sur badiou et l'art contemporainet-l’idee (1)

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« L’Acte et l’Idée : Badiou et l’art contemporain » Elie During « L’ACTE ET L’IDÉE : BADIOU ET L’ART CONTEMPORAIN » ELIE DURING (Université de Paris Ouest-Nanterre) Version modifiée d’un texte paru dans Autour d’Alain Badiou, I. Vodoz et F. Tarby (dir.), Paris, Éditions Germina, 2011, p. 57-79. Mon intention n’est pas de dire quel est l’« effet Badiou » dans l’art contemporain, pour reprendre un tour qu’affectionnent les journalistes. En vérité, je n’en sais rien. Ou plutôt, je soupçonne que cet effet, sans être tout à fait nul, est encore trop diffus, trop indéterminé pour être soumis au jugement à l’image, peut-être, de la réception publique de ce fameux petit livre consacré à ce dont « Sarkozy » est le nom. J’ai tenté moi-même, dans les colonnes du magazine art press, et indirectement au détour de tel entretien ou texte de catalogue [1], de faire entendre l’intérêt qu’il pouvait y avoir, pour des gens de l’art (artistes, commissaires ou critiques), de mettre leur nez dans Logiques des mondes, ou plus vraisemblablement dans le Second manifeste. Je l’ai fait sur le mode un peu facile de l’enfonçage de clou ou des pieds dans le plat, en tâchant d’anticiper, sans vraiment chercher à la conjurer, la réaction d’effroi de certains lecteurs habitués à des provocations plus convenues, dans le registre d’une pornographie calculée. Je suis bien entendu tout à fait incapable de dire si cette intervention un peu décalée par rapport au champ d’opération habituel des idées d’Alain Badiou a pu avoir le moindre « effet » sur ce lectorat lui-même assez difficile à cerner. « Contemporain » Remarquons en retour que l’effet des artistes contemporains sur la philosophie de Badiou est lui aussi, à première vue, pratiquement inexistant. Le panthéon badiousien se compose pour l’essentiel des grandes figures du modernisme. Au-delà de Mallarmé, Brecht ou Beckett, on peut citer, pour la musique, Wagner, Schönberg, Webern et Berg ; pour la poésie, Pessoa, Mandelstam et Celan. Du côté des arts dits plastiques, la liste paraît plus éclectique : à côté de Malevitch, Kandinsky, Kupka, on trouve Picasso (oui, Picasso…), et encore Pollock ou Rothko. J’en oublie certainement : la liste est longue, mais finie. Elle se stabiliserait probablement autour d’une trentaine de noms propres. À quelques détails près, elle est globalement cohérente. Et l’on ne peut qu’être frappé du fait qu’à l’exception de Beckett, et peut-être du cinéma de Godard, il n’y est pratiquement question d’aucun écrivain ou artiste qui ait produit au-delà des années

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« L’Acte et l’Idée : Badiou et l’art

contemporain »

Elie During

« L’ACTE ET L’IDÉE : BADIOU ET L’ART CONTEMPORAIN »

ELIE DURING (Université de Paris Ouest-Nanterre)

Version modifiée d’un texte paru dans Autour d’Alain Badiou, I. Vodoz et F. Tarby

(dir.), Paris, Éditions Germina, 2011, p. 57-79.

Mon intention n’est pas de dire quel est l’« effet Badiou » dans l’art contemporain, pour

reprendre un tour qu’affectionnent les journalistes. En vérité, je n’en sais rien. Ou plutôt,

je soupçonne que cet effet, sans être tout à fait nul, est encore trop diffus, trop

indéterminé pour être soumis au jugement – à l’image, peut-être, de la réception

publique de ce fameux petit livre consacré à ce dont « Sarkozy » est le nom. J’ai tenté

moi-même, dans les colonnes du magazine art press, et indirectement au détour de tel

entretien ou texte de catalogue [1], de faire entendre l’intérêt qu’il pouvait y avoir, pour

des gens de l’art (artistes, commissaires ou critiques), de mettre leur nez dans Logiques

des mondes, ou plus vraisemblablement dans le Second manifeste. Je l’ai fait sur le

mode un peu facile de l’enfonçage de clou ou des pieds dans le plat, en tâchant

d’anticiper, sans vraiment chercher à la conjurer, la réaction d’effroi de certains lecteurs

habitués à des provocations plus convenues, dans le registre d’une pornographie

calculée. Je suis bien entendu tout à fait incapable de dire si cette intervention un peu

décalée par rapport au champ d’opération habituel des idées d’Alain Badiou a pu avoir

le moindre « effet » sur ce lectorat lui-même assez difficile à cerner.

« Contemporain »

Remarquons en retour que l’effet des artistes contemporains sur la philosophie de

Badiou est lui aussi, à première vue, pratiquement inexistant. Le panthéon badiousien

se compose pour l’essentiel des grandes figures du modernisme. Au-delà de Mallarmé,

Brecht ou Beckett, on peut citer, pour la musique, Wagner, Schönberg, Webern et Berg ;

pour la poésie, Pessoa, Mandelstam et Celan. Du côté des arts dits plastiques, la liste

paraît plus éclectique : à côté de Malevitch, Kandinsky, Kupka, on trouve Picasso (oui,

Picasso…), et encore Pollock ou Rothko. J’en oublie certainement : la liste est longue,

mais finie. Elle se stabiliserait probablement autour d’une trentaine de noms propres. À

quelques détails près, elle est globalement cohérente. Et l’on ne peut qu’être frappé du

fait qu’à l’exception de Beckett, et peut-être du cinéma de Godard, il n’y est

pratiquement question d’aucun écrivain ou artiste qui ait produit au-delà des années

1960. A fortiori, on n’y compte aucune des figures majeures ou même mineures de l’art

dit « contemporain ». Cette expression ne désigne pas, comme on sait, les artistes

d’aujourd’hui, ceux qui œuvrent au moment où l’on parle, mais un certain régime de

l’activité artistique, de la production et de la circulation des œuvres, dans le domaine

notamment des arts visuels [2]. Badiou, pour sa part, parlerait sans doute plus volontiers

de « configuration » que de « régime ». Car si quelque chose existe dont « art

contemporain » est le nom – ce qui reste à établir –, le réel de cet art ne pourra

finalement être avéré qu’à partir des œuvres elles-mêmes, rassemblées en séquences

ou configurations artistiques. C’est là une thèse fondamentale de Badiou : qu’il s’agisse

de peintures, de pièces de théâtre, de morceaux de poésie ou de musique, mais aussi

bien d’installations, de performances ou d’actions, il faut toujours revenir au multiple des

œuvres, caractérisé par une certaine disposition de leurs effets. Cependant la

configuration « contemporaine » de l’art ne peut se soutenir uniquement de rapports de

simultanéité et d’airs de famille ; elle doit se manifester concrètement comme une

configuration au second degré, une configuration de configurations liées les unes aux

autres par une commune décision, l’affirmation d’une nouvelle figure de l’art. Que

l’ensemble des œuvres rassemblées sous la catégorie « art contemporain » présente de

fait peu de consistance, c’est bien probable. La plupart des artistes et même des

connaisseurs sont prêts à l’accorder. Mais cette lucidité résignée fait partie du

problème : plus personne aujourd’hui ne semble sérieusement disposé à affirmer une

idée de l’art qui ait quelque puissance prescriptrice pour la pensée.

