analyse des déterminants du potentiel d’extension
TRANSCRIPT
Analyse des déterminants du potentiel d’extension verticale vers le haut des
marques :
Etudes de cas dans le secteur automobile
Nathalie Veg-Sala*
Maître de Conférences
Université du Maine, France
* Université du Maine - Faculté de Sciences Economiques et de Gestion - Avenue Olivier
Messiaen - 72085 Le Mans Cedex 09 - France
Tel : + 33 6 67 23 61 00
Email : [email protected]
Analyse des déterminants du potentiel d’extension verticale vers le haut des marques :
Etudes de cas dans le secteur automobile
Résumé :
L'objectif est d’étudier les déterminants du potentiel d’extension de gamme verticale des
marques. Une analyse de la littérature est effectuée sur le concept de potentiel d’extension
puis sur les stratégies d’extensions de gammes verticales. Elle met en avant, au-delà de
l’image-prix et de la distinction entre marques fonctionnelle et symbolique, l’importance de
l’ouverture des contrats de marque. Une étude de cas multiples, utilisant la sémiotique, est
menée dans le secteur automobile. Deux cas exemplaires de fort et faible potentiel
d’extension de gamme vers le haut sont discutés à travers les marques Citroën et Renault.
Mots-clés : Potentiel d’extension, extension de gamme vers le haut, sémiotique, automobile
The determinants analysis of brand upward extension potential:
Case studies in automotive sector
Abstract :
The research purpose is to study the determinants of brand vertical extension potential. A
literature review is conducted on the concept of extension potential and on strategies of
vertical line extensions. It highlights, beyond the price image and the distinction between
functional and symbolic brands, the importance of brand narratives openness. A multiple case
study, using semiotics, is led in the automotive sector. Two exemplary cases of both high and
low potential for vertical upward extending are discussed through the brands Citroen and
Renault.
Key-words: Brand extension potential, upward vertical extension, semiotics, automotive
1
Analyse des déterminants du potentiel d’extension verticale vers le haut des marques :
Etudes de cas dans le secteur automobile
Introduction
Le potentiel d’extension des marques définit vers où et jusqu’où les marques peuvent
s’étendre de façon cohérente et légitime en fonction de ce qu’elles sont (Chandon et
Changeur, 1998 ; Veg, 2008). Ce concept est fondamental dans l’approche dynamique et
longitudinale de la gestion des marques. Il permet aux managers de se projeter à long terme et
d’appréhender en amont si leurs marques vont pouvoir s’étendre dans de nombreuses
catégories de produits et/ou élargir leur gamme.
L’analyse du potentiel d’extension verticale des marques est particulièrement importante dans
le secteur automobile. Notamment, nombreux sont les managers qui souhaitent comprendre
l’extensibilité vers le haut de leur marque. Le succès du lancement de véhicules plus
prestigieux est rare et varie surtout d’une entreprise à l’autre (cf. réussite pour Citroën avec
les DS3 et DS4 et échec pour Renault avec la Vel Satis).
Bien que le potentiel d’extension soit essentiel dans la gestion du développement des
marques, très peu de recherches se sont intéressées aux déterminants de ce concept (Park,
Milberg et Lawson 1991 ; Kapferer, 1991 ; Veg, 2008) et ce, particulièrement dans le cas des
extensions verticales. De plus, rares sont les travaux traitant des extensions verticales de façon
générale (Aaker, 1996 ; Kim et Lavack, 1996, 2001 ; Randall, Ulrich et Reibstein, 1999 ; Kim
et Chajed, 2001 ; Magnoni et Roux, 2008 ; Tafani, Michel et Rosa, 2009).
Ainsi, face à ces constats managériaux et théoriques, la problématique de la recherche
s’appuie sur la question suivante : Quels sont les déterminants du potentiel d’extension
verticale vers le haut des marques ? Les objectifs de ce travail sont alors : (1) d’adapter le
concept de potentiel d’extension des marques aux extensions de gamme verticales en
2
particulier, (2) d’en déduire les clés de succès des extensions de gamme vers le haut et (3) ce,
notamment dans le secteur de l’automobile.
1. Revue de littérature
1.1. Le potentiel d’extension des marques
Au delà des recherches indispensables sur les facteurs clés de succès des extensions et la
possibilité d’évaluer la probabilité d’acceptation des nouveaux produits par les
consommateurs à un instant « t » (Aaker et Keller, 1990 ; Broniarczyk et Alba, 1994 ; Roux et
Boush, 1996 ; Buil, Martinez et de Chernatony, 2007), la définition du potentiel d’extension
permet d’avoir une vision à long terme de la gestion des marques. Il ne s’agit pas de connaître
les perceptions des consommateurs sur l’extensibilité des marques mais d’avoir une approche
davantage managériale en fonction de l’étude de l’identité des marques (Chandon et
Changeur, 1998 ; Kapferer, 1991 ; Veg, 2008).
