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  • 8/14/2019 Approche Competences

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    Lapproche par comptences,une rponse lchec scolaire ?

    Philippe Perrenoud

    Facult de psychologie et des sciences de lducation

    Universit de Genve

    2000

    SommaireI. Dvelopper des comptences en formation gnrale

    II. Pour que lapproche par comptences soit dmocratisante

    III. Le rapport au savoir des professeurs

    IV. Approche par comptences et pdagogie diffrencie

    V. Pour conclure

    Rfrences

    A quoi bon changer les programmes si ce nest pour que davantage de jeunes

    construisent des comptences et des savoirs plus tendus, pertinents,durables, mobilisables dans la vie et dans le travail ?

    Si cela va de soi, in abstractoet dans la sphre des bonnes intentions, il reste

    faire la preuve quune approche par comptences ne sera pas,

    paradoxalement, plus litaire quune pdagogie centre sur les savoirs,

    quelle donnera plus de sens au mtier dlve et quelle aidera les lves en

    difficult ou en chec se rconcilier avec lcole.

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    http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/
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    Pour aller dans ce sens, il importe de montrer que, loin de tourner le dos aux

    savoirs, lapproche par comptences leur donne une force nouvelle, en les

    liant des pratiques sociales, des situations complexes, des problmes,

    des projets. Ce faisant, elle peut, sans sattaquer toutes les causes de

    lchec scolaire, prtendre au moins traiter de faon dcide de la question du

    rapport au savoir et du sens du travail scolaire. Mais cela ne va pas sans

    interroger le rapport au savoir des enseignants et le sens de leur propre

    travail

    ***

    Les rformes des systmes ducatifs visent :

    les unes moderniser les finalits de l'enseignement, pour mieux les ajuster auxbesoins prsums des personnes et de la socit ;

    les autres mieux atteindre des objectifs de formation donns, instruire pluslargement et efficacement les gnrations scolarises.

    Souvent, ces deux enjeux sont entremls, parce que l'une des dimensions

    implique l'autre. La recherche d'une cole plus efficace peut amener mettreen question le curriculum en vigueur. Inversement, une transformation

    radicale des programmes exige de nouvelles mthodes d'enseignement, dont

    lefficacit reste dmontrer.

    Comment situer l'approche par comptences ? Manifestement comme une

    tentative de moderniser le curriculum, de l' inflchir, de prendre en compte,

    outre les savoirs, la capacit de les transfrer et les mobiliser.Les textes officiels ne sont pas toujours trs explicites cet gard, sans doute

    parce quil est politiquement plus correct de prtendre soccuper la foisde

    moderniser les programmes et damliorer lefficacit de lcole. Les

    intentions et leur formulation diffrent en outre d'un systme ducatif ou d'un

    ordre d'enseignement un autre. Cependant, il parat assez vident que le

    moteur principal d'une telle rforme est la volont de faire voluer les finalits

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    de l'cole, pour mieux les adapter la ralit contemporaine, dans le champ

    du travail, de la citoyennet ou de la vie quotidienne.

    Si cela est vrai, on pourrait avoir l'impression que la question des ingalits et

    de l'chec scolaire n'est pas pose par l'approche par comptences, qu'on se

    borne substituer de nouveaux programmes aux anciens, sans que soient

    affectes l'efficacit et lquit du systme ducatif, ni en bien, ni en mal.

    Cette vue des choses est cependant nave. Les ingalits sociales devant

    lcole ne sont pas indpendantes des contenus de lenseignement, des

    formes et des normes d'excellence scolaires. Chaque programme nouveau

    est susceptible de transformer la distance qui spare les diverses culturesfamiliales de la norme scolaire. Il peut laccrotre pour certaines classes

    sociales, laffaiblir pour dautres.

    Autrement dit, mme si lapproche par comptences ne se prsente pas

    comme une rforme litiste, on ne peut a priori exclure l'hypothse qu'elle

    pourrait aggraver les ingalits sociales devant lcole. On ne peut davantage

    carter sans examen lhypothse inverse, selon laquelle lapproche par

    comptences favoriserait les apprentissages et la russite scolaires des

    lves actuellement les plus dmunis.

    Pour dpartager ou articuler ces hypothses contradictoires, il faut

    videmment analyser de faon plus prcise la nature du changement

    curriculaire introduit.

    1. Dans un premier temps, en tentera donc didentifier ce qui change ou est

    cens changer dans les finalits et les contenus de la scolarit lorsqu'on

    adopte une approche par comptences.

    2. Dans un second temps, on examinera les implications possibles de ce

    changement du point de vue de la distance entre la culture scolaire et les

    diverses cultures familiales des apprenants, donc la fois du sens de lcole,

    de la longueur du chemin parcourir et des embches qui le jalonnent.

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    3. On montrera ensuite que le curriculum prescrit na deffets qu travers la

    reprsentation que sen font les professeurs et la traduction pragmatique

    quils en donnent en classe, au moment denseigner mais aussi travers

    leurs exigences au moment dvaluer. Les mmes programmes sont souvent

    compatibles aussi bien avec une interprtation dmocratisante quavec une

    interprtation slective et litiste.

    4. Enfin, on rappellera qu interprtation semblable du curriculum formel, le

    curriculum rel quexprimente chaque lve dpend du degr et du mode

    dindividualisation des parcours de formation et donc des structures et des

    pratiques qui permettent ou non une pdagogie diffrencie. On verra quelapproche par comptences modifie sensiblement les donnes du problme.

    I. Dvelopper des comptences en formation gnrale

    Que la formation professionnelle ait vocation de dvelopper des comptences

    ne fait pas lombre dun doute. On peut diverger sur le niveau dexpertise vis,

    le rfrentiel de comptences et les dmarches de formation, mais nul ne

    prtend quon peut exercer un mtier nanti de connaissances seulement,

    aussi tendues soient-elles. Il y faut aussi des capacits et des comptences,

    qui rendent les savoirs transfrables et mobilisables dans les situations

    professionnelles. Il apparat aussi de plus en plus clairement quon ne saurait,

    pour dvelopper des comptences professionnelles, se fier aux simples

    vertus dune immersion dans la pratique. Sil faut des stages et delexprience, il faut aussi des dispositifs pointus dalternance et darticulation

    thorie-pratique.

    En formation gnrale, on ne se soucie gure des comptences. Mme

    lorsquon pense le faire, on vise plutt le dveloppent de capacits

    intellectuelles de base sans rfrence des situations et des pratiques

    sociales. Et surtout, on dispense hautes doses des connaissances.

    Lapproche par comptences affirme que ce nest pas suffisant, que sans

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    tourner le dos aux savoirs (Perrenoud, 1999 c), sans nier quil y ait dautres

    raisons de savoir et de faire savoir(Perrenoud, 1999 b), il importe de relier les

    savoirs des situations dans lesquelles ils permettent dagir, au-del de

    lcole.

    Agir, cest ici affronter des situations complexes, donc penser, analyser,

    interprter, anticiper, dcider, rguler, ngocier. Une telle action ne se satisfait

    pas dhabilets motrices, perceptives ou verbales. Elle exige des savoirs,

    mais ils ne sont pertinents que sils sont disponibles et mobilisables bon

    escient, au bon moment :

    La comptence nest pas un tat ou une connaissance possde. Elle ne se rduitni un savoir ni un savoir-faire. Elle nest pas assimilable un acquis deformation. Possder des connaissances ou des capacits ne signifie pas trecomptent. On peut connatre des techniques ou des rgles de gestion comptableet ne pas savoir les appliquer au moment opportun. On peut connatre le droitcommercial et mal rdiger des contrats.

    Chaque jour, lexprience montre que des personnes qui sont en

    possession de connaissances ou de capacits ne savent pas les mobiliser

    de faon pertinente et au moment opportun, dans une situation de travail.Lactualisation de ce que lon sait dans un contexte singulier (marqu par

    des relations de travail, une culture institutionnelle, des alas, des

    contraintes temporelles, des ressources) est rvlatrice du " passage "

    la comptence. Celle-ci se ralise dans laction. Elle ne lui pr-existe

    pas. () Il ny a de comptence que de comptence en acte. La

    comptence ne peut fonctionner " vide ", en dehors de tout acte qui ne

    se limite pas lexprimer mais qui la fait exister (Le Boterf, 1994, p. 16)

    On impute souvent " lirrsistible ascension " des comptences dans le champ

    scolaire (Romainville, 1996) leur vogue dans le monde de lconomie et du

    travail. Jai dbattu ailleurs (Perrenoud, 1998, 2000 b) de cette prtendue

    dpendance, rappel avec dautres (Le Boterf, 1994 ; 2000 ; Jobert, 1998)

    que la fascination du monde conomique pour les comptences nest pas

    uniquement du ct du dni des qualifications et de leurs corollaires, la

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    drgulation, la prcarit et la flexibilit des emplois, la production flux

    tendus. Il y a dans le monde de lentreprise, mme si cest par ncessit bien

    comprise plus que par humanisme vertueux, une forme de reconnaissance du

    travail rel et de son cart au travail prescrit, une prise de conscience du fait

    que si les oprateurs les moins qualifis ne manifestaient pas au travail

    intelligence, crativit et autonomie, la production serait compromise. Si les

    entreprises se proccupent des " ressources humaines " et dcouvrent des

    trsors cachs en leur sein, cest sans doute parce que cest un impratif pour

    survivre dans la concurrence mondiale. Cela nautorise pas diaboliser la

    comptence, la rduire un slogan du no-libralisme triomphant.Jai tent aussi de montrer que lapproche par comptences renouait avec

    une trs ancienne proccupation de lcole, celle du transfert de

    connaissances. Depuis qu'il y a des pdagogues pour interroger le sens des

    pratiques scolaires, la question du transfert de connaissances est pose. Un

    colloque rcent y est revenu (Meirieu, Develay, Durand et Mariani, 1996), de

    mme quun ouvrage de synthse (Tardif, 1999).

