1 l´Ère napolÉonienne dans les arts et l’architecture … · sous le ier empire, le rôle de...
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1 L´ÈRE NAPOLÉONIENNE DANS LES ARTS ET
L’ARCHITECTURE. LE NÉOCLASSICISME
Dans le domaine de la culture, des arts et de
l’architecture en particulier, la politique de Napoléon
Bonaparte est très active et très féconde. Sous le Ier Empire,
le rôle de l’architecture, de la peinture et de la sculpture
est de servir la gloire de Napoléon, la gloire de l’Empire.
Celui qui, dès le Consulat, organise le pays en créant de
nombreuses institutions (le Sénat, la Banque de France, la
Chambre de commerce, la Cour des Comptes, mais aussi les
lycées et le baccalauréat), conçoit la culture en général
comme un instrument politique. À l’instar de beaucoup de ses
prédécesseurs, Napoléon se fait glorifier par les sculpteurs
et les peintres. Dès 1799, l’effigie napoléonienne est
largement exploitée : statues publiques, statuettes, médailles
et tableaux naissent dans les ateliers d’artistes. Fasciné par
la Rome impériale qu’il veut faire revivre, il entreprend la
construction de monuments qui marquent à jamais le visage de
Paris. Dans ce contexte, rappelons la colonne de la Grande
Armée, érigée au milieu de l’actuelle place Vendôme, réalisée
sur le modèle de la colonne Trajane à Rome, l’arc du
Carrousel, reprenant l’organisation architectonique et la
décoration plastique de l’arc de Septime Sévère et l’arc de
Triomphe, plus haut que l’arc de Constantin, mais n’ayant
qu’une seule arche.
Si on veut faire un vrai pèlerinage impérial à Paris, il
faut partir de la rue de Rivoli1, baptisée du nom encore
républicain d’une victoire du Premier Consul, et suivre cette
voie que Napoléon n’a pas pu achever lui-même, mais qui
demeure impériale de style et d’ampleur, pour gagner la place
du Carrousel. C’est là que, descendu de ses appartements des
1 Bourg de la province de Vérone où, en janvier 1797, Bonaparte a vaincu
les Autrichiens.
8
Tuileries (disparus depuis l’incendie de 1871), il passait en
revue la garde impériale. De ces temps, un témoignage demeure:
l’arc de triomphe du Carrousel. Construit entre 1806 et 1808,
il est destiné à célébrer les victoires de Napoléon Ier en
1805. Comme nous l’avons déjà dit, il ressemble
à l’Arc de Septime Sévère à Rome. Des colonnes de marbre rouge
encadrent les trois arcades, et chacune de ses faces est
richement ornée de bas-reliefs rappelant les victoires
impériales. Au sommet, sont placés les quatre chevaux dorés
que Napoléon avait fait enlever de la Basilique Saint-Marc
à Venise, où ils retournent en 1815. Les originaux sont alors
remplacés par des copies, et par la suite, on ajoute un
quadrige avec la statue de la Paix.
Arc de triomphe du Carrousel (Paris)
Mais l’Empereur exige davantage. Il veut perpétuer toutes
les gloires militaires de son règne et fait établir les plans
d’une sorte de porte géante sous laquelle passera toute son
9
armée, s’il arrive à donner à la France la paix dont il a sans
doute parfois rêvé. Mais ses revers le devanceront. La
première pierre est posée le 15 août 1806 (c’est Chalgrin qui
commence la construction), mais on sait qu’il faudra la
Restauration et Louis-Philippe pour venir à bout du projet
grandiose de l’Arc de Triomphe de l´Étoile, cette voûte
triomphale qui couronne l’une des plus belles places du monde,
celle de l’Étoile (aujourd’hui, place Charles de Gaulle).
Terminé en 1836, il a une seule arche et il est plus haut que
l’Arc de Constantin à Rome: il a en effet 50 m de haut et 45 m
de large. Ses faces sont décorées de bas-reliefs dont le plus
connu et le plus beau est celui de François Rude qui
représente le départ des volontaires de 1792, connu sous le
nom de la Marseillaise2. En 1920, on place sous l’Arc le
tombeau du Soldat Inconnu. Ajoutons que si l’on est à Paris
pour le 5 mai, anniversaire de la mort de l’Empereur (1821),
il nous sera possible de constater que le soleil se couche
juste dans l’axe, au-dessus de la dalle où repose le Soldat
Inconnu.
