análisis de estrategias de candidaturas políticas

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Etudes et Travaux n°103 Septembre 2012 Oumarou Makama Bawa « Saï Kaayi !» ou comment se faire élire au Niger Analyse des stratégies électorales d’un candidat aux législatives 2009

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Análisis de estrategias de candidaturas políticas en Africa (francés)

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  • Etudes et Travauxn103

    Septembre 2012

    Oumarou Makama Bawa

    Sa Kaayi !ou comment se faire lire au Niger

    Analyse des stratgies lectoralesdun candidat aux lgislatives 2009

  • Sa Kaayi ! ou comment se faire lire au Niger

    ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 1

    Sommaire

    Introduction _____________________________________________________________ 5

    I. APERU SUR LA CIRCONSCRIPTION ELECTORALE DE GOURE____________ 7

    II. LE CANDIDAT ET SES CONCURRENTS __________________________________ 9Le candidat et ses premiers pas en politique ! _________________________________ 9Ses armes potentielles et leurs failles _______________________________________10Ses principaux adversaires ________________________________________________11

    III. LA PRECAMPAGNE ; LA CHASSE EST OUVERTE. ________________________ 15La campagne avant la campagne___________________________________________15Les primaires : candidat la candidature____________________________________17

    IV. LA CAMPAGNE ELECTORALE PROPREMENT DITE______________________ 19Le zonage, un partage impartial sur le papier ! ____________________________19La mobilisation des ressources ____________________________________________23

    La gestion du temps ___________________________________________________________ 23Ressources humaines __________________________________________________________ 24Les ressources financires, les nerfs de la guerre !_________________________________ 26Mettre en scne une richesse suppose ____________________________________________ 27

    Le contenu du message lectoral ___________________________________________28Discours compars : argumentaire ONG contre rhtorique politique ___________________ 29La corde ethnique_____________________________________________________________ 31La fentre islamique ___________________________________________________________ 32Le programme politique________________________________________________________ 33

    V. LE JOUR DE VOTE ___________________________________________________ 35La campagne porte--porte _______________________________________________35Le vote du candidat______________________________________________________36

  • Sa Kaayi ! ou comment se faire lire au Niger

    2 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N103

    VI. LES DIFFERENTS CAS DE FRAUDES ___________________________________ 39La fraude lectorale, cest quoi mme ? __________________________________ 39Un lecteur vote plusieurs fois ____________________________________________ 40Et bien dautres cas visibles_____________________________________________ 43

    VII. QUELQUES CAS DE CONFLITS ________________________________________ 52

    VIII.LES RESULTATS DU SCRUTIN ________________________________________ 55

    IX. CONCLUSION________________________________________________________ 59

  • Sa Kaayi ! ou comment se faire lire au Niger

    ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 3

    Liste des sigles

    BPN : Bureau Politique NationalCDS : Convention Dmocratique et SocialeCENI : Commission Electorale Nationale IndpendanteLASDEL : Laboratoire dEtudes et de Recherche sur lesDynamiques Sociales et le Dveloppement Local (bas au Niger).MNSD : Mouvement National pour la Socit de DveloppementOFEDES : Office des Eaux du Sous-solONG : Organisation Non GouvernementalePDC : Plan de Dveloppement CommunalPNA : Parti Nigrien pour lAutogestionPNDS : Parti National pour le Dveloppement et le SocialismePSDN : Parti Social Dmocrate NigrienRADEP : Rassemblement DpartementalRAR : Rassemblement RgionalRGP : Recensement Gnral de la PopulationRSD : Rassemblement Social Dmocrate

  • ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 5

    Sa Kaayi !1ou comment se faire lire au Niger

    Analyse des stratgies lectoralesdun candidat aux lgislatives 2009

    Oumarou Makama Bawa

    IntroductionLobjectif de ce texte est de dcrire le jeu politique local et ses enjeux travers lanalyse destratgies lectorales dun candidat aux lections lgislatives. Suivant la posture spcifique duncandidat particulier, il sagit de comprendre, du dedans, le jeu politique partisan qui se droulependant toute la priode lectorale, spcifiquement au niveau local voire familial.Ltude porte sur les lections lgislatives du 20 septembre 2009, au Niger, dans la circonscriptionde Gour, lest du pays. Le candidat suivi tait sur la liste du part RSD, alli au MNSD, partidu Prsident Tandja. Ces lections se sont droules dans un contexte trs particulier :approchant du terme de son second mandat (et dernier selon la constitution), le Prsident Tandjaet ses partisans ont voulu prolonger son pouvoir de trois ans, par rfrendum. Saisie par desdputs de lopposition, la Cour constitutionnelle a rendu un avis dfavorable sur le projet derfrendum le 25 mai 2009, le Prsident a dissous lAssemble, puis la Cour constitutionnelle, etsest octroy les pleins pouvoirs le 26 juin, provoquant la suspension de laide internationale. Lerfrendum a t organis le 4 aot. Les lections lgislatives du 20 septembre 2009 ont donc tmarques par leur caractre anticonstitutionnel, le boycott dune part importante de loppositionet se sont droules dans un climat politique particulirement tendu. Elles nen sont pas moinsrvlatrices du jeu local. On discutera en conclusion la reprsentativit de ces rsultats.Notre ambition est de rendre compte, de lintrieur, du jeu politique local, et pour cela danalyserles rfrences mobilises et les ingnieries inventes par les principaux acteurs de larne politiqueen comptition afin de rendre compte des divers aspects observs pendant ce scrutin controvers.Il sagit dtudier les stratgies dacteurs et les identits affiches des candidats, les objectifsaffichs, les moyens employs par les uns et les autres, les luttes entre les candidats des diverspartis antagonistes et celles des candidats concurrents au sein dun mme parti, les diffrentstypes de conflits, les alliances, les dissensions, etc. Pour ce faire, une mthodologie spcifique at adopte. Il sest agi de suivre, de dcrire et danalyser les stratgies dun candidat du dbut lafin du processus lectoral, depuis la dcision de se porter candidater jusqu la proclamation desrsultats, en passant par les lections primaires, les campagnes lectorales et les votes proprementdits.

    1 Say Kaayi : expression en langue Haoussa, majoritairement parle dans la rgion, qui pourrait se traduire par turussiras ou tu gagneras les lections !.

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    6 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N103

    En effet, de nombreuses tudes sur les lections se limitent au jour du vote, alors mme que leprocessus lectoral commence bien en amont. La mthodologie a consist suivre, pendantplusieurs mois couvrants lensemble de la priode lectorale, et dchanger continuellement avecun candidat arbitrairement choisi. Les points de vue du candidat observ et des membres de sonquipe de campagne ont t le principalement fil conducteur de notre analyse. Les avis etcommentaires des autres candidats ou de leurs supporteurs (lorsque cela est possible) ont t aussides sources dinformations capitales. Notre observation/participation a dur 6 mois, dcompossen 4 sjours dune semaine et le dernier sjour dun mois sur le terrain. Nous avons couvert leprocessus depuis les premires runions des dlgus aux rencontres prparatoires jusqu lacampagne proprement dite en passant par les tapes de droulement des lections, du dcomptedes rsultats, des ngociations internes entre candidats et tats-majors du Parti. Tous cesmoments forts ont t observs, dcrits et analyss. Des discussions et informationscomplmentaires se sont poursuivies avec le candidat pendant la rdaction du prsent rapport.Les principales tapes qui structurent ce texte sont les suivantes : la prsentation des candidats, lapriode de la prcampagne, le vote proprement dit, les diffrentes fraudes observes et les conflitspolitiques avant de terminer par lanalyse sommaire des rsultats et la conclusion.

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    ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 7

    I. Aperu sur la circonscription lectorale de Gour

    Situ Est du pays, en zone principalement pastorale, le dpartement de Gour couvre unesuperficie 89.404 km2 pour une population totale de 256.935 habitants2. Il est divis en 2circonscriptions lectorales : celle de Gour, qui regroupe les 6 communes du Sud dudpartement, et la circonscription spciale de Tesker au nord qui couvre elle seule 72.000 km2.Notre terrain dtudes est la circonscription lectorale de Gour constitue de la communeurbaine de Gour et de 5 communes rurales qui sont Boun, Guidiguir, Gamou, Kell et Alakos.Ces 6 communes ne couvrent que 20 % de la superficie du dpartement mais comptent 80 % deses habitants. Il est ncessaire de souligner que les communes du Sud (Gour, Boun etGuidiguir) sont plus peuples et politiquement plus dgourdies , cest--dire des habitants plushabitus au systme de vote moderne que les habitants des 3 communes du Nord qui sont enoutre plus vastes et plus difficiles daccs. Le fait que tous les anciens dputs de Gour (de 1960 nos jours) soient ressortissants des communes du Sud est un indicateur du leadership deshabitants de ces contres. La proximit du Nigria fdral pourrait tre la principale raison de laplus grande sensibilit de ces populations la chose politique au niveau local. Identifi commemilitant actif et membre du bureau de campagne, nous avons suivi le candidat dans tous sesdplacements lors de la campagne lectorale, qui ont concern 4 communes (Guidiguir, Boune,Gour et Kell) sur les 6 communes de la circonscription. Le candidat a tenu des meetings (oudes runions de campagne) dans quelques 30 villages des communes de Boun et de Kll sansvisiter le chef-lieu de ces communes. Il sest rendu plus de cinq fois dans le village de Guidiguir,chef-lieu de la commune de Gour, galement chef-lieu darrondissement, qui est le seul chef-lieude commune rurale visit. Nous verrons si cet intrt spcifique apparent pour Guidiguir est dictpar la facilit daccs (route goudronne) et/ou par une stratgie spcifique.

    2 Sources : Les estimations de lvolution de la population sur la base du Recensement Gnral de la Population(RGP), 2001, Plan de Dveloppement Communal (PDC) de Gour.

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    Carte : dpartement de Gour

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    II. Le candidat et ses concurrents

    Proverbe 1 : Le Pouvoir (iiko), ce nest pas des galettes (maassa),que lon peut donner nimporte qui ! .

