alexandre voisard poésie iv

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Alexandre Voisard Poésie IV Le Déjeu Sauver sa trace Quelques fourmis sur la page Fables des orées et des rues Épars Textes présentés par André Wyss Table des titres et des incipit, volumes I à IV Alexandre Voisard L’Intégrale 4 camPoche

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Page 1: Alexandre Voisard Poésie IV

Alexandre Voisard

Poésie IVLe Déjeu

Sauver sa traceQuelques fourmis sur la pageFables des orées et des rues

Épars

Textes présentés par André Wyss

Table des titres et des incipit, volumes I à IV

Alexandre Voisard � L’Intégrale 4

camPoche

Page 2: Alexandre Voisard Poésie IV

Les huit volumes des Œuvres d’Alexandre Voisardsont publiés avec les appuis

de l’Association des Amis d’Alexandre Voisard, de la BanqueCantonale du Jura, de Clientis (Banque Jura Laufon),

du Canton du Jura, de la Commune de Fontenais, de laFondation Anne et Robert Bloch, de l’Office de la culture du

canton de Berne, du Pour-cent culturel Migros,de Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture.

L’auteur et l’éditeur les en remercient.

«Poésie IV»,quatrième volume des Œuvres d’Alexandre Voisard,

cent quatre-vingt-dixième ouvrage publiépar Bernard Campiche Éditeur,

édité sous la direction d’André Wyss,a été réalisé avec la collaboration de Line Mermoud,

Huguette Pfander, Marie-Claude Schoendorff,Daniela Spring et Julie Weidmann

Couverture et mise en pages : Bernard CampicheIllustration de couverture : aquarelle d’Alexandre Voisard,

du manuscrit inédit «Abornage d’une histoire incertaine»,avec pour légende «On rêve le jour »

Photogravure : Bertrand Lauber, Color+, Prilly,& Cédric Lauber, L-X-ir Images, Prilly

Impression et reliure : Imprimerie Clausen & Bosse, Leck(Ouvrage imprimé en Allemagne)

ISBN 2-88241-190-1Tous droits réservés

© 2006 Bernard Campiche ÉditeurGrand-Rue 26 – CH-1350 Orbe

www.campiche.ch

Page 3: Alexandre Voisard Poésie IV

LE DÉJEU

Page 4: Alexandre Voisard Poésie IV

«Le Déjeu»a paru en édition originale en 1997

chez Bernard Campiche Éditeur, à Yvonand

Page 5: Alexandre Voisard Poésie IV

Dans mon pays, les joueurs de cartes éclairés (quiont l’œil vif et la science des registres) pratiquentvolontiers le déjeu. Ainsi, dès la première levée,l’un des joueurs commet délibérément une préten-due bévue censée alerter, par son incongruitémême, le partenaire sur ses possibilités de jeu. Ils’agit moins de déjouer la stratégie de l’adver-saire que d’inviter son camp à vigilance. Demême, il arrive au poème d’emprunter une voie detraverse pour parvenir à son dessein : risquerl’image incandescente qui illumine le territoireoù s’accomplisse (atout singulier) l’aventure de laparole. Pour autant, la métaphore n’a pas pourvocation d’égarer le lecteur, qui aurait tort devoir en elle, immédiate ou apprêtée, une trivialeruse destinée à le troubler. Subissant lui-mêmesans relâche une mise en demeure du langage,qu’il ne saurait asservir mais dont la maîtriseest tout l’enjeu, le poète s’évertue à mettre engarde qui veut l’entendre : retourne les pierres,gratte le sable, méfie-toi du sens premier.

Page 6: Alexandre Voisard Poésie IV

L E D É J E U

Page 7: Alexandre Voisard Poésie IV

Le vrai maître ne confond pasle chant de son encrieravec le soupirde la source à ses piedsmême dans son sommeil il entendrouler les rêves du rat des villesau long de routes infiniescomme un signe de vieet une preuve d’amour.

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Page 8: Alexandre Voisard Poésie IV

La feuille fait dire à l’épinetout ce qu’elle déteste au mondependant ce temps l’églantine implorequémandant caresses et louangesauprès de n’importe quidu plus rude au plus ému des vivants.