1.1.1. L’impact du niveau d’abstraction des marques sur le potentiel d’extension
Dans les travaux de Park, Milberg et Lawson (1991), les auteurs distinguent les marques avec
un concept fonctionnel (c’est-à-dire avec des associations concrètes et utilitaires) et les
marques avec un concept symbolique (c’est-à-dire avec des associations abstraites). Les
marques avec un concept symbolique sont plus extensibles ; elles ont un plus grand potentiel
de développement que les marques avec un concept fonctionnel (Park, Milberg et Lawson,
1991). Le nombre d’extensions possibles sera plus élevé pour une marque avec des
associations abstraites, qui ne se rattachent pas à un seul type de produit. Ces résultats ont
également été mis en avant dans les travaux de Reddy, Holak et Bhat (1994) et vont
également dans le sens des recherches de Chandon et Changeur (1998).
3
Dans cette même perspective mais au delà de la dichotomie entre marque fonctionnelle et
marque symbolique, Kapferer (1991) définit le potentiel de développement d’une marque en
fonction de son niveau d’abstraction. Cinq degrés sont définis : la marque comme produit
(niveau d’abstraction le plus faible), comme recette, comme savoir-faire, comme intérêt de
marque ou comme philosophie (niveau d’abstraction le plus fort). Les résultats suivent les
travaux de Park et ses collègues (1991). Plus les marques ont un degré d’abstraction fort, elles
pourront s’étendre dans de nombreuses de catégories éloignées de leur métier initial.
Ces travaux sont essentiels mais s’appuient uniquement sur le niveau d’abstraction. Or les
marques sont davantage complexes (Holt, 2002). Elles peuvent s’ancrer sur une grande
diversité de valeurs abstraites qui peuvent alors influencer différemment le potentiel
d’extension. Toutes les marques dites abstraites n’ont pas la même capacité à s’étendre. De
plus, selon le type d’extensions que la marque souhaite développer (extension de marque, de
gamme verticale ou horizontale, l’impact du niveau d’abstraction ne sera pas le même. Or, les
travaux de Park et ses collègues (1991) et de Kapferer (1991) définissent si les marques sont
abstraites ou fonctionnelles de façon générique sans tenir compte de l’objet d’étude (et donc
du type d’extension). Le concept d’ouverture des contrats de marque est alors introduit afin de
prendre en considération ces éléments (Veg, 2008).
1.1.2. L’impact de l’ouverture des contrats de marque sur le potentiel d’extension
Les contrats de marque
Les marques sont des imaginaires culturels dont la consommation est essentiellement
émotionnelle et désirable (Belk et al, 2003 ; Remaury, 2004). Elles sont des conteneurs de
sens, structurés sous forme de contrats. Les contrats de marque sont alors des promesses que
la marque fait au consommateur sur la base de son discours, et ce au delà de ses produits
(Chevalier et Mazzolovo, 2003 ; Lewi, 2003 ; Thompson, 2004). Ainsi la marque est de
4
nature contractuelle (Semprini, 1992), Elle constitue une proposition ouverte et c’est au
consommateur de la juger et d’y adhérer ou non.
Une marque peut s’appuyer sur trois types de contrats (Lewi, 2003 ; Remaury, 2004) :
- un contrat de délimitation : lié à un temps (date, origine, passé mythique) ou à un lieu
(géographique ou mythologique, lieu évocateur de sens) ;
- un contrat de détermination : lié à un personnage (archétypes, incarnations réelles), à un
état ou une étape de la vie ou d’autres états (genre, classe d’âge, les sentiments) ;
- un contrat de maîtrise : lié à un savoir-faire (qualité des produits ou des services, astuce au
consommateur) ou une matière : matériaux ou composante (naturelle ou technologique).
Le concept d’ouverture
Le concept d’ouverture est issu de la psychologie et de la sociologie et notamment des travaux
de Rokeach (1960) et de Piaget (1966). La théorie du dogmatisme de Rokeach (1960) part de
l’objectif d’analyser les systèmes de croyances et, plus précisément le caractère étroit (mais
aussi autoritaire et intolérant) des modes de pensées des individus. Parmi les caractéristiques
qui permettent de distinguer les systèmes de croyances ouverts et fermés, on note la capacité
d’intégration. Les personnes ouvertes peuvent davantage intégrer des nouveautés, car elles
signifient pour elles un véritable enrichissement. A l’inverse, les personnes fermées
considèreront la nouveauté comme un risque, elles en auront peur et, de ce fait, ne
l’intègreront pas et la rejetteront même.
L’ouverture des contrats de marque et potentiel d’extension
Transposée à la marque et appliquée aux contrats, l’ouverture permet de déterminer si elle
peut ou non assimiler des nouveautés. Le potentiel d’extension sera alors plus élevé
lorsqu’une marque sera ancrée sur un ou plusieurs contrats ouverts (Veg, 2008).