Badiou, on l’a compris, cherche la consistance du multiple artistique en deçà des

partages catégoriels qui organisent le jugement ordinaire ou savant. Mais puisqu’on

s’interroge sur une conjoncture d’époque, il vaut tout de même la peine de se demander

selon quelle logique se constituent les classements spontanés ou réfléchis qui

organisent notre perception du champ artistique. En reprenant à Thierry de Duve une

caractérisation commode, on pourrait dire que nous avons affaire en droit à de l’« art

contemporain » à chaque fois qu’un artiste produit ou crée quelque chose sous

l’injonction un peu paradoxale de faire n’importe quoi, pourvu que cela puisse être posé,

affirmé, soutenu comme de l’art [3]. Je dis « en droit », parce qu’en fait il existe bien

entendu toutes sortes de conditions matérielles, institutionnelles, symboliques, pour

qu’une œuvre devienne visible dans le champ ou sur la « scène » de l’art contemporain.

Mais l’important est que la définition que je viens de donner tire toute son efficacité de

ce qui lui manque, à savoir précisément une idée déterminée de ce que doit être l’art. En

effet, se soumettre à l’impératif purement formel – « catégorique », dit de Duve en

suivant la grille kantienne – de produire quelque chose – n’importe quoi – qui soit « de

l’art », ce n’est pas laisser à la liberté souveraine de l’artiste le soin de promouvoir une

idée de l’art, de prescrire ce que l’art doit être et par conséquent ce qu’il est ; c’est au

contraire renoncer à dire ce qu’est l’art, c’est attendre en somme du marché ou de la

dite « scène » de l’art qu’elle reconnaisse par l’effet hasardeux de son propre jeu ce qui

mérite d’être compté comme « de l’art ».

C’est du moins ainsi que j’interprèterais le régime contemporain de l’art, tel que le

constitue le discours critique : comme une perversion du schème moderniste exposé par

de Duve à partir du cas exemplaire de Duchamp. Ce raccourci, notons-le, présente

l’avantage de ne pas recourir à la fable postmoderne de la fin des « grands récits ». Il

permet aussi de tenir à distance l’interprétation peut-être trop charitable du « n’importe

quoi » comme affirmation d’un art sans qualité, promotion du quelconque sous la grande

équivalence Art = Vie. L’indiscernabilité de l’art et de la vie – trop rapidement assimilée à

une indiscernabilité entre art et politique – est une proposition ruineuse pour l’art si elle

se confond avec une simple esthétisation du quotidien [4] ; maintenue dans sa forme

pure, comme stratégie de l’imprésentation, elle risque de conduire à sa dissolution sous

la forme d’un activisme de l’opération furtive ou d’une mystique du désœuvrement, de

sorte que se repose tôt ou tard la question de savoir comment instituer une scène de

l’acte artistique qui maintienne l’évidence de l’art sans le faire basculer dans un

histrionisme généralisé.

De cette affaire, Badiou retient l’essentiel, à savoir le primat de l’acte artistique comme

puissance absolue de commencement, concentré dans le présent de son

effectuation [5]. L’affirmation du présent comme mesure du réel, aux dépens de la

sédimentation historique des formes et des codes légués par la tradition, explique que le

geste artistique privilégié soit celui de la rupture, inséparable de l’institution du nouveau.

La fonction du manifeste est d’inscrire formellement ce geste, de déclarer la

nouveauté [6]. Il est certes tentant, de ce point de vue, d’assimiler l’acte artistique à un

acte de langage, suivant un schème performatif qui semble s’accorder naturellement à

la forme vide de l’impératif catégorique. Badiou ne va pas jusque là. Mais il est clair que

si l’acte peut s’émanciper de l’objet et s’identifier, à la rigueur, à de simples gestes, voire

à des « attitudes », il faut que l’art se soutienne constamment d’énoncés qui le

manifestent dans le champ des productions culturelles. Quitte à ce que ces énoncés

deviennent des « formes » travaillées pour elles-mêmes (comme on l’observe avec

Fluxus, ou dans certains avatars de l’art conceptuel) ; quitte aussi à ce qu’ils se

réduisent finalement à un constatif au contenu absolument indéterminé, dès lors que,

chargé de manifester le caractère absolu de la volonté artistique, il s’applique

virtuellement à tout ce qu’on voudra, là même où l’œuvre manque.

Mais « ceci est de l’art » est un énoncé risqué, dont le succès n’est nullement garanti ; il

constitue par là même une véritable aubaine pour ceux qui font métier de discourir sur

l’art, et d’en garantir la visibilité sur les scènes instituées de la « médiation culturelle ».

Faut-il s’étonner, dans ces conditions, qu’un art « à l’état gazeux » (selon l’expression

d’Yves Michaud), tendanciellement dématérialisé, cherche du côté du discours la

consistance qui lui manque du côté de ses objets ? Que la théorie, et même la

philosophie, en vienne à s’intégrer à la production artistique pour « colmate[r] les

brèches, pallie[r] tant bien que mal, dans le concept plâtreux, l’insuffisance sinistre du

sensible [7] » ? De là le sentiment, périodiquement ravivé par de confuses « querelles »,

qu’il existe un problème spécifique de l’art contemporain, distinct du problème de l’art

tout court, dont les audaces ont de tout temps choqué même les bons esprits. Ce

problème, pour faire bref, serait celui d’un art bavard, absorbé dans l’affirmation vide de

sa propre possibilité ou dans la méditation désolée de sa fin annoncée.

Autant le dire tout de suite : cette reconstruction schématique n’est pas d’une grande

aide lorsqu’il s’agit d’évaluer, singulièrement, telle œuvre ou telle configuration

d’œuvres. Pour juger sur pièce, il faudra bien, le moment venu, décintrer cette charpente

d’idées et mobiliser d’autres ressources. La maquette théorique que je viens de

proposer n’a peut-être qu’une seule vertu, celle de faire sentir, justement, que la seule

manière de s’en sortir est de quitter le point de vue de survol qui nous donne l’illusion de

pouvoir parler de l’art contemporain indépendamment des configurations concrètes qu’il

dessine, comme s’il s’agissait d’un simple effet de langage flottant sur le corps de la

culture. De fait, le jugement de Badiou sur l’état contemporain de l’art oscille souvent

entre deux registres bien différents, et cependant complémentaires : on pourrait dire qu’il

se donne à la fois comme une amplification stratégique de la doxa soupçonneuse des

nostalgiques du modernisme, et comme une reconstruction originale, doublée d’un

diagnostic aigu, de la position instable dans laquelle s’est installé l’art depuis une

cinquantaine d’années. Si l’art contemporain reste pour l’essentiel un ensemble flou, à

vrai dire inconsistant, c’est que les diverses tentatives qui ont cherché à le constituer à

partir d’une Idée de l’art se sont toutes heurtées à la difficulté qu’il y a à se débarrasser

de l’héritage romantique. On verra ce que Badiou entend par là, mais formulons tout de

suite cette hypothèse : « art contemporain » n’est peut-être chez lui que le nom

générique des fausses sorties du romantisme, une fois soldé le compte des différentes

révolutions modernistes.

Un Panthéon personnel ?

Revenons cependant au constat par lequel nous commencions : l’impact quasiment nul,

sur Badiou, des figures couramment associées à l’art contemporain. Ce constat nous

offre peut-être une première prise de réel. Lorsque Badiou évoque la nécessité d’un art

formalisé, d’une nouvelle abstraction sensible, il n’est jamais directement question du

minimalisme, encore moins de l’art conceptuel : en place de Dan Flavin, Sol LeWitt ou

John Baldessari, viennent les noms de Malevitch ou de Mondrian, deux icônes du

modernisme. Lorsqu’il est question de la possibilité d’un burlesque de notre temps, ce

n’est pas aux avatars bouffons ou sordides de la performance contemporaine que songe

Badiou, mais à Chaplin ou Beckett. Sans même parler des artistes contemporains qui

nous sont, de fait, les plus contemporains, une figure brille par son absence : c’est le

soleil noir de Duchamp. Parcourez Le Siècle : vous y trouverez Picasso, l’exubérant

génie du modernisme pictural, mais quasiment pas un mot de l’homme des ready-

mades et de Étant donné. Faut-il y voir un symptôme ? Et de quoi, au juste ?

