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Squence 4 : Phdre de Snque.
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SNQUE - PHDRE, v.173 203
COMMENTAIRE
INTRODUCTION
Snque est un philosophe latin du Ier
sicle aprs J.C., qui entretint des relations
complexes avec les cercles du pouvoir imprial. D'abord conseiller de Caligula, il fut exil par
Claude avant d'tre rappel la demande d'Agrippine, puis devint le prcepteur de Nron. Ce
dernier finit par le condamner mort, et Snque se suicida sur son ordre. Dans toute son
uvre Snque se fait le reprsentant de l'cole stocienne Rome, que ce soit travers ses
traits, ou dans ses Lettres Lucilius ou encore ses tragdies comme Phdre, dont notre
texte est extrait.
Dans Phdre, Snque met en scne lamour coupable et fatal que Phdre, pouse de
Thse, nourrit pour son beau-fils Hippolyte. Cette tragdie permet au philosophe non
seulement de reprsenter la violence des passions sur scne et les consquences fatales
quelles engendrent, mais aussi plus particulirement, dinterroger le rapport que les passions
entretiennent avec la nature. Snque en effet, en tant que membre dune cole philosophique
dont lun des prceptes majeurs est de suivre la nature , invite notamment le spectateur
sinterroger sur ce quil peut y avoir de naturel dans nos passions et sur ce qui peut y avoir de
contre-nature en elles.
Dans l'extrait que nous allons tudier, Phdre et sa nourrice touchent ce problme
dans le dialogue quelles nouent sur lorigine de lamour coupable de lhrone ponyme :
cette dernire est amene voquer la transcendance de la passion qui lanime et contre
laquelle elle ne peut lutter ; sa nourrice au contraire rejette les reprsentations de lamour
comme une divinit implacable, pour faire entendre raison Phdre et la ramener sa
responsabilit face un acte jug comme monstrueux.
LECTURE - MISE EN VOIX
On sera tout particulirement attentif rendre le contraste entre les deux personnages
lors de la lecture. En effet la nourrice est plutt caractrise par un discours parntique
vhment qui cherche mouvoir Phdre pour la ramener la raison, tandis que Phdre
renonce lutter et sabandonne la fatalit de sa passion.
ANALYSE DENSEMBLE DU TEXTE
Comment cet change entre Phdre et sa nourrice est-il structur ?
Cet extrait de Phdre de Snque prsente trois rpliques. On constate que chacune des trois
rpliques est assez longues, ce qui permet chaque personnage de dvelopper ce quil
souhaite.
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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Quelle est la dynamique de cet change ? Qui donne limpulsion au dialogue ? Pourquoi ?
Cest la nourrice qui porte la dynamique de cet change, comme on peut le remarquer avec la
prsence des phrases interrogatives dans ses rpliques, notamment dans la premire : Cur
monstra cessant ? Aula cur fratris vacat ? / Prodigia totiens orbis insueta audiet, /
natura totiens legibus cedet suis, / quotiens amabit Cressa ? . Il sagit pour elle de faire
ragir Phdre, de lui faire prendre conscience de la monstruosit que constitue son amour pour
Hippolyte.
Comment Phdre ragit-elle aux injonctions et aux attaques de la nourrice ?
Malgr les propos forts de sa nourrice, Phdre ne ragit pas avec emportement : elle cherche
rfuter ce quavance son interlocutrice ( Quae memoras scio / vera esse, nutric ; sed furor
cogit sequi / pejora. ) de manire structure et avec des types de phrase qui ne laissent pas
paratre quelle rpond sous le coup de lmotion. En outre, on peut noter quelle parle peu en
son nom propre et aborde un propos plus gnral, qui dpasse son propre cas, comme en
atteste lnonciation du texte.
Quelle inflexion prend alors le dialogue entre Phdre et la nourrice ? De quelle scne
traditionnelle du thtre antique peut-on rapprocher cette scne ?
Le passage dun change ancr dans une nonciation personnelle ( Perge et nefandis verte
naturam ignibus ) un propos plus gnral tend faire de ce dialogue est vritable dbat,
qui se structure autour de deux concepts majeurs, repris dans les diffrentes rpliques : la
natura et le furor . Ce dbat est alors rapprocher des scnes dagn du thtre grec,
lors desquelles le dbat entre deux personnages permet dinterroger les valeurs et les ides de
la cit en les confrontant.