2 Le départ des volontaires de 1792 de François Rude (1784-1885) est l’un
des chefs-d’œuvre de la sculpture romantique française.
10
Arc de Triomphe de l’Étoile (Paris)
Napoléon fait dégager la place de la Bastille et, place
Vendôme, il fait substituer à la statue de Louis XV la colonne
colossale dont le bronze est celui des 1 200 canons pris
à Austerlitz. Elle est érigée entre 1806 et 1810. Une série de
bas-reliefs en spirale, qui la décore, représente des trophées
et des scènes de batailles napoléoniennes. Au sommet, une
statue de Napoléon Ier en César est posée. Cette œuvre de
Chaudet3 est détruite en 1814 et remplacée par la statue
d’Henri IV. Depuis 1866, c’est une copie de l’original de
Chaudet qui contemple les passants.
La monumentale église de la Madeleine est construite sur
le modèle de la Maison Carrée à Nîmes. Napoléon Ier voulait en
faire un temple en honneur de la Grande Armée. En 1814,
l’église est dédiée à Sainte Marie-Madeleine. Parfait exemple
du style architectural néoclassique, elle a la forme et les
structures d’un temple grec: une large base, une volée de
3 Antoine-Denis Chaudet (1763-1810), sculpteur et peintre, représentant du
néoclassicisme français.
11
marches et une colonnade de 52 colonnes corinthiennes de 20 m
de haut. Au fronton, une grande frise, sculptée par Lemaire4 en
1834, représente le Jugement Dernier.
Église de la Madeleine (Paris)
Face à la Madeleine, de l’autre côté de la Place de la
Concorde, se trouve la masse symétrique du Palais-Bourbon,
aujourd’hui, siège de l’Assemblée Nationale française. Édifié
entre 1722 et 1728 par Louise Françoise de Bourbon, fille
légitimée de Louis XIV et de Madame de Montespan, le palais
doit sa façade, construite au début du XIXe siècle par Poyet, à
Napoléon.
La bourse, cette institution qui est au cœur de la vie
financière, doit siéger selon Napoléon dans un édifice
majestueux. C’est lui-même qui choisit son emplacement et
confie à l’architecte Brongniart5 la construction du « Palais
impérial de la Bourse » qui prendra l’aspect d’un temple
antique et qui est aujourd’hui connu sous le nom de Palais
Brongniart.
4 Henri Lemaire (1798-1880), sculpteur et homme politique français. 5 Alexandre Théodore Brongniart (1739-1813) est également chargé, par
Napoléon, de la conception du cimetière du Père-Lachaise.
12
Napoléon décide de construire, à Paris, trois nouveaux
ponts - le pont des Arts, d’Austerlitz et d’Iéna - dont deux
font référence à ses victoires remportées en 1805 (Austerlitz6)
et en 1806 (Iéna7). Désireux de laisser une profonde trace dans
l’histoire de la capitale, il fait aménager de nombreux
espaces verts, comme par exemple le Jardin des Plantes,
embellir le Jardin du Luxembourg et construire des dizaines de
fontaines. L’une d’elles, qui doit célébrer la gloire des
armées napoléoniennes, se trouve au centre de la place du
Châtelet. Pour acheminer l’eau dans Paris, il ordonne la
construction des canaux de l’Ourcq, de Saint-Martin et de
Saint-Denis.
Comme on le voit, l’ombre de Napoléon plane partout dans
Paris. Il est donc très curieux de constater qu’aucune place,
aucune rue ou avenue ne porte le nom de cet homme qui a tant
voulu immortaliser son règne. À l’exception de la rue
Bonaparte dans le sixième arrondissement8.
