vannes au bas-empire : un castrum

40
Vannes au Bas-Empire : un castrum Le castrum antique de Vannes n’est pas un sujet inédit, car d’autres chercheurs dans le passé l’ont étudié sous différents aspects. En 1887, Guyot-Jomard, dans son étude consacrée aux remparts de Vannes, évoque sommairement le castrum et la première enceinte 1 . En 1927, Jules de la Martinière est sans doute le premier à nous proposer un tracé assez précis de cette enceinte urbaine antique 2 . Pour ce faire, il s’appuie en grande partie sur les connaissances que l’on avait de l’enceinte médiévale de Vannes avant son extension à la fin du 14 e siècle. Il exploite aussi des observations sur le terrain de vestiges antiques, faites par lui et par un certain Dubuisson-Aubenay au 17 e siècle, sur lequel nous reviendrons. Dès lors, il est admis que le tracé du castrum au Nord devait correspondre au tracé de l’actuel rempart médiéval. En revanche au Sud, dans le secteur de la place des Lices, son tracé reste très hypothétique (figure 1). De son côté, Henry Marsille publie en 1982 son ouvrage « Vannes au Moyen-Age », où il propose un plan schématique du castrum et de sa topographie immédiate 3 (figure 2). 55 Abréviations : AFAN : Association BSPM : Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan CAG56 : Carte Archéologique de la Gaule (Morbihan) CeRAA : Centre de Recherches Archéologiques d’Alet CERAM : Centre d’Etudes et de Recherches Archéologiques du Morbihan 1 Alexandre Guyot-Jomard, La ville de Vannes et ses murs, BSPM, 1887, p. 26-176 (avec plans). 2 J. de La Martinière, L’enceinte romaine de Vannes, Mélanges bretons et celtiques offerts à Joseph Loth, Annales de Bretagnes, Rennes, 1927, p. 108-121. 3 Henry Marsille, Vannes au Moyen-Age, BSPM, 1982.

Upload: others

Post on 19-Jun-2022

13 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Vannes au Bas-Empire : un castrum

Le castrum antique de Vannes n’est pas un sujet inédit, car d’autreschercheurs dans le passé l’ont étudié sous différents aspects. En 1887, Guyot-Jomard, dans son étude consacrée aux remparts de Vannes, évoquesommairement le castrum et la première enceinte 1. En 1927, Jules de laMartinière est sans doute le premier à nous proposer un tracé assez précis decette enceinte urbaine antique 2.

Pour ce faire, il s’appuie en grande partie sur les connaissances quel’on avait de l’enceinte médiévale de Vannes avant son extension à la fin du14e siècle. Il exploite aussi des observations sur le terrain de vestigesantiques, faites par lui et par un certain Dubuisson-Aubenay au 17e siècle, sur lequel nous reviendrons.

Dès lors, il est admis que le tracé du castrum au Nord devaitcorrespondre au tracé de l’actuel rempart médiéval. En revanche au Sud,dans le secteur de la place des Lices, son tracé reste très hypothétique (figure 1).

De son côté, Henry Marsille publie en 1982 son ouvrage « Vannes auMoyen-Age », où il propose un plan schématique du castrum et de satopographie immédiate 3 (figure 2).

55

Abréviations :

AFAN : AssociationBSPM : Bulletin de la Société Polymathique du MorbihanCAG56 : Carte Archéologique de la Gaule (Morbihan)CeRAA : Centre de Recherches Archéologiques d’Alet CERAM : Centre d’Etudes et de Recherches Archéologiques du Morbihan

1 Alexandre Guyot-Jomard, La ville de Vannes et ses murs, BSPM, 1887, p. 26-176 (avec plans).2 J. de La Martinière, L’enceinte romaine de Vannes, Mélanges bretons et celtiques offerts àJoseph Loth, Annales de Bretagnes, Rennes, 1927, p. 108-121.3 Henry Marsille, Vannes au Moyen-Age, BSPM, 1982.

Page 2: Vannes au Bas-Empire : un castrum

CHRISTOPHE LE PENNEC

56

Figure 1 - J. de la Martinière, L’enceinte romaine de Vannes, Mélanges bretons etceltiques offerts à Joseph Loth, Annales de Bretagnes, Rennes, 1927, p. 121

Page 3: Vannes au Bas-Empire : un castrum

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

57

Figure 2 - Topographie du castrum antiqueHenry Marsille, Vannes au Moyen-Age, BSPM, 1982, p. 9

Page 4: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Dans les années 1980, Patrick André réactualise le sujet et réaliseplusieurs relevés architecturaux de segments du castrum 4. De mon côté, lors d’un colloque sur le thème de « Vannes et ses soldats » en 1998, j’aiprésenté une communication sur le sujet, demeurée inédite 5. Depuis, notreconnaissance de l’enceinte urbaine médiévale s’est notablement affinée,grâce à la publication de l’ouvrage « Les remparts de Vannes » 6.

Enfin, plusieurs découvertes archéologiques récentes, faites tant dansle quartier Saint-Patern qu’aux abords immédiats du castrum, nous éclairentun peu sur la situation de Vannes au Bas-Empire. Elles révèlent notammentqu’au 4e siècle de notre ère, la ville ne se limitait pas uniquement à uncastrum. Bon nombre de ces découvertes étaient demeurées inédites, faute depublication. Fort heureusement, on ne peut que se réjouir de la parution trèsrécente de l’ouvrage intitulé « Carte archéologique de la Gaule » consacré audépartement du Morbihan, qui vient ainsi corriger cette lacune 7.

Introduction

C’est à la fin du 1er siècle avant notre ère, sous le règne de l’empereurAuguste, que la décision est prise d’implanter une ville sur le site de Vannes 8.Elle va devenir quelques décennies plus tard le chef-lieu de civitas desVénètes. A ces origines, elle porte un nom gaulois : « Darioritum », dont laterminaison ritum qui signifie « gué » évoque un aspect important de satopographie. Durant l’antiquité, le site se composait en effet de trois collines

CHRISTOPHE LE PENNEC

58

4 Patrick André, Les remparts de Vannes, compléments, BSPM, 1981, p. 7-13 (avec dessins).A propos d’un « petit pan de mur », Vannes, ville romaine de garnison, Bulletin des Amis deVannes, n°12, 1987, p. 20-26. Le rempart romain de Vannes et la défense de la ville au Bas-Empire,Actes du colloque sur les remparts de Vannes, Les Amis de Vannes, 1988, p. 7-19. La défensede la ville au Bas-Empire (IIIe s. - Ve s.), Histoire de Vannes et de sa région, 1988, p. 29-35.5 Christophe Le Pennec, Vannes au Bas-Empire, un castrum, Actes du colloque « Vannes etses soldats », Université Catholique de l’Ouest (Arradon), 1999 (inédit).6 Claudie Herbaut, Gérard Danet, Christophe Le Pennec, Les remparts de Vannes, découverted’une ville fortifiée des origines à nos jours, Edition Ville de Vannes, 2001. Une nouvelle éditiona été actualisée, revue et corrigée en 2008. 7 Patrick Galliou, Carte archéologique de la Gaule : Morbihan 56, coédition Maison des sciencesde l'homme (Paris) et Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, janvier 2010, 445 pages.8 Christophe Le Pennec, Les origines antiques de Vannes (Darioritum), ébauche deméthodologie, BSPM, 1998, Tome 124, p.45. Carte Archéologique de la Gaule : Morbihan (56),Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2009, p. 342-343.

Page 5: Vannes au Bas-Empire : un castrum

formant une dépression, où le flux maritime pouvait remonter : c’est l’actuelquartier de la Préfecture. Il s’agit donc ici d’un point de jonction entre lavoie terrestre la plus au sud et un fond de ria accessible à la navigation. AuHaut-Empire, la ville s’étend sur la colline de Boismoreau et connaît àquelques nuances près le même schéma de développement et de prospéritéque les autres cités armoricaines.

1. La crise profonde de la fin du 3e siècle

Peu après le milieu du 3e siècle de notre ère, des menaces d’invasionssurgissent aux frontières Est et Nord de la Gaule romaine, et créent un climatde terreur. Les courants commerciaux sont menacés et on assiste par ailleursà une désorganisation du système agricole. Cette crise profonde qui secouel’Empire, vient aggraver une situation économique et politique déjà précaire.En Gaule, devant la faiblesse du pouvoir central, une révolte est engagée par Postume en l’an 260, qui prend le pouvoir avec l’accord des grandspropriétaires terriens. Quatre usurpateurs gaulois vont se succéder : Postume,Marius, Victorin et Tétricus. Durant quatorze années, ils vont s’efforcer delutter contre les envahisseurs, tels les Saxons et les Frisons, pour rétablir unclimat propice au commerce et au maintien des structures de la société.

En Armorique, cela ne va pas suffire à rassurer les populations et onassiste à la fin du 3e siècle à un mouvement de panique et à un déclin desactivités agricoles 9. Deux phénomènes, attestés par des découvertes archéo -logiques, illustrent parfaitement cette situation : il s’agit de la multiplicationdes enfouissements monétaires et de l’abandon des agglomérations du Haut-Empire. Darioritum n'échappe pas à cette réalité.

