alexandre koyré-Études galiléennes-hermann (1966)

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  • 8/10/2019 Alexandre Koyr-tudes Galilennes-Hermann (1966)

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    COLE PRATIQUE DES HAUTES TUDES. SORBONNE

    C OL L E C T ION

    HISTOIRE DE LA PENSE

    XV

    I. Pierre? Cos label. Lei bniz et la dyn ami que

    II. La science au seizime sicle. Colloque de Koyaum ont, l J57III. Alexandre koyr. La rvolution astronomiqueIV. Nicolas Bourbaki. Clments dhistoire des mathmatiquesV. Pierre Lon. Les technique s mtall urgiques dauphino ises au xv m e sicle

    VL Jean Cavaills. Philosophie mathmatiqueVIL Paul Delaunav. La zoologie au seizime sicle

    VIII. G. Petit et J. Thodorids. Histoire de la zoologie des origines LinnIX. Paul-He nri Michel. La cosmologie de Giordano Bruno

    X. Jea n Gard. Les livres arith mti ques dKuclideXL Men Talon. Lenseign ement des sciences au x vm r sicle

    XII. Mlanges Alexandre Koyr I. Laventure de la scienceXIII. Mlanges Alexandre Koyr II. Laventure de lespritXIV. Galile. Dialogues. Lettres choisiesXV. Alexandre Koyr. Etude s galilenncs

    ALEXANDRE KOYRDIRECTEUR DTUDES A LCOLE PRATIQUE DES HAUTES TUDES

    E T U D E SG A L I L E M E S

    HERMANN156, BOULEVARD SAINT-GERMAIN PARIS VI

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    Les tudes galilennes sont constitues par la runion de trois tudes indpendantes qui forment un tout et tud ient un seul et mme problme : celui de lanaissance de la science classique.

    Sur ces trois tudes, deux A l'au be de la science classi que et La loi de la chute des corps ont t partiellement publies dans les An na les de l'Un ivers it deParis, 1935-1936 et la Revu e Phil osop hiqu e, 1937. La troisime a paru, pour lapremire fois, en mme temps que la rdition des deux premires, dans la collection des Act ual its scient ifiqu es et ind ustri elles en 1939.

    ( HERMANN, PARIS 1966

    Toui droits de reproduction, mme fragmentaire, sous quelque forme que ce soit, y compris photographie, photocopie, microfilm, bande magntique, disque, ou autre, rservs pour tous pays.Toute reproduction, mme partielle, non expressment autorise constitue une contrefaon passible despeines prvues par la loi du il mars 1957 sur la protection des droits dauteur.

    TABLE

    A LAUBE DE LA SCIENCE CLASSIQUE

    In t r o d u c t i o n .........................................................................................................................................................

    1. A r is to te ................................... .................................. ................................... ................2. Les disc ussio ns m div ales : Bo na m ico ............................................................3. La phy siq ue de limp etu s : Be ne de tti .................................................................4. G a li l e ................................... .................................. ................................... ..................

    LA LOI DE LA CHUTE DES CORPS. DESCARTES ET GALILE

    In t r o d u c t i o n .........................................................................................................................................................

    1. G a li l e .................................. ................................... .................................. ....................

    2. Descartes ....................................................................................................................3. En cor e G ali l e.......... .................................. ................................... ..............................

    D f i n i t i o n .....................................................................................................................................................................

    C o n c l u s i o n ..................................................................................................................................................................

    GALILE ET LA LOI DINERTIE

    In t r o d u c t i o n .........................................................................................................................................................

    Lep r o b l m e p h y s i q u e d u Co p e r n i c a n i s m e ..............................................................................

    1. Coper nic .................................. ................................... ................................... ...........

    11

    17244760

    8386

    107136

    144

    155

    161

    165165

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    A laube de la science classique*

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    V*niet tempus quo posten nostri tam aperta nos nrscisse mirentur.

    fSNQtiE, JVat. quaes., VI 1.25.2.)