Dans les environs de Paris, les amateurs de l’ère
napoléonienne ne manqueront certainement pas la visite du
château de Malmaison, situé dans le département des Hauts-de-
Seine, dans la petite ville de Rueil-Malmaison. Le château est
lié surtout au nom de Joséphine9, épouse de Napoléon Bonaparte,
qui l’achète en 1799. L’édifice, datant du XVIIe siècle, est
6 Slavkov u Brna en République tchèque, théâtre de la bataille des Trois
Empereurs qui s’y déroule le 2 décembre 1805. 7 Pendant sa campagne de Prusse et de Pologne, Napoléon bat les Prussiens,
le 14 octobre 1806, à la bataille d’Iéna (actuelle Allemagne). 8 Elle reçoit ce nom sous le Consulat, mais était alors beaucoup plus
courte. Rebaptisée sous la Restauration, en 1816, rue Saint-Germain-des-
Prés, ce n’est qu’en 1852, quelques mois après le coup d’État de Louis-
Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, qu’elle reprend son nom, après
avoir été agrandie. L’actuelle rue Bonaparte réunit en effet les anciennes
portions qui correspondaient à la rue des Petits-Augustins, la rue Saint-
Germain-des-Prés et la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, comme l’attestent
certaines plaques de pierre, encore présentes aujourd’hui dans la rue. 9 Marie Josèphe Rose de Beauharnais, dite Joséphine (née en 1763 à la
Martinique, morte en 1814 à Malmaison), est la première épouse de
Napoléon Ier, de 1796 à 1809. N’ayant pas d’enfant avec elle, Napoléon,
soucieux de fonder une dynastie, décide de la répudier. Après le divorce,
il épouse en 1810 Marie-Louise d’Autriche (1791-1847), fille aînée de
l’empereur François Ier d’Autriche, qui lui donnera un fils, l’Aiglon, né en
1811.
13
remanié entre 1800 et 1802 par les architectes Percier et
Fontaine pour répondre mieux aux goûts de l’époque. C’est
surtout le parc, peuplé d’une flore exotique, qui porte
l’empreinte de l’impératrice. Un cèdre majestueux, dit de
Marengo, planté par Joséphine et Bonaparte l’année de cette
victoire lors de la campagne d’Italie, est la curiosité du
parc.
Les musées en France et dans beaucoup d’autres pays
possèdent une grande quantité d’œuvres d’art représentant
Napoléon, ses exploits militaires, les événements liés à son
époque et même les membres de sa famille. Les portraits de
Napoléon, peints ou sculptés, reflètent la volonté de
l’Empereur d’instaurer le culte de sa personnalité. Ils
témoignent également de la puissance de l’art, ce moyen de
propagande auquel il croyait.
À l’occasion du 210e anniversaire du sacre10 de Napoléon
dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris, l’hebdomadaire Le
Point publie l’article de Jean Tulard, historien et
spécialiste de l’Empire, intitulé Napoléon Ier : le sacre ou la
comédie du pouvoir. Titre qui en dit long sur cette cérémonie
immortalisée par le peintre Jacques-Louis David. Les
dimensions du tableau, dont le titre complet est Sacre de
l'empereur Napoléon Ier et couronnement de l'impératrice
Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, sont
impressionnantes : 6,2 m sur 9,8 m. Il en fallait de la place
pour tout ce monde présent à la cérémonie : la famille
impériale11, les ministres, les dignitaires de l’armée, les
sénateurs, les conseillers d’État, les députés du corps
législatifs, les représentants des départements et… le Pape
(Pie VII) qui a un rôle purement symbolique. Il ne fait que
bénir la couronne, il n’est qu’un simple témoin, car Napoléon
10 Le 2 décembre 1804. 11 À la demande de Napoléon, David a représenté sur ce tableau Madame
Letizia, mère de l’Empereur, alors que celle-ci avait refusé de participer
à la cérémonie.
14
a décidé de se couronner lui-même et de couronner Joséphine.
Selon certaines interprétations, c’est l’aspect anticlérical
de la cérémonie. L’aspect politique de l’œuvre réside dans le
fait que le couple impérial, le Pape, les cardinaux et les
maréchaux sont placés sur le devant de la scène, en pleine
lumière, tandis que les courtisans et la famille, frères et
sœurs, sont placés en arrière, dans l’ombre. Du point de vue
artistique, le tableau marque la fin du néoclassicisme.
Sacre de l'empereur Napoléon Ier et couronnement de l'impératrice Joséphine
dans la cathédrale Notre-Dame de Paris
Présentons maintenant l’auteur du plus grand tableau
(compte tenu de ses dimensions) de l’histoire de la peinture
française. Jacques-Louis David (né en 1748 à Paris, mort en
1825 à Bruxelles où il est enterré) est le chef de file du
néoclassicisme pictural français. Il est connu non seulement
par ses œuvres mais aussi par la violence de ses convictions
révolutionnaires. En effet, en politique David s’engage aux
côtés des plus extrémistes. Élu député de la Convention, il
vote la mort de Louis XVI en 1793. À la chute de Robespierre
15
en juillet 1794, il est emprisonné et c’est de justesse qu’il
échappe à la guillotine. Après la Révolution, il trouve une
nouvelle idole : Napoléon Bonaparte.