Un contrat de marque est ouvert (ou assimilateur) lorsque ses valeurs légitiment l’assimilation
de nouveautés de façon cohérente et légitime et lorsque ces dernières renforcent, à leur tour, le
5
discours de la marque. A l’opposé, un contrat de marque est fermé (ou consolidateur) lorsque
l’assimilation de nouveautés ne serait pas cohérente avec la marque et modifierait les valeurs
du contrat. De tels changements iraient alors à l’encontre des recherches sur les marques
mettant en avant l’importance de garder une continuité dans le temps (Kapferer, 2004).
L’ouverture des contrats dépend des nouveautés considérées et donc des types d’extensions
(Veg, 2008). Pour les extensions de marque, l’ouverture du contrat de maîtrise, lié au savoir-
faire, est particulièrement importante à considérer alors que pour les extensions de marché
« homme – femme », l’analyse de l’ouverture du contrat de détermination, lié à des genres ou
à des personnages, est davantage à prendre en compte (Veg, 2008 ; Veg-Sala, 2009).
Mais qu’en est-il des déterminants du potentiel pour les extensions verticales ? Afin d’adapter
le concept, une analyse des caractéristiques de ces stratégies est menée ci-après.
1.2. Les extensions de gamme verticales
L’extension de gamme verticale consiste à proposer, dans une catégorie déjà pénétrée par la
marque, un produit de prestation et de prix significativement différent du produit ou de la
gamme de produits existante, soit en étant sensiblement plus bas (extension vers le bas), soit
plus haut (extension vers le haut) (Michel et Sahla, 2005 ; Magnoni et Roux, 2008).
1.2.1. Les spécificités des extensions de gamme verticales
Les extensions de gamme verticales ont de nombreux avantages (Kim et Lavack, 1996). Elles
permettent d’élargir la cible des marques (Michel et Salha, 2005). Dans le cas des extensions
vers le haut, l’objectif est d’atteindre une cible de marché à plus forte marge. Dans le cas des
extensions vers le bas, la marque cherche à développer sa base de consommateurs en attirant
le plus de clients possible (Magnoni et Roux, 2008). Les extensions de gamme verticales vers
6
le haut permettent également de fidéliser les consommateurs (Kim et Lavack, 1996 ; Kirmani,
Sood et Bridges, 1997 ; Michel et Salha, 2005), en lançant de produits plus prestigieux.
Ces stratégies d’extensions comportent également des risques. Les principaux problèmes sont
la cannibalisation potentielle des produits, la possible dévalorisation de la qualité, de son
image de marque (dilution de la marque), la détérioration du capital marque, ou encore le
manque de légitimité (Aaker, 1996 ; Michel et Salha, 2005 ; Magnoni et Roux, 2008).
1.2.2. Les facteurs clés de succès des extensions de gamme verticales
Pour que les stratégies d’extensions de gamme verticales soient des réussites, une cohérence
doit s’établir entre le type de marque (fonctionnelle vs. symbolique), son image-prix et la
direction de l’extension (Aaker et Keller, 1990 ; Sharp, 1993, Kirmani, Sood et Bridges,
1997 ; Kim, Lavack et Smith, 2001 ; Michel et Salha, 2008 ; Tafani, Michel et Rosa, 2009).
Le succès d’une extension verticale dépend du statut initial de la marque (Kim, Lavack et
Smith, 2001). Une marque fonctionnelle est associée à une image de fiabilité et se traduit en
terme de performance produit. Si elle est rattachée à un prix faible, l’évaluation d’une
extension vers le haut sera plutôt défavorable. Les consommateurs percevront comme
illégitime le fait qu’une marque plutôt accessible puisse vendre des produits plus prestigieux.
Si la marque fonctionnelle est rattachée à un niveau de prix intermédiaire, les consommateurs
seront autant favorables à une extension vers le bas que vers le haut (Kim, Lavack et Smith,
2001 ; Michel et Salha, 2008). Lorsque les marques symboliques font référence au prestige,
elles seront perçues comme ayant un niveau de prix élevé. L’extension vers le bas qui réduit
le prix de la marque risque donc d’être mal évaluée (Michel et Salha, 2008). Les
consommateurs percevront une dévalorisation des marques. A l’inverse, la pratique
d’extension vers le haut pour des marques de prestige permet de renforcer les valeurs de
sélectivité et d’exclusivité de celles-ci. Ainsi, pour être acceptée par le consommateur,
7
l’extension verticale doit respecter le prix de référence interne, stocké dans la mémoire de
l’individu (Michel et Salha, 2005).