DES TRÉSORS MONÉTAIRES ENFOUIS :

En 1681, une trouvaille de 50 000 monnaies non loin de Vannes, estdécrite une première fois par Pierre Hévin, avocat au Parlement de Bretagne, dans le Journal des Savants. En 1878, lors de séance de la SociétéPolymathique, elle fait l’objet d’une communication par Alfred Lallemand10.

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

59

9 Dominique Marguerie, Loïc Langouet, Le déclin des activités agricoles au Bas-Empire enArmorique, corrélation des données palynologiques et archéologiques, Les Dossiers du CeRAA,n°23, 1993, p. 109-113.10 Alfred Lallemand, Trésor de 50000 médailles trouvées en 1681, BSPM, 1878, p. 241 et246/247.

Page 6: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Voici un extrait de son propos :

« 1. Cette quantité prodigieuse de monnaies était sans doute destinéeau paiement de quelques troupes.

2. Ce trésor a été enfoui environ l’an 260 de notre ère, les effigies dePostume (260-267) étant les plus récentes de celles qui marquaient cesmonnaies et les plus anciennes étant de Caracalla (211-217) ».

Ce trésor monétaire aurait été trouvé à trois lieues de Vannes, soit àenviron une douzaine de kilomètres, et non loin du rivage de la mer. Cesmaigres indications conduisent Alfred Lallemand à localiser cette trouvailleà proximité de la borne votive découverte à Lescorno en Surzur 11. Exhuméeen 1835, cette borne est dédiée à l'empereur Victorin (268-270). En 1816, unautre dépôt de 3 000 monnaies était mis au jour à Vannes, et dont l’enfouisse -ment remonterait au règne de Tétricus (vers 273) 12.

CHRISTOPHE LE PENNEC

60

11 Cette borne votive est aujourd’hui conservée au Musée de Vannes (fonds SPM), sous le n° d’inventaire IM 3031.12 Adrien Blanchet, Les trésors de monnaies romaines de Combourg et de Vannes, RevueNumismatique, 4e série, tome IX, 1905, p. 233-234. Quand Vannes s’appelait Darioritum,catalogue d’exposition, Musée de la Cohue, 1992, p. 74.

Figure 3 - L’une des monnaies du trésor découvert au Prat à Vannes, en 1962 : Il s’agit d’un antoninien en argent de Postume, empereur romain (259-268 après J-C)

© Collection Musée de Vannes, fonds SPM

Au revers, on peut lire SAECVLI FELICITAS : Le temps (ou le règne) de la Prospérité

Page 7: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Plus récemment, un trésor a été découvert en 1962 dans la zoneindustrielle du Prat. Il comprenait 651 monnaies dont la plus récente est unantoninien de Postume, frappé à Cologne en l'an 262 13 (figure 3). En 1988,Patrick André concluait sur ce phénomène en ces termes : « Sur 40 trésorsromains trouvés dans le département du Morbihan, 38 ont été enfouis à la findu IIIe siècle et au début du IVe siècle. Plus de la moitié de ces trésors ont étéabandonnés sur le littoral et dans les estuaires » 14.

ABANDON DES VILLES OUVERTES ET DES GRANDS SITES :

L’autre phénomène marquant de cette période troublée est l’abandondes sites du Haut-Empire, en particulier les riches villae des côtes morbihan -naises. Darioritum, ville ouverte de la colline de Boismoreau est peu à peudélaissée et des niveaux d’abandon des années 260 à 275 sont bien attestés 15.Durant la seconde moitié du 3e siècle, le forum monumental de Vannessemble progressivement démonté, et on assiste à plusieurs endroits à larécupération de divers matériaux de construction 16.

La nécropole antique de Vannes, la seule connue à ce jour, a étédécouverte en 1876 par la Société Polymathique du Morbihan, lors de laconstruction des casernes d’artillerie de l’avenue de Verdun. Le mobilierfunéraire récolté est important mais aucun élément ne date du 4e siècle, ce qui semble montrer l’abandon du site avant la fin du 3e siècle 17.

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

61

13 Claude Brenot, Le trésor de Vannes, Revue Numismatique, 6e série, Tome V, 1963, p. 159-163.Sur les 650 monnaies découvertes, seules 570 ont été étudiées par le Cabinet des Médailles.Les trois-quarts d’entre elles sont des sesterces de la fin du 1er siècle et du 2e siècle.14 Patrick André, La défense de la ville au Bas-Empire, op. cit., p. 29.15 CAG56, p. 343-344. D’autres informations ponctuelles sont extraites entre autres de troisrapports de fouilles inédits : Alain Triste et Jacques Hyvert, 77 Bd de la Paix à Vannes(Morbihan), Sondage archéologique (8 juillet au 15 août 1991), rapport de fouille, CERAM,Vannes, 1991, p. 16 et 23. Alain Triste et Christophe Le Pennec, 19 rue de l'Etang à Vannes(Morbihan), sondage archéologique (15 mai au 15 juillet 1993), rapport de fouille, CERAM,Vannes, 1993, p. 30 et 39. Gaétan Le Cloirec, 10 rue de la Tannerie, Vannes (Morbihan), D.F.S.de fouille préventive (15 juillet au 31 septembre 1993), Rennes, 1993, p. 31-33.16 Jean-Yves Eveillard, Yvan Maligorne, Le milliaire de Victorin à Saint-Méloir-des-Bois(Côtes d'Armor) : le remploi d'une colonne et sa signification, Les Dossiers du CeRAA, n°23,1995, p. 22. De très nombreuses études réalisées par Jean-Yves Eveillard, révèlent l’importancede la réutilisation de blocs architecturaux, en cette fin de 3e siècle. CAG56, p. 343-344.17 Léon de Cussé, Note sur une nécropole gallo-romaine découverte à Vannes en 1876, BSPM,1877, p. 98-101.

Page 8: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Le sanctuaire gallo-romain de Bilaire, situé au Nord de Vannes, a étéfouillé en 1999 et 2000. Il comprenait deux édifices distincts : un grandbâtiment hexagonal et un petit fanum carré. Ce dernier aurait fonctionnéjusqu’au début du 4e siècle, comme l’atteste un mobilier tardif comprenantnotamment deux coupes en sigillée d’Argonne et une coupe hémisphériqueen terra nigra à décor guilloché (production tardive de l’atelier de potiers deLiscorno à Surzur) 18.

Ce phénomène de recul est commun à la majeure partie des capitalesde cités et le souci majeur est désormais de se protéger des menacesextérieures, en édifiant des murailles. Pour ce faire, l'Armorique se dote d’unréseau de villes fortifiées qui, à l’exception de Rennes, ont toutes une positionlittorale. Il s’agit de Nantes, Vannes, Brest et Alet-Saint-Malo. Deux chefs-lieux de cité ne bénéficient pas de ces mesures et sont rapidement délaissés :Corseul (Fanum Martis) et Carhaix (Vorgium). Ainsi comme le soulignePatrick Galliou, « L’image de l’Armorique des années 280-300 que faitdécouvrir l’archéologie est celle d’une société en plein bouleversement, sinonen faillite totale » 19.

Ainsi, Vannes (Darioritum), jusqu’alors une ville ouverte sur la collinede Boismoreau, installe désormais ses quartiers dans un castrum, sur lacolline du Mené (figure 4).

2. Le castrum de Vannes

Aujourd’hui, les chercheurs s’accordent pour attribuer à l’empereurromain Probus (276-282), la création des enceintes urbaines du nord-ouestde la Gaule 20. A Vannes, on ne dispose pourtant d'aucun élément matérielpour dater le castrum (figure 5).

SA TOPOGRAPHIE ET SON EMPRISE

En 1988, à l’occasion d’un colloque consacré aux remparts de Vannes,Patrick André propose une excellente synthèse sur la muraille romaine, en particulier sur ses différentes caractéristiques techniques observées et

CHRISTOPHE LE PENNEC

62

18 CAG56, p. 396.19 Patrick Galliou, L’Armorique romaine, Editions Armeline, Brest, 2005, p. 328-331.20 Patrick Galliou, La défense de l’Armorique au Bas-Empire, essai de synthèse, Bulletin de laSociété d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, tome LVII, 1980, p. 266. Patrick André, Ladéfense de la ville au Bas-Empire, op. cit., p. 32.

Page 9: Vannes au Bas-Empire : un castrum

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

63

Figure 4 - Topographie de Vannes, Darioritum, durant l’époque gallo-romaine© Christophe Le Pennec, Ville de Vannes

Page 10: Vannes au Bas-Empire : un castrum

CHRISTOPHE LE PENNEC

64

Figure 5 - Tracé du castrum antique de Vannes (Venetis)© Christophe Le Pennec, Ville de Vannes

Page 11: Vannes au Bas-Empire : un castrum

mesurées sur le terrain 21. Le castrum de Vannes possède un plan triangulaire,dont l’enceinte a un périmètre d'environ 980 mètres. La ville close ainsiformée atteint une superficie de cinq hectares, soit dix fois moins quel’agglomération du Haut-Empire 22. L’altitude intra-muros varie de 7 mètres(Porte-Prison) à 20 mètres (près de la rue Emile Burgault).