L’œuvre pictural de David illustre les rapports ambigus
de la création artistique et de la politique. Néanmoins, elle
est un précieux témoignage d’événements – parfois tragiques –
qui ont jalonné la vie de l’artiste. Dans ce contexte,
rappelons ses tableaux La Mort de Marat12, datant de 1793,
et La Mort du jeune Bara13 (peinture inachevée qui date de
1794). Il nous semble intéressant de citer ici les mots que
Charles Baudelaire a exprimés en 1846 à propos du tableau La
Mort de Marat : « Cruel comme la nature, ce tableau a tout le
parfum de l’idéal. Quelle était donc cette laideur que la
sainte Mort a si vite effacé du bout de son aile ? Marat peut
désormais défier l’Apollon, la mort vient de le baiser de ses
lèvres amoureuses, et il repose dans le calme de sa
métamorphose. Il y a dans cette œuvre quelque chose de tendre
et de poignant à la fois ; dans l’air froid de cette chambre,
sur ces murs froids, autour de cette froide et funèbre
baignoire, une âme voltige » .14
En tant que peintre officiel de l’Empire, David est
chargé de léguer à la postérité des portraits de Napoléon et
des scènes relatant les exploits liés à son règne et à ses
campagnes militaires. Ainsi, entre 1800 et 1803, il peint son
portrait équestre se rattachant à un épisode de la seconde
campagne d’Italie. Ce portrait de propagande existe en
plusieurs versions et a plusieurs titres : Passage du Grand
Saint-Bernard, Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard
ou Napoléon passant le mont Saint-Bernard. On y voit un
général victorieux et intrépide sur un cheval fougueux. Le
12 Jean-Paul Marat (1743-1793) est un journaliste et homme politique, grande
figure de la Révolution de 1789. Assassiné dans son bain par Charlotte
Corday, il devient le martyr, peut-être le plus célèbre, de la Révolution
française. 13 Joseph Bara, tambour de l’armée républicaine, est tué par les Vendéens. 14 Chalumeau, Jean-Luc : Les 200 plus beaux tableaux du monde. Hachette
Livre, Les Éditions du Chêne 2007, p. 254.
16
couronnement de Napoléon devait être commémoré par quatre
compositions. Seulement deux sont réalisées : le Sacre, dont
nous avons parlé, et la Distribution des aigles (1810). Le
tableau, à l’origine intitulé le Serment de l’armée fait à
l’Empereur après la distribution des aigles le 5 décembre
180415, où l’artiste reprend des coutumes des légions
impériales romaines, reflète la fascination de Napoléon pour
la Rome antique, la Rome impériale. Fascination que nous avons
évoquée en parlant des édifices comme la colonne de la place
Vendôme ou encore l’Arc de triomphe du Carrousel.
En 1812, David exécute la commande d’un riche écossais et
réalise un portrait en pied de Napoléon dans son cabinet de
travail aux Tuileries. Il le représente vêtu de l’uniforme
d’officier des grenadiers à pied, arborant les décorations de
la Légion d’honneur et de l’ordre de la Couronne de fer. Les
détails du cabinet de travail sont peints avec minutie. Il y a
tout ce qui évoque l’homme d’État, le législateur et
l’administrateur qui travaille pendant la nuit pour le bonheur
de son peuple : l’horloge marque quatre heures et la bougie
finit de brûler. Le bureau est couvert de papiers, sur l’une
des feuilles, on lit le mot code. La référence au Code civil
est explicite. L’uniforme et l’épée posée sur le fauteuil
soulignent le côté militaire du personnage. Encore un tableau,
dans la série des portraits de propagande, qui sert les fins
politiques de Napoléon. Et il n’est pas le dernier, car les
élèves de David – Gros et Ingres surtout – vont perpétrer la
tradition.
