badiou-quel est le vrai sujet de parsifal

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  • 8/10/2019 Badiou-Quel Est Le Vrai Sujet de Parsifal

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    Q UEL EST LE VRAI SUJET DE P ARSIFAL ?

    Alain Badiou

    Journe Parsifal (Ens, 6 mai 2006)

    [transcription de lexpos]

    Ma question, qui en vrit aura t longuement prpare ce matin, est celle-ci : quel est, en dfinitive,le vrai sujet de Parsifal ?

    Vous me direz tout de suite et je me le dis moi-mme : mais quest-ce que la question du sujetdun opra ? Comment peut-on poser la question du sujet dun opra si on entend par sujet le mode proprede constitution de lIde, cest--dire le mode propre selon lequel se constitue lIde elle-mme (puisquemon point de vue nest pas que lart soit la descente de lIde dans le sensible mais que lagencementsensible constitue lui-mme le lieu de lIde) ?

    Cette question du sujet est particulirement difficile quand il sagit des arts les plus impurs, par exem- ple du cinma. On a beaucoup discut, et moi-mme y compris, sur la question du sujet au cinma puis-que le cinma est un art composite, aux matriaux extrmement complexes et imbriqus, et la question desavoir comment sy constitue lIde est particulirement difficile.

    Mais dj lopra est un art extrmement impur. Il est en fait comme le pr-cinma fabuleux du 19sicle. Cest dailleurs pour cela que les connexions entre opra et cinma constituent quasiment unequestion elles toutes seules.

    La difficult dans les arts impurs, cest quon peut dire, aprs tout, que le mode propre de constitutionde lIde, cest le point de puret de limpur, cest dceler dans la composition extrmement impure etcomplique quest un opra le point de puret immanent de cette impuret elle-mme, cest--dire com-ment quelque chose de pur est difi partir de limpur lui-mme.

    On voit bien alors que la question, cest que lagencement sensible de lIde, sa constitution sensible,se fait en ralit dans une multiplicit htrogne, en tous les cas dans une multiplicit dapparence ht-

    rogne.Si on aborde alors la question dun art impur de ce biais-l, la question est : quest-ce que cest quune

    multiplicit htrogne ?On pourrait dire que la multiplicit est htrogne quand elle est une composition elle-mme de hasard

    et de nant, cest--dire quand elle est la fois expose une contingence matrielle (qui est la composi-tion htrogne souvent des sources et des matriaux divers quelle brasse) et que, ce faisant, elle exposela puret de lIde au nant prcisment, son ensevelissement dans la contingence des matriaux.

    Cette composition de hasard et de nant qui est le sort de la multiplicit htrogne dans les arts les plus impurs a t particulirement remarque propos de Parsifal et cela a cr une tradition queFranois Nicolas a parfaitement analyse et dcortique1 qui est une tradition de dprciation de Par-

    sifal puisque la thse selon laquelle Parsifal ne serait pas le meilleur opra de Wagner mais un opra devieil homme fatigu a une longue tradition Parsifal est sous-estim, trs sous-estim selon ThomasMann2 -.

    Alors le hasard ?Cest ce qui a donn toujours lieu la critique du bric--brac scnique et symbolique de Parsifal dont

    on peut faire rire. Faire rire avec Parsifal , cest trs facile ; et je peux le faire loccasion. Il y a dabord un attirail chrtien suspect : le Graal, la rdemption, la messe, le pch de la chair, etc. Il y a des relents racialistes, a, cest quand mme vrai. On a pu soutenir par exemple que

    1 [Notes du transcripteur]Cf. lintervention prcdente de Franois Nicolas : coutez Parsifal ! Texte : www.entretemps.asso.fr/Wagner/Parsifal/12.htmVido : www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=12462 Cf. lintervention prcdente dIsabelle Vodoz : De Parzival Parsifal Texte : www.entretemps.asso.fr/Wagner/Parsifal/Vodoz.htmVido : www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1247

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    2 Rdemption au rdempteur ! voulait dire que le Christ lui-mme a besoin dtre rdim parcequil tait juif. Sans aller jusque-l, il y a quand mme autour du sang, de la question de la puret dusang, etc., des choses qui effectivement font partie dun bric--brac idologique.

    Il y a une symbolique sexuelle douteuse parce que finalement, l, Nietzsche na pas compltementtort de dire quon ne sait pas trs bien distinguer entre lapologie de la chastet et lapologie de laluxure ; tout cela, cest trs commutable dans Parsifal , exactement comme servir ou corrompre , cestla mme chose.Et lpisode des Filles-fleurs, cest musicalement admirable, mais on a souvent dit que cela ressem- blait beaucoup un bordel bavarois par ailleurs.

    Et puis la blessure dAmfortas, cest laChose Slavoj Zizek a crit l-dessus des choses tout fait brillantes3 - ; cest la Chose quasiment exhibe comme un morceau de viande chez Syberberg, et ellea des parents manifestes au sexe fminin.

    Donc Parsifal remue tout a, et on peut considrer que cest en effet un attirail compliqu, une soupeextrmement douteuse.

    Cela, cest pour le hasard.

    Du ct du nant ?Le nant a donn lieu aussi des effets qui font que Parsifal serait impuissant produire rellement la

    puret de lIde. On a ainsi fait des procs lextension dmesure du temps dans cet opra : on a object Parsifal

    que la logique des leitmotive qui, dans les opras prcdents, tait une logique de mtamorphose, ydevenait une logique dextension voire de succession, en remarquant en particulier que bon nombredes motifs de Parsifal sont des motifs longs, des cellules segmentaires quon peut combiner ou m-tamorphoser rapidement.

    On a dit aussi quil y avait une sophistication ornementale : pour masquer prcisment cette incapaci-t des mtamorphoses, la vieille sorcellerie wagnrienne tait mise en jeu, mais un peu comme un co-loris plaqu.

    On a object quil y avait un sublime mais finalement nosulpicien, un sublime un peu en confiture -mme Boulez na jamais pu rellement aimer la fin de Parsifal : il dit cela -, a monte dans la vapeur

    rose, quand mmeAlors si Parsifal est bien tout cela, cela veut dire quil aurait chou dans les deux luttes constitutives

    de lIde dans le cadre des arts impurs, savoir la lutte contre le hasard et la lutte contre le nant qui sontles effets de la multiplicit htrogne.