Il m’est arrivé dans un autre contexte de hasarder une idée : dans la généalogie clivée

qui fait remonter l’art contemporain aux deux figures fondatrices que sont Matisse et

Duchamp, c’est plutôt du côté de Duchamp qu’il faudrait chercher les affinités

« objectives » de Badiou, quels que soient par ailleurs ses goûts personnels [8]. C’est

qu’il nous importe peu, au fond, de savoir quels sont les inclinations du philosophe en

matière de peinture, de musique, de poésie ou de théâtre. On peut certes s’interroger

sur ce qui relève d’un choix délibéré ou d’une simple méconnaissance dans la

constitution d’un Panthéon étonnamment sélectif et à certains égards anachronique.

Dans la lecture magistrale que Badiou donne du siècle vingtième, le centre de gravité

artistique semble curieusement avoir glissé vers les années 1910-1920. Badiou est

farouchement moderniste et en ce sens au moins anti-« contemporain », pour ne pas

dire « mécontemporain ». Mais il suffit de se reporter au récent volume édité par Antoine

de Baecque sur le cinéma de Badiou pour se rendre compte que la création

contemporaine, dans ce domaine comme dans d’autres en fait – je ne m’étendrai pas

sur le théâtre, la poésie, la musique, disciplines qu’il pratique à divers titres –, ne lui est

nullement étrangère, et qu’elle intervient même de façon extrêmement vive dans

l’élaboration de sa réflexion, sans avoir pour cela à y être explicitement convoquée.

Encore une fois, les goûts personnels de l’auteur ne sont pas vraiment en cause. Du

point de vue de l’exposition d’une question philosophique, ce qui compte est la

constellation que dessinent les œuvres, et les ressources qu’elles offrent à la pensée.

Or il est clair que parmi les grands noms de l’art du siècle, Badiou privilégie comme

ailleurs les figures stellaires auxquelles peut être reconnue, sans contestation possible,

une valeur exemplaire. Installées dans une distance admirative, elles nous

communiquent leur froide lumière. Mieux, elles nous apparaissent constamment

disponibles pour autant qu’elles font entendre, au cœur de notre époque, un impératif

qui ne se réduit pas à la forme vide de l’œuvrement, mais qui, par l’entremise des

œuvres, dispose en quelque sorte des balises pour l’action en exhibant l’art comme lieu

de production active de vérités en exception de l’ordre des corps et des langages [9].

Le problème de l’art d’aujourd’hui est que, dans le voisinage trouble qu’il entretient avec

les produits de consommation courante issus des industries culturelles, il ne nous

prépare pas beaucoup à une telle idée. Que faire si, comme l’écrit Badiou, « l’art est

douteux », si « le présent de l’art n’est que sa propre incertitude, sa fusion, ou sa

confusion, dans l’indistinct des productions du corps, ou du corps-capital » ? Que faire si

« l’art répudie toute vérité, ou ne fait vérité que de l’absence consommable de toute

vérité [10] » ? Dans ce cas, c’est à la philosophie de défendre la puissance axiomatique

de l’art, « d’en réclamer, s’il faut, le retour ».

Remarquons que, de ce point de vue, il importe tout aussi peu de savoir quels artistes,

quelles œuvres, se prêtent le plus aisément à une lecture badiousienne. On n’aura pas

de mal à montrer – cela a été fait en détail [11] –, que le « coup » du ready-made

duchampien répond, point par point, à la structure mise en place par la doctrine de

l’événement. La question plus intéressante est de savoir pourquoi Badiou lui-même, en

dépit de tout ce qui pourrait sembler le rapprocher de cette figure, se méfie de

Duchamp, et en conséquence n’a pas spontanément recours à lui pour illustrer les

possibilités affirmatives de l’art contemporain dont il souhaite hâter la venue [12]. On y

reviendra en conclusion.

Le Panthéon artistique de Badiou n’est pas constitué d’artistes « badiousiens », si l’on

entend par là des artistes dont l’œuvre se prête plus naturellement que d’autres à

l’analyse philosophique. Ainsi Duchamp vaut comme contre-épreuve en relation à

Malévitch, tout comme Rimbaud en relation à Mallarmé. De manière générale, le

problème n’est pas de savoir ce qui, de l’art et de la philosophie, communique

effectivement en termes de contenus. Le problème est plutôt de savoir sur quel mode

s’opère la communication, quand elle a lieu. On sait les malentendus qui ont

accompagné, sous le nom d’« esthétique », les transactions louches entre les deux

domaines. Badiou, pour sa part, entend confier à la philosophie une tâche nouvelle.

Celle-ci a pour nom : « inesthétique ».

Le style de la réquisition

Mais avant d’élucider ce point, il importe d’identifier le mode d’intervention que privilégie

Badiou dans le domaine de la pensée de l’art. Ce mode est celui de la provocation, ou

plus exactement de la réquisition. C’est ainsi qu’opère le recours aux figures

exemplaires. Elles sont autant de mises en demeure. Le lecteur qui, s’il n’est pas artiste,

est au moins spectateur et auditeur, est sommé de répondre à une exigence, à un

impératif. Et cet impératif ne tombe pas du ciel, comme un « désastre obscur ». Il est

essentiel de reconnaître qu’il a déjà été formulé historiquement. C’est là que le

Panthéon moderniste prend tout son sens, au-delà des inclinations subjectives de

Badiou. La prescription se formule chez lui au nom des œuvres elles-mêmes en tant

qu’elles ont eu lieu, en tant qu’elles existent. Non pas au nom d’un patrimoine à revisiter,

d’événements à commémorer incessamment parce qu’ils constitueraient notre terreau

culturel, mais au nom des configurations actives avec lesquelles, de fait, nous vivons –

avec lesquelles nous nous trouvons en quelque sorte de plain-pied.

Cette position rompt avec tout historicisme. Le modernisme ne désigne pas une époque

révolue, mais une proposition toujours disponible. Il se veut entièrement affirmatif. Pour

les artistes contemporains, il est une mise en demeure de penser, de sentir, de créer à

la hauteur de l’impératif porté par quelques hautes figures, et cela toujours

singulièrement, à travers la disposition concrète des œuvres.

C’est bien en ce sens qu’il y a réquisition. Par ce terme il faut entendre à la fois la

requête faite à chacun de penser à hauteur du réel et le geste toujours un peu violent de

l’appropriation ou du prélèvement forcé sur une histoire collective, un système de

références, un langage aussi dont les artistes, mais plus souvent encore les historiens et

les critiques d’art, voudraient se réserver la jouissance. Il m’est arrivé plus d’une fois de

mesurer l’effarement suscité dans les rangs des spécialistes par les braconnages de

Badiou du côté de Duchamp ou du cinéma. Pour décrire correctement les choses, il

faudrait avoir le talent des chroniqueurs latins rendant compte des invasions gothiques.

Le style de la réquisition ou de la mise en demeure est encore patent dans le texte à la

fois solennel et comique (dans sa dimension parodique) intitulé « Manifeste de

l’affirmationnisme ». Plusieurs versions ou esquisses en ont circulé dans les années

2000 sous la forme de « Quinze thèses sur l’art contemporain [13] ». L’écriture est

abrupte et prophétique, dans le style des avant-gardes. Voyez la douzième thèse : l’art

« non impérial », y lit-on, sera « aussi solidement lié qu’une démonstration, aussi

surprenant qu’une attaque de nuit, et aussi élevé qu’une étoile. » On songe à Marinetti,

au Manifeste futuriste de 1916 qui vantait les beautés de l’avion et de l’automobile, et

qui souhaitait voir un jour le Danube « couler à 300 à l’heure en ligne droite »… L’aspect

quelque peu oraculaire de ces quinze thèses confirme ce que nous disions à l’instant du

statut de la référence moderniste : c’est bien au nom de « l’art qui est et qui vient » que

se formule chez Badiou la proposition en forme de réquisition adressée à l’art du temps.