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Page 9: Alexandre Voisard Poésie IV

D’un nuage l’autreon oublie le tilleul à la pensée suaveon crache dans ses mainspour se donner du courageparce que les semaines passent trop viteainsi que la truite entre les pièges du ruah oui il nous manquequand même un peu d’audacepour tirer par la manche le philosophequi dit maîtriser à la foisles outils le sel et les rires.

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Page 10: Alexandre Voisard Poésie IV

Peu à peu le devoir de renaîtrecambre primevères et renonculesles anciens aux tempes de farinefixent obstinément la portecommence la longue veilleà la table autour des graineson oublie les chants tristeset transparents sur les couvainsc’est à peine si la couleuvrebouge un brin dans notre souvenir.

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Page 11: Alexandre Voisard Poésie IV

L’arpenteur inspiré ne compare pasle rayon de son arc-en-cielà la foulée d’un porteur d’eauil retient ses larmes de joieet cache son compas dans son dos.

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Page 12: Alexandre Voisard Poésie IV

Tant d’années passéesà courir le sensen deçà du réel !et le bruant dans la confusion des roseauxd’un seul coup d’ailet’explique l’incalculabletrajectoire du désir.

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Page 13: Alexandre Voisard Poésie IV

Que peut-on célébrer encorede ces hauteurs si hardiment disséquéesdont quelques dentelles continuentçà et là de chanter à voix bassealors que les routes tirent à l’équerredes droites si parfaites qu’on en pleureraitseuls les sentiers sombres et les chemins de mûressavent encore nouer aux plis du paysagel’ancien et le nouveau.

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Page 14: Alexandre Voisard Poésie IV

Si reconnaissante soit-ellela bûche que tu façonnes(et qui fait de ta maind’hiver une main de printemps)ne brûlera pas toute l’annéepour la sauvegarde de ta tribuelle partira un beau matinen douce à la façon des chatsécoutant en eux-mêmesle sang noir prenant congé.

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Page 15: Alexandre Voisard Poésie IV

Si chacun sait battredes mains dans l’airchacun n’a pasde sauf-conduit pour un paradisne frappe pas qui veutsur l’enclume du désirpas même le renarddont la frivole descendancefoule le trèfle à quatre feuilles.

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Page 16: Alexandre Voisard Poésie IV

Fiancée tremblantesur son désir en crêtela feuillée ajustele territoire de la roséeaux arrondis et aux ajoursde sa robehé ! on tomberait vitede l’année du chênedans le jour des mèresainsi que le trompettel’almanach des ivrognes.

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Page 17: Alexandre Voisard Poésie IV

Ils sont renés les gestesd’amour qu’on croyait avoir perdusquand s’embrasèrent nos aïeulesjuste avant de vieillirles voici resurgis parmiles enchevêtrements concertants des drapsoù s’engouffrent filles et amantessûres de leur languecomme de leur broderie.

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Page 18: Alexandre Voisard Poésie IV

Celle qui m’emmène au loinen quelque sorte dans un flaconde lavande ancienneconnaît les détours de mon passéc’est ainsi qu’à tout instant elle peutdéjouer les astuces de mes arrière-penséesme retrouver intègre intactdans les parfums les plus éventésc’est pourquoi elle m’aimepour moi-mêmedepuis toujours.

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Page 19: Alexandre Voisard Poésie IV

On vient de loin pour voirse saigner la marmite solairele temps presse maistu aurais tort de te hâterne mesure ton pas qu’à la fouléedu messager de la Petite Ourseet rien d’autre.

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Page 20: Alexandre Voisard Poésie IV

Elle a pavoisé tout ce qu’elle putl’eau de nos fontaines démâtéesqui nous tient lieutant de mémoire que de liencontre ce qui divisel’eau a remonté les halages d’enfancejusqu’à nos gorges serréesà l’instant de l’invention des sources.

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Page 21: Alexandre Voisard Poésie IV

Ce soir-là nous parlionsentre nous à voix bassesur le même ton que les augurestoujours s’adressèrent aux chiffresentre les pages de notre livre de comptesnous avions beau soustraire du langage nos défaitesnos chagrins s’additionnaient sans merci.

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Page 22: Alexandre Voisard Poésie IV

La longue nuit soupçonneuseen a fini de dévorertoute pensée hivernalel’ancêtre n’ira plus aux boisque pour peser les dernières ramillesà l’aune de ce filet de mémoirequi le tient encore d’aplombprêt à inaugurer chaque renouveaud’un coup de langue lesteà l’arête du bourgeon échouéen sa main.