    Chacun le voit : il ne suffit pas de passer de longues annes assimiler des

    savoirs scolaires pour tre ipso factocapable de sen servir hors de lcole.

    Les enseignants le savent ou le pressentent : valuer la mobilisation des

    savoirs dans des contextes diffrents du contexte dapprentissage, cest se

    prparer de belles dconvenues. Pourquoi ? Parce quon fait basculer dans

    lchec tous ceux qui ne matrisent pas fondamentalement les savoirs, mais

    parviennent faire illusion par le travail, la mmorisation, le bachotage, le

    conformisme, limitation et la ruse, voire la tricherie. Du coup senclenche un

    cercle vicieux : on nvalue pas le transfert pour ne pas perdre toute illusion

    durant la scolarit, donc on na pas besoin de le travailler, si bien qu lissue

    des tudes, chacun tombe de haut devant des tches complexes.

    Depuis quelques annes, le dbat sur le transfert de connaissances reprend

    de limportance, parfois en opposition, parfois en lien avec la problmatique

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    des comptences et de la mobilisation de ressources cognitives (Le Boterf,

    1994). A mes yeux, transfert et mobilisation sont deux mtaphoresdiffrentes

    (Perrenoud, 2000 a) pour dsigner le mme problme, celui du

    rinvestissement des acquis dans des situations diffrentes des situations de

    formation. La mtaphore du transfert me semble plus pauvre. Elle part dun

    apprentissage et se demande sil peut tre rinvesti ailleurs, plus tard. Cela

    pousse crer des " situations de transfert " pour vrifier ou favoriser ce

    rinvestissement. La mtaphore de la mobilisation de ressources cognitives

    me semble plus large, juste et fconde, parce quelle remonte au contraire

    dune situation complexe aux ressources quelle met en synergie, retraant expost les conditions de leur constitution, puis de leur mobilisation orchestre.

    On rend alors justice au fait quune action complexe mobilise toujours de

    nombreuses ressources issues de moments et de contextes diffrents.

    Si la mtaphore de rfrence a de fortes implications sur la faon de poser les

    problmes, il faut bien reconnatre que la question conceptuelle nest pas

    aujourdhui le point principal de divergence dans le champ ducatif. Le dbat

    porte plutt sur lexistence et limportance mme du problme, puis sur la

    possibilit mme ou la ncessit de sy attaquer.

    Pour les uns, le transfert est donn " par dessus le march ", il se fait

    spontanment. Il n'y a donc pas grand chose faire pour le favoriser, sinon

    doffrir chacun loccasion de construire les savoirs les plus complets et les

    plus solides possibles. Cette thse n'est pas absurde : allie une forte

    capacit de raisonnement et d'abstraction, la totale matrise d'un champ de

    savoirs permet de les mobiliser sans qu'il soit ncessaire de travailler leur

    transfert en tant que tel. Avec Jean-Pierre Astolfi, je conviens quun savoir

    parfaitement intgr devient opratoire, quil inclut en quelque sorte sa propre

    aptitude tre transfr ou mobilis.

    En suivant ce raisonnement, plutt que de sencombrer des notions de

    transfert ou de comptence, on devrait viser laccs de tous de " vrais

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    savoirs ", intgrs et opratoires. Ds lors, le problme du transfert ne se

    poserait plus, car les lves atteindraient un niveau gnral de formation et

    une capacit rflexive qui les dispenseraient d'un entranement spcifique la

    mobilisation. Le rle de l'cole se bornerait alors transmettre le maximum de

    connaissances, avec un niveau lev de raisonnement et de rflexivit.

    On peut craindre, hlas, que l'cole soit condamne, pour longtemps encore,

    ne donner la matrise totale des savoirs enseigns qu une faible fraction

    de chaque gnration. Mme en admettant que ceux qui font des tudes

    longues dveloppent " spontanment " des capacits de mobilisation et de

    transfert des connaissances acquises, il reste se demander ce qu'il advientdes jeunes qui quittent l'cole avant davoir atteint une telle matrise. Dautant

    plus que la thse selon laquelle le transfert serait donn par surcrot est

    dsormais difficile dfendre (Mendelsohn, 1996, 1998 ; Tardif, 1999). Le

    transfert sapprend, se travaille.

    Dautres professeurs, sans affirmer que le transfert est spontan, estiment

    que la formation gnrale na pas sen proccuper. Pour eux, le rle de

    l'enseignement est de forger des connaissances et des capacits de base.

    Travailler leur transfert relve de la formation professionnelle ou de la vie

    mme.

    Lorsquelle nest pas une simple stratgie de dngation du problme, cette

    vue des choses manifeste une vision trs simplificatrice du transfert. Develay

    disait en conclusion du colloque de Lyon :

    Jai le sentiment que les didacticiens dcouvrent que le transfert ne constitue passeulement la phase terminale de lapprentissage, mais quil est prsent tout aulong de lapprentissage. Pour apprendre, se former, il convient de transfrer en

    permanence. Toute activit intellectuelle est capacit rapprocher deux contextesafin den apprcier les similitudes et les diffrences. Les raisonnements inductif,dductif et analogique, la disposition construire une habilet, relier cettehabilet dautres habilets, la possibilit de trouver du sens dans une situation,

    proviennent de la capacit transfrer. Il y a du transfert au cours dunapprentissage depuis lexpression des reprsentations des lves jusqu larutilisation dans un autre contexte dune habilet acquise (Develay, 1996, p. 20).

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    Renvoyer le transfert la fin de la formation de base est non seulement peu

    raliste mais doublement litiste, car cela privilgie les lves qui :

    atteignent effectivement le bout du chemin ; les autres sont comme des maisonsinacheves ;

    sont capables, durant des annes, d'assimiler des connaissancesdcontextualises, sans rfrence aux pratiques sociales dans lesquelles ellessont finalement censes sinvestir.

    Inversement, travailler ds le dbut de la scolarit le transfert et la

    mobilisation des connaissances scolaires peut favoriser la dmocratisation

    des tudes. Cette posture :

    prend en compte tous ceux qui ne suivront pas la voie royale des tudes longueset sortiront du systme ducatif avec une formation de niveau moyen ;

    ne suppose pas acquis un rapport au savoir permettant soit d'accepter l'ide deconnaissances gratuites, soit de tolrer un grand dcalage entre le moment oon les acquiert et celui o l'on comprend quoi elles servent.

    Pour que lapproche par comptences soit dmocratisante, il faut toutefois

    que plusieurs conditions improbables soient runies. Nous allons en

    esquisser linventaire.

    II. Pour que lapproche par comptences soit dmocratisante

    Il convient de distinguer deux problmes :

    Le premier concerne l'appropriation des savoirs. Dans la mesure o l'approche par comptences les traite comme des ressources mobiliser, donc les lie

    rapidement des situations et des pratiques sociales, elle leur confredavantage desens aux yeux des apprenants les moins ports sur lassimilationde connaissances pour elles-mmes. Mais en mme temps, elle exige un rapport plus personnel aux savoirs et elle prive une partie des lves faibles desexercices scolaires les plus traditionnels et du relatif confort du mtier d'lve,celui qui leur permet de " s'en tirer " sans vritablement comprendre.

    Le second problme touche l'mergence d'objectifs de formation nouveaux :les comptences. Si lon vise la construction de comptences, on cre denouvelles exigences, de nouvelles formes et normes dexcellence scolaire, parrapport auxquelles une nouvelle forme d'ingalit peut surgir.

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    Examinons ces deux aspects sparment.

    Des savoirs mobilisablesHors de lcole, la plupart des savoirs sont investis dans des pratiques

    sociales complexes, qui puisent leurs ressources dans plus dun champ

    disciplinaire. On peut donc travailler le transfert ou la mobilisation au carrefour

    de plusieurs savoirs, dans des projets pluridisciplinaires. Mais on peut aussi

    sintresser aux pratiques proprement disciplinaires que sont la recherche,

    lenseignement, le dbat scientifique.

    Ces deux modes dentranement la mobilisation ne rencontrent pas les

    mmes obstacles.

    Des savoirs investis dans la rsolution de problmes complexes" Rien nest aussi pratique quune bonne thorie", disait Kurt Lewin. Si les

    problmes pratiques sont ceux qui se posent dans la vie extrascolaire, les

    solutions sont toujours en partie thoriques et font appel des savoirs, et non

    seulement des habilets.