    Garba, chef de village de Garin kowa

    Le candidat et ses premiers pas en politique !Nous avons connu le candidat dnomm Ousmane Shadaadi3 luniversit de Niamey dans lesannes 90. Militant classique du mouvement estudiantin, Shadaadi a effectu des tudes enhydraulique ( Ouagadougou) puis en politique de dveloppement (en France). Sil a adhr lapolitique en 2004, la cration du parti RSD4 n de la scission de la CDS, cest surtout parce quele prsident de ce nouveau parti est son parent 5. En effet, la politique apparat largement comme une affaire de famille . Nous pouvons admettre avec Maine (Pilon-Le, 1979 : 45) que noussommes en prsence dune socit fonde sur le statut dans laquelle les relations sociales sontprincipalement rgies par le principe de parent, au sens large. Cette logique aidant, les partisansdu jeune parti RSD ont encourag Shadaadi se porter candidat aux lgislatives du 4 novembre2004, car il bnficiait dun suppos potentiel capital lectif ou parental . Retenu Niamey, ilsest fait inscrire par procuration sur la liste des candidats aux primaires de Gour.Lors de cette premire participation aux lections, Shadaadi tait colistier de Gaji, petit frre deBiya Mouradi (candidat favori pour les lections lgislatives de 2009, objet du prsent article). Cedernier ne pouvait se prsenter lui-mme, compte tenu de son poste hautement sensible auMinistre de lIntrieur. la suite du scrutin, le parti a rcolt 3500 voix dans le dpartement deGour, derrire les partis traditionnels : le MNSD (7000 voix), le PNDS (6200 voix) et le CDS(4000 voix). Aucun de ces rsultats natteint le quotient lectoral de la rgion de Zinder6 : en effetil faut prs de 20.000 voix pour quun parti obtienne un sige de dput, pour cette anne l. Lersultat du parti du candidat Shadaadi peut-il se lire de plusieurs faons :

    Premire lecture : Le RSD est le 4e parti ex aequo (avec le RDP) Gour aprs les grandspartis qui sont respectivement MNSD, PNDS, CDS. De ce point de vue, les candidats duRSD ne peuvent prtendre la dputation, car la rgion ne compte que 2 siges.

    Deuxime lecture : lors des lections de 2009, la circonscription lectorale tait la rgion.Ainsi les voix obtenues par chaque parti dans le dpartement de Gour sont additionnesavec celles obtenues dans les autres dpartements de la rgion de Zinder afin dtablir lequotient lectoral. Ce quotient est le total de voix divis par le nombre de sige de largion. La rgion de Zinder compte 20 siges sur les 113 dputs de lassemble nationale,

    3 Tous les noms propres ont t modifis.4 Les principaux partis politiques du Niger sont : Mouvement national pour la Socit de Dveloppement (MNSD),Parti nigrien pour la Dmocratie et le Socialisme (PNDS), Convention dmocratique et sociale (CDS),Rassemblement pour la Dmocratie et le Progrs (RDP), Rassemblement des socio-dmocrates (RSD).5 Il sagit ici de famille largie au sens africain du terme.6Ce quotient est calcul sur la base du nombre total de votants de la circonscription rgionale divis par le nombre desiges pourvoir (19 pour Zinder).

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    mais la circonscription lectorale nen compte que 19 siges (Tesker est unecirconscription spciale avec 1 sige). Selon ce calcul, le parti RSD navait obtenu que 2siges dans la rgion de Zinder. Suivant quelle cl de rpartition faut-il attribuer ces 2siges ? Il y avait 19 candidats rpartis dans les 6 dpartements que compte la rgion deZinder7. En considrant le nombre de voix obtenues, le dpartement de Gour naura pasde sige car il se classe 3me derrire Mirriah (27.000 voix) et Matamey (7.500 voix).

    Troisime lecture : Cependant, les candidats de Gour espraient quand mme un sige lAssemble nationale, car suivant le mode de calcul proportionnel qui considre les voixobtenus par un parti dans un dpartement divis par le nombre de total de votants de lalocalit considre, le dpartement de Gour sera class la 2e place aprs Mirriah(Matamey tant 3 fois plus peuple que Gour). En effet, Gour mrite bien un sige dedput au titre du parti RSD, car le mode de calcul proportionnel ne considre passeulement le nombre de voix obtenues par un parti mais galement le nombre total devotants, cela permet de prendre en compte les voix mobilises par les autres partis en lice.Ce procd met laccent sur leffort du candidat en tenant compte de la spcificit du votede chaque dpartement.

    Il faut cependant noter que le choix de mode de calcul nest pas connu avant lopration de vote,ce choix de mode de calcul, qui permet de privilgier tel ou tel candidat, est fait au niveau destats-majors des partis. Cest aprs ces calculs quauront lieu des ngociations et des pourparlersau niveau des responsables du bureau politique du parti afin dattribuer le sige au dpartementde Matamey. Bien que ce dpartement noccupe que la 3me place du classement par rapport aumode de calcul retenu, les responsables du parti RSD ont jug le candidat de Matamey plus porteur et plus apte que les deux candidats, peu connus, de Gour. En effet, le candidat deMatamey occupait le poste de Secrtaire gnral de la structure rgionale du parti. En plus, ilavait activement particip la longue lutte interne ayant permit la cration du RSD suite lascission de la CDS, contrairement aux deux candidats de Gour, absents lors de ce combat.Finalement, malgr leur courte victoire, les deux candidats de Gour nont pas t retenus par lesdirigeants du parti. Le sige de dput a t attribu au dpartement de Matamey, un posteimportant a t promis aux militants de Gour. En guise de compensation aux militants, unressortissant du Dpartement a t nomm ministre au titre de Gour. Ce dernier proposa Ousmane Shadaadi le poste de conseiller technique son cabinet. Le candidat Shadaadicommence peine constater lampleur des tractations et des stratgies de cration et de choixde rgles multiples, et le flou qui gre les calculs lectoraux insouponns.

    Ses armes potentielles et leurs faillesLe candidat Ousmane Shadaadi est n il y a prs de 40 ans Chaago, un hameau 30 km au sudde Gour, dune famille de modestes agro-leveurs. Il est mari et pre de famille. Aprs unenseignement primaire franco-arabe, il a effectu des tudes en hydraulique et a travaill avec lesONG de dveloppement. Rsidant Niamey, il occupe depuis mai 2008 le poste de Conseillertechnique du ministre de lEnvironnement. Le ministre tant du RSD et ressortissant dudpartement de Gour, le poste de conseiller est interprt, on la vu plus haut, comme une

    7 Chaque parti prsente une liste de 19 candidats rpartis dans les 6 dpartements de la rgion suivant le nombre desinscrits ; il y avait 5 candidats Mirriah, 5 Magaria, 3 Matamey, 3 Tanout, 2 Gour et 1 la communauturbaine de Zinder.

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    ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 11

    nomination-rcompense du Parti suite aux rsultats lectoraux de 2004. Le poste de conseiller(mai baada shawara) est peru par les militants comme un atout supplmentaire pour le candidat.Cest aisment que la runion des dlgus a accept, pour la deuxime fois, la candidature deShadaadi au ct de celle de Mouradi Biya qui, libr de ses fonctions au ministre de lIntrieur,remplace son petit frre, candidat malheureux et colistier de Shadaadi en 2004. Il faut soulignerque ces deux candidats semblent les seuls valables , susceptibles damliorer le score du nouveauparti RSD dans la rgion. En plus, ces deux individus sont issus des deux plus grands groupesethniques (Peul et Manga) du dpartement. Ils sont galement sujets de deux plus grandeschefferies traditionnelles du dpartement : Mouradi est membre de la famille rgnante de lachefferie de canton de Gour et Shadaadi est un talaka (sujet, administr) du chef de Groupementpeul de Yamiya. Ces atouts sont censs amliorer le score du parti dans la rgion.Mais dans le domaine lectoral, les atouts dun candidat sont trs prcaires et fragiles, ils peuventfacilement tre balays par les atouts des concurrents ou leurs commentaires ngatifs. Il suffitsouvent dune accusation, mme mensongre, contre le candidat ou sa famille, pour ternirlimage de celui-ci et baisser sa cote de popularit. Do limportance de connatre les principauxconcurrents de Shadaadi, leurs points forts et leurs faiblesses.

    Ses principaux adversairesCette section suivante prsente les profils des 6 candidats significatifs que nous avons rencontrs :il y avait 14 candidats en comptition pour 7 partis dont une liste de candidats indpendants.Certains candidats sont simplement inscrits pour complter la liste de partis faiblementimplantes dans la rgion. Nous avons simplement bauch quelques traits identitairescaractristiques des candidats en conformit avec ltude dEvans-Pritchard qui dfinit, chez lesNuer, le systme politique en tant que rapport entre des groupes de parent. Cet argument de lapolitique traditionnelle et locale transparait remarquablement au niveau de la politique lectorale dans les villages les plus reculs de la rgion (Evans-Pritchard, 1969 : 271).Note candidat nest pas le plus petit des 14 candidats en lice dans la circonscription de Gour,mais il a une chance de gagner. En 2009, malgr labsence des candidats des partis dopposition,dont la CDS qui occupait le sige de Gour lAssemble dissoute et le PNDS, Schadaadi nestpas le favori, loin de l. Il y plusieurs candidats bien placs au regard de leur position familiale,de leurs moyens financiers et de leur positionnement de leur parti respectif. Le tableau suivantprsente sommairement les 6 candidats en lice dans la circonscription de Gour. Il sagit descandidats qui ont rellement battu campagne et qui ont une chance de gagner au vue ducontexte local.

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    12 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N103

    Tableau 1 : Prsentation sommaire des candidats rencontrsCandidats

    Partis politiquesPoints forts Points faibles

    Biya MouradiRSD Gaskiya

    Autochtone de la rgion, fils de chef de canton, chef naturel . Candidat malheureux la chefferie de canton. Ayant beaucoup de moyens matriels et financiers, hrits notamment de son

    pre. Bien connu et parent avec la majorit de villageois. A support son frre cadet aux lgislatives 2004. Membre du Bureau politique du parti.

    Peu loquace, carts de langage frquents , fait des bourdes, peu sociable, ne rend visite aux villageois que lors des lections, c'est--dire

    une fois chaque 5ans. Ayant des opposants acharns sur le plan de la chefferie traditionnelle. Trop sr de son lectorat.

    ShadaadiOusmaneRSD Gaskiya

    Conseiller technique de ministre, technocrate. Autochtone de la rgion, seul candidat peul, proche des chefs de tribu

    nomade de Gour ( travers notamment son supplant, prince peul), Semble le plus jeune des candidats, Personnage modeste et proche des pauvres . Candidat malheureux aux lgislatives 2004. Ayant amen plusieurs projets dans la rgion. Parle couramment toutes les langues locales, bon larabe (langue de lislam). Proche du Prsident du Parti.

    Origine familiale talaka ou dantalaka (famille modeste). Ressortissant dun hameau dan Kawy (nest pas n dans le centre

    urbain). Faible ressource financire et matrielle du candidat. Parti mconnu au niveau des populations du dpartement. En conflit avec le candidat favori du Parti (Biya Mouradi). lectorat dispers, faiblement politis. Mme famille que son supplant.