De plus, au delà de la distinction entre marques fonctionnelle et symbolique (de prestige) et
de l’image prix, la recherche de Tafani, Michel et Rosa (2009) analyse l’impact de l’image de
marque sur les perceptions du produit en extension verticale, en s’appuyant sur l’effet de halo
et sur la théorie du noyau central. Sur la base d’une étude expérimentale dans le secteur de
l’automobile, les auteurs montrent que les associations centrales (inconditionnellement liées à
la marque dans l’esprit des consommateurs) sont transférées à l’extension verticale quel que
soit le niveau de gamme alors que les associations périphériques (conditionnelles) ne le sont
pas systématiquement. Le succès du lancement des modèles 205, 206, 307 et 407 (bas et
moyen de gamme) chez Peugeot s’expliquerait alors par le transfert des associations centrales
liées à la fiabilité et la sécurité. A l’inverse, l’échec de la marque dans le segment haut de
gamme (avec la 605 notamment) pourrait être lié au fait que l’association périphérique liée à
la puissance ait été uniquement transférée aux extensions verticales bas de gamme.
1.3. Synthèse et propositions de recherche
Les recherches antérieures montrent que le potentiel d’extension des marques dépend, au delà
du niveau d’abstraction, de l’ouverture des contrats de marque (Veg, 2008 ; Veg-Sala, 2009).
Les travaux sur les facteurs clés de succès des extensions de gamme verticales notent
l’importance du transfert des associations centrales de la marque (Tafani, Michel et Rosa,
2009), celles-ci pouvant notamment faire référence à l’image prix (Kim, Lavack et Smith,
2001 ; Michel et Salha, 2005). Rappelons ici que ces recherches s’appuient sur les perceptions
des consommateurs. Or, comme il a été explicité qu’il est essentiel, en complément, d’avoir
une approche plus managériale et de considérer l’influence de l’ouverture des contrats de
marque sur le potentiel d’extension verticale. L’image-prix pourrait alors s’apparenter à
8
diverses valeurs liées à un état, à un statut social ou encore à une étape de la vie, et donc à un
contrat de détermination selon la typologie de Remaury (2004). D’où la proposition suivante :
P1 : L’ouverture du contrat de détermination définit le potentiel d’extension verticale vers le
haut des marques.
L’image-prix pourrait également faire référence au contrat de maîtrise et donc à divers types
de valeurs s’y associant. Lorsqu’une marque décide de lancer des produits plus luxueux, une
légitimité de fabrication et de savoir-faire doit être présente. Les marques doivent alors
s’appuyer sur un discours de confiance. La relation entre la qualité et le niveau de prix
pourrait alors être établie. D’où la proposition suivante :
P2 : L’ouverture du contrat de maîtrise définit le potentiel d’extension verticale vers le haut
des marques.
2. Méthodologie
2.1. Objectifs de la méthodologie de recherche
Afin d’étudier les propositions de recherche, une étude de cas multiples est mise en place.
Cette méthodologie est pertinente lorsque la question de recherche nécessite une analyse
approfondie d'un phénomène donné (Yin, 2009). L’objectif est ainsi de mieux appréhender le
rôle de l’ouverture des contrats de marque sur le potentiel d’extension verticale vers le haut.
2.2. Choix du domaine et des marques étudiées
Afin de répondre à une demande managériale forte des entreprises, un focus est effectué sur
les extensions verticales vers le haut dans le secteur automobile (Tafani, Michel et Rosa,
2009). Le choix des marques s’appuie sur les éléments suivants : les marques doivent
constituer des cas exemplaires permettant de visualiser aussi bien un fort qu’un faible
9
potentiel d’extension verticale et doivent pouvoir être comparables (Yin, 2009). Citroën et
Renault ont été sélectionnées. Il s’agit de deux marques françaises, créées respectivement en
1919 et en 1899, dont la première connaît un succès d’extension vers le haut alors que la
seconde multiplie les échecs. Ces deux marques ont un positionnement milieu de gamme. Le
prix moyen de l’ensemble des véhicules Citroën et Renault a été estimé respectivement aux
alentours de 25000 euros et 24000 euros.
2.3. L’analyse sémiotique structurale
Afin d’étudier le potentiel d’extension verticale vers le haut, une analyse des contrats des
marques est nécessaire. La sémiotique structurale est alors mobilisée. Celle-ci est
particulièrement pertinente lorsqu’il s’agit d’étudier le sens profond du discours des marques
(Floch, 1990 ; Bertrand, 2002 ; Heilbrunn et Hetzel, 2003).