Dans quel sens Snque est-il susceptible dutiliser cette scne dagn ?
On peut imaginer que Snque, en tant que philosophe, sest servi de cette scne dagn pour
structurer un dbat philosophique sur la passion amoureuse ; par ailleurs, il faut rappeler quil
est le fils de Snque le Rhteur, qui tait professeur de rhtorique et qui exerait ses lves
lart de la controverse et du dbat contradictoire.
ANALYSE DE DETAIL DU TEXTE
Une scne de dbat thtral
Quels sont les deux personnages en prsence dans cette scne et quel lien existe entre eux ?
Lextrait choisi met en scne deux personnages : Phdre Phaedra et sa nourrice
nutrix . Le lien qui les unit est fort, puisquil remonte lenfance, mais ne les place pas
dans une situation dgalit. En effet, Phdre est une reine, pouse de Thse, tandis que la
nourrice est une esclave.
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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Une scne de dialogue entre une femme noble et sa nourrice est-elle tonnante dans le thtre
antique ?
Non, les scnes de dialogue entre une femme noble et sa nourrice sont frquentes dans le
thtre antique en gnral, et on en trouve de nombreux exemples dans le thtre de Snque
en particulier (on peut penser aux nombreuses scnes entre Mde et sa nourrice dans Mde
de Snque par exemple). Ce type de scne a notamment pour intrt de jouer sur la double
nonciation : lhrone de la pice, en faisant part sa nourrice des sentiments qui laniment,
informe ainsi le spectateur de son tat motionnel. La nourrice fait alors figure de confidente.
Mais dans cette scne, la nourrice fait-elle figure de confidente ?
On peut certes considrer que la nourrice, en tant quinterlocutrice de Phdre, amne cette
dernire exposer la nature de ses sentiments. Mais loin dadopter une attitude passive,
comme cest souvent le cas dans la tragdie antique, la nourrice cherche inquiter Phdre en
utilisant des impratifs ( perge et verte v.1), et sopposent elle en employant des
questions rhtoriques qui soulignent la monstruosit du comportement de la reine ( Cur
monstra cessant ? Aula cur fratris vacat ? / Prodigia totiens orbis insueta audiet, /
natura totiens legibus cedet suis, / quotiens amabit Cressa ? v. 2 5) ou les illusions que
cette dernire nourrit ( Natum per omnis scilicet terras vagum / Erycina mittit, ille per
caelum volans / proterva tenera tela molitur manu / regnumque tantum minimus e
superis habet ? v. 26 29).
Quelle attitude Phdre adopte-t-elle vis--vis des propos de sa nourrice ?
Dans cet extrait, Phdre soppose sa nourrice, comme lindique clairement le dbut de sa
rplique : si elle accorde du crdit aux propos sa nourrice ( Que memoras scio / vera esse,
nutrix v.5 et 6), cest pour mieux opposer son point de vue par la suite ( sed furor cogit
sequi pejora v.6 et 7). Contrairement cette dernire, elle apparat en effet calme, comme
tend le prouver le type de phrase quelle emploie, exclusivement dclarative.
Peut-on alors dire que Phdre se montre peu ractive vis--vis des propos de sa nourrice ?
Lemploi de phrases dclaratives par Phdre pourrait faire croire un certain renoncement de
la part du personnage, qui ds lors ne ragirait plus et se maintiendrait dans une forme
dapathie. Toutefois, on peut remarquer que Phdre entend bien les reproches de sa nourrice
et y rpond dune certaine manire. Ainsi lvocation de la nature par la nourrice comme
rfrence de lordre ncessaire ( naturam v.1, natura v.4) inspire au personnage
ponyme une comparaison entre ses sentiments et la puissance des lments naturels, qui lui
permet de justifier son amour pour Hippolyte ( Sic, cum gravitam navita adversa ratem /
propellit unda, cedit in vanum labor / et victa prono puppis aufertur vado. v.9 11). Le
vocabulaire politique est lui aussi dtourn : lvocation de la cour ( Aula cur fratris
vacat ? v.2) et des lois ( legibus v.4) par la nourrice succde lide que la passion rgne
en matre ( Vicit ac regnat furor, / potensque tota menta dominatur deus v.12-13).