Avant de passer aux œuvres de ces derniers, présentons
encore un tableau très célèbre de David, exposé au Louvre : le
Portrait de Juliette Récamier. Même si elle est restée
inachevée, cette peinture est novatrice, surtout par son
format horizontal qui est, à l’époque, utilisé exclusivement
pour les tableaux d’histoire. Madame Récamier, à demi étendue
15 Le tableau est conservé au Musée de Versailles.
17
sur une méridienne, est vêtue d’une simple robe longue blanche
rappelant une robe antique. Son bas retombe en drapé sur le
sol et coupe ainsi la méridienne. Dans la partie gauche du
tableau, on voit un candélabre de style antique. Le
dépouillement du décor, la robe de la jeune femme, le ruban
dans ses cheveux et le style antique du mobilier répondent à
l’idéal néoclassique. Mais qui est cette personne peinte par
David en 1800 ? Madame Récamier (1777-1849), fille d’un
notaire et épouse d’un banquier est une des femmes les plus
admirées de son temps tant pour sa beauté que pour son salon,
où elle reçoit de nombreux écrivains parmi lesquels Benjamin
Constant et Chateaubriand. Son mari soutient financièrement le
premier consul, Napoléon Bonaparte. Elle est le symbole d’une
bourgeoisie aisée et cultivée ayant un goût raffiné, de
l’ascension sociale de la nouvelle élite qui s’impose après
les horreurs de la Révolution.
Portrait de Juliette Récamier
La peinture napoléonienne a pour rôle de mettre en scène
avant tout les fastes de l’Empire et les exploits de
l’Empereur. Parmi les artistes qui continuent, après David,
18
à exécuter les commandes officielles, deux noms sont
incontournables : Antoine-Jean Gros et Jean Auguste Dominique
Ingres.
Antoine-Jean Gros (1771-1835), élève de David, est le
représentant du néoclassicisme et du préromantisme dans la
peinture française. Il a le privilège d’assister à un
événement historique : la bataille du pont d’Arcole16. Gros
immortalise cet épisode en peignant un portrait idéalisé du
jeune général victorieux. Le tableau Bonaparte au pont
d’Arcole, aujourd’hui exposé au Musée national de Versailles,
est réalisé en 1801. Il influencera de façon considérable la
carrière de son auteur. Bonaparte, satisfait par l’œuvre,
nomme Gros à la tête de la commission ayant pour mission de
sélectionner les œuvres d’art volées par l’armée napoléonienne
qui devaient enrichir les collections du Musée du Louvre17.
Gros continue à édifier la légende napoléonienne par une série
de tableaux contribuant à la célébration de Napoléon. Son
Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, datant de 1804,
met en valeur le côté humain et aussi le courage de Napoléon
qui, en 1799, rend visite à ses soldats atteints de la
terrible maladie de la peste et n’hésite pas à s’approcher
d’eux et à toucher les plaies de l’un d’entre eux. La scène
rappelle les tableaux représentant les actes miraculeux de
Jésus18. Cependant, la réalité historique est beaucoup plus
prosaïque. Pour ne pas mettre en danger sa campagne militaire,
Napoléon aurait demandé d’euthanasier les malades en leur
administrant de l’opium. Le médecin en chef de l’expédition
refuse de le faire. Du point de vue artistique, le tableau,
dont se dégage une grande émotion par le goût de l’exotisme
16 La bataille du pont d’Arcole se déroule en novembre 1796 lors de la
première campagne d’Italie. L’armée française, commandée par Napoléon
Bonaparte y remporte une victoire sur les Autrichiens. 17 Même si le musée est créé sous la Révolution, il ne prend réellement son
ampleur que sous l’Empire et c’est à Napoléon qu’il doit la richesse de ses
collections. 18 Au moment où Napoléon Bonaparte devient empereur, cet épisode évoque la
tradition de guérison des écrouelles par les rois de France, qui recevaient
et touchaient des scrofuleux afin de les guérir.
19
qui s’exprime dans le décor, les costumes et les couleurs et
par l’exaltation de l’individu, annonce, selon certains
spécialistes de l’histoire de l’art, le romantisme dans l’art
pictural.
Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa
Gros a laissé à la postérité une œuvre importante qui
comprend d’autres scènes historiques dont Napoléon Bonaparte
est le protagoniste principal. De la longue liste de ses
tableaux, mentionnons au moins quelques-uns : Bonaparte
distribuant des Sabres d’honneur aux Grenadiers (1803, exposé
à Rueil-Malmaison), La Bataille d’Aboukir (1806, Versailles),
La Bataille d’Eylau (1808, Louvre), La Bataille de Wagram
(1810, château de Grosbois), La Bataille des Pyramides (1810,
Versailles), Entrevue de Napoléon Ier et de François II après
la bataille d’Austerlitz (1812, Versailles). Ses portraits de
grands personnages du régime et de ses plus grands généraux,
comme Lucien et Jérôme Bonaparte, Murat, Lasalle et autres,
sont également très connus. En 1812, le peintre est chargé par
20
Napoléon de décorer la coupole du Panthéon. Sa fresque
représente l’apothéose de Sainte Geneviève, un travail qu’il
n’achève qu’en 1824, tout en étant obligé de modifier ses
intentions artistiques pour satisfaire le roi Louis XVIII.