La sémiotique structurale veut saisir les relations d’un certain nombre d’éléments en vertu du
principe de solidarité des termes d’une structure (Barthes, 1964 ; Eco, 1970 ; Floch, 1990 ;
Greimas et Courtès, 1993). Il s’agit d’une théorie du sens et des systèmes de significations
(Floch, 1990). Cette méthodologie se fonde sur le concept de signe (Boutaud, 1998). Celui-ci
est formé par la relation entre un élément perceptible, le signifiant (plan de l’expression), et le
sens donné à ce signifiant à l'intérieur d'un code plus ou moins construit, auquel on donne le
nom de signifié (plan du contenu) (Courtès, 1991). L’étude de la confrontation entre les
différents signes et symboles et leurs interactions permet de dégager une structure de sens
(Floch, 1990 ; Bertrand, 2002).
2.4. Procédure de l’étude de cas multiples
Etape 1 : Des corpus de communication sont créés pour chaque marque, regroupant les
publicités affiches anciennes et récentes. Une grille d’analyse est utilisée afin de dégager les
10
signifiants invariants. Elle se découpe en trois parties : le message plastique (cadrage,
composition, formes, couleurs), le message figuratif (motifs, figures, personnages) et le
message linguistique (typographie, couleurs et sens des mots) (Joly, 1994 ; Semprini, 1996 ;
Tissier-Desbordes, 2004). Les signifiés déduits sont ensuite structurés selon la typologie des
contrats de marque (de maîtrise, de détermination et de délimitation) (Remaury, 2004).
Etape 2 : Pour chaque contrat de marque, une analyse de leur ouverture est effectuée. Sur la
base des définitions mises en évidence dans la littérature, les valeurs des contrats sont étudiées
en fonction de leur capacité à intégrer des extensions verticales vers le haut. Si le lancement
de véhicules plus prestigieux vient renforcer les valeurs du contrat, de façon cohérente et
légitime, ce dernier sera défini comme ouvert. Et inversement, il sera défini comme fermé si
les significations du contrat sont modifiées par l’intégration d’extension vers le haut.
Etape 3 : Un récapitulatif est effectué sur le potentiel d’extension verticale vers le haut des
deux marques en fonction de l’ouverture de leurs contrats et des observations du marché.
Etape 4 : Les marques sont ensuite comparées dans le but de discuter des propositions de
recherche. Des implications théoriques et managériales en sont déduites.
Afin de vérifier le bien fondé et l’objectivité de l’étude, un chercheur utilisant la sémiotique a
été sollicité. Il lui a été demandé de juger la validité de la procédure ainsi que les résultats.
3. Résultats du cas Citroën
3.1. Les contrats de marque de Citroën
Depuis sa création, Citroën appuie son discours sur deux contrats :
Un contrat de détermination lié à un état : la domination et la distinction: Ce contrat est mis
en avant depuis les premières publicités de la marque avec la visualisation d’objets luxueux :
un manoir (1954) ou des lustres en cristal (2001). L’utilisation des couleurs noir, gris, blanc,
11
or et argenté, tout comme les messages linguistiques renforcent l’ancrage dans l’univers de la
distinction : « La 10 Hp Sport LUXE » (1921), « ID 19 Luxe » (1957), « Le plaisir d’être et de
paraître » (1991), « Sortez du lot » (2004).
Un contrat de maîtrise lié à un savoir-faire : la performance automobile: La présentation
unique et en gros plan des voitures sur les visuels, sans autre élément figuratif, appuie la
volonté Citroën de focaliser son discours sur son savoir-faire. Les descriptions techniques
renforcent ce contrat : « Traction avant » (1954) ; « Sécurité et Confort Citroën » (1957). La
marque met en avant sa performance via ses victoires dans les courses : « L’année
Champion » (1982) et via des effets visuels de vitesse et de puissance.
3.2. Citroën et son extension verticale vers le haut
La marque souhaite avec sa nouvelle série DS s’étendre vers le haut et mieux s’implanter sur
le marché du prestige. Depuis son lancement en mars 2010, la Citroën DS3 comptabilise
107000 commandes. Ce modèle est un véritable succès. Récompensé par de nombreuses
distinctions, il est numéro un des ventes de la catégorie des petites berlines premium en
France. Alors que sa commercialisation a débuté fin mai 2011 dans les pays européens, la
Citroën DS4 démarre bien avec 9 000 exemplaires vendus. Les délais d’attente se rallongent.
3.3. Les contrats de marque Citroën et le succès de son extension vers le haut
Les valeurs du contrat de détermination de Citroën (de domination et distinction) permettent
d’assimiler de façon légitime des extensions de gamme vers le haut. Elles valorisent
l’intégration de ce type de nouveautés. Le lancement de voiture de plus haut de gamme
renforce ces valeurs tout en restant les mêmes. Ce contrat est donc défini comme ouvert.
Le contrat de maîtrise de Citroën, axé sur le savoir-faire et la performance, légitime également
la capacité de la marque à créer des voitures plus performantes et plus prestigieuses.
12
L’extension de gamme vers le haut renforce les valeurs de maîtrise de la marque, tout en
restant les mêmes. Ce contrat est donc également défini comme ouvert.