    I n t r o d u c t i o n

    Il nest heureusement plus ncessaire aujourdhui dinsistersur lintrt de ltude historique de la science. Il nest mme plusncessaire aprs luvre magistrale dun Duhem, dun mileMeyerson, aprs celles de M. Cassirer et de M. Brunschvicg dinsis-ter sur lintrt et la fcondit philosophiques de cette tude (1).En effet, ltude de lvolution (et des rvolutions) des ides scienti-fiques seule histoire (avec celle, connexe, de la technique) quidonne un sens la notion, tan t glorifie et tan t dcrie, de progrs

    nous montre lesprit humain aux prises avec la ralit ; nousrvle ses dfaites, ses victoires ; nous montre quel effort surhu-main lui a cot chaque pas sur la voie de lintellection du rel, effort

    qui aboutit, parfois, une vritable mutation de lintellect hu-main (2) ; transform ation grce laquelle des notions, pnible-ment inventes par les plus grands gnies, deviennent non seule-ment accessibles, mais encore faciles, videntes pour les coliers.

    1. Voir aussi le bel opuscule de M. Federigo Ex r i q u e s , Signification de l'histoire de lapense scientifique, Paris, Hermann, 1934.

    2. Nous emprun tons M. G. B a c h e l a r d (v . Noiwel Esprit scientifique, Paris, 1934) lanotion et le terme de mutati on intellectuelle. Cf. ga lement G. B a c h e l a r d , La formationde l'esprit scientifique, Paris, 1938.

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    12 TUDES GALILENNES

    Une telle mutation une des plus importantes, si ce nest la plusimportante depuis linvention du Cosmos par la pense grecque fut, certainement, la rvolution scientifique du dix-septime sicle,

    profonde transformation intellectuelle dont la physique moderne,ou plus exactement classique (1), fut la fois lexpression et lefruit.

    Cette transformation, on a voulu parfois la caractriser, et lexpliquer, par une espce de renversement de lattitude spirituelle tout

    entire : la vie active prenant dsormais le pas sur la vie contemplative, lhomme moderne chercherait une domination de la nature,tandis que lhomme mdival, ou antique, n en poursuivait que lacontemplation. Le mcanisme de la physique classique galilenne,cartsienne, hobbienne, science active, oprative, devant faire delhomme le matre et possesseur de la nature sexpliqueraitdonc par ce dsir de domination, daction ; serait une simple transposition de cette att itude, une application la natu re des catgoriesde pense de Yhomo faber (2) ; la science cartsienne et fortioricelle de Galile serai t, comme on la dit, une science dingnieur (3). Juste , sans doute, en gnral, et mme quelquefois endtail (il suffit de penser au renversement de valeur, et de statusontologique, entre contemplation et action qui seffectue dans la

    philosophie moderne ; il suffit de penser certaines explications,ou images, de la physique cartsienne, avec ses poulies, ses cordeset ses leviers), cette conception nous parat prsenter tous les dfautsdune explication globale. Elle nglige, en outre, leffort technologique du moyen ge, lattitude spirituelle de l'alchimie. Enfin, lattitude activiste quelle dcrit est celle de Bacon (dont le rle, dans lhistoire de la rvolution scientifique, a t parfaitement ngligeable) (4),non celle de Descartes, ni de Galile, et le mcanisme de la physique

    1. En face de la rvolution scientifique des dix dernires annes, il est prfrable,semble-t-il, de lui rserver lpithte moderne et de dsigner la physique prquantiquecomme classique .

    2. Cette conception, assez gnralement rpandue, ne doit pas tre confondue avec cellede M. Bergson, pour qui toute physique, celle dAristote aussi bien que celle de Newton,est, en dernire analyse, luvre de Vhomo faber.

    3. V. La b e r t h o n n i r e ,Eludes sur Descartes, Vol. II, Paris, 1935, pp. 288-289 ; p. 297 jp. 304 : physique de lexploit ation des choses .

    4. Bacon initiat eur de la science moderne est une plaisanterie , et fort mauvaise, querptent encore les manuels. En fait. Bacon na jamais rien compris la science. 11est crduleet totalement dnu desprit critique. Sa mentalit est plus proche de lalchimie, de lamagie (il croit aux sympathi es ), bref, de celle dun primit if ou dun homme de laRenaissance que de celle dun Galile, ou mme dun scolastique.

    A l a u b e d e l a s c i e n c e c l a s s i q u e 13

    classique, loin dtre une conception de lartisan (1), ou de lingnieur,en est justement la ngation (2).