S’il y a donc un effet Badiou sur l’art contemporain, il faut s’attendre à ce qu’il soit lui-

même de l’ordre de la prescription, et même de la commande faite aux gens-de-l’art de

dégager et de mettre en circulation, pour commencer, une certaine idée de l’art (pour

parler comme le général de Gaulle), et pourquoi pas une certaine idée de l’art

contemporain. Idée d’un art possible, d’un art qui doit venir et par conséquent d’un art

qui vient, d’un art qui est. Car le réel de l’art n’attend pas, pour être effectif, que ses

effets sensibles l’attestent dans le monde ou les mondes de l’art institué. Sa teneur de

réel, l’art la tient de ce qui, déjà, a eu lieu, des événements auxquels s’associent

quelques uns des noms propres évoqués plus haut : de Malevitch à Beckett en passant

par Kandinsky, Webern ou Murnau. Quant aux artistes eux-mêmes, à qui cette idée de

l’art est naturellement destinée, la réquisition consiste très simplement à leur demander

d’en hâter la venue par des œuvres de bonne et haute tenue, au lieu de mener sur le

corps malade du Capital une existence précaire et parasitaire, au lieu de se complaire

dans la tiédeur des partages communautaires, dans la mise en scène pornographique

ou mystique de la finitude des corps souffrants et désirants. On aura reconnu dans cet

exercice de ventriloquie le style lapidaire du Manifeste de l’affirmationnisme.

Deleuze et Badiou, encore une fois

Le style de la réquisition se distingue très nettement d’une autre modalité du nouage art-

philosophie, beaucoup plus familière et accommodante aux acteurs de l’art

contemporain : je veux parler de la modalité deleuzienne. On pourrait dire de Deleuze

que sa manière de se rapporter à l’art s’apparente à un hégélianisme coudé, en tout cas

étrangement tordu. La philosophie vient y relever l’art au point où celui-ci laisse

échapper l’Idée – ou une Idée. Comme on sait, le concept selon Deleuze est l’affaire

propre du philosophe : dans l’art, il s’agit seulement de les extraire pour en faire autre

chose, sur un autre plan. Mais si l’art n’a pas vocation à produire pour son compte des

concepts, il ne cesse en revanche de produire des Idées. Deleuze y insiste selon un tour

qui lui est propre : il y a des Idées en cinéma, comme il y en a en peinture, en musique,

en poésie. Le problème est que ces Idées ont tendance à s’échapper ou se voiler dans

le moment même de leur manifestation sensible, dans la composition de ces blocs

d’espace-temps qui constituent selon Deleuze le milieu naturel de toute création. L’art

produit des Idées sensibles, des Idées esthétiques sous la forme de blocs d’espace-

temps ; le rôle de la philosophie est de suivre le mouvement de l’Idée jusqu’au bout,

sans se laisser fasciner par le jeu des formes, afin de lui extorquer, par la bande en

quelque sorte, des concepts que l’art ne sait pas produire par lui-même. Badiou a ceci

en commun avec Deleuze qu’il pense pouvoir aller « tout droit » de la philosophie à

l’art [14]. « Tout droit », c’est-à-dire en s’épargnant les pénibles médiations théoriques

ou idéologiques qui prennent l’art pour objet ou s’en font une spécialité : discours

savants, discours historico-critiques, etc. C’est précisément là un des principes de la

relation inesthétique de la philosophie à l’art, telle que la définit Badiou. L’art n’a pas

besoin d’être réfléchi ou interprété ; il n’est pas en position d’objet. Il est immédiatement

en position de sujet, comme producteur de vérités propres à son ordre [15].

C’est à partir de là que les choses commencent à diverger. Pour Deleuze en effet, il

s’agit toujours d’extraire des concepts, certes lestés de percepts et d’affects, mais de

sorte que le détour par l’art apparaisse finalement comme de la philosophie continuée

par d’autres moyens. L’art, en somme, est une extension de la philosophie : les livres

sur Bacon ou le cinéma sont comme des polders, des modules expérimentaux par le

moyen desquels la philosophie poursuit une activité semblable à celle qu’elle avait

engagée, à un autre niveau, avec Lewis Carroll, Antonin Artaud, et pourquoi pas

Emmanuel Kant. Extraire des concepts, et au besoin les extorquer à des disciplines qui

n’en demandaient pas tant, cela passe par toute une activité de montage ou de

remontage. Mais au bout du compte, ce sont toujours les concepts du philosophe qui

manifestent la vérité de l’art.

Ce travail d’extraction et de raffinage a quelque chose de hégélien en ceci au moins

que, pour Deleuze, il y a bien dans l’art un contenu de vérité, une « teneur » qu’il

appartient à la philosophie de porter au jour, dans la lumière du concept. Que la vérité

fasse l’objet d’une création, que le concept soit « machiné », qu’il ne puisse s’autoriser

d’aucune fonction transcendante au plan d’opération d’une pensée de la stricte

immanence, cela ne change rien à l’affaire. Sans aller jusqu’à dire que la vérité de l’art

n’est pleinement elle-même que dans sa relève philosophique, l’esthétique deleuzienne

se conçoit tendanciellement comme disposition et exhaussement des vérités artistiques

sur le plan d’immanence absolu de la philosophie.

C’est pourquoi l’écart avec le schème hégélien est presque indiscernable : il se

concentre dans l’opération même de l’extraction. Deleuze fabrique des concepts à partir

des idées ou des vérités de l’art. Mais ces idées, ces vérités, ne sont pas comme chez

Hegel saisies en pleine pâte, dans la manifestation sensible qui marque leur insuffisance

foncière et sert de faire-valoir aux figures supérieures de l’Esprit ; ces idées, ces vérités,

Deleuze les cueille au point où elles excèdent la forme artistique, il les saisit au vol au

moment précis où elles s’échappent, comme des papillons s’extrayant de leur

chrysalide. C’est un travail de précision en même temps qu’une opération de brigandage

menée aux confins de l’art, au point-limite du dérayage des facultés. Cette manière de

procéder a été épinglée par Rancière comme un avatar de l’esthétique « romantique ».

Oui, sans doute. Mais l’important ici, c’est que l’esthétique est en position d’embrayeur :

elle est une condition du travail philosophique, non pas une fin en elle-même, comme ce

fut tendanciellement le cas chez les penseurs du romantisme allemand ou chez ceux

des philosophes qui, comme Schelling, ont songé un temps à définir la philosophie

spéculative tout entière comme « science du Tout sous la forme ou la puissance de

l’art [16] ». Si Deleuze rejoint à certains égards l’esthétique romantique – qu’on

envisage celle-ci du point de vue d’une esthétique du sensible pur, de la frappe sublime

ou de la mise en tension explosive de la forme finie par la visitation de l’infini –, c’est

toujours en tant qu’elle rend possible cette opération d’extraction qui est le ressort

fondamental de l’activité philosophique dans son rapport à son dehors.

