensemble de croyances permettant au sujet de comprendre son environnement, c’est-à-dire les associations réalisées par le consommateur sur un produit ou une catégorie de produits et ce qu’il considère comme acceptable ou ce qui, au contraire, apparaît trop éloigné de ses schémas mentaux (Chaney, 2010). Elles se distinguent des représentations sociales en ce sens que celles-ci se situent à l’interface entre la dimension psychologique et la dimension sociale d’un phénomène (Jodelet, 1999), comme la santé ou l’environnement. La prise en compte des représentations apparaît d’autant plus judicieuse que dans le domaine alimentaire, les individus achètent des produits alimentaires pour se nourrir mais également pour ce qu’ils représentent (Gallen, 2005).

Les éléments les plus stables d’une représentation, qui constituent son noyau central (Abric, 1994), sont des éléments stéréotypés. Nous avons donc tenté de faire émerger un noyau commun en dégageant les éléments significatifs autour desquels se cristallisent les représentations du mode de fabrication du produit. Car selon Lambert (1996), le système de représentations qui domine encore aujourd’hui a intégré un univers du comestible qui s’est constitué avec des aliments provenant du secteur primaire agricole, par opposition aux autres produits provenant du secteur industriel qui formeraient l’univers du non comestible. L’enquête de Fischler et Masson (2008) soulignent également cette forte présence dans les discours européens, de l’opposition radicale entre le frais-naturel et l’industriel-transformé46. La perception des produits alimentaires actuels continuerait à s’élaborer de manière fréquente dans ce double univers de représentations auxquelles sont associées des effets supposés positifs ou négatifs.

2.2. Méthodologie d’analyse et résultats

A la lumière des références précédentes, nous avons cherché à faire émerger les critères saillants d’un produit alimentaire fabriqué de manière artisanale par opposition à une fabrication industrielle. Cette étude s’est déroulée en deux phases : une phase qualitative de type exploratoire sur la base d’entretiens afin de faire émerger les premiers attributs d’une représentation mentale (2.2.1), puis une phase quantitative afin de ne retenir que les éléments les plus significatifs de cette représentation qui constituent son noyau central (2.2.2) et permettre l’élaboration d’une échelle de mesure de la représentation d’un mode de fabrication artisanal ou industriel du produit alimentaire.46. A la différence des américains qui pensent davantage la nourriture comme un ensemble de « macro ou micronutriments (lipides, glucides, protides, vitamines, sels minéraux…) », ibid, p. 58.

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2.2.1. Phase qualitative : Existence d’une représentation du mode de fabrication du produit alimentaire

Un terrain qualitatif exploratoire a été entrepris. L’objectif était de savoir si nos suppositions sur l’existence d’une représentation du mode de fabrication artisanal ou industriel étaient fondées. Pour la constitution de notre échantillon de convenance, nous nous sommes attachés à interroger des personnes ayant un intérêt pour l’alimentation, celles-ci étant plus facilement à même de parler de leurs représentations supposées. Les entretiens ont duré entre 45 minutes et une heure. Notre échantillon a été volontairement limité à quinze entretiens car il s’agissait dans cette phase d’identifier l’existence ou non d’une représentation mentale et non de relever des items propres à caractériser cette représentation. Les corpus textuels ont fait l’objet d’une analyse de contenu par thèmes, et non par items, ce qui n’a pas nécessité l’utilisation d’un logiciel. L’analyse approfondie des verbatim révèle ainsi des similitudes en termes de vocabulaire employé et de préoccupations relatives à la manière dont le produit est fabriqué.

Encadré 1 : Méthodologie de l’étude : Phase qualitative de type exploratoire

- Echantillon : 8 hommes et 7 femmes entre 25 et 60 ans, de catégories socio- professionnelles variées, résidant à Dijon ou Toulouse.

- Recueil de données : Entretiens individuels semi-directifs menés aux domiciles des personnes interrogées en face à face. Retranscription intégrale des entretiens.

- Guide d’entretien : Six thèmes abordés au cours de l’entretien : (1) les achats alimentaires, où, comment, ce qui est important ; (2) les critères retenus lors de l’achat d’un produit nouveau ; (3) la qualité d’un produit alimentaire ; (4) les caractéristiques du goût d’un produit ; (5) l’importance ou non des informations données ; (6) les caractéristiques d’un produit artisanal versus industriel.

- Analyse textuelle : Par la recherche de thèmes récurrents dans les discours à travers la lecture des corpus afin de dégager des dissemblances et ressemblances dans les verbatim. Pour cela, nous avons suivi un procédé de comparaison-généralisation menant à des catégories, puis nous avons repéré des thèmes redondants ayant un sens par rapport à la question de recherche et à sa résolution.

Le goût des produits :Le goût des produits est le plus souvent associé à la recherche du plaisir. Il est aussi associé à la qualité des ingrédients et à l’existence ou non d’ajouts et d’additifs. On remarque par ailleurs que certains répondants mettent au point des stratégies pour se réapproprier les plats cuisinés : en les « retravaillant », ils mettent leur signature et redonnent de cette manière, non seulement une forme d’identité au plat cuisiné mais également un goût « convenable », c’est-à-dire plus acceptable que si rien n’avait été fait.

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Entre des gâteaux faits avec de l’aspartam et d’autres faits avec du vrai sucre, et bien je préfère prendre celui qui a du sucre.

Les produits sur le marché, ce n’est pas toujours beau parce que c’est biscornu mais on a l’impression de manger plus sain et de faire plaisir aux papilles. Le goût associé à l’authenticité c’est la qualité pour moi. Les plats cuisinés c’est fait avec des produits bon marché et donc forcément ça n’a pas de goût.Les surgelés, je les retravaille, en rajoutant du sel, du poivre, des oignons, pour pouvoir l’améliorer et pour qu’on arrive au final à un goût convenable.

Informations relatives à la fabrication du produit et à l’importance accordée à l’origine du produit alimentaire :Les discours révèlent une attente en matière d’informations sur l’origine du produit. Cette attente est révélatrice d’une incertitude quant à la provenance des aliments. On retrouve aussi le souci de recréer du lien entre l’individu et le produit. Ainsi un lieu, une région, un label même, suffit à redonner une identité au produit et à rassurer l’individu.

Déjà si c’est écrit « maison artisanale » ; après je vais aller regarder jusqu’aux ingrédients.

Quand on me met que le foie gras vient du Gers, a été produit dans le Gers, je me dis, je connais le Gers, je sais comment le produit a été fait en partie malgré tout, et je me dis au final que le produit peut pas être mauvais.

Mais les fruits bio ils sont moches, rabougris, donc c’est moins appétissant, mais on les mange de bon cœur car on sait d’où ils viennent.

Dimension humaine qui peut exister ou non lors de la fabrication d’un produit :La présence humaine permet de recréer ce lien entre l’individu et le produit. De la main de l’homme, l’on accepte les irrégularités de la nature qui deviennent un gage d’authenticité, de qualité. La dimension humaine sera donc plus ou moins importante selon le mode de fabrication considéré.

Chez le producteur qui a un petit magasin, déjà tu auras l’aspect explications sur le produit ; dans la manière dont il est travaillé, d’où vient le produit tout simplement.

Le packaging c’est le fermier ou le producteur. C’est lui qui va te parler tellement avec amour de ce qu’il fait que là il pourrait te le donner dans un papier aluminium que ce serait pareil ; tout le charme est là, dans le contact.

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Attachement du produit avec une région :On retrouve ici une dimension qu’Aurier et al. (2005) avaient soulignée à propos des caractéristiques des produits de terroir. On retrouve également le lien, cette fois-ci avec la région qui apparaît elle aussi créatrice d’identité pour le produit.

Il y a des régions de production qui sont réputées de par leur tradition, de par le savoir-faire des gens au niveau local.

Quand je me déplace dans les petites villes parce que je connais les gens qui les font. Je ne les achète pas en grandes surfaces, je vais surtout voir des gens que je connais.

Images d’un système de production standardisé :Ces discours révèlent un certain nombre d’images qui caractérisent la production industrielle des produits alimentaires : une fabrication à la chaîne, qui conduit à des produits « sans amour ». En effet, l’industrie agroalimentaire, en proposant des produits de plus en plus proches de l’état de consommation, s’est déployée dans un espace réservé auparavant aux femmes (Poulain, 2002). Le produit industriel est ainsi dépourvu de qualités affectives autant que symboliques.

Il est également produit en grande quantité : la taille de la production joue en effet un rôle important et Kaufmann (2005) l’avait d’ailleurs souligné à propos des commerces. « (…) Tout ce qui est « petit » classe automatiquement le mangeur (pense-t-il) du côté du Bien. Tout ce qui est « grand », du côté du Mal ». Propos contradictoires avec le geste souligne t-il, puisque les grandes surfaces ont continué à se multiplier47. La production à la chaîne est aussi synonyme de goûts identiques et donc d’un manque de saveurs. Peut-être faut-il davantage comprendre ici un manque de variété dans les saveurs (quoique les industriels se donnent du mal pour justement en créer de nouvelles).

Quelqu’un qui respecte ce qu’il fait, qui le fait avec amour, y’a des saveurs, des goûts qui sont pas fabriqués à la chaîne. Les produits surgelés j’ai l’impression que c’est fait à la chaîne dans des usines et que c’est de la mal bouffe alors que dans le rayon traiteur ce sont des produits qui doivent respecter des délais de conservation très limités et donc ils font très attention.

Images d’un mode de production traditionnel :Le produit artisanal est, semble-t-il, condamné à rester petit, en termes de quantité. Ce qui est bon est donc petit. Ces verbatim soulignent également l’existence d’une association à du « fait maison », à la famille et au passé, qui ne sont pas sans rappeler l’ancrage spatio-temporel de ce type de produits décrit par Gevret-Debucquet (2005) dans sa thèse. 47. On pourrait opposer aujourd’hui la tendance au réinvestissant des centres-villes par ces enseignes qui proposent des superettes afin de se rapprocher de leurs clients.

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Enfin, les discours révèlent les représentations qui existent sur les contenants : le bocal en verre (comme ceux faits par la grand-mère) est un gage de qualité, mais la conserve pourra l’être aussi dans la mesure où elle aura donné l’impression d’avoir été préparée « amoureusement » : l’ancrage à travers le lien familial va permettre de donner une identité au produit.

En bocal, J’ai l’impression que c’est plus traditionnel et puis je vois ce que j’achète. Ca me donne l’impression que c’est comme si c’était du fait maison.

J’ai vraiment l’impression qu’il y a eu quelqu’un derrière son fourneau qui a travaillé son produit et qui a mis ça en conserve. Un petit peu comme ma grand-mère qui fait ses conserves elle-même.

Un produit artisanal c’est un petit traiteur en petites quantités. Un produit fait de la main de l’homme et pas par une machine.Un produit artisanal qu’on trouve en grande quantité, j’ai des doutes.

Cette étude qualitative nous a permis de vérifier que nos suppositions préalables concernant l’importance du mode de fabrication étaient justes au regard de la lecture de nos entretiens et aux positions, pour certaines, assez tranchées chez une moitié des répondants. Par ailleurs, nous avons retrouvé, comme nous le supputions, certaines dimensions mises en relief par Aurier et al. (2005) concernant les associations liées au terroir.

La phase suivante nous a permis de dégager les critères les plus significatifs de ces représentations afin de faire émerger un instrument de mesure de la représentation du mode de fabrication d’un produit alimentaire puisque celle-ci n’est pas observable directement.

2.2.2. Phase quantitative permettant de dégager les éléments significatifs d’une représentation d’une fabrication artisanale du produit

Notre choix méthodologique s’est porté sur une combinaison de la procédure COARSE (Construct-Object / Attribute / Rater-Scale / Enumeration) de Rossiter (2002) et de la procédure plus classique de Churchill (1979). En effet, la démar-che psychométrique préconisée par Rossiter a été retenue pour la définition du domaine conceptuel et la génération des items. L’intérêt de cette approche réside notamment dans la recherche d’une meilleure validité faciale et dans une réflexion approfondie sur le construit ce qui donne au chercheur un cadre défini qui peut faciliter la détermination des items. A notre connaissance, cette procédure n’a pas encore été utilisée dans le cadre d’une analyse des représentations alimentaires des individus. Néanmoins, si nous privilégions une méthode d’identification des dimensions qui prend en compte la totalité des propositions relatives aux différentes facettes de notre construit, nous ne respectons pas la totalité des préconisations de Rossiter dans la mesure où nous n’abandonnons pas la

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méthode de Churchill. Nous pensons en effet qu’elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre, la procédure de Rossiter permettant de consolider la validité faciale d’un construit, et celle de Churchill consolidant plutôt la validité de trait.

Les six étapes de la procédure COARSE insistent sur les relations d’indépendance entre le concept et l’objet. En effet, les composantes du concept doivent être les mêmes, quel que soit l’objet de la mesure. Un construit est, pour Rossiter (2002), un phénomène d’intérêt théorique dont la définition conceptuelle doit comporter l’objet et ses constituants, l’attribut et ses composants et des répondants afin de mesurer le construit. Au terme des trois premières étapes de la procédure, notre construit est la représentation du mode de fabrication (attribut) de produits hédoniques (objet) par les individus (répondants) 48.

Pour les étapes suivantes qui requièrent l’élaboration de questionnaires, nous avons suivi les recommandations de Rossiter (2002)49. La dernière étape de la procédure COARSE est le calcul d’indices par une moyenne des scores obtenus pour les n composants de chaque attribut. Dans la mesure où nous avons choisi de combiner cette procédure avec celle de Churchill, nous n’avons pas retenu ces indices et avons entrepris des analyses factorielles exploratoires à fin d’épuration et confirmatoires à fin de validation de notre échelle.