    Comment lutte-t-on alors contre le hasard et contre le nant si ce combat est bien lenjeu delapprciation de Parsifal ?

    L-dessus il y a un propos dthique de lart absolument formel chez Mallarm. Je serai un peu guid par la comparaison entre lentreprise parsifalienne et lentreprise mallarmenne pour des raisons que jedirai.

    En ralit le problme est de transformer le hasard en infini et de transformer le nant en puret. Canest pas de les abolir proprement parler, cest de les relever : le premier comme infini on en a dj beaucoup parl : linfinit locale et les deux sont prononcs de manire extraordinairement puis-sante la fin d Igitur par Mallarm, la fin des manuscrits d Igitur .

    Dabord sagissant de lacte mme d Igitur , Mallarm dit : Il rduit le hasard l Infini 4. Cela,cest la premire lutte. Et puis la dernire phrase des manuscrits d Igitur , cest : Le Nant parti, reste lechteau de la puret. 5

    Alors on pourrait dire : le sujet dans le cas des uvres impures, particulirement exposes aux affectsdltres du hasard et du nant et de leur combinaison, le sujet serait le point o le chteau de la purettrouve sa dclture, ou sa dclosion infinie, le moment o la puret, validant en quelque sorte le nant, est

    3 Cf. La politique de la rdemption , dans La subjectivit venir (d. Climats, 2004)Voir galement lintervention suivante de Slavoj Zizek : Parsifal , une pice du thtre didactique brechtien Vido : www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=12494 Cf.uvres compltes (Pliade, 1945) : p.4425 p. 443

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    3aussi dclosion, cest--dire un chteau ouvert : le chteau ouvert de la puret.

    Cest la premire esquisse propos de Parsifal effectivement. Parsifal cest en tout cas bien le sym- bole de tout cela ; et Parsifal le nom propre, le personnage lui-mme. Le personnage de Parsifal, cestvraiment cette question de la puret ouverte, de la puret non pas comme clture mais comme dclosion,le symbole de tout cela.

    Il faut remarquer que cest aucunement un personnage vrai dire. Ds quon se reprsente Parsifalcomme un personnage, on a des difficults parce que cest vrai que lhistoire de ce puceau qui est audeuxime acte sduit par lallgorie de sa maman et qui ensuite se perd indfiniment (on ne sait pas trop pourquoi dailleurs) et qui au bout du compte ne fait pas grand-chose, rien comme tu [Fr. N.] disais : il ditnon un moment donn Comme personnage, il est inconsistant ; il chante dailleurs trs peu : il chantevingt minutes en tout dans lopra, il aurait pu presque tout faire en une seule fois. Et dailleurs il fautreconnatre que le jouer est trs difficile, gnralement abominable, surtout quand vous avez un vieuxParsifal de soixante-cinq ans, gros comme un tonneau ; il est encore plus lpreuve mme quun grosSiegfried, ce qui est dj difficile. Syberberg je ne vais pas anticiper sur ce qui sera dit sur le film deSyberberg6 a trouv une solution gniale, extraordinaire, mais il bnficiait il est vrai du play-back.

    Alors je pense quil faut entirement abandonner Parsifal comme personnage et le prendre comme unsignifiant en ralit. Il est le signifiant Rein , pur , il porte cela. Le chteau de la puret, cest lui.

    Et alors sa trajectoire symbolique ou son jeu signifiant va de la pure innocence cest--dire de la puret comme innocence ou de la puret der reine Tor , la puret donc presque comme une folie, pure-t qui est annonce par une prophtie en ralit (cest la dimension prophtique du point de dpart : satrajectoire va de cette puret folle comme prophtique jusqu la dclaration finale), il va de la pure inno-cence la dclaration cest cela la trajectoire -, la dclaration qui est accomplissement puisque la d-claration, cest un dire performatif. Et alors l, au moment de la dclaration, cest un peu le contraire : ilny a que la puret qui reste mais elle a compltement chang de statut : cest reinsten Wissens Macht 7, le pouvoir du plus pur savoir . Il va donc de limpouvoir de lignorance de la puret la puret comme pouvoir ou comme force, comme force de savoir.

    Cela cest important : pur est invariant, puret est invariant parce que cest le nom de lIde finale-

    ment, comme doit ltre le sujet en un certain sens, mais les attributs changent. Au fond lopra estlhistoire des changements dattribut de la puret invariante ; cest--dire quon passe de la puret commenon-savoir la puret comme force du savoir, et cela, cest lhistoire de Parsifal.

    Donc l on voit bien en effet : cest la construction du chteau de la puret, cest cela qui va demeureren ralit. Et puis dun autre ct, on a le chteau, le Burg , Montsalvat, et le problme du chteau, cesttrs prcisment quil est repli sur sa clture, il est referm, il a perdu toute capacit dinfinit, il est clos.Et il est clos sous le signifiant du Pre . Parce quil y a une responsabilit dAmfortas mais aussi une res- ponsabilit trs grande de Titurel !

    Titurel cest celui qui considre que le Graal, cest ce qui lui permet de continuer vivre alors quil estmort. Il est dans son tombeau, il est vivant, et pourvu quon lui donne priodiquement du Graal, il conti-nue ; mais cest un usage lgrement autocentr de la symbolique transfiguratrice donc cest lui quandmme qui commence lensablement, la dgnrescence. Et donc la puret parsifalienne comme invariantqui passe du non-savoir au savoir va sarticuler sur cette clture de manire en constituer louverture. Etdonc on retrouve bien a absolument dans la fable de Parsifal , cette logique qui apparie puret et infinicomme traverse et rorganisation dun matriau htrogne, impur, et donc comme lutte constitutivecontre le hasard et le nant.

    Alors Rdemption au rdempteur , qui est le mot final, cest le nom de cela ; cest--direrdemp-teur finalement, ctait ce qui est parvenu sa clture ; il doit donc tre relev. Il doit donc y avoir unerdemption du rdempteur ce qui veut dire la rouverture infinie par un nant transform en puret, par letrajet dune puret invariante de ce qui stait clos sur soi-mme. Donc la fable inscrit bieninfini et puret dans la geste parsifalienne, comme constitutif du personnage Parsifal lui-mme.