Le choix de la colline du Mené (qui en breton signifie « la montagne »)ne relève pas du hasard. Il s’agit à l'origine d’un promontoire rocheux entouréde zones marécageuses. Cette configuration topographique subsiste encorequelques siècles plus tard, dans une description faite au 12e siècle par ungéographe arabe, Edrisi (ou Al Idrisi) 23 : « Faïnes (Vannes), ville située surun cap, à l’extrémité du golfe, extrêmement agréable et peuplée, où sont unport et des constructions navales ».

De par sa position, le castrum antique devait dominer et protéger dumême coup le port, que l’on pourrait placer à l’est, au pied de la colline dela Garenne. On ne connaît pas la position exacte du port antique, mais onsuppose qu’au 1er siècle de notre ère, un fond de ria pouvait remonterjusqu’au quartier de la préfecture. Du fait d’un apport incessant de sédimentset d’alluvions, cette zone d’échouage n’a cessé de s’envaser. A la fin del’Antiquité, on peut aisément admettre que le port avait déjà reculé deplusieurs dizaines de mètres vers le Sud, et se situait alors aux abords desactuelles tours Poudrière et du Connétable.

LES VESTIGES DU CASTRUM

La récupération de matériaux sur des édifices du Haut-Empire a puservir en grande partie à la construction de l’enceinte de Vannes. Plusieurssegments de murailles subsistent encore aujourd'hui, enserrés dans le rempartmédiéval. Les premières observations archéologiques de ce castrum sont

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

65

21 Patrick André, Le rempart romain de Vannes et la défense de la ville au Bas-Empire, op.cit., p. 10-11.22 Christophe Le Pennec, Recherches sur les origines antiques de Vannes, Mémoire de Maîtriseen Histoire Ancienne, Université de Bretagne Occidentale, Brest, 1998, p.77. La trame del'agglomération du Haut-Empire, telle qu'elle semble se dessiner, avait environ 710 à 730 mètresde côté.23 Arthur Le Moyne de La Borderie, Histoire de Bretagne, tome III (de l'an 995 après J.-C. àl’an 1364), Rennes, 1899, p. 149. Edrisi (Abou-Abdallah-Mohammed al-) est un géographearabe née vers 1100 à Ceuta (Afrique). Il doit sa renommée à la rédaction d’un ouvrage degéographie descriptive intitulé Kitâb Nuzhat al Mushtâq ou Kitâb Rudjâr ou Le Livre de Roger.Ce livre fut rédigé à la demande de Roger II, roi normand de Sicile.

Page 12: Vannes au Bas-Empire : un castrum

le fait de Dubuisson-Aubenay, qui en 1636 organisait une tournée adminis -trative en Bretagne 24. C’est ainsi qu’il mentionne successivement :

« Depuis ceste porte St Salomon, vous avez une courtine d’environcent pas jusques au prochain tourion, où il y a, dans le milieu de sa aulteur,4 ou 5 pièces éparses de muraille romaine, …, avec ceintures ou chaines delarges briques, trois briques l’une sur l’autre ».

… « Au défaut de la muraille du chasteau de la Motte ou Evesché, vous

voyez, dans la muraille renouvelée, encor deux ou trois petites pièces etvestiges d'ouvrage romain, comme cy dessus ».

… « Puis vous descendez le long de la douve, jusques à la 4e et dernière

porte, qui est de St Paterne; passé laquelle, vous remarquez encor, en unetour prochaine, une petite piécette de muraille romaine ».

La portion de mur encore visible dans le jardin du 38 rue Thiers est deloin la mieux conservée. Sur une longueur de neuf mètres, l’enceinte présenteun appareil fait d’une alternance de petits moellons et de 4 rangées debriques, simples, doubles ou triples. Ces assises, disposées à 1,35 m, 2,40 m,5,60 m et 7,25 m au-dessus du sol actuel, traversent toute l'épaisseur durempart, ce qui forme un chaînage indispensable au renforcement de lamaçonnerie (figure 6).

En 1986, à quelques dizaines de mètres au Sud, au n° 8 de la rue deClosmadeuc, Patrick André pouvait observer dans le détail, un autre segmentde mur romain masqué par des garages 25. Visible sur une longueur de neufmètres, il se compose d'un parement de moellons cubiques de dix à douzecentimètres de côté, lequel est entrecoupé de trois assises de briques (figure 7).

A l’Est, à proximité de la tour Joliette, on peut découvrir un autre beausegment de mur antique dégagé au début des années 1980. Très abîmé, il abénéficié d’une restauration permettant de restituer l’alternance de rangs demoellons et de lignes de briques (figure 8). D'autres sections de la murailleromaine sont certainement encore visibles derrière des commerces de la ruedu Mené (comme au n° 44, par exemple).

CHRISTOPHE LE PENNEC

66

24 Dubuisson Aubenay, Itinéraire de Bretagne en 1636, par Léon Maître et Paul de Berthou,tome 1, Nantes, 1898, p. 134-157 (les mentions de la muraille romaine sont aux pages 137 et 138).25 Patrick André, A propos d’un « petit pan de mur », … op. cit.

Page 13: Vannes au Bas-Empire : un castrum

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

67

Figure 6 - Pan de mur antique (n° 38 de la rue Thiers)© Cliché Patrick André

Figure 7 - Segment de rempart romain relevé au n° 8 rue Gustave de Closmadeuc.Patrick André, A propos d’un petit pan de mur, Bulletin des Amis de Vannes, 1987, p. 22-23

Page 14: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Si des éléments du parement antique sont toujours visibles de nos jours, ses fondations ont très rarement pu être observées. Les exemplesrencontrés dans d’autres cités de Bretagne, telles que Rennes, montrentqu’elles sont généralement constituées d’un lit de gros blocs de pierre posés sur le substrat rocheux, et sont souvent du réemploi d’élémentsarchitecturaux récupérés dans des édifices publics antiques 26. Cettedescription correspond assez bien aux observations faites par de LaMartinière, témoin de la démolition d’un pan du mur antique dans la rueBillault 27 :

« Des dalles de pierre de dimensions variables, mesurant souvent 1 mètre à 1,20 m de longueur, 0,60 m de profondeur, 0,20 m de hauteur,posées généralement à même le roc. Dans l’intervalle, et même parfois souselles, les déclivités étaient comblées par des pierres sèches. Ainsi se formaient,au fur et à mesure que montait le roc, des niveaux successifs de fondations ».

CHRISTOPHE LE PENNEC

68

26 Patrick Galliou, L’Armorique romaine, …, op. cit., p. 339. Dominique Pouille, La murailleantique de Rennes, AREMORICA, n° 2, 2008, p. 43-66.27 L’enceinte romaine de Vannes, …, op. cit., p. 10-11.

Figure 8 - Le rempart romain près de la tour Joliette (rue Francis Decker)© Cliché Christophe Le Pennec, Ville de Vannes

Page 15: Vannes au Bas-Empire : un castrum

« En approchant du sommet rocheux et de l’angle formé par la courtine,les dalles étaient remplacées, sur la face interne du mur, par des blocs detuffeau. Parfois formant deux assises, et leurs joints assurés par des ardoises,ils se prolongeaient à l’intérieur du mur sur une profondeur de 2,50 m.environ. Leur utilisation antérieure ne fait pas de doute comme le prouventun trou d’agrafe et les marques en losanges tracées à la pointe de l’un deuxmesurant 0,80 m x 0,60 m x 0,60 m ».

En 2002, lors d’une suivi archéologique et d’une fouille menés dans larue Billault, j’ai pu observer la fondation du rempart de Vannes, dont ladisposition rappelle tout à fait ces descriptions 28 (figure 9).

TRACÉ DE L’ENCEINTE

Depuis la fin du 19e siècle, tous les chercheurs ayant travaillé sur lesujet s’accordent à considérer que le tracé du castrum antique se confond auNord avec celui de l’enceinte médiévale. Il devait donc probablementcheminer de la porte Saint-Salomon à la tour Poudrière en passant par lacolline du Mené (rue Joseph Le Brix et rue du Mené) et par la porte Prison.

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

69

28 Christophe Le Pennec, Découvertes archéologiques récentes au centre-ville de Vannes,BSPM, 2006, tome 132, p. 75-80.

Figure 9 - Structure des fondations du rempart de la rue BillaultBSPM, 2006, tome 132, p. 75-80

Page 16: Vannes au Bas-Empire : un castrum

De la porte Saint-Salomon en allant vers le sud en direction de la rueNoé, le castrum devait sans doute passer entre Roscanvec/Château Gaillardet l’ancien couvent des Cordeliers (actuelle propriété Ferrand), comme entémoigne les limites cadastrales et l’importante différence de niveauxd’altitude des parcelles. Pourtant, le mur de séparation de propriété ne laisseapparaître aujourd’hui aucun indice antique.