Gros, tout comme son maître David, a influencé, de
manière très importante les artistes de son époque.
Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) - que l’on
considère parfois comme l’égal de Raphaël19 - est, sans qu’il
le veuille, l’un des initiateurs du romantisme et du réalisme
dans la peinture française. Son œuvre, par les sujets qu’il
traite, est beaucoup plus variée que celle de son compagnon
d’études à l’atelier de David, Antoine-Jean Gros. Trois
principaux sujets l’occupent : l’histoire, les nus et les
portraits. Même si, au début de sa carrière, Ingres veut
devenir un peintre d’histoire, c’est par ses portraits et
surtout par ses nus sensuels qu’il devient célèbre. En 1801,
grâce à son tableau Achille recevant les ambassadeurs
d’Agamemnon, qui fait partie des collections de l’École
nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, il remporte le
Grand Prix de Rome. La bourse du Prix de Rome lui permettra
d’être pensionnaire à la Villa Médicis20 de 1806 à 1811.
Beaucoup plus tard, de 1835 à 1841, il en sera le directeur.
Profondément marqué par ses séjours en Italie, essentiellement
à Rome, mais également en Toscane, Ingres se passionne pour
l’art classique et pour Raphaël.
19 Raphaël (Urbino, 1483 – Rome, 1520), appelé aussi Raffaello Santi ou
Raffaello da Urbino, est une grande figure de la Renaissance italienne.
Peintre et architecte, il a laissé une immense œuvre, dont le fameux
tableau Les Trois Grâces, conservé au Musée Condé de Chantilly. 20 L’Académie de France à Rome est aujourd’hui plus connue sous le nom de
Villa Médicis. Cette institution accueille des pensionnaires, artistes et
chercheurs, de toutes nationalités. Ils se consacrent à tous les champs de
la création littéraire et artistique et de l’histoire de l’art, ainsi qu’à
la restauration des œuvres d’art et des monuments. De nombreux artistes
mondialement connus y ont séjourné ; parmi eux, les peintres François
Boucher, Jean-Auguste-Dominique Ingres, Jean-Honoré Fragonard, le sculpteur
Jean-Baptiste Carpeaux ou les compositeurs Claude Debussy, Hector Berlioz ,
Charles Gounod et bien d’autres.
21
En 1803, le jeune Ingres reçoit la commande d’un portrait
de Bonaparte Premier Consul pour la ville de Liège où ce
dernier passe deux journées en août 1803. En arrière-plan du
tableau, on aperçoit la cathédrale Saint-Lambert de Liège qui,
à l’époque de l’exécution du portrait, n’existe plus. Sa
reproduction serait, selon certaines interprétations de
l’œuvre, le symbole de la restauration de relations
officielles et pacifiques entre la France et la papauté, de
même que de la « protection » de l’Église catholique accordée
par la République suite au concordat de 1801. Le deuxième
portrait de Napoléon, destiné au Corps législatif, date de
1806 (aujourd’hui, au Musée de l’Armée de Paris) et est
intitulé Napoléon Ier sur le trône impérial. Napoléon, en
manteau pourpre et une couronne de laurier sur la tête,
s’identifie aux empereurs romains de l’Antiquité. Les abeilles
dont est parsemé le manteau et l’aigle du tapis sont les
emblèmes choisis pour l’Empire. Le visage grave et solennel,
l’Empereur tient les objets du pouvoir transmis lors du sacre.
On distingue clairement le sceptre avec une statuette de
Charlemagne, la main de justice et une épée qui rappelle la
légendaire épée de Charlemagne, la Joyeuse. La mise en scène
renoue avec les représentations antiques et médiévales de la
souveraineté. Sur le tableau, Napoléon a l’air d’un dieu
austère. Incompris par les contemporains d’Ingres, le portrait
est mal accepté par la critique.
Le plus célèbre nu d’Ingres porte le nom de la Grande
Odalisque21 (1814). En fait, c’est une commande de la sœur de
Napoléon Ier, Caroline Murat, reine de Naples. Commande qui ne
sera jamais payée à cause de la chute de l’Empereur. C’est à
Rome qu’Ingres peint le tableau. En 1819, il l’envoie au Salon
de Paris où son œuvre est violemment critiquée. Aujourd’hui,
en contemplant la beauté majestueuse de ce nu, on se demande
pourquoi, pour quelles raisons il a été jugé si sévèrement.