    Alors vous avez une symbolique contraire qui est dans le couple du clos qui est le couple Titurel-

    6 Voir lintervention suivante de Denis Lvy : Autour du Parsifal de Syberberg Texte : www.entretemps.asso.fr/Wagner/Parsifal/Levy.htmVido : www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=12507 Rplique n 366

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    4Klingsor. Il est trs intressant : les personnages de Parsifal , on peut les articuler dans des groupements ; pratiquement toutes les combinaisons sont viables, cest tout fait extraordinaire. Vous pouvez dire unmoment donn : Titurel et Klingsor, cest la mme chose, mais Klingsor et Amfortas, ils sont aussi appa-rents. Finalement Kundry et Klingsor, cela marche aussi ensemble, mais Kundry et Amfortas aussi. Etquand Parsifal, il va avec tout le monde puisquil est charg malgr tout du signifiant synthtique.

    La symbolique contraire celle de linscription de linfini et de la puret dans la geste de Parsifal ,cest le couple Titurel/Klingsor, et le couple Titurel/Klingsor enferme en lui-mme le couple Amfor-tas/Kundry en ralit : Amfortas est le fils de Titurel et Kundry est asservie Klingsor. Et donc vous avezun enfermement du couple Amfortas/Kundry dans le couple Titurel/Klingsor, et cest a quil va falloirdclore ; il va falloir ouvrir a de manire ce que le travail de la puret savre infini.

    Ceci dit, videmment si je rsous le problme du sujet du strict point de vue de la fable, je nai pas dutout accompli mon propos puisque la fable reste encore extrieure au caractre effectif de ce quest unopra puisquun opra nest pas rductible sa fable, videmment.

    L donc, nous avons une premire strate abstraite. Cest prsent mais cela ne rsout pas la question : le problme du sujet de lopra ; cest--dire : o se dit dans lopra la connexion de linfini et du purcomme index de lIde, comme combat contre la contingence du matriel et le nant de ses effets, commeindex de lIde ?

    Alors je proposerai cest assez proche probablement de lide des moments que Franois Nicolas prend plutt du ct de la musique -, je dirai que le sujet de lopra est avr au moment o la structura-tion musicale fonctionne comme indiscernable de leffet thtral, cest--dire au moment o vritable-ment on a un effet dinsparation perceptible, ressenti, laquelle on sincorpore, entre la structurationmusicale et leffet thtral : cest en cet lment inspar comme moment que le sujet de lopra, commecohsion immanente (ou dans mon jargon comme registration transcendantale de lopra ou comme trans-cendantal du monde de lopra) est avr et va partir de ce moment-l se diffuser dans lopra commetel ; alors la logique de la diffusion du moment dans lopra entier, cest un problme analytique en soi ettu [Fr. N.] as dit beaucoup de choses l-dessus.

    Donc on dirait : le sujet peut tre nomm partir des moments dindiscernabilit entre structuration

    musicale et effet thtral de telle sorte quon a des moments o limpuret nest pas abolie mais en effetsynthtise sans que les ingrdients de cette impuret ne soient supprims ou raturs mais en un effetdindiscernabilit

    Cela serait une thse gnrale

    Je voudrais donner deux exemples introductifs

    Si on se demande quel est le sujet cela a toujours t trs discut du Don Juan de MozartAlors en appliquant ces critres on rpondrait que le sujet en fin de compte du Don Juan de Mozart, ce

    nest pas du tout la sduction, les femmes, etc., (cest dailleurs aux lisires dun comique un peu misra- ble : il rate tout vraiment, cest une srie de catastrophes). Le sujet mon avis cest un sujet trs 18 si-cle ; cest : on peut (cest une possibilit), on peut dfier le suprasensible.

    Cest cela une possibilit ouverte dans la figure de la critique du 18 sicle. On peut, car le sujet est la fois diffr et anticip. Le sujet est diffr parce quen en ralit il nest prononc que dans lavant-dernire scne de lopra,

    finalement, au moment o effectivement Don Juan dfie la statue du Commandeur, accepte en fin decompte, sexpose son anantissement. On peut, il ne sagit pas de dire quon doit.

    Mais il est aussi anticip puisque le matriau musical de cette scne est prsent ds lOuverture.Donc le sujet est prononc en anticipation et en diffr. Et il se diffuse comment ? Il se diffuse mon avis travers en ralit cette forme trs particulire

    dangoisse nocturne qui cimente le tout et qui rode dans la totalit de lopra, angoisse nocturne en-cadre par la prescription de lOuverture et de lavant-dernire scne comme possibilit, comme ce possible-l : si on peut dfier le suprasensible, alors toutes les aventures humaines sont marques de

    suspens et dangoisse.Et puis un autre exemple : si on se demande quel est le sujet de Pellas et Mlisande de Debussy ?Je dirais : propos de Pellas et Mlisande , ce qui ma toujours frapp, cest que le sort dune repr-

    sentation de cet opra se joue sur des moments extrmement courts. Par exemple comment Mlisande dit

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    5 Pellas : Pourquoi partez-vous ? 8 je ne peux pas le chanter et jai toujours pens quelinterprtation de Mlisande bascule entirement selon comment est dite cette phrase.

    Il y en a dautres. Cest toujours de Mlisande quil sagit ; comment elle dira plus tard : Je ne suis pas heureuse ! 9 ; comment la fin, lextrme-fin, elle dira : Oh ! oh ! Je nai pas de courage ! Jenai pas de courage ! 10. Ce sont des choses extraordinairement difficiles dire, chanter ; ce sont deschoses presque impossibles dire et lopra, comme sur un point diamantaire extrme, joue son sujet surces moments-l. Pourquoi ? Parce que je pense que le sujet de Pellas et Mlisande , cest les effets dunon-dit dans lamour. Et effectivement, au moment, o lon est dans quelque chose qui touche au dire dunon-dire ce quil est le cas de ces trois lments -, on est dans le moment o est avr le sujet. Et alorsce nest pasdiffr et anticip , mais des formes suspendues, des formes allusives dans lesquelles on a unemusicalit absolument nu de ce qui est prononc.

    Voil, ctait pour lgitimer un peu hors Parsifal cette doctrine du sujet.

    *

    Et alors dans Parsifal , si on applique cela, on peut reprendre dans un nouveau parcours la question dusujet.

