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LE DIABETE EN GERIATRIE
Dr Thierry Pepersack Service de Médecine Interne Gériatrique
C.H.U.Brugmann Université Libre de Bruxelles
Prévalence élevée du diabète en gériatrie
Le diabète du sujet âgé ne représente pas une entité clinique spécifique. Dans
une minorité de cas, il s'agit d'un diabète de type 1 généralement apparu dans les
premières décennies de la vie et dont le traitement a permis au patient d'atteindre un
âge avancé avec des complications chroniques de sévérité variable. Dans la grande
majorité des cas, il s'agit d'un diabète de type 2 dont on sait que la prévalence
augmente considérablement avec l'âge. En effet, dans les pays industrialisés, le
diabète atteint 1 0 % de la population après 65 ans et 20 % après 80 ans. Plus des 2/3
des patients diabétiques hospitalisés ont plus de 65 ans.
L'âge imprime des particularités à la fois au risque de certaines complications,
aux choix thérapeutiques et aux modalités de surveillance.
Particularités de la régulation glycémique chez le sujet âgé
En l'absence de pathologie, la glycémie à jeun est peu influencée par l'âge. On
admet en général qu'elle s'accroît en moyenne de 2 mg/dl par décennie au-dessus de
40 ans. Par contre, la glycémie postprandiale se détériore davantage. En moyenne, la
valeur mesurée à la deuxième heure d'une épreuve d'hyperglycémie per os s'accroît de
10 mg/dl pour chaque décennie au-dessus de 50 ans.
2 L'effet “diabétogène ” de l'âge s'explique surtout par la réduction progressive de la
sensibilité à l'insuline. Il est bien établi que la captation de glucose en phase
postprandiale se situe surtout au niveau musculaire. Or, le vieillissement, même à
poids constant, s'accompagne d'une diminution du rapport masse musculaire/masse
adipeuse. Alors que chez le sujet jeune, la masse musculaire représente environ 45 %
du poids corporel, ce chiffre s'abaisse à 27 % à 70 ans. De plus, l'accumulation
graisseuse est surtout à localisation intraabdominale ce qui exerce un effet défavorable
sur la tolérance au glucose. Enfin, bien que dans son ensemble la capacité insulino-
sécrétoire soit relativement bien conservée, la réponse insulinique postprandiale
précoce qui joue un rôle important dans la tolérance hydrocarbonée, est retardée par le
vieillissement.
Malgré les effets péjoratifs de l'âge sur la tolérance au glucose, on considère en
général que les critères classiques de diagnostic du diabète restent applicables. En
conséquence ce diagnostic peut être posé (1) sur la base d'une glycémie à jeun > 140
mg/dl observée à deux reprises ou (2) sur base d'une glycémie > 200 mg/dl à la
deuxième heure d'une épreuve d'hyperglycémie per os.
Présentation clinique et circonstances du diagnostic
Le diabète de type 2 se présente rarement sous forme de manifestations franches
d'hyperglycémie traduisant un déficit insulinique sévère (amaigrissement, polyurie,
polydipsie). Il est généralement asymptomatique et est le plus souvent découvert à
l'occasion de complications ou fortuitement lors d'examens de routine. C'est dire que le
diagnostic est habituellement posé avec un retard considérable par rapport au début de
la maladie.
Gravité particulière des complications aiguës du diabète chez le sujet âgé
Décompensation acido-cétosique. Cette complication sérieuse d'un diabète
insulinodépendant revêt évidemment un caractère de plus grande gravité lorsqu'elle
survient chez un patient âgé mais les principes de base du traitement n'en sont pas
modifiés. En l'absence de pathologie associée, surtout cardio-vasculaire ou rénale, le
pronostic d'une telle décompensation devrait encore rester relativement favorable dans
les mains d'un interniste expérimenté.
Décompensation -hyperosmolaire. Cette pathologie est quasi l'apanage des sujets
âgés pour des raisons qui sont liées aux mécanismes physiopathologiques en cause.