Quant aux feux de la passion, dont la nourrice demandait Phdre de se dfier ( nefandis
ignibus v.1), ils deviennent sacrs dans la bouche de Phdre, qui y voit la marque du divin
( flammis torret v.15, faces v.16, igne v.19).
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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Lattention que Phdre porte aux mots quelle emploie ne sapplique-t-elle qu la reprise des
paroles de sa nourrice ?
Non, on peut constater que cette attention au langage dpasse ce simple cadre. En effet, la
reine utilise le langage pour insister sur la passion qui lanime comme pour la rendre
incontournable aux yeux de sa nourrice. Le furor est ainsi voqu v.6 ( furor ), v.12
( Vicit et regnat furor , et on notera la place finale du mot dans le vers, postpos aux deux
verbes, qui marque ainsi un phnomne dinsistance), et v.18 ( furentis ) ; de mme
lanaphore de sensit qui revient la mme position des vers 16 et 17 montre bien comme
Phdre fait appel la logique des passions pour justifier son comportement.
Comment la nourrice ragit-elle face cette volont de Phdre de travailler le langage pour
donner raison sa passion ?
On peut observer que la nourrice emploie avec sa matresse le mme procd que cette
dernire. A son tour, en effet, elle reprend les termes de Phdre pour mieux sopposer elle et
chercher lui manifester son erreur. Ainsi elle reprend le terme de furor pour le
dconsidrer ( titulum furori numinis falsi addidit v.25) en lassociant lide
dapparence et derreur (on notera en ce sens lanaphore de finxit v.24 et 31) ; quant aux
ides de nature et de pouvoir que Phdre mettait en avant, elle les reprend pour les carter
rapidement dans une question rhtorique o pointent lironie et la condescendance ( Natum
per monis scilicet terras vagum / Erycina mittit, ille per caelum volans / proterva tenera
tela molitur manu / regnumque tantum minimus e superis habet ? v.26-29).
Ds lors, quel climat cet change cre-t-il dans cet extrait ?
Dans cet extrait, tout semble concourir crer un climat de tension, propre aux scnes dagn
du thtre de lantiquit : la relation personnelle quentretiennent Phdre et sa nourrice et le
dcalage dge et de situation sociale qui existe entre elles ; les injonctions de la nourrice ; les
changes de rpliques fonds sur une utilisation du langage ; et enfin lattitude vhmente de
la nourrice laquelle sa matresse rpond par une matrise de soi et de son langage, qui ne
manifeste que mieux encore le mal qui ronge le personnage ponyme.
Qui part du cas pratique particulier pour aller au cas thorique gnral
Doit-on attendre de cette scne dagn quelle ne soit quun conflit entre Phdre et sa
nourrice ?
Traditionnellement, dans le thtre antique, le conflit reprsent dans les scnes dagn
dpasse le cadre dun conflit entre personnes. Il sagit en effet de reprsenter par
lintermdiaire de ce conflit des problmes collectifs ou universels que peuvent rencontrer les
spectateurs.
Rencontre-t-on dans cet extrait cette forme dlargissement ? Et comment se manifeste-t-il ?
Oui, on retrouve une forme de gnralisation, de dpassement du cas personnel dans cet
extrait, notamment dans lvolution de lnonciation au fur et mesure du discours. La
premire rplique de la nourrice, en effet, est place sous le signe du cas particulier : les
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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impratifs perge et verte (v.1), la deuxime personne du singulier, montrent bien
que cest Phdre que la nourrice sadresse ; par ailleurs, elle fait rfrence sa famille
( fratris v.2) et son origine gographique ( Cressa v.5). Ainsi, mme si lon trouve
dj une forme dlargissement par le biais de la formulation
totienstotiensquotiens (v.3-5), elle demeure nanmoins restreinte une famille
particulire, hors norme, pourrait-on dire.