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Page 23: Alexandre Voisard Poésie IV

Si l’on n’y prend gardela mémoire vous coupe en deuxà la césure de vos musiqueset l’on tombe de blanche en noiresous la médiation des grissans recours aux points d’orguequi sauraient faire la lumièresur la sincérité de vos gammeset du coup vous voilàou le paria de ceciou l’arbitre de cela.

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Page 24: Alexandre Voisard Poésie IV

Voici l’heure de la métamorphosela lune fait silencehonteuse de ne savoir appelerla phalène par son nomdemain tous les travauxauront changé de mainsà l’aube les ouvriers déhanchésconnaîtront le tarifdes portages d’eau entre les pontsparmi les larmes impayées.

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Page 25: Alexandre Voisard Poésie IV

L’arbre que terrasse la tempêtene dit ni hélas ni merciil s’allonge sur son secretà son mystère il donne congél’au-delà convient aux fuyardstout est bien.

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Page 26: Alexandre Voisard Poésie IV

Faisons un rêve qui nous contece qui subsiste de l’aubépineet à la nuit tombéeouvre une fenêtre en notre litnous passons du monde des maîtresà l’univers sonore des foussans frémir sans saignersans clairons ni regrets.

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Page 27: Alexandre Voisard Poésie IV

Remonter l’écheveau de la mémoirejusqu’au nœud de corne brûléequi la condamneremonter jusqu’au taureau qui poseaux otages l’ultime questionremonter dans la brumejusqu’au fanal allumé poursi peu de temps encorele cœur se serre derechef.

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Page 28: Alexandre Voisard Poésie IV

Avec le tempsrepu de grainl’ivraie lui sortant des narinesle disciple de nos fins de nuitl’apôtre de nos assouvissementsles yeux bandéss’échouera au loin en quêted’une vague sagesse d’avion rouilléalors il nous faudra recommencerà parler parler parlerde tout ce rienqui est si peu dans l’oreille.

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Page 29: Alexandre Voisard Poésie IV

La pluie mourante consolele dernier pétale de l’églantinec’est ainsi qu’on nous demandede demeurer ce que nous sommesdans le désordre de nos débrisalors que l’amour atermoieà la porte.

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Page 30: Alexandre Voisard Poésie IV

Préparons-nous à disparaîtrehors du désarroi d’une vied’abeille flouée par ses sœurspréparons-nous dans les élancementsde miel qui dressent les corymbes du sureaula pente alors devient bien douceil ne restera bientôt plus qu’à attendreque le train s’arrêtelonguement dans les gares.

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Page 31: Alexandre Voisard Poésie IV

L O U A N G E

À Q U I R Ê V E D E B O U T

Page 32: Alexandre Voisard Poésie IV

Solitaire au bout du rameautremble la tendre feuilleelle est à la foisle commencementet l’achèvementet c’est pourquoielle ne se dérobera pasà l’insulte et aux morsuresde qui se croitimmortel.

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Page 33: Alexandre Voisard Poésie IV

Le jour vientde dire qui tu estu ne seras sauvéque par une violetteà l’œil vague et au chiffre incertainpeut-être le mystère de vivredévoilera-t-il à toustes chevilles ensanglantéesque tu marchesou ne marches pas.

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Page 34: Alexandre Voisard Poésie IV

Tu n’es plus à l’école devant tes terreurs d’encreet pourtant tu hésites à prédirele parcours du scarabée à la poche percéeil est moins rusé que toiqui ne dors que d’un œilet qui demandes consolationpour chaque écaille que tu perdset qui se change jour après jouren cendres et humus.

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Page 35: Alexandre Voisard Poésie IV

Ce printemps met à l’épreuveles quatre épices de l’oragel’une interroge les anxieuseset l’une réveille les pourceauxune autre brûle les fagotsde fariboles dans l’oreillela dernière patientejusqu’à ton réveil ébahi.

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Page 36: Alexandre Voisard Poésie IV

Taille ta plumeavant que la vaste neige ne s’érigeen messagère d’une semainequi finit à peine commencéelisse tes mots dans le sens du poilafin que tous comprennent ton humeuret pas seulement le garde-frontièretrônant sur sa luge d’ordonnanceoù est écrit le mot confidentiel.