    Lapproche par comptences transforme une partie des savoirs disciplinairesen ressourcespour rsoudre des problmes, raliser des projets, prendre des

    dcisions. Cela pourrait offrir une entre privilgie dans lunivers des

    savoirs : plutt que dassimiler sans rpit des connaissances en acceptant de

    croire quils " comprendront plus tard quoi elles servent ", les lves

    verraient immdiatement les connaissances soit comme des bases

    conceptuelles et thoriques dune action complexe, soit comme des savoirs

    procduraux (mthodes et techniques) guidant cette action. Chacun aurait

    alors, en principe, de meilleures chances de relier les savoirs des pratiques

    sociales, donc de saisir leur porte et leur sens. Cela serait particulirement

    important pour les lves qui ne trouvent pas dans leur culture familiale ce

    rapport au savoirparticulierqui le valorise indpendamment de ses usages et

    de ses origines, comme une valeur en soi. Ce rapport gratuit, presque

    " esthtique " au savoir nest en effet familier quaux enfants dont les parents

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    ont fait des tudes longues et valorisent lrudition dans leur vie prive

    comme dans leur travail. Si les enfants denseignants russissent trs bien

    lcole, cest sans doute parce que leurs parents connaissent les rgles du jeu

    scolaire, en classe, devant lvaluation et au moment de lorientation, mais

    cest aussi parce ces enfants vivent dans un milieu o le savoir est important

    mme - certains diront surtout ! - sil nest pas investi dans une pratique

    utilitaire.

    voquons ce dessin de Daumier (1848) dans lequel le professeur dit ses

    lves bahis : " Demain, nous nous occuperons de Saturne et je vous

    engage dautant plus apporter la plus grande attention cette plante quetrs probablement vous naurez jamais de votre vie loccasion de

    lapercevoir ! ". Ou encore cet autre dessin o le mme professeur tance un

    lve qui ne rpond pas sa question : " Comment, drle, vous ne savez pas

    le nom des trois fils de Dagobert mais vous ne savez donc rien de rien

    mais vous voulez donc tre toute votre vie un tre inutile la socit ! "

    On peut esprer quune mise en relation des savoirs et des pratiques sociales

    permettra aux lves qui nont pas acquis ce sens de la culture pour la culture

    de trouver dautres cls pour donner du sens aux savoirs enseigns, des cls

    qui leurs manquent cruellement dans les systmes ducatifs centrs sur les

    savoirs disciplinaires (Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; Rochex, 1995),

    Il ne suffira pas cependant de saupoudrer les cours traditionnels dexemples,

    mme clairs et bien choisis, dusages sociaux des savoirs enseigns. Cest

    mieux que denseigner des savoirs purement abstraits, mais pour faire

    comprendre que les savoirs sont des outils indispensables, il faut partir non

    dune illustration, mais dun problme. Cest ce que lon fait dans les coles

    alternatives centres sur les mthodes actives et les dmarches de projet et,

    plus rcemment, dans une partie des facults de mdecine, des business

    schoolsou dans le cadre dautres formations professionnelles de haut niveau.

    Ce nest pas simple, car il faut organiser le curriculum en consquence, le

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    construire dlibrment de sorte rejoindre cet idal proclam par Dewey :

    " Toute leon est une rponse".

    En formation gnrale, cela suppose une rupture avec les logiques

    curriculaires et disciplinaires dominantes, qui prvalent encore mme dans les

    systmes ducatifs qui ont adopt lapproche par comptences. Prenons un

    exemple : pour optimiser lalimentation dun athlte de haut niveau avant,

    pendant et aprs la comptition, il faut des connaissances de physique, de

    chimie, de biophysiologie, de dittique. Dtaches les unes des autres, ces

    connaissances sont des savoirs scolaires, " ni thoriques ni pratiques "

    (Astolfi, 1992). En physique, on apprendra mesurer lnergie et les lois desa dissipation. En chimie, on apprendra comment des transformations

    absorbent ou dgagent de lnergie, en biophysiologie, on apprendra

    comment tels efforts musculaires consomment des calories et quel rythme

    elles se reconstituent, en dittique, on tudiera les aliments et leurs effets

    sur le mtabolisme. Ces connaissances ne sont pas toutes enseignes en

    formation gnrale. Lorsquelles le sont, cest des moments lis lagenda

    propre de chaque discipline, par des professeurs diffrents et ne coordonnant

    pas leurs dmarches, parfois sans aucune rfrence des exemples

    concrets, coup sr sans rfrence commune aux dpenses nergtiques

    dun athlte.

    Prenons un second exemple : crer un journal dcole suppose des

    connaissances en langue maternelle, en droit, en gestion, en graphisme et

    mise en page, en communication, en relations publiques, en publicit, en

    informatique et en publication assiste par ordinateur. Ici encore, toutes les

    connaissances requises ne seront pas enseignes au niveau scolaire

    considr, certaines venant plus tard dans le cursus gnral ou

    napparaissant que dans certaines formations professionnelles.

    Troisime exemple : pour construire un film vido de douze minutes

    expliquant des adultes pourquoi on risque de graves brlures de la rtine

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    lorsque, durant une clipse, on regarde le soleil en face sans lunettes noires,

    il faut des connaissances de physique, de biophysiologie, mais aussi

    daudiovisuel, de didactique et de psychologie, enseignes elles aussi en

    ordre dispers.

    Dans les trois cas, le projet fait appel des connaissances disciplinaires de

    haut niveau, tout fait leur place dans un cursus scolaire exigeant. Il ne

    sagit pas alors dapprendre planter des clous, tailler une haie ou remplir sa

    dclaration dimpts, pratiques auxquelles ont rduit volontiers lapproche par

    comptences.

    Le problme est ailleurs. De tels projets mobilisent des savoirs qui ne sontpas tous enseigns au bon moment ou au niveau requis pour devenir des

    ressources complmentaires:

    On observera dans presque tous les cas un dficit dramatique en droit,conomie, sciences humaines et sociales, alors que ces savoirs sont desressources dans la majorit des projets et des activits humaines complexes.

    Mme dans les domaines potentiellement couverts par les disciplines scolairestraditionnelles, il est peu probable que les savoirs requis par un projet aient ttous enseigns au pralable.

    Aussi longtemps que chaque discipline dveloppe son curriculum selon sa

    logique propre et sans rfrence une approche par problmes, les vertus

    dune orientation vers les comptences resteront limites. Si le systme

    ducatif maintient les cloisonnements entre disciplines et ne donne pas aux

    comptences un " droit de grance " sur les connaissances, selon

    lexpression de Gillet (1987) reprise par Tardif (1996), il est peu probable que

    se prsentent rgulirement des problmes et des projets susceptibles de

    mobiliser les acquis antrieurs. Les professeurs les plus convaincus peuvent

    certes tourner en partie lobstacle en offrant un tayage appropri, en mettant

    la disposition des lves les connaissances quils nont pas encore

    acquises, mais cette bonne volont trouve rapidement ses limites dans un

    cursus o la programmation des savoirs disciplinaires nest en aucune

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    manire conue pour favoriser leur mobilisation dans des projets

    interdisciplinaires.

    Des savoirs vraiment thoriquesSi lon recule devant la rorganisation curriculaire que la stratgie prcdente

    implique, il ne reste qu parier sur les comptences purement disciplinaires,

    qui mobilisent des capacits et des connaissances empruntes pour

    lessentiel la mme discipline.

    Cela parat plus simple, mais il est question alors de mobiliser de vritables

    " savoirs thoriques ". Or, Astolfi affirme que les savoirs scolairesne sont " ni

    thoriques ni pratiques " :

    1. Les savoirs que transmet lcole ne sont pas vraiment thoriques, car ils nedisposent pas de la plasticit inhrente au thorique. Ce ne sont pas non plusvraiment des savoirs pratiques.

    2. Il s'agit plutt de savoirs propositionnels qui, dfaut d'un meilleur

    statut, rsument la connaissance sous la forme d'une suite de

    propositions logiquement connectes entre elles, mais disjointes.

    3. Ils se contentent ainsi dnoncer des contenus, ce qui est loin de

    correspondre aux exigences d'un thorie digne de ce nom.

    4. Par certains aspects, ils se rvlent, en fait, plus proches des savoirs

    pratiques, puisque leur emploi se trouve limit des situations

    singulires : celles du didactique scolaire, rgi par le jeu de la " coutume ".

    5. Les savoirs scolaires aimeraient se parer des vertus du thorique, qui

    leur confreraient une lgitimit qu'ils recherchent. S'ils y chouent, c'est

    faute de dvelopper un vrai travail de pratique thorique que seul rendrait

    possible l'usage, dans chaque discipline, de concepts fondateurs et

    vivants (Astolfi, 1992, p. 45).

    Travailler, dans le cadre dune discipline, autrement que par des exercices

    conventionnels, la mobilisation des savoirs qui la constituent, cest faire ce

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    quAstolfi appelle " un vrai travail de pratique thorique". La pratique sociale

    de rfrence est alors interne la discipline, faite dexprimentation,

    dobservation, dlucidation, de formulation dhypothses et de dbat

    contradictoire.