Phdre adopte-t-elle le mme cadre que sa nourrice ?
Non, on peut remarquer que Phdre fait voluer le cadre que propose sa nourrice dans sa
premire rplique. Si elle emploie la premire personne au dbut de sa rplique ( quae
memoras scio / vera esse, nutrix v.6), elle sen dtache trs rapidement pour employer des
formules qui ne limpliquent plus directement : les sujets des phrases deviennent alors des
instances ou des notions gnrales qui ne sont plus directement rattaches sa personne
( furor v.6, animus v.7, labor v.10, ratio v.12, furor v.12). cela sajoute
un emploi systmatique du prsent de vrit gnrale grce auquel Phdre cherche sopposer
lide quelle est dans une situation hors norme ( Vadit animus v.7, cedit in vanum
labor v.10, Vicit et regnat furor v.12 ; on notera dailleurs le recours insistant
lantposition du verbe par rapport son sujet, qui rappelle les formules proverbiales, elles
aussi reposant sur une gnralisation du propos) : elle suit ainsi des lois naturelles qui la
dpassent et qui sont imposes tous. De mme la comparaison v.9-11 ( Sic, cum
gravitamaufertur vado ) permet la reine de gnraliser son propos. Enfin, lvocation
des dieux sinscrit dans une logique de rfrence commune et transcendance, qui intgre la
situation personnelle de Phdre dans un cadre connu et partag.
Comment la nourrice ragit-elle cette gnralisation ?
Malgr son opposition, on constate que la nourrice dans sa rponse ne remet pas en question
lentreprise de gnralisation de Phdre. Elle reprend ds lors en partie le cadre linguistique
de sa matresse : la deuxime personne du singulier a disparu au profit de notions qui
deviennent sujets de verbes ( libido v.24, animus v.30). On observe toutefois son
opposition dans lusage des temps verbaux : le prsent de vrit gnrale est moqu ( Natum
per omnis scilicet terras vagum / Erycina mittit, ille per caelum volans / proterva tenera
tela molitur manu / regnumque tantum minimus e superis habet ? v.26-29) et cest le
parfait qui est employ ( finxit v.24, addidit v.25, ascivit v.30, finxit v.31).
Cet usage du parfait manifeste chez la nourrice le souhait de ne souscrire lide de la loi
naturelle dfendue par Phdre, mais daffirmer que cette vision transcendante de lamour
repose en ralit sur un temps humain et historique : il ne sagit ds lors plus dune loi
naturelle mais dun ensemble de reprsentations culturelles.
Un dbat philosophique sur la nature de lamour
Peut-on ds lors dire que le sujet de cet agn est le comportement de Phdre ?
Non, il semble que Phdre, par son discours, ait modifi la nature de lagn propos par la
nourrice. Pour ne pas voquer son comportement directement, la reine impose un nouveau
sujet, plus gnral : la nature de lamour.
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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quoi peut-on voir quil sagit du sujet central de lagn entre Phdre et sa nourrice ?
Le champ lexical de lamour est abondant dans cet extrait : ouvert la nourrice avec
ignibus et amabit (v.1 et 5), il senrichit du terme furor , employ plusieurs
reprises par Phdre (v.6, 12 et 18), de lanaphore de sensit (v.16 et 17) et de lvocation,
sous forme de priphrases, de Cupidon, lAmour ail ( Hic volucer v.14, puer v.21 et
Natum v.26) ; enfin libido v.24 vient complter ce champ lexical.
Que nous apprennent les termes employs par Phdre et sa nourrice pour parler de lamour ?
Il peut tout dabord paratre paradoxal ne pas trouver le terme amor employ par lun ou
lautre des deux personnages, et de ne voir le verbe amo apparatre quune seule fois
(v.5). Une des raisons possibles peut tre la volont de Phdre et de sa nourrice de donner une
orientation diffrente la passion ressentie : le terme de furor tend faire de lamour une
passion transcendante et ncessaire, contre laquelle on ne peut lutter (on notera en particulier
que le terme de furor est rcurrent en ce sens dans les tragdies de Snque) ; le terme de
libido au contraire semble faire de cette passion un dsir intrieur, qui relve davantage
des apptits du corps et non dune force extrieure et suprieure.