Encadré 2 : Méthodologie de l’étude : Phase quantitative

- Echantillon : Echantillons de convenance de 450 individus en phase exploratoire et 211 individus en phase confirmatoire.

- Recueil de données : Phase exploratoire : les individus ont répondu par Internet à un questionnaire sélectionné aléatoirement sur les trois existants (trois marques différentes de confitures de fraises). Phase confirmatoire : les individus ont répondu à l’un des six questionnaires sélectionné aléatoirement (deux produits - confiture et biscuits secs - trois marques différentes).

- Analyse des résultats (sous SPSS et Statistica) : Analyses en composantes principales avec rotations obliques. En phase exploratoire, l’épuration des items a abouti à 11 items restituant 61,011% de la variance totale. En phase confirmatoire, 5 items ont été écartés afin de dégager une structure claire et ne retenir que les items offrant une variance totale expliquée maximum.

Ces analyses factorielles exploratoires puis confirmatoires, ont révélé des poids factoriels et des indices acceptables (Tableau 1) qui nous permettent de valider l’existence d’une représentation chez les individus, d’un mode de fabrication 48. Sans entrer dans les détails de l’émergence de notre construit qui n’est pas le cœur du sujet de cet article, précisons que la phase de définition de la nature de notre attribut a nécessité l’envoi d’un questionnaire à un échantillon de convenance de 56 individus et de 18 experts (professionnels du secteur, enseignants-chercheur en marketing agro-alimentaire). 49. Reprise de tous les attributs définis par les individus et les experts, présence de l’objet et de l’attribut dans chaque question, utilisation d’échelles sémantiques différentielles, et randomisation des items.

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artisanal ou industriel d’un produit alimentaire caractérisée par six items expliquant 70,117% de la variance totale.

Tableau 1 : Poids factoriels et indices

Poids factoriel Stat. t

Processus fabricationGoût identique ou non

Fait maison ou nonHistoire d’une régionSavoir-Faire ou nonAuthenticité ou non

0,7760,7270,8200,8300,8750,773

35,42128,71644,07846,45160,07434,972

Alpha de Cronbach 0.913

Rhô de Joreskog 0.701

Chi2/ddl 94.9407/9

Les items retenus précisent les contours des représentations d’un mode de fabrication industriel ou artisanal d’un produit alimentaire (Tableau 2).

Tableau 2 : La représentation du mode de fabrication artisanal ou industriel du produit alimentaire chez les individus

Fabrication industrielle Fabrication artisanaleProcessus automatisé Processus manuel

Goût identique selon les saisons Goût différent selon les saisonsN’a rien à voir avec du fait maison Ressemble à du fait maison

Sans lien avec l’histoire d’une région Produit associé à l’histoire d’une région

Inexistence d’un savoir-faire régional des fabricants

Existence d’un savoir-faire régional des fabricants

Produit non authentique Produit authentique

La représentation du mode de fabrication industriel d’un produit alimentaire est donc une représentation d’une production standardisée, d’un travail à la chaîne qui laisse supposer une recherche de rentabilité. Ce type de fabrication qui n’est ancré dans aucun savoir-faire particulier aboutit à des produits sans identité réelle et sans authenticité au sens de Camus (2004). A l’inverse, la représentation d’une fabrication artisanale apparaît en définitive assez idéalisée chez les individus. Ceci tend à penser que toute recherche de modernisation de la production semble compromise pour l’artisan sans passer, aux yeux des individus, à une fabrication industrielle. Cela peut se comprendre car, comme le souligne Camus

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(2003) en soulignant les propos de Potterie (1994) sur l’authenticité, « le client achète la partie pour le tout. Il s’approprie un lieu géographique et un idéal de vie traditionnel proche de la nature ». Acheter un produit artisanal c’est acheter une part du terroir mais aussi une part de rêve d’une autre vie idéalisée, vue sous l’angle du touriste de passage dans un pays étranger qui « tomberait sous le charme ».

Le produit alimentaire fabriqué artisanalement apparaît donc ancré dans l’espace et dans le temps. Ce produit relie les individus à un terroir, un savoir-faire issu des générations passées. Le travail de l’homme, la « patte » de l’artisan, est là pour transmettre cette mémoire et pour faire perdurer un patrimoine culinaire. La réalisation du produit alimentaire (re)devient alors une activité noble, ancrée dans la terre « auréolée de propriétés et de vertus » (Assouly, 2004). L’artisan ne faisant au final que « parachever quelque prédisposition fondamentalement spontanée ou naturelle » issue du sol, le soin apporté conférant toutes les qualités et la saveur du produit. L’individu a alors l’impression de connaître, ou tout du moins de deviner, les secrets de la fabrication du produit qui n’est plus alors source d’incertitude. Cette production se doit d’ailleurs d’être « brute », sans réflexion marketing comme si toute étude commerciale devait forcément compromettre, dénaturer l’authenticité du produit. On retrouve les dimensions métier, géographique, historique et culturelle développées par Aurier et al. (2005) au sujet des facteurs de catégorisation des produits du terroir.

Un produit fabriqué de manière artisanale véhicule donc des symboles porteurs de significations. L’homme y tient une place importante : lien entre la terre et ce qu’elle donne et le consommateur final, la présence ou l’absence de la main de l’homme, et donc de son savoir-faire, conditionne la représentation du processus de fabrication.

A l’inverse, un produit fabriqué de manière industrielle est un apatride, le fameux OCNI (objet comestible non identifié) de Fischler. Il est dépourvu des qualités affectives du « fait maison » et est synonyme de goûts toujours identiques, détachés des saisons.

2.3. Discussion : Les critères saillants pour les individus d’une fabrication artisanale des produits mettent en avant les caractéristiques d’un tourisme durable

Selon nous, les critères d’une fabrication artisanale d’un produit alimentaire révèlent en leur sein les conditions d’un tourisme durable respectueux des ressources naturelles et culturelles. En effet, si l’on reprend les objectifs mis en avant par les Nations Unies dans son programme en faveur d’un tourisme durable, on ne peut que constater la concordance de certains d’entre eux avec les caractéristiques du produit alimentaire artisanal relevées. Ainsi, la fabrication

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artisanale exigeant aux yeux des individus, un processus manuel pour l’artisan, suppose une production aux antipodes de la production de masse et donc une utilisation des ressources naturelles à petite échelle. De même, le fait qu’un produit fabriqué artisanalement doit avoir un goût différent selon les saisons, suppose ce même usage rationnel des ressources mais également un respect des saisons. Car le touriste culinaire, dans sa quête de découvertes locales et authentiques, permettant de capter « l’esprit du lieu » pour reprendre Jacobs et Smits (2007), saura se montrer curieux face à la réhabilitation de légumes ou plantes oubliées. Les acteurs locaux ont à ce titre un rôle majeur à jouer en termes de promotion de cette diversité biologique. Nous pensons en particulier aux restaurateurs qui sont parmi les premiers en contact avec les touristes et souvent les mieux placés pour promouvoir les produits locaux. En parlant du produit et de l’artisan, ils participent selon nous au développement local et à la promotion d’un tourisme culinaire en mesure de remplir les objectifs d’utilisation rationnelle des ressources et de diversité biologique qui vont dans le sens d’un tourisme durable. D’ailleurs, certains grands chefs français ont le souci de valoriser les produits de leurs régions et sont constitués en associations (Les Toques Blanches Lyonnaises, Savoie-Mont Blanc Terres d’étoiles pour ne citer que celles-ci) pour une plus grande visibilité de leur positionnement.

Les critères « ressemblant à du fait maison », « fabrication associée à l’histoire d’une région », et « fabricants possédant un savoir-faire régional » mettent davantage l’accent sur le respect de la culture culinaire locale, des traditions et de ses particularités. La fabrication artisanale d’un produit est donc porteuse d’une certaine préservation de la richesse culturelle d’un lieu, critère également retenu comme faisant partie intégrante d’un tourisme qui se voudrait durable. De ce fait, la production artisanale, nécessitant la main de l’homme, peut s’avérer pourvoyeuse d’emplois d’artisans locaux capables de reproduire les gestes ancestraux qui confèrent toute la noblesse au produit. Fabrication et vente de produits artisanaux sont donc à même de créer des emplois directs et indirects qui participent à la prospérité d’une communauté locale, autre objectif posé par le programme des Nations Unies. Et dans l’hypothèse où les ventes interviennent dans le cadre d’activités (ateliers, festivals) proposées, non plus seulement lors des périodes estivales mais tout le long de l’année, les produits artisanaux peuvent favoriser une meilleure viabilité des entreprises liées au tourisme culinaire et au tourisme en général.

Par ailleurs, nous pouvons faire un parallèle entre les principes du mouvement Slow Food et l’exigence d’authenticité du produit artisanal pour les individus. En effet, nous avons souligné qu’un produit authentique est un produit dans lequel on reconnaît l’origine locale, la singularité et la projection des valeurs du consommateur. Or, l’origine locale du produit est en conformité avec le principe de respect de l’empreinte carbone, et la singularité du produit tend à favoriser la diversité biologique locale. Et l’achat d’un produit artisanal peut

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parfois être rapproché d’un acte militant, conforme là encore aux principes prônés par le mouvement slow food et au travers desquels l’individu peut se reconnaître50. Là encore, la limitation des impacts sur l’environnement au travers d’une consommation de produits fabriqués localement est constitutive d’un développement d’un tourisme durable.

Néanmoins, les résultats de la récente étude sur les représentations des français vis-à-vis du tourisme durable (François-Lecompte et Prim-Allaz, 2011) montre un décalage entre les perceptions des répondants et les principes mis en avant par les instances internationales. Le tourisme durable apparaît plus comme un autre type de voyage (au contact de la nature et de la population sans intermédiaire) que comme des principes énoncés pour favoriser le changement et les effets néfastes du tourisme de masse. Les auteurs préconisent donc de revoir la façon dont est présenté le tourisme durable, en mettant l’accent sur le plaisir et non sur l’effort que recouvrent, aux yeux des individus interrogés, les principes du tourisme durable. C’est dans ce contexte que le tourisme culinaire, qui associe durabilité avec authenticité et plaisir à fort contenu expérientiel, apparaît comme une offre touristique à développer et à rendre plus visible.

Conclusion

La valorisation des produits artisanaux dans le cadre d’activités liées au tourisme culinaire n’apparaît donc pas incompatible avec la définition même du tourisme durable. En répondant aux attentes d’authenticité et de valeurs recherchées par les touristes culinaires, la production de produits artisanaux est conciliable avec les objectifs du programme de développement durable du tourisme en termes d’impacts économiques, sociaux et environnementaux.

Cette étude sur les représentations mentales devra être approfondie afin de pouvoir généraliser nos résultats, en testant par exemple notre échelle sur d’autres types de produits. Néanmoins, elle permet de préciser ce que les individus peuvent attendre d’un produit qualifié d’artisanal, et souligne l’importance que revêt les spécificités régionales et de fabrication des produits alimentaires aux yeux des consommateurs. Et les conséquences ne sont pas seulement économiques même si, rappelons-le, les petites entreprises représentent encore 90% du secteur agroalimentaire français. L’engouement actuel pour le tourisme culinaire est une occasion supplémentaire qui nous est donnée de repenser le tourisme. Par son approche qui privilégie la découverte d’un lieu et de savoirs-faires locaux, le touriste culinaire recherche avant tout l’authenticité aussi bien dans ses rencontres, qu’au travers des produits locaux qu’il consomme ou qu’il est susceptible d’acheter. Nous avons également montré que les caractéristiques attendues d’un produit alimentaire de fabrication artisanale imposaient de fait,

50. Le mouvement Slow Food est « contre la production de masse et les menaces qu’elle fait peser tant sur les ressources naturelles que sur les conditions de vie des agriculteurs et des producteurs en général ».

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l’application d’un certain nombre de principes de développement durable. De ce point de vue, nous pensons que le tourisme culinaire est en définitive un tourisme durable.

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Tourisme durable et expériences touristi-ques : un dilemme. Proposition d’un dispositif d’analyse appliqué à l’itinérance en milieu rural

par Antoine Marsac51, Anne-Marie Lebrun52 et Patrick Bouchet53

Résumé

L’objectif de cet article est de proposer un dispositif d’analyse qui prenne en compte aussi bien les effets du tourisme en termes de développement durable et de valorisation des territoires que les expériences récréatives recherchées ou vécues par les touristes. Ce dispositif requiert une approche multi-échelle et pluridisciplinaire combinant l’apport des sciences de gestion à celui des sciences sociales. Il appréhende l’expérience touristique à travers l’analyse des discours des touristes et l’observation des interactions, l’analyse des usages des territoires couplée à l’étude des pratiques des prestataires. Une application de ce dispositif au tourisme itinérant en milieu rural est présentée et elle met en perspective le dilemme dans lequel sont pris les acteurs et parties prenantes pour s’engager dans une démarche d’aménagement durable face à la recherche d’expériences tous azimut de la clientèle qui peut être synonyme de destruction des richesses et/ou des potentialités des territoires pour les populations locales.

Abstract

The purpose of this paper is to provide an analytical device. This device must take into account both the effects of tourism in terms of sustainable development and valorization of territories than recreational experiences sought or lived by tourists. This scheme requires a multi-scale and multidisciplinary approach combining the contributions of management science and the social sciences. It captures the tourist experience through discourse analysis of tourists and observing of interactions, analyzing the uses of the territories, combined to the study of provider practices. An application of this scheme to rural itinerant tourism is presented and it puts into perspective the dilemma in which are caught actors and stakeholders to engage in a process of sustainable development face of research experiences of customers who can mean destruction of wealth and / or potentialities of the territories for local populations.