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Page 37: Alexandre Voisard Poésie IV

Tu voudras aller toujours plus loindans l’incroyable dans le rougeoyanttu voudras mériter des éloges de papieril te faudra porterbien haut ta tête de morillesur ce tronc de malle-poste en radeil te faudra courage et bannière de veninpour passer ainsi les bornes cuirasséessans encourir ni indigniténi châtimentet tu sauras pleurer deboutà peine penché sur les rucheséventrées une à une.

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Page 38: Alexandre Voisard Poésie IV

À peine as-tu les yeux fermésque tu sens le chèvrefeuille te serrer à la gorgeen d’autres lieux même l’ortieattardée sur ton avant-brasne te console plus des comètes perduesautrefois par pure distractionmais au moins sais-tu encorecombien de nos pareils sont réunisen un seul maigre bourgeon de chêne ?

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Page 39: Alexandre Voisard Poésie IV

Hier tu accompagnais la bichesur les pentes salées oùmitonne l’embrasement des espritstu retrouvais à l’odeurde sublimes désirs enfantins etmaintenant tu reviens à ce temps enfouicomme quelqu’un qui a perdu ses cléstu t’essouffles en vain et les biches en rutte regardent passer boitillant boitillant.

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Page 40: Alexandre Voisard Poésie IV

Tu marcheras encore tu iras lointu diras ce que tu entendstu montreras ce que tu devinestu chemineras jour après jourde ville en ville et de ruisseaux en fleurstu aideras les rives à se rejoindretu feras tienne la femme aux seins de laittu entendras baiser les angesdans ta carriole sous les peaux de genettetu n’attendras jamais de récompense.

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Page 41: Alexandre Voisard Poésie IV

N’hésite plus Allezva au fond des choseslà où l’on dit qu’il fait chaudva et reviens bientôtà ce lieu qu’on nomme natalqui sait réconcilier le cœur et l’ouvrageva et viens entre le chaud et le fraisne préfère jamais l’un à l’autreà ce jeu d’autres ont laissé leur peautelles ces putes célestesqui vocalisent encore à ton oreilleet dont tu chéris le souvenir.

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Page 42: Alexandre Voisard Poésie IV

Tu t’éloignes de ta maisonsans te retourner sur tes pastout va semble-t-il comme il est écritmais si le doute soudainte fait frissonnerconfie-toi au scarabéelourd des noirceurs du mondeplutôt qu’à la violette prolixecompte tes amisentre le pouce et l’index.

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Page 43: Alexandre Voisard Poésie IV

Une fois le jouraccoudé à la collinetu deviseras avec le merletu verras l’airs’empourprer de mots rares.

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Page 44: Alexandre Voisard Poésie IV

Devant l’énigme de faux ciels délavésne te décourage jamaismême si ta bonne étoilene répond plus à tes lettresqu’une amitié de chien de paillesuffise à te rafraîchir la tempeet que les humbles grains de glanurete consolent d’avoir laissémourir de honte ta faucille d’infortune.

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Page 45: Alexandre Voisard Poésie IV

Le moindre rameau sur ta têtet’invite à prendre de la hauteurà te considérer sans fard dans la glaceà la rigueur dans le miroir du cielmais ton regard insiste sur les cailloux du chemintu vois tes pieds en canard te conduire à la messetu margotes dans le chant grégorienparions qu’un jour tu ne saurassous quel nom on t’a demandé de mourir.

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Page 46: Alexandre Voisard Poésie IV

Si dans ta main la plume de geaise rebelle autant qu’au bonnet du chasseurrapproche-toi du chemin des écolierspour te remémorer commentl’encre chantait dans l’encrierce chant qui te guérità jamais des limaces arithmétiquesne t’étonne pas d’avoir enfant déjàsouffert ce qu’endureun poète aujourd’hui.

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Page 47: Alexandre Voisard Poésie IV

Une fois passés les fanfares et les feuxde l’ultime féerie votiveenvolée en bannières et draperies d’oron trouverasous un pied d’ellébore oubliéton collier de chien qui dirates mérites incertains et ta nuageuse identitéalors peut-être l’un ou l’autre comprendra-t-ilselon la tournure de tes ossementscomment tu pouvais faire des poèmesavec rien ou si peu.

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Page 48: Alexandre Voisard Poésie IV

Bats ton horlogeplus vivement que tes enfantssi tu veux voir le seiglearriver jusqu’à ton seuille brocard bande plus férocementquand les jours s’allongentà ne plus finirc’est ainsi que tu voudrais vieillirla nuque sur tes moissons.