Un combat entre raison et passion
Lopposition entre les termes employs par Phdre et par la nourrice ne concerne-t-elle que
la dnomination du sentiment amoureux ?
Non, en observant le vocabulaire du sentiment amoureux dans ce passage, on se rend compte
quune autre opposition traverse le texte : les passions sont opposes la raison. Cest
notamment Phdre qui sappuie sur cette confrontation de deux instances en elle, plusieurs
reprises : elle oppose tout dabord la conscience et la connaissance de son tat ( scio vera
esse v.5-6, sciens v.7) au furor qui lanime ( sed furor cogit sequi / pejora ; on
notera par ailleurs le rejet de pejora qui souligne la fois la conscience que Phdre a de
limmoralit de ses sentiments et la fatalit qui la pousse au pire) ; puis reprend cette
opposition dans le vers 12, scind en deux : Quid ratio possit ? Vicit ac regnat furor .
Pourquoi Phdre fait-elle appel cette opposition dans cet extrait ?
Phdre ragit ici aux propos de la nourrice : alors que celle-ci cherche la raisonner, la reine
cherche lui montrer que la raison est vaine. Elle emploie pour ce faire de nombreux
procds : elle affirme ds le dbut de sa rplique que ce recours la raison est vain ( Vadit
animus in praeceps sciens / remeatque frustra sana consilia appetens. v.7-8) ; elle met
ensuite en doute les pouvoirs de la raison dans une question rhtorique renforce par le
subjonctif potentiel ( Quid ratio possit ? v.12) et insiste sur la suprmatie de la passion
travers lexpression tota mente (v.13) ; enfin elle sappuie sur des exemples, issus de la
mythologie, pour conforter sa position : celui de Mars amoureux ( Gravidus istas belliger
sensit faces v.16), de Jupiter ( opifex trisulci fulminis sensit deus v.17), de Vulcain
( et qui furentis semper Aetnaeis jugis / versat caminos igne tam parvo calet v.18-19)
et dApollon ( ipsumque Phoebum, tela qui nervo regit, / figit sagitta certior missa
puer v.20-21).
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Cette opposition entre raison et passion est-elle tonnante ?
Il semble tout dabord que cette opposition entre raison et passion nait rien dtonnant. En
effet, il sagit dun conflit traditionnel dans les tragdies et dans la philosophie antiques
depuis Platon. En ce sens, on retrouve les termes philosophiques gnralement employs pour
thmatiser le conflit : furor (v.6 et 12), animus (v.7), ratio (v.12), mente
(v.13). Toutefois, si lopposition en elle-mme nest pas tonnante, la manire qua Phdre de
recourir cette opposition peut sembler plus paradoxale.
Dans quel sens ce recours lopposition traditionnelle est-elle paradoxale dans cet extrait ?
Lopposition traditionnelle entre raison et passion parat doublement paradoxale dans cet
extrait. Tout dabord, on peut constater que la nourrice, pour ramener Phdre la raison, na
de cesse de chercher la faire ragir en touchant ses sentiments, comme lindiquent les
nombreuses questions rhtoriques ( Cur monstra cessant ? Aula cur fratris vacat ? /
Prodigia totiens orbis insueta audiet, / natura totiens legibus cedet suis, / quotiens
amabit Cressa ? v.2 5 ; Natum per omnis scilicet terras vagum / Erycina mittit, ille
per caelum volans / proterva tenera tela molitur manu / regnumque tantum minimus e
superis habet ? v.26 29) et lusage de lironie et du sarcasme ( Cur monstra cessant ?
v.2 ; scilicet v.26). linverse, il est curieux dobserver les procds et la structure
rhtorique utiliss par Phdre pour plaider sa cause face sa nourrice : loin de donner une
image delle-mme possde par le furor , elle semble au contraire ordonner son discours
avec raison et parfaitement matriser la situation, si bien quon peut demander si elle ne peut
pas ou si elle ne veut pas recourir la raison.
Une rflexion sur la libert et sur la volont
Comment la nourrice ragit-elle face la position de sa matresse ?