    Dabord la recherche du moment.Je pense que dans Parsifal dabord mthode ngative que tu [Fr. N.] as aussi utilise le sujet

    nest pas prononc ou soutenu par le chant comme tel, par le dire verbal comme tel. Le sujet va se trouverailleurs. Ce qui est explicitement dit nest pas un guide direct pour le sujet de Parsifal . Jen vois deux preuves ou deux exemples : au dbut et la fin.

    En ralit cet opra est encadr par le grand rcit de Gurnemanz et par la dclaration finale de Parsifal, pour des raisons videntes. Or le rcit de Gurnemanz qui est magnifique on en a fait un dbutdanalytique tout lheure reste dans la visibilit manifeste de ce que tu [Fr. N.] as appel son support,la porteuse . Cest un morceau synthtique o il y a une visibilit de la synthse. Si on carte un tout

    petit peu les lments, on voit leur htrognit radicale.Et la dclaration finale de Parsifal, je pense quune bonne partie de linterprtation de Parsifal reposesur ce que lon en pense ou ce que lon en prouve. Moi, je trouve que cest une musique sans effet desens. Autant la dclaration finale de Brnnhilde dans leCrpuscule des dieux est une vritable dclarationconclusive, autant la dclaration finale de Parsifal jy reviendrai est comme fuyante ; elle porte trs peu de sens. En tant que telle, elle est sans effet de sens, ce qui prouve bien que ce nest pas l au niveaudes dclarations, proclamations et rcits quon va rsoudre le sujet de Parsifal .

    Et je pense quelle nest pas non plus et l je concide avec ton analyse [Fr. N.] -, elle nest pas non plus dans les lments conflictuels traditionnellement convoqus pour rsoudre ce problme, cest--direles conflits entre le monde du sacr et le monde du profane, les conflits entre le monde du rel et lemonde de lapparence, les conflits entre le monde de la puret et le monde de la luxure, les conflits entrele monde masculin et le monde fminin. Je dois dire que toutes ces grandes oppositions ont t convo-ques pour Parsifal - on pourrait continuer : lintelligible et le sensible, le chteau et la fort, on trouvemme lalimentation complte ou lalimentation vgtarienne, le sang pur et le sang impur, les Juifs et lesnon-Juifs, tout ce que vous voudrez -, absolument toute opposition canonique qui investit un momentou un autre lanalyse de Parsifal pour lclaircir

    Je pense que la plus convaincante est probablement lopposition de lapparence et du rel parce quellefonctionne dans le cur dramaturgique du deuxime acte, le deuxime acte qui est lhistoire de la dissipa-tion de lapparence ; mais si cela claire la dynamique du deuxime acte, ce nest pas la structuration delopra.

    Ce nest donc pas du ct de ces oppositions, dialectiques, pas non plus dans la question du christia-

    nisme telle qulabore par Nietzsche quon trouve le sujet de Parsifal tu [Fr. N.] las dj dit -. Je redi- 8 Acte I, scne 39 Acte II, scne 210 Acte IV, scne 4

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    6rai autrement : il est absolument vident que dans Parsifal le Crucifi est un problme et non une solu-tion. Cest fondamentalement loppos du christianisme.

    Et puis ce qui surmonte ce problme, ce qui permet de trouver la solution de ce problme, le problmede ltat o en est rduit la rdemption premire, savoir rien du tout, ce qui va le surmonter, ce nest pasce dont il a t le ractif et donc lide gnrale de Parsifal et cela, cest un point fondamental nest pas quil faut proposer une restauration, et cela en est souvent trs proche. Et en ce sens il ne sagit pas dergnrer proprement parler le christianisme comme tel ; l nest pas la solution. En ralit, sur cettequestion du christianisme, le point limite propos par Parsifal est suspendu dans son infinit ; ce nest pasune relve dialectique au sens de son accomplissement ; on a un point suspendu dans son infinit qui sim- plement prononce quil y a connexion entre infini et compassion.

    La compassion est linstrument qui permet dinfinitiser la clture. La compassion est requise pour d-clore ce qui est ferm y compris dans le christianisme lui-mme. Et pour cela il dira (dans la proclamationfinale) : la force la plus haute, celle de la compassion 11.

    Donc ce ne serait pas dans ces directions-l. Mais alors, o trouver cette figure ?

    La figure scnique qui saccorde lextension temporelle de la musique, qui est coextensive sa cou-leur, qui est aussi lie ltagement des couches sonores, ce que tu [Fr. N.] appelles les effets de nuagesdans Parsifal , les points o en ralit il y a dans Parsifal la tentative de rendre indiscernables harmonie etcontrepoint, le point o vritablement lintrication des dimensions horizontale et verticale se fait par desmoyens nouveaux, o a se passe ?

    Je pense que a se passe de faon dploye dans les deux temps du crmonial dans le chteau.Il y a deux grands moments crmoniels : le deuxime tableau du premier acte et le deuxime tableau

    du troisime acte, tous les deux introduits par des moments musicaux exceptionnels. On a donc une sym-trie dlibre. Et donc je proposerai de dire que le sujet de Parsifal , cest la question de savoir si une c-rmonie contemporaine est possible. Ce serait la question de la crmonie.

    Et cest une question intrinsque. Cest une question distincte de celle de la religion. Parce quen effet,on peut dire quune crmonie, cest un mode de reprsentation du collectif lui-mme, un mode de re-

    prsentation de la communaut elle-mme - allons jusque-l - ; mais la transcendance nen est pas unecondition intrinsque. On pourrait dailleurs dire que la question de Parsifal est celle de savoir si unecrmonie sans transcendance est possible.

    Donc elle est distincte aussi de la question du sublime, de lesthtique du sublime laquelle on la r-duit quelquefois. La crmonie, dans lesthtique du sublime, y compris la crmonie de Parsifal -, neserait en ralit quun moyen, quun tayage formel pour la sublimit. On peut dire que Wagner a tout fait pour quon pense cela parce que la crmonie est ascendante puisquil y a un chur en bas, un churintermdiaire, un chur tout en haut (les voix des enfants angliques) et donc la crmonie semble btievers un principe ascensionnel qui indiquerait une transcendance.

    Je crois que ce nest pas le cas en ralit. La question demeure : quest-ce que cest quune crmoniesans transcendance, donc une crmonie qui nest pas un moyen mais qui est la chose elle-mme, la re- prsentation de la communaut en elle-mme.