51. aNtoiNE MarSac, Maître de Conférences, Université de Bourgogne, Laboratoire Socio-psychologie et Management du sport,EA 4180, [email protected] LEbruN, Maître de Conférences, Université de Bourgogne, Laboratoire Socio-psychologie et Management du sport, EA 4180, [email protected]. Patrick bouchEt, Professeur des Universités, Université de Bourgogne, Laboratoire Socio-psychologie et Management du sport,EA 4180, [email protected]

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Suite au sommet de Rio de 1992, la problématique du développement durable se développe dans de nombreux pays (Leroux, 2010a) et s’étend au tourisme pour former le concept de tourisme durable. Selon la définition de l’OMT (2004), « le développement durable du tourisme requiert la participation, en connaissance de cause, de tous les acteurs concernés, ainsi qu’une forte direction politique pour assurer une large participation et l’existence d’un consensus. Le tourisme durable est le fruit d’efforts permanents et il exige le contrôle constant des effets de cette activité, ce qui suppose l’adoption, chaque fois qu’il y a lieu, des mesures préventives et/ou correctrices nécessaires ». Dès lors, les principes directeurs du développement durable et les pratiques de gestion durable du tourisme sont applicables à toutes les formes de tourisme dans tous les types de destination, y compris dans le tourisme rural. Rappelons que l’espace rural en France, qui n’a pas bénéficié de grands plans d’aménagement à l’instar du littoral ou de la montagne, s’est structuré de manière assez autonome, et donc de manière très différente selon les territoires et les prestataires présents. Le tourisme rural qui assure aujourd’hui une part non négligeable de l’activité touristique

en France, comprend 28,5% des nuitées, étalées de façon assez régulière tout au long de l’année, même si 70% d’entre elles se font dans des hébergements non marchands, en résidence secondaire, chez des parents ou des amis (CNT, 2010).

La définition du tourisme durable (OMT, 2004) se focalise en particulier sur la gouvernance territoriale du tourisme durable (Van der yeught, 2009) et s’intéresse assez peu aux touristes puisque dans l’esprit de l’OMT « le tourisme durable devrait aussi satisfaire, au plus haut niveau possible, les touristes, et qu’il représente pour eux une expérience utile en leur faisant prendre davantage conscience des problèmes de durabilité et en encourageant parmi eux les pratiques adaptées ». Les destinations touristiques doivent prendre en compte la transformation structurelle de la demande des touristes aujourd’hui plus sensibles à la qualité de l’expérience vécue et à la protection de l’environnement naturel (Cuvelier, 2000 ; Nadeau, 2000 ; Ritchie et Crouch, 2000 ; Leroux, 2010b). A cet égard, le visiteur, qu’il soit touriste ou excursionniste, doit être au centre du développement touristique territorial quelque soit le milieu d’accueil. C’est lui qui imagine le produit ou les produits qu’il désire consommer, car avant même d’exister, le produit touristique aura en effet été imaginé, planifié, rêvé par un voyageur potentiel. C’est donc bien la reconstitution du corps et de l’esprit qui est en jeu pour l’individu dans cette consommation à travers un projet intentionnel (parfois existentiel), celui-ci ne se limitant pas à la détente et au divertissement et faisant parfaitement écho au déplacement et à l’altérité (Knafou, 2002). Les régions réceptives doivent faire savoir à ce voyageur qu’elles peuvent (ou non) satisfaire ses désirs et lui concocter des séquences de consommation propices à lui faire vivre diverses expériences recherchées.

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Les formes que prennent les produits touristiques sont pratiquement infinies et en perpétuelle évolution. La littérature anglo-saxonne spécialisée rassemble volontiers sous le vocable de « recreation » les activités relatives au tourisme et aux loisirs (Graburn, 1989 ; Iso-Ahola, 1980). L’importance de cette notion de récréation réside dans la possibilité, d’une part, de dépasser les problèmes sémantiques (entre loisirs, tourisme, jeux…) et, d’autre part, de donner du sens aux pratiques des touristes vues comme des passe-temps éphémères ou des passions dévorantes. Les formes de tourisme sportif itinérant se caractérisent par les déplacements hors du lieu de résidence à des fins itinérantes et de découverte des territoires via les pratiques sportives et récréatives (rafting, canoë, saut à l’élastique…) où les itinéraires « doux » supplantent les déplacements motorisés dans une approche de tourisme durable. En milieu rural, il s’inscrit dans le marché du tourisme sportif à l’interface du tourisme culturel, du tourisme de nature et du tourisme durable. Dans le cadre du tourisme itinérant durable, quelle expérience touristique le visiteur cherche-t-il à vivre en milieu rural ? Minimalement, on pourrait se demander, dans un premier temps, s’il désire vivre une expérience liée à la nature, à la culture ou une combinaison des deux (Graburn, 1989) ? S’il désire une activité liée à la nature, décidera-t-il de s’adonner à une pratique active comme le VTT, le golf ou la voile, ou à une activité plus passive liée au bien-être (wellness) comme le spa, les massages… ? Ces expectatives « expérientielles » sont propres à chaque individu et demeurent floues jusqu’à ce qu’elles aient pris forme et aient été consommées sur un territoire.

L’objectif de cet article est de proposer un dispositif d’analyse qui prenne en compte aussi bien les effets du tourisme en termes de développement durable et de valorisation des territoires que les expériences récréatives recherchées et vécues par les touristes.

Une première partie présentera les fondements de ce dispositif qui requiert une approche multi-échelle et pluridisciplinaire combinant l’apport des sciences de gestion à celui des sciences sociales et impliquant des méthodologies hybrides. Une deuxième partie présentera l’intérêt de ce dispositif d’analyse pour le développement durable des territoires ruraux face aux problèmes de coordination des actions, à la profusion de produits récréatifs et aux risques de destruction des richesses et/ou des potentialités des territoires. Une dernière partie sera consacrée à une application du dispositif d’analyse au tourisme itinérant en milieu rural.

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1. Les fondements d’un dispositif d’analyse des expériences récréatives en milieu touristique rural

Les produits récréatifs peuvent être regroupés en trois grandes catégories d’expériences. D’abord, les produits thématiques qui réfèrent à des expériences de voyage typées comme l’agrotourisme, le tourisme culturel, le tourisme urbain, le tourisme de luxe, etc. Ensuite, les produits destinations qui conduisent à expérimenter une région, une ville ou même un site (une attraction, un centre de villégiature, etc.). Enfin, le produit activité qui se focalisera sur un sport (le golf par exemple) ou un événement (un congrès ou un festival par exemple). Le choix de l’expérience touristique recherchée, donc du produit, serait en amont du processus décisionnel conduisant au choix d’une région ou d’un site de destination (Bouchet et Lebrun, 2009). Ces produits récréatifs forment des ensembles plus ou moins grands, plus ou moins flous, à l’intérieur desquels la grande majorité des visiteurs qui rêvent de partir en voyage sont susceptibles de se retrouver. Ces produits sont en continuelle mouvance selon les effets de la mode, de l’innovation et de l’imagination des touristes et des promoteurs. Au-delà d’un positionnement sur la simple base de produits nature ou culture, les régions en milieu rural ont tout avantage à préciser le type de produit qu’elles désirent mettre en marché quitte à réduire le marché touristique potentiel, mais augmenter leurs chances de pénétrer les segments visés.

1.1. Un positionnement théorique multi-échelles, pluridisciplinaire et interculturel

Notre positionnement théorique à la fois multi-échelles, pluridisciplinaire et interculturel, l’accent est mis sur les expériences vécues par les individus et co-produites par la société, entre déterminisme et individualisme, entre induction et déduction. Cette conceptualisation subjective et objective de la réalité sociale sert à l’élaboration de dispositifs théoriques explicatifs qui s’affinent et évoluent chaque jour. Dans ce cadre, nous défendons l’idée que les expériences recherchées ou vécues par les consommateurs (les usagers) dans des territoires supports donnés (ici en milieu rural) sont la résultante d’interactions entre leur projet (personnel ou groupal), les pratiques récréatives potentielles (actives ou passives) et les productions des prestataires (biens ou services). C’est donc dans une perspective interdépendante que s’inscrit notre proposition de dispositif d’analyse des expériences récréatives en milieu rural (cf. Figure 1) où chaque élément (consommateurs, pratiques, prestataires, territoires) est souvent étroitement lié aux autres, mais ils peuvent être étudiés séparément ou pris deux à deux. Ce dispositif d’analyse des expériences récréatives en milieu rural doit permettre de comprendre l’abondance et la diversité des produits actifs (comme l’itinérance) et passifs (comme le bien-être) offerts ou consommés aujourd’hui, tout en s’interrogeant sur leur pérennité eu égard à des perspectives de développement plus responsables et citoyennes des territoires, des prestataires

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(associatif, public et commercial), des acteurs et des populations présentes en milieu rural.

Figure 1. L’expérience au cœur d’un dispositif d’analyse des pratiques récréatives des consommateurs dans des territoires ruraux

Consommateurs

(Allochtones ou Autochtones)

Prestataires et produits

(associatifs, publics et commerciaux)

Territoires ruraux (privé/public, marchand/non-marchand)

Pratiques récréatives actives (itinérance) ou

passives (bien-être)

EXPERIENCE (RECHERCHEE

OU VECUE)

Catégories

Projets

Produits

Supports

Dans cette vision de la construction sociale de l’expérience récréative, notre dispositif d’analyse invite à une multipolarité théorique fédérant ou associant des notions qui, entièrement autonomisées les unes des autres, perdent de leur rendement heuristique. L’articulation et l’enrichissement des théories issues des champs du comportement du consommateur et des « sciences du social » par le biais de la notion d’expérience participent de cette volonté de cohérence générale. De plus, par ce dispositif d’analyse, il est nécessaire de rassembler les dimensions cognitives, affectives, sociales des consommateurs, dimensions qui sont trop souvent en rapport de dominance les unes envers les autres, voire opposées selon les situations. Il est notamment faux de prétendre que le comportement de l’individu est tantôt individuel (psychologique) et tantôt social (sociologique et anthropologique). En fait, les sciences du social sont des manières différentes d’étudier l’individu en société, la première mettant l’accent sur l’individu et ses particularités, les secondes sur ce que l’individu a de commun avec d’autres individus dans un même contexte socioculturel. L’intérêt du recours à un dispositif d’analyse hybride est de pallier la faiblesse des objectifs trop intuitifs, tout en gardant des instruments d’exploration et de découverte d’informations nouvelles et tout en faisant progresser les systèmes de validation (Andréani et Conchon, 2002). Cette hybridation renforce et améliore les objectifs d’étude, et panache les techniques de recueil d’informations, ce qui a pour conséquence d’enrichir les solutions et de confirmer les données.

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1.2. Des indicateurs d’analyse sous forme de continuums

De façon conventionnelle, les touristes ont été traditionnellement classifiés en fonction du motif et de la durée de leurs séjours et de leurs déplacements (Dumazedier, 1988 ; Gray, 1970…). D’autres ont essayé d’identifier quelques tropismes fondamentaux (eau, soleil, nature, altérité, voyage, etc.) dans les comportements humains. Ainsi, l’optimum éco-touristique (Leroux, 2010b), qui incorporent les méta-principes de l’écotourisme utilisés par Gagnon et Lapointe (2006), montre qu’il est possible de concilier développement durable et développement économique du tourisme. L’explosion de la consommation récréative (tourisme et loisir), la multiplicité sans cesse renouvelée de ses formes et de son offre, imposent une transformation des indicateurs d’analyse habituels. Pour analyser l’expérience récréative, sur la base d’un lien social marchand ou non marchand particulier, l’acte de consommation doit être considéré davantage en termes d’engagements problématiques qui s’accordent (ou non), ce qui renvoie aux travaux de l’ethnographie (Goffman, 1973, 1974, 1991) et de l’ethnologie de la relation marchande (Sciardet, 1996 ; Weber, 2000 ; Testart, 2001). Cinq dimensions fondamentales semblent structurer les expériences actives ou passives dans les territoires ruraux, en sachant qu’elles sont pondérées de manière sensiblement différente selon leur nature, leur mode d’organisation et leur modalité de pratique :

le rapport au corps et à l’esprit : types d’engagement corporel (ascétique/- hédoniste, intense/faible…) et/ou intellectuel (enrichissement, découverte, expertise…) des individus au regard de l’objet ou du lieu de consommation ;le rapport à autrui : relations intra-groupales (composition, type de relation) - et extra-groupales (fermé/ouvert, dense/lâche…) et sociabilités (affiliation/accomplissement, ethnicité/classe sociale…) développées autour de la consommation touristique ;le rapport au temps : usages (saisons, week-end, moments privilégiés…), - durée (courts ou longs séjours) et sens symbolique (ordinaire/extraordinaire, vacances/travail) du temps de pratique ;le rapport à l’espace : usages et sens symbolique des lieux (proximité/- lointain, familier/inhabituel ; naturel/artificiel ; urbain/rural/montagnard/littoral/désertique…) et des déplacements (court/long ; rassemblement/culte ; pédestre, cycliste, fluvial…) ;le rapport aux « us et coutumes » : principes, usages ou rituels qui régissent - les modes d’organisation et/ou les modalités de consommation (règles, style, objet, langage, participation, idoles…) qu’il est également possible de saisir par la recherche documentaire spécialisée (presse et Internet).