    On a aussi souvent parl du rle de lexprience, de la naissancedun sens exprimental (3) . Et, sans doute, le caractre exprimental del science classique en forme-t-il un des trai ts les plus caractristiques. Mais, en fait, il sagit l dune quivoque : lexprience,dans le sens de lexprience brute, dobservation du sens commun,na jou aucun rle, sinon celui dobstacle, dans la naissance de la

    science classique ; et la physique des nominalistes parisiens etmme celle dAristote en tait, souvent, bien plus proche quecelle de Galile (4). Quant lexprimentation interrogation mthodique de la nature elle prsuppose et le langage dans lequel elle

    pose ses questions, et un vocabulaire permettan t dinterpr ter lesrponses. Or, si cest dans un langage mathmatique, ou plus exactement gomtrique, que la science classique interroge la nature, celangage, ou plus exactement la dcision de lemployer, dcisionqui correspond un changement dattitude mtaphysique (5), ne

    pouvait, son tour , tre dicte par lexprience quelle alla it conditionner.

    1. La science cartsienne et galilenne a, sans doute, pro fit lingnieur et fut utilisepar la technique, avec le succs que l on sait. Mais elle na t cre ni pardes techniciensni pour la technique.

    2. Descartcs artisa n . telle est la conception du cart sianisme, dveloppe par M. M. Leroydans son Descanes social, Paris, 1931, et pousse jusqu labsurde par M. F. Borkenau.dans son ouvrage Der Uebergang corn feudalen zum brgerlbehen Weltbild, Paris, 1933*M. Borkenau explique la formation d el philosophie et de la science cartsienne s parlapparition d'une forme nouvelle de la production, savoir, la manufacture ; cf. la critique du travail de M. Borkenau, bien plus instru ctive que ce travai l lui-mme, pa r M. H.Grossmann : Die gesellschaftlichen Grundlagen der mech anistischen Philosophie und-dieManufactur dans Zeitschrift fr Sozialforsckung, Paris, 1935.

    Quanta Galile, cest la tradition des artisans, constructeurs, ingnieurs de la Renaissance que le rattache L. O l s c h k i , Galilei und seine Zeit (Geschichte der neusprachlichenwissenschaftliclien Literatur, vol. 111), Halle, 1927. Or, sil est vrai que les ingnieurs et lesartistes de la Renaissance ont beaucoup fait pour briser le joug de laristotlisme, et quils sesont mme parfois ainsi Lonard de Vinci et Benedett i efforcs de dvelopper une dy

    namique nouvelle, anti-aristotlicienne, cette dynamique, ainsi que la dmontr Duhem,futen ses grandes lignes celle des nominalistes parisiens. Et si Benedetti de loin le plus remarquable de ces prdcesseurs de Galile dpasse parfois le niveau de la dynamique pa risienne , ce nest pas grce ses trava ux dingnieur et dartilleu r : cest grce son tudedArchimde.

    3. On a mme souvent oppos lexprimentateur Galile au thoricien Descartes. Biena tort, ainsi quon le verra plus bas. Cf. notre communication au IXe Congrs Interna tional de la philosophie, Galile et Descartes, v. Travaux, t. II, p. 41 sq., Paris, 1937.

    4. Ainsi, personne na jamais observ le mouveme nt inertial , et ce pour la simple raisonquil nest possible que dans des conditions irralisables. Emile Me y e r s o n a dj remarqu(v. Identit et Ralit*,Paris, 1926, p. 156) combien peu les expriences concordaient avecles principes de la physique classique.

    5. Elle correspond un renouveau de la prima ut de ltre sur le devenir.

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    14 TU D ES G A LI LEN N ES

    On a, dautre part, plus modestement, cherch caractriser laphysique classique, en tant que physique, par certains de ses traitssaillants. Ainsi on a insist sur le rle que jouent dans la physiquegalilenne les notions connexes de vitesse et de force (1), de moment , en les interprtant comme exprimant une intuition trs

    profonde, lintuition de Y intensit des processus physiques et mmede leur intensit dans linstant (2). Trs juste, sans doute, il suffitde songer linstantanism e de la physique cartsienne (3), la

    notion dlment ou moment de vitesse, cest--dire de la vitessedans linstant, cette caractristique sapplique cependant bienmieux la physique newtonienne, fonde sur la notion de force,qu la physique de Descartes ou de Galile qui cherchent lviter. Et encore mieux, la physique parisienne des Buridanet des Nicole Oresme. La physique classique est, certes, une dynamique. Ce nest pas comine telle, cependant, quelle prend naissance. Elle apparat, dabord, comme une cinmatique (4).