Pour Badiou, les choses se passent de façon bien différente. Si la philosophie n’a pas à

produire des vérités qui lui seraient propres, si elle ne se pense que dans le rapport aux

vérités produites partout ailleurs dans les domaines qui constituent ses conditions, elle

n’a pas non plus vocation à prendre en charge et à accueillir ces vérités qu’elle ne

produit pas. Encore moins s’agit-il pour elle d’extorquer à l’art – ou à la science – la

matière de ses opérations, des « cas » du concept comme autant d’inflexions ou de

pointes d’intensification d’une activité philosophique capable d’intérioriser, en quelque

sorte, le dehors sur lequel elle se branche. Pour Badiou, l’affaire de la philosophie avec

l’art consiste avant tout à prendre acte du fait qu’il y a, dans l’art, de la vérité, des

productions locales de vérités. Cela, après tout, ne va nullement de soi. Il faut tâcher de

le comprendre rigoureusement, et rendre du même coup pensable la coexistence de ces

vérités avec tout le reste. Car tel est bien la tâche qui attend le philosophe attentif aux

configurations : il s’agit, à la fin, de penser l’espace de compossibilité ou de dispersion

des vérités liées à des conditions hétérogènes, d’identifier et d’évaluer le jeu de leurs

rapports dans l’époque. Comme on s’en doute, le lien entre art et politique constitue un

point particulièrement sensible pour cette approche résolument non-esthétique de l’art

qui a pour nom « inesthétique ». C’est l’enjeu sous-jacent des deux Manifestes pour la

philosophie, dans un dialogue tendu avec le projet heideggerien d’une suture de la

philosophie à sa condition poétique. Les différences se distribuent à partir de là. Deleuze

cherche à extraire des concepts au point d’échappement de l’Idée esthétique ; Badiou

dispose les appuis conceptuels qui rendent pensables les vérités de l’art, dans leur

rapport de voisinage avec les vérités non artistiques. Deleuze se focalise sur la figure de

l’Artiste comme voyant, traversé par un impensé qui force à penser, mais dont il n’est

pas capable de disposer pour lui-même. Badiou s’en tient pour l’essentiel aux œuvres

qui constituent selon lui les vrais sujets de la vérité artistique, en dépit de la prolifération

des noms propres : « Les sujets d’une vérité artistique sont les œuvres qui la

composent », c’est la sixième thèse du Manifeste, relayée par de nombreux autres

passages [17]..

Deleuze dit aux artistes : « Vous avez des Idées ? Moi aussi ! » Ou plutôt : « Vous avez

des Idées mais vous ne le savez pas : elles vous échappent. Donnez les-moi et j’en ferai

de jolis concepts. » Les artistes et ceux qui parlent aujourd’hui en leur nom ne se sont

pas fait prier : dans la rumeur théorique qui entoure l’art contemporain, les concepts

deleuziens circulent à présent comme une monnaie d’échange. Mais sous la forme de

signifiants aisément manipulables (« corps sans organe », « rhizome », « singularités

nomades », « espaces lisses », etc.), il se donnent le plus souvent comme des signes

de reconnaissance ou des blasons. Deleuze et les artistes contemporains, c’est un peu

l’histoire du joueur de flûte de Hamelin : séduction immédiate, intensification garantie.

« Pop’philosophie » désigne parfois ce genre court-circuit. S’il fallait isoler l’affect qui

caractérise l’intervention de Badiou dans le domaine de l’art, je parlerais plus volontiers

d’effroi et de sidération. Plutôt père Fouettard que joueur de flûte, voici le message qu’il

adresse aux artistes : « Vous n’avez pas d’Idée, vous n’avez que des gestes et des

formes, des corps et des langages. Tout cela donné dans l’élément de la culture, et

donc de la particularité. Cette disposition contemporaine, appelez-la “postmodernisme”

si vous y tenez. Le problème est que vous n’avez pas d’Idée. Moi non plus, d’ailleurs :

ce n’est pas ma fonction d’en produire. Mais au moins je sais que je n’en ai pas, je sais

pourquoi je n’ai pas à les faire. Ou plutôt si, j’ai une idée : une certaine idée de l’Idée. Et

aussi, j’ai des principes, des axiomes… ». On connaît la suite. L’injonction faite aux

artistes peut alors se condenser en une formule frappante : « Vous n’avez pas d’Idée ;

vous avez tort. Ne vivez pas sans Idée ! »

Mais en vérité, c’est à peine si Badiou s’adresse aux artistes ; il faut bien reconnaître

que d’eux, considérés individuellement, il n’attend pas grand chose. Si son Panthéon

prend la forme d’une constellation de noms propres, il ne sacralise jamais la figure de

l’artiste. L’unité pertinente, répétons-le, ce sont les œuvres, et plus exactement les

configurations dans lesquelles elles nous sont accessibles. Non pas l’œuvre singulière,

ni même l’œuvre d’un artiste ou d’un auteur (au sens où l’on dit : « sa vie, son œuvre »)

mais la configuration, la constellation d’un multiple d’œuvres qui redécoupent le visible

et balisent l’espace du pensable. À quoi il convient d’ajouter que, en tout état de cause,

ce n’est pas aux artistes eux-mêmes, ni à ceux qui parlent en leur nom en exposant

l’esthétique des œuvres ou des créateurs, qu’il appartient de faire reconnaître que l’art

est capable de vérité, ni d’expliciter la manière dont nous pouvons penser sous condition

d’une telle vérité. C’est là l’affaire propre du philosophe, et il est clair que l’injonction qu’il

formule (« Ne vivez pas sans Idée ! ») s’adresse en réalité à tout le monde. Tant mieux

si des artistes peuvent l’entendre ; si le philosophe devait prêcher dans le désert, il n’en

resterait pas moins que l’art est capable de vérité – il l’a suffisamment prouvé –, et c’est

tout ce dont il est question ici.

Les trois fonctions de l’inesthétique

Sidération plutôt que séduction, réquisition plutôt qu’extorsion : deux manières de nouer

l’art à la philosophie, deux manières de reconduire l’art à sa propre vérité. Tout cela,

cependant, ne nous dit pas encore de quelle vérité il est précisément question chez

Badiou, et de quel réel s’autorise le geste de réquisition dans le cas particulier de l’art.

Pour le comprendre, il est utile de revenir de manière plus analytique au projet

d’enquête qui se formule sous le terme « inesthétique ». On peut en décliner trois

fonctions principales.

1) En premier lieu, une œuvre d’art, une configuration artistique, peuvent venir

exemplifier le mécanisme des « procédures génériques » en général, pour autant que

ces procédures font partie des conditions de la philosophie. Notons qu’il n’y a à ce

niveau aucun propre de l’art dont pourrait s’autoriser une quelconque définition. Il n’y a

pas de concept de l’art en général. Il y a seulement des idées éternelles, capables d’être

produites, avérées, dans des contextes particuliers qui définissent les conditions de la

philosophie. Badiou l’explique dans les premières pages de Logiques des mondes : les

chevaux peints sur les murs de la grotte Chauvet, tout comme ceux de Picasso, avèrent

un cheval qui est éternellement disponible pour la pensée – la caballéité du cheval –, et

ceci indépendamment de la question de savoir si l’art rupestre correspond à l’idée que

nous nous faisons aujourd’hui d’une production artistique. On se gardera donc de

déduire de telles considérations une définition universelle de l’opération artistique ou

une caractérisation de l’essence de l’art : manifestation sensible de l’Idée, passage de

l’infini dans le sensible, etc. Ce qui compte à ce niveau est que l’art produise des vérités,

en laissant de côté la question de savoir ce qui fait la particularité de ces vérités en tant

que vérités artistiques. De fait, le passage où il est question des chevaux de la grotte

Chauvet se situe dans un mouvement argumentatif qui vise à montrer que dans les

différents domaines qui constituent les conditions de la philosophie (art, politique,

amour, mathématiques), il y a bien, en général, production de vérités éternelles.