4. Résultats du cas Renault
4.1. Les contrats de marque de Renault
Depuis sa création, Renault appuie son discours sur deux contrats :
Un contrat de détermination lié à un état : la vie, la famille : Renault utilise de nombreux
personnages pour illustrer des scènes de vie quotidienne : des amoureux, des gens discutant
dans la rue, les héros des Simpson chargeant une voiture pour partir en vacances. Les couleurs
variées des visuels reflètent également le dynamisme. Les éléments linguistiques renforcent
cet ancrage : « Renault 5, une sacrée famille » (1978), « La vie ça roule en super 5 » (1990).
Un contrat de maîtrise lié à un savoir-faire : la performance et la praticité automobile : La
marque met en avant son savoir-faire en insistant sur le confort et la technicité : « une grande
et belle voiture » (1957), « 8 secondes pour un coup de 100 » (1990), « Créateur
d’Automobile » (2000). La visualisation de voitures dans divers contextes renforce la
perception de solidité des véhicules. Renault est la voiture de toutes les épreuves de la vie et
s’adapte à toutes les situations du quotidien.
4.2. Renault et son extension verticale vers le haut
La Vel Satis est le modèle qui a succédé, en 2002, à la Safrane afin de développer la gamme
premium de Renault. La Vel Satis est un échec commercial, en dépit de ses caractéristiques
techniques et des importants efforts de communication. La production de la Vel Satis est
arrêtée fin 2009, après avoir été fabriquée à environ 62000 exemplaires. L’arrêt de la Vel
13
Satis pèse toujours sur la marque Renault qui ne cache pas son souhait de poursuivre ses
tentatives d’implantation sur le marché premium.
4.3. Les contrats de marque Renault et l’échec de son extension vers le haut
Les valeurs de vie de famille, de praticité et de dynamisme de Renault ne permettent pas
d’assimiler des extensions de gamme vers le haut de façon cohérente et légitime.
L’intégration d’extension vers le haut viendrait perturber le récit de la marque. Ce contrat est
donc défini comme fermé.
Le contrat de maîtrise de Renault, axé sur la performance, légitime, quant à lui, le
développement de modèles plus prestigieux et plus perfectionnés, tout en restant le même et
en le renforçant. L’intégration de voitures premium renforce les valeurs de maîtrise. Ce
contrat est donc défini comme ouvert dans le cas des extensions de gamme vers le haut.
5. L’analyse comparée des contrats des marques de Citroën et Renault
Les marques Citroën et Renault sont ancrées sur des contrats de maîtrise ouverts en ce qui
concerne l’intégration d’extensions de gamme vers le haut. Toutes deux mettent en avant leur
savoir-faire, aussi bien en termes de puissance, de technicité ou de praticité, valeurs qui sont
valorisées en introduisant des véhicules toujours plus performants et prestigieux. Aucune
distinction ne peut être établie à ce niveau. Dans cette étude, le contrat de maîtrise ne semble
pas être un déterminant dans la définition du potentiel d’extension vers le haut des marques.
Par contre, le contrat de détermination de Citroën, qui se base sur les valeurs de domination,
est défini comme ouvert en ce qui concerne son potentiel d’extension vers le haut, alors que le
contrat de détermination de Renault, qui se base sur les valeurs de famille, de vie quotidienne,
est défini comme fermé. Une vraie distinction peut donc être constatée entre les deux marques
et semble pouvoir expliquer la différence de potentiel d’extension vers le haut.
14
Figure 1. Ouverture des contrats de marque de Citroën et Renault
6. Discussion des résultats
L’objectif de la recherche était d’étudier le potentiel d’extension verticale vers le haut des
marques, notamment dans le secteur automobile. Suite à l’analyse de la littérature, deux
propositions ont été mises en avant et mettent en lumière l’importance de l’ouverture des
contrats de détermination et de maîtrise. Les résultats de l’étude de cas multiples vont dans le
sens de la proposition 1 mais pas dans celui de la proposition 2. Le potentiel d’extension vers
le haut semble principalement dépendre de l’ouverture des contrats de détermination.
6.1. Implications théoriques
Les résultats montrent l’importance de ne pas considérer uniquement le niveau d’abstraction
des marques (Park et al, 1991 ; Kapferer, 2001, 2004) ou l’image-prix (Kim, Lavack et Smith,
2001 ; Michel et Salha, 2008 ; Tafani, Michel et Rosa, 2009) pour étudier le potentiel
d’extension mais de prendre en compte davantage l’ouverture des contrats de marque (Veg,
2008 ; Veg-Sala, 2009). L’analyse de la signification des valeurs de la marque et de leur
ouverture est essentielle et doit s’effectuer en fonction du type d’extension que la marque
souhaite développer. Pour les extensions vers le haut, une attention particulière devrait être
prêtée au contrat de détermination et à l’analyse de son ouverture.