La nourrice relve avec aisance les failles de lexpos rhtorique de Phdre : les comparaisons
et les exemples mythologiques auxquels elle a recours ne constitue pas des arguments
valables pour laffranchir dun effort rationnel. Bien au contraire, la nourrice dveloppe lide
selon laquelle la mythologie relve dune fiction ( finxit v.24 et 31) qui conforterait les
hommes dans leur choix daller librement vers le vice ( Deum esse amorem turpis et vitio
favens / finxit libido, quoque liberior foret / titulum furori numinis falsi addidit v. 24
26).
Dans quelle mesure peut-on dire que la nourrice cherche librer Phdre de ses
reprsentations ?
Ds le dbut du passage, la nourrice semble adopter un positionnement qui la rapproche des
philosophes. Elle cherche ainsi convertir sa matresse grce lemploi des impratifs et du
verbe verto ( Perge et nefandis verte naturam ignibus v. 1), et sinscrit dans la
tradition des parnses de la philosophie antique (discours dexhortation et de conseils pour
inciter linterlocuteur changer de mode de vie). Cette exhortation vise librer Phdre du
destin familial (destin marqu notamment par linsistance sur la rptition du
totienstotiensquotiens v.3 5) et de ses reprsentations ( Vana ista demens
animus ascivit sibi / Venerisque numen finxit atque arcus dei v.30-31). A une libert
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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fonde sur le dsir ( Deum esse amorem turpis et vitio favens / finxit libido, quoque
liberior foret / titulum furori numinis falsi addidit. v.23 25), la nourrice oppose donc
une libert fonde sur la volont.
Cette opposition entre deux types de libert est-elle tonnante ?
Mme si elle peut surprendre le lecteur moderne qui voit souvent dans la libert une notion
essentiellement positive, cette opposition entre deux types de libert est rcurrente dans
lantiquit, et notamment dans la civilisation romaine. Ainsi, la licentia , forme de libert
trop permissive, soppose la libertas qui est la marque de lhomme libre autant quil
connat son devoir et les limites que lui impose la vie en socit.
Mais ne peut-on pas dire aussi quau-del des deux types de libert, Snque met en scne
deux conceptions diffrentes de la volont humaine ?
En effet, on peut constater, daprs ce qui vient dtre dit, que la nourrice dfend une
conception du devoir et de la volont humaine selon lesquels il sagit pour Phdre de se
librer de son destin et de manire gnrale de toute forme de transcendance, puisque
lexistence mme des dieux tels quils sont gnralement reprsents est rfute ( Vana isa
demens animus ascivit sibi / Venerisque numen finxit atque arcus dei . v.30-31).
Toutefois, on remarquera que Phdre dfend une autre conception : la volont doit
prcisment sappliquer accepter, en conscience ( scio v.5, sciens v.7), lordre de la
nature (comme invite le penser la comparaison des vers 9 11 : Sic, cum gravatam
navita adversa ratem / propellit unda, cedit in vanum labor / et victa prono puppis
aufertur vado. ), cest--dire ce qui est, ce qui doit tre et ne peut tre autrement.
Ces deux conceptions de la volont ont-elles un lien avec la philosophie stocienne de
Snque ?
Oui, effectivement, la philosophie stocienne a accord une grande importance aux rflexions
sur la libert et la volont : le philosophe doit tre capable de comprendre, daccepter et
dadhrer par un mouvement de sa volont aux vnements prvus par la providence et
lordre naturel de lunivers. De ce point de vue, on peut remarquer la proximit apparente de
la position de Phdre et de sa nourrice avec la position stocienne : il sagit bien pour elles de
suivre lordre de la nature ( Prodigia totiens orbis insueta audiet, / natura totiens legibus
cedet suis, / quotiens amabit Cressa v.3-5 ; Sic, cum gravatam navita adversa ratem /
propellit unda, cedit in vanum labor / et victa prono puppis aufertur vado v.9-11).
Toutefois, la reine semble en ralit utiliser la morale stocienne pour lgitimer sa passion :
contrairement aux stociens qui font de la raison le moyen de comprendre lordre de la
providence et dy adhrer, et de labsence de passions un pralable pour accder cette
comprhension, Phdre revendique ici la force de sa passion ( Vicit et regnat furor v.12).