Rappelons en les traits principaux : (1) cette décompensation survient le plus souvent
chez des patients atteints d'un diabète léger, généralement méconnu; (2) elle est
favorisée par des facteurs précipitants fréquemment rencontrés chez le sujet âgé
(infarctus myocardique, accident vasculaire cérébral, infections diverses, prise de
médicaments hyperglycémiants tels que les corticoïdes ou les diurétiques... ); (3)
l'installation de l'hyperglycémie est très insidieuse avec peu de symptômes autres
qu'une instuporation lentement progressive qui n'attire pas spécialement l'attention de
l'entourage vu l'âge. L'hyperglycémie peut atteindre des niveaux records jusqu'à 10-30
g/1) en raison de la relative inefficacité du rein à excréter le glucose en excès et de la
déshydratation extrême liée à la polyurie et à la perte de la sensation de soif Des
problèmes d'accès aux boissons sont fréquemment en cause (patients alités, isolés,
immobilisés à la suite d'une hémiplégie ou au décours d'un acte chirurgical, malades
institutionnalisés... ). L'évolution peut s'aggraver pendant des jours, voire des
semaines, aboutissant à un coma hyperosmolaire profond dont la mortalité est de
l'ordre de 50 % même dans les meilleurs centres.
Les complications chroniques du diabète réellement apparues à un âge avancé,
sont en général non spécifiques du diabète, c'est-à-dire non directement liées à
l'hyperglycémie
Il s'agit essentiellement de complications d'athéromatose (infarctus myocardique,
accidents vasculaires cérébraux, artérite des membres inférieurs). Il est bien établi qu'à
âge égal le risque de complications vasculaires est 3 à 4 fois plus élevé chez le
diabétique que chez le non diabétique. Le rôle propre de l'hyperglycémie chronique
n'est cependant pas établi. D'autres facteurs très fréquemment associés au diabète de
type 2 semblent jouer un rôle prépondérant : hypertension artérielle, augmentation du
taux des VLDL avec hypertriglycéridémie, modification de la structure des VLDL
(petites et denses), diminution des HDL, obésité intraabdominale. Le pouvoir
athérogène de ces différentes composantes caractéristiques du syndrome multi-
métabolique (syndrome X) est amplement démontré. Même en l'absence d'accidents
thrombotiques aigus, l'arbre vasculaire du diabétique âgé est souvent altéré conférant
une gravité particulière aux accidents hypoglycémiques iatrogènes possibles.
Lorsque les complications chroniques spécifiques du diabète sont
diagnostiquées chez le sujet âgé, leur date d'apparition est en réalité beaucoup
plus ancienne
Comme le diagnostic de diabète de type 2 est très souvent établi avec retard (en
moyenne 1 0 ans), il n'est pas étonnant que des complications spécifiques du diabète
telles que -la rétinopathie, la glomérulopathie et la neuropathie (qui n'apparaissent
qu'après de nombreuses années de diabète mal contrôlé) soient déjà présentes au
moment du diagnostic.
A la différence des complications de macroangiopathie, l'hyperglycémie joue ici
un rôle direct important.
Complications oculaires. La prévalence de la cataracte chez les patients de plus de 70
ans n'est pas plus élevée chez les diabétiques que dans une population témoin alors
que l'effet favorisant du diabète est nettement apparent chez des patients plus jeunes.
La prévalence de la rétinopathie est de plus de 25 % chez les sujets diabétiques au-
delà de 75 ans. En ce qui concerne les formes graves de celle-ci, les sujets âgés ont
plutôt tendance à présenter des maculopathies que des formes vasculo-prolifératives.
Complications rénales. Leur risque est accru par l'âge en raison : (1) de la plus grande
prévalence d'hypertension artérielle qui exerce un effet aggravant sur la néphropathie
diabétique; (2) de la dégradation physiologique progressive de la fonction rénale avec
le vieillissement et (3) du risque accru d'infections urinaires notamment en cas de
rétention vésicale par hypertrophie prostatique. Il convient particulièrement chez le
vieillard de se méfier du risque d'insuffisance rénale aiguë après exploration
radiologique iodée et d'éviter de prescrire des biguanides en raison du risque d'acidose
lactique.