    Alors il faut savoir que vers la fin du 19 sicle, la crmonie la question de la crmonie est po-se de toute part et que cette question est elle-mme sa propre fin. Ce nest pas la crmonie commemoyen dune transcendance ; cest la crmonie comme possible : la crmonie est-elle possible ?, avec lathse latente quelle ne lest plus, que la caractrisation de la contemporanit, cest prcisment que lacrmonie est devenue impossible comme Mallarm le remarque, cest difficile de tenir pour une c-rmonie les runions du Parlement !12 -.

    11 R36612 p. 389 : Voire le chuchotement entendu de la raison ou un discours au Parlement, rien ne vaut que comme air tenu long-temps et selon le ton qui plat. le menu jeu de lexistence, agrandi jusqu la politique, tel que journellement le dsigne la presse Quel rapport existe entre une assemble contenue, sobre et des exaltations tout lheure jaillissant, avec orgie,dimmmorialit, de soirs et de gloire ; ou autres bouffes infinies : sinon, se prte-t-on, en raison du caractre dis- proportionn quant soi de tels clats, une mystification .

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    7L, je reprends videmment mon fil mallarmen : la question de la crmonie est une question expli-

    cite et mme centrale chez Mallarm. Je rappelle que le Livre , le fameux Livre qui na pas eu lieu tait en ralit un protocole crmonial. Un bon nombre des manuscrits sont consacrs la question desavoir la disposition des chaises, o sera lofficiant, combien cela va coter ; les lments les plus nom- breux sont ceux-l. Le Livre , ctait une crmonie et il tait prvu pour tre lu et prodigu dans un ras-semblement de la foule. Et il faut se rfrer de ce point de vue-l toute la sectionOffices dansVariations

    sur un sujet . Ce sont des textes extraordinairement clairants je vais essayer de le montrer concer-nant Parsifal .

    Dans ces textes, Mallarm examine diverses figures du crmonial ou de la crmonie sorientant in-vitablement vers la messe, loffice sacr comme archtype de la crmonie.

    Il regarde dabord louverture des concerts avec cette phrase : la Musique sannonce le dernier et plnier culte humain 13.

    , ctait bien vrai alors ; maintenant, cest un culte solitaire. La nostalgie de la crmonie est abso-lument flagrante si vous allez un grand concert de rock au Znith : l vous prouvez vif quand la jeu-nesse, toutes composantes confondues, [partage] la profondeur de la nostalgie de la crmonie. Seule-ment, cest une parodie, a narrive pas comme peut-tre Parsifal , on y reviendra tre vraiment au-del dune parodie ; mais cest de cela quil sagit. La musique a t le dernier et plnier culte humain mais elle sest avre un culte humain aussi dlabr que la communaut des Chevaliers dans Parsifal au premier acte.

    se termine quand mme par des couteurs dans les oreilles lesbaladeurs ! - Il ny a rien de plus oppos la crmonie que le baladeur, cest vident : la crmonie, cest le rassemblement dans unlieu, cest la constitution dun lieu ; et le baladeur, cest la musique sans lieu.

    Aprs cela, Mallarm examine la messe dont il dit quelle saffirme en la conscration delhostie 14 parce que lui aussi est en plein dans les mtaphores et la symbolique chrtiennes. Ce nest pasle Graal, cest lhostie, mais enfin, on a laChose . Elle saffirme prototype de crmonial. La messe, cest

    pour Mallarm, le prototype de crmonial. Donc vous voyez que l aussi Wagner est dans le matriaugnral.

    Et enfin la troisime hypothse, cest la mise en scne de la religion dtat ou de la religion politi-que avec cet nonc de Mallarm : Le dvouement la Patrie [] requiert un culte 15, si on veut,dit-il, quil soit marqu par une certaine allgresse 16, ce qui ne va pas de soi Pour cela il faut unculte.

    Et alors les titres de Mallarm sont trs significatifs : Plaisir sacr 17, Catholicisme 18, ce sont les titresde ces passages la recherche de la crmonie.

    Et il conclut dans un nonc, que je trouve trs contemporain, en examinant si la modernit ne serait pas que la crmonie nouvelle doit tre laque. Il examine ce point et il dit : Rien [] ne se montreraexclusivement laque, parce que ce mot nlit pas prcisment de sens. 19 , je suis bien daccord aus-si : cest un mot qui nlit pas prcisment de sens, et donc il exclut quen son nom puisse figurer ou treconstitu le lieu de prsentation du collectif comme tel.

    Donc il ne reste quune issue, cest celle laquelle se trouve accul Wagner aussi : il faut outrepasser

    13 Cf. uvres compltes (Pliade, 1945) : p. 38814 p. 39415 p. 39716 Le dvouement la Patrie, par exemple, sil doit trouver une sanction autre quen le champ de bataille, dansquelque allgresse, requiert un culte .17 p. 38818 p. 39019 p. 397 : Rien, en dpit de linsipide tendance, ne se montrera exclusivement laque, parce que ce mot nlit pas prcisment de sens. Voir aussi p. 392 : Une prtention, qui se targue de lacit sans que ce mot invite un sens

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    8la religion. Il est impossible de la raturer ou de labolir. Il faut loutrepasser, donc il faut la relever selonun rapport qui pour Mallarm va tre un rapport danalogie. Ce ne sera pas du tout la religion. Lanalogiede la religion est le strict quivalent mallarmen de lardemption au rdempteur . Il y a quelque chosedanalogue dans la solution du problme si lon veut maintenir et Mallarm est profondment convaincuquil faut le maintenir une crmonie contemporaine. Phrase trs connue : Une magnificence se d- ploiera, quelconque, analogue lOmbre de jadis. 20 Vous pourriez mettre cela en pigraphe de Parsifal .

    LOmbre de jadis , cest le caractre au bout du rouleau du christianisme au 19 sicle, la magnificence , cest la relve de tout cela dans linvention de la crmonie contemporaine, et quel-conque , cela indique quon est dans lpoque dmocratique et donc que cette magnificence qui doit sedployer ne peut pas tre dans la particularit religieuse : elle doit supporter le quelconque, ce quividemment, dans mes intrts propres, se dira : la question est de savoir sil peut y avoir une crmoniedu gnrique.