Les expériences des consommateurs dans les territoires ruraux peuvent se distinguer selon ces cinq rapports (au corps et à l’esprit, à l’espace, au temps, aux autres et aux us et coutumes) en fonction des finalités des pratiques récréatives

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et de continuums de différenciation (cf. Tableau 1). Ces continuums (théoriques et méthodologiques) ne peuvent donc être dits « vrais » ou « faux » en général, mais « vrais » ou « faux » dans une certaine mesure, sous certaines conditions, dans certaines circonstances qu’il s’agit justement de mieux expliciter pour leur donner une plus grande rigueur scientifique (Corcuff, 1995).

Tableau 1. Dimensions des expériences récréatives, leurs finalités et leurs continuums de différenciation

Dimensions des expériences récréatives

Finalités Continuums de différenciation (en termes de rapport à)

Corporelles et Intellectuelles

Forme-SantéSensation

PerformanceDécouverte

ConnaissanceAccomplissement

Lenteur VitesseIntensité Extrême Intensité Faible

Hédonisme AscétismeApprentissage Long Bénéfice Instantané

Jouissance Immédiate Jouissance Différée

Spatiales

AventureDécouverteAuthenticitéSensationEsthétisme

Connaissance

Accessible InaccessibleFonctionnel Interactif

Sécurisé RisquéMythique Traditionnel

Typique AtypiqueNaturel Artificiel

Itinérance Sédentarisation

Temporelles

AventureDécouverteAuthenticitéSensationSacrifice

Fonctionnel VécuContemplatif Interactif

Sécurisé SauvageMythique Habituel

SocialesInteraction socialeAffirmation de soiReconnaissance

sociale

Solitude SociabilitéIntégration Classification

Groupe formel Groupe informelIndividualisme Solidarité

Us et Coutumes RespectContact

Permis DéviantPrescrit Co-construit

Accueil Rejet

L’objectif est alors de reconstruire de façon abstraite des formes d’expériences récréatives qui possèdent leurs propres « principes » de fonctionnement issues des caractéristiques et des contraintes du territoire et des modes de coordination des actions concrètes des protagonistes. La mise en évidence des usages et des rituels sont donc au cœur de l’analyse inductive (et interprétative) des formes d’expérience et de leur dynamique. Ils correspondent, d’après Segalen (1998), à un ensemble d’actes formalisés, expressifs, porteurs d’une dimension symbolique. Ils se caractérisent par une configuration spatio-temporelle spécifique, par le recours à une série d’objets et de signes emblématiques, par des systèmes de

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comportements et de langages spécifiques, dont le sens codé constitue l’un des biens communs d’un groupe ou d’une communauté. Si l’échange et les expériences tiennent au rapport au temps et aux autres, il semble nécessaire de compléter l’interprétation par la prise en compte des rapports aux objets, à la valeur des produits et à l’espace (Testart, 2001). En effet, le consommateur, qui n’est pas un acteur passif réagissant à des stimuli mais un concepteur et un créateur de ses propres expériences, attend une aide de la part des prestataires dans la coproduction de l’expérience. Lors de la réalisation d’un séjour touristique, le touriste peut participer à plusieurs étapes de la coproduction et intégrer une étape de la chaine de valeur du service, et contribuer ainsi à la création de valeur d’une expérience de consommation (Carton, 2007). Le consommateur garde une initiative et une autonomie dans sa consommation (Benavent et Evrard, 2002) et sa participation afin de co-construire son expérience en « rusant » (De Certeau, 1980) avec les dispositifs contraignants ou déterministes produits par les offreurs. En état de réception sensorielle, il développe un cadre d’action plus ou moins structuré et modulable pour faire face aux situations aussi bien habituelles qu’imprévues.

1.3. Une approche multi-échelles et des méthodologies hybrides et qualitatives

L’approche qualitative peut non seulement offrir une solide base à une stratégie managériale ou marketing sophistiquée, mais elle peut apporter une réponse à des questions complexes où bute souvent (malgré les progrès statistiques) l’approche quantitative parce qu’elle n’accède qu’à la mémoire centrale et aux souvenirs exempts de tout refoulement. Le croisement des méthodes qualitatives favorise la prise en compte de dimensions diverses, la confrontation et la complémentarité des éléments découverts (pratique/représentation, individuel/collectif, observé/déclaré, en situation/hors situation). Les techniques quantitatives sont dès lors plus employées en complément des méthodes qualitatives. Leur finalité est de pondérer ou de généraliser la diversité des résultats ou la validité d’un construit (échelle, modèle structural…) sur des échantillons réellement représentatifs. Généralement, la méthode consiste à sélectionner les éléments des discours ou des observations les plus pertinents de l’enquête qualitative pour construire des questions fermées et leurs modalités de réponse. Elle permet de montrer l’importance respective des catégorisations, des segmentations et des typologies construites en qualitatif. Cette complémentarité d’analyse mobilise ainsi plusieurs grilles de lecture afin d’appréhender une réalité complexe (Hetzel, 2002). Selon l’échelle d’observation sollicitée (Desjeux, 2002), certaines techniques sont plus utilisées que d’autres en raison de leur pertinence et de leur richesse d’informations (cf. Tableau 2).

Tourisme durable et expériences touristiques : un dilemme. Proposition d’un dispositif d’analyse appliqué à l’itinérance en milieu rural

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Tableau 2. Echelles d’observation, objets d’étude et usages de la notion d’expérience dans le dispositif d’analyse des pratiques récréatives

Echelles d’observation Objets d’étude Usages de la notion

d’expérience

Méso-sociale Communautés, pratiques, prestataires, territoires

Les productions (ou orchestrations) d’expériences

Micro-individuelle Motivation, représentation, attitude, choix, satisfaction, fidélité La recherche d’expériences

Micro-interactionniste Pratique effective, interaction, rituel L’expérience vécue en situation réelle (ou expérience située)

Au niveau « méso-social », les principaux objets d’étude portent essentiellement sur des communautés de consommateurs ou de résidents, des pratiques récréatives (actives ou passives), des prestataires particuliers (associatifs, publics ou commerciaux), des territoires spécifiques (site touristique, parcs de loisirs, Parc Naturel Régional…). A ce niveau, il s’agit ici de mettre en place une double approche méthodologique quantitative et qualitative. Au niveau « micro-individuel », les principaux objets d’étude portent essentiellement sur les motivations, représentations, attitudes, choix, satisfactions et fidélité des consommateurs de pratiques récréatives (actives ou passives) présents dans les territoires ruraux, ou à proximité ou en dehors pour analyser leur attractivité. Au niveau « micro-interactionniste », les principaux objets d’étude portent essentiellement sur les pratiques récréatives (actives ou passives) effectives, les interactions consommateurs-offreurs, les us et coutumes, les rites ou rituels… L’observation des pratiques en situation réelle permet de comprendre les comportements effectifs des usagers et des personnels (animateurs, responsables…) ou autres personnes (habitant, autre touriste…) en contact.

2. Du dispositif d’analyse des expériences récréatives des consommateurs au tourisme durable dans les territoires ruraux

Selon De Grandpré (2009), l’expérience recherchée par le visiteur s’actualisera par la consommation de trois types de services : le transport, les structures d’accueil et les attractions (cf. Figure 2). Le transport est toujours présent dans le produit touristique consommé, en particulier dans le mode itinérant et les pratiques récréatives. Il ne saurait y avoir de tourisme sans déplacement, toutefois les deux autres éléments, même s’ils font généralement partie du produit touristique, peuvent parfois être absents. Lors d’un voyage chez des parents ou des amis, il est possible d’imaginer que le voyageur n’utiliserait aucune des structures d’accueil mis à sa disposition, il aurait fait le plein d’essence de son véhicule avant de partir. Il ne visitera peut-être aucune attraction pendant son périple. Les interactions sont induites, favorisées, façonnées ou empêchées par des organisations (et leurs acteurs) sociales, culturelles, politiques et économiques qui créent les conditions de leur réalisation.

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En périphérie du dispositif d’analyse des expériences récréatives dans les territoires ruraux se retrouvent les facteurs extérieurs. Chacun de ces facteurs peut, à sa façon, influencer positivement ou négativement l’ensemble du système touristique. Nous avons regroupé les douze facteurs extérieurs du système touristique en quatre catégories soit les facteurs de base, les facteurs organisationnels, les facteurs stratégiques et les facteurs temporels. Le nom des quatre catégories de facteurs extérieurs a été déterminé a posteriori, dans une volonté de regrouper les éléments formant les facteurs extérieurs en sous-groupes de nature similaire :

les facteurs de base regroupent les éléments qui sont à la source -du tourisme régional. Ce sont en quelque sorte la matière première du tourisme régional qui, par un processus de transformation, servira à créer les attractions et les produits touristiques. La volonté de la population détermine les conditions d’exploitation de cette matière première dans la recherche d’un rapport acceptable entre exploitation et conservation de la ressource ;

les facteurs entrepreneuriaux regroupent les facteurs qui touchent -plus particulièrement la gestion des entreprises ;

les facteurs stratégiques regroupent les éléments qui peuvent être -adaptés pour améliorer la performance du système touristique ;

les facteurs temporels regroupent des éléments en lien avec le temps -et le contexte du moment (continuité, rupture et évolution).

Figure 2. Place du dispositif d’analyse dans une perspective de développement durable des territoires ruraux (d’après De Grandpré, 2009)

Prestataires

Territoires ruraux

Pratiques recréatives

Consom-mateurs EXP

Environnement social, culturel, politique, économique des milieux ruraux

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Mais aujourd’hui, entre tourisme et environnement, les problématiques reposent sur des rapports difficiles au territoire : défiguration des paysages, pompage de l’eau au détriment des populations locales, déplacement de ces populations, conflit, pollution… Règne de manière générale un climat d’inquiétude et de branle-bas de combat en même temps : les territoires détenteurs d’un « capital naturel » s’engagent de plus en plus dans une démarche durable face aux risques de destruction des richesses ou des potentialités des lieux support. Lorsque l’on voit des Parcs naturels instaurer des écotaxes au motif que ces lieux seraient sur-fréquentés, alors que l’on fait tout pour attirer des vacanciers, on est en droit de s’interroger sur la légitimité de la démarche ! Avec la montée des préoccupations écologiques, le tourisme peut être perçu comme un facteur de transformation ou de protection de l’environnement, comme une source de fréquentation ou d’aménagement touristique, comme un instrument de destruction ou de diminution des ressources en tout genre.

D’après une étude réalisée en 2004 par Mintel International Group, plus de 48 pays ont commencé à définir une stratégie nationale pour l’écotourisme. En France comme dans de nombreux pays occidentaux, petites et grandes agences se sont précipitées sur cette nouvelle vague et en ont extrait une multitude d’offres. Des vacances-randonnées les plus classiques aux séjours dans les lodges les plus luxueux, le choix est sans cesse plus large et aguichant mais prête parfois à confusion. D’un côté, le tourisme durable qui limite les dégâts de la présence humaine sur l’environnement. On en trouve sur tout le territoire français avec le développement du tourisme sportif de nature. De l’autre côté, les séjours solidaires qui ont pour objectifs d’établir des liens solides avec les populations des pays ou régions d’accueil et de faire participer les voyageurs au développement local des territoires ruraux. Dans ce cas précis, 3% du prix du voyage sont destinés à soutenir des projets de développement d’intérêt collectif comme la reforestation ou le drainage. En outre, une part des bénéfices des séjours revient de manière directe, indirecte ou induite, aux organisations, aux villages ou aux villes de séjours. L’humanitaire, le solidaire, l’écotourisme sont des valeurs en hausse, pour autant est-ce davantage un filon commercial à exploiter ou une possibilité offerte aux vacanciers pour intégrer des valeurs plus humanistes ou écologiques dans leurs séjours ?

Protéiformes, insolites, déjouant les pronostics, les pratiques récréatives en milieu rural sont des processus complexes de création de lieux qui semblent pris entre deux polarités, l’ancien et le nouveau. Pour les décideurs, les choix sont parfois cornéliens entre offre organisée en filière industrielle et offre plus respectueuse des cultures locales. Les territoires ruraux peuvent-ils être assimilés à une forme de mise en scène théâtrale des espaces ou bien à une forme de co-production durable des territoires avec les acteurs, les populations et les prestataires locaux. Très usité, le concept de développement durable est souvent perçu comme un mot vide de sens, ou encore comme une belle promesse affichée

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dans les discours de communication. L’approche la plus diffusée aujourd’hui vise à définir le développement durable comme la prise en compte, à parts égales et en même temps, de trois objectifs dans les domaines économique, social et environnemental pour n’importe quel type de marché comme celui du tourisme. Cinq principes nouveaux associés à cette définition traduisent la recherche d’un meilleur équilibre et d’une réelle éthique pour la communauté humaine : une approche plus transversale et systémique, une meilleure articulation du court et du long terme, une meilleure coordination du local et du global, une solidarité spatiale et temporelle et une nouvelle gouvernance basée sur la concertation et la participation des individus aux décisions.