    Traiter les savoirs enseigns comme de vritables savoirs thoriques devrait

    accrotre leur sens, potentiellement, puisquon revient leur moteur initial, la

    volont de rendre le monde intelligible. Il est gnreux de prter cette

    curiosit fondamentale tout tre humain, Peut-tre caractrise-t-elle presque

    tous les trs jeunes enfants. Ensuite, la socialisation familiale prend le dessus

    et impose souvent un rapport plus pragmatique ou plus dogmatique aumonde. Le dveloppement dune vritable pratique thorique en classe

    pourrait donc, au moins dans un premier temps, loigner plus encore des

    savoirs scolaires les lves issus des classes populaires et dune partie des

    classes moyennes, dans lesquelles lexprimentation, la recherche, la

    conceptualisation, le dbat thorique nvoquent rien.

    Faisons lhypothse optimiste quune vritable pratique thorique, conduite en

    classe avec passion et continuit, pourrait, mme si elle ne correspond

    aucune valeur ou pratique familiale, donner davantage de sens aux savoirs

    disciplinaires. Encore faudrait-il franchir au moins ce pas, cest dire instituer

    la classe comme vritable lieu de recherche et de dbat thorique. Ici,

    lobstacle nest pas dans le dcoupage du curriculum en disciplines, il est

    dans la structuration du programme de chacune en chapitres, et dans sa

    surcharge.

    Pour adopter un rapport thorique aux savoirs thoriques, il faut videmment

    que les lves passent du statut de consommateurs celui de producteurs de

    savoirs. Il nest ni possible ni ncessaire que tous les savoirs disciplinaires

    soient reconstruits par des dmarches de recherche. Cela prendrait un temps

    dmesur. De plus, une formation scientifique et un certain niveau de matrise

    thorique permettent dassimiler de nouveaux savoirs sans les avoir soi-

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    mme conus et vrifis, par confiance dans la mthode et lthique des

    collgues. Ce qui permet daccepter les rsultats de recherche et les

    conclusions thoriques dautres chercheurs, donc une division du travail au

    sein de la communaut scientifique.

    Il reste en revanche indispensable que les lves " dcouvrent " par eux-

    mmes certains savoirs disciplinaires de base, par une dmarche patiente et

    laborieuse proche de la recherche et du dbat. Il importe notamment quils

    accdent de la sorte aux questions fondatrices qui constituent la " matrice

    disciplinaire " (Develay, 1992). Il est probable que la physique de Pascal et de

    Newton peuvent tre reconstruites en classe plus facilement que celledEinstein ou Heisenberg. Lide nest pas de parcourir durant la scolarit, en

    acclr, sur le seul mode de la recherche et de la controverse, lentier de

    lhistoire des sciences et des autres disciplines. Il suffit de reconstituer une

    partiede ce parcours sur le mode de la dcouverte, dune dcouverte certes

    taye, encadre, simplifie, didactise, mais nanmoins trs distante de la

    pdagogie transmissive.

    Les lves sapproprieront de la sorte une posture scientifique et

    exprimentale. En outre, les savoirs thoriques leur paratront dautant plus

    significatifs quils sauront quelles questions scientifiques ou philosophiques

    ils prtendent rpondre.

    La premire comptence disciplinaire est de questionner le rel lintrieur

    dun dcoupage et partir dacquis quon sapproprie progressivement et

    dans le respect de certaines mthodes. Pour dvelopper une telle

    comptence, il faut :

    dune part, allger les programmes pour trouver le temps de construire certainssavoirs au gr de dmarches apparentes la recherche ;

    dautre part, bouleverser la faon denseigner, travailler par nigmes, dbats,situations-problmes, petits projets de recherche, observation, exprimentation,etc.

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    Il nest plus trs original de proposer une telle volution, prconise depuis

    longtemps par les mouvements dcole nouvelle et plus tard par la didactique

    des sciences. Il reste passer lacte.

    Une nouvelle forme dexcellence scolaire ?Dans le monde du travail, il est banal dtre valu selon ses comptences.

    Ce n'est pas absent du monde scolaire, ne serait-ce que parce quun examen,

    une preuve crite ou une interrogation orale sont des situations qui exigent,

    pour sen sortir honorablement, non seulement des savoirs, mais des savoirs

    mobilisables bon escient, au bon moment, dans les formes requises et avec

    une certaine prise de risques, une capacit de reconstruire, voire dinventer

    ce que lon ne sait pas.

    En dehors des situations dvaluation, lcole dveloppe et exige plutt des

    capacits, les unes transversales - par exemple rechercher une information,

    poser clairement de " bonnes questions " ou participer activement un dbat

    -, dautres disciplinaires, par exemple construire une maquette, faire une

    mesure correcte ou rendre compte dune observation.Laccord sur ce point est difficile, puisque le sens de ces mots nest pas

    stabilis. Certains ne font pas la diffrence entre capacits ou comptences.

    Dautres la font, mais nomment " comptence " ce que jappelle ici

    " capacit ". Parce quil faut bien prendre un parti, jai propos (Perrenoud,

    2000 c) de parler de capacits lorsquon dsigne des oprations qui ne

    prennent pas en charge lensemble dune situation et restent donc

    relativement indpendantes des contextes ; et de parler de comptences

    lorsquon dsigne les dispositions qui sous-tendent la gestion globaledune

    situation complexe. Je vais tenter de me tenir cette convention.

    Si on ladmet au moins provisoirement, on saccordera sans doute dire qu

    lcole on travaille des capacits davantage que des comptences. Il est plus

    simple, dun point de vue didactique, dexercer des oprations sans contexte

    prcis, par exemple rsumer ou traduire un texte, faire une coupe en biologie,

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    rsoudre une quation, dessiner un plan, analyser une substance. Les

    capacits travailles lcole sont dans une large mesure disciplinaires. On y

    ajoute volontiers dsormais des " comptences transversales " dont Rey

    (1996) a discut lexistence mme et dont je dirais que ce sont avant tout des

    capacits, mobilisables dans divers champs disciplinaires et pratiques : savoir

    cooprer, observer, analyser, etc.

    Ce quon appelle " approche par comptences " se limite souvent, dans les

    rformes curriculaires en cours, mettre laccent sur les capacits,

    disciplinaires ou transversales. Il ny a pas alors dveloppement de vritables

    comptences, au sens o je les dfinis. On en reste des savoir-faire de hautniveau, pertinents dans divers contextes, ce quon appelle parfois des

    " lments de comptences ", ce que je prfre, avec Le Boterf (1994),

    appeler des ressources cognitives.

    Certes, mettre laccent sur les capacits modifie les rgles du jeu scolaire,

    mais ce nest pas une rvolution. Dailleurs, le poids respectif des

    connaissances et des capacits varie selon les disciplines et selon la

    conception qui prvaut dans chacune. Les lves sont habitus tre

    valus sur des savoir-faire. Ces savoir-faire sont dailleurs entrans

    travers des exercices scolaires classiques.

    Exiger et valuer le traitement global dune situation complexe, sous toutes

    ses facettes, reprsente une attente nouvelle, qui passe par un travail

    dintgration, de mise en synergie, dorchestration de connaissances et de

    capacits qui, en gnral, sont travailles et values sparment.

    Si lon vise vritablement des comptences, au sens retenu ici, il faut les

    valuer, de faon formative et certificative, seule faon de les rendre

    crdibles. Du coup, on cre une exigence supplmentaire, du moins si lon

    attend des lves et des tudiants quils manifestent un degr suffisant de

    matrise de situations globales, travers des performances observables

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    (dcisions, solutions, ralisations) aussi bien quen se prtant un entretien

    mtacognitif.

    Cette forme dexcellence, incontournable en formation professionnelle, nest

    pas habituelle en formation gnrale. Les lves se sont plutt accoutums

    retenir et restituer des savoirs sans contexte, exercer et donner voir des

    capacits tournant vide (Astolfi, 1992 ; Perrenoud, 1995, 1996). Il se

    pourrait que, prise au srieux, lexigence de comptences constitue un

    handicap de plus pour les lves en difficult. Cela pour deux raisons bien

    distinctes :

    il ne peut y avoir de comptence si les ressources requises (capacits etconnaissances) ne sont pas disponibles ; les lves prsentant de graves

    lacunes ce niveau seront donc demble dfavoriss ; sauf si lon sastreint

    vrifier au pralable la matrise des ressources requises et quon dissocie

    leur certification de celle de la comptence qui les mobilise ;

    une fois les ressources disponibles, leur mobilisation et leur transfert

    passent pas des processus mentaux de haut niveau, quil est difficile de

    scolariser pleinement, puisquils sont de lordre de la synthse, de

    lanticipation, de la stratgie, de la planification, de la pense systmique ;

    dans tous ces domaines, il se peut hlas que la socialisation familiale soit, en

    milieu favoris, plus efficace que laction ducative de lcole

    Il y a donc toutes les raisons de croire que la valorisation de comptences ne

    rsoudra pas ipso facto la question des ingalits sociales devant lcole et

    risque mme les accrotre. Une telle approche pourrait mettre en difficult les

    lves qui ne survivent dans la comptition scolaire quen saccrochant aux

    aspects les plus rituels du mtier dlve (Perrenoud, 1996). Elle

    dfavoriserait ceux quangoisse lide de faire une recherche, de rsoudre un

    problme, de formuler une hypothse, de dbattre, ceux qui veulent un

    modle, une marche suivre, un rail, ceux qui ont besoin de savoir " si cest

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    juste ou faux " et ne supportent pas lincertitude ou les contradictions ne

    peuvent quavoirpeurde lapproche par comptences.