    Mairama SarkiMNSD Nassara

    Dame de compagnie de la femme de Tandja. Fille de chef de canton de la rgion. Connue des villageois. Seule candidate de son canton. Candidate du principal Parti de la rgion, implant dans tous les villages. Appui de ses Parents . Cohsion de la famille autour de la candidate. Appui financier et matriel des ressortissants du canton.

    Faible exprience politique. Ne compte que sur sa famille. Faibles moyens matriels et financiers.

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    Dodo Dan MalamMNSD Nassara

    DG dune socit importante de la capitale. Technocrate. Autochtone de la rgion, fils de grand Cheick ayant plusieurs lves . Grande famille largie , trs connu dans les villages. Proche du Prsident Tandja. Candidat du principal parti de la rgion, implant dans tous les villages. Joue la carte de lislam et des marabouts. Proche des dcideurs de Niamey (ministres et responsables rgionaux du

    Parti). Appui financier et matriel de son neveu oprateur conomique local.

    Peu loquace, carts de langage , fait des bourdes. Peu sociable, ne rends pas visite aux parents (loigns). Ayant des opposants acharns parmi les membres de la famille largie. Peu connu des villageois. Candidature controverse au sein des membres du Parti. Faibles moyens matriels et financiers.

    Larabou FariRDP Jama a

    Ancien ministre, porte-parole du gouvernement. Connu sur la scne politique et depuis 1990. Ancien membre du syndicat des enseignants. Dispose de beaucoup dargent et est gnreux. Proche du Prsident Tandja, et des acteurs de la refondation (Tazartch). Ayant beaucoup de moyens matriels et dappuis importants du

    gouvernement et des dcideurs ; prsident de la CENI local, Prfet, chef decanton, ministre de lIntrieur.

    Deux fils de chefs de canton inscrits dans sa liste.

    Famille et groupe ethnique minoritaire dans la rgion. Famille nuclaire rcemment installe Gour. Parti (RDP) nest pas favori dans le dpartement de Gour. Sa comptence de bon politicien rime avec menteur ou

    manipulateur . Sa belle mre est candidate indpendante. Conflits de leadership au sein du parti.

    Hadjiya InnaIndpendant

    Proche de la femme du prsident sortant. Grande famille largie , belle sur du leadeur religieux de Gour. Soutiens de certains religieux. Femme mre, joue la carte de la candidate fministe. Supporte par des politiciens des Partis dopposition qui boycottent

    officiellement les lections. Proche des dcideurs de Niamey. Importants moyens financiers et matriels. Plusieurs dons aux femmes.

    Femme seule (mari inconnu). Peu connue, premire candidature fminine. Candidate indpendante, donc sans parti , pas de structure connue. Origine sociale modeste talaka . Peu exprimente en politique.

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    ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 15

    III. La prcampagne : la chasse est ouverte

    Proverbe 2 : Un chasseur nattend pas le jour de la battue pour lever son chien ! El hadj Teela, Prsident local de parti politique.

    La campagne avant la campagneAvant louverture officielle de la campagne lectorale, qui ne dure que 20 jourspour les lgislatives 2009, chaque candidat prpare le terrain et les esprits desmilitants. Ces oprations de charme durent plusieurs mois. Les lections 2004 ontpermis aux militants de connaitre les ambitions de Shadaadi, qui est rest encontact avec la base depuis cette date. Par consquent, la prcampagne pourles lgislatives 2009 a, en pratique, commenc ds la fin des lections de 2004. Cecandidat a en effet continu entretenir de bonnes relations avec les militantsde Gour travers diverses actions concrtes. Les militants rencontrs sesouviennent de quelques bienfaits du candidat Shadaadi. Nous avonsreconstitu la liste dactions concrtes et palpables numres par le candidat lui-mme lors de la campagne, mais aussi par les lecteurs afin de diffrencier lescandidats par rapport ce quils ont fait pour la population . On peut numrer lesquelques cas suivants :

    Contacts tlphoniques permanents avec les militants de base. En effet, letlphone portable est la rvolution des lections 2009. Lavnement ducellulaire dans les villages les plus reculs a chang le type de rapport desmilitants entre eux et entre les militants de base et les candidats. Letlphone est non seulement un moyen de communication entre lecandidat et sa base , mais galement un poste de dpensesupplmentaire pour le candidat : il nest pas rare que des militants, depuisleur village, sollicitent auprs du candidat un peu dunits sur leurtlphone, quand ce nest pas le remplacement de leur ancien appareiltlphonique par un autre plus sophistiqu. Ce nouvel outil, tmoin dundveloppement sans projet (Louvel, 1994 : 196), rapidement appropripar les villageois, permet linvention de nouveaux astuces et piges,ncessaires pour confondre les candidats ou pour communiquerdiscrtement avec eux. Les usages non exhaustifs et discrets du cellulairevont de lenregistrement dune promesse fabuleuse dun candidat (afin dele lui rappeler plus tard) aux petits messages texto pernicieux en passantpar les photos compromettantes et les conversations tlphoniques enactionnant le haut parleur (sans en informer linterlocuteur qui croit parlerdiscrtement)

    La rvolution due la tlphonie mobile a limit voire remplac lesfrquentes visites du candidat sur le terrain, visites auparavant ncessairespour se faire connatre et se rendre disponible. Nanmoins, le candidat ad effectuer de frquents dplacements Gour. Rsidant Niamey,

  • Sa Kaayi ! ou comment se faire lire au Niger

    16 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N103

    Shadaadi sest souvent rendu Gour pour des raisons professionnelles.Chaque dplacement est un vnement qui suscite ncessairement unerunion dchange dinformations entre le cadre du parti venant deNiamey et les militants de base. Ces runions se terminent toujours par undon du candidat : un peu de cola que se partagent les personnesprsentes. Ces rencontres deviennent vite un dlicat exercicedquilibriste : elles donnent au candidat loccasion de rpondre plusieursdolances et dpenses sociales diverses des militants et/ou loccasion deprouver son incapacit rpondre aux sollicitations des militants.

    Ancien employ dONG, courtier en dveloppement en col blanc (Bako-Arifari, 2000 : 43-70) en quelque sorte, le candidat est rompu au langage des projets . Cette exprience lui a permis didentifier et dengocier des financements une dizaine de projets au profit despopulations du dpartement de Gour (sans distinction partisane).Plusieurs exemples de ces projets sont cits par les villageois eux-mmes:o Initiation et ngociation du projet de ralisation de 13 puits villageois

    du type OFEDES dans les dpartements de Gour et de Main Soroafinances par le Programme spcial du Prsident et excut lentrepriseBala (Zinder) ;

    o Accompagnement du projet de Coopration dcentralise pour laCommunaut urbaine de Zinder en partenariat avec une communefranaise ;

    o Identification et appui la mise en uvre dun projet de ralisation de10 puits dans les communes de Gour, Guidiguir et Kazaw enpartenariat avec lONG Eau Vive financ par lUE et excut par uneONG nigrienne base Gour ;

    o Ngociation et appui la mise en uvre du projet de ralisation de 6puits dans les communes de Kell et de Gour en partenariat avec uneassociation franaise cofinanc par plusieurs bailleurs franais etexcut par des entrepreneurs locaux ;

    o Appui la mise en uvre du Projet de 1000 livres et de 5 postesinformatiques au profit de la Radio communautaire de Gour dondune association belge. Ce don servira louverture dunebibliothque et dune salle de formation informatique au profit desjeunes de Gour ;

    o Appui la mise en uvre de Projet de 10 banques daliments pour lebtail fianc par la cellule crise alimentaire de la Primature excut parune association locale ;

    o Consultant formateur dartisans rparateurs de PMH financ par leMinistre de lHydraulique en partenariat avec la Coopration danoiseau Niger.

    Ces offensives clientlistes ont permis au candidat de se faire connatre commeleader et cadre du Parti et de se hisser aux postes de responsabilit au sein de

  • Sa Kaayi ! ou comment se faire lire au Niger

    ETUDES ETTRAVAUX DU LASDEL N103 17

    ses structures dcisionnelles locales8 (RADEP), rgionales (RAR) et nationales(BPN). Il est en outre coordonnateur Niamey de lAmicale des militants RSDressortissants de Gour. Par contre, malgr ses efforts reconnus par la base , il afrauduleusement t vinc du BPN avec la complicit avre des certainsmilitants de Gour. La concurrence et les coups bas se manifestent galemententre les militants de la mme rgion lintrieur dun mme parti. On est bienloin des logiques de programme politique ou dadquation entre poste et choix desmilitants. Tout laisse croire que le clientlisme est la principale motivation decertains acteurs politiques.

    Les primaires : candidat la candidatureProverbe 3 : On ne peut manger un mets chaud avec la main dun autre !

    Hadjiya Aabou, prsident des femmes du PartiSans se dcourager aucunement, Shadaadi a dpos sa candidature auxlgislatives controverses de 2009. Celle-ci consiste en une demande manuscriteadresse au secrtariat du RADEP, accompagne dune somme de 100.000 FCfa.Cet argent est cens prendre en charge les frais dorganisation de la runion dedsignation des candidats ou choix consensuel (zaben reba gardama). Pour les 4postes pourvoir dans la circonscription lectorale de Gour (2 titulaires et 2supplants), il y eut seulement 2 candidats la candidature pour le poste detitulaire et 5 candidats pour le poste de supplant. La composition du couplecandidat/supplant est neutre premire vue, car la liste des candidats dputs estindpendante de celle des candidats supplants. Les candidatures de ShadaadiOusmane et Mouradi Biya furent acceptes lunanimit, tant donn quil yavait seulement 2 candidats pour 2 places. Pour les candidats supplants, il a fallungocier, parlementer, menacer les rcalcitrants afin de convaincre certains de retirer leur candidature au profit des candidats plus porteurs . Cest ainsiquen 4 heures de ngociation/palabre, la liste fut prte. Mr Dansarki (Communede Gour) sera finalement choisi pour suppler Ousmane Shadaadi et MrDagradi (Commune de Kazaw) sera le supplant de Biya Mouradi.Ce choix des militants de base dnote dune stratgie de ratisser large afin detoucher directement un maximum dlecteurs du dpartement et damliorer lescore global du parti. Cependant, on observe que la composition des deux couplescandidats/supplants ne rpond quen partie cette logique. Les deux candidatssont, chacun, de la mme ethnie que leur supplant, tandis que les deux couples(candidats/supplants) reprsentent les deux ethnies les plus reprsentatives dudpartement, car lun est Manga lautre est Peul (ces deux ethnies reprsententplus de 80% des habitants de la rgion). Le souci affich par les candidats etleadeurs est dimpliquer ces deux groupes ethniques afin dviter les sobriquetsrducteurs de petit parti ou parti ethnique9. Mais on peut aussi y dceler une

    8 RADEP (Rassemblement Dpartemental), RAR (Rassemblement Rgional), BPN (BureauPolitique National).9 Justement, le RSD tant localement tax de parti des peuls un certain moment des lections.