Une explication nous est donnée dans la description fournie parDubuisson-Aubenay en 1636 29 : « ... les Cordeliers, dans le jardin desquelsceste vieille muraille se veoit, portant antiquité de plus de mille ans. Etnéanmoins, il n’y paroist pas tant d’ouvrage romain comme il fait hors laville, au dessus de la porte St Salomon, parce que ceste muraille, séparant lejardin des Cordeliers et celuy de Mr de Vertin, est toute escorchée et ne s’yveoit quasi plus de la surface, ains seulement le ventre ». Il faut comprendrequ’avant le milieu du 17e siècle, le parement externe du rempart estquasiment détruit et seule demeure visible le cœur de la maçonnerie, dontl’aspect le fait néanmoins remonter à plus de mille ans (Antiquité).

Par ailleurs, ce segment de rempart médiéval a certainement subi destransformations, voire des reconstructions au cours du 13e siècle. A la fin dusiècle suivant, lors de l’agrandissement de l’enceinte urbaine par Jean IV,duc de Bretagne, cette partie de rempart appelée « cloaison ancienne » perdsa fonction défensive. Peu après, le couvent des Cordeliers parvient aussi àprendre possession des anciennes douves, pour les transformer en jardins.

Au sud de la rue Noé, le parcellaire affiche toujours un déniveléimportant mais ne révèle aucune trace de maçonnerie antique si ce n’est peut-être le réemploi dans les murs de nombreux petits moellons romains de granit,vraisemblablement prélevés sur des vestiges situés non loin (figure 10). Cettemuraille n’est-elle pas un vestige de transformations apportées à la premièreenceinte urbaine au cours du 13e siècle, sous les règnes de Jean 1er le Rouxet de son fils ?

En revanche, il ne reste rien de la partie sud de ce castrum, un segmentcertainement modifié au 13e siècle puis détruit lors de l’extension del'enceinte urbaine à la fin du 14e siècle. Aujourd’hui, deux hypothèses detracé sont proposées, dont la différence n’est que de quelques dizaines demètres. En 1927, J. de la Martinière publie un plan précis du castrum, qu’ilfait passer au milieu de la place des Lices (figure 1). Malheureusement, sadémonstration s’appuie en grande partie sur l’existence plus qu’hypothétique,

CHRISTOPHE LE PENNEC

70

29 Dubuisson Aubenay, Itinéraire de Bretagne en 1636, op. cit., p. 141.

Page 17: Vannes au Bas-Empire : un castrum

voire imaginaire, de plusieurs tours défensives. Cette hypothèse de tracé estaussi un peu compromise par la découverte en 2000, d’un bâtiment gallo-romain tardif, sur lequel je reviendrai plus en détail dans cet article.

L’autre hypothèse de tracé, à laquelle se rallie la majeure partie dechercheurs, est plus pragmatique. Elle tend à considérer que le castrumantique devait se confondre en grande partie avec le tracé présumé de lapremière enceinte médiévale, comme c’est le cas au Nord. Le rempart, audépart de la tour Poudrière, longeait ainsi le haut de la place des Lices pourrejoindre la limite de l’ancienne chapelle ducale du même lieu. Il laissait audehors l’hôtel de Cleiss, propriété du seigneur de Largoët, édifice qui estdevenu par la suite la chambre des comptes du duché de Bretagne. Le sud dela ville et le quartier du port dépendaient alors de la Terre de Kaer.

DES PORTES DE VILLE

Il est évident que le castrum antique était doté de portes de ville, etprobablement de tours venant renforcer la muraille, mais pour toutes celles-ci, on en ignore le nombre et la localisation. On considère que cettepremière enceinte urbaine pouvait être traversée d’Est en Ouest par un axede circulation, que l’on positionne sur l’actuelle rue des Chanoines. Ce nom

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

71

Figure 10 - Le rempart médiéval, dit mur « sarrazin » (rue Noé)© Cliché Christophe Le Pennec, Ville de Vannes

Page 18: Vannes au Bas-Empire : un castrum

de voie ne semble pas encore employé au milieu du 15e siècle car dans leRentier de Vannes (1455-1458), elle est seulement appelée « la rue ducymeter Saint Père ». A cette époque, il existait un autre axe de circulationplus au Nord et quasi parallèle au précédent : La rue aux Anes. Aujourd’huidisparue, cette voie permettait aussi de relier les portes de Saint-Patern et deSaint-Salomon, et formait une « frontière » administrative entre le domainerelevant du Duc et celui relevant de l’évêque. Cette rue, souvent mentionnéedans le Rentier de Vannes, est certainement l’une des plus anciennes del’intra-muros car elle bordait le fameux château de la Motte. Elle pouvaitaussi déboucher hors de l’enceinte vers le Nord, via la rue de l’Ane et laporte de l’Ane (condamnée en 1358) 30. De cette entrée de ville, probablementtrès ancienne, on ne connaît pas la date de création. En 2011, à l’occasiond’une surveillance de travaux entre la rue Burgault et la Place Henri IV, j’aipu observer en coupe sur plusieurs mètres, une partie du profil d’une voie decirculation qui pourrait fort bien être un vestige de la rue aux Anes.

En définitive, si un axe de circulation traversait le castrum antique d’Esten Ouest, il débouchait par conséquent sur des entrées situées aux abordsdes portes Saint-Patern (Prison) et Saint-Salomon, mais pas forcément aumême endroit. Cette enceinte primitive ne possédait-elle que deux portes devilles ? On peut aussi émettre l’hypothèse d’une autre sortie au Sud, pouraccéder au port antique.

DES TOURS DÉFENSIVES ?

A l’image d’autres castrum antiques de l’ouest de la France (Brest,Nantes, Le Mans, …), le premier rempart de Vannes devait comporter destours défensives, pour le renforcement des entrées de ville et des murailles.Mais à ce jour, aucune trace n’en a été retrouvée. On peut supposer qu’auxsiècles suivants, certaines d’entre elles ont été reconstruites, remplacées, ouont pu servir de fondations à des tours médiévales (tours Joliette, du Bali ouBertranne ?). En 1927, J. de La Martinière n’hésite pas à en inventer d’autrestrès hypothétiques, en particulier au Sud de la place des Lices. Quant à laprésence d’une tour à l’emplacement de l’actuel magasin Credey (10 placedes Lices) si elle a existé, elle pourrait fort bien être un renforcement, sinonun angle de la clôture intra-muros de la basse-cour du Château ducal del’Hermine 31.

CHRISTOPHE LE PENNEC

72

30 Jean-Pierre Leguay, Vannes au XVe siècle, étude de topographie urbaine (1ère partie), Annalesde Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 82, 1975, n° 2, p.121.31 Claudie Herbaut, …, Les remparts de Vannes, 2008, op. cit., p. 19.

Page 19: Vannes au Bas-Empire : un castrum

DES VESTIGES ANTIQUES INTRA-MUROS

A ce jour, aucun vestige antique n’a été découvert à l’intérieur ducastrum. En 1997, une campagne de diagnostic archéologique a été menéedans le jardin de l’Hôtel de Roscanvec (19 rue des Halles). A cette occasion,des fragments de céramiques et de tuiles gallo-romaines ont été découvertsà une profondeur de 3,80 mètres 32. En l’état actuel des investigations, on nesait pas s’il s’agit d’un niveau d’occupation ou d’une couche de remblais.Nous nous trouvons ici à proximité du tracé présumé du rempart romain.

Qu’en est-il aussi de l’ancien château de la Motte ? On peut seulementaffirmer que sa date de construction se place entre le Bas-Empire et le 10e

siècle. Comme son nom l’indique, il est considéré comme un donjon àl’intérieur de l’enceinte urbaine primitive et est implanté au Nord-Ouest, lepoint culminant de la colline du Mené. Durant le Haut-Moyen Age, ilappartient à l’origine aux comtes de Broërec, puis aux ducs de Bretagnejusqu’en 1287, date à laquelle Jean II le cède à l’évêque 33. Certains émettentl’hypothèse que ce bâtiment pourrait remonter au Bas-Empire et avait unefonction de praetorium, la résidence d’un praefectus militum (officier encharge d’un régiment de soldat). Or, il se trouve qu’un contingent militaires’est justement installé à Vannes, probablement durant la seconde moitié du 4e siècle : les Maures Vénètes.

3. La situation au 4e siècle

Dans le Morbihan, un certain nombre de villae, précédemmentabandonnées, montrent des signes de réoccupation. C’est le cas, par exemple,de la villa gallo-romaine de Kériaker en Saint-Pierre Quiberon. Occupée dèsle début du second siècle, elle est abandonnée à la fin du 3e siècle 34. GildasBernier constate que le site est réoccupé au siècle suivant, comme l’atteste

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

73

32 Françoise Le Boulanger, Vannes « Hôtel de Roscanvec » (Morbihan), Document Final deSynthèse d'évaluation archéologique, AFAN, Service Régional de l'Archéologie, Rennes, 1998,p. 57 (inédit).33 Jean-Pierre Leguay, Vannes au XVe siècle, étude de topographie urbaine (1ère partie), Annalesde Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 82, 1975, n° 2, p. 120. Pierre Thomas-Lacroix, LeVieux Vannes, Edition Société Polymathique du Morbihan, Vannes, 1982, p. 28.34 G. Bernier, L’habitat gallo-romain de Keriaker, commune de Saint-Pierre Quiberon, Annalesde Bretagne, tome LXXVIII, 1971, p. 249-256. Jean Gricourt, Monnaies d'un habitat gallo-romain de Saint-Pierre Quiberon, Annales de Bretagne, tome LXXV, 1968, p. 280-286.