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Page 49: Alexandre Voisard Poésie IV

PA P I E R S

D A N S L A F E N T E D U M U R

Page 50: Alexandre Voisard Poésie IV

Fuir les gares de triageoù nous avons laissé se perdrepêle-mêle nos trophées et nos mauxcesser de mâcher l’avoine des locomotivespour faire croire que les trains savantsnous rejoindront à la ramepour nos beaux yeux.

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Page 51: Alexandre Voisard Poésie IV

(avant l’orage, après des vocalises)À peine l’homme sauvagea-t-il tourné la têteque le vent d’occidentrevient sur ses pasinsultant le sable et la pailleraillant les joyeux présagesd’une saison qui tourne à l’aigrecomme l’amanite sous ses masques.

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Page 52: Alexandre Voisard Poésie IV

(Entre l’aiguille et le fill’ongle cherchesa part de véritéglissant en aveuglesur l’étendue du drap.)

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Page 53: Alexandre Voisard Poésie IV

De quelques feuilles mortes la bise d’hiera torché un message plus purque l’haleine du chevreuilacculé à la gorge ultimesur ces mots de rien le givre ce matina scellé un crachat joliment ouvragéil s’en fallut de peuque le maître et le disciplen’échangent leurs chapeauxaprès avoir confondu leurs outils.

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Page 54: Alexandre Voisard Poésie IV

(Dans leur nudité de chèvreles motsau moment de traverser à guéle lit râpeux de la mémoires’en remettentau gris fondant du sel.)

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Page 55: Alexandre Voisard Poésie IV

L’ombre et la lumièrene jouent pas l’une contre l’autrefortune et infortuneil suffit d’un nuage prédateurpour que s’allumeau noir du noyau de charbonl’intuition astraled’une possible parole.

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Page 56: Alexandre Voisard Poésie IV

Répit Miséricorde(on s’habitue aux grelotsqui entre les tempes tintenton se donne des airsde remords à peine croyableson se questionne cruellementon se fait une amiede la première corneillequi passe.)

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Page 57: Alexandre Voisard Poésie IV

Sachez-le bien une fois pour toutesje ne suis plus ce que j’étaisà la saison de la cigognequand j’ai laissé ma défroque d’apprentije ne ris plus du renard enfumé dans son égliseni du crapaud tatouéau rasoir sous les quolibetsle passé gonfle encore mes veinesmais je commence à voir clair dans le présentet je sais à nouveau passer la frontièreavec ma troupe de comètespleines d’eau-de-vie à ras bord.

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Page 58: Alexandre Voisard Poésie IV

De l’ombre qui te poursuitmême quand tu lui jettes des pierrestu n’auras jamais ni l’adresseni l’agilité ni le mordanttu n’auras davantage son audaceni sa légende légère entre les yeuxtu n’auras même jamaisla première lettre de son prénom.

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Page 59: Alexandre Voisard Poésie IV

(Du passereau au sésame des prodigesle passereau amenuise la distancesi nous montons c’est pour mieux retomberseul le doute ordinaire encore nous retientau bord du vide.)

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Page 60: Alexandre Voisard Poésie IV

Vous me voyez comme en détresseavec mes valises lacéréesmes cordages défaitsmes focs rapiécésvous me voyez avec vos yeux d’otagesalors que je reprends mon souffledans l’éclaircie des pages blanchespour secourir vos épaves au large.

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Page 61: Alexandre Voisard Poésie IV

Rêve et insisteau lieu où les sentiers font une croiximagine une possible géométriede conciliations végétalesd’envers et d’endroitsà nos côtéspour plus longtempsqu’une heure et des poussières.

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Page 62: Alexandre Voisard Poésie IV

(Marcher à côté du chênen’accélère pas la coursedu lierre sur l’écorcemais la sandale s’usede sabbat en sabbatsous la verdure débordante.)

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Page 63: Alexandre Voisard Poésie IV

Ai-je trop hésitédans l’entrebâillement des portesla nuit tombe vite sur les incertitudesdès lors je n’ai plus peurde mon ombre étaleje crains plutôtcelui qui la gouverne.

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Page 64: Alexandre Voisard Poésie IV

Quelle ruade dans la mémoirece sanglot qui t’échappeà l’instant où disparaîtta dernière lettre d’amourà la frange bleue des lointainsque de chemin parcourupour se retrouver si prèsdu lieu de sa naissance !