    Donner une relle importance au transfert et la mobilisation de ressources,

    cest, on la vu :

    construire les savoirs partir des problmes plutt quen droulant le texte dusavoir ;

    confronter les lves des situations indites, valuer leur capacit de penserde faon autonome, en prenant des risques.

    Cest donc, du moins dans un premier temps, accrotre les ingalits. En tout

    cas les ingalits visibles. Comme cest le cas chaque fois quon dplace lesobjectifs de formation et les exigences vers de plus hauts niveaux

    taxonomiques.

    Dans labsolu, cela semble raisonnable : quoi bon masquer les ingalits

    relles ? On se leurre sur le sens de la scolarisation si, une fois les individus

    confronts aux situations de la vie ou simplement dautres contextes

    dtude, ils ne rinvestissent gure les savoirs acquis, non parce quils leur

    font dfaut, mais parce quils nont pas appris les dcontextualiser, les

    intgrer des champs conceptuels et les mobiliser dans de nouveaux

    contextes. Mieux vaudrait alors attaquer le problme sa racine.

    Plus sociologiquement, plus cyniquement peut-tre, on peut se demander si

    lcole peut se permettre daccrotre les ingalits visibles. Ne risque-t-elle

    pas denfoncer plus encore les lves en difficult, de les dcourager, de les

    pousser plus vite labandon ? Paradoxalement, lillusion dune certaine

    matrise - ft-elle lie labsence dvaluation du transfert - favorise lestime

    de soi, donne de lespoir et peut protger du dcrochage. Sachant quune fois

    sorti du systme ducatif, llve devient inaccessible, on peut se demander

    si la " vrit " des ingalits est toujours bonne dire

    Pour ne pas trancher ce dilemme dans labstrait, il importe de se demander si

    les systmes ducatifs qui adoptent en ce moment lapproche par

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    comptences ont les moyens de contrler ses drives litistes. Le plus fou

    serait en effet de prtendre dvelopper des comptences sans sen donner

    les moyens pdagogiques.

    Lun de ces moyens est de lordre de la formation des professeurs, de leur

    adhsion lapproche par comptences, mais aussi au modle socio-

    constructiviste de lapprentissage (Bassis, 1998 ; De Vecchi et Carmona-

    Magnaldi, 1996 ; Groupe franais dducation nouvelle, 1996 ; Jonnaert et

    Vander Borght, 1999 ; Vellas, 1996, 1999, 2000).

    III. Le rapport au savoir des professeursOn aborde ici un sujet trs dlicat, en particulier lorsqu'on s'intresse

    l'enseignement secondaire, et plus encore l'enseignement pruniversitaire.

    On admet assez volontiers que les enseignants primaires n'ont pas tous des

    comptences pointues dans chacune des disciplines qu'ils doivent enseigner,

    en particulier en mathmatiques et en sciences. On peut donc facilement

    mettre en doute leur capacit de dvelopper chez leurs lves un rapport actif

    au savoir, de les initier une qute pistmologique, une curiosit

    fondamentale, puisquils manifestent eux-mmes un rapport scolaire, peu

    critique et peu autonome, aux savoirs qu'ils enseignent.

    Il en va diffremment pour les professeurs du secondaire, en particulier

    lorsqu'ils ont reu une formation universitaire complte dans une ou plusieurs

    disciplines. Ils sont alors censs tre forms minimalement la recherche,

    donc capables d'y initier leurs propres lves. Mieux vaudrait toutefois sedpartir de l'illusion qu'il suffit dtre un chercheur pour mettre des lves en

    situation de recherche. Et de cette autre fiction qui ferait de tous les

    universitaires des chercheurs.

    Dans l'universit de masse vers laquelle nous allons aujourd'hui, les tudiants

    ne sont forms la recherche quen fin de 2e cycle. Encore faut-il pour cela

    non seulement qu'ils aient atteint une excellente matrise des savoirs

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    thoriques et mthodologiques, mais encore qu'ils soient attirs par la

    recherche et n'aient pas fait, des le dbut de leurs tudes universitaires, par

    ralisme ou manque d'intrt, le deuil d'une carrire de recherche. Mme

    lorsqu'elles proposent une formation substantielle aux mthodologies de

    recherche, les universits ne sont pas certaines de dvelopper l'esprit

    scientifique chez leurs tudiants, en particulier chez ceux qui se font des

    tudes pour obtenir une formation professionnelle ou atteindre un certain

    niveau du diplme. Ces tudiants peuvent rester relativement indiffrents aux

    contenus disciplinaires et en tout cas aux dmarches de recherche et

    lhistoire mouvemente des savoirs qu'on exige d'eux l'examen. Assimilerles savoirs comme des produits finis, mmoriser pour faire bonne figure

    devant lvaluation, ne prpare aucunement les faire dcouvrir avec passion

    des lves de onze ou dix-sept ans !

    Les universits ne sont gure plus capables que les collges et lyces, pour

    des raisons partiellement semblables, de dvelopper des comptences, du

    moins aussi longtemps que les tudiants ne sont pas impliqus dans des

    tudes de cas, des enqutes, des dmarches cliniques, des projets, des

    travaux de laboratoire ou toute autre pratique, ce qui ne survient souvent

    quen fin de 2e cycle. Devenus professeurs au secondaire, ces tudiants

    reproduisent assez spontanment, dans leurs propres cours, le rapport au

    savoir qu'ils ont intrioris durant leurs propres. Pour eux, le dveloppement

    de comptences n'est pas devenu une seconde nature. La boucle est donc

    boucle.

    La rupture de ce cercle vicieux ne va pas de soi. Elle passe par un exercice

    de lucidit inconfortable et un engagement dans une qute de savoir

    thorique, assortie dun intrt pour lhistoire et lpistmologie des sciences

    et dune vive curiosit pour les pratiques sociales dans lesquelles finissent par

    sinvestir les savoirs disciplinaires.

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    Aussi longtemps que ces conditions ne sont pas ralises, on peut craindre

    que les curricula les plus novateurs soit ramens aux pratiques courantes. Or,

    c'est l'inverse qu'il faudrait : des professeurs capables d'aller au-del des

    textes, de rinventer l'approche par comptences en s'inspirant de leur propre

    exprience de la recherche, mais aussi de leur connaissance de certaines

    pratiques sociales dans lesquelles leur discipline est investie. On peut rver

    d'un professeur de chimie qui s'intresserait par exemple passionnment

    l'agriculture, la coiffure, aux produits de beaut, l'alimentation et la

    peinture. Il en saurait assez sur ces pratiques pour montrer la faon dont elles

    se servent de la chimie.Le pire serait que l'approche par comptences ne soit prsente que dans les

    textes, les professeurs n'y adhrant pas et revenant rapidement aux pratiques

    d'enseignement et d'valuation les plus traditionnelles. Du coup, les rgles du

    jeu scolaire seraient encore plus difficiles dchiffrer pour les lves,

    cartels entre les objectifs et lesprit du programme, d'une part, et d'autre

    part le rapport au savoir et aux comptences effectivement luvre dans les

    classes.

    Cest pourquoi on ne peut juger des aspects dmocratisants ou litistes des

    nouveaux curricula sur la seule base de leurs intentions et de leurs contenus.

    Ce qui fera la diffrence, cest le curriculum rel. Dans le scnario le plus

    optimiste, les professeurs mettront toute leur inventivit didactique faire

    construire activement des savoirs et dvelopper des comptences. Dans le

    scnario le plus pessimiste, restant sceptiques et cyniques, ils feront le

    minimum pour avoir lair en rgle, mais lesprit de la rforme naura pas

    pass. Mieux vaudrait alors quils fassent avec conviction ce quoi ils croient

    plutt que dentonner ce couplet familier de tous les bureaucrates " Je fais ce

    quon me dit mais je ny crois pas ; ne men tenez pas pour responsable ; je

    ne suis quun pion dans lorganisation".

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    Pour viter le scnario catastrophe, il faut sans doute, moyen terme, agir

    sur la formation initiale des professeurs, non seulement leur formation

    pdagogique et didactique, mais leur formation scientifique, philosophique,

    pistmologique. De ce point de vue, la stricte sparation des tudes

    acadmiques et de la formation pdagogique et didactique nest pas

    heureuse.

    En formation continue, il serait fcond de travailler lhistoire des disciplines et

    leur connexion aux pratiques sociales, le rapport au savoir et aux

    comptences. Il est inutile de se demander comment former et valuer des

    comptences aussi longtemps que les professeurs ne voient pas pourquoichanger. Lurgence nest tant de les instrumenter que de le leur donner des

    raisons dadhrer la rforme curriculaire. Pour cela, la seule voie efficace

    est dinterroger leur propre rapport au savoir et la schizophrnie douce dans

    laquelle sont installs de nombreux enseignants du secondaire : leur propre

    exprience de la formation et de la vie dment la valeur absolue quils

    accordent aux " savoirs purs ", mais ils ne se rendent pas compte quils

    professent une idologie du savoir quils ne pratiquent pas. Cest un enjeu

    majeur de formation.

    IV. Approche par comptences et pdagogie diffrencie

    Supposons que les nouveaux programmes soient bien conus, fonds et

    praticables. Supposons encore que les professeurs soient convaincus et

    comptents. Alors, les pratiques de formation seraient consistantes et dequalit, il y aurait cohrence entre les intentions et leur mise en uvre.