Page 20: Vannes au Bas-Empire : un castrum

la présence entre autres de céramique sigillée d'Argonne 35. L’établissementantique du Hézo, composé de plusieurs bâtiments abandonnés fin 3e siècle,connaît aussi une occupation dans la seconde moitié du 4e et au début du 5e siècle 36.

La majeure partie des sites antiques du Haut-Empire découverts àVannes sont abandonnés avant la fin du 3e siècle de notre ère. Pour ceux quiauraient livré quelques éléments de mobilier du début du 4e siècle, cela neprouve en rien une occupation continue, une réutilisation ponctuelle des sitesétant tout à fait possible (sanctuaire de Bilaire, villa de Saint-Symphorien, …).A Vannes, il existe donc un hiatus qui couvre les dernières décennies du 3e et les premières années du 4e siècle, où l’on ne peut attester formellementde l’édification d’un quelconque bâtiment.

Le règne de Constantin 1er dit le Grand, empereur romain de 307 à 337de notre ère, marque une rupture avec son prédécesseur, Dioclétien. Premierempereur à se convertir au christianisme, il contribue indiscutablement àl’essor de l’Eglise chrétienne. Il est aussi à l’origine de nombreuses réformesdans les domaines religieux, administratifs, législatifs et monétaires. Sonrègne connaît une relative accalmie voire une nouvelle prospérité, périodeque l’on qualifie d’ailleurs de « Renaissance constantinienne » 37.

DE NOUVELLES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES À VANNES

Depuis une vingtaine d’années, plusieurs vestiges archéologiques duBas-Empire ont été mis au jour sur le territoire communal, en dehors ducastrum antique. Les objets recueillis (monnaies, céramiques, …) permettentde les dater du milieu et de la seconde moitié du 4e siècle.

Ces nouveaux éléments longtemps demeurés inédits, changentnotablement l’image que l’on pouvait avoir de Vannes : une ville enserréedans son enceinte urbaine. Ils illustrent le renouveau que traverse le siècleinauguré par Constantin 1er.

Quels sont ces vestiges ?

CHRISTOPHE LE PENNEC

74

35 M. Clément et P. Galliou, « Céramique romano-britannique à Keriaker, en Saint-PierreQuiberon », Archéologie en Bretagne, n° 30, p. 39-43.36 CAG56, p. 152-157.37 Louis Pape, La Bretagne romaine, Editions Ouest-France Université, Rennes, 1995, p. 258-260.

Page 21: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Place des Lices : un édifice (public ?), 4e siècle et début 5e siècle

En avril 2000, à l’occasion de la surveillance archéologique d’unetranchée (réseau d’eaux pluviales) au devant des anciennes halles, j’aidécouvert un angle de bâtiment antique. Après en avoir informé le ServiceRégional de l’Archéologie, j’ai assuré durant cinq jours, la fouille et le relevépierre à pierre des vestiges, avec l’aide de deux bénévoles. Les murs,construits en petit appareil (moellons) lié à l’aide d’un mortier de chauxjaune, ont une largeur de 0,70 mètre. Orienté Est-Ouest, le bâtiment afficheune façade au Sud d’environ 10 mètres de long. Deux murs d’angleperpendiculaires forment un retour vers le Nord, dont l’un très perturbépourrait avoir une plus grande largeur d’au moins 80 à 85 cm (figure 11).

Très arasées, les structures ne conservaient en élévation, qu’un à deuxrangs de moellons. La surface explorée dans le bâtiment, bien que réduite àmoins de 10 m², a fait apparaître plusieurs structures en creux (fosses,rigoles), recouvertes par une couche de démolition (pierres, tuiles, argilerubéfiée). Ces fosses ont livré un mobilier archéologique exceptionnel,comprenant des fragments de céramiques (dont de la sigillée d’Argonne),

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

75

Figure 11 - Plan de l’édifice antique, découvert place des Lices à Vannes (56), en avril-mai 2000

Page 22: Vannes au Bas-Empire : un castrum

de la verrerie, des éléments de décoration (marbre, calcaire), et surtout 217 monnaies en bronze (figure 12).

Ces monnaies, qui couvrent une période allant du règne de Postume(260-268 après J-C) et celui de Théodose (379-395), comprennent enparticulier 106 imitations de Tétricus I (270-273). Certains éléments dedécoration découverts sur le site laissent penser que nous sommes enprésence d’un édifice public, peut-être commercial ou religieux (temple ?).Il semble d’ailleurs que le fonctionnement de ce bâtiment débute à unmoment où le sanctuaire gallo-romain de Bilaire est abandonné 38.

CHRISTOPHE LE PENNEC

76

38 CAG56, p. 392-393. Fouilles archéologiques de l’an 2000, Edition Ville de Vannes, 2001,p. 14-23.

Figure 12 - Vannes (56), place des Lices : édifice public antique (en cours de fouilles)

© Cliché Christophe Le Pennec, Ville de Vannes, avril 2000

Page 23: Vannes au Bas-Empire : un castrum

9 rue Audren de Kerdrel : une habitation antique (2e moitié du 4e siècle)

Une habitation gallo-romaine a été partiellement fouillée en 1991 39.L’une de ses pièces était dotée d’un sol bétonné qui recouvrait une couchedépotoir. Dans celle-ci, on a recueilli des monnaies de Constantin 1er, Hélèneposthume et Constant, ainsi qu’une monnaie de Licinius à proximitéimmédiate. A cela s’ajoutent des fragments de céramiques sigillées enprovenance d’Argonne, en Gaule de l’Est. Tous ces éléments couvrent unepériode allant de 307 à 350 de notre ère. Cela signifie donc que ce bâtimenta été construit après le milieu du 4e siècle, et atteste donc une réoccupationponctuelle de la ville du Haut-Empire (figure 13).

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

77

39 A. Triste et C. Le Pennec, 9 Rue Audren de Kerdrel à Vannes (Morbihan), Sauvetagearchéologique (15 octobre au 30 novembre 1991), rapport de fouilles, CERAM, Vannes, 1992(inédit). CAG56, p. 378.

Figure 13 - Vannes (56), rue Audren de Kerdrel (une domus du 4e siècle)Carte archéologique de la Gaule (Morbihan, 56), 2009, p. 378

Page 24: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Eglise Saint-Patern : Edifice antique sous le chœur (4e siècle etdébut 5e siècle)

En 2006-2007, lors du décapage des chapelles latérales du chœur, des vestiges maçonnés sont apparus, dont l’orientation est très proche del’église (figure 14). En partie menacés par les travaux de réfection des sols,notamment au Sud, ils ont fait l’objet d’une fouille et d’un relevé détaillé.

Au Nord, il subsiste deux murs en mortier de chaux (M4 et M5), de 62 cm de largeur, formant un angle droit (figure 15). Très dégradés tant parles fondations de l’église que par une fosse-ossuaire, ils devaient se prolongersous le transept et sous le chœur. Le parement externe conserve encore deuxrangs de moellons de granit. Ces deux murs délimitent une aire où subsisteun niveau compact, qui montre une forte rubéfaction. Non menacés, cesvestiges n’ont pas été fouillés.

Au Sud du chœur de l’église, trois autres murs en mortier de chauxsont apparus, avec pour largeurs respectives 60, 62 et 45 cm. Deux d’entreeux (M2 et M3) s’appuient sur le premier (M1) de façon perpendiculaire. Ils traversent une couche de terre végétale (US 1080) datable de la fin du 3e siècle, qui recouvre elle-même un niveau d’arène granitique rapportée (US1065) datable du Haut-Empire. L’installation des murs M2 et M3 remontedonc vraisemblablement au 4e siècle. Durant la seconde moitié du 4e siècle,la couche 1080 a été creusée pour l’implantation d’une petite pièce enterrée

CHRISTOPHE LE PENNEC

78

Figure 14

Page 25: Vannes au Bas-Empire : un castrum

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

79

Figure 15

Page 26: Vannes au Bas-Empire : un castrum

(cave ?). Elle est formée de deux murs à un seul parement, maçonnés enargile et non perpendiculaires. Dans ce réduit, une couche de comblementd’incendie a été retrouvée (tuiles de toiture brûlées, charbons, …). Ces deuxmurs ainsi que le mobilier archéologique récolté, montraient des traces derubéfaction 40.

CHRISTOPHE LE PENNEC

80

40 Christophe Le Pennec, Fouilles archéologiques à l’église Saint-Patern de Vannes, BSPM,2011, p. 57-59.

Figure 16 - Vannes (56), église Saint-Patern (Sud du chœur)Fragments d’amphores retrouvés dans la petite cave de l’antiquité tardive

Page 27: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Les fragments de céramiques récoltés, bien que lacunaires, appartien -nent néanmoins à de la sigillée africaine aux types claire C (Hayes 50) etclaire D (Hayes 60). A cela s’ajoutent des tessons de deux amphoresdifférentes, difficiles à identifier (figure 16). En toute hypothèse, l’amphoren° 1 pourrait être d’origine hispanique (type Almagro 50), tandis que la n° 2 de forme cylindrique proviendrait de Maurétanie ou d’Algérie (typeAfricaine 2, Africaine 30 ou Keay IB) 41. D’autres fragments de céramiquesde couleur marron appartiennent à de petites bouteilles à col étroit deproduction inconnue. Cette couche d’incendie contenait enfin un lot de 11boucles circulaires en bronze (pièce d’uniforme ou de harnais pour chevaux).