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Page 65: Alexandre Voisard Poésie IV

Se tairecomme la plaie sous l’onglese terrercomme le sabot au pied de l’arbrefaire comme si nos déroutesne savaient pas nagerdans vos étangs de larmes.

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Page 66: Alexandre Voisard Poésie IV

S C È N E S E T R É C I T S

A U B I V O U A C

Page 67: Alexandre Voisard Poésie IV

Sortons vite des boisles ronciers sont coupésfilons avant l’éveildes fins renards et vieux loupsallons danser nos carmagnolesdans les clairières reculéesgardées par les abeilles implacableset disons-nous à voix basseque l’homme pour le loupn’est plus l’homme qu’il croit.

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Page 68: Alexandre Voisard Poésie IV

La femme inquiète rabroue le chienqui s’invente un ennemià chaque carrefourpourtant c’est ailleursdans le secret de la montagneque les scélérats frottent l’amadouc’est ailleurs que leurs enfants effarésapprennent à vivre dans la brûluredu trafic du saccage et du butin.

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Page 69: Alexandre Voisard Poésie IV

À l’hiver l’aventurier ouvre ses mallesle printemps venu il crève de faimà l’été le lièvre lui saute sur les genouxvienne l’automne avec ses vierges odorantespour redonner vigueur et santéà nos commissionnaires que le doute torturemais toiveilleuse vaillante du crépuscule à l’aubetu pourrais de temps en temps au moinsdire que tu m’aimes aux faux prêtresqui t’adorent en confession.

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Page 70: Alexandre Voisard Poésie IV

Puisque vous voilà bien reposésaimez-moi pour mon œil d’étourdipour mes paroles en l’airpour mes pommes tombées trop tardpour mes fausses boiteries à faire rireaimez-moi dans vos incertitudesdans vos chemins de ronde autour du litaimez-moi dans le noir de vos refrains fossilesaimez-moi avant que le hérosde mon histoire ne me mette en joue.

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Page 71: Alexandre Voisard Poésie IV

Un bâton bien droitdit autant de mensongesqu’un bâton noueuxsachez trouver le serviteurqui même courbant l’échinene trahira jamais vos penséesquand il passerad’une maison à l’autreen clopinant.

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Page 72: Alexandre Voisard Poésie IV

Qui marche dans l’enchevêtrement des tourments ?sur la carte les maquis font des rondsplus évasifs que les marais aux oiseaux lourdsde borne en borne la connaissance des cheminsse fait plus lente et rareon souhaite Ah que le cerisier fleurissequ’il en ait la force pure et l’élanà l’instant où l’on viendra l’étreindre.

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Page 73: Alexandre Voisard Poésie IV

Or les heures tout à coup crachentplus vite que les intrigues de feuilletonc’est une bruine sur des paupières d’oursl’ombre converse péniblement avec la sourceon ne parle aux moribondsqu’intérêts et monnaies trébuchantdans le désarroi des mandibules.

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Page 74: Alexandre Voisard Poésie IV

Les lettres d’amour en cendresrabâchent en vain leurs vêpres amèresdans l’infini des steppes que l’ouragan balisepour les bannis et les aveuglesl’almanach lacéré entre selle et chevaln’a plus ni mystère ni odeur.

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Page 75: Alexandre Voisard Poésie IV

Ne me gardez pas rancunesi je renonce à jouer cet épervierqui d’un œil rouge vif fait tairetous les chants et leurs tentativesje ne souhaite que méditersur les carnages dont vous me parleztandis que sursaute au bout de ma languela première goutte de sangtombée de dieu sait où.

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Page 76: Alexandre Voisard Poésie IV

Ceux qui n’avaient pas pris notede ma naissanceme reconnaissent aujourd’huià ma fourchette et mon couteauparmi les vivantsils ont des repentirs de voleurs de boisretombés en enfanceet des regrets qui leur mangent la face.

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Page 77: Alexandre Voisard Poésie IV

Pierre par pierreje bâtirai mon égliseentre deux vagues attardéesentre la dune et l’étherà la façon d’un arbreplongeant des racines profondesdans l’indifférence des ingénieurs.