    Mme alors, la question des ingalits sociales devant lcoledemeurerait et

    appellerait une rponse qui ne passe pas par les programmes mais par la

    prise en compte des diffrences au quotidien et la mise en place de dispositifs

    permettant de placer chaque lve, aussi souvent que possible, dans des

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    situations didactiques sa mesure, susceptibles de les faire progresser vers

    les objectifs communs.

    La lutte contre lchec scolaire passe par au moins cinq stratgies

    conjugues:

    1. Crer des situations didactiques porteuses de sens et dapprentissages.

    2. Les diffrencier pour que chaque lve soit sollicit dans sa zone de

    proche dveloppement.

    3. Dvelopper une observation formative et une rgulation interactive en

    situation, en travaillant sur les objectifs-obstacles.

    4. Matriser les effets des relations intersubjectives et de la distance culturellesur la communication didactique.

    5. Individualiser les parcours de formation dans le cadre de cycles

    dapprentissage pluriannuels.

    Dans chacun de ces registres, lapproche par comptences renouvelle le

    problme mais le rsout pas magiquement. Jai explor ces pistes plus

    longuement ailleurs (Perrenoud, 1997). Je ne les reprends ici que dans le

    contexte spcifique de lapproche par comptences.

    Des situations didactiques porteuses de sens etdapprentissagesIdalement, lapproche par comptences offre de meilleures chances de crer

    des situations porteuses de sens, du simple fait quelle relie les savoirs des

    pratiques sociales, des plus philosophiques et mtaphysiques aux plus terre--terre.

    Il reste construire de telles situations au quotidien et les rendre

    productrices dapprentissages. Il convient donc de ne pas les borner un rle

    de motivation ou de sensibilisation, mais de sen servir pour favoriser des

    apprentissages fondamentaux.

    Lapproche par comptences est un atout pour donner du sens au travail

    scolaire, mais elle confronte des difficults supplmentaires dans la

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    conception et lanalyse des tches proposes aux lves. Il ne suffit plus en

    effet de proposer des exercices intressants et bien conu, il faut projeter les

    apprenants dans de vraies situations, des dmarches de projet, des

    problmes ouvertes. Il surgit alors une tension entre la logique de production

    et la logique de formation, avec ce paradoxe : plus une situation a du sens,

    mobilise, implique, plus il devient difficile de rguler finement les

    apprentissages sans casser la dynamique en cours et couper les individus du

    groupe.

    Solliciter chaque lve dans sa zone de prochedveloppementDiffrencier, cest organiser les activits et les interactions de sorte que

    chaque apprenant soit constamment ou du moins trs souvent confront aux

    situations didactiques les plus fcondes pour lui.

    Pour cela, il faut le " saisir " dans une zone qui rend une progression la fois

    ncessaire et possible. Ncessaire en cela quil ne peut faire face la tche

    en se servant simplement de ce quil sait dj. Il doitapprendre pour russir et

    comprendre. Apprendre du neuf ou au minimum affiner, consolider, complter

    ses acquis ou entraner leur transfert et leur mobilisation.

    Il faut aussi quil puisseapprendre : si le dfi est dmesur, la mission devient

    impossible, llve abandonne ou fait semblant de travailler ; dans les deux

    cas, il napprend rien. Une pdagogie diffrencie cherche constamment ladistance optimale, dans deux registres :

    celui du dveloppement intellectuel ; le concept de zone proximale propos parVygotski ne fait plus du dveloppement opratoire un pralable absolu desapprentissages ; des situations didactiques peuvent entraner un dveloppementintellectuel ou lacclrer ; mais il faut videmment quil soit en quelque sorte" porte de main ", accessible ;

    celui des connaissances, comptences et attitudes disponibles ; lapprenant

    aborde toujours une situation avec un capital culturel qui, sil est trop pauvre ou

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    dcal, ne lui permet pas dentrer dans la tche, de comprendre le problme etles enjeux, de participer une dmarche collective.

    Lapproche par comptences complexifie et simplifie la fois ce problme.

    Elle le complexifieparce que les situations dapprentissage ne sont pas des

    exercices scolaires individuels, mais des tches ouvertes et souvent

    collectives, inscrites de prfrence dans une dmarche de projet ou une

    conduite de recherche. En mme temps, cette inscription simplifie

    lajustement des situations dapprentissage aux possibilits et intrts de

    chacun, dans la mesure o sopre une division du travail. spontane ou

    ngocie. qui propose chacun une tche sa mesure et son got. Biensr, le risque est grand, dans la mise en scne dun spectacle, de confiner le

    bgue au maniement du projecteur ou de donner un travail dexcution au

    membre le moins qualifi dune quipe qui travaille sur une situation-

    problme. Toutes les dmarches de projet ou de recherche devraient tre

    attentives cette drive. Elles peuvent en revanche profiter pleinement dune

    rgulation par le travail faire ou lnigme rsoudre plutt que par

    lassignation chacun, par le professeur, de tches bien calibres.

    Dvelopper une rgulation interactivearticule aux objectifs-obstaclesOn le sait maintenant, il est inutile desprer optimiser le " traitement

    pdagogique " dun lve en accumulant son propos toutes les informations

    disponibles, sur son profil psychologique, son QI, sa faon dapprendre, sonstyle cognitif, ses acquis, etc. Sans doute nest-il jamais inutile de connatre

    ses lves, mais il faut se dprendre du fantasme de pouvoir dcider

    davance, sans coup frir, de ce qui leur convient. Une pdagogie diffrencie

    vite de proposer des tches absurdes, parce que trop faciles ou trop

    difficiles, mais elle investit, une fois la situation lance, dans une rgulation

    constante de la tche collective et de la part quy prend chacun. Autrement

    dit, en jouant sur ltayage et le dstayage, laide mthodologique, la division

    27

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    28/214

    du travail, la structuration du problme en sous-problmes traiter

    sparment, le professeur fait voluer la tche, lajuste et fait des choix

    dcisifs :

    dun ct, les obstacles cognitifs (thoriques ou mthodologiques) quil dcidede lever, parce quils sont dans limmdiat insurmontables pour les lves ouque leur dpassement nest pas prioritaire ; dans ce cas, lenseignant renonce lapprentissage correspondant et aide lucidement les lves contournerlobstacle, par exemple en prenant lui-mme en charge certaines oprations quine sont pas encore leur porte ;

    de lautre, les obstacles qui ne doivent pas tre vits, parce quils sont au curdu projet de formation ; du coup, ils deviennent des objectifs-obstacles (Astolfi,1997, 1998 ; Martinand, 1986, 1989), des occasions de construire des savoirsnouveaux ou dlargir ses comptences ; le rle de lenseignant nest pas alorsde faire la place ou de faciliter, mais de forcer la confrontation lobstacle enlamnageant de faon optimale.

    Tout cela est extrmement difficile raliser en classe et exige des

    comptences didactiques pointues, aussi bien que de fortes capacits

    dobservation, danimation, de rgulation et de gestion. Ces comptences ne

    se dvelopperont que si la rforme curriculaire saccompagne dun vasteprogramme de formation des enseignants.

    Matriser les relations intersubjectives et de la distanceculturelle Lapproche par comptences suppose une dmarche trs souvent

    cooprative, qui place lenseignant, sinon galit avec ses lves, du moins

    en position dacteur solidaire de lentreprise commune : produire un texte,mener bien une exprience, conduire une enqute, etc.

    Du coup, le rapport pdagogique sen trouve chang, les personnes se

    dvoilent dans le travail, ce qui est, ici encore, double tranchant :

    jusqu un certain point, cela permet dchapper au face face matre-lve, au jeu du chat et de la souris, aux mcanismes de contrle et de dfense, ladfiance et la ruse, de part et dautre ;

    en mme temps, le travail est le thtre de rapports de pouvoir, de conflits etdexclusion.

    28

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    Une " ducation fonctionnelle ", centre sur de vraies situations appelant des

    savoirs opratoires, modifie les rgles du jeu scolaire, au risque de

    marginaliser certains lves, plus laise dans des activits scolaires

    traditionnelles, fermes, individuelles.

    Individualiser les parcours de formation et travailler encyclesAu primaire et au secondaire obligatoire, il est frquent que lapproche par

    comptences soit associe lintroduction de cycles dapprentissage

    pluriannuels. Ce nest pas une concidence : plus on vise former des

    comptences, plus il faut espacer les chances, prendre le temps de

    construire les apprentissages par des dmarches de recherche et de projet

    peu compatibles avec le compte rebours classique dune anne scolaire.

    On peut se demander pourquoi, dans lenseignement post obligatoire, en

    particulier lenseignement suprieur, on reste attach des annes de

    programme alors mme que les conditions pour travailler en cycles

    pluriannuels et en units capitalisables sont plus faciles raliser, notamment

    en raison de lautonomie des apprenants et de leurs capacits dorientation et

    dautorgulation.

    Travailler en cycle nradique pas magiquement les ingalits et lchec

    scolaire. Des cycles mal conus et mal grs peuvent mme creuser les

    carts. Mais terme, lapproche par comptences commande des espaces-

    temps de formation plus larges, plus propices lindividualisation desparcours de formation.