    Peut-il y avoir une crmonie du gnrique ? Cest exactement cela que dit Mallarm.

    Mallarm crit cela en 1895 et il dit : Une magnificence se dploiera . Donc il parle encore au futuren 1895, prudemment tout de mme, alors quon peut dire que Wagner pense avoir ralis la chose en1882 puisque 1882 est lanne de la cration de Parsifal .

    Donc la thse de Wagner, cest : la crmonie existe, la nouvelle crmonie existe ! Mais quel est sonmode dexistence vrai dire ?Elle existe sous la forme dun thtre de la crmonie. Cela, cest une affaire trs complique parceque cest videmment Bayreuth. Bayreuth, cest le lieu o la crmonie a lieu, cest--dire le lieu o Par-

    sifal est reprsent. Mais quest-ce qui est la crmonie l-dedans ? Est-ce que cest la crmonie tellequelle est reprsente Bayreuth ou bien est-ce que cest Bayreuth lui-mme qui est le lieu de la cr-monie ? Est-ce que cest le public de Parsifal qui est rassembl dans une crmonie particulire ou bien lacrmonie dont il sagit est celle dont on nous raconte la gnalogie et lhistoire en ralit dans Parsifal ?

    En ralit, l, Wagner est dans une ambivalence essentielle puisquil a bien propos que Bayreuth soitun lieu crmoniel et il la propos pour Parsifal spcifiquement puisque vous savez quil consid-rait que Parsifal ne pouvait tre reprsent qu Bayreuth, que comme ctait une crmonie, il ne fallait pas applaudir la fin, quil fallait dgager cela des pratiques thtrales, quil fallait en quelque sorte abo-

    lir le ct reprsentation et spectacle de la chose au profit de sa dimension purement crmonielle sans parvenir cependant dfaire le fait que la crmonie, si cest Bayreuth, a pour contenu la reprsentationde la crmonie, et donc que la crmonie est crmonie de la crmonie ! Et a, cest un coincementquand mme, comme une attestation quon nest pas sr quand mme que la crmonie ait vraiment eulieu.

    On peut penser que Mallarm avait raison de dire que la magnificence se dploiera : alors l, ellese dploie mais dans quelque chose qui, tant une reprsentation de la reprsentation ou une crmoniede la crmonie , pourrait bien quand mme rinstaurer la clture.

    Alors analogue ? La thse de Mallarm, cest : la nouvelle crmonie est analogue lOmbrede jadis .

    Le fait quelle soit analogue, en ralit Wagner se propose de le montrer ; cest cela qui est trs remar-quable. Il se propose de montrer que la crmonie nouvelle qui advient est analogue lancienne en tantquelle en est la relve. Elle est analogue en un sens scnique et mme musical parce que les symtriesentre les deux crmonies dans Parsifal sont flagrantes et prcisment tout le point est de savoir quelleest linstance exacte de diffrenciation entre la deuxime et la premire crmonies.

    Donc le sujet de Parsifal , si jy reviens maintenant, cest reprsenter en crmonie (et cest ext-rieur finalement) le passage de lOmbre de jadis l je parle Mallarm la crmonie nouvelle.On va montrer, on va faire crmonie au second sens (crmonie rflexive ou reprsentative) dun conte-nu qui est le passage de lOmbre de jadis cest--dire de la crmonie ancienne -, la crmonienouvelle. Cest cela sa thmatique.

    Alors videmment, nous sommes amens la question de lexistence sensible, musicale, etc., de ce su-

    jet en nous demandant quelles sont dans luvre elle-mme et dans la connexion ou lindiscernabilitentre musique, fable, dcors, textes, etc. les diffrences entre la deuxime crmonie et la premire : lacrmonie dirige par Parsifal et la crmonie dirige par Amfortas sous linjonction de Titurel qui a en- 20 p. 394

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    9vie de manger dans son tombeau.

    Cest vrai dire l que commence la difficult parce que ces diffrences constituent un problme asseznigmatique. Et vous voyez ce qui est en jeu : cest un problme fondamental pour nous, absolumentcontemporain, qui est : peut-on sengager dans la voie de la possibilit dune crmonie nouvelle qui nesoit pas une restauration, qui ne soit pas en ralit le projet nostalgique de maintenance ou de rptition dela crmonie ancienne ? Or si lon regarde dans Parsifal , dans ses points de crmonie qui sont justement mon avis des points dindiscernabilit incontestable entre le geste thtral et le geste musical, donc des points o certainement lIde passe (mais lIde doit tre interroge : si lIde est restauratrice, elle estrestauratrice), donc il faut nous demander quelles sont les diffrences des deux scnes.

    On remarque que le cadre est inchang, la structure du lieu est inchange : on est toujours dans le ch-teau. Les metteurs en scne dailleurs souvent proposent de changer le cadre : ils montrent le chteau enruines, ou alors, finalement, cest un vieux blockhaus ruin avec une voie de chemin de fer en panne, oudes choses comme cela. Cest une proposition qui nest dfendable que si elle est au service de lIde elle-mme. En ralit le cadre est inchang et la meilleure preuve, cest que ce que dit Gurnemanz Parsifal,cest : Oui, oui, tu es bien revenu au mme endroit . Tout le problme de Parsifal est de revenir aumme endroit aprs avoir repris la lance.

    Le protocole formel de la crmonie est le mme : il sagit de montrer le Graal. Les objets sont lesmmes : le Graal et la lance. Finalement, dcouvrir le Graal est lessence, le cur absolu de la crmo-nie ; cest ce quAmfortas ne veut plus faire parce qu chaque fois quil montre le Graal, il se tord dedouleur par terre. Dailleurs, les plaintes dAmfortas, ce nest pas le plus fort de lopra chacun donneson got - : on a envie de lui donner du spasmodan

    Il ne peut plus faire cela, il se tord de douleurs par terre. Ce que va faire Parsifal qui lui succde, quiest le nouveau roi, qui a t dailleurs dclar roi avant la crmonie cest mme lui qui a dit Gurne-manz : Fais-moi roi ! et Gurnemanz a dit Oui, oui, bien sr -, donc il est devenu roi, il arrive etquest-ce quil fait ? La mme chose ! Formellement, il fait la mme chose : cest--dire il dcouvre leGraal et il le montre aux Chevaliers.