21 D’origine turque, le mot odalisque désigne une femme de harem.
22
Que lui reproche-t-on ? En réalité, ceux qui le critiquent
n’ont pas compris le style et les intentions du peintre.
Certes, la vérité anatomique est négligée22 – ce qui l’éloigne
du méticuleux David, son maître - mais les lignes allongées et
sinueuses du corps nu créent sa beauté et sa sensualité. Par
contre, les détails des tissus, des bijoux, leur or et le bleu
des draperies, exécutés avec minutie, transportent le
spectateur dans un univers exotique, poétique et mystérieux.
Le même mauvais accueil du public a été réservé au premier
grand nu d’Ingres, La Baigneuse, dite Baigneuse de Valpinçon
(1808). Le Bain turc, qu’il peint à l’âge de 82 ans, est
l’aboutissement de ses recherches sur le thème sensuel des
Baigneuses. Une femme vue du dos, au premier plan du tableau,
apparaît également dans d’autres œuvres comme la Baigneuse de
Valpinçon ou bien dans la Petite Baigneuse (1828).
Le Bain turc
Des portraits réalisés par Ingres, nous avons choisi de
présenter celui de Monsieur Bertin (1832). Louis-François
Bertin était journaliste, homme politique et puissant homme
d’affaires, directeur de journal du temps de la monarchie de
Juillet. Son portrait, à la fois psychologique et social, est
22 Le dos allongé aurait trois vertèbres supplémentaires.
23
aujourd’hui considéré comme l’un des chefs-d’œuvre d’Ingres.
Exposé au Salon de 1833, ce tableau fit une forte impression,
admiré par certains mais incompris par la plupart.
Dans la sculpture néoclassique traitant le sujet
napoléonien c’est un Italien qui excelle : Antonio Canova
(1757-1822). Canova s’inspire des œuvres antiques, ce qui se
reflète également dans des portraits commandés par la famille
Bonaparte. Son portrait idéalisé et sensuel de Pauline
Borghèse23, sœur préférée de Napoléon Bonaparte, est réalisé
entre 1804 et 1808. Pauline Borghèse Bonaparte en Vénus est le
titre complet du marbre. Cette figure féminine à demi allongée
et presque nue correspond au goût de l’époque qui se manifeste
notamment dans le portrait de Madame Récamier par David ou
dans La Grande Odalisque d’Ingres qui font écho, entre autres,
à la Vénus d’Urbin de Titien. Pose qu’Édouard Manet reprendra
plus tard dans son Olympia. La statue fait partie des
collections de la Galerie Borghèse à Rome.
Pauline Borghèse Bonaparte en Vénus
Napoléon en Mars pacificateur est une œuvre colossale qui,
au niveau de la main gauche, mesure 3,45 m. Canova représente
en marbre blanc le dieu Mars dont les traits sont ceux de
Napoléon Ier. Dans ce nu, il reproduit la pose héroïque,
23 La sœur de Napoléon, Pauline épouse en 1803 Camille Borghèse, membre de
l’une des plus prestigieuses familles romaines ayant compté un pape et
plusieurs cardinaux.
24
typique pour les statues du grand empereur romain Auguste. Une
fois finie, la sculpture est refusée par Napoléon qui la juge
« trop athlétique ». Le sort de cette œuvre est intéressant.
D’abord cachée derrière une toile dans la Salle des Hommes
Illustres, après la défaite de Waterloo, le gouvernement
anglais l’achète au Louvre et elle est installée dans la
résidence londonienne du duc de Wellington qui n’est autre que
le vainqueur de la bataille de Waterloo ! Le Musée naval et
napoléonien d’Antibes possède un buste de Napoléon, exécuté
par Canova en 1810. Un autre est exposé au Palais Pitti à
Florence. C’est pour dire que Canova est vraiment le sculpteur
par excellence de Napoléon et de sa famille. Madame Mère
assise sur une chaise est le titre de la statuette
représentant la mère de l’Empereur, Letizia. En ce qui
concerne la posture, l’artiste s’est sans doute inspiré de
celle d’Agrippine assise, statue de la mère de Néron qui fait
partie des collections des Musées du Capitole à Rome.