    On a en tin essay de caractriser ia physique classique par le rlequy joue le principe dinertie (5). Juste, sans aucun doute, ilsuffit de songer au rle fondamental de la notion dinertie dans toutela science classique, au fait que, inconnu des anciens, ce principe sous-tend implicitement la physique galilenne et porte expressment celle de Descartes, cette caractristique nous semble n

    peu superficielle. Il ne suffit pas de constater le fait. Il faudraitexpliquer pourquoi la jihysique moderne a pu adopter le principedinertie, cest dire expliquer pourquoi et comment cette notion,qui nous pa rait , nous, doue dune vidence suprieure, a pu acqurir ce status d'vidence apriorique, tandis que pour les Grecs,ainsi que pour les penseurs du moyen ge, elle se prsentait, au

    1. Voir surtout K. Lii.-f i i i u v .. hrius che Ge*rtiirhte der atlgememen Prmc ipien der Mec h nu l.Ferlin, 1875, p. 21 sq.

    2. Voir Kurd L a s s w i t z , Gesrhirkte der Atomistik, Hamburg und Leipzig, 1890. Bd. II,pp. 23 sq.3. V. J. Wa i i l ,Le rle de l'ide de l'instant dans la philosophie de Descartes,Paris, 1a20.4. La fameuse dduction de la loi de la chute des corps par Galile (v. Opr, Ed. Na

    tionale, vol. Il, p. 281 sq. et Discorsi, Opr, vol. VIII, p. 222) consiste, en effet, en unerecherche purement cinmatique de la forme la plus simple du mouvement acclr, et nemet en uvre ni la notion de force, ni celle de masse, ni celle dattraction ; voir plus haut

    La loi de la chute des corps, pp. 5, 6, 64.5. Voir E. Ca s s i r e r , Dos Erkenntnisproblem in der Philosophie und Wissenschaft der

    neueren Zeit*, Berlin, 1911, Bd. I, pp. 394 sq. ; mais dj La s s w it z , op. cit.,E. Ma c h ,Die Mechanik in ihrer Entwickl ung*, Leipzig, 1921, pp. 117 sq. et E. W o h l w i l l , Die Ent-deckung des Beharrungsgesetzes, Zeitschrift fur Vlkerpsychologie und Sprachtvissenschaft,vol. XIV et XV.

    contraire, comme affecte dune vidente et irrmdiable absurdit (1).

    Aussi croyons-nous, que lattitude intellectuelle de la scienceclassique pourrait tre caractrise par ces deux moments, troitement lis dailleurs : gomtrisation de lespace, e t dissolution duCosmos,cest--dire disparition, lintrieur du raisonnement scientifique, de toute considration partir du Cosmos (2) ; substitution lespace concret de la physique prgalilenne de lespace abstrai t

    de la gomtrie euclidienne. Cest cette substitution qui permetlinvention de la loi dinertie.

    Nous avons dj dit que cette att itude intellectuelle nous para tavoir t le fruit dune mutation dcisive : cest ce qui explique pourquoi la dcouverte de choses qui nous paraissent aujourdhui enfantines avait cot de longs efforts pas toujours couronns de succs aux plus grands gnies de lhumani t, un Galile, un Descartes.Cest quil sagissait non pas de combattre des thories errones, ouinsuffisantes, mais de transformer les cadres de lintelligence elle-mme ; de bouleverser une attitude intellectuelle, fort naturelleen somme (3), en lui en substituant une autre, qui ne ltait aucune

    ment. Et cest cela qui explique pourquoi malgr les apparencescontraires, apparences de continuit historique sur lesquellesCaverni (4) et Duhem (5) ont surtout insist la physique classique,sortie de la pense de Bruno, de Galile, de Descartes ne continue

    1. Poin t sur lequel E. Mey e r s o n (v . Identit et Ralit*, p. 124 sq.) a trs justement attirlattention.

    2. Rien nest plus curieux que de confronter cet gard Galile et Kepler. Kepler estencore un cosmologue. Galile ne l'est plus (v. issertatio cum Nuntio sidereo, in Oprde Galile, vol. III, p. 97 sq.) , cf. uut re Rappo rt dans YAnnuaire de T Ecole pratique des