15
En comparaison avec les travaux antérieurs, cette recherche ne considère pas les perceptions
des consommateurs pour étudier les extensions verticales (Kirmani, Sood et Bridges, 1997 ;
Kim, Lavack et Smith, 2001 ; Michel et Salha, 2008 ; Tafani, Michel et Rosa, 2009). Elle
prend en compte le discours émis par l’entreprise et plus précisément les contrats de marque,
afin d’avoir une approche davantage managériale.
De plus, l’utilisation du concept d’ouverture des contrats de marque permet une adaptation
aux divers types d’extensions, en dépassant la notion de niveau d’abstraction des marques
définie indépendamment et en amont de l’objet d’étude (Park et al, 1991 ; Kapferer, 1991). Le
potentiel d’extension n’est en effet pas le même qu’il s’agisse d’extension de marque, de
gamme verticale ou horizontale. Or, cette distinction n’est pas perceptible si on considère
uniquement la distinction entre les marques fonctionnelles et symboliques.
Notons que les résultats de cette recherche rejoignent les travaux mettant en avant
l’importance de l’image prix (Kirmani, Sood et Bridges, 1997 ; Kim, Lavack et Smith, 2001 ;
Michel et Salha, 2008). Les contrats de détermination mis en avant dans les études de cas
peuvent effectivement englober la notion de valeur. Chez Citroën, le discours sur la
distinction pourrait être associée, en autres, à des perceptions de prix élevées, et les valeurs de
famille chez Renault pourraient se rattacher à des niveaux de prix plus modérés.
6.2. Implications managériales
Une fois l’étude effectuée sur les contrats de marque, plusieurs options seront à considérer.
Si le contrat de détermination est défini comme ouvert, la marque peut intégrer des extensions
verticales vers le haut : dans ce cas, elle devra penser à bien s’appuyer sur ces valeurs dans sa
communication pour renforcer sa légitimité à aller vers le segment premium.
Si le contrat de détermination est fermé, la marque ne peut pas intégrer des extensions vers le
haut de façon légitime. Dans ce cas, elle pourrait utiliser un nouveau nom de marque. C’est ce
16
que Toyota a fait avec les voitures Lexus. La marque pourrait également travailler à long
terme sur l’évolution de ses valeurs afin de transformer son contrat initial en contrat ouvert.
Comme explicité, les contrats de détermination n’étant pas axés uniquement sur les niveaux
de prix, les managers pourraient davantage s’appuyer sur ces autres associations afin que les
consommateurs n’évaluent pas les extensions uniquement en fonction du prix perçu.
6.3. Limites et futures voies de recherche
La présente recherche s’articule autour d’une étude de cas multiples où deux cas exemplaires
sont présentés. Bien que les marques analysées permettent de montrer des situations
différentes du potentiel d’extension vers le haut, dans un but d’amélioration de la validité
interne, il serait intéressant de poursuivre les investigations en étudiant d’autres marques.
Notamment Citroën et Renault sont des marques positionnées milieu de gamme. Une
prochaine étude pourrait être effectuée sur des marques initialement plus luxueuses qui
souhaitent encore monter en catégorie (ex : Jaguar, Porsche). Les futures recherches
pourraient également étudier le cas des extensions vers le bas, tout aussi importantes au
niveau stratégique du développement et de la cohérence des marques. Enfin, l’étude
sémiotique s’est basée sur un corpus de publicités papier (affiches). Le secteur automobile
utilise également la télévision pour ces campagnes de communication. Bien que le contenu
des messages soit le même, l’étude pourrait être complétée en intégrant ces éléments.
Bibliographie
Aaker D.A. (1996), Building strong brands, Free Press Business.
Aaker D.A. et Keller K.L. (1990), Consumer evaluations of brand extensions, Journal of
marketing, 54 (January), 27-41.
Barthes R. (1964), Rhétorique de l’image, in Communications, n°4, 40-51, Editions du Seuil.
17
Belk, R., Ger G. et Askegaard S. (2003), The fire of desire: A multisided inquiry into
consumer passion, Journal of consumer research, vol 30 (December), 326-351.
Bertrand D. (2002), Approche sémiotique du luxe : entre esthétique et esthésie, Revue
française du marketing, 2, 187, 73-82.
Boutaud J-J. (1998), Sémiotique et communication: du signe au sens, L’Harmattan.
Broniarczyk S.M. et Alba J.W. (1994), The importance of the brand in brand extension,
Journal of marketing research, 31 (Mai), 214-228.
Buil I., Martinez E. et de Chernatony L. (2007), Brand extension effects on brand equity: a
cross-national study, Thought Leaders International Conference on Brand Management,
Birmingham Business School, April, 24-25th.