Place Sainte-Catherine : cave d’un bâtiment antique, 4e siècle

En janvier 2008, en préalable à l’enfouissement d’un container de trisélectif, l’INRAP a mené un diagnostic archéologique 42. C’est dans cecontexte qu’a été découvert un mur finement maçonné (M1), de 0,75 m delarge et très bien conservé sur une hauteur de 2 mètres. Il surplombait unpuits de 0,60 mètre de diamètre, couronné d’une margelle monolithe engranit et doté d’un parement interne soigneusement appareillé. Bien que non fouillé, le niveau externe de ce puits a livré de la céramique datable de la première moitié du 4e siècle (sigillée d’Argonne, amphore à huileafricaine, …) 43.

Peu avant l’installation du container, un deuxième mur (M2) est apparuperpendiculairement au premier. Il est conservé sur près de 5 mètres de longet sur une hauteur de 1,20 mètre (figure 17). De toute évidence, ils délimitentune cave dans laquelle différentes couches stratigraphiques ont pu êtreobservées. L’une d’elle, particulièrement épaisse aux angles de la cave (95 cm maximun), résulte probablement d’un incendie (figure 18). Ellecontenait de nombreux fragments de tuiles, de sols bétonnés, d’enduits peintsrubéfiés et de céramiques dont de l’amphore africaine. En définitive, ilexistait à cet endroit un important bâtiment antique remarquablementconstruit et doté d’une cave. Implanté au début du 4e siècle, il est détruit parun incendie après le milieu du même siècle.

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

81

41 Ces données typologiques m’ont été données par Michel Bonifay, chargé de recherches auCNRS, et spécialiste des importations africaines tardives, que je remercie.42 Institut National de la Recherche Archéologique Préventive.43 Dominique Pouille, Vannes « containers de tri sélectif » (Morbihan), Rapport de diagnosticarchéologique, INRAP, janvier 2008 (inédit). Christophe Le Pennec, Fouilles archéologiques …,op. cit., p. 55.

Page 28: Vannes au Bas-Empire : un castrum

CHRISTOPHE LE PENNEC

82

Figure 17 - Vestiges d’un bâtiment avec cave (4e siècle après J-C)

Figure 18 - Vannes (56), place Sainte-Catherine, nettoyage et relevé du mur M2 de la cave antique. De chaque côté, on peut observer l’épaisse couche d’incendie

de couleur rougeâtre.© Cliché Christophe Le Pennec, Ville de Vannes, février 2008

Page 29: Vannes au Bas-Empire : un castrum

4. Les Maures Vénètes

La menace que font peser les barbares sur l’Empire, oblige le pouvoircentral à déployer des troupes aux frontières tant terrestres que maritimes, encomplément des fortifications nouvellement édifiées (castrum). La « Noticede Dignités », rédigée à la fin du 4e siècle ou au début du 5e siècle, offre untableau des forces militaires réparties dans les provinces. Elle nous renseignesur les différents contingents installés en Armorique. C’est aussi à cedocument que nous devons de voir Vannes appelée pour la première foisVenetis. L’antique nom de Darioritum fait désormais place au nom du peupledes Vénètes, selon une évolution semblable à de nombreuses cités de laGaule (figure 19).

On admet ainsi que Vannes disposait d’une garnison d'environ 1000 à1500 hommes, soit le quart de l’ensemble des forces cantonnées enArmorique. Nantes devait en avoir le même nombre, Brest, 1000, et Alet,500. Il est vraisemblable que tous ces soldats ne stationnaient pas dans laville close, et pouvaient être en garnison à l’écart du castrum, dans des pointsde défense secondaires. Patrick Galliou fait remarquer que la plupart desfortifications armoricaines du Bas-Empire possédait un bon mouillage, cequi est le cas de Vannes. On pouvait ainsi y abriter une flottille d’interventioncapable d’intercepter des navires ennemis.

A l’exception de quelques boucles de ceinturon et monnaies retrouvéesdans le département, on sait peu de choses sur ces hommes, sur leur modede vie, leur religion et sur la façon dont ils se sont intégrés aux populationsvénètes. Patrick Galliou résume la situation en ces termes : « … il est

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

83

Figure 19 - Détails de la Notice des Dignités figurant Vannes (Benetis = Venetis)© Bibliothèque d'État de Bavière

Page 30: Vannes au Bas-Empire : un castrum

probable, en effet, que la concentration relativement importante de solidi{monnaies en or} et d'objets de bronze du IVe siècle dans les environs deVannes y signale une présence militaire, … » 44. Les monnaies en or frappéesau Bas-Empire, appelées solidus (au pluriel solidi), sont plutôt rares. LeMusée de Vannes en possède deux, découverts à Arradon et à Plaudren. Septautres exemplaires ont été récemment retrouvés au Hézo, et portent leseffigies de Valentinien 1er (364-375), Valens (364-378) et Honorius (395-423) 45. L’or devient la référence pour le système fiscal et les dépensesimpériales. Les taxes s’expriment en solidi, et parfois en fraction de solidus.Les dépenses militaires, les soldes régulières des troupes et les gratificationsexceptionnelles se règlent en monnaie d’or (figure 20).

CHRISTOPHE LE PENNEC

84

44 Pour cette partie, il convient de consulter l’excellent travail d'inventaire de ce petit mobilierarchéologique : La défense de l'Armorique au Bas-Empire, op.cit., p. 250 à 258.45 Sébastien Daré, L’établissement antique de la pointe de la Garenne au Hézo (Morbihan),Aremorica, n° 2, 2008, p. 119-146.

Figure 20 - Solidus des empereurs Constant 1er (337-350) et Valens (364-378) découverts à Plaudren (56) et à Elven (56)

© Collection Musée de Vannes, fonds SPM

Page 31: Vannes au Bas-Empire : un castrum

A Venetis, résidait ainsi un préfet des soldats (praefectus militum),officier placé sous l’autorité de l’éminent général, commandant del’Armorique et de Nervicanie. Cet officier avait sous ses ordres un régimentde soldats Maures vénètes (1000 hommes). Si la présence de soldats Mauresest attestée en Gaule dès l'an 383, peut-on pour autant en déduire que lecontingent stationné à Vannes est de même origine ? On continue donc às’interroger sur l’origine de ces soldats, dont le nom indique qu’ils pourraientêtre originaires de Maurétanie en Afrique du Nord. D’après Patrick Galliou,un autre détachement militaire d’environ 500 hommes, issu de la PrimaFlavia (Prima Flavia Metis ?), aurait pu séjourner à Vannes 46 (figure 21).

Aujourd’hui, plusieurs des sites archéologiques de l’antiquité tardivedécouverts à Vannes et présentés précédemment, ont livré des éléments decéramiques du 4e siècle, dont l’origine est justement l’Afrique du Nord. Desfragments d’amphores africaines, peut-être de Maurétanie ou d’Algérie, ont

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

85

46 Dux Tractus armoricanus et nervicanus. Pour l’analyse détaillée de la mention concernantVannes, on peut se reporter aux articles suivants : Pierre Merlat, Les Vénètes d’Armorique,Archéologie en Bretagne, supplément n° 3, Brest, 1981, p. 76-83. Patrick André, La défense dela ville au Bas-Empire, op. cit. p. 33-34. Patrick Galliou : La défense de l’Armorique au Bas-Empire, op. cit., p. 248-250.

Figure 21 - Détail de la Notice des Dignités montrant les insignes des troupessuivantes : Mauri Osismiaci et Prima Flavia Metis

© Bibliothèque d'État de Bavière

Page 32: Vannes au Bas-Empire : un castrum

été recueillis dans la cave antique de la place Sainte-Catherine et dans lapetite cave sous l’église Saint-Patern. Cette dernière contenait aussi de lavaisselle de table sous forme d’assiette en sigillée claire africaine, datablede la fin du 4e ou début du 5e siècle. Ces éléments attestent-ils simplementune évolution des courants commerciaux ou n’ont-ils pas aussi un lien avecla présence à Vannes d’un régiment de Maures ? Les boucles circulaires enbronze retrouvées dans le même contexte archéologique que la sigillée, sontprobablement des éléments de harnais pour chevaux. Or, les Maures étaientréputés pour être d’excellents cavaliers. Enfin, la multiplication desdécouvertes de monnaies en or (solidus) aux abords de Vannes (Elven,Plaudren, Le Hézo, …) confirme, sinon une reprise économique, plusvraisemblablement la présence dans le secteur de contingents militaires dontil fallait payer la solde.