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    stratgie de positionnement entre les deux plus grandes ethnies dudpartement. Le fait que le chef du parti soit un peul nest peut-tre pas tranger la grande affluence de candidats peuls dans ce parti. En effet, aucun des 6 autrespartis en prsence Gour ne compte de candidat dorigine peule. Il ny adailleurs jamais eu de candidat de cette origine ethnique depuis lavnement de ladmocratisation malgr leur poids dmographique consquent. Ce curieux intrtspontan de ce groupe ethnique pour la chose politique reste encore analyser.La runion de dsignation des candidats na cependant pas retenu le zonagecomme mode de partage de voix du fait que les candidats sont tous deux de lacommune de Gour. Ce choix est motiv par le fait que Mouradi, candidat favori,bas Niamey, ne sest pas spcialement dplac Gour pour participer larunion. Ne pouvant pas trancher en labsence du principal candidat, lassistancea simplement esquiv la litigieuse question du zonage. Ainsi, en cas de victoire, lesige de dput sera octroy au candidat le plus mritant des deux10, enfonction des efforts dploys. Les membres du bureau local espraient ainsi jouerun rle important pendant la campagne et surtout lors de larbitrage pourlattribution du sige en question. Car les candidats se soumettraient leurarbitrage pour mesurer les efforts du candidat. Afin que ces dcisions ne soientpas contestes plus tard, un procs verbal a t sign en prsence dhuissier dejustice (aux frais de Shadaadi, seul candidat prsent).Il faut souligner qu cette runion, le candidat favori (Mouradi) tait reprsentpar un de ses jeunes neveux, secrtaire du RADEP. Ce dernier tait constammentau tlphone avec son oncle qui lui dictait au fur et mesure les dcisions quilfallait prendre. Cette attitude na pas t bien apprcie par les militants. Il fautsouligner quen labsence du second candidat, les militants ne peuvent enchrir les cots de leurs frais de mission . Ils sont alors rests la merci du seul client prsent qui a largement profit de la situation pour faire montre degnrosit (qualit apprciable en cette circonstance !).

    10 Les militants savent que le RSD na en effet aucune chance dobtenir les deux siges dudpartement de Gour malgr labsence des partis dopposition.

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    IV. La campagne lectorale proprement dite

    Proverbe 4 : Le Nom (la notorit), se paie chrement ! ,Mallam Sani, compagnon du candidat.

    Le zonage, un partage impartial sur le papier !Ds la publication officielle des noms des candidats, et avant louverture de lacampagne lectorale, Shadaadi sest rendu Gour, afin de confirmer sesambitions politiques auprs de certaines personnalits locales que sont les leadersdopinion, personnes localement influentes pouvant rallier plus facilement leslecteurs de leur village. Cest une occasion de solliciter les conseils et le soutiendes chefs coutumiers, des marabouts et autres personnalits localement influentes.Entre-temps, le RADEP a t somm par les instances suprieures du Partidattribuer une zone chaque candidat. Ce procd, appel le zonage, est une clde rpartition des bureaux de vote (une zone) par candidat permettant dviter lesconflits entre les protagonistes en cas de victoire. Le zonage stipule que le postereviendrait au candidat ayant le plus grand pourcentage de voix. Dolimportance stratgique du choix des zones par candidat. Aussi, la tche dedsignation des zones aux candidats a-t-elle t confie un comit ad hoccompos de 5 personnes (1 reprsentant par candidat et 3 membres du bureaulocal). Pour ce faire, le comit a tenu compte des zones dinfluence de chaquecouple candidat-supplant et de leur potentiel lectoral. La division tait quitable sur le papier , car la parit des bureaux de vote tait approximativementrespecte. Les communes de Gour et de Kll avec un total de 197 bureaux devote sont attribues au couple Shadaadi/Dan Sarki alors que les 4 communesrestantes qui totalisent 204 bureaux sont attribues Mouradi/Dagradi. Comptetenu du contexte politique et de la situation des 7 autres partis en comptition, unpronostiqueur averti prdisait : si les deux candidats et leurs supplants mettent dusrieux, le RSD aura srement lun des deux siges de Gour . Nous verrons que cepartage a t llment dclencheur du conflit qui a min les chances des deuxcandidats et de leur parti.

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    Le comit a effectu le zonage en tenant compte de plusieurs facteurs. Lobjectifprincipal est de dlimiter le champ daction de chaque candidat afin dviter lescontestations et les usurpations de titre en cas de victoire. Mais le zonage sertgalement rendre les efforts des candidats plus efficients. Chaque colistier seconcentrant sur une moiti de la circonscription, tous les bureaux de vote serontainsi couverts. Une autre stratgie sous-jacente est dallouer chaque candidat lapartie qui lui est favorable, la moitie dans laquelle il va faire le maximum demoisson . En thorie, toutes ces stratgies sont mises en uvre pour amliorer lescore du parti et si possible gagner un sige. Seuls les intrts du parti priment rptait souvent le secrtaire la jeunesse du RADEP.Cependant, y regarder de prs, il nen est rien, tout semble taill la tte duclient . Lors des multiples discussions en coulisse ou huis clos (Shawara) et dessous-groupes spontans qui se forment notamment pendant les pauses-caf, lespauses prires et autres interruptions orchestres dessein par des participantsmcontents de la tournure des vnements, lintrt des individus et des clansprime nettement.Dans le cas de du zonage, il y a plusieurs enjeux cachs derrire ce partageapparemment neutre. On a vu que les 2 communes de Shadaadi ontapproximativement le mme nombre de bureaux de vote que les 6 communes deMouradi. Mais ce partage occulte la ralit du nombre de votants et le dynamismedes lecteurs (taux dabstention et des bulletins nuls, vote des femmes, etc.). Il nesouligne pas non plus la densit des habitations dans les communes, ni lesdistances entre les villages, ni mme les difficults lies aux terrains (dunes de

    Tableau N2 : le partage des zones entre les deux candidats RSD

    Communes Population Superficiekm2

    Densithts/km2

    Bureaux deVote

    Nombredinscrits

    Goure 56.131 4.274 13 116 14.773

    Kll 48.358 7.158 7 81 13.670

    Shadaadi 104.489 11.432 197 28.443

    Alakoss 19.529 3.312 6 33 3.876

    Gamou 15.414 438 35 30 4.649

    Guidiguir 42.408 2.788 17 60 7.568

    Boune 59.945 4.270 14 81 10.845

    Maraadi 137.236 10.808 204 26.936

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    sable, rseau de pistes, etc.), qui influent sur le taux rel de participation auscrutin.Dautre part, ce zonage ne concerne que les candidats du parti RSD. Il ne tientpas compte de la prsence des candidats concurrents dans les diffrentescommunes. Or le rsultat dun candidat dpend galement de la plus ou moinsgrande prsence des candidats concurrents dans la zone. Tous ces paramtressemblent avoir t ngligs lors de la runion de partage des zones par candidats.En analysant ces diffrents paramtres, nous constatons que Shadaadi est pluttfavoris par les membres du comit de zonage qui clament pourtant leurimpartialit. Le fait quil soit prsent la runion, et les petits cadeaux (ou colade la fte de Tabaski ) discrtement distribue certains militants, ont fortementfavoris ce dernier lors du partage. Nous disions que le candidat Shadaadi vabattre campagne Gour et Kll. Or la commune de Gour (dont la ville deGour) est non seulement plus facile daccs pour les candidats et lesorganisateurs du scrutin, mais elle est plus dynamique, avec des villages plusrapprochs. Les habitants sont plus habitus aux votes, ils connaissent mieux lespartis, les couleurs des bulletins, etc. Cest la ville versus la campagne. Tout paraitplus facile, y compris les fraudes ou le recours aux membres de la CENI11 en casde problme. Cet avantage est cependant diminu par le fait quen ville lesdpenses sont plus importantes et la concurrence plus ardue (pression sur leslecteurs). Cela pourrait, premire vue, quilibrer les chances des candidats.Sauf que les calculs ne sont pas mathmatiques et quen ralit rien nest gagndavance.Nous constatons galement que les communes du Sud sont plus peuples etgnralement plus avantageuses que les communes du Nord. Shadaadi na que lacommune de Gour sur les 3 communes de Sud. Guidiguir et Boun promettentles mmes avantages gographiques que celle de Gour. Shadaadi a prfr laissercet avantage son concurrent. Car ayant pris la commune de Gour, quicorrespond galement au canton de naissance des deux candidats dont Mouradiest prince et candidat malheureux aux lections de chef de canton en 2002,Shadaadi, dorigine modeste proltaire (talaka), coupe ce chef-n de sa basepolitique et coutumire. Il sen est suivi une lutte pre entre les deux camps ausein du mme parti. ct de ce subterfuge, le lot de consolation que constituent les 2 communesdu Sud semble modique aux yeux de Mouradi et de ses supporteurs,majoritairement courtisans (dogari). Ils se sont sentis humilis (walaakanci) etparaissaient inconsolablesLa commune de Kell revient galement Shadaadi alors que les 3 autrescommunes du Nord ont t attribues Mouradi. Mme si le potentiel lectif deKll et de Gour vaut celui des 6 communes restantes, le partage donne un

    11 Commission Electorale Nationale Indpendante, charge dorganiser les lections et reprsentedans toutes les circonscriptions.