2) Selon un deuxième usage de la référence artistique, qui indique aussi une deuxième

orientation de l’inesthétique, l’œuvre d’art est mobilisée comme un relais permettant de

dégager ou de reconstruire une configuration artistique plus large dans laquelle elle

trouve place. C’est là un point essentiel et souvent méconnu de l’approche badiousienne

de l’art. Nous avons eu l’occasion de le rappeler : la configuration artistique, plutôt que

l’œuvre singulière ou la figure de l’auteur, est l’unité pertinente de cette chose que nous

appelons « art ». C’est bien pourquoi le fait qu’il existe des chef-d’œuvres ou de grands

artistes contemporains ne suffit nullement à établir la teneur ou la consistance de l’art

contemporain dans son orientation générale. L’existence indépendante de quelques

œuvres d’art n’a jamais une valeur exemplaire par elle-même, mais seulement par les

raccords et les circulations qu’elle suggère au sein d’un ensemble. Si une configuration

n’est strictement composée que d’œuvres, elle ne se laisse pourtant saisir dans aucune

œuvre en particulier ; elle est en elle-même un multiple générique, qu’il importe de saisir

dans son surgissement et sa distribution spatio-temporelle. Suscité par un événement,

ce multiple se présente comme une séquence identifiable par la création d’un nouveau

domaine formel, lequel comprend une virtualité infinie d’œuvres possibles ou réelles.

Badiou s’en explique très clairement dans un entretien avec Fabien Tarby : « Le monde

de l’art est un exemple fort de la présence de la multiplicité dans les vérités [18] ». Et il

ajoute qu’il s’agit là d’une « étrange multiplicité », dont le fondement est « bien difficile à

élucider [19] ». La perspective, on le voit, est pleinement ontologique. Cette fois-ci, l’art

est autre chose qu’une simple illustration des conditions post-événementielles de l’action

et de la subjectivation. Sa singularité au sein des autres conditions de la philosophie

tient à l’équilibre particulier qu’elle introduit au sein du multiple des vérités : sa densité

événementielle, si l’on peut dire, est intermédiaire entre la rareté relative des grandes

séquences politiques et l’omniprésence des séquences amoureuses. Cependant, on voit

bien aussi de quelle manière l’inesthétique se raccorde à une question plus large qui

traverse toutes les autres conditions de la philosophie, et singulièrement la politique. Ce

qui est en jeu avec l’art, c’est la création point par point d’un corps (disons, la dimension

d’apparaître d’un sujet au sein d’un monde [20]), en relation avec la trace d’un

événement, capable de déterminer l’orientation active d’un corps. Que tout cela puisse

être saisi dans la configuration particulière d’un « monde de l’art » (car il y a en vérité

des mondes de l’art), on pouvait s’y attendre, mais l’art justement nous le fait voir avec

une clarté inégalée, qui tient à son régime propre d’apparaître, à la densité

événementielle qui caractérise son multiple. Voyez les analyses que Logiques de

mondes consacre à l’événement Schönberg : l’histoire de la musique sérielle permet de

suivre, de Schönberg à Boulez, et jusqu’à l’exhaustion du sérialisme (et aussi bien du

sujet sériel lui-même), le chemin par lequel s’affirme la possibilité d’un monde des sons

qui ne serait plus gouverné par le système tonal. De la même manière, le Siècle décrit le

sort des avant-gardes en insistant sur la place qu’y tiennent la proclamation, les

déclarations et les manifestes, qui sont un des modes d’existence privilégiés de la

« trace » événementielle. Dans l’art contemporain plus clairement encore qu’ailleurs, les

vérités doivent être activement crées et promues. C’est en ce sens que Badiou peut

envisager de trouver dans la création artistique de nouveaux moyens, de nouvelles

voies pour la politique. Et c’est dans cette perspective qu’il convient de lire, je crois, le

Manifeste de l’affirmationnisme.

3) Il y a enfin une dernière fonction de l’inesthétique, qui consiste à isoler, de manière

encore plus serrée, une procédure générique propre à la situation d’un art déterminé,

procédure qu’on pourra alors tenir pour représentative de la poétique de cet art ou de la

configuration artistique particulière sous laquelle on l’envisage. Je pense évidemment à

la poésie qui, dans son effectuation mallarméenne, apparaît mieux qu’aucun autre art

comme une technique de la déposition de l’objet, capable d’introduire dans la langue

cette question très singulière : que serait une expérience sans objet ? La

désobjectivation de la présence est l’enjeu général. Il peut lui-même se diffracter selon

des voies et des stratégies diverses. À la voie soustractive ouverte par Mallarmé répond

ainsi la dissémination rimbaldienne. Ces analyses sont bien connues. Je retiendrai

seulement de cette troisième modalité de l’inesthétique le fait qu’elle autorise à

philosopher « sous condition » d’un poète, mais aussi bien d’un écrivain ou d’un artiste

plasticien. Sous condition de Mallarmé, de Beckett, de Rimbaud ; mais aussi, pourquoi

pas, sous condition de Duchamp ou de Cage, pourvu que les configurations auxquelles

renvoient ces noms fassent à leur tour la preuve de leur tenue. Car s’il est bien question

de vérités artistiques, on aura compris que l’enjeu de l’inesthétique n’est pas le contenu,

la teneur de l’art, que la philosophie aurait pour charge de déployer en vérité dans la

forme du concept. L’enjeu véritable, c’est la tenue. Autrement dit, la capacité des

œuvres d’une époque à endurer, à porter et à transmettre l’onde de choc d’un

événement artistique ; et plus généralement, la capacité de vivre et de penser selon la

consistance de l’Idée. Ce qui compte alors, ce n’est pas la forme en tant que telle, mais

la disposition, la configuration de multiples artistiques référés à des événements qui font

césure dans le monde de l’art et de la culture. Des œuvres, donc, ressaisies à travers

leurs effets, leurs contrecoups pour la pensée, mais surtout envisagées dans leur

capacité à suggérer de nouvelles ressources formelles au-delà de l’art lui-même, de

nouvelles connexions avec les processus réels et les propositions de la politique.

De là se déduit peut-être, sinon une quatrième fonction de l’inesthétique, du moins sa

motivation fondamentale. L’enquête menée sur l’art comme condition de la philosophie

débouche en effet sur quelque chose comme une capture ou une captation des

puissances de l’art au profit d’une intensification de l’activité philosophique. Sur ce point

Badiou rejoint finalement Deleuze, en dépit de tout ce qui sépare leurs agencements

respectifs. Le rapport de captation se traduit d’ailleurs par des effets d’écriture du même

type que ceux qu’autorise la méthode deleuzienne du branchement et de l’extraction. On

s’en rend compte en prêtant attention, par exemple, à la manière dont les œuvres

littéraires et singulièrement poétiques se trouvent convoquées dans le montage de

l’écriture philosophique. Loin de toute sacralisation du texte comme tel, les citations

agissent comme des formules ou des embrayeurs. Il ne s’agit que de savoir les placer

au point approprié dans le cours d’un développement philosophique, de façon à creuser

un canal susceptible d’apporter à l’ordre conceptuel une eau ou une énergie venue

d’ailleurs. Ce travail de captation et d’incorporation est immanent à la procédure

philosophique. Il passe souvent chez Badiou par des opérations de traduction (de la

poésie en prose, de l’évocation poétique en énoncés déclaratifs, etc.), là où Deleuze a

plus volontiers recours à une espèce de discours indirect libre ou de ventriloquie dont il

emprunte le principe aux écrivains de son propre panthéon (Proust, Kafka…). Dans les

deux cas cependant, l’appropriation des puissances de l’art suppose de maintenir une

claire relation d’extériorité. La philosophie n’a pas à accueillir pieusement la révélation

portée par la parole poétique, elle ne se contente pas de relayer la provocation de la

touche picturale : elle reprend l’initiative en convoquant pour ses seules fins les vérités

de l’art, quitte à les détourner, les reconstruire, les transposer.