5. La naissance du christianisme à Vannes

On sait peu de choses sur les débuts du christianisme à Vannes et pourcette époque reculée, l’histoire officielle se confond souvent avec deslégendes. La religion chrétienne fait peut-être une timide apparition dès le 3e

siècle en Armorique, mais l’archéologie n’en apporte aucune illustration, nile moindre indice. Il faut donc certainement attendre le début du sièclesuivant avec le règne de Constantin 1er (307-337 après J-C) pour voir l’essorde cette religion dans l’ouest de la Gaule, et la naissance d’une communautéchrétienne dans la cité vannetaise avant la fin du 4e siècle (figure 22). Quelsont été les vecteurs d’introduction de cette religion nouvelle, et de quellesdonnées historiques disposons-nous pour Vannes ?

CHRISTOPHE LE PENNEC

86

Figure 22 - Une des 217monnaies trouvées place desLices : Revers d’un bronze de Magnence, empereur romain(350-353). Il est illustré d’unmonogramme du Christ,entouré des lettres alpha etoméga.© Collection Ville de Vannes,cliché C. Le Pennec

Page 33: Vannes au Bas-Empire : un castrum

LES VECTEURS DE LA CHRISTIANISATION

Dans le courant du 4e siècle, compte-tenu de nos connaissances sur lasituation globale de l’Armorique, la religion chrétienne a certainementimprégné la cité des Vénètes par au moins trois vecteurs concomitants, oupour le moins contemporains : L’évangélisation de missionnaires gallo-romains visant à la création de diocèse, l’émigration bretonne et enfinl’arrivée de contingents militaires.

Durant l’époque gallo-romaine, le christianisme implanté fortement enOrient et en Afrique du Nord, s’étend progressivement vers le Nord. AprèsRome, Lyon, capitale des Gaules, est certainement l’une des premières citésà avoir un évêque et ce dès le milieu du 2e siècle. Cent ans plus tard, la citéde Tours dispose d’un siège épiscopal.

A partir du règne de Dioclétien (284-305), débute une subdivision dela Gaule en multiples provinces (contre quatre auparavant). L’Armorique estintégrée à la Lyonnaise IIIe qui au départ compte neuf cités, avec Tourscomme capitale. Ce siège épiscopal était certainement un centre chrétienimportant d’où partaient des missionnaires pour évangéliser les terresconsidérées comme païennes, en particulier l’Armorique. Nantes disposeprobablement d’un évêque vers le milieu du 4e siècle.

Nul doute que Le Mans, Rennes et Vannes ont certainement intégré leschéma d’organisation de la province en diocèse, dans les décennies qui ontsuivi 47.

Face aux invasions des Scots, Frisons et Saxons, une émigration bretonnese développe en direction du continent et en particulier de l’Armorique, àpartir du 4e siècle et s’accroît ensuite. Ces populations s’installent en grandnombre sur les côtes du Finistère et des Côtes d’Armor où, nous le verrons,elles forment une importante communauté au 5e siècle. Ces nouveauxarrivants ont certainement essaimé plus au Sud vers Vannes et Nantes, sanspour autant que leur influence y soit forte.

Enfin, il ne faut pas oublier d’évoquer l’arrivée en Armorique decontingents militaires, probablement dans la seconde moitié du 4e siècle.Venetis voit ainsi s’installer de manière durable un bon millier de soldats,les Maures vénètes, ainsi que d’autres troupes. Compte-tenu de leur nom,ces Maures devaient provenir de Maurétanie, une province romaine quicouvrait une partie de l’Algérie et du Maroc, en cours de christianisation dès

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

87

47 Dominique Aupest-Conduche, Quelques réflexions sur les débuts du christianisme dans lesdiocèses de Rennes, Vannes et Nantes, Annales de Bretagne, 1972, volume 79, n° 1, p. 135-147.

Page 34: Vannes au Bas-Empire : un castrum

le 3e siècle 48. Nul doute, que ces nombreux soldats ont apporté avec eux leurs coutumes et croyances, dont la religion chrétienne pouvait être unecomposante. Cantonnés à la fois aux abords de Vannes et sur différents pointsdéfensifs du littoral morbihannais, ces Maures ont certainement contribuépour une part à la christianisation des populations locales.

Ainsi, c’est à la charnière des 4e et 5e siècles, que Venetis connait unvéritable essor d’une communauté chrétienne dans sa cité, résultant tout à la fois mais à des échelles différentes, d’une évangélisation de missionnairesgallo-romains et de l’arrivée de nouvelles populations (soldats et émigrantsbretons). Dans ce contexte, il ne serait pas incohérent d’imaginer à cetteépoque la création d’un siège épiscopal à Vannes.

LES SOURCES HISTORIQUES

Dans les faits, les plus anciens documents à notre disposition neremontent pas avant le milieu du 5e siècle. Il s’agit de textes relatifs à desassemblées ecclésiastiques (conciles, synodes, ...), qui nous permettent dedéduire qu’à cette date Vannes possédait déjà un évêque, prédécesseur dePaternus, sans que l’on puisse dire s’il s’agit du premier 49.

A cette époque, la cité des Vénètes fait partie de la province de Toursqui comprend huit évêques (figure 23). Le 4 octobre 453, se tient le conciled’Angers où il est fait mention de plusieurs évêques dont le siège est connu(Angers, Tours, Le Mans et Nantes). Pour les autres, on sait seulement qu’ilsviennent de l’Armorique : Sarmatius, Rumoridus, Viventius et Chariaton.Pour ce dernier, il est admis qu’il pouvait être l’évêque représentant lesBretons (population ayant migré des îles de Bretagne). Le synode de Toursde 453 n’apporte aucune précision mais confirme les données précédentes.Le concile de Tours du 18 novembre 461 énumère les huit évêques de laprovince, dont le siège est connu. Un autre, Mansuetus, est décrit comme lereprésentant des Bretons (Mansuetus episcopus Britannorum interfui etsubscripsi), soit le même titre que Chariaton, mentionné huit ans plus tôt.Enfin, un dernier évêque, absent à ce concile, est représenté : il s’agit deVenerandus.

CHRISTOPHE LE PENNEC

88

48 Paul-Albert Février, Aux origines du christianisme en Maurétanie césarienne, Mélanges del’Ecole française de Rome, 1986, Volume 98, n° 98-2, p. 767-809.49 Léon Fleuriot, Les origines de la Bretagne, Editions Payot, 1980, p. 144-149. Henry Marsille,Vannes au Moyen-Age, op. cit., p. 19-30.

Page 35: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Figure 23 - Essai d’attribution des évêques aux cités de la province de Tours

Au milieu du 5e siècle, les cités des Osismes (Finistère) et desCoriosolites (Côtes d’Armor) connaissent des situations politiques troublées.Il est difficile de savoir où se trouvaient les sièges épiscopaux, peut-être ducôté de Quimper et de Brest, mais probablement pas à Carhaix ni à Corseul.Dans ce contexte et en toute hypothèse, Chariaton et Mansuetus, évêquesdes Bretons, ne pouvaient-ils pas être aussi les représentants de ces cités ? Le concile de Vannes, qui a lieu entre 461 et 465, confirme cette idée. Lesévêques Albinus et Liberalis sont considérés à la fois comme les représentantsdes Bretons, mais aussi des cités des Osismes et des Coriosolites 50. Suivantcette hypothèse, nous pourrions d’ores et déjà admettre que l’un des troisévêques présents au concile d’Angers (453) et dont on ne connaît pas lesiège, était le représentant de la cité des Vénètes : Sarmatius, Rumoridus ouViventius. Ne pourrait-il pas en être de même pour Venerandus (mentionnéen 461) ?

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

89

50 Marcel Planiol, Histoire des institutions de la Bretagne, Rennes, 1953-1955, tome 1, p. 138.Léon Fleuriot, Les origines de la Bretagne, op. cit., p. 147.

Assemblées religieuses et nom des évêques (présents ou absents)

Concile Synode de Concile de Concile de Vannesd’Angers (453) Tours (453) Tours (461) (vers 461/465)

Angers Thalasius Thalasius Thalasius Thalasius

Tours Eustochius Eustochius Perpétuus Perpétuus

Le Mans Victorius Victorius Victorius Victorius

Nantes Desiderius Desiderius Eusébius Nunechius

Rennes Athenius Athenius

Vannes Venerandus Paternus

Cité des

Coriosolites

Cité des Albinus

Osismes Liberalis

Evêquedes Bretons

Sarmatius

Citésépiscopales

Charatoni Mansuetus

Sarmatius

Rumoridus

Viventius

Chariaton

(Caritone)

= Corentin ?