    Donc le cadre est inchang, le protocole formel est le mme.

    Ce protocole formel requiert quoi ? aussi cest trs mallarmen : en ralit, il requiert un officiant,une foule et des objets symboliques. Cest trs simple, et trs limit : vous avez deux objets symboliques(le Graal et la lance), vous avez un officiant central, et vous avez une foule ; et lofficiant a pour tche demontrer les objets la foule.

    Cest dune simplicit mallarmenne en effet parce que tout le problme consiste savoir ce que veutdire montrer et qui peut montrer. Apparemment il faut des conditions extraordinaires pour pouvoir mon-trer, puisque sinon, on ne voit pas pourquoi il ny aurait pas un gars qui dise : Si tu ne veux pas le faire, je le fais ! . Ce nest pas possible apparemment. Apparemment Amfortas ne peut plus et apparemment personne dautre ne le peut non plus. Le brave Gurnemanz par exemple ne simagine pas en train de mon-trer le Graal ; cest absolument impossible. Cest pourtant un brave homme ; on voit depuis le dbut quece nest pas lui qui va tre corrompu, il a pass lge Et donc nimporte qui pourrait. Mais non, il y ades conditions drastiques quoique sans doute assez obscures pour pouvoir tre lofficiant du crmo-nial.

    Chez Mallarm, lofficiant futur, cest le pote ; cest explicite. Le pote sera lofficiant de la crmo-nie venir.

    Donc il faut un officiant, une foule et des objets, et dans le cas de ce qui se passe la fin, on a les m-mes objets, un officiant et on a la mme foule en plus les chevaliers- ; donc la foule est la mme.

    Mais alors ce moment-l, le problme se concentre sur la mutation de lofficiant. Le changement decrmonie et donc la possibilit dune crmonie contemporaine -, cest quadvienne un nouvel offi-ciant. Lopra raconte une mutation de lofficiant.

    Officiant peut tre pris en un sens large : peut-tre que le nouvel officiant en fin de compte je croisque Syberberg a raison -, le nouvel officiant, cest quelque chose comme le tandem Parsifal-Kundry.

    Peu importe : il y a un nouvel officiant, et le fait que pour la premire fois une femme entre dans cechteau est important. Cela fait partie de la nouveaut. Les femmes sont admises lOffice ! Kundry vienty mourir, mais enfin bon, cest dj un commencement !

    Et alors finalement quelle est la mutation de lofficiant ? Quel est le contenu de la mutation de loffi-ciant, du passage dAmfortas Parsifal ou, disons, de Titurel-Amfortas Parsifal-Kundry ?

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    Et bien, on arrive au cur du problme, au problme de lIde elle-mme parce que cette mutation ducontenu est opre thtralement en vrit comme substitution de personne : il y a un nouveau roi ; etParsifal dit : Je vais maintenant remplir ton office. Tu es guri ; je ferme ta plaie. Mais roi, cest fini ! il faut payer un prix de cette gurison Roi, cest moi ! Et thtralement, cela se joue par substitu-tion entre Amfortas souffrant et Parsifal, mais cette substitution est opaque comme telle du point de vuedu geste thtral : je veux dire opaque quant la diffrence quelle produit puisque formellement, le gesteest le mme.

    Et elle est signifie aussi musicalement par la dclaration de Parsifal, et cest vrai quen ce point, on ala manifestation du sujet. Cependant le problme mon sens, cest que thtralement, elle est opre maiselle nest pas vraiment signifie parce que cest une substitution (dont les gestes formels sont les mmes)et que musicalement, elle est signifie comme ouverture dun nouveau registre dinfini, de dclosion duchteau, mais le matriau musical de la dclaration de Parsifal et de ce qui suit signifie cela peut-tre aus-si simplement musicalement par un contraste saisissant entre le type de profration dAmfortas et celui deParsifal, entre les hurlements de bte dAmfortas et le mlos extrmement souple et apaisant de Parsifal.La proclamation est une proclamation dont la gloire est retenue : l, je serai daccord avec toi [Fr. N.] pour dire que le thme de retenue wagnrien est tout fait majeur. Mais ce matriau musical qui est unmlos souple, apais, etc., est trs retenu et, en tant quil est trs retenu, il nclaire pas non plus absolu-ment sur la signification de la disjonction.

    Moi, je dirai finalement ceci, presquen conclusion : si on admet que le sujet de Parsifal est la grandequestion ouverte la fin du 19 sicle sur la nouvelle crmonie o et comment va se produire la nou-velle crmonie o le collectif se reprsente lui-mme sans transcendance ? , si cest a le sujet de

    Parsifal , alors il faut admettre quil y a dans la ralisation de lIde une sorte dindistinction entre restau-ration et innovation. Je ne dis pas que la restauration lemporte mais il y a une indcidabilit entre restau-ration et innovation et cest peut-tre cela qui fait sujet prcisment, cest peut-tre cela qui la fin faitsujet : cest lIde que, autour de la question de la nouvelle crmonie, nous sommes exposs une indis-tinction entre restauration et innovation, ou une indistinction entre nostalgie et cration.

    Je verrai un nouvel indice dailleurs dans le fait que la formule finale Rdemption au rdempteur

    est au fond leffectuation de la prophtie initiale ; mais quand quelque chose est la ralisation dune pro- phtie, prcisment on a immdiatement une indiscernabilit absolue entre restauration et innovation, puisque si la prophtie est l et si le destin est quelle saccomplisse, en ralit le rgime de la ncessitou de la loi lemporte sur le rgime de la rupture ou de la discontinuit.

    Alors a nous ouvre une question qui a hant le 20 sicle et qui continue peut-tre qui est :une crmonie peut-elle tre dessence nouvelle ? Y a-t-il rellement une crmonie moderne, non parsimple indcidabilit entre restauration et innovation mais par cration effective ?