Justement, même si l’œuvre reçoit un accueil favorable de la
critique lors de son exposition au Salon de 1808, elle
disparaît dans les réserves du Louvre sous prétexte que le
modèle était une mère incestueuse. Avec Marie-Louise, seconde
épouse de Napoléon, Canova s’est montré beaucoup moins
complaisant. Le portrait – image allégorique de la Concorde -
au nez proéminent et aux yeux globuleux qu’il en fait est très
peu flatteur.
Naturellement, l’œuvre de celui qui est considéré comme
le plus grand maître de la statuaire néoclassique reflète les
idéaux et les sujets propres à ce mouvement artistique. Il ne
se consacre pas uniquement à la légende napoléonienne, mais
traite aussi des sujets mythologiques. Au Louvre, on peut
admirer, entre autres, l’une des sculptures de Canova qui
témoigne de la grande virtuosité avec laquelle il travaille le
marbre : Psyché ranimée par le baiser de l’Amour (1793). La
25
délicatesse et l’élégance des formes, l’expression des
physionomies en font un véritable chef-d’œuvre.
L’esthétique néoclassique est représentée par d’autres
sculpteurs parmi lesquels nous avons choisi de présenter
François-Joseph Bosio (1768-1845), surtout parce qu’il est
l’auteur de deux œuvres visibles à Paris : le Quadrige de
l’arc de triomphe du Carrousel (réalisé en 1828), s’inscrivant
ainsi sur la liste des artistes, liés en quelque sorte au nom
de Napoléon, et de la statue équestre de Louis XIV qui orne la
place des Victoires. Le Quadrige de la Paix conduite sur un
char de triomphe a remplacé les Chevaux de bronze de
Constantin Ier qui se trouvaient au-dessus de la porte
principale de la basilique Saint-Marc de Venise. Napoléon
Bonaparte les rapporte en 1798 après sa première campagne
d’Italie. En 1815, après la bataille de Waterloo, la sculpture
est rendue aux Vénitiens.
C’est Louis XVIII qui commande à Bosio la statue de
Louis XIV, son aïeul. L’artiste représente le Roi Soleil en
tenue d’empereur romain, monté sur un cheval cabré. La
sculpture est placée au centre de la place des Victoires en
1822. Le Louvre abrite, entre autres, une statue de Bosio qui,
à l’époque romantique, connaît un énorme succès : Henri IV
enfant.
Place des Victoires (Paris)
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Nous ne pouvons clôturer ce chapitre sans consacrer
quelques lignes au style Empire qui, dans le contexte
napoléonien, nous paraît être incontournable. Créé par Percier
et Fontaine24, ce style porte les empreintes liées à l’histoire
personnelle de Napoléon. En tant que chef militaire, il
participe aux campagnes d’Italie et d’Égypte. Grand admirateur
de la Rome antique, il choisit le titre d’empereur et non pas
celui de roi. Ces aspects se reflètent non seulement dans les
arts plastiques et l’architecture mais également dans le
mobilier, les objets de décoration d’intérieur et la mode
vestimentaire. La référence aux antiquités égyptienne, romaine
mais aussi grecque est tout naturellement la principale
composante du style Empire. Les éléments décoratifs servent à
rappeler la grandeur et la gloire de l’Empereur. La feuille de
laurier, la palme, le casque et le bouclier symbolisent la
victoire, le lion et l’éléphant la puissance souveraine. La
force est exprimée par la figure du guerrier à laquelle est
parfois associée une figure féminine ou la figure de la
sphinge25, vigilante gardienne du régime. D’autres motifs sont
largement exploités : « Renommées » , des créatures ayant des
ailes d’anges et jouant de la trompette, chimères souvent à
tête d’aigle, nymphes, aigles rappelant Rome et l’Empire,
cygnes, dauphins et abeilles, ces dernières étant l’emblème de
Napoléon. Avec l’aigle, les abeilles remplacent la fleur de
lys, emblème de la monarchie de l’Ancien Régime.
Le style Empire, grâce à l’exportation de meubles, de
porcelaine, d’orfèvrerie, de pièces en cristal, en marbre, en
bronze doré, de pendules, de tapis, de papiers peints gagne
bientôt d’autres pays de l’Europe, comme l’Espagne,
l’Allemagne, l’Angleterre et surtout la Russie et il est imité
un peu partout en Europe.
24 Charles Percier (1764-1838) et Pierre-Léonard Fontaine (1762-1853), deux
architectes au service de Napoléon, ont joué un rôle décisif dans la
définition et la diffusion du style Empire. 25 Féminin du nom masculin sphinx.
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