L’objectif de développement durable des pratiques récréatives en milieu rural devrait inciter à élaborer un nouveau contrat social et un nouveau mode de gouvernance du tourisme. Les pouvoirs publics, les dirigeants économiques, les acteurs de la société civile et les citoyens doivent ainsi travailler en concertation au niveau du territoire qui apparaît comme l’échelle la plus pertinente pour mettre en application une nouvelle logique d’aménagement. Le développement durable des pratiques récréatives dans les territoires ruraux est conditionné par leur organisation globale dès lors qu’elles drainent un public important. La connaissance des sites et des attractions conduit à proposer une meilleure organisation préalable de ces activités sans attendre que les problèmes se posent au plan local. Cela suppose que soient identifiées les différentes réglementations qui peuvent s’appliquer à ces pratiques actives ou passives et les contraintes spécifiques qu’elles peuvent rencontrer dans leur développement dans les espaces récepteurs. Cette démarche d’aménagement participe en tout cas aux réflexions en matière d’écotourisme, de commerce équitable ou responsable, voire aux préoccupations en matière d’émission de CO2 face au réchauffement climatique de la planète. Mais elle met aussi en évidence un dilemme récurrent auquel sont confrontés désormais les acteurs et parties prenantes : comment s’engager dans une démarche d’aménagement durable face à la recherche d’expériences tous azimut des vacanciers qui peut être synonyme de destruction des richesses et/ou des potentialités des territoires pour les populations locales ?

3. Application à l’itinérance en milieu rural : des expériences récréatives à un modèle de développement durable des territoires ?

Initialement, l’itinérance est au fondement même du tourisme, à travers le Grand Tour effectué dès le XIXe siècle par les jeunes Anglais (Bertho-Lavenir, 1999). Sa spécificité est bien de mettre en avant le déplacement lui-même, au détriment éventuel de la destination. Il s’agit donc d’un voyage actif par définition, opposant le « voyageur » (itinérant) au « voyagé » (statique, du moins une fois sa destination atteinte). Continue ou discontinue, linéaire, en boucle ou en étoile, l’itinérance

Tourisme durable et expériences touristiques : un dilemme. Proposition d’un dispositif d’analyse appliqué à l’itinérance en milieu rural

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porte en elle des ferments (souvent imaginaires ou inconscients) d’inconnu, d’incertitude et de découverte qui lui donnent toute sa saveur. En fonction de sa durée, de son échelle géographique, des moyens utilisés, du degré d’autonomie requis, différentes formes de pratiques itinérantes sont à considérer, de la plus hédoniste à la plus extrémiste, définissant ainsi un vaste champ qui dépasse de loin la perception souvent étriquée de cette forme de tourisme. Porteuses de sens, car construites et non simplement consommées, ces pratiques itinérantes font en outre écho aux tendances émergentes en matière de nouvelles mobilités touristiques (écomobilité, multimodalité, tourisme lent, etc.). Elles offrent ainsi une réelle opportunité de redécouverte des territoires, notamment de proximité ou ruraux, sous réserve toutefois de l’existence d’un certain maillage de facilités d’accès et de déplacements. En témoignent les loueurs de matériel sportif et de transports. Parmi les plus connues, citons les principales pratiques itinérantes en milieu rural par territoires support : terrestre : randonnée pédestre et équestre, VTT ou cyclotourisme, 4*4, moto ou quad ; nautique : canoë, kayak, péniche ; aérien : vol à voile, ULM, parapente. Mais parmi ces pratiques récréatives itinérantes, combien intègrent des dimensions du tourisme durable ?

Outre les territoires support, l’itinérance peut aussi se catégoriser en tourisme itinérant « motorisé » (croisière, circuit en autocar, en camping-car…) et tourisme itinérant dits « de nature », pour lequel la pratique d’une activité de loisirs sportifs (randonnée pédestre, équitation, canoë, voile…) joue un rôle essentiel même si la découverte du patrimoine de telle ou telle région est aussi un aspect recherché par les touristes. C’est à cette deuxième catégorie de tourisme itinérant que nous nous intéresserons dans le cadre de cette recherche. L’itinérance, la pérégrination, font partie intégrante de la notion même de tourisme. En termes de clientèles, le développement du tourisme itinérant de nature s’inscrit dans l’engouement général pour la nature, et dans ce cadre l’espace rural est naturellement, l’espace où s’exercent un certain nombre d’activités à caractère itinérant. Le tourisme itinérant « de nature », pour lequel la pratique d’une activité de loisirs sportifs (randonnée pédestre, randonnée équestre, vélo, canoë, voile…) joue un rôle essentiel, est devenu une activité de vacances très prisée avec une demande des touristes qui s’oriente vers des pratiques de plus en plus douces. On estimait entre 6 et 15 millions le nombre de randonneurs pédestres et à 500 000 le nombre de Français pratiquant le tourisme équestre en 2002 (ODIT, 2003). La Fédération française de canoë-kayak estime à 300 000 le nombre potentiel de pratiquants estivaux (FFCK, 2009). Le cyclotourisme connaît également un essor important puisque la France, en 2007, avait enregistrée 1 million de séjours (Atout France, 2009).

Le tourisme itinérant privilégie le trajet et le mode de déplacement à la destination. En conséquence, il existe des exigences spécifiques pour adapter l’offre, tant sur l’itinéraire lui-même qu’aux étapes. Pour des clientèles individuelles, l’itinérance est source de fragilisation et de vulnérabilité. Ainsi, plus que tout autre, les produits

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de tourisme itinérant se doivent-ils d’être « sécurisés ». Le territoire rural devient le support de ces pratiques autour desquelles se sont greffés des équipements d’hébergement, contribuant ainsi à procurer un revenu complémentaire à certains acteurs économiques (CNT, 2010). Ceci permet « d’exploiter de façon optimum les ressources de l’environnement, de respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil et d’assurer une activité économique viable sur le long terme » (OMT, 2004). Mais cette vision est surtout focalisée sur l’aspect territoire comprenant la communauté d’accueil et les acteurs locaux (pouvoirs publics et prestataires). Une question reste posée concernant l’importance du développement durable dans les pratiques itinérantes. Actuellement, de nombreuses passerelles s’établissent entre les différentes disciplines de loisirs : « une année, on fera la traversée de la Vanoise à pied, l’autre la descente de l’Ardèche en canoë, la troisième de la voile en Corse ». Ce décloisonnement des pratiques entraîne un décloisonnement des structures de commercialisation qui proposent dans les mêmes brochures des produits de randonnée pédestre, équestre ou eau vive.

L’application de notre dispositif d’analyse des expériences récréatives s’intéressera aux pratiques terrestres d’itinérance en milieu rural, soit trois de nos quatre piliers d’investigation (consommateur, pratiques récréatives actives et territoire rural), selon une échelle micro-individuelle où l’accent est mis davantage sur les expériences recherchées et sur l’importance du développement durable dans les pratiques itinérantes. Une enquête exploratoire qualitative a été réalisée en 2010 auprès de 45 touristes de plus de 15 ans originaires de la Bourgogne et s’adonnant à des pratiques récréatives itinérantes en milieu rural. Le nombre d’entretiens paraît suffisant pour une étude qualitative, car selon Griffin et Hauser (1993) 20 à 30 interviewés en face à face révèlent 90% de l’information. Des entretiens semi-directifs individuels, d’une durée d’environ une demi-heure chacun, ont donc été réalisés. Les thèmes retenus dans le guide d’entretien sont consacrés aux différents rapports à ces activités en relation avec certaines dimensions du développement durable. Ainsi, dans le Tableau 3, les dimensions et sous-dimensions obtenues dans les expériences récréatives liées aux pratiques itinérantes sont illustrées au moyen de verbatim et mettent en perspective l’importance du développement durable dans ces pratiques en milieu rural.

L’exploitation du corpus a été effectuée avec le logiciel d’analyse de données textuelles TROPES54 qui permet de réaliser une analyse approfondie du contenu en répartissant les mots dans différents univers de références (« mondes lexicaux ») identifiés par le chercheur (Gavard-Perret et Helme-Guizon, 2008). Nous avons réalisé une analyse thématique et retenu la notion « d’unité de découpage définie comme le fragment de discours portant une signification » et qui, dans le cas d’une analyse thématique, correspond au fragment de discours 54. Logiciel développé par deux chercheurs en psychologie sociale (Molette et Landré) sur la base des travaux de Ghiglione (1998).

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porteur d’un thème (Blanchet et Gotman, 2001). L’analyse thématique, tout en se construisant à partir d’entretiens singuliers, permet de mettre en évidence les thèmes qui parcourent transversalement les différents entretiens. C’est-à-dire qu’elle tente, derrière la cohérence singulière des individus interviewés, de mettre à jour une cohérence thématique inter-entretiens qui appartient au groupe dans son ensemble (De Léséleuc, 2004). L’avantage du logiciel est de nous permettre d’effectuer une analyse lexicale fine dont l’unité d’enregistrement ou « unité de découpage » est la proposition (phrase simple). Il permet aussi de réaliser des statistiques lexicales sur la fréquence globale d’apparition des grandes catégories de mots, et de leurs sous-catégories.

Tableau 3. Analyse de l’importance du développement durable dans les expériences récréatives liées aux pratiques itinérantes en milieu rural

Dimensions des expériences récréatives

Sous-dimensions Verbatim

Dimension corporelle et

intellectuelle (222)

Type de pratiques itinérantes (170)Marche (77)

Deux roues (67)Equitation (16)Transport (10)

« pratique de la randonnée pédestre »« pratique du vélo »« chemins d’équitation »« moyen de déplacement »

Rapport au corps (40)Activités sportives (19)

Découverte (21)« un défi sportif »« sport de découverte »

Rapport à l’esprit (12)Conscience (9)

Dépaysement (3)

« prendre conscience de l’environ-nement »« changer les idées après le travail »

Dimension temporelle

(51)

Usage (51)Régulièrement (24)

Occasionnellement (17)

Temps libre(2)Vacances (8)

« pratique assez régulièrement »« pratique occasionnellement »

« pratique durant les temps libres »« pendant les vacances d’été »

Dimension sociale (36)

Rapport à autrui (36)Famille (16)

Amis (8)En couple (3)Les gens (9)

« pratique ces activités en famille »« généralement en famille »« seulement avec mon épouse »« les gens que l’on rencontre »

Dimension spatiale (293)

Le milieu naturel (146)La nature (69)

Les paysages (12)Les animaux (17)Les végétaux (48)

« contact avec la nature »« découvrir un paysage »« découvrir des animaux sauvages »« respect des arbres »

Les aménagements (122)Les sentiers (20)

Les voies (28)Les chemins (58)

Les itinéraires (16)

« emprunter les sentiers balisés »« prendre les chemins en dehors des chemins balisés » « voies vertes »« trouver un itinéraires »

Les lieux (25) « découvrir des régions »

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Dimensions Us et Coutumes, et rapport au

développement durable

(214)

L’idéologie du développement durable (74)

L’écologie (34)L’environnement (29)

L’énergie (11)

« protection de la planète, écologie »« adopter des gestes corrects pour l’environnement »« économie d’énergie »

Les principes dans l’itinérance sportive (51)

Les chartes (21)La protection (8)

Le respect/la propreté (22)

« les chartes de bonne conduite »« protection de la nature »« respect de l’environnement »

Les atteintes de la pratique sportive itinérante à l’environnement (89)

Les gens (9)Les substances (17)

Les déchets (32)Les gaz (5)

La pollution (12)La dégradation/le piétinement (5)

Les risques (9)

« ceux qui ramassent les fleurs protégées »« éviter de jeter des papiers »« si on jette des détritus »« les émissions de CO2 »« la réduction de la pollution grâce au vélo »« la dégradation des paysages et le piétinement des chemins »« menaces sur l’environnement »

Lecture du tableau : entre parenthèse se trouve le nombre de citations pour les dimensions, les sous-dimensions et les verbatim de référence.

Le Tableau 3 présente les dimensions et sous-dimensions obtenues suite à l’analyse thématique. Notre dispositif d’analyse des expériences récréatives des pratiques itinérantes en milieu rural et l’analyse des discours portant sur l’importance du développement durable dans ces pratiques ont permis d’extraire cinq grands dimensions : corporelle et intellectuelle, temporelle, sociale, spatiale et us et coutumes au regard du développement durable. Trois dimensions apparaissent prépondérantes. Tout d’abord, la dimension spatiale qui regroupe le milieu naturel, les aménagements réalisés pour les pratiques itinérantes et les lieux que l’on peut découvrir. Puis, la dimension corporelle et intellectuelle qui prend en compte les types de pratiques itinérantes mais aussi les rapports au corps en termes de bienfaits physiques des activités physiques et à l’esprit par un dépaysement. Pour finir, la dimension us et coutumes qui identifie trois sous-dimensions structurantes : idéologie du développement durable, principes du développement durable dans les pratiques itinérantes et atteintes de la pratique itinérante à l’environnement. Les dimensions temporelle et sociale apparaissent beaucoup moins importantes dans les discours des 45 personnes interrogées. La mobilisation de notre dispositif d’analyse montre que les attentes des touristes en termes de pratiques itinérantes terrestres sont plutôt orientées vers des pratiques douces permettant la découverte du territoire, réalisées lors de loisirs même si à l’opposé quelques touristes identifient les pratiques itinérantes comme des activités permettant de relever des défis. Ces pratiques peuvent être effectuées comme loisirs régulièrement ou occasionnellement ou lors de

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vacances. Ce qui nous permet de retrouver deux de nos continuums (dimensions corporelle et intellectuelle et dimension temporelle). Ces pratiques sont en grande partie réalisées soit en famille soit entre amis, même si à l’occasion, il est possible de rencontrer d’autres personnes (dimension sociale allant d’un continuum couple à « gens » en passant par le groupe d’amis ou famille). Il est intéressant de noter que ces pratiques ne sont pas des pratiques individuelles puisqu’aucun répondant n’a cité cette possibilité. Sur ces territoires ruraux, la dimension spatiale est très importante. Les touristes sont attentifs aux lieux, au milieu naturel et aux aménagements permettant les pratiques itinérantes (curseur du continuum placé sur nature, itinérance). Pour finir, les us et coutumes relatifs au développement durable sur ces territoires font apparaître un axe idéologique lié au développement durable (écologie, environnement et énergie), un axe concernant les principes et les règles présentes dans l’itinérance sportive (les chartes, la protection et le respect/la propreté) et enfin un dernier axe concernant les atteintes à l’environnement de ces pratiques sportives itinérantes (continuum permis/pas permis).