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    avantage certain Shadaadi. Car comme dans le Sud du dpartement, au Nord, lacommune de Kll est plus urbaine, que les 3 autres du Nord. De ce fait, lacampagne lectorale Kll semble plus aise que dans les 4 autres communes duNord. En plus, le ministre de RSD, ressortissant de la commune de Kll estnanmoins susceptible de rehausser le score du Parti dans sa zone dinfluence.Cela est dautant plus logique que Shadaadi est Conseiller technique duditministre. Ce facteur semble avoir t oubli par le comit de partage des zones.Kell est une commune majoritairement Manga/Dagra12 mais qui regorge devillages religieux peuls (les Kubl), contrairement aux autres communes du Nordo les Peuls sont plus disperss. Tous ces points taient savamment penss,calculs et ngocis par Shadaadi, mme si le candidat exhibe, en public, safranchise et sa candeur. Mais ses concurrents ne sont pas dupes, ils observent lafinesse du mange.Malheureusement, ces calculs habiles et les espoirs du candidat Shadaadi se sontrapidement estomps. Le premier faux calcul tait d la mconnaissance de laforce adverse : la candidate du MNSD, Mme Mairama Sarki, originaire du cantonde Kll a bnfici dun large soutien des leaders locaux allant du chef de canton, la ministre de la Condition fminine, en passant par des hauts cadres de larmeressortissants de la rgion. En plus, le rcent boycott peul (le daagol pulaaku)(Issaley, 2012 : 392) de certains villages Manga de la commune a t uneconcidence nfaste pour notre candidat qui est de lethnie peule : identifi commecandidat du Pulaaku(et des Peuls) (Boesen, 1997 : 21-47 : Boesen, 1999 : 83-97),Shadaadi ne pouvait conqurir abondamment les voix Manga/Dagra. Il sest alorsconcentr dans les villages peuls connus pour leur faible taux de participation auxvotes. Il esprait que le climat social d au daangol lui serait favorable au moinschez les Peuls de ce canton. Lespoir de sduire llectorat potentiel dun ministrenatif de la commune de Kll a galement du : ce dernier, bas Niamey, napas t trs actif dans les villages. Son poste ministriel ne semble pas d sonpoids lectoral mais plutt un activisme persvrant au sommet du Parti (BEN).Malgr ses manuvres, certaines logiques politiciennes ont chappes Shadaadi,candidat novice en la matire. Dune part, le camarade ministre ntant pascandidat, il prfrait retarder la mont de jeune leaders politique dans la rgion.Dautre part, Mouradi a tout dabord essay de neutraliser les manigances de soncolistier avant de retourner sa veste. Vaincu, il a rsolument prfr battrecampagne contre son parti, balayant dun revers le slogan les intrts du Partidabord , il prfre en effet que le parti perde le sige plutt que de le concder son concurrent. En raison de cette tension (qui va dgnrer), nous navons pas pudiscuter avec le camp adverse, mais nous avons constat une forte rfrence lautochtonie et la citadinit comme faire-valoir de la position de Mouradi.

    12Les Manga et les Dagra seraient des cousins, tous du grand groupe Kanuri : les Manga sont au sudde Gour, les Dagra plus au Nord. Dans ce texte ils seront confondus dans un mme groupeethnique.

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    La mobilisation des ressourcesProverbe 5 : Largent cest bien, les relations [humaines] cest encore mieux !

    Douda, pre dun militant.Dans le contexte nigrien actuel, toute participation une lection rime avec desdpenses importantes. La majorit des acteurs ne sont pas de vritables Bigmen , do les difficults lies la mobilisation des moyens ncessaires lentreprise lectorale. Aussi, le candidat doit-il inventer des stratagmes afin demener bien son entreprise lectorale.

    La gestion du tempsLa gestion du temps est un facteur trs important pour les candidats auxlgislatives. Ladage le temps cest de largent prend toute sa signification.Sachant que la dure officielle de la campagne est de 20 jours calendaires, lescandidats doivent savoir optimiser la dure des runions, prvoir le tempsncessaire aux dplacements entre les villages et surtout minimiser les dures desnombreuses runions du bureau. Car chaque runion implique la fois desdpenses prvues et de nombreuses charges imprvues, mais obligatoires.Pour minimiser ce facteur, les candidats retardent dessein le dmarrage de lacampagne sur le terrain. Cela sexplique par plusieurs raisons. Lexprience amontr que les premiers arrivs ne sont pas les premiers servis. Et en plus, il fautune grande endurance physique et financire pour tenir 20 jours de campagnelectorale intense. Le candidat sollicit par tous (militants, concurrents) risquedpuiser sa rserve financire avant la date fatidique, car tout contact estsynonyme de dpense. Or les investissements des derniers jours sont les plusporteurs.Ce retard est aussi une manire de se faire remarquer par son absence, maisgalement par la mobilisation des foules au moment de larrive du candidat. Eneffet, la perte due au retard dun candidat est compense par lentre triomphale dans la campagne que marque son arrive. Se faire remarquer parson retard est un risque que compensent limportance de sa dlgation , lenombre de voitures mobilises pour laccueil du candidat et le festin offert par cedernier le jour de son arrive. Lidal serait darriver en dernire position et deraliser le plus grand meeting. Cependant, comme la tactique du retard estconnue de tous, elle comporte un risque : force de garder secrte sa datedarrive ou de la retarder le plus possible, un candidat risque de lasser sesmilitants et/ou rater son entre. Il faut dire quune entre modeste est tolrable sile candidat narrive pas trop en retard.Shadaadi est arriv Gour une semaine aprs louverture officielle de lacampagne, son accueil a t pompeux, mais onreux. A ce niveau il avait unavantage sur sont rival, qui tait rest Zinder pour dsavouer le zonage auprsdes instances rgionales du Parti. En plus, ce dernier est arriv nuitamment Gour, sans organis daccueil ni de parade loccasion de son entre dans la

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    campagne . Il faut souligner que les deux candidats ne sont pas dans la mmedisposition. Mouradi na toujours pas digr le zonage qui le prive de son canton(et de ses sujets, lectorat sr). En guise de protestation et de rclamation, sr deson poids lectoral, il refuse de dmarrer la campagne avant lannulation duzonage, ce complot qui le prive de son fief naturel . Alors que Shadaadi veutmarquer lespace de la commune de Gour et surtout dmontrer son aptitude miseen doute par son colistier13. Cet antagonisme entre les deux camps va miner ledroulement de la campagne. Retard et souvent retenu pour rsoudre ce conflit,Shadaadi sest senti oblig de dlguer les visites de certains villages sespartisans. Il est rest la majorit de temps Gour, se limitant des dplacementsdans la commune. Do limportance, pour ce candidat, de pouvoir sappuyer surune quipe de campagne, dote de moyens de dplacements.

    Ressources humainesDans lexpression locale, la campagne lectorale est parfois compare un travailchamptre (gayyaa) o le candidat reprsente le principal bnficiaire des rcoltesescomptes. cet effet, il se doit dinviter les travailleurs pour laider labourer son champ. Les allgories de la guerre (yaaqin zaab) et dumariage/fianailles (zawarci) sont galement employes pour marquer la ncessitde la demande du candidat. Dans tous ses exemples, il y a un bnficiaire finalaid par plusieurs personnes, la demande de celui-ci. Lessentiel est le fait desolliciter une aide en bras valides pour une guerre ou un travail que le candidatne peut accomplir seul mais dont il reste le principal bnficiaire. La dcision dese porter candidat est prise individuellement mme sil doit, au pralable, requrirlavis des ains (comme pour la procdure du mariage). Dans le cas contraire, cesains, soutiens indispensables, peuvent toujours reprocher au candidat de ne lesavoir pas associs la dcision (shawara). Mais si la dcision est reconnue aucandidat, lacte symbolique dinformer et de demander de laide pour laguerre lectorale reste un passage oblig. Il en est de mme pour lexemple delaide aux travaux champtres : mme si la participation est collgiale, la dcisionreste une initiative individuelle, le gain est personnel.Ces exemples montrent bien limportance de lquipe de campagne composesurtout de femmes et de jeunes hommes. Cest galement la justification de la prise en charge financire et de la cola demandes aux candidats, taye parle fait que le candidat dput sera, sil est lu, le seul bnficiaire du sige. La cola et la prise en charge des assistants sont considres comme unminimum dbourser dans le cas dun travail champtre collectif par exemple.Fort de ce constat, Shadaadi a mobilis des comptences complmentaires depuisNiamey, en plus des militants de Gour. Une dizaine de camardes, amispolitiques, promotionnaires, cousins, a t amene Gour pour le soutenir. Ces

    13 Shadaadi implanta des hangars, afficha des drapeaux et posters publicitaires dans tous les quartiersde Gour dans lobjectif essentiel de marquer les lieux.

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    supporters sont majoritairement des tudiants ressortissants du dpartement. Leursoutien est recherch, car ils peuvent non seulement aider battre la campagne,animer les meetings dans leurs villages ou leur groupe dge, mais ils vont aussivoter. Cet lectorat lettr et volontaire a t mobilis par centaines par Larabou,candidat plus nanti.Des missions sont alors organises en direction des villages, des quartiers et decertaines Fada de jeunes. Shadaadi et son supplant, accompagn chacun de sessupporteurs, se sont partag leur zone. Le choix des membres de la mission estfonction des villages visiter. Chacun va dans les villages o il est populaire afinde sensibiliser plus facilement les lecteurs, mais aussi dviter certains litiges oucontentieux lectoraux. Par exemple, Amadou est un jeune commerant en conflitavec de nombreux villageois qui narrivent pas lui rembourser les prts quil leura concds. Il a convoqu trois de ces cranciers en justice. Pour cette raison, il nepeut participer aux meetings dans toute la zone Nord de la commune de Gour.Cest galement le cas dune femme divorce ( la justice) quil ne faut pas amener Kazaway, village de son ancien mari encore mcontent de leur sparation.En plus de ces prcautions, il faut penser ceux qui nacceptent pas de dormirdans certains villages (par peur de sorciers par exemple), ceux qui exigent les frais de mission avant de quitter ou qui exigent plus de temps dans tel ou telautre village en raison de leurs affaires personnelles. Le cas de lenseignant duvillage de Kankan est exemplaire. Il exige de dormir dans ce village afin de revoirune de ses anciennes lves et courtisane, recale aux examens. Cette liste nestpas exhaustive. Nous ne parlerons pas ici de ceux qui prennent, lavance, lesfrais de mission sans effectuer le dplacement, de ceux qui refusent de monterdans un vhicule en mauvais tat, de ceux qui dtournent allgrement les maigresressources du candidat ou de ceux qui supportent plusieurs candidats de partisdiffrentsNous avons vu que ces missions se font au pas de course du fait de la ncessit detoucher le maximum de villages. Les candidats les plus nantis affectent des agents permanents dans les villages importants afin que la consigne de vote ysoit constamment rappele. Ces agents restent dans les villages de leur choixdurant toute la campagne afin d entretenir les villageois et de contrecarrer lescandidats adverses.Dans le mme ordre dide, lexemple de Mallam Adodo, Conseiller communaldu PNDS, est classique. Son parti ntant pas en lice pour ces lections contestespar lopposition, il dcide de prter gnreusement ses lecteurs Shadaadi enchange dune compensation financire. Aprs avoir conclu un accord avec celui-ci, Mallam Adodo reu une meilleure offre de Hadjiya Inna quil accepta. On nesaura pas pour qui finalement ces lecteurs marchandises ont rellement vot.Souvent, ce sont les villageois eux-mmes qui pactisent avec plusieursentrepreneurs politiques pour maximiser leurs gains ou pour viter le risque de mettre tous leurs ufs dans le mme panier , car aucun pronostic nest sr dansce domaine.