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Page 78: Alexandre Voisard Poésie IV

Ne nous attristons pasparce que le branle de l’alouettedemeure lettre morteau seuil même de la béatitudeoù tremble une aurore en haillonslaissons les minutes psalmodierl’office des heures.

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Page 79: Alexandre Voisard Poésie IV

Plus l’herbe s’avancevers le sillon de l’autre annéeet plus la terre brasse les ombrescultivant parmi elles le non-ditle renouveau s’ébranle aux cimeslivrées à la cohue assourdissantede la compagnie Pinsons & Verdiersprécoces et puérils censeursde ce qui se murmureen dessous d’eux.

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Page 80: Alexandre Voisard Poésie IV

Quiconque un jour fut roimême un bref instantentre porte et rideauxfinira par tourner le dosau jour qui l’a vu naîtretrop de clochettes trop d’oripeauxfont durer dans les catacombesdes devises indignes de leur maître.

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Page 81: Alexandre Voisard Poésie IV

Aux boulaies du Bois Madamemon sourire prend des airsde noisette avant le beurrede fauvette abusée au bord du toiton m’en voudra peut-êtrede brouiller le pur jeu des cartes– atout maître as et valet –mais au Bois Madame je perdsla main tandis qu’à la rondeon me loue pour ce que je fussur l’autre versant ce que je fusau cœur noir de l’indicible.

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Page 82: Alexandre Voisard Poésie IV

L’écureuil que tu envies et qui te narguen’en sait pas plus que toiquant aux nouvelles qui n’arrivent pasdes territoires arides qu’on t’assignaet tu as beau interroger l’œil du lézardou les restants de pive sous le sapinfais-toi petit toi qui doutes du lendemainque ta dernière chance soit ton souffleoh écoute écouteles rires des filles libres au loin.

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Page 83: Alexandre Voisard Poésie IV

Laisser son corps disparaîtres’enfouir en l’autrene veut pas dire aimer mourirle désir aussi creuse les tombesdans la tourbe des chauds maraison se contemple de la tête aux piedsavant de fermer l’œilsous la langue le miel salinqui se conjugue au futur antérieurest convivial à tout jamais.

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Page 84: Alexandre Voisard Poésie IV

Dans la boue le carabeperçoit le pouls de l’universil entend geindre les gravillonsque les pluies charrient et rongentnon loin le poète à l’affûttel un proverbe traînant dans le journalde sa paume voudra signerla moelleuse chimie du limon.

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Page 85: Alexandre Voisard Poésie IV

La braise dans l’œil du magistratne fait pas de cet homme un magicienelle met en cause le feu contradictoiredes mots qui lui brûlent la boucheà l’instant glacé d’ouvrir les débatselle fait ce qu’elle veut dans l’ordre du reprocheles torts ne seront jamais de son côté.

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Page 86: Alexandre Voisard Poésie IV

L’alouette aura-t-elle jamais promisle ciel aux pouilleurs de graineou à nous autres qui glanons si peuau large de nos prouesses présuméessi les anges de l’ancien mondes’écorchent encore aux ortiesc’est qu’il reste bien des malentendusà disséquer à mettre en lignesentre terre et azurentre le vert et le secentre le vin et l’outre.

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Page 87: Alexandre Voisard Poésie IV

FA B L E S D E L’ E N V E R S

D E S C H O S E S

Page 88: Alexandre Voisard Poésie IV

Veux-tu entrevoir le sublimeoh la louable aspirationdès lors fais-toiun croc et un cœur de haretrêve tout bascomme le sacristain qui boit seclange Dieu dans son étable.

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Page 89: Alexandre Voisard Poésie IV

Prends garde à la lucarnequi te regarde au fond des yeuxelle défait les plis de ton secretelle t’invite vers un au-delàdont tu as tout lieu de craindrequ’il ne soit pas une récompenseni un espace parfumé de moissons.

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Que diriez-vous d’une croisièredans l’aigre fraîcheur des fourmilièresd’un déjeuner sur l’herbe d’un autre mondeou d’une escapade aux lisières de l’infinià l’endroit si imprévisible de l’envers des chosesque diriez-vous d’une brève haltedans l’hémicycle des saisons inachevéesque diriez-vous de toutes ces joiesque nous saurions nous donnersi nous le voulionssi nous savions patientersous n’importe quel masque ?

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Ne reprochez pas à la luned’occulter l’espace d’encrede la fenêtre où vous rêvezayez plutôt une penséepour le pêcheur dont le filetne ramène du pôlequ’un peu de glacede sel et d’amertume.