Le développement durable tend à s’inscrire dans le tourisme vert qui est un tourisme respectueux de l’environnement. Cependant les touristes interrogées ont du mal à faire le lien entre développement durable et tourisme. S’ils évoquent l’écologie, considérant que ces pratiques douces d’itinérance n’émettent pas de CO2, ils mettent cependant peu en pratique toutes les dimensions de l’expérience de développement durable, notamment en termes de comportements éco-citoyens. Ce qui est conforté par l’étude menée par ATOUT France (2011), qui montre que 86% des Français sont prêts à adopter un comportement d’éco-consommateur sur leur lieu de séjour mais seulement 4% d’entre eux reconnaissent avoir déjà acheté des produits/services relevant du tourisme durable. Les Allemands et les Britanniques sont quatre fois plus que les Français à avoir déjà consommés des produits/services relevant du tourisme durable.

Conclusion

Le développement des pratiques itinérantes repose sur différentes attentes de la clientèle touristique. Cette clientèle active recherche la rencontre, l’échange et le partage entre amis ou en famille, mais aussi la découverte, le bien-être, la demande ludique et la quête d’authenticité. Ces nouvelles attentes doivent permettre aux territoires d’offrir de nouvelles possibilités de développement socio-économique, d’amélioration du cadre de vie et de valorisation du patrimoine. Le modèle proposé permet d’offrir aux territoires une nouvelle possibilité de segmentation basée sur une ou plusieurs de ces cinq grandes dimensions. Les

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dimensions corporelle et intellectuelle, temporelle, sociale et spatiale permettent de segmenter les consommateurs de tourisme sportif (Bouchet et Lebrun, 2009). Les dimensions spatiale et us et coutume permettent d’affiner cette première segmentation. Pour la dimension spatiale, le milieu naturel et les aménagements peuvent permettre de segmenter les clients selon leur pratique (marche, deux roues, équitation) et ainsi proposer de nouveaux produits touristiques. L’idéologie du développement durable et les principes dans l’itinérance sportive doivent permettre aux territoires ruraux de mieux communiquer sur ces aspects et ainsi d’attirer une clientèle réceptive aux arguments écologiques mais aussi de convaincre les touristes présents sur le territoire de respecter les chartes afin de limiter les atteintes de la pratique à l’environnement. Afin de préserver ces territoires ruraux, le développement doit être équilibré et raisonné, ce qui va souvent à l’encontre du développement économique prôné par certains prestataires ou collectivités territoriales. Afin de compléter notre modèle, il faudra dans l’avenir prendre en compte les prestataires, ce qui pourra se faire dans des territoires plus circonscrits comme par exemple les parcs naturels.

Le tourisme en milieu rural constitue une activité structurante pour les espaces ruraux puisqu’elle permet une politique d’aménagement du territoire et des infrastructures ainsi qu’une pérennisation et un développement d’activités économiques pour les prestataires. Ces dimensions garantissent son développe-ment à long terme, permettant ainsi la mise en œuvre d’une démarche de développement durable dans le tourisme (CNT, 2010). En appliquant le modèle proposé, il faudrait analyser l’offre, le mode de gouvernance des prestataires et les dimensions expérientielles et consommatoires des pratiquants dans leur rapport à la mobilité, aux structures et aux partenaires (office de tourisme, sociétés de transport, hébergements…). Les niveaux « méso-social », « micro-individuel » et « micro-interactionniste » d’observation se combinent selon les échelles. Le réglage de la focale retenue correspond aux standards de réflexivité des chercheurs qui doivent retenir un cas pour tester la validité de ce nouvel outil. Le dispositif d’analyse interroge la mobilité du public, les temps et les rapports à l’espace lors des pratiques pour en extraire les principaux atouts. Le modèle constitue donc un cadre d’analyse pour développer l’étude de « hauts-lieux » du tourisme sportif en milieu rural. En témoignent les produits proposés par les prestataires qui valorisent la nature. Ainsi, des tours opérators s’emparent des concepts de produits itinérants, prenant pour support les sites ruraux. Pour les commercialiser, il leur faut prendre en compte chaque composante du développement durable dans le séjour.

Bibliographie

AFIT (1997), Canoë, eau vive et tourisme, Guide de savoir-faire, Les Cahiers de l’AFIT.AFIT (2000), Bulletin statistique et d’étude AFIT Info, Octobre.ANDREANI J.-C. et CONCHON F. (2002), «Les techniques d’enquête expérientielles :

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Tourisme durable et expériences touristiques : un dilemme. Proposition d’un dispositif d’analyse appliqué à l’itinérance en milieu rural

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Politiques et stratégies de développement durable dans le secteur hôtelier : le cas d’ACCOR

par Soumaya Hergli55, Jean-Michel Sahut56 et Frédéric Teulon57

Abstract

Les entreprises du secteur touristique suivent de plus en plus des politiques de développement durable sous la pression de leurs parties prenantes, et de la réglementation. L’analyse de la politique de développement durable et des stratégies sous-jacentes, au sein d’une grande chaîne hôtelière comme le groupe Accor, montre que les risques de détournements sont forts car cette dernière peut s’orienter vers la commercialisation, la communication, la requalification d’actions déjà anciennes, la valorisation de l’image de marque… La définition de stratégies optimales de développement durable dans des groupes hôteliers si diversifiés en termes de marque et de positionnement, comme Accor, doit donc reposer sur des principes et logiques forts permettant réellement d’adopter un tourisme durable.

Résumé

The tourism industry is following more and more sustainable development policies under pressure from their partners and from regulatory bodies. An analysis of the sustainable development politic at the large hotel chain “Accor” shows that the risks of trade diversions are strong because they can affect marketing, communication, reclassification of existing shares, brand value, etc. Thus, the definition of optimal strategies for sustainable development in hotel groups, diversified in terms of mark and positioning, like Accor, must be founded on strong principles and logics really making it possible to adopt sustainable tourism.

Le tourisme est souvent considéré comme une « manne économique58 » ayant des impacts négatifs sur les populations locales car il ne contribue pas à l’amélioration ou au développement de ces populations mais il les ignore, menace les cultures traditionnelles et détériore l’environnement. Aujourd’hui, le « tourisme » est orienté vers de nouvelles formes inscrites dans une perspective de « Tourisme durable » visant à respecter, préserver et mettre durablement en valeur les ressources patrimoniales (naturelles, culturelles et sociales) d’un territoire à l’attention des 55. SouMaya hErgLi, Université de Poitiers, CEREGE EA 172256. Jean-Michel Sahut, Professeur, HEG Genève & CEREGE EA 1722-Université de Poitiers57. Frédéric Teulon Directeur, IPAG LAB58. OMT (2004), Définition conceptuelle du développement durable du tourisme.

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touristes accueillis, de manière à minimiser les impacts négatifs que ces derniers pourraient générer. Si, au départ, seuls les critères environnementaux étaient déterminants, aujourd’hui les aspects économiques et sociaux (éthiques) sont également au centre des préoccupations (Merasli, 2004). Le tourisme durable doit ainsi parvenir à une allocation optimale des ressources et établir un équilibre adéquat entre ses trois piliers. L’aspect environnemental/écologique représente la plaque tournante du développement durable du tourisme laquelle exige une exploitation optimale des ressources de l’environnement tout en préservant les processus écologiques essentiels et en aidant à sauvegarder les ressources naturelles. Le pilier économique vise à assurer une activité économique viable sur le long terme, c’est-à-dire offrant à toutes les parties prenantes des avantages socio-économiques équitablement répartis, notamment des emplois stables, des perspectives de profit pour les entreprises et des services sociaux pour les communautés d’accueil, qui contribuent ainsi à la réduction de la pauvreté. Le troisième pilier doit garantir la durabilité de l’aspect socioculturel, en préservant le patrimoine culturel des communautés d’accueil.

La prise de conscience du concept de « durabilité » est bien réelle aujourd’hui et les entreprises du secteur touristique suivent de plus en plus des démarches de « tourisme durable » sous la pression de leurs parties prenantes, et notamment de la réglementation.

La définition d’une stratégie de « tourisme durable » reste le défi majeur de toute entreprise du secteur. La grande chaîne hôtelière « Accor », leader en Europe, présente dans 90 pays avec un large portefeuille de marques considère que cette politique est une « urgence mondiale59 ». Elle a commencé cette démarche, suite à la conférence de Rio 1992, et a poursuivis ses efforts avec le lancement du programme Earth Guest en 2006. Depuis, ce groupe est généralement présenté comme un exemple type pour les firmes du secteur désirant adhérer à ce processus de « tourisme durable ».

Afin d’évaluer réellement ses apports, cette recherche vise à analyser la politique de DD du groupe Accor, sa mise en place au niveau opérationnel et les éventuelles « divergences stratégiques » entre les différentes parties prenantes par une approche empirique qui assure une triangulation et un recoupement des données disponibles en la matière. Ainsi, la première partie explique comment certaines firmes ont fait du tourisme durable une orientation stratégique dans le secteur hôtelier puis, comment elles utilisent les normes et les labels pour signaler ce positionnement. La seconde partie analyse la politique de DD du groupe Accor, ses résultats ainsi que les critiques liées à son adoption et sa mise en œuvre.

59. http://www.accor.com/fr/developpement-durable/programme-earth-guest/le-mot-de-gilles-pelisson.pdf

Politiques et stratégies de développement durable dans le secteur hôtelier : le cas d’ACCOR

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1. Orientation stratégique et positionnement dans le secteur hôtelier

1.1. Faire du tourisme durable une orientation stratégique

Le développement durable est une nouvelle conception, qui a engendré de nouvelles logiques de réflexions et d’actions en s’appuyant sur une gestion rationnelle des ressources naturelles, humaines et économiques. Il vise à « répondre aux besoins du présent, sans compromettre la capacité pour les générations futures de satisfaire les leurs60 ». Il oblige les acteurs à réfléchir et agir d’une façon pertinente afin de pouvoir se positionner justement entre des contraintes et des opportunités à court terme, et définir une vision stratégique à moyen-long terme qui puisse répondre à des enjeux globaux.

« Une vision stratégique claire et partagée est le point de départ pour donner sens et cohérence aux décisions et faire en sorte que l’ensemble des processus mis en oeuvre pour soutenir la prise de décision soit opérationnel61 ».

Knafou et Pickel (2011), ont démontré que « Le tourisme durable n’est pas la mise en oeuvre des principes du développement durable dans le champ du tourisme. C’est la mise aux normes du moment du tourisme pour le rendre socialement et politiquement acceptable et accepté ».

Le secteur hôtelier, qui représente un élément central de l’industrie touristique et un poids économique considérable, a un rôle clé à jouer dans le développement du tourisme durable. Ainsi, une gestion rigoureuse et permanente de toutes les activités du secteur - construction d’infrastructures, aménagement paysager, techniques de cuisine et élimination des déchets, ou encore l’utilisation de l’eau et de l’énergie qui peuvent être préjudiciables à l’environnement si elles ne sont pas gérées d’une façon appropriée - est indispensable. Aussi, les responsables doivent « tout réinventer comme aux siècles des lumières62… ».

Dans ce cadre d’analyse, plusieurs actions « durables » ont été intelligemment adoptées par plusieurs chaînes hôtelières comme par exemple la diminution de la consommation d’eau et d’énergie, la limitation et le triage des déchets, la suppression des produits d’entretien néfastes pour l’environnement, la sensibilisation du personnel à la prévention de la prostitution et du tourisme sexuel, la constitution de menus calqués sur les saisons ou cuisinés avec des produits bio, etc.63

60. Rapport Brundland, WCED, 1987.61. Allocution de Jacques Gariépy, sous-ministre adjoint du gouvernement canadien (MAMR), Colloque Veille, Planification et Evaluation, 19 Mai 2005, page 3.62. Interview de Olivia Gautier O. (2008), « Le développement durable d’un hôtel », http://www.mediaterre.org/france/actu,20080505103600.html63. RTBF info (2011), « Le secteur hôtelier peut mieux faire en terme de durabilité ».

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La question qui se pose alors est de déterminer si ces actions reflètent un réel positionnement stratégique ou relèvent d’éléments connexes à la stratégie comme le contrôle des coûts ou la politique de communication. Pour ce faire, on peut s’intéresser aux résultats que devrait produire un positionnement stratégique. Les effets de ce dernier sont : le succès dans les affaires et l’assurance de la rentabilité. Pour de nombreux professionnels, il s’agit bien d’un positionnement stratégique car les entreprises qui l’ont adopté seraient à même de dégager de meilleures marges de profits à l’avenir64. L’étude de McKinsey-BCCC (2008) confirme que cette relation positive entre durabilité et performance est de plus en plus partagée par les professionnels. Leurs résultats indiquent que les deux tiers des managers et les trois-quarts des professionnels de l’investissement interrogés aux USA pensent que la RSE crée de la valeur pour les actionnaires, dans un contexte économique stable.