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    Les ressources financires, les nerfs de la guerre !Qui peut srieusement chiffrer les cots financiers dune campagne lectorale ? notre avis, aucun candidat ne peut dire exactement la somme dpense, ni mmedonner une estimation fiable. Le candidat observ ne tient pas de cahier dedpenses, il nexige pas non plus de reus pour les achats effectus. Une telleprcaution de bonne gestion ne convient dailleurs pas au contexte de lacampagne : ici, la confiance et le contrle sexcluraient mutuellement. Le candidatreste donc muet sur la question financire lie la campagne, et nous ne pouvonsnous fier qu nos propres estimations. Les proches du candidat valuent lesdpenses lies sa campagne lectorale plus dune dizaine de millions de francsCFA. Ce dernier semble moins nanti que la majorit de ses concurrents. Lorsque,par exemple, Larabou affecte un vhicule 4x4 par commune, Shadaadi na quuneToyota doccasion et un vhicule de ville. Pour pallier cette faiblesse, ce candidata lou 5 vhicules pendant la dernire semaine de la campagne, pour servir audplacement de lquipe de campagne et au transport des lecteurs le jour du vote.Les nombreux vhicules neufs de Larabou sont un impressionnant moyen dedplacement et de communication, car sur chaque voiture sont placards desposters publicitaires gants. Les dplacements de ces vhicules sont en eux-mmesun lment de promotion et de conditionnement. Par manque de moyensfinanciers, Shadaadi a lou des vhicules sur place prix rduit. Ces vhiculeslocaux passent presque inaperus compars ceux venus de Niamey. Mais cettefaiblesse a paradoxalement engendr un avantage inattendu : le fait de louerlocalement a permis au candidat dentrer en contact avec un groupe detransporteurs de la place. travers cette transaction financire, il a recrut denouveaux sympathisants qui profitent, leur tour, de largent de la location.Certains sont devenus dinconditionnels partisans, qui argumentent qu au moinsavec ce candidat, nous avons gagn quelque chose (contrairement celui qui napas lou de vhicule sur place). En plus, dans la ville de Gour, des voixslvent contre la poussire souleve par les incessants ballets des vhicules deLarabou : certains lui attriburent le sobriquet de parti poussire pour signifierla faiblesse du profit financier des populations par rapport aux moyens roulantsquil exhibe.Ce constat est le mme avec les vendeurs de carburant frelat. Par insuffisance demoyens financiers, Shadaadi sapprovisionne en carburant au niveau du marchlocal au jour le jour, tandis que les plus nantis ont prvu une rserve personnellede milliers de litres achets au Nigeria. Pour les mmes raisons queprcdemment, les jeunes vendeurs de carburant penchrent pour Shadaadi.Indpendamment des vhicules et du carburant qui occupent une part importantedu budget de campagne, nous avons constat plusieurs dpenses incompressibles telles que le budget communication14 , la location de motos

    14 Ce qui regroupe les dpenses pour les poster du candidat, les banderoles leffigie du parti, lepavoisement, lappareil de musique et lhymne du parti, etc.

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    lors de laccueil du candidat et du prsident du Parti, lachat de matriel desonorisation et du th pour les veilles des fada sans compter les dons divers enespace (cola).Sans parler de sponsors officiels, ce candidat a bnfici de soutiens financiers deplus dun million de francs CFA, dons de parents de Niamey. Ce montantsouligne combien les paris sur ce candidat sont faibles. Lespoir dun financementmassif de mentors sest rapidement estomp. Cette somme semble drisoire encomparaison des montants reus par ses concurrents, qui ont des contacts avec despersonnalits politiques du Nigeria ou de la Libye. La faiblesse de laide destierces personnes, au niveau local, corrobore lide annonce plus haut : le combatlectoral est une lutte de groupe dans laccompagnement dune dcisionindividuelle du candidat. Combat dans lequel les moyens financiers sont secondspar ce quil convient dappeler le langage de largent ; ce qui est une savantemise en scne laissant croire que le candidat dispose dune surface financiresuffisante. Qui voterait pour un misrable ? sinterroge une lectrice.

    Mettre en scne une richesse supposeComme le souligne Pilon-Le, la gnrosit, attribut du leader, est le fondement de sonprestige. L'obligation de donner constitue une servitude pour le leader, qui l'oblige travailler plus durement et donner tous ce qu'il a produit (Pilon-Le, op, cit.). Lesmoyens tant limits, les candidats dploient des trsors dingniosit pourmatriser les dpenses tout en laissant entendre subtilement quils disposent demoyens financiers intarissables. Ils peaufinent leur communication afin deparatre gnreux tout moment . Ils rivalisent de gnie pour tenir ce rledlicat tout le long de la campagne. Cest probablement lune des raisons quiobligent les candidats retarder leur arrive sur le terrain. Car une fois sur leterrain, il leur est difficile de freiner les innombrables et insupportables dpenses.Certains candidats dsertent le terrain quelques jours tandis que dautres dcrtentdes subterfuges pour se drober leurs chers militants et surtout leurdemandes incessantes dargent. Cependant, la stratgie de fuite risque de devenirprjudiciable au candidat. Car un candidat frileux risque de perdre des lecteurssusceptibles de se tourner vers un concurrent plus prsent, plus accessible.Certaines dpenses rentrent dans la rubrique communication : il sagit parexemple des habits coteux (basins, broderie, bonnet, etc.) qui indiquentexplicitement que le candidat est non seulement prsentable , mais riche. A lieude dire je nai pas dargent , notre candidat dit il me manque de la monnaie ! ou je nai pas de liquide sur moi actuellement! . Une autre manire encore plussubtile demployer ce subterfuge est dallouer une somme importante pour unequelconque dpense en annonant publiquement que cest insuffisant (sousentendant quil pourrait dpenser plus). Par exemple, un candidat a donn lasomme exorbitante de 2.000F un mandant en disant quil voulait donner plus

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    sil avait de la monnaie 15 ; en temps normal, il aurait donn probablement 10fois moins.

    Le contenu du message lectoralProverbe 6 : Cest la bouche [la parole] qui coupe la tte !

    Proverbe Haoussa, paysans du village de KarguriLa rencontre du candidat avec les villageois prend la forme dune une mise enscne invariablement reproduite larrive du vhicule, identifiable auxbanderoles, posters du candidat et effigie du parti. Certains candidats quipentleur vhicule dun haut-parleur qui scande les slogans du parti ou du candidat.Lanimation suffit rassembler les curieux si le parti nest pas implant dans levillage. Dans le cas contraire, les militants du village accueillent la dlgation etsoccupent de runir les habitants afin dcouter les trangers . Cest lune desraisons qui expliquent la prsence de la mme foule chaque rencontre avec lescandidats. Ce fait est soulign par les nombreuses publications du Lasdel. Il sagitdun contrat minimal qui consiste accueillir et couter les arrivants, riende plus. Pour les villageois, en plus de lobligation morale traditionnelledaccueillir les trangers de passage, ils esprent quelques prsents, sans ngligerune relle volont de choisir aprs avoir entendu tous les candidats. Mais lesvillages les plus politiss disent clairement leur choix aux candidats. Les villageoisde Mardou ont ainsi gentiment conduit le candidat du MNSD, expliquant queleurs voix iront Shadaadi qui leur a fait un puits . En dehors de ces cas de fidlit , plutt rares, les candidats animent le dbat devant le groupe devillageois ; ils font leur mlodie (goog). De ce point de vue, si la parole est unearme politique (Thireau & Shu, 2007 : 35-58) en ville, dans les villages reculson constate quen plus, la parole serait une mlodie lectorale.En gnral, la parole est laisse aux trangers ; aprs les salutations et la mise enscne des prsentations , les membres de lquipe talent leurs arguments, unequinzaine de minutes de plaidoirie en langue nationale entrecoupe de slogans duparti. La parole est ensuite donne aux villageois pour poser des questions (tambayooyi). Mais le mot questions en langue nationale, est synonyme de dolances , ce qui rime avec marchandages de voix et pactes . En effet, laphrase posez vos questions se traduit en langues nationales par faites vosdemandes et la formule si je suis lu, je vais faire telles ou telles ralisationsdans votre village dclenche le processus de marchandisation des voix.Pour cette fois, Shadaadi est avantag : habitu des projets de dveloppement, ilest laise avec les runions focus group. Il manie bien les 5 langues locales dontlarabe, il connat le parler villageois . Lavantage de larabe est important, carcest la langue de lIslam et des marabouts du village. Le candidat fait appel auregistre islamique en intercalant quelques expressions en langue arabe pendant la

    15 Gour, un mandant encaisse rarement plus de 10 F CFA 25 F CFA par personne la fois.Rarement 50 F CFA, mais jamais plus de 100 F CFA

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    plaidoirie. En plus, le candidat sait adapter son comportement aux groupesvillageois concerns. Dans les villages peuls, un comportement et une attitudefulaniss sont affichs par le candidat. Il y ajoute les ingrdients de lacommunication interculturelle dcrits par E. Boesen (op. cit.) dans son article surla fulanit : au lieu de dire voter pour moi, car je suis meilleur que les autrescandidats , sa plaidoirie est plus subtile, il tient le discours suivant votez pourmoi, car je suis comme vous . Il sefforce alors de dmontrer cela lors les dbats.Lintervention du candidat au Shollajehol, village emblmatique peul de la rgion,est patante. Sa plaidoirie pourrait tre traduite et rsume comme suit : Je suisvotre enfant, je suis n ici. Vous me connaissez comme moi je vous connais, je suis un peulcomme vous, sauf que je nai pas de vache16 Je mange ce que vous mangez, regardez, jesuis assis sur une natte, pas sur une chaise. En plus, je sais conduire les animaux auxpturages, je sais traire une vache, jen ai mme tt comme le font tous les jeunes bergers, jesais monter chameau, cheval... Je sais puiser de leau pour des animaux. Jai pass desjours travailler dans notre champ, comme vous le faites. Je sais quil y a la scheresse cetteanne, je suis proccup pour moi-mme et pour vous, mes parents cest Dieu qui a faitque je rside Niamey et vous au village, mais nous sommes les mmes. Si je suis lu, je vaisparler de vous lAssemble, puisque je connais vos proccupations ! .Sans nommer spcifiquement un concurrent, Shadaadi laisse comprendre que lamajorit des autres candidats ne savent mme pas traire (ou tter) une vache. Ilnest pas ncessaire que les assertions de Shadaadi soient avres, limportant estde mobiliser la fibre leveur, nomade, broussard (dan kawy) de son auditoire.Il arrive jouer le mme scnario, la mme mlodie, dans les villages kanouri ouhaoussa : Je ne suis pas le meilleur, je suis comme vous ! .Ayant cout une cinquantaine de fois les plaidoiries de Shadaadi, nous avons eulimpression quil arrive ainsi recueillir ladhsion dune part importante de sonauditoire. Son exprience danimateur dONG parait un atout majeur de cettecampagne. Compte tenu de ce succs apparent, ses amis politiques lencouragent visiter le maximum de villages. Il est somm daller teindre les incendiesallums par les autres candidats. Cest pour cette raison quil a anim plusieursmeetings Guididuir, village trs politis et centre semi-urbain et commercial.