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On dit : l’orage fait des sienneson ne dit pas : la parole est d’argenton dit : le train se perd dans le paysageon ne dit pas : j’ai couru comme un fouon ne dit pas : le jour tombe en loquesc’est pourquoi l’on peut direen toute bonne foi : la nuit descend des arbres.

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On entend dire là-bas«Voilà le traqueur de renardeauxle perceur de pansesvoyez comme il titube sans voixil sort du bois à bout de souffleson courage s’égoutteà la pointe de son couteau»mais lui l’ouvrier des basses œuvreslui au moinssait tenir coite sa langueet droite sa rugueuse nuque.

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La foule peut bienapplaudir à tout romprequi parmi elle sait encorefaire la différenceentre les larmes creusantles joues de l’orphelineet les gouttes perlantsur le front de l’orateur ?

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Là où la mémoire renâcle et ruetu peux dire que la démenceest passée plus tôt que la véritéici le tailleur de plumes a eutout le temps d’accomplir son officeparmi les bégaiements des témoinstandis que l’accusé trop vite recruse désespérait en son mouchoir.

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Elle a déposé son ouvrage sur la fenêtrepourtant il n’était pas achevéil n’y manquait peut-être qu’un pointà peine encore un signe de soie rougemais elle tenait à ce qu’il prennele soleil en même tempsque l’œil acerbe des femmes dontla vertu rend les talents arides.

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Penses-tu à ta mort prochaineabeille lourde et repuesur l’enclume du prél’aubépine te survivraen de folles envolées de pollende fêtes en cérémonieset de fourrés en buissons galantsc’est pour cela que nous t’aimons.

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Le chemineau prendle froid au motentre les lignes de l’avenirqui oscillent à l’horizonen pleine page incendiée.

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Il fut un tempsoù je serrais de près la charrueattentif aux récriminations du socà l’essoufflement du bœuf emblématiquecourbé sur le maigre sillonje comptais les cris des pierresexpulsées de leur éternitéje craignais moins alors de me trompersur la nature des chosesque de lire la ligne de cœurdans la main du vieux laboureurarrivé en bout de champ avant moi.

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Le chemin est interminableet la marche épuisanteon entend bien des airs de pervenchesmais aussitôt apparaissentdes rumeurs de volcansdans les méandres de la mémoirele salut est brefon avance à pas comptésdans l’espoir transparentfaites donc chanter les enfants.

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C’est vrai la soupe était bonne«diablement bonne» certains s’exclamaientmême si l’on nous commandait de nous tairealors que nous n’en pouvions plusd’avoir si longuement couru le vaironla soupe faisait de nousdes pauvres comme les autrestout réjouis de feinter avecl’orge brûlante sur nos langues.

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Et à qui aurions-nous pu mentirnous qui avions entendutous les témoins de notre enfanceet qui avions à notre tourtant de choses à dire à ceux-làdans le haut silence des cheminées d’usineles vacances finissaient quand les pâtres lividesquittaient leur campagne pour la villeafin d’y recouvrer la santécomme ils disaient en leur transe.

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La mémoire en papillote compte ses petits souset voici qu’à l’extrême pointe du jardinune fleur noire se targue de philosophieen se drapant de prétendue différenceah quels atours !on voit s’emplir de charbons éteintsla valise que tu abandonnas aux pillardstu n’as plus qu’à te laisser dériverau large des champs magnétiquesoù les chansons s’enroulent sur elles-mêmesil te sera peut-être alorsun peu accordébeaucoup pardonné.

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Tu en as connu des montagneset des solitudeset des déserts et des folieset ils ne t’ont pas enseignéleur religion de cuivre ou d’oset tu ne leur as rien appris non plusdu poème qui te ravagede bas en haut.

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Tu peux loucher vers les sourceste vautrer dans l’humusqui déroule l’infini des dépouillestu peux te hisser jusqu’au toitdu vendredi au dimanchec’est à la bouse que tu retournesà ce gâteau de pailleà cet effluve qui te vit naître.

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Le temps est venude dire au revoir aux cerisesde desserrer les mâchoiresen retenant sur la languele doux noyauqui réchauffe toutes les parolesoù nous reprendrons viele moment venudans la terrifiante et nécessairepoussée des sèves.

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