    Comme vous le savez, le 20 sicle politique a t hant par la question de la crmonie. Cest une desraisons pour lesquelles on a accus Wagner dtre protonazi et une des raisons pour lesquelles quelquundaussi subtil dans ses analyses que Lacoue-Labarthe maintient quand mme fondamentalement ce motif, savoir que la question de la nouvelle crmonie est une question qui consiste imposer aux masses uneconfiguration mythique qui ritre leur clture. La thse de lessence mythique de luvre de Wagner quetu [Fr. N.] as trs justement mon avis dfaite, cest que Wagner naurait jamais t quune prparationesthtique de cette esthtisation des masses elles-mmes, cest--dire la prparation de la ncessitdimposer aux masses une figure mythique qui prend en effet priodiquement la forme dune crmonie.Alors la crmonie, cest les grands rassemblements de Nuremberg ou de Moscou ; cest la crmonie ofinalement le peuple est convoqu en effet la reprsentation de lui-mme mais pas du tout de linfinitmais dans une nouvelle clture massive de caractre mythique. Cette visibilit crmonielle des massesqui a hant le 20 sicle serait dans la continuit du propos de Wagner et vrai dire dans la continuit du propos de Mallarm aussi puisque, sur ce point, comme nous lavons vu, il ny a pas de diffrence ma- jeure.

    Alors moi je ne crois pas du tout car je ne crois pas du tout que le recours de Wagner ait t celui

    dune imposition mythique. Wagner explore le problme. Il essaye den faire un sujet dopra, cest trsdifficile. Et je pense que la conclusion effective de luvre - si on admet que la conclusion, cest ce quien termes de grandeur artistique accomplit, fait passer le sujet -, cest que de fait, au point o lon en est,il nest pas facile de dcider entre restauration et innovation et que la balance de la nostalgie et de la cra-tion reste indcide

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    11Alors la querelle avec Nietzsche est aussi l-dessus parce que Nietzsche peut avoir des raisons de dire

    quen fin de compte, Wagner choue. Mais quel type de rupture a-t-il propos lui, Nietzsche ? Il a propo-s de devenir, lui, le crucifi de la folie. Il le dit dailleurs ; il la dit : Je casse en deux lhistoire dumonde ; mais il a fait venir ce je , et il a pay de sa personne. Il a fait venir ce je au point prci-sment du crmonial impossible.

    Lide quautour dun crmonial impossible, sa place, quelque chose comme une drlictionsinstaure est tout fait un thme immanent Parsifal parce quon peut dire que cest en ce sens queKundry en est lhrone. Car Kundry, cest sans doute celle qui sait quen fin de compte, cest indcida- ble, et son geste musical extraordinaire - la fois la tessiture indcide (cest un problme bien connu desavoir si Kundry est une mezzo ou une soprano), la ligne musicale extraordinairement dchette, des va-riations stupfiantes de registres dont elle est capable - indique peut-tre quon est dans une mutabilithistorique qui rend la saisie crmonielle des choses impraticable ou en tout cas indcidable. Peut-treque cest comme a.

    Cela signifierait alors que par dfinition, la dmocratie, cest lchec de la crmonie.Mallarm se demande a, si ce nest pas comme a. videmment il y a des tas darguments pour mon-

    trer qu chaque fois quil y a eu crmonie ou tentation de crmonie, on tait dans le totalitarisme. Maisest-ce que cest tenable ? Est-ce que lhumanit peut se passer de crmonie ? Est-ce que la politique peutse passer de crmonie ?videmment, moi, je pense que cela ne lest pas au long cours ; cest--dire que la dissmination mar-chande infinie ne constitue pas une humanit durable et que par consquent la question reste ouverte.Cest a la contemporanit de Parsifal mme sil a conclu de faon somme toute raliste - pas Wagnerlui-mme ; a na pas dintrt, Wagner lui-mme ! Wagner lui-mme avait conclu aussi comme cela parce que sil navait pas conclu comme cela, il naurait pas essay de faire une crmonie de la crmo-nie ; il naurait pas t oblig de dire : Non seulement Parsifal raconte la nouvelle crmonie, mais en plus, jai fait une crmonie Bayreuth . Imaginez : avec les bourgeois peinturlurs de la terre entirequi taient l, ctait une crmonie lamentable finalement !, tout le monde la fin napplaudit pas, tout lemonde sort en silence, et puis aprs, on va manger de la choucroute il ny a rien dautre faire ! endisant le tnor ntait pas terrible On peut aussi dire que le cur na pas t bon quand on sort ; cela

    nentame pas le caractre crmoniel mais enfin, on voit bien que le caractre rflexif de la crmonie (lacrmonie de la crmonie) entamait ou portait jugement sur la validit de la proposition crmoniellecomme telle. Ctait la proposition suppose universelle dune relve du christianisme sans transcen-dance ; ctait a la proposition.

    Donc mme si Wagner a conclu dans une indcidabilit, cest une question qui demeure active parceque la question de savoir si la foule se dclare - comme le dit Mallarm - ne peut tre exclusivement rca- pitule dans les figures collectives de la rvolte. La dclaration populaire, la dclaration de la foule, ne peut se suffire en quelque manire de lanarchie rvolte ; elle doit aussi proposer, examiner et produiresa consistance.

    Et donc la crmonie est ncessaire, a cest ma conviction. Elle est probablement aujourdhui nces-saire et impossible, ce qui nest pas grave : cest souvent comme a ; les vrais problmes, cest commea : cest la fois ncessaire et impossible ; et la possibilit survient quand on ne lattend plus. Cest celaun vnement ! On pourrait dire quun vnement aujourdhui, ce serait quelque chose qui rendrait lacrmonie possible. Et en ce sens Parsifal , cest une prophtie sa manire ; cest--dire : y aura-t-illvnement qui rendra la crmonie possible ? Cest cela qui se passe dans Parsifal , mais sans arriverquand mme mon avis dun point de vue formel dplacer la nouvelle crmonie.

    Voil, et cest pourquoi je conclurai vritablement l aussi en citant Mallarm. Mallarm disait : aumoins par lesprit nous devons pratiquer lintrusion dans les ftes futures 21. Lintrusion dans lesftes futures , cest cela que nous convoque Parsifal : tre aptes au moins procder des intrusionsdans les ftes futures , cest--dire des anticipations ou des requisits de ncessit de la fte future. Etcest pourquoi je dirai : la nostalgie parsifalienne que je reconnais, qui existe, qui est en balance avec

    linnovation nest jamais que le revers, ou lenvers, ou la ncessit de cette intrusion dans les ftesfutures.Et donc nous sommes entre nostalgie et intrusion, mais intrusion dans les ftes futures , cest un

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