    Discours compars : argumentaire ONG contre rhtorique politiqueUn des enseignements tirs de cette campagne est la nette diffrence entre le langage projet de dveloppement et le langage politique. En effet, encoutant les candidats adverses, nous constatons quil y a une grande nuance entreles deux mthodes. Dans le discours des dveloppeurs des annes 1990-2000, lesmthodes participatives sont le leitmotiv, condition indispensable toute

    16 Cette expression/comportement est fortement apprcie par lassistance, car elle traduit lhumilitdu candidat, mais galement sa matrise du parler populaire. Il est connu quaucun leveur peulnaffirme quil possde des vaches, quelle que soit par ailleurs la taille de son troupeau.

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    intervention dONG17. En effet, partir de la fin des grands programmes tatiquesdes annes 1980, lis la politique de l'Etat providence , le Niger a, en 1992labor le Principe directeur de la Politique de dveloppement rural consacrant lapprocheparticipative comme stratgie dintervention. (Rep Niger, 2010 : 45). Cela impliqueune approche participative du dveloppement. Le PNUD atteste, dans sonRapport 1993 sur le dveloppement humain, que la stratgie de la participation dela population devient le problme central de notre poque. Nous avons dj explicitque la forme de la participation peut tre critique, mais le discours, lui, est bienhuil (Allachi, 1999 : 121 ; Olivier de Sardan, 1995 ; 221) Tandis que, dans cettergion du Niger, les populations prfrent les promesses fermes, elles idalisent lesbienfaits dun Etat no-patrimonial dcrit par Jean-Franois Mdard (1991 : 323-353). Le discours dun Etat fort et gnreux semble nettement plus apprci par lespopulations rurales, qui se rfrent encore lpoque de la gratuit des services debase (Bayart, 1992 : 439). Plus expriment que Shadaadi dans ce domaine,Laraabou promettait aux villageois, en cas de vote massif pour lui, le retour lagratuit des soins de sant et de lcole, de la construction de puits sans apportpersonnel des populations, des actions de distribution gratuites de vivres, etc.A linverse, notre candidat, plus expriment dans le domaine du dveloppement,a expliqu aux populations de Farin Ruwa, village situ sur une zone de socle,que leur problme deau ne peut se rsoudre facilement. Les puits ciments nemarcheront pas, il leur faut peut-tre des forages plus coteux comportant desrisques dchec. Par consquent, il ne peut promettre un puits mme sil tait lu.Dailleurs, il affirme quun dput na pas vocation raliser des ouvrages. Parcontre, il promet, en cas de russite, dessayer de trouver la solution idoine avec leconcours des techniciens en la matire et avec la participation des populations. Soubdou galement, Shadaadi a ngativement rpondu au pre dun enfanthandicap moteur qui rclamait lachat dun vlo. Il lui a mme dit quavec leterrain sablonneux du village, lachat dun vlo nest pas une bonne ide. Il y eutplusieurs autres rponses ngatives aux jeunes des villes qui voulaient uneinvitation pour aller en Europe ou aux Etats Unis. des sollicitations semblables, Larabou sengageait et son quipe, dote decahiers, notait les engagements du candidat. Souvent, il demandait aux villageoisde signer leur tour sur le cahier, histoire dacter leurs accords respectifs.Lanalyse des deux comportements ne permet pas daffirmer que lun est juste ethonnte, le second mesquin et incorrect. Ces exemples soulignent simplement queLarabou est en campagne lectorale, il fait de la politique , son objectif premierest de se faire lire. Il aura tout le loisir de penser aux possibilits de rpondre oupas aux dolances des populations plus tard, voire jamais.

    17 Au Niger, le principe directeur de la politique de dveloppement rural qui consacre lapprocheparticipative comme stratgie dintervention a t labor et adopt en 1992. Cest galement lapriode dlaboration du projet de Code Rural.

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    Notons galement une ide qui nous est parue intressante creuser : lespopulations sont-elles dupes ce point ? Si on peut encore abuser de laconfiance des populations dans les villages reculs, dans les villes et sur les axesroutiers, les populations peuvent aisment distinguer entre une promesseinvraisemblable et une promesse digne de foi. Peut-tre que le discours plusnuanc de notre candidat a, malgr tout, pes pour son classement plutthonorable. Mais les aspects les plus visibles sont bien entendu les identitsethniques des candidats ou la mobilisation de cette dernire par les candidas oupar les militants de base.

    La corde ethniqueLidentit des candidats ne permet pas docculter les aspects ethniques, aussibien dans larne politique que dans les conversations prives (Otayek, 2000 :228). Les candidats reprsentent les diffrents grands groupes ethniques dudpartement, comme on la vu. La majorit dentre eux sont Manga/Dagra, etdepuis les indpendances, tous les dputs du Gour sont Manga/Dagra, cequi sexplique par diffrents facteurs : Cest lethnie majoritaire de la zone, mais galement, lethnie qui se

    prvaut de lautochtonie dans la rgion et est apparemment dominante,car ce groupe est majoritaire en terme dmographique et mieuxreprsent en terme politique travers les chefferies de canton,notamment.

    Les communes sont juxtaposes aux cantons qui sont encore grs pardes familles descendantes des primo arrivants Manga/Dagra. Cesfamilles rgnantes se mobilisent fortement pour occuper larnepolitique travers des postes de dput ou de conseiller communal(Hahonou, 2003). Do la raison dune prsence massive des candidatsde cette ethnie.

    Parmi les 14 candidats en comptition, en 2009, il ny avait 1 Arabe, 1 Peul, 1Haoussa, et 11 Manga18. Sil est vrai que les Manga sont majoritaires dans ledpartement, le nombre est peine plus grand que celui des Peuls. Pour ce qui estdes conseillers communaux, la proportion de Manga est la mme. Cela dnoteune forte volont doccupation du terrain politique par un groupe ethnique

    18 Le tableau n1 ne prsente que les 6 candidats crdibles et srieux , les autres ne sont que deshommes de paille , inscrits souvent pour simplement remplir les listes de partis peu ou pasreprsent dans la localit. Nous avons vu que, pour la rgion de Zinder, il fallait 19 candidats (et 19supplants) pour quune liste de parti soient valide. Tous les partis en lice ne sont quitablementreprsents dans toute la rgion. Cest ce qui explique la prsence de candidats peu crdibles pourvalider certaines listes autrement incompltes.

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    donne et une rsistance des autres groupes par les mmes procds du jeupolitique19.Il faut souligner que lidentit ethnique nest quun carte parmi tant dautresfacteurs que les acteurs mobilisent pour faire valoir tel ou tel autre aspect. Cestgalement une notion ambigu du fait quelle nest ni centrale dans les arguments de vote ni compltement marginale. Cest un argument que lesprotagonistes gardent en rserve afin de sen servir en cas de besoin.De plus, limportance de largument ethnique change au cours du processus devote. En effet, si au moment des primaires, lidentit ethnique des candidats estmise en avant, au fur et mesure du droulement de la campagne, dautres arguments deviennent plus importants, notamment les moyens financiers ducandidat, sa rhtorique, ses promesses en cas de victoire, etc. Bref les argumentspolitiques reprennent peu peu le dessus.

    La fentre islamique20

    Lexpression religieuse, en loccurrence lIslam et les pratiques magico-religieuses(traditionnelles) sont largement mobiliss par les candidats et les lecteurs tout lelong de la campagne lectorale. On peut classer lutilisation de la fibre religieuseen trois grandes catgories : les utilisations mystiques, lemploi dune religiositislamique et la communication religieuse.

    Le mysticisme religieux est de loin la plus grande utilisation de la religiondans le cadre de la campagne et mme durant toute la priode delactivisme politique. Le candidat doit se protger la fois contre lesattaques mystiques de ses concurrents qui voudraient lanantir, et contrecelles de ses partisans qui essaieraient de lassujettir et/ou lanantir (pourprendre sa place). P.J. Laurent (2003 : 442) a dcrit cette lutte infernalechez les Mossi du Burkina. cela il faut galement augmenter ses chancesde prvoir et prdire lavenir. Cest une qute permanente qui ncessite unbudget consquent : sacrifices de moutons, lecture du Coran par plusieurstalibs, amulettes porte-bonheurs ou anti-ennemis21, etc. ;

    19 Notons que ce genre danalyse est dlicat si on ne croise pas avec les autres caractristiquessociales et personnelles des candidats et des conseillers. Est-ce les Manga/Dagra ou bien lesressortissants des familles de chef qui sont dominants ? Les autres groupes socio-ethniques disposent-ils de cadres aptes se prsenter ? Etc.20 Nous ne pourrons quentrevoir cette question, trop vaste pour tre approfondie dans le cadre de cetravail.21 Il ny a videmment pas de prix fix pour ces services maraboutiques. Pour lexemple, il fauten moyenne 100.000 FCFA pour la lecture complte du coran par 4 personnes en 6 heures. Le prixmoyen du blier avoisine 50.000 F CFA, la moiti de cette somme. Mais tout est dans unetransaction informelle, tacite, implicite

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    Les connaissances religieuses du candidat doivent lui permettre de discuterde prceptes de lislam, de convaincre les marabouts rticents du fait que lIslam nest pas anti-politique . Il est galement utile de manier desprceptes religieux, des hadiths, des sourates pour sallier les nombreuxlecteurs fortement islamiss . En plus de ces connaissances, qui ne sontpas donnes tous les candidats, il y a un comportement qui sied au bonmusulman , un look islamique qui va de lhabillement aux prires enpassant, bien attendu par les interdits, telle que la boisson alcoolise (enpublic, cela sentend !). Notre candidat, noctambule, a toujours rat lesprires du matin, les lecteurs le lui ont fait remarquer.

    Les Fatiha pour ouvrir et fermer les runions sont dsormais institues, ces minutes de silence sont rentres dans les murs lectorales. Un parlerislamique, des Incha Allah de temps en temps Nous nommons communication religieuse, tout ce qui laisse entrevoir la religiosit ducandidat afin de ratisser llectorat lettr des marabouts, de leurs nombreuxtalibs dociles et, dans certains cas, de leurs pouses.