Comment considrer le recours de Phdre aux exemples mythologiques par rapport la
philosophie stocienne ?
Snque et les stociens considrent que la mythologie traditionnelle doit tre conue comme
une fiction quil faut interprter de manire allgorique. De ce point de vue, la nourrice
semble proche des conceptions stociennes ( Vana ista demens animus ascivit sibi /
Venerisque numen finxit atque arcus dei. v.30-31). Toutefois on notera que contrairement
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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aux stociens, aucune fonction nest accorde ces fictions mythologiques et aucune
interprtation allgorique nest propose.
Peut-on dire en consquence quun des personnages est le porte-parole de la philosophie de
Snque ?
Il parat clair que ce dbat entre Phdre et sa nourrice permet Snque de reprsenter des
lments de la philosophie stocienne. Toutefois, les lments de cette philosophie sont
rpartis de telle sorte entre les personnages quil est complexe de faire dun des personnages
un porte-parole de lauteur : lune et lautre semblent sappuyer sur une argumentation
stocienne pour dfendre leur position. Cest donc au spectateur et au lecteur de dduire un
enseignement de cet agn.
Un recours paradoxal la mythologie
Mais si la mythologie est prsente comme ngative par la nourrice, nest-il pas paradoxal
pour Snque de proposer une tragdie sujet mythologique ?
Les propos de la nourrice peuvent constituer ici une mise en abyme paradoxale de lusage de
la mythologie. En effet, alors mme que cette dernire est dconsidre ( Vana ista demens
animus ascivit sibi / Venerisque numen finxit atque arcus v. 30-31), moque ( scilicet
v. 26) et quelle parat mme favoriser le vice et promouvoir le mensonge ( Deum esse
amorem turpis et vitio favens / finxit libido, quoque liberior foret / titulum furori
numinis falsi addidit. v. 23-25), il peut paratre tonnant de voir cette mme mythologie
reprsente sur scne.
Pourquoi ds lors Snque a-t-il fait ce choix ?
travers les propos de la nourrice, Snque cherche inviter le spectateur et le lecteur
repenser son rapport la mythologie. Il nest pas question de concevoir les mythes comme
des rcits dont on pourrait se contenter du sens littral (cest le sens du sarcasme de la
nourrice : Natum per omnis scilicet terras vagum / Erycina mittit, ille per caelum
volans / proterva tenera tela molitur manu / regnumque tantum minimus e superis
habet ? v.26-29) ; et ds lors les mythes ne peuvent constituer des rfrences quil sagit
dimiter, comme cherche le faire Phdre en se comparant aux diffrentes divinits soumises
lamour ( Gradivus istas belliger sensit faces volitatque caelo pariter et terris
gravis. v.16 22). Ce mcanisme dimitation nest dailleurs pas sans lien avec le
mcanisme de rptition familiale, mis en vidence par la nourrice : Cur monstra cessant ?
Aula cur fratris vacat ? / Prodigia totiens orbis insueta audiet, / natura totiens legibus
cedet suis, / quotiens amabit Cressa ? (v.3-5).
En quoi ce refus de limitation nous invite-t-il rflchir la rception du texte thtral ?
Le texte thtral, comme le mythe, sappuie sur une forme dimitation, de reprsentation de la
ralit sur laquelle repose lillusion thtrale. En insistant sur la ncessit de ne pas voir dans
le mythe une imitation de la ralit et une rfrence imiter, Snque, par un jeu de mise en
abyme, nous incite ne pas faire du texte thtral un rfrence imiter non plus : pas plus que
les rcits mythologiques ne doivent servir de justification aux sentiments coupables de Phdre
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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( Deum esse amorem turpis et vitio favens / finxit libido, quoque liberior foret / titulum
furori numinis falsi addidit. v.23-25), les sentiments de Phdre ne doivent servir de
justification aux vices des spectateurs et des lecteurs. En aucun cas la monstruosit
reprsente ne doit tre rpte ( Cur monstra cessant ? v.2).
Les pouvoirs de la tragdie
Comment le texte thtral peut-il nous aider viter cette rptition ?