D’un point de vue théorique, selon la théorie des parties prenantes, une meilleure satisfaction de toutes les parties prenantes implique une meilleure maîtrise des coûts de l’entreprise et se traduit par une performance financière supérieure (Waddock et Graves, 1997). L’entreprise est ainsi tenue à être plus « comptable » pour sa performance sociétale, et ne plus s’intéresser uniquement à sa performance financière (Gössling, 2003). Au contraire, selon Friedman (1970), la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) conduit à une expropriation des profits des actionnaires, au bénéfice de la collectivité. De plus, la non-maximisation du profit pour la firme implique une perte d’efficacité pour la société dans son ensemble. Pour éclairer ce débat, de nombreuses études empiriques se sont alors intéressées au lien entre la RSE, au travers de la corporate social performance (notée CSP) et la performance financière (CFP). Les synthèses de Wu (2006), Maron (2006), Margolis & Walsh (2003) montrent que la relation entre RSE et performance financière semble positive. Toutefois, leurs synthèses portent sur des travaux antérieurs à l’année 2000. Comme le précisent Cohen and Winn (2007) et Schubert and Lang (2005), même si le rapport Brundtland est considéré comme le point culminant dans la prise de conscience de la RSE aussi bien pour les firmes, les parties prenantes que pour les analystes financiers, ce n’est qu’au début des années 2000, que le développement durable s’installe comme un enjeu majeur du gouvernement d’entreprise. Les firmes ont dû prendre en compte le changement observé dans les systèmes de valeurs de ses actionnaires, de ses employés, de ses clients etc., en se prêtant à la mise en œuvre des objectifs sociaux et environnementaux de toutes ses parties prenantes.

Dès lors, les méta-analyses de Margolis, Elfenbein & Walsh (2008), mais surtout celle de van Beurden and Gössling (2008) semblent plus pertinentes dans la mesure où elles sont essentiellement axées sur des travaux réalisés entre 1990 et 2007 et prennent ainsi en considération ces changements de valeurs sociétales. 64. Jamaa S., « Compte rendu de conférence du World Tourism Forum » Lucerne, Avril 2011, http://veilletourisme.ca/2011/05/11/quelques-reflexions-pour-les-decideurs-sur-le-tourisme-durable-compte-rendu-de-conference/

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Ils démontrent que la majorité des études trouvent une relation positive entre la CSP et la CFP. Si dans ces différentes études, les résultats sont souvent mitigés, c’est essentiellement en raison des mesures de performance choisies et de problèmes méthodologiques, notamment parce que les performances sociétales et financières sont endogènes. La performance sociétale des firmes est appréhendée généralement au travers d’indices de pollution, de réputation, d’agence de notation sociétale telle que KLD, de l’analyse du contenu de leur rapport annuel (analyse de discours), de leurs activités philanthropiques, ou encore de leur inclusion dans un indice boursier dit « socialement responsable » comme le DSI 400 pour les Etats-Unis (Decock-Good, 1991). Certains chercheurs tels que Belu (2009) proposent même de nouveaux indices, à partir de la méthode DEA, traduisant une mesure de l’engagement des firmes dans les pratiques de développement durable (ou durabilité). La performance financière comprend des mesures issues de la comptabilité (par exemple : retour sur investissement, ou encore rentabilité des actifs) et d’autres de nature boursière (prix ou rendement des actions). La relation est beaucoup plus significative pour la performance sociétale avec les indices de réputation, et pour la performance financière avec les mesures comptables. Outre l’intensité de la relation plus importante, les mesures issues de la comptabilité présentent l’avantage de fournir une mesure plus pertinente de la performance économique de l’entreprise. Le seul inconvénient provient du fait qu’elles sont plus sujettes à des manipulations managériales (McGuire et al., 1988). Ces mesures, qui sont à la base des différences observées dans les résultats, nous amènent à nous interroger sur la notion de performance à long terme des firmes, que la performance financière seule ne peut capter.

1.2. Utiliser les normes et labels pour signaler son positionnement

Sous la pression de leurs parties prenantes, de nombreuses entreprises cherchent à signaler leur positionnement en matière de développement durable. Pour ce faire, elles se référent soit à des normes, soit à des labels afin de rendre leur démarche crédible par une évaluation externe. Il existe principalement deux normes en matière de développement durable ; l’ISO 14001 pour les aspects environnementaux et l’ISO 2600 pour les aspects sociaux.

L’ISO définit une norme comme « un document établi par consensus, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans un contexte donné65 ».

La normalisation ne s’intéresse pas à un secteur spécifique d’activité et n’intègre pas forcément ses spécificités. De plus, elle concerne en général les entreprises orientées « Business to Business », dans le cadre de relation client-fournisseur 65. http://www.fao.org/docrep/007/y5136f/y5136f07.htm#fn7

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de par le coût de sa mise en œuvre et la faible reconnaissance de ce type de norme par le grand public (Peters Van Deinse, 1999). C’est pourquoi de nombreux labels sont apparus dans le tourisme pour dépasser ces limites.

« Un label est un signe de reconnaissance attribué à une entreprise ou à une association après vérification du respect d’un cahier des charges, par une personne extérieure à l’entreprise ou l’association labellisée. Les différents labels du tourisme durable vérifient donc le respect de certains critères sociaux et environnementaux, avec plus ou moins d’exigences selon le label. Ces labels sont particulièrement utiles car ils permettent de vérifier la véracité de déclarations d’hôteliers et tours opérateurs concernant leur engagement pour la protection de l’environnement et le bien-être des populations locales66».

Un label présente l’avantage de la promotion par la firme l’ayant reçu et ses partenaires commerciaux ou publics. Cependant plusieurs acteurs du tourisme sont engagés sur le terrain dans une démarche environnementale mais ne souhaitent pas être labellisés en raison des contraintes financières et administratives sous-jacentes. En effet, l’obtention d’un label a un coût (entre 200 et 10 000 € selon la structure) parfois trop important pour les petites structures qui n’ont pas non plus, ni le temps, ni le personnel pour pouvoir remplir les dossiers administratifs. De plus, certains labels manquent de visibilité car ils sont trop nombreux, et les critères d’obtention ainsi que les procédures de vérification ne sont pas claires. A l’inverse, l’absence de label de tourisme durable pour une firme n’est pas forcément synonyme d’absence d’engagement, et certaines entreprises non labellisées sont plus engagées et plus militantes que certaines firmes labellisées. Voici des exemples de labels du tourisme durable en France67 :

Hébergements : Ecolabel Européen : distingue les produits qui répondent à des critères stricts de performance et de qualité environnementale.La Clef Verte : est un label de gestion environnementale pour les hébergements touristiques.Green Globe : est un label international du tourisme durable. Il récompense les hôtels et agences pour leur bonne gestion environnementale et sociale.Ecogîtes : est un label qui aide les clients à repérer les gîtes particulièrement soucieux de la préservation de l’environnement.Hotels au Naturel : sont des hôtels 2 à 3 étoiles, sensibles à la protection de l’environnement, et localisés dans des Parcs naturels régionaux de France.Gîtes Panda : sont des gîtes ruraux, des chambres d’hôtes ou des gîtes de séjour, préalablement agréés Gîtes de France.

66. http://www.geo.fr/dossier-geo/prix-geo-2009/tourisme/voyages-pour-la-planete-32190 67. Etude «Nachhaltigkeitslabel in Tourismus und Hotellerie, ITW Hochschule Luzern», 2010.

Politiques et stratégies de développement durable dans le secteur hôtelier : le cas d’ACCOR

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Tours opérateurs et Voyagistes Associatifs : Association pour un Tourisme Equitable et Solidaire : ce n’est pas un label mais une association qui fédère au niveau national les acteurs et partenaires du tourisme équitable et solidaire.Agir pour un Tourisme Responsable : est une certification pour sensibiliser les acteurs et les voyageurs de leurs influence et impact sur les destinations, et de leur permettre de s’inscrire dans une démarche de tourisme responsable, depuis la conception des voyages en France jusqu’à leur réalisation sur place.

2. Etude du groupe ACCOR

Au niveau méthodologique, l’analyse des stratégies de développement durable (DD) du groupe Accor a été réalisée par une triangulation de données (Ayerbe et Missonier, 2007) : revue des articles académiques et de presse sur la stratégie d’Accor et ses résultats financiers sur la période 1990-2011, collecte des données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) auprès de l’agence de notation Ethos, analyse du site web d’Accor et de 30 sites web évoquant la stratégie de cette société, étude des rapports financiers et développement durable de 2006 à 2010, réalisation d’entretiens avec des dirigeants d’Accor à son siège d’Evry et de directeurs d’hôtels de cette chaîne. Notre étude se différencie donc tant au niveau de la méthode que de la période analysée de celle de Caire (2004) qui s’arrête en 2004, et se fonde seulement sur l’architecture du site d’Accor, son rapport d’activité 2002, ainsi que la charte environnement de l’hôtelier et le guide attenant.

Accor est un groupe hôtelier français présent dans 90 pays. Fin 2010, Accor compte 4 111 hôtels et 145 000 employés. Sa capacité totale est de 492 675 chambres réparties en quatre marchés principaux : 25% sont situées en France, 25% en Europe (hors France), 22% en Amérique du Nord et 17% en Asie Pacifique. C’est le cinquième opérateur hôtelier mondial en nombre de chambres. Après une phase de diversification, le groupe se recentre actuellement sur une activité 100% hôtelière allant de l’économique au luxe. Il s’est séparé de ses activités de tickets services, ainsi que d’autres activités annexes (revente du traiteur Lenôtre et de sa participation dans le groupe Lucien Barrière)68. Ce groupe fut l’un des premiers à se doter d’une « direction environnement » en 1994, mais il qualifiait dès 1974 : « l’environnement de matière première du tourisme69 ». Il a alors mis en place la « Charte environnementale de l’hôtelier » (1998) pour sensibiliser ses salariés, ses fournisseurs et ses clients et mettre en place un programme de recyclage et d’économie d’énergie. En 2002, afin d’élargir sa prise en compte des enjeux mondiaux, le groupe établit « une direction développement durable » qui compte actuellement une dizaine de personnes. Puis, il instaure en 2005 68. http://fr.wikipedia.org/wiki/Accor 69. http://www.accor.com/fr/faq/developpement-durable/genese-de-lengagement-dans-le-developpement-durable.html

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un outil interne de suivi OPEN (outil de pilotage environnemental), accessible à l’ensemble de ses hôteliers par le biais de son intranet, pour mieux partager les retours d’expérience et le faciliter le reporting des actions de DD.

La structuration de ses initiatives en matière de DD s’accentue en 2006 avec le lancement du programme «Earth Guest». Ce programme vise à mobiliser ses milliers de collaborateurs, ses millions de clients, ses milliers de fournisseurs et ses autres partenaires pour le respect de la planète et le bien-être de ses habitants. Il a créé pour cela une identité visuelle et un slogan « La terre nous accueille, nous accueillons le monde » qui exprime « le cœur de la philosophie d’Accor fondée sur l’hospitalité et le respect des cultures70». Ce programme comprend huit thèmes répartis en deux chantiers EGO/ECO qui rassemblent respectivement l’ensemble des sujets sociétaux (développement local, protection de l’enfance, lutte contre les épidémies, et alimentation équilibrée) et environnementaux (il s’agit de préserver les ressources : eau, énergie, déchets et biodiversité) sur lesquels s’engage le groupe Accor. Depuis 2008, ce groupe a conclu une convention « Accor Services » pour la responsabilité sociétale. Il a alors lancé un réseau d’une centaine de correspondants « développement durable » à travers le monde, qui permettent le déploiement de sa politique et des projets DD, et communiquent les bonnes pratiques et blocages rencontrés dans leur zone. Enfin en 2011, Accor a créé une plateforme de connaissances partagées « Earth Guest Research » sur le DD dans l’hôtellerie. Ouverte à tous les acteurs du secteur, l’objectif est d’analyser et de répliquer les bonnes pratiques pour contribuer à une meilleure intégration du DD dans l’hôtellerie.

Le groupe Accor affiche une « politique de développement durable » volontariste souvent citée en exemple. Mais l’évaluation de ses pratiques déclarées et des actions réalisées sur l’ensemble des volets du DD conduit à nuancer, voire à douter, du caractère effectivement durable de sa politique. En 2004, Caire a montré qu’à l’époque il s’agissait principalement d’une simple politique de communication, de requalification d’actions déjà anciennes et de valorisation de l’image de marque. Toutefois, cette évaluation a été réalisée dans un contexte particulier, avant le lancement du programme «Earth Guest» (2006), et sans réelle comparaison aux pratiques des autres entreprises de ce secteur. Nous allons donc analyser dans un premier temps la notation d’Accor, par rapport à son secteur d’activité, sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) détaillées dans le Tableau n°1.

On constate tout d’abord que le score global progresse peu ces trois dernières années (les notes avant et après 2009 ne sont pas comparables du fait du changement du système de notation) tandis que le rating en 2011 revient au niveau de 2006 à A-. Cette stabilisation à un niveau élevé montre l’engagement 70. http://www.accor.com/fr/groupe/accor-en-bref/engagement.html

Politiques et stratégies de développement durable dans le secteur hôtelier : le cas d’ACCOR

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de cette firme dans le développement durable et l’efficacité des actions mises en œuvre mais également la difficulté à engager des actions qui produisent des effets notables lorsque l’on atteint un certain stade de maturité en matière de développement durable (DD). En effet, les firmes mettent tout d’abord en œuvre les investissements liés au DD qui dégagent une certaine rentabilité (VAN positive) ou visibilité (politique de communication) comme les économies d’énergie, la gestion des déchets ou encore le recyclage. On peut qualifier ces investissements de première phase du DD car même si les entreprises ne sont pas fortement convaincues par le DD, la rentabilité de ces investissements justifie à elle seule leur mise en œuvre. La prise de décision s’avère plus ardue lorsque l’on rentre dans la seconde phase du DD. L’évaluation financière des investissements à réaliser nécessite alors la prise en compte des externalités (positives ou négatives) liées au DD. Cette évaluation est d’autant plus difficile à réaliser que les coûts sont immédiatement perçus et imputables alors que la plupart des gains sont diffus et appréciables sur le long terme comme la gestion des compétences, la diversité ou la santé au travail.