    Hautes Etudes, 1934.3. P. D u h e m ,Le Systme du Monde, 1, p. 194-5 : Cette dynamique, en effet, semble s' ada p

    ter si heureusement aux observations courantes quelle ne pouvait manquer de simposertout d'abord, lacceptai ion des premiers qui aient spcul sur les forces et les mou\ umen ts...Pour que les physiciens en viennent rejeter la Dynamique dAristote et a construire laDynamique moderne, il leur faudra comprendre que les faits dont ils sont chaque jour les

    tmoins ne sont aucunement les faits simples, lmentaires, auxquels les luis fondamentalesde la Dynamique se doivent immdiatement appliquer ; que la marche du navire tir parles haleurs, que le roulement sur une route de la voiture attel e doivent tre re gards commedes mouvements dune extrme complexit ; en un mot que pour formuler le principe de lascience du mouvement, on doit, par abstraction, considrer un mobile, qui sous laction duneforce unique, se meut dans le vide. Or, de sa Dynamique, Aristote va jusqu conclure quuntel mouvement est inconcevable.

    4. Ca v e h v i, Storia deI meodo sperimentnle in ltalia, .5 v., Firenze, 1891-1896, v. surtoutvol. III et IV.

    5. P. D l h e m , Le Mouvement absolu et le mouvement relatif, Paris, 1905. De l'acclrationproduite par une force constante, Congrs intern ationa l dhistoire des sciences, III e session,Genve, 1906.Etudes sur Lonard de Vinci. Ceux quil a lus et ceux qui l'ont lu, vol. III. LesPrcurseurs paris iens de Galile, Paris, 1913.

    A l a u b e DE LA SCIENCE CLASSIQUE 15

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    pas, en fait, la physique mdivale Mes

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    18 TUDES GALILENNES

    Les faits du sens commun qui servent de base llaboration aristotlicienne son t trs simples, et nous les admettons to ut comme elle.Il nous parat tous fort naturel quun corps pesant tombe terre (1). Et nous serions, autant quAristote lui-mme ou queS. Thomas, trs tonns de voir un corps lourd une pierre ou un

    b uf slever lib rement dans lair. Ceci nous pa ra trait peu naturel ; et nous chercherions lexplication du phnomne danslaction de quelque mcanisme cach.

    Nous trouvons aussi trs naturel de voir la flamme dune allumette pointer vers le haut et de placer nos casseroles sur le feu.Nous serions trs tonns et chercherions une explication envoyant, par exemple, la flamme se renverser vers le bas . Raisonnement simpliste, enfantin, dira-t-on. Et la science ne commenceque l o lon cherche lexplicat ion de ce qui para t naturel . Sansdoute. Mais lorsque la thermodynamique pose, en guise de principe,que la chaleur ne passe pas dun corps froid un corps chaud, fait-elle autre chose que transposer une intuition du sens commun, selonlaquelle un corps chaud se refroidit natu rellement , tandis quun corpsfroid naturellem ent ne schauffe pas ? Et mme, lorsque nousdisons que le centre de gravit dun systme tend prendre la position la plus basse et ne remonte pas de lui-mme, nest-ce pas l,encore, une transposition de lintuition fondamentale du sens commun, intuition que la physique aristotlicienne traduit par la distinction des mouvements en naturelse t violents (2) ?

    La physique aristotlicienne ne se borne pas exprimer, en sonlangage, le fait du sens commun que rmus venons dvoquer : elle letranspose, et la distinction des mouvements en naturels et violents sencadre dans une conception gnrale de la ralit physique (3),conception dont les pices matresses semblent tre : a) la croyance lexistence de natures bien dtermines, et b) la croyance lexistence dun Cosmos (4), cest--dire la croyance lexistence de prin

    cipes dordre en vertu desquels lensemble des tres rels formentun tout (naturellement) bien ordonn.Tout, ordre cosmique : ces notions impliquent que, dans lUnivers,

    1. On a depuis longte mps remarq u quil nv a jamais eu de dieu de la pesanteur .2. Voir E. Ma c i i,Mechnnik *, pp. 124 sq.:c On peut mme dire que la grandeur dAristote consiste justement vouloir expliquer

    les faits naturels .4. Il est curieux de constater que les termes Cosmos, Univers dans le sens de totalit

    etc ., qui av aient perdu a bsolum ent tout sens pen dant la priode cla ssique dc.la phy siquesemblent en avoir reu un nouveau depuis M. Einstein.

    A l a u b e d e l a s c i e n c e c l a s s i q u e 19

    les choses sont (ou doivent tre) distribues et disposes dune fiu;onbien dtermine ; qