art maritime joaquín sorolla · tarde (1903). le chevalet planté devant la plage de la malvarrosa...

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Joaquín Sorolla Magicien de la lumière Martine Garry art maritime 054_061_Sorolla 2/04/07 11:39 Page 54

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Joaquín SorollaMagicien de la lumière

Martine Garry

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Né à Valence, cet artisteespagnol (1863-1923) – que l’on peut découvriractuellement à Paris* –pose son regard sur un paysage marininondé de lumière. Peignant sur le motif, il plante son chevalet sur les plages de la côteméditerranéenne,témoignant ainsi de l’intense activitémaritime et déjà balnéaire qui y règne en ce tournantdu XIXe siècle.

Valence, la ville natale où JoaquínSorolla passe son enfance, constitueratout au long de sa carrière une impor-

tante source d’inspiration. L’origine citadinedu jeune peintre ne l’empêche pas de consi-dérer avec attention les très nombreusesbarques à gréement latin remontées sur lesable en l’absence de tout port. La plage, dontil montre également les baigneurs, est lerefuge permanent des pêcheurs et de leursembarcations. Comment, dans ces condi-tions, échapper à l’attrait du littoral, com-ment ne pas s’attarder sur les gens de mer,épier leur intimité dans le travail? Une obser-vation patiente permet à Sorolla de fixer avecnaturel les gestes de la vie quotidienne. Ilaccumule croquis, dessins, aquarelles, exé-cutés avec une grande rapidité, pour mieuxsaisir un sujet qui se déplace à chaque ins-tant. Tout est en mouvement, le bateauoscille, la mer se ride, les rames se meuvent.

* Sargent, Sorolla, frères par la lumière, jusqu’au 13 mai auPetit Palais. Cette exposition met en parallèle l’œuvredu peintre espagnol et celle de son contemporain amé-ricain John Singer Sargent (1856-1925).

La Vuelta de la pesca (“Le retour de la pêche”), 1894.Cette toile obtiendra une deuxième médaille

au Salon de Paris, en 1895. Elle est aujourd’huiconservée au musée d’Orsay.

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Comme le ferait un photographe, Sorollas’attache à capter des “instantanés” pour lesbrosser ensuite sur la toile. Il se libère ainside l’académisme et découvre son idéal artis-tique : peindre en extérieur les chosescomme on les voit.

“Et voici des bœufs qu’on a fait avancer dansla mer pour tirer une barque dont la voile segonfle sous la force de la brise. Et voici leshommes qui guident ces bœufs et qui fontdes efforts pour les diriger. L’eau fait desbulles entre leurs pattes; les reflets brillent

sur les corps massifs et sur les pelages brunsdes bêtes; le soleil cuit et colore en tons debrique les mains et les visages rudes. La mers’étend au loin, d’un bleu éblouissant. C’estune étude énorme, un instantané peint avecune singulière, exceptionnelle et stupéfiante

Ci-contre: autoportrait.

Ci-dessous: Aún dicen que el pescado es caro(“Et ils disent que le poisson est cher”), 1894. Au début de sa carrière, Sorolla donne parfois dans un naturalisme social, comme en témoigne cettescène à bord d’un quillat, où l’on voit un jeune matelotblessé soigné par ses compagnons. Cette toile au titreironique illustre la dureté du métier de pêcheur dont les souffrances ne sont guère compensées par un revenu décent.

En haut à droite: Tres velas (“Trois voiles”), 1903.

En bas à droite: artiste de plein air, Joaquín Sorollainstalle volontiers son atelier à même le sable, à l’abri du vent et du soleil, pour peindre sur le motif.

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assurance.” Ainsi s’exprimait le critique d’artArsène Alexandre devant la toile Sol de latarde (1903).

Le chevalet planté devant la plage

de la Malvarrosa

Bien que le thème maritime ne soit pas pré-dominant dans l’œuvre de Sorolla, il ne sepassera pas une année, sur quarante ans detravail constant, sans qu’il ne peigne unescène ou un paysage évoquant la vie du lit-toral. Des travaux qu’il a lui même qualifiésd’“études de mer”.

L’artiste affectionne particulièrement lesretours de pêche. Sur la plage de la Malvar-rosa, à une encablure du centre de Valence,

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il peut approcher au plus près des bateaux.Ce sont des barques non pontées à fond plat,très semblables aux barques catalanes duRoussillon. Elles sont armées par un équi-page de deux ou trois hommes, sans comp-ter les enfants, qui embarquent très jeunes.Couramment utilisées pour la pêche côtière,ces embarcations gréées d’une voile latinepeuvent aussi servir d’allèges pour déchar-ger les grands quillats (bateaux plus fortsdotés d’un véritable plan de quille). Ces der-niers, armés au chalut en bœufs ou au cabo-tage, apparaissent rarement dans l’œuvre dupeintre car ils mouillent au large.

Dans La Vuelta de la pesca (1894), Sorolla meten scène avec précision l’équipage d’un llaüt(terme générique désignant ici les bateaux de

pêche à gréement latin), dont un membre,arc-bouté, pèse sur sa longue rame pourmaintenir la poupe face aux rouleaux. Unegrande nasse repose à l’arrière de l’embarca-tion. La voile est à demi carguée sur l’antennebasculée “à la valencienne”. Le halage se pré-pare: une paire de bœufs s’attelle à la tâche,conduite par un homme, peut-être un enfant,tandis qu’un autre s’apprête à glisser sous lebrion le pal, une traverse de bois qui facili-tera la sortie de l’eau. A l’horizon, d’autrespetites barques sont encore au travail.

Longues d’une trentaine de pans (environ6,50 mètres), ces barques de pêche côtière,parfois peintes de couleurs vives et dontl’étrave se prolonge en capian, disposentde courtes quilles d’échouage permettant

de les haler sur le sable sans dommage. Lemât, emplanté au centre de l’embarcation,légèrement incliné, soutient l’antenne surlaquelle la voile est transfilée; un clan en têtede mât permet le passage de la drisse de l’an-tenne. Ces bateaux possèdent aussi deuxpaires de rames, qui sont utilisées par ventcontraire ou s’il vient à manquer. Chaquejour, une multitude de llaüts de pêche abor-dent ainsi le rivage et l’artiste les représenteinlassablement.

Dans Pescadores valencianos (1895), l’une deses premières toiles de taille moyennepeintes directement en plein air, Sorolla meten valeur le travail des pêcheurs occupés ànettoyer leurs grandes nasses hémisphé-riques en fibres végétales, le plus souvent en

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A gauche: Ráfaga de viento (“Coup de vent”), 1904.

Ci-contre: photographie de la fin du XIXe siècle montrant le halage d’une barque de pêche sur une plage

de Valence, une scène que Sorolla pouvait observerquotidiennement et qui lui a inspiré plusieurs tableaux.

Ci-dessous: Pescadores valencianos,(“Pêcheurs de Valence”), 1895. Cette œuvre

montrant des pêcheurs occupés à nettoyer leurs nasses de jonc a obtenu la médaille d’or

de l’Exposition internationale de Berlin, en 1896.

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jonc. Le fond, amovible, a été retiré pourextraire langoustes ou poissons. On voit net-tement la goulotte, dans la partie supérieure,qui conduit la prise à l’intérieur du piège.Très utilisées sur le littoral levantin, ces nassesservent à la fois à capturer les proies, maisaussi, pour les plus grandes, à les conservervivantes avant de les vendre, faisant ainsifonction de viviers.

Peintre de genreet magicien

de la lumière

Dans les quartiers du Cabañal et de Caña-melar de Valencia, situés de part et d’autredu port de commerce de Valence, vit uneimportante population de pêcheurs. Chaque

jour après la pêche, les filets – sardinal, tra-mail, senne – sont mis à sécher au soleil,étendus à même la plage, et ramendés sinécessaire. S’ils ne sont pas réutilisés, ilsseront remisés dans les magasins dont dis-posent les pêcheurs sur le haut de la grève.

Dans un beau geste dont l’ampleur n’est passans rappeler celui du célèbre semeur deMillet, sous une lumière dorée de fin de jour-née, nu-pieds, les hommes ramassent lesfilets qui serviront dès la prochaine sortieen mer. C’est ce que montre Sorolla dansPescadores recogiendo las redes (1896). Noussommes en été, les hommes ont coiffé lechapeau de paille à large bord pour mieuxse protéger du soleil. Ils portent chemise etpantalon de toile, ainsi qu’une large cein-ture de flanelle rouge, dans laquelle ils ont

glissé, comme dans une poche, leurs petitsobjets personnels. Cette année 1896 est déci-sive pour Sorolla, qui commence à peindredes thèmes où dominent le labeur deshommes et la lumière.

En travaillant directement depuis la plage,l’artiste fixe avec plus de précision et denuances l’instant de la journée et l’occupa-tion des pêcheurs. De sa palette jaillit unsoleil étincelant ou, comme dans Cosiendola vela (1900), l’éclat d’une belle fin de mati-née d’hiver ; l’air est vif, les hommes ontrevêtu vareuse et chandail et portent unbonnet de laine, la barretina. Bien que lavoile qu’ils sont en train de réparer nous lescache, on peut imaginer que leurs pieds sontnus, comme à l’habitude. Cette voile trian-gulaire est dotée de botafions (garcettes) qui,

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A gauche: Cosiendo la vela (“En cousant la voile”),1900. Par une belle journée d’hiver – le bonnet a remplacé le chapeau de paille –, deux pêcheursréparent leur voile sur une plage de Valence.

Ci-dessous: La Comida en la barca(“Le repas dans la barque”), 1898. Protégé du soleilpar une voile disposée sur l’antenne, l’équipage, pioche à la main sa nourriture dans un plat unique. Noter la présence surprenante d’un enfant qui ne semble pas encore en âge de travailler à bord, mais a rejoint son matelot de père le temps d’un repas.

nouées à l’antenne, permettent de réduirela toile par le haut. Après réparation, ellesera transfilée sur l’antenne constituée dedeux perches ligaturées entre elles, le cart(quart) pour la partie inférieure, et la pena(penne) pour la partie haute.

Durant sa longue et très prolifique carrière,Joaquín Sorolla va beaucoup voyager, commebien des artistes de cette époque. Il peindraainsi, par centaines, des paysages, des por-traits, des scènes historiques, cherchant tou-jours à restituer une juste vision du mondequi l’entoure. Sa réputation dépassera lesfrontières espagnoles et nombre de ses œu-vres seront couronnées à l’étranger à l’occa-sion d’expositions internationales. Bien qu’ilsoit lié au mouvement naturaliste, ce peintre

de genre ne donnera que rarement à sonœuvre une dimension de critique sociale.Pour ses biographes, il se révélera par-dessustout comme un “magicien de la lumière”. ■

Remerciements : musée d’Ethnologie de Valence,Centre culturel La Beneficència, José Vicente Aguilar;musée Maritime de Barcelone, Rosa Busquets; muséeSorolla, Madrid, Florencio de Santa-Ana; Tabalet, L. M.Campos.

Bibliographie: Joaquín Sorolla y Bastida, Edmund Peel,1989. Sorolla, la magia de la luz, Begoña Torres, 2005.Baleares, la pesca, Archiduque Luis Salvador, 1880. Dic-cionario de artes de pesca de España y sus posesiones, Rodrí-guez Santamaría, 1920. Observaciones sobre la pesca enel golfo de Valencia, 1866. El Món mariner de Peníscola,Alfred Ayza Roca, 1981. Bots i barques, Francesc Oller,1995. La Marina del vuit-cents, Emerencia Roig, 1929.La Pesca a Catalunya, 1927. Catalogue de l’expositionSorolla y la otra imagen, 2006.

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