    V. Pour conclure

    Mal conue ou mdiocrement mise en uvre, lapproche par comptences

    peut aggraver lingalit devant lcole. Mme bien conue et magnifiquement

    ralise, elle ne peut prtendre en venir bout par le seul biais du curriculum.

    29

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    Quel que soit le programme, la pdagogie diffrencie et lindividualisation

    des parcours de formation restent dactualit.

    Sur ce dernier point, le combat est engag, contre lidologie du don, les

    attentes litistes dune partie des consommateurs dcole, les politiques

    molles de nombreux systmes ducatifs plus prompts se rclamer dune

    pdagogie diffrencie qu la soutenir par des actes, des moyens, des

    formations, des accompagnements. Les obstacles sont de taille, mais

    lapproche par comptences, si elle les renouvelle, ne les cre pas de toutes

    pices.

    Lambigut et le caractre la fois prcipit et inachev des rformescurriculaires sont plus inquitants. Les systmes ducatifs sont-ils prts

    faire des deuils dans le domaine des disciplines ? prts investir

    massivement dans dautres pratiques denseignement-apprentissage ? prts

    affronter la rsistance des lves qui russissent et de leurs familles ? prts

    mcontenter de nombreux professeurs qui sont attachs au statu quo, la

    fois idologiquement et parce quil les confirme dans leur rapport au savoir et

    leurs pratiques pdagogiques ?

    On peut en douter. Or, si lapproche par comptences reste une " demi

    rforme ", qui ne renonce rien et ne contraint personne, il est peu probable

    quelle fasse progresser la lutte contre lchec scolaire. Si rien ne change,

    sauf les mots, si lon fait sous couvert de comptences ce que lon faisait hier

    sous couvert de savoirs, pourquoi sattendrait-on produire moins dchecs

    scolaires ?

    On pourrait mme craindre linverse. Une approche par comptences

    nexistant que dans les textes ministriels, laquelle nombre denseignants

    nadhreraient pas, rendrait les rgles du jeu scolaire encore plus opaques et

    les exigences des professeurs encore plus diverses, les uns jouant mollement

    le jeu de la rforme, les autres enseignant et valuant leur guise.

    30

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    Comme souvent, le problme principal relve de lquilibre trouver entre la

    cohrence des rformes et le caractre ngoci de leur gense et de leur

    mise en place. Au vu des volutions parallles dans de nombreux pays

    dvelopps, on peut craindre que les ministres se htent de faire ce quils

    savent le mieux faire - des textes, des programmes - et laissent leur mise en

    uvre au hasard des choix individuels et des projets dtablissements

    Jerome Bruner disait rcemment dans un entretien accord au Monde:

    A mon sens, le but de lcole nest pas de faonner lesprit des lves en leur

    inculquant des savoirs spcialiss dont ils ne comprennent pas le sens et la raison

    dtre. Il faut que les lves sapproprient une culture, intgrent des connaissances

    partir des questions quils se posent. Pour cela, il faut contester les programmes tout

    faits. On doit mettre en doute, discuter, explorer le monde. Cest ainsi que lon

    sapproprie la culture, que lon devient membre actif dune socit.

    Si la rforme curriculaire perd de vue cette ide majeure, elle ne fera que

    substituer des textes des textes. Or, lenjeu est de changer des pratiques

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    Le rle de lcole premiredans la construction de comptences

    Philippe Perrenoud

    Facult de psychologie et des sciences de lducation

    Universit de Genve

    2000

    Sommaire

    I. Les fondements de lapproche par comptences

    II. Lunit de lcole obligatoire

    III. Le rle spcifique de lcole premire

    IV. Pas de complexes !

    Rfrences

    De nombreux systmes ducatifs se sont engags dans une rforme du

    curriculum oriente vers des comptences. Le Qubec se caractrise par lefait que cette approche est adopte du prscolaire au collgial. Il sagit, en

    bref, de viser, non pas la place mais au del de lacquisition de savoirs, la

    construction de comptences, transversales aussi bien que disciplinaires. Ces

    changements suscitent videmment de nombreux dbats gnraux, par

    exemple sur lorigine de cette approche, sur son rapport lconomie, sur ses

    fondements thoriques, sur son ralisme en priode de crise aussi bien que

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    http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/
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    des dbats plus spcifiques, par exemple sur larticulation savoirs-

    comptences ou sur la notion de comptence transversale.

    Ayant dbattu ailleurs de certains de ces problmes (Perrenoud, 1995, 1998

    a, 1999 b, c, e. 2000), je men tiendrai ici une question ce jour peu

    explore : la scolarit probligatoire peut-elle et doit-elle se sentir vraiment

    concerne par une telle rforme de curriculum ?

    L'importance que lcole premire donne aux savoir-faire fondamentaux peut

    donner l'impression que l'approche par comptences y est depuis toujours

    pratique et qu'il n'y aurait ds lors rien changer. On pourrait linverse

    soutenir que le dveloppement, la socialisation et quelques apprentissagespremiers suffisent sa tche, que les comptences sont laffaire des cycles

    dtudes suivants. En fait, tout dpend de ce quon entend par comptences

    aussi bien que de la vision de lcole premire laquelle on se rallie. Les

    conceptions nationales sont en effet diffrentes et les expressions qui

    dsignent les premires annes varient, les unes mettant laccent sur le dbut

    de la scolarit alors que dautres insistent au contraire sur une ducation de la

    petite enfance mi-chemin entre la famille et lcole. Selon les contextes,

    lcole premire se dfend dtre une vritable cole ou se targue au contraire

    dinitier demble au mtier dlve et de prparer la scolarit obligatoire.

    En Europe francophone, on parle dcole maternelle ou enfantine, au Qubec

    dducation prscolaire. Je parlerai dcole premirepour dsigner linstitution

    de forme scolairequi accueille les enfants avant lge de scolarit obligatoire

    dans une intention essentiellement ducative, au sens large.

    En bonne logique, une cole ne saurait, sans contresens, tre qualifie de

    " prscolaire ". Elle peut tre probligatoire, ce qui est trs diffrent. Mme si

    elle adopte une variante flexible de la forme scolaire, aussi longtemps quon la

    nomme cole plutt que jardin denfants, Maison des Petits ou casa dei

    bambini, le qualificatif scolaire est de mise.

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    Je ne nie nullement lexistence ou la lgitimit de formes prscolaires

    dducation plus institutionnelles que lducation familiale. Cest le cas des

    jardins denfants et dautres institutions de la petite enfance. Mon propos est

    dun autre ordre : en toute rigueur, ne peut tre prscolaire quune institution

    qui ne prsente tous les traits de la forme scolaire : 1. un matre reconnu

    savant et comptent ; 2. un groupe dlves ; 3. un espace spcifique, ferm ;

    4. des temps planifis et protgs ; 5. une pratique spare des autres

    pratiques sociales ; 6. des rgles contraignantes de fonctionnement ; 7. un

    programme comme ensemble ordonn de savoirs et savoir-faire

    dvelopper. ; 8. un contrat didactique dfinissant le rapport au savoir et letravail requis des lves ; 9. une autorit fonde sur des rcompenses et des

    sanctions. Or, on en conviendra, lcole probligatoire prsente tous ces

    traits. Ni lobligation lgale, ni lvaluation ne sont indispensables pour

    caractriser une cole !

    Pourquoi, alors, lappellation " prscolaire " subsiste-t-elle, en toute

    incohrence smantique, dans de nombreux systmes ducatifs ? Ce nest

    nullement par hasard. Assez souvent, lcole probligatoire est ne du

    rattachement au systme scolaire de jardins denfants jusqualors privs et

    non assujettis aux programmes officiels. Or, une partie des parents, des

    enseignants et peut-tre des enfants rsistent ce rattachement. Ils

    voudraient sauvegarder un primat de lducation sur linstruction, une

    centration sur la personne, son dveloppement, sa socialisation plutt que sur

    les savoirs, un respect des diffrences de rythme. Ils refusent lvaluation

    note, le stress, la comptition, la normalisation, le contrle, qu tort ou

    raison ils associent lcole primaire ou secondaire. Ils refusent les

    programmes trop explicites et la programmation. Ils valorisent le jeu et

    laffectivit.

    En somme, lcole premire voudrait croire et faire croire quelle nest pas

    " une vraie cole ", quelle intervient " avant lcole ", de faon plus humaine,

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    moins productiviste (Plaisance, 1986), plus soucieuse des personnes. Do la

    forte ambivalencedes enseignantes et des enseignants de lcole premire

    lgard du systme ducatif, surtout lorsquil veut harmoniser toute la scolarit

    selon un modle unique.

    Dans ce sens, la rforme en cours au Qubec, oriente vers les

    comptences, cre un paradoxe:

    cette rforme traverse tous les ordres et niveaux denseignement et constituedonc un pas supplmentaire vers lintgration de lcole premire au systmeducatif, avec le risque dune certaine normalisation de la faon de penser etdcrire les programmes ;

    dans le mme temps, la rforme met laccent sur laformation des lves, notion plus large que la transmission de savoirs ; elle va donc, ouvertement, larencontre des vises, mais aussi des pratiques de lcole premire.

    Ce paradoxe appelle une stratgie cohrente des acteurs de lcole premire.