La maladie romantique

Récapitulons à présent les trois grandes fonctions de l’inesthétique. On verra que

chacune porte, implicitement, une idée particulière de la puissance de l’art.

L’inesthétique avère des procédures génériques pour la production de vérités

universelles (l’art comme avènement de l’Idée) ; elle déploie les ressources d’une

logique post-événementielle de l’apparaître (l’art comme domaine des configurations

artistiques) ; enfin, elle extrait et identifie des opérations et procédures typiques, des

poétiques locales, dotées d’une portée plus générale (l’art comme réservoir d’opérations

transposables pour une intensification de l’activité philosophique, au prix d’un travail de

captation et d’incorporation). Il est clair qu’aucune de ces modalités, pas plus que leur

réunion, ne suffit à définir quelque chose comme une philosophie de l’art d’Alain Badiou

au sens traditionnel de cette expression. Il se peut que l’art soit tout simplement un

mauvais objet. L’art est bien présent comme condition, mais cela n’en fait pas l’objet

d’une philosophie de l’art. C’est ainsi que je comprends la définition liminaire du Petit

Manuel d’inesthétique : « Contre la spéculation esthétique, l’inesthétique décrit les effets

strictement intraphilosophiques produits par l’existence indépendante de quelques

œuvres d’art. »

Mais cet exposé des enjeux serait incomplet si l’on ne mentionnait pas une dimension

secondaire de l’enquête inesthétique : celle-ci permet en effet de formuler au passage

un diagnostic critique, une évaluation de l’état des configurations artistiques dans une

conjoncture ou un moment donné. C’est de ce point de vue qu’on peut tenter de

dégager la « teneur » particulière de l’art contemporain, ou pour mieux dire, la position

qu’enveloppent ses œuvres les plus représentatives, eu égard au problème général de

la vérité et aux conditions particulières de son effectuation. Car tel est bien l’enjeu :

évaluer l’art du point de vue de sa capacité à prendre en charge une vérité en général,

mais aussi à soutenir activement sa promotion dans une conjoncture donnée.

Or ce que Badiou pointe dans l’art contemporain, au-delà du constat général d’une

désaffection de la vérité propre au matérialisme démocratique, c’est pour l’essentiel

deux choses. D’une part, l’épuisement d’une séquence événementielle qui a reconfiguré

le paysage au début du XXe siècle, autour de la première guerre mondiale. C’est le

thème le plus apparent du Siècle. Mais d’autre part et plus positivement, il faut lire dans

la conjoncture politico-esthétique contemporaine l’histoire continuée d’un mal très ancien

qui a pour nom « romantisme [21] ». La maladie romantique se laisse identifier par des

symptômes vulgaires (promotion des subjectivités géniales et des corps souffrants,

oscillation entre enthousiasme et nihilisme, etc.), mais aussi bien savants (à travers,

notamment, la définition de l’art comme descente de l’infini dans la forme finie de

l’œuvre). À cet égard, l’inesthétique se définit moins contre l’esthétique en général que

contre le schème romantique qui a historiquement coïncidé avec la reformulation

philosophique de l’esthétique sous les espèces spéculatives d’une philosophie de l’art.

Ce schème romantique, tel qu’il intervient chez Badiou, c’est celui, commun aux

différentes théories du sublime, de l’Idée traversant le sensible pour le porter à ses

limites, au point de déchirement de l’enveloppe dans laquelle s’exhibe l’œuvre. Ainsi la

forme finie, tenue par le système des contraintes qui gouvernent son apparaître, est

chargée de témoigner, par la tension pathétique qui l’anime, d’une puissance

d’ouverture et d’illimitation qui l’excède infiniment.

Contre cette tendance partout avérée dans les esthétiques du siècle, confirmée

aujourd’hui par la « théâtralité généralisée » dont participent les genres de l’installation

ou de la performance improvisée, Badiou recommande une diète sévère, une discipline

de l’Idée qui organiserait les formes de son transit ou de son passage autrement que

sous les espèces de l’incorporation [22]. Contre l’expressivité romantique, il en appelle à

une nécessaire froideur. Il prône une rigueur impersonnelle apparentée aux

mathématiques. Cette austérité active est la condition d’« un nouvel art réglé [23] »,

c’est-à-dire formalisé [24]. Un art capable de soutenir, dans l’ordre du fini, la puissance

libérée par la répétition en droit infinie de l’acte une fois exécuté [25].

Le cas Duchamp : un symptôme

« Quel est le tourment du siècle ? C’est qu’il entreprend d’en finir avec le romantisme de

l’Idéal, de se tenir dans l’abrupt de l’effectivement-réel, mais qu’il le fait avec des

moyens subjectifs […] qui sont encore et toujours romantiques [26]. » Le cas du

Duchamp, déjà évoqué, illustre à merveille cette zone d’incertitude où Badiou situe le

contemporain de l’art.

Un double slogan résume le projet duchampien de s’arracher aux séductions de l’« art

rétinien » : « peinture de précision et beauté d’indifférence ». Ce programme a tout pour

plaire à Badiou. Il laisse entrevoir la possibilité d’un outre-passement du romantisme par

les moyens d’une analytique de l’indiscernable ou de la séparation évanouissante

(« inframince », dit Duchamp), effectuée par différentes modalités de l’acte comme

coupure. L’acte est ce qui vient donner figure (sur un mode qui n’a rien du pathétique de

l’infigurable) à l’écart qui existe entre l’Idée et son apparaître. Et comme l’explique

Badiou, tout l’œuvre duchampien se donne comme le lieu d’une expérimentation réglée

de la séparation de l’Idée [27]. Il ne s’agit plus de l’écart pathétique que marque l’infini à

l’égard de toute présentation finie. Ce n’est pas le passage sublime de l’Idée dans le

sensible qui écarte et rompt la forme finie : c’est l’Idée saisie dans son écart, c’est-à-dire

dans le mouvement d’une visitation sans incorporation, « touchant la surface de l’œuvre

comme un oiseau frôle la mer [28] ». Ce frôlement, c’est ce qu’explorent les différentes

modalités de l’inframince ou de l’écart minimal (« intervalle inframince qui sépare deux

identiques »). Pouvait-on rêver meilleure effectuation du projet d’une relève de l’art par

l’Idée – une Idée qui ne s’incarne pas, qui ne fait justement que passer ?

Mais Duchamp, comme le note aussitôt Badiou, est une figure essentiellement duplice.

Elle s’articule selon deux dimensions qui pivotent sans cesse l’une sur l’autre en

échangeant leurs places. Duchamp est, dans le siècle, une figure charnière, et la

charnière est aussi importante chez lui que la coupure. Un regard attentif porté sur son

œuvre, sur le mode de dissémination de ses effets et de ses traces, révèle à côté de

l’analytique de l’indiscernable l’omniprésence d’un érotisme calculé, une pensée des

connexions locales, des émissions et propagations obliques dans l’ordre des corps et

des langages, tout cela dans un voisinage constant avec l’informe et dans une attention

distanciée aux ressources offertes à l’acte artistique par les possibilités techniques d’une

reproductibilité indéfinie (les ready-mades, comme on sait, indiquent aussi cela, même si

le fait-main y tient une place prépondérante). Ce Duchamp-là renoue avec l’idée d’une

jouissance – certes très cadrée, très intellectualisée – du sensible pur. Il opère à la

surface de l’art rétinien, sur toute son enveloppe, pour en tirer des effets dont la portée,

le rapport à la vérité, demeure lui-même le plus souvent indécidable. De sorte qu’on a

affaire, en fin de compte, non pas à une sortie hors du romantisme, mais à une espèce

de romantisme dégénéré où l’énergie des corps désirants (« célibataires ») et l’humour

atmosphérique relayé par les jeux de mots idiots ou graveleux se conjuguent à la

puissance d’arrêt de la coupure et à la discipline désubjectivante de l’indiscernable.