    Le lieu du culte ou le livre saint ne sont pas spcialement vits. Des runions setiennent souvent la mosque sans que cela suscite des ractions ngatives desparticipants. Le danger peut venir des dbats philosophico-religieux. Si la majoritdes marabouts des villages ne sont que faiblement instruits sur la sciencereligieuse, on trouve depuis quelques annes des intellectuels villageois capablesde tenir des dbats islamiques pousss, et qui sont la terreur des maraboutstraditionnels et des candidats imprudents.

    Le programme politiqueCurieusement, personne ne parle du programme politique des partis, ni mme desobjectifs des candidats. En ralit, le programme politique est le parent pauvre dela campagne lectorale. Dans le cadre des runions animes par Shadaadi, il najamais t question du programme du Parti, ni mme de sa vision politique : lesdbats tournent autour des actions concrtes que le candidat est mesure depromettre.Ces promesses prennent la forme de la parole donne par le candidat en dehorsde toute organisation partisane ou tout programme politique. Ce nest pas leprogramme du parti qui est considr ici, mais la volont du candidat. Do lafaible nuance qui est faite entre les colorations des diffrents partis : personne nefait attention au fait que le parti MNSD soit de droite , le PNDS de gauche ,le CDS et le RSD du Centre . la rigueur, les lecteurs font la diffrence entreles principaux leadeurs politiques. Ils connaissent le passif de chaque chef de parti,mais galement des leaders locaux qui restent le lien entre la base et le sommet.Aussi est-il impossible de choisir un candidat par rapport au programme de sonparti, ce sont les caractres intrinsques du candidat et ses capacits demobilisation en faveur de la zone qui sont mis en exergue.

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    Les tentatives dexplication de ce fait sont nombreuses. Certains, tels que Brvi,trouvent que les Africains sattachent plus aux hommes quaux concepts et auxides (Herskovits, 1965 : 127). Il faut galement dire quil ny a eu aucuneformation des militants pour quils comprennent les notions politiques du Centre,de droite et de gauche. De plus, au cours des deux dcennies de pluripartismepolitique au Niger, aucune dissemblance na t sensible en ce qui concerne lemode de gouvernance entre les partis qui se disent de gauche et ceux qui seveulent de droite. Dailleurs, au village, un chef est apprci en raison de sesqualits personnelles ou de sa descendance. Il ny a aucune rfrence quelconque programme dans cette conception traditionnelle du pouvoir, analyspar Evans-Pritchard, et qui peut tre extrapole aux leaders politiques (Fortes &Evans-Pritchard, 1964 : 4-5). Sans oublier que la comprhension dun programmencessite un minimum de capacit dabstraction et de conceptualisation. Cetexercice thorique nest pas ais chez les populations plus habitues auxarguments concrets, mme si des efforts dapprivoisement des sigles sont soulignspar Gazibo qui parle dindignation en ce qui concerne la symbolique des motset des images des partis (Gazibo, 2002 : 19). Mais cela ne correspond en rien auxprogrammes et aux philosophies des partis.

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    V. Le jour de vote

    Proverbe 7 : la politique cest comme une voiture en panne,le propritaire vous demande : Pardon, pardon, il faut me pousser.

    Il est gentil. Mais une fois quil dmarre, il ne peut pas sarrter[pour couter, remercier ou rcompenser ceux qui lont pouss] !

    Hassimi, sous-prfet de Loga, 1998

    La campagne porte--porteOn a tendance croire que le jour du vote marque le couronnement de toute lalutte lectorale. Cest en thorie un jour de repos pour le candidat et son quipe,car la campagne est officiellement ferme depuis 2 jours. Mais sur le terrain,personne ne fait cas de cette interdiction. Au contraire, pendant ces derniers jours,les candidats peuvent encore manuvrer pour rallier des lecteurs indcis ou lesparesseux. Certains affirment que les deux derniers jours sont les plus dcisifs.Cela est vrifiable sur plusieurs cas. Nous avions dj soulign plus haut le cas dellecteur qui revend ses promesses de vote un second candidat. Il y adautres cas similaires.En effet, la priode lectorale est compare la priode de la moisson par certainspartisans. Cest la priode o les nantis, candidats et autres Big Men (Mdard,1992, 173) sont la porte et la merci des populations rurales. Rares sontceux qui reviennent aux villages aprs les lections. Et quand ils reviennent,seront-ils si attentifs et gnreux ? Les nombreux candidats malheureux (12/14)nauront pas assez de moyens alors que les 2 lus, surchargs de sollicitations,seront inaccessibles du fait de la grosse tte ou effet vertigo , car comme lesouligne le proverbe n7, leur vhicule aura dmarr .Ainsi, certains lecteurs restent ouverts aux propositions des candidats,moyennant toujours un peu de cola . Cette opration de charme des candidatsvise essentiellement les lecteurs des partis concurrents mcontents de leurscandidats, les lecteurs faiblement engags ou les sans-parti quil faut motiver.La principale occupation des candidats les dernires heures de vote est lopration porte--porte , cette campagne au corps corps consiste visiter lesconcessions des lecteurs. Le candidat et ses supporteurs, surtout les femmes,visitent les chefs de famille, demandent leurs appuis, trouvent leurs pointssensibles. Ici, tous les arguments sont employs pour avoir une promesselectorale du chef de famille. En gnral, la promesse prononce en famille esttenue. De ce fait, lopration porte--porte est plus efficace que les grandsmeetings publics. Le porte--porte est une occasion qui permet au candidat et llecteur de crer un lien personnalis, avec une sorte de convention moraledassistance mutuelle. Cette opration pouse galement le protocole des travaux

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    champtres (gayya) ou de la demande en mariage22 (awr), formule qui place lecandidat dans la position dhumble demandeur daide .

    Le vote du candidatLa campagne officieuse nest toujours pas termine. Aprs lopration de porte--porte, le candidat et ses supporteurs se dispersent dans les rues adjacentes auxbureaux de vote afin daccoster discrtement les lecteurs, et leur proposer unesomme pour les rallier leur cause. En moyenne une voix cote 1000 Fcfa.Shadaadi na pas pu procder lachat des voix le jour du vote : il navait plusdargent ce jour-l. Il na pu voter que deux fois seulement23 : une fois dans sonquartier de rsidence Gour, avec sa carte de vote de Niamey et son passeportsur la liste additive (en tant que candidat) et une seconde fois dans son villagenatal avec une 2e carte de vote et son permis de conduire. A chaque fois, sespices didentits, sa carte de vote et son inscription sur la liste sont svrement etabondamment contrles par les membres des deux bureaux de vote. Dans sonvillage natal par exemple, les 3 membres du bureau sont majoritairement desjeunes de partis adverses et les observateurs semblent trs intransigeants. Lobjectifde ces contrles est de prmunir les fraudes chez les candidats ou ses partisansdans ces zones qui lui sont favorables.Aprs lopration de vote, le candidat est cens effectuer des visites de supervisionau niveau de certains bureaux de vote. Notre candidat na visit que 3 bureauxdans les villages du sud de Gour. Au niveau du premier village, le candidat sestcontent de transporter les lecteurs des villages environnants sans sapprocher dubureau de vote. Dans le second village, hameau peul dAdouwahi, lquipe debureau de vote nest arrive au village que vers 10 heures du matin le jour du vote.Le bureau, qui na ouvert ses portes qu 11 h 30, comprend une femme,secrtaire, un jeune sans emploi mais lettr, prsident, et le marabout du village,seul lettr en arabe, assesseur. Sur les 237 lecteurs inscrits, seuls 32 ont vot, dontune seule femme, la secrtaire du bureau de vote. Aucune villageoise na vot ;elles sont occupes par les travaux de mnages et la corve deau lunique puitsdistant quune dizaine de kilomtres. Les hommes sont venus le matin et ontattendu louverture du bureau le vote. Lasss dattendre, ils se sont disperss avecleurs animaux la recherche du pturage, et leur retour est attendu au crpusculealors que le bureau de vote ferme officiellement 18 h.Il y avait un bulletin pour tous les partis en lice. Sur les 32 votants dAdouwahi, ily a eu 5 bulletins nuls, et 21 pour le parti de notre candidat. Un lecteur nous ainforms quil a choisi le le bulletin qui porte la photo du cheval, car il aime les

    22 La formule figurative de demande en mariage est demande de semence qui nest pas loin duregistre des travaux champtre collectifs.23 Ce cas nest pas exceptionnel. Cependant les candidats sont limits du fait quils peuvent se fairefacilement remarquer par les candidats ou les dlgus des partis adverses ; aussi la tche du votemultiple est-elle confie des hommes de main pays en consquence.

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    chevaux, confirmant ainsi dune part, les propos de Gazibo sur le choix desemblmes des partis politiques nigriens et dautre part, lassertion pjorativepartage dans le milieu politique qui soulignent que les Peuls, ou les nomades nevotent pas ! Ce rsultat souligne les difficults diverses lies aux votes en milieu nomade etdans les zones recules o le retard d lacheminent des urnes, par manque deguide ou par ngligence, sajoutent aux obstacles gnraux dj numrs. Celasouligne galement le ncessaire engagement dentrepreneurs politiques pourpallier linsuffisance des efforts de lEtat dans les domaines de formation deslecteurs dans les zones loignes. Mais bien entendu, ces prcautions ne peuventprmunir contre les diffrentes formes de fraudes observes tout au long de la chaine lectorale .

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    VI. Les diffrents cas de fraudes

    Proverbe 8 : la politique cest le mensonge, faut pas mler le Coran la politique !Un jeune militant du MNSD, village de Kaw

    La fraude lectorale, cest quoi mme ?Quoique cela puisse paratre surprenant, il est difficile de circonscrire les diffrentstypes de fraudes observes lors de ces lections. Cette difficult vient du fait que lanotion de fraude lectorale na gure de sens clair, du point de vue des lecteurs.Nous ne sommes pas arrivs percevoir dans les discours des personnesrencontres une limite claire entre ce qui serait une fraude et ce qui ne le seraitpas. Il est significatif quaucun mot en langue nationale ne soit employ pourtraduire lexpression fraude lectorale , alors que des expressions ont tinventes en langue haoussa pour signifier, par exemple, la fraude la douane (fassa-qobri ).Pour ce qui est de la fraude lectorale, les termes de vol (saata), de magouille(maagudi), de malhonntet (munaafutchi) ou simplement de mensonge (qarya)sont employs. D'ailleurs, la population utilise les termes de vote (zaab) et depolitique (siyaassa) comme des termes interchangeables, comme si la politique selimitait essentiellement au vote. On se demande sil ne faut pas revisiter la notiondu le cens lectoral afin de trouver une corrlation entre le niveau de sensibilitpolitique des populations et le droit de vote. Cest dir