Accor se situant dans cette deuxième phase, la progression de son score total est faible ces dernières années car les investissements à entreprendre pour le faire croître sont importants et cette firme est confrontée à d’autres défis stratégiques dans un contexte de crise de l’économie mondiale depuis 2008.

La dégradation du rating final d’Accor en 2010 (passage de A+ à B+) est liée à son investissement dans le groupe Barrière (casinos). Depuis le 15 avril 2009, Accor avait une participation de 49% dans le groupe Lucien Barrière. Au 31 décembre 2010, le Groupe Lucien Barrière était encore détenu par le groupe Accor et restait donc comptabilisé dans ses comptes consolidés 2010. En mars 2011, Accor vend sa participation de 34% du capital du groupe Lucien Barrière à Fimalac. Sa dernière notation, établie en juin 2011, intègre cet élément et s’améliore quasi-automatiquement (passage de B+ à A-).

Tableau n°1 : Notation ESG d’Accor (source : Ethos)2006 2007 2008 2009 2010 2011

ESG Rating A- A- A- ESG Rating A+ B+ A-Total Score 65 65 70 Total Score 73 73 76Business Ethics 74 74 74 Reporting 40 45 40Community 55 55 69 Business Ethics 80 78 75Governance 68 68 68 Labour Issues 79 81 82Customer 78 78 76 Environment 75 75 86Employees 62 62 75 Human Rights 75 75 76Environment 63 63 62 Governance 69 57 70Contractors 78 78 78

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De plus, le groupe reste globalement, selon les critères ESG, très bien positionné dans son secteur d’activité mais avec de fortes disparités selon ces critères (voir la Figure n°1). Leader dans le domaine de l’environnement, le groupe accuse un certain retard dans les domaines du reporting et de la gouvernance. Entre 2009 et 2011, il a reculé significativement sur les critères liés à l’environnement (mais il garde une certaine avance grâce à ses efforts antérieurs), le reporting et la gouvernance par rapport à son secteur d’activité. Dans ces deux derniers critères, cette évolution négative accroît encore le retard pris dans le domaine du reporting et fait apparaître un déficit pour le domaine de la gouvernance. Cela s’explique par le surplace effectué dans le domaine reporting tandis que le groupe progresse moins vite que son secteur en matière de gouvernance.

Figure n°1 : Comparaison d’Accor à son secteur d’activité

(Source : Ethos)

Cette analyse de la politique de DD du groupe Accor nécessite d’être mise en relation avec les défis stratégiques auxquels ce groupe doit faire face, afin de mieux comprendre ses facteurs limitatifs. Aujourd’hui, ce groupe met en œuvre une stratégie de « recentrage » sur son métier de base : l’hôtellerie (allant de l’économique au luxe) et mise désormais sur le partenariat avec des franchisés plutôt que l’ouverture d’hôtels en propre. Il cherche également à améliorer la gestion de son parc immobilier dans des marchés matures comme la France, et à développer de nouveaux marchés à l’étranger. Il a lancé un programme de

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rénovation sans précédent du parc français de son enseigne non standardisée Mercure (233 établissements, soit 22 000 chambres). Ce programme, fruit de dix-huit mois de travail et déjà testé sur trois hôtels en filiale, vise en effet à réduire le coût de la rénovation d’une chambre Mercure jusqu’à 40% ! Un enjeu de taille sachant qu’Accor prévoit d’en rénover 5 000 dans les cinq ans, sans compter les franchisés71. Accor annonce également une opération immobilière majeure dans l’hôtellerie très économique en France : cession des murs de 158 hôtels F1 pour 272 millions d’euros. De plus, ce groupe vise l’installation de toute sa gamme d’hôtels, des Formule 1 bon marché aux luxueux Sofitel, en Inde. Il souhaite ainsi passer de 9 à plus de 63 hôtels en quatre ans en couvrant tous les segments du marché. Denis Hennequin, son PDG, a affirmé qu’Accor sera « le seul groupe hôtelier international en Inde à disposer de marques couvrant tous les segments72 ».

On peut noter que pour toutes ces stratégies, le souci majeur est de réduire les coûts, d’élargir sa part de marché, d’augmenter le nombre d’hôtels, ou encore de mieux gérer sa dette, le mot « durable » n’apparaît pas. Cela semble en contradiction avec sa politique déclarée de DD car cette dernière devrait imposer un ancrage prioritaire des enjeux du tourisme durable et le respect des priorités ECO/EGO du programme Earth Guest.

Sophie Flak, directrice du développement durable, reconnaît d’ailleurs la difficulté à intégrer la politique de DD du groupe dans sa stratégie : « Il existe beaucoup d’initiatives dans nos 4 200 établissements, mais on a du mal à déceler une ligne directrice… Nous souhaitons à présent passer de l’approche intuitive à une approche plus factuelle et scientifique ». Elle poursuit « Il faut que la « bonne idée du matin devienne plus réfléchie afin d’éviter les fausses bonnes idées73 ».

En fait, ces divergences stratégiques ne sont pas nouvelles. Elles ont commencé à émerger en 1997, lorsque les deux cofondateurs d’Accor, Paul Dubrule et Gérard Pélisson, cherchent à assurer leur succession. Ils changent le gouvernement d’entreprise en adoptant la forme d’un directoire et d’un conseil de surveillance, et font nommer Jean-Marc Espalioux, président du directoire. L’objectif consistait alors à rassurer les banquiers et les actionnaires qui exigeaient la nomination d’un gestionnaire à la tête de ce groupe. Au fil du temps, Jean-Marc Espalioux a perdu la confiance des actionnaires, notamment des fonds d’investissement, qui lui ont reproché de ne pas avoir su doper le cours de l’action, même si ce dernier a été multiplié par deux durant son mandat, malgré l’influence négative des attentats du 11 septembre sur le tourisme à l’échelle internationale… Suite à ces tensions, il a été remplacé en janvier 2006 par Gilles Pélisson, neveu de Gérard Pélisson, au terme d’un processus de recrutement qui n’aurait pas, selon

71. Les Echos (2011), Hôtellerie : « Le coût de rénovation des Mercures réduit de 40% ».72. CFCT Accor, 2011.73. Les Echos (2011), « ACCOR sonde ses clients et prépare une nouvelle stratégie durable ».

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certains administrateurs, respecté les règles de bonne gouvernance. Le groupe abandonne alors la structure existante de directoire et conseil de surveillance au profit de celle plus classique et plus anglo-saxonne de conseil d’administration. Sous cette tutelle, il mène une stratégie « d’allègement en capital » sous la pression du fonds d’investissement Colony Capital afin d’accroître la rentabilité des fonds investis. Il souhaite des hôtels qui « pratiquent un marketing plus fort, plus visible, plus rentable…»74. Mais au fil du temps, Gilles Pélisson s’oppose de plus en plus à son board sur deux sujets cruciaux ; la gestion du portefeuille de marques (jugé trop large pour certains administrateurs) et le développement du réseau de franchisés. Finalement, ce dernier est remplacé en novembre 2010 par Denis Hennequin, un expert de la franchise, qui a imposé McDonald’s comme le premier restaurateur de France grâce à son modèle de franchise.

Cette analyse montre la dualité qui existe entre la définition d’une politique de DD et son application en termes de stratégies opérationnelles. Ce groupe a vécu des problèmes de fonctionnement notables, liés à une organisation complexe et aux tensions entre les dirigeants et les actionnaires, qui reprochent une insatisfaction relative en termes de rentabilité et de valorisation du cours boursier… Cela se traduit dans une déstabilisation de la structure de gouvernance (confirmée par la notation ESG et le retard constaté dans la Figure n°1 en matière de gouvernance et de reporting), et des stratégies de l’entreprise. Ainsi, on constate que malgré le processus d’intégration de la politique de DD du groupe dans sa stratégie globale et la mise en place d’une très large gamme d’actions75, cette politique reste principalement orientée vers la commercialisation et la communication. En effet, la pression des actionnaires pour une rentabilité élevée et immédiate, les conflits d’intérêts notables, les changements de structure de gouvernance et les revirements stratégiques ne peuvent que rendre plus difficile la mise en place d’une politique de développement douce et de long terme (Gallouj, 2011).

La question, qui découle naturellement de ce constat, est de se demander que doit réellement faire un groupe comme Accor en matière de DD, où doit-il s’arrêter ?Même si cette question justifierait à elle seule une autre recherche, on peut cependant avancer quelques éléments de réponse à deux niveaux ; celui du groupe Accor et celui de son secteur d’activité.

Au niveau du groupe, sa politique de DD devrait lui permettre de suivre une stratégie de développement maîtrisé, une gestion des risques appropriée et un renforcement de son image de marque. Le programme Earth Guest, actuellement déployé sous ses différentes priorités EGO/ECO, remplit ces différents objectifs et montre une bonne « synergie » entre les initiatives de Accor en matière de responsabilité sociétale et environnementale d’une part, et l’optimisation économique et commerciale d’autre part. Cependant, deux points restent

74. http://www.lepoint.fr/economie/accor-pelisson-s-en-va-hennequin-arrive-03-11-2010-1257561_28.php75. D’après la Charte Environnement, ces actions sont passées de 16 actions en 2004 à 65 aujourd’hui.

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critiques : les problèmes récurrents de gouvernance qui ne semblent pas réglés malgré le changement de PDG, et l’hétérogénéité des pratiques en matière de DD dans les différents hôtels du groupe. Ce dernier problème résulte du fait que les filiales régionales, nationales et surtout les hôtels restent autonomes dans leurs pratiques de développement durable et la réglementation locale demeure leur principal critère incitatif. Mais cela ne devrait pas empêcher le siège, via la direction développement durable et son réseau de correspondants, d’influencer plus fortement ces pratiques en fournissant une assistance, une expertise et des outils, voire même en imposant des normes de certification. En effet, la certification d’un hôtel est un formidable vecteur d’amélioration et de transformation car elle nécessite de régler auparavant les divers dysfonctionnements, les problèmes de moyens et de structure. Or, le groupe Accor n’a obtenu la certification verte (14001 ou Earthcheck) que pour 500 hôtels parmi les 4 200 qu’il gère, soit 12%. Sans engagement fort, le groupe Accor peut juste espérer que le principe de contamination graduelle fasse son effet à l’intérieur du système, et que le DD soit de plus en plus présent dans la gestion au quotidien des hôtels de son groupe.

Au niveau de son secteur d’activité, Accor souhaite affirmer et confirmer sa position de leader en matière de DD notamment grâce au lancement de sa plateforme « Earth Guest research ». Au-delà de l’analyse des meilleures pratiques de DD dans le secteur, l’objectif de cet outil est de mieux évaluer comment le DD est appréhendé par les clients de l’hôtellerie d’une part, de sensibiliser les clients au DD d’autre part. Si l’objectif est clairement marketing dans le premier cas (visant à une meilleure connaissance des attentes des clients), il est plus désintéressé dans le second cas. Il se situe dans la lignée d’actions déjà entreprises depuis de nombreuses années par le groupe comme la diffusion depuis 2002 du guide pratique destiné aux touristes pour les sensibiliser aux actions ou gestes simples à effectuer pour mieux consommer l’eau, l’électricité, le gaz… à l’hôtel comme à la maison.

Conclusion

L’analyse de la stratégie de développement durable (DD) au sein d’une grande chaîne hôtelière comme le groupe Accor montre qu’au-delà des risques « de divergence stratégique » résultant de la place que doit occuper le tourisme durable dans la stratégie globale, sa mise en place nécessite la prise en compte des facteurs de différenciation des hôtels et l’instauration de programmes appropriés. En effet, on observe ces dernières années une stagnation de la notation ESG de ce groupe qui reste globalement très bien positionné dans son secteur d’activité avec de fortes disparités selon les critères. Leader dans le domaine de l’environnement, le groupe accuse toujours un certain retard dans les domaines du reporting et de la gouvernance. De même, les pratiques observées sont très diverses au sein de ce groupe. Sur des marchés développés où la concurrence est forte, le DD apparaît comme un élément central et

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différenciateur de la politique commerciale des hôtels haut de gamme. Or, ce sont les hôtels économiques qui dégagent les marges les plus fortes. Cela résulte d’une politique agressive de gestion des coûts afin de conserver de bas prix. Investir massivement dans le développement durable pourrait faire baisser la marge d’exploitation d’autant plus que le DD n’est pas forcément différenciant pour ce type de clientèle. De même dans des pays moins développés, comme la Tunisie ou l’Inde, où la problématique est de rentabiliser un tourisme de masse avec une politique de prix bas, on remarque que la politique de DD des hôtels est relativement faible, même lorsqu’ils appartiennent à des groupes comme Accor et qu’ils abordent 3 ou 4 étoiles.

La définition de stratégies optimales de DD dans l’hôtellerie reste donc à imaginer. En effet, étant un concept abstrait, le DD est souvent bien loin des préoccupations des chefs d’entreprises en particulier lorsque la conjoncture se contracte. Pourtant, il est synonyme d’enjeux importants pour toutes les entreprises. Aujourd’hui, est-ce qu’un tourisme durable est réellement possible compte tenu de la crise économique ? Il s’agit d’une question cruciale qui dépasse la sphère de ce secteur d’activité et ouvre d’autres perspectives de recherches.

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