Neuropathie diabétique. Tous les types de neuropathie diabétique peuvent se
rencontrer chez le patient diabétique âgé avec une plus grande fréquence des formes
amyotrophiques proximales et des formes cachectisantes pseudonéoplasiques. En
présence de problèmes mictionnels, le diagnostic différentiel se pose fréquemment
entre vessie neurogène et hypertrophie prostatique. Signalons également que la
démence d'origine vasculaire est plus fréquente chez les diabétiques et des formes
même mineures de cette pathologie entraînent souvent des troubles de la mémoire et
de l'attention qui perturbent les capacités éducatives.
Pied diabétique. Cette complication combinant le plus souvent une atteinte artérielle et
neuropathique est nettement aggravée par les troubles de la statique et les
déformations osseuses dues à l'âge.
Complications infectieuses. Les complications infectieuses graves sont loin d'être
exceptionnelles chez le diabétique âgé mal équilibré dont le status immunitaire est
souvent déficient. On notera particulièrement la cholécystite sur lithiase, les
candidoses, la tuberculose et l'otite externe maligne (complication redoutable quasi-
exclusivement rencontrée chez le diabétique âgé et due à une infection à gerrnes gram
négatif envahissant l'os et les tissus mous périauriculaires).
Les objectifs et les modalités thérapeutiques doivent impérativement tenir
compte de particularités liées à l'âge
Les objectifs thérapeutiques s'inscrivent évidemment dans une perspective
totalement différente de celle qui prévaut pour le diabétique juvénile de type 1 où le
grand défi est de prévenir ou de retarder le développement des complications pour une
période s'étendant sur 5 à 6 décennies.
Pour le sujet âgé, priorité doit être donnée au maintien de la meilleure qualité de
vie possible. Il faut par conséquent : (1) maintenir ou rendre le patient
asymptomatique; (2) prévenir les complications métaboliques aiguës (notamment le
coma hyperosmolaire); (3) limiter les contraintes diététiques; (4) adopter dans le
traitement médicamenteux hypoglycémiant une stratégie réduisant le plus possible les
risques d'accidents hypoglycémiques compte tenu de leur gravité particulière en
gériatrie. La mise en oeuvre de ce programme devra tenir compte d'une série de
facteurs : présence ou non de complications macro- et microangiopathiques, degré
d'autonomie du patient, qualité de l'entourage, existence d'une pathologie annexe
éventuelle pouvant interférer avec la vie quotidienne du patient et avec ses capacités
d'auto-surveillance et d'auto-traitement.
Organisation et choix du traitement
Les conseils hygiéno-diététiques doivent rester simples. Il faut d'abord insister
sur la nécessité de ne pas sauter de repas en cas de traitement médicamenteux
hypoglycémiant associé (risque d'hypoglycémie). Pour le reste, on limitera simplement
les sucres simples. La restriction calorique, souvent nécessaire, devra toujours rester
modérée (ne pas descendre sous 1500 Kcal/jour. si l'âge dépasse 70 ans). On
conseillera une activité physique régulière adaptée à l'âge (marche, jardinage léger ...
Tout usage de médicaments hypoglycémiants doit rester prudent. Ils ne sont
justifiés que si la glycémie à jeun dépasse 150 à 200 mg/dl.
En ce qui concerne les sulfamidés hypoglycémiants, certaines molécules ou leurs
métabolites actifs sont éliminés par voie rénale de sorte que leur concentration
circulante et leur durée d'action risquent d'être accrues en cas d'insuffisance rénale. Il
faut éviter les molécules à très longue durée d'action comme le chlorpropamide et sans
doute donner la préférence chez le vieillard à celles dont le métabolisme est
essentiellement hépatique sans formation de métabolites actifs à élimination rénale. Il
y a lieu de commencer par des doses faibles (de l'ordre du 1/2 comprimé par jour) et
augmenter très progressivement. Certaines associations médicamenteuses peuvent
favoriser les hypoglycémies. Il s'agit notamment des bêtabloquants (par atténuation
des effets de l'adrénaline sur le débit glucosé hépatique et par altération de la
perception des signes d'hypoglycémie), des sulfamidés anti-infectieux, des fibrates, des
anti-inflammatoires non stéroidiens et des anticoagulants oraux, toutes ces drogues
entrant en compétition avec les sulfamidés hypoglycémiants au niveau de leur liaison à
l'albumine.