Il y aurait, si l’on veut, le Duchamp de Badiou et le Duchamp de Deleuze. Mais cette

dualité est interne à Duchamp lui-même. Quant aux post-duchampiens, assumés ou

non, qui constituent aujourd’hui le gros des bataillons des artistes contemporains, à en

croire le constat un peu désolé de Badiou dans le Manifeste, ils seraient dominés par

une espèce de formalisme romantique dont l’expression tantôt funèbre et tantôt ludique,

tantôt mystique et tantôt pornographique, se traduirait partout par « l’installation

charnelle de la finitude ». Cela suffirait à e établir que « le siècle n’a pas été en mesure

de proposer une nouvelle figure de l’art comme pensée indépendante« [29] ». Je ne

crois pas qu’il faille tenir Duchamp pour le principal responsable de cet état de l’art. Les

vrais duchampiens, il y a en encore aujourd’hui : voyez Gabriel Orozco ou Tatiana

Trouvé, dans des registres bien différents. Loin des dérives pompières ou formalistes, ils

confirmeraient plutôt le diagnostic que livrait Hegel en évoquant la queue de comète du

romantisme et la promesse qu’enveloppait à ses yeux le passage de l’humour subjectif à

l’humour objectif [30]. Reste que l’ambiguïté du cas Duchamp a valeur de symptôme.

Elle témoigne, de manière voilée, de l’ensemble des tentatives menées au cours du

siècle pour se délivrer du romantisme, cette maladie infantile du modernisme dont l’art

contemporain peine à se guérir.

Notes

[1] Voir « Le XXIe siècle n’a pas commencé » (entretien avec Alain

Badiou), art press, n°310, mars 2005 ; « La vérité doit avoir lieu : à

propos d’Alain Badiou », art press, n°324, juin 2006 ; « Badiou :

second manifeste », art press, n°356, mai 2009.

[2] C’est dire qu’un artiste peut tout à fait être contemporain de ce qui

se montre dans les musées, galeries et centres dits « d’art

contemporain », sans participer pour autant pleinement de ce régime

singulier de création. Il arrive même qu’il occupe dans ce monde de

l’art une place de choix tout en perpétuant une pratique d’atelier qui

n’est pas très éloignée du mode de production de l’artisanat. Je pense

ici notamment à Soulages, auquel Badiou a récemment consacré une

conférence intitulée « Pierre Soulages, un peintre affirmationniste ? »,

sous la forme de neuf « fragments » (Centre Pompidou, 22 janvier

2010).

[3] Thierry de Duve, Au nom de l’art, Paris, Minuit, 1989.

[4] On évitera de confondre ce thème de la « transfiguration du

banal », popularisé par Arthur Danto, avec l’esthétique de la vie

ordinaire développée par des artistes comme Allan Kaprow ou le

groupe Fluxus. Sur ce thème, voir Barbara Formis, Esthétique de la vie

ordinaire, Paris, PUF, 2010, et le compte-rendu que nous en avons

donné dans la Nouvelle revue d’esthétique, n°7, juillet 2011, p. 217-

220.

[5] Voir Alain Badiou, Le Siècle, Paris, Le Seuil, 2005, p. 189-193.

[6] Ibid., p. 193.

[7] Alain Badiou, « Le devoir inesthétique », Magazine littéraire,

novembre 2002, p. 29.

[8] « La pensée Matisse », art press, n°326, août-septembre 2006.

[9] Pour le cadre général de cette doctrine des vérités, on se reportera

par exemple à la préface de Logiques des mondes.

[10] A. Badiou, « Le devoir inesthétique », art. cit., p.29.

[11] Barbara Formis, « Événement et ready-made : le retard du

sabotage », in B. Bessana et O. Feltham (dir.), Écrits autour de la

pensée d’Alain Badiou, Paris, L’Harmattan, 2007.

[12] Je fais référence à la conférence (encore inédite) sur Duchamp

prononcée le 9 mars 2006 à l’École normale supérieure dans le cadre

du séminaire « Philosophie et art contemporain ».

[13] « Troisième esquisse d’un manifeste de l’affirmationnisme », in

Circonstances 2, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, p. 81-106.

[14] L’expression intervient chez Deleuze au sujet du cinéma : « Le

Cerveau, c’est l’écran », in Deux Régimes de fous, Paris, Minuit, 2003,

p. 263-264.

[15] J’ai exposé les tenants et les aboutissants de cette thèse dans

deux articles : « How much truth can art bear ? On Badiou’s

‘inaesthetics’ », Polygraph, n°17, Duke University Press, 2005 ;

« Art », in A. J. Bartlett et J. Clemens (dir.), Alain Badiou : Key

Concepts, Chesholm, Acumen, 2010.

[16] F.-W. Schelling, Philosophie de l’art, Grenoble, Jérôme Millon,

1999, p. 59.

[17] « En réalité, le créateur s’est absenté de cette affaire qu’est

l’œuvre. Ce n’est pas lui le centre de gravité. […] Je suis mallarméen

sur ce point : le créateur est cause évanouissante. » (Alain Badiou et

Fabien Tarby, La Philosophie et l’événement, Paris, Germina, 2010, p.

87)

[18] Ibid., p. 81.

[19] Ibid., p. 82.

[20] La constitution d’une subjectivité nouvelle ne doit pas faire

oublier, cependant, que « le sujet constitué dans l’art par l’événement

artistique, c’est précisément le systèmes des œuvres » ! (ibid., p. 84).

[21] Sur ce thème, voir Le Siècle, op. cit., p. 216-218.

[22] L’enjeu des pratiques artistiques relevant du genre

« performance » est l’invention de procédures capables de mettre en

œuvre un nouveau nouage de l’acte et de l’idée, par delà la mise en

scène des corps tourmentés. Voir « Un théâtre de l’opération »

(entretien avec Alain Badiou), in B. Blistène (dir.), Un théâtre sans

théâtre, Barcelone, Macba, 2007.

[23] « Troisième esquisse d’un manifeste de l’affirmationnisme », in

Circonstances 2, op. cit., p. 93.

[24] Le Siècle, op. cit., p. 225.

[25] Comment ne pas songer ici aux avatars de l’art sériel et du

minimalisme, ou encore à la dialectique du Concept et de l’Idée (ou de

l’acte) exposée par Sol LeWitt dans ses propositions sur l’art

conceptuel ? (Voir « Sentences on Conceptual Art », Art-Language,

vol. 1, n°1, mai 1969). Badiou n’en dit rien dans la section décisive du

Siècle intitulée « Infini romantique, infini contemporain », mais il est

vrai que ce passage n’est pas très prodigue en exemples. Retenons-en

l’idée d’une dialectique de l’infini s’accomplissant comme qualité,

lorsque se concentre dans la forme de l’acte l’intensité du présent.

[26] Le Siècle, op. cit., p. 216.

[27] Nous suivons ici, en lui empruntant quelques formules, la

conférence déjà citée d’Alain Badiou sur Duchamp (9 mars 2006, École

normale supérieure).

[28] Ibid.

[29] Troisième esquisse d’un manifeste de l’affirmationnisme », in

Circonstances 2, op. cit., 2004, p. 88.

[30] G. W. F. Hegel, Cours d’esthétique, t. II, Paris, Aubier, 1996

(trad. J.-P. Lefebvre et V. von Schenck), p. 226. Le déchaînement de

l’humour témoigne pour Hegel d’un point de cassure, ou du moins d’un

moment critique dans le processus d’autodissolution et de

désagrégation du romantisme. L’humour objectif illustre à ses yeux la

possibilité bienvenue d’un art capable de s’intimiser dans l’objet pour

échapper à l’ironie subjective autodestructrice.

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