En reprsentant les sentiments qui ne doivent pas tre dits (cest le sens premier de nefandis
ignibus v.1) et ce qui droge lordre de la nature ( monstra v.2, prodigia v.3), la
tragdie est susceptible de crer un bouleversement affectif qui conduira le spectateur et le
lecteur modifier sa manire de vivre : cest une des fonctions quattribue Aristote, dans sa
Potique, la tragdie en dveloppant lide que le thtre tragique permet la catharsis des
passions, cest--dire lpuration des passions nfastes.
Cette catharsis nest-elle pas paradoxale au regard de la philosophie stocienne ?
Il peut effectivement paratre tonnant quun philosophe stocien comme Snque, pour qui
labsence de passion conduit la sagesse, sappuie sur le jeu de passions pour guider le
spectateur et le lecteur vers la raison. Ce paradoxe le rapproche de la nourrice qui, elle aussi,
cherche faire ragir Phdre de manire affective par ses impratifs, ses insistances et ses
questions rhtoriques (v.1 5). On peut toutefois sinterroger sur la porte de cette catharsis et
sur loptimisme de Snque concernant lefficacit de la catharsis aristotlicienne : Phdre en
effet reste imperturbable face sa nourrice et le bouleversement affectif attendu na pas lieu.
Quelle fonction Snque accorde-t-il alors cet agn thtral ?
Snque cherche par ce dbat entre Phdre et sa nourrice nous pousser une prise de
conscience, au carrefour de la raison et des sentiments, pour que nous tirions par nous-mmes
les enseignements de cette scne de conflit : il sagit pour nous comprendre au mieux ce que
signifie suivre la nature, cest--dire faire de notre volont le pivot dune adhsion libre
notre condition humaine.
PROPOSITION DE PROBLMATIQUE
Comment Snque sappuie-t-il sur cette scne de conflit thtral pour faire rflchir le
spectateur sur le rle de la volont entre raison et passion et sinterroger sur le pouvoir et les
limites de la fiction ?
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Squence 4 : Phdre de Snque.
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PROPOSITION DE PLAN
I. Une scne dagn tragique
A) Une scne de dbat thtral entre Phdre et sa nourrice B) Qui part du cas pratique particulier pour aller au cas thorique gnral
Transition : Mais par cette gnralisation, Snque ne cherche-t-il pas signifier que le conflit
reprsent nest pas seulement un conflit entre personnes, mais aussi un conflit entre notions
philosophiques ?
II. La reprsentation thtrale de la philosophie de Snque
A) Un dbat philosophique sur la nature de lamour B) Un combat entre raison et passion C) Une rflexion sur la libert et sur la volont
Transition : Mais si la philosophie doit nous librer des mythes, comment comprendre que
Snque ait choisi dcrire une tragdie sujet mythologique ?
III. Une rflexion sur la place de la fiction
A) Un recours paradoxal la mythologie B) Les pouvoirs de la tragdie
CONCLUSION
Dans ce texte, Snque propose un dbat entre Phdre et sa nourrice, linstar de ce
qui est prvu traditionnellement dans les tragdies de lantiquit : Phdre, aprs avoir reu les
reproches de sa nourrice, dfend avec matrise sa cause en dfendant lide quune forme de
transcendance sexerce sur elle et la contraint toute entire ; la nourrice, quant elle, refuse
daccorder du crdit aux rcits mythologiques auxquels sa matresse fait rfrence.
Mais ce dbat est aussi loccasion pour le philosophe de faire rflchir aux conflits
philosophiques quentretiennent la raison et les passions : la passion peut-elle se raisonner,
comme le pense la nourrice ? ou bien relve-t-elle de linluctable, comme semble le
considrer la nourrice ? ces interrogations sen ajoute une dernire, qui fonde le thtre de
Snque : que peut le thtre, que peut la fiction pour maider tre mieux comprendre
comment suivre la nature pour tre plus libre ?
Au-del dun simple dbat entre deux personnages, cest donc une vritable
philosophie du thtre et de ses pouvoirs sur le cur et la pense que Snque met en scne
dans cet extrait qui, aujourdhui encore, fait sens en nous.
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