La Metformine a l'avantage de ne pas provoquer d'hypoglycémie et de ne pas
favoriser la prise de poids mais son utilisation peut toutefois se compliquer d'une
acidose lactique grave en cas de surdosage ou d'accumulation par insuffisance rénale.
Il convient de mesurer la clairance de créatinine avant d'entreprendre un tel traitement
et il est sans doute judicieux d'éviter ce médicament au-dessus de l'âge de 70 ans. Les
autres conditions contre-indiquant son utilisation sont celles qui favorisent une
hyperlactatémie, à savoir les insuffisances hépatique ou cardiaque, l'insuffisance
respiratoire chronique et l'athérosclérose sévère des membres inférieurs avec risque
d'ischémie aiguë des membres. La drogue doit être arrêtée 3 jours avant l'usage de
produits de contraste iodés, avant une anesthésie générale et en cas d'accident cardio-
vasculaire.
Le recours à l'insulinothérapie s'impose lorsque l'utilisation des hypoglycémiants
oraux (sulfamides seuls ou combinés à la Metfonnine) est contre-indiquée ou incapable
de ramener la glycémie à moins de 200 mg/dl. Cette situation signe en général un
épuisement bêta-cellulaire important comme en témoigne la C-peptidémie basse. On a
le plus souvent recours à deux injections par jour d'insuline. On peut utiliser de
l'insuline retard seule (insulines-zinc ou NPH) soit des mélanges tout faits d'insuline
soluble et retard disponibles en proportion variable. Si le patient n'est pas capable de
faire ses injections lui-même (problème de vue, tremblements, crainte ou refus de
l'auto-injection, etc.), l'entourage familial peut s'en charger. En cas de difficulté, surtout
s'il s'agit de patients vivant seuls, il faut ne pas hésiter à recourir au service d'une
infirmière à domicile. En effet, en plus de l'administration de l'insuline 1 à 2 fois par
jour, celle-ci contrôlera la glycémie et vérifiera au quotidien que la vie du patient se
déroule normalement (alimentation, comportement... ). Cette présence régulière
apporte un grand élément de sécurité. D'une façon générale, le passage d'un
traitement hypoglycémiant oral à l'insulinothérapie est fait beaucoup trop tardivement.
Auto-surveillance du diabète
L'auto-surveillance urinaire (Tes-Tape, Clinistix ..) convient en principe très bien
au suivi du diabète de type 2 chez le sujet âgé pour autant que le seuil rénal ne soit pas
significativement augmenté et qu'on n'ambitionne pas d'obtenir une quasi-
normoglycémie. Les analyses urinaires deviennent cependant difficiles à obtenir des
patients depuis l'avènement des techniques d'auto-surveillance sanguine qui a de loin
leur préférence. Une à deux glycémies par jour, faites au hasard ou au moment d'un
malaise, confèrent en principe une sécurité suffisante mais le coût des tigettes dépasse
souvent les possibilités financières des patients qui ne peuvent actuellement bénéficier
d'une prise en charge de l'auto-surveillance par la sécurité sociale. On n'insistera
jamais assez sur l'importante capitale de l'éducation des patients et de la famille
(régularité des repas, connaissance des symptômes de l'hypoglycémie, effets de
l'exercice physique sur le contrôle glycémique, techniques du resucrage, attitude en cas
de maladie intercurrente, etc.).
Bilan annuel des complications
Les patients diabétiques doivent, quel que soit leur âge, être soumis environ 1 fois
par an à un bilan des complications : FO, ECG, tension artérielle, examen soigneux des
pieds (artères, téguments, ongles, sensibilité), réflexes tendineux, créatininémie,
recherche d'une microalbuminurie et d'une infection urinaire latente.
Les pathologies souvent multiples liées à l'âge conduisent fréquemment à la
prescription de nombreux médicaments qui peuvent interférer avec la régulation
glycémique et favoriser le risque d'hypoglycémie. La liste doit en être régulièrement
réexaminée d'un oeil critique et la sobriété thérapeutique devrait être un souci
permanent.
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