Page 36: Vannes au Bas-Empire : un castrum

Le concile de Vannes a pour objectif de choisir un nouvel évêque,probablement après le décès du précédent. A l’exception du Mans etd’Angers, toutes les autres églises de la province de Tours sont représentéesà cette assemblée, qui voit l’élection de Paternus (Patern), le premier évêqueconnu de Vannes. Selon Henry Marsille, l’évêque de Vannes avait son siègedans l’église de la ville qui devait se trouver hors les murs, et dans laquelleil présidait l’office quotidien 51. Une lettre de seize articles a été rédigée àcette époque à l’attention des évêques absents, pour leur relater les décisionsprises lors de cette assemblée conciliaire. L’article 8 mérite notre attention :« Il n’est pas permis à un même abbé d’avoir plusieurs demeures ouplusieurs monastères, à moins qu’il ne s’agisse d’un refuge à l’intérieur desremparts pour se garantir des ennemis ». En guise de conclusion sur leconcile de Vannes, celle de Marsille me paraît des plus explicites :

« Le trait dominant qui se dégage des actes de ce concile est undéveloppement de la cléricature qui suppose une communauté chrétiennedéjà nombreuse. Et dans une petite agglomération un grand nombre devientvite une majorité. Avec son église, son évêque, ses vierges consacrées, leconcours de ses fidèles, Vannes apparaît, au milieu du Ve siècle, comme uneville gagnée au christianisme ».

LE SIÈGE ÉPISCOPAL DE VANNES

Si l’on admet que la cité disposait d’un évêque dès le début du 5e siècle,alors celui-ci devait siéger en dehors du castrum, à proximité immédiate dela ville. Certains ont pensé que Saint-Symphorien aurait pu être le site de lapremière église de Vannes. Mais cette hypothèse ne repose à ce jour suraucune donnée archéologique. Les vestiges retrouvés dans ce secteurappartiennent à une ou plusieurs habitations gallo-romaines, dont l’abandonest attesté au début du 4e siècle. En 1964-1965, Joël Lecornec a mis au joursur ce site un bâtiment très ancien, dont l’orientation était différente desvestiges antiques trouvés à proximité 52 (figure 24). Malheureusement, desconditions difficiles ont empêché la réalisation d’une fouille minutieuse et lacollecte de mobilier. Pourrait-il s’agir d’un édifice paléochrétien comme lieude réunion des premiers chrétiens de Vannes, prémices à un prieuré qui existaità cet endroit au Moyen-Age ?

CHRISTOPHE LE PENNEC

90

51 Vannes au Moyen-Age, op. cit., p. 19-24.52 Joël Lecornec, Un site gallo-romain de Vannes : Saint-Symphorien, Annales de Bretagne,1967, volume 74, p. 199-209.

Page 37: Vannes au Bas-Empire : un castrum

C’est en tous cas, l’hypothèse développée par de La Martinière, quis’appuie sur l’ancienneté du culte de Saint-Symphorien, solennellementvénéré à Tours au milieu du 5e siècle 53.

Paternus, premier évêque connu de Vannes, décède la fin du 5e siècle.Selon la tradition, un sanctuaire lui est alors dédié et installé sur terrain donnépar un fidèle. On pourrait être tenté de situer cet édifice dans le chœur del’église actuelle de Saint-Patern, mais cela reste aussi une hypothèse. Ce quiest certain en revanche, c’est la présence sous le chœur de l’église d’unédifice gallo-romain tardif édifié au 4e siècle, et contre lequel une petite cavea été aménagée à la fin de ce siècle ou au début du 5e. De très nombreusesinhumations vont alors se succéder de manière continue depuis cette époquejusqu’à la Révolution. Le mobilier gallo-romain tardif ainsi que les deuxpendeloques anthropomorphes (6e - 8e siècles) retrouvés sur place plaident enfaveur de Saint-Patern, comme site probable d’implantation d’un édificepaléochrétien : La première église de Vannes ? Elle sera détruite quelquessiècles plus tard, lors de pillages normands. Quant à l’intra-muros, on ne sait

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

91

53 Jules de La Martinière, Les origines chrétiennes et les premières églises de la cité, BSPM,1913 p. 33-48.

Figure 24 - détail du plan des vestiges de Saint-Symphorien, montrant un bâtiment ancien non identifié (noté B).

Joël Lecornec, Un site gallo-romain de Vannes : Saint-Symphorien, Annales de Bretagne, 1967, p. 202

Page 38: Vannes au Bas-Empire : un castrum

absolument rien sur l’implantation d’un édifice chrétien durant le HautMoyen-Age, à l’emplacement de la cathédrale Saint-Pierre. Tout juste peut-on le supposer, sans pour autant proposer la moindre date.

Conclusion

Fondée sous le règne d’Auguste, Vannes-Darioritum, chef-lieu de la civitas des Vénètes, était une agglomération de 50 hectares, dotéed’infrastructures administratives, économiques et religieuses. Implantée enfond de ria dès sa création, elle disposait d’un port qui lui ouvrait les portesde l’Empire romain. Tournée vers la mer, la ville a ainsi pu prospérer durant trois siècles, jusqu’à la crise profonde survenue à la fin du 3e siècle.Les menaces d’invasions aux frontières terrestres et maritimes de l’Empire,ont conduit les cités à délaisser leur ville ouverte pour se réfugier à l’abrid’enceintes urbaines fortifiées. Vannes, à l’instar de Rennes et de Nantes,installe son castrum sur un promontoire plus apte à assurer sa défense, lacolline du Mené. Les matériaux nécessaires à l’édification d’une telle muraillesont récupérés sur les monuments et édifices de la ville abandonnée deBoismoreau, qui à cette date devait déjà ressembler à un champ de ruines.

Jusqu’alors, la vision des historiens sur la situation de Vannes à cetteépoque, était celle d’une ville désormais cantonnée à son castrum. Or desdécouvertes archéologiques majeures, longtemps restées inédites pourcertaines, nous permettent aujourd’hui une nouvelle lecture de la citévannetaise, durant le Bas-Empire. En effet, nous découvrons que plusieursédifices de belle qualité ou d’importance ont été construits hors des murs del’enceinte au cours du 4e siècle : place des Lices, place Sainte-Catherine,église Saint-Patern, …

Cette période connaît une certaine accalmie et contribue certainementà une reprise ponctuelle de l’activité économique. Elle débute en effet avec lerègne de l’empereur Constantin 1er (307-337), auteur de nombreuses réformesde l’Empire. L’arrivée de contingents militaires sur les côtes armoricainesapporte une sécurité supplémentaire mais cette embellie est de courte durée,car la menace des barbares devient de plus en plus prégnante. Plusieurs desbâtiments nouvellement édifiés à Vannes, montrent des traces d’incendie, etsont finalement abandonnés fin 4e ou début du 5e siècle.

En définitive, les crises profondes et successives qui marquent le Bas-Empire, vont conduire à la destruction totale de l’organisation administrativeet économique du monde romain occidental. Les anciennes provinces de

CHRISTOPHE LE PENNEC

92

Page 39: Vannes au Bas-Empire : un castrum

l’Empire sont soumises à des invasions multiples qui engendrentd’importants mouvements de populations, notamment l’émigration bretonne.En Armorique, les 4e et 5e siècles voient la disparition pure et simple degrandes cités, telles Carhaix et Corseul, tandis que d’autres connaissent unevéritable métamorphose physique : Vannes, Rennes et Nantes sont désormaisprotégées par un castrum. Par la présence de troupes et avec l’essor duchristianisme, de profondes mutations politiques et sociales s’opèrent au seinde ces cités. Témoins de l’inexorable délitement de l’Empire, elles finissentpar en rejeter les derniers représentants. Chacune de ces villes étant devenuele siège épiscopal d’un diocèse, elles laissent le pouvoir se partager entrel’évêque, représentant de l’Eglise chrétienne, et les chefs militaires en chargede leur protection. Peu après, ces derniers feront du pays de Vannes unterritoire autonome important, le Bro Waroch ou Broërec. Désormais, tous lesingrédients sont réunis et conduisent peu à peu la société vers un systèmeféodal, qui restera en place durant plus d’un millénaire, période durant toutelaquelle Vannes sera demeurée une ville fortifiée.

Christophe Le PennecAssistant de conservation, Ville de Vannes

Quelques éléments de bibliographieANDRÉ Patrick, Le rempart romain de Vannes et la défense de la ville au Bas-Empire,Actes du colloque sur les remparts de Vannes, Les Amis de Vannes, 1988, p. 7-19.

ANDRÉ Patrick, La défense de la ville au Bas-Empire (IIIe s. - Ve s.), Histoire deVannes et de sa région, 1988, p. 29-35.

DUBUISSON AUBENAY, Itinéraire de Bretagne en 1636, par Léon Maître et Paul deBerthou, tome 1, Nantes, 1898, p. 134-157.

Fouilles archéologiques de l’an 2000, Edition Ville de Vannes, 2001, 32 pages.

GALLIOU Patrick, La défense de l’Armorique au Bas-Empire, essai de synthèse,Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, tome LVII, 1980, p. 235-285.

GALLIOU Patrick, Carte archéologique de la Gaule : Morbihan 56, coédition Maisondes sciences de l’homme (Paris) et Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,janvier 2010, 445 pages.

LA MARTINIÈRE Jules de, L’enceinte romaine de Vannes, Annales de Bretagne, 1927,p. 108-121.

MARSILLE Henry, Vannes au Moyen-Age, BSPM, 1982, 149 pages.

PAPE Louis, La Bretagne romaine, Editions Ouest-France Université, Rennes, 1995,309 pages.

VANNES AU BAS-EMPIRE : UN CASTRUM

93

Page 40: Vannes au Bas-Empire : un castrum