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Fatima Ameh ri, à l’origine des premières coopératives féminines d’argan au Maroc Au Maroc, elle est le symbole de l’émancipation de la femme rurale. L’huile d’argan est aujourd’hui un produit connu du plus grand nombre pour ses propriétés cosmétiques et alimentaires. Le chemin pour arriver à cette reconnaissance fulgurante n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a fallu remettre en cause certaines des normes sociales les plus ancrées dans la société patriarcale au Maghreb. Fatima Amehri, présidente de la Coopérative des Femmes Argan Ida Oumtate, raconte comment cela a commencé, et quels sont les nouveaux défis auxquels les coopératives féminines sont désormais confrontées. A la tribune de la session de débat intitulée « Les leaders du changement : promouvoir le leadership féminin au Maghreb », lors des Journées européennes du Développement 2018, son énergie paraît communicative. Bien que dernière oratrice à s’exprimer, Fatima Amehri parvient à capter l’attention de la salle durant toute la durée de son intervention. Son parcours parle pour elle. En 1995, elle s’est engagée dans la création de la première coopérative féminine pour l’exploitation de l’argan. « Cela nous a pris trois

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Fatima Amehri, à l’origine des premières coopératives féminines d’argan au Maroc

Au Maroc, elle est le symbole de l’émancipation de la femme rurale. L’huile d’argan est aujourd’hui un produit connu du plus grand nombre pour ses propriétés cosmétiques et alimentaires. Le chemin pour arriver à cette reconnaissance fulgurante n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a fallu remettre en cause certaines des normes sociales les plus ancrées dans la société patriarcale au Maghreb. Fatima Amehri, présidente de la Coopérative des Femmes Argan Ida Oumtate, raconte comment cela a commencé, et quels sont les nouveaux défis auxquels les coopératives féminines sont désormais confrontées.

A la tribune de la session de débat intitulée « Les leaders du changement : promouvoir le leadership féminin au Maghreb », lors des Journées européennes du Développement 2018, son énergie paraît communicative. Bien que dernière oratrice à s’exprimer, Fatima Amehri parvient à capter l’attention de la salle durant toute la durée de son intervention. Son parcours parle pour elle. En 1995, elle s’est engagée dans la création de la première coopérative féminine pour l’exploitation de l’argan. « Cela nous a pris trois ans, de 1995 à 1998, pour que le projet aboutisse vraiment, détaille-t-elle. Durant ces trois ans, nous avons multiplié les réunions dans les douars (petit village ou groupement d'habitations rurales, ndlr), afin de sensibiliser les populations et leur faire accepter l’idée que la femme peut aider économiquement son foyer. » Fatima et les autres intervenants partent alors de très loin : « Lorsqu’on nous accueillait, il y avait toujours deux salles, se souvient-elle : une pour les hommes et une autre pour les femmes. Et nous devions passer de l’une à l’autre pour y dire la même chose. » Ces pionniers avaient en face d’eux tout le poids des mentalités et des traditions ancrées au sein des petites communautés. Un détail permet de le mesurer : les plus difficiles à convaincre n’étaient souvent pas les hommes… « Nous n’avons pas réussi à faire bouger les choses dans un premier temps. La seule solution que nous avons trouvée a été de dialoguer d’abord avec l’ancien du village, le chef, et de le convaincre de faciliter le projet. »

Le projet s’est concrétisé à l’usure. Trois ans de pourparlers, d’échanges, de débats et de tensions : la 1re coopérative féminine était créée, mais pas encore opérationnelle. « La plupart des travailleuses que nous recrutons sont analphabètes, explique Fatima Amehri. Il faut donc actualiser leur savoir-faire, afin que le projet devienne rentable. Les femmes suivent d’abord des cours d’alphabétisation poussés, trois fois par semaine durant un an, puis nous les formons aux principes de base du commerce et du marketing. » Le produit lui-même devait entrer dans l’ère du temps et se faire une place sur les marchés à l’international. Au Maroc, les coopératives ont pu compter sur le soutien indirect des milieux scientifiques, dont les publications permis de faire connaître les bienfaits naturels de l’huile d’argan à l’étranger. « Nous avons signé notre premier contrat hors du pays en 2003, avec l’Allemagne, pour de l’huile alimentaire, précise Fatima. Le premier contrat en France est arrivé fin 2003, dans le domaine de la cosmétique. Cinq ans ont été nécessaires pour faire connaître le produit, convaincre les exportateurs et les laboratoires. »

Par son action, Fatima Amehri a contribué à faire évoluer les mentalités quant au rôle de la femme. Le regard des autres se fait moins pesant sur une femme qui va travailler. « Dans certains villages, au début du projet, on n’était pas loin de nous jeter des pierres, rappelle-t-elle. Désormais, même ceux qui étaient les plus réticents nous accueillent à bras ouverts. » Les progrès sont indéniables ; cependant, de nombreux défis restent à relever. Depuis la fin des années 2000, l’huile d’argan est devenue « tendance ». La demande a explosé, les prix aussi. Et le marché initial, dominé par les coopératives artisanales, a été complètement déstabilisé. « Jusqu’en 2009, les coopératives représentaient 80% du marché, contre 20% au secteur privé, explique la présidente d’Argan Ida Oumtate. Désormais, la situation s’est inversée : les coopératives de femmes ne fournissent plus que 20% du marché. » L’action des premières coopératives a préparé le terrain et rendu le marché attractif pour les industriels. Ils ont investi massivement et démoli les prix, mettant hors course les petites coopératives. Des voix s’élèvent pour dénoncer les dérives de ces nouveaux acteurs économiques, dont les exigences en termes de rendement passent avant les considérations sociales ou environnementales. L’engouement autour de l’argan a considérablement augmenté la pression sur les arganeraies et on assiste à un retour de la cueillette sauvage, qui fait peser un risque sur la préservation de la ressource. Par ailleurs, si les femmes continuent d’être embauchées dans les grandes coopératives modernisées, il n’est plus question ni de cours d’alphabétisation ni de leur autonomisation. Elles sont devenues une main-d’œuvre malléable et peu coûteuse. « Les clients restés avec nous sont fidèles aux valeurs du commerce équitable et responsable, explique Fatima Amehri. Les coopératives féminines ne peuvent plus investir le marché conventionnel. Nous militons désormais pour la création et la diffusion d’un label spécifique, qui mette en avant des critères environnementaux et sociaux. C’est le nouveau défi qui attend les femmes ! » Il sera sans doute long et difficile à relever, mais Fatima n’en est pas à son coup d’essai.

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