Chandon J.L. et Changeur S. (1998), Le territoire de marque : gestion des risques liés à
l’extension de marque, Paru dans La Marque, Tome II, Editions de l’Institut de Recherches et
d’Etudes Publicitaires, Paris.
Chevalier M. et Mazzalovo G. (2003), Pro Logo, Editions d’Organisation.
Eco U. (1970), Sémiologie des messages visuels, Communications, 15, 11-51, Editions Seuil.
Floch J-M. (1990), Sémiotique, marketing et communication: sous les signes, les stratégies,
Presse Universitaire de France (PUF).
Greimas A.J. et Courtès J. (1993), Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du
langage, Hachette Supérieur.
Heilbrunn B. et Hetzel P. (2003), La pensée bricoleuse ou le bonheur des signes : ce que le
marketing doit à Jean-Marie Floch, Décisions Marketing, 29 (Janvier - Mars), 19-23.
Holt, Douglas B (2002), Why do brands cause trouble? A dialectical theory of consumer
culture and branding, Journal of consumer research, 29 (June), 70-90.
Joly M. (1994), Introduction à l’analyse de l’image, Nathan Université.
Kapferer J.-N. (1991), Les marques, capital de l’entreprise, Les éditions d’organisation.
18
Kapferer J-N. (2004), The new strategic brand management, Kogan Page.
Kim C.K. et Chhajed D. (2001), An experimental investigation of valuation change due to
commonality in vertical product line extension, Journal of product Innovation Management,
18, 4, 219-231.
Kim C.K. et Lavack A.M. (1996), Vertical brand extension: current research and managérial
implications, Journal of product and brand management, 5, 6, 24-37.
Kim C.K., Lavack A.M. et Smith M. (2001), Consumer evaluation of vertical brand
extensions and core brands, Journal of business research, 52, 3, 211-223.
Kirmani A., Sood S. et Bridges S. (1999), The Ownership Effect in Consumer Responses to
Brand Line Stretches, Journal of Marketing, 63, 88-101
Lewi G. (2003), Les marques mythologiques du quotidien : comprendre le succès des grandes
marques, Editions Pearson.
Magnoni F. et Roux E. (2008), L’extension verticale de gamme vers le bas : quelles
répercussions sur l’image et la relation marque - consommateur ? Une approche exploratoire,
7th International congress Marketing Trends, January, 17-19th.
Michel G. et Salha B. (2005), L’extension de gamme verticale : clarification du concept,
Recherche et applications en marketing, 20, 1, 65-78.
Park C.W., Milberg S. et Lawson R. (1991), Evaluation of brand extensions: the role of
product feature similarity and brand concept consistency, Journal of consumer research, 18
(September), 185-193.
Piaget J. (1968), Le structuralisme, Presses Universitaires de France.
Randall T., Ulrick K. et Reibstein D. (1999), Capital-marque et étendue verticale de la ligne
de produits, Recherches et application en marketing, 14, 3, 79-105.
Reddy S., Holak S. L. et Bhat S. (1994), To extend or not to extend: success determinants of
line extensions, Journal of marketing research, vol 31 (Mai), 243-262.
19
Reibstein, D., Ulrich K. et Randall T. (1999), Extension de gamme : des enjeux pour l’image,
Les Echos, L’art du marketing.
Remaury B. (2004), Marques et Récits : la marque face à l’imaginaire culturel contemporain,
Institut français de la mode, Regard.
Rokeach M. (1960), The open and closed mind, Edition Basic Book.
Roux E. et Boush D.M. (1996), The role of familiarity and expertise in luxury brand
extension, 20ème conference EMAC, May, Budapest, Hongrie, 2053-2061.
Semprini A. (1996), Analyser la communication : comment analyser les images, les médias,
la publicité, Editions L’Harmattan, collection Champs Visuels.
Sharp, B.M. (1993), Managing brand equity, Journal of consumer marketing,10, 3, 11-17.
Tafani, E., Michel G. et Rosa E. (2009), Stratégie d’extension de gamme verticale: analyse de
l’effet de halo de la marque selon les niveaux de gamme, Recherche et Applications en
Marketing, vol 24, n°2, 73-89.
Tissier-Desbordes E. (2004), L’analyse de visuels : pour une complémentarité des principales
approches, Décisions marketing, 36 (Octobre – Décembre), 63-74.
Veg, Nathalie (2008), Les déterminants du potentiel d’extension d’une marque : l’analyse
comparée des contrats de marque ouverts et fermés, Thèse de doctorat, Université Paris
Dauphine, 3 Juin 2008.
Veg-Sala, Nathalie (2009), The impact of brand gender openness on cross-gender extension
evaluation, EMAC 2009 Conference (Nantes, France), 26-29 May.
Yin R.K. (2009), Case Study Research: Design and Methods, Sage Publications – Applied
Social Research Methods Serie (Fourth Edition).