    Cette stratgie devrait tenir compte du fait quaujourdhui, lcole premire

    peut de moins en moins rester un monde part, poursuivant ses propres

    buts. Les politiques de lducation la dfinissent de plus en plus comme la

    premire marche de la scolarit, une tape de transition entre la famille et

    lcole obligatoire, une phase o se joue lentre dans lcole et le premier

    apprentissage du mtier dlve, le moment o lon peut commencer

    combattre les ingalits sociales devant la culture scolaire. Lcole premire,

    encore moins que les garderies, crches et autres institutions de la petite

    enfance, ne peut se dsintresser de ce qui se passe en aval dans le cursus,

    encore moins se barricader dans son identit, comme le village gaulois

    dOblix et Astrix. Si tout ne se joue pas avant six ans, cest nanmoins ds

    les premires prises en charge extra familiales quune politique cohrente de

    lducation se manifeste.

    Certes, tout pas supplmentaire dans lintgration au systme ducatif peut

    faire craindre que lon calque les programmes de lcole premire sur ceux

    des cycles dtudes suivants, en insistant sur les savoirs et leur valuation.

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    On notera cependant que lapproche par comptences scarte elle-mme de

    lencyclopdisme et de lomniprsence des savoirs tout au long du cursus. De

    plus, lintgration au systme ducatif ne devrait pas, par simple obsession

    bureaucratique, conduire la normalisation des programmes. La forme

    scolaire autorise dimmenses variations didactiques et pdagogiques

    lintrieur des caractristiques de base dcrites plus haut. Pourquoi confrer

    la variante secondaire le statut de modle ? Cette conception de la scolarit

    est plutt lun des sources de la crise et des rformes actuelles.

    Dune certaine manire, les " objectifs " de lcole premire prfigurent

    lapproche par comptences mieux que le curriculum classique des cyclesdtudes suivants. Du fait quelle ne s'est jamais limite aux savoirs, l'cole

    premire devrait en principe se trouver moins dmunie face une orientation

    vers les comptences. Quelle ne s'endorme pas pour autant sur ses lauriers

    et se proccupe, d'une part, de revisiter ses propres orientations, d'autre part,

    de faire mieux connatre ses dmarches aux enseignants qui, intervenant plus

    tard dans le cursus, cherchent dsesprment comment dvelopper et

    valuer des comptences. Bref, mieux vaudrait mes yeux que lcole

    premire dfende sa conception de lapprentissage et de lenseignement

    auprs des autres ordres denseignement plutt que de revendiquer sa

    diffrence et de refuser de sengager dans le dbat densemble. Lapproche

    par comptences lui en offre loccasion !

    Jarticulerai donc mon propos en trois parties :

    je commencerai par un bref rappel des orientations gnrales et des enjeux delapproche par comptence qui est au cur des rformes actuelles ;

    je dvelopperai ensuite une vision de lunit de la scolarit de base ; je tenterai enfin de dfinir les missions spcifiques de lcole premire dans une

    approche par comptences.

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    I. Les fondements de lapproche par comptencesPourquoi lcole est-elle aujourdhui " saisie par les comptences"

    (Perrenoud, 1999), pourquoi cet " attracteur trange " (Le Boterf, 1994), cette

    " irrsistible ascension " (Romainville, 1996) ?

    Sans revenir en dtail sur ces questions, dbattues ailleurs (Perrenoud 1999

    b), je rappellerai simplement quon ne peut se borner dnoncer une

    influence, voire une main mise de lconomie et du monde du travail sur la

    formation scolaire gnrale. Sous des vocables divers, la question des

    comptences traverse lcole depuis son " invention ". Dans la mesure o la

    forme scolaire spare lapprentissage des pratiques sociales quil est cens

    prparer, il est lgitime de se demander si cette prparation est effective,

    autrement dit si lcole " prpare pour la vie " ou fonctionne en circuit ferm.

    A chaque poque, des voix slvent pour sinquiter du manque de

    pertinence des connaissances acquises lcole dans la " vraie vie " ou de la

    difficult de les mobiliser hors des situations dexamen. A quoi bon toutes ces

    heures dtudes sil en reste si peu de traces lorsquon est confront un" vrai problme " ?

    Si la question du transfert de connaissances reste dactualit (Tardif, 1999),

    cest quelle nest pas rsolue ; une partie des lves qui apprennent ne

    parviennent pas mobiliser leurs savoirs dans de nouveaux contextes. Ils

    disposent en quelque sorte de capitaux " dormants ", quils ne parviennent

    pas rinvestir. A linverse, lcole naccorde gure de place et de

    reconnaissance aux comptences que les lves construisent en dehors

    delle sauf lorsquelles font directement cho au programme.

    Si ce problme nest pas neuf, il peut tre pos de faon renouvele au gr

    des progrs de la pdagogie, des didactique et des sciences cognitives.

    Meirieu (1989, 1990) a insist sur les notions de contextualisation et

    dcontextualisation, et celle dtayage et de dstayage. Il a, en 1994, pris

    linitiative dun congrs sur le transfert de connaissances (Meirieu, Develay,

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    Durand et Mariani, 1996) qui a permis de faire le point et notamment de

    comprendre que " Le transfert ne constitue pas seulement la phase terminale

    de lapprentissage, mais quil est prsent tout au long de lapprentissage. Pour

    apprendre, se former, il convient de transfrer en permanence " (Develay,

    1996, p. 20).

    La notion mme est progressivement remanie : " Ce que nous appelons

    " transfert dapprentissage " ne pourrait tre finalement quun jugement de

    valeur sur la disponibilit, le degr de gnralit ou laccessibilit des

    connaissances dj encodes en mmoire long terme" (Mendelsohn, 1996,

    p. 20).Il y a une convergence vidente avec la notion de comptence telle que lon la

    prcise en psychologie du travail : " La comptence des oprateurs sera

    considre comme lensemble des ressources disponibles pour faire face

    une situation nouvelle dans le travail. Ces ressources sont constitues par

    des connaissances stockes en mmoire et par des moyens dactivation et de

    coordination de ces connaissances" (Guillevic, 1991, p. 145).

    Synthtisant divers courants, Le Boterf (1994) proposera de dfinir une

    comptence comme la capacit, acquise, de mobiliserun certain nombre de

    ressources cognitives pour faire face adquatement une famille de

    situations.

    " Transfert de connaissances " et " mobilisation de ressources cognitives "

    sont deux mtaphores concurrentes pour voquer les mmes processus. Jai

    tent ailleurs (Perrenoud, 2000) de montrer que la mtaphore de la

    mobilisationtait plus large et plus fconde, notamment parce quelle :

    1. autorise prendre en compte des ressources cognitives fort htrognes :

    savoirs de divers types (thoriques, mthodologiques, etc.), savoir-faire,

    habilets, capacits, schmes opratoires, informations, attitudes, rgles ;

    2. renonce tablir une correspondance terme terme entre une situation ou

    un contexte dapprentissage, dune part, et une situation ou un contexte

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    daction, dautre part ; les ressources que nous mobilisons peuvent provenir

    de divers types de situations dapprentissage formel ou informel, divers

    moments de notre vie ; on ne peut pas toujours retracer des filiations

    prcises ;

    3. nvoque pas un dplacement dans lespace, mais lusagedes ressources

    cognitives, qui peut passer par leur reconstruction, leur enrichissement, leur

    coordination, leur diffrenciation aussi bien que par une simple application en

    contexte.

    Les spcialistes du transfert (Frenay, 1996 ; Mendelsohn, 1996 ; Tardif, 1999)

    me semblent trs proches de cette vision, mais le mot, pris dans son senscommun, vhicule une reprsentation plus simple et en partie fallacieuse des

    processus en jeu. Peut-tre serait-il sage de conclure que le transfert de

    connaissances est lun des mcanismes de la mobilisation de ressources

    cognitives.

    Si les rformes en cours parlent de comptences, ce nest pas toutefois en

    vertu dun raisonnement pointu sur les concepts. Cest peut-tre simplement

    parce que le concept de comptence :

    1. parat la fois plus neuf, plus riche et plus intuitif ; la notion de transfert

    reste associe la psychologie cognitive, le mot est connu, mais peu utilis

    activement dans le monde scolaire ; il voque en quelque sorte une

    proccupation ancienne, mais rarement honore, associe donc une vague

    culpabilit ;

    2. dsigne des objectifs et relve du curriculum, alors que les notions de

    transfert ou de mobilisation participent dune thorie de lapprentissage et

    relvent de la didactique davantage que du dbat sur les programmes ; on

    pourrait dire que le changement de langage fait passer la proccupation du

    transfert dans le registre du curriculum et des objectifs de formation.

    La notion de comptence nen est pas pour autant facile dfinir

    rigoureusement. Elle suscite autant de malentendus thoriques que de

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    controverses idologiques. Quelle soit en vogue dans le monde du travail et

    se pare des apparences de la modernit nest sans doute pas tranger son

    " irrsistible ascension " dans le monde de lducation. De l ne percevoir

    dans ce phnomne quun effet de halo ou de dpendance, il y a un pas ne

    pas franchir. Quon se proccupe de formation ou de travail, on est

    ncessairement conduit sinterroger sur le rapport entre ce que les

    personnes apprennent et ce quelles en font.

    Il nest pas sans intrt que la question soit pose aujourdhui en termes de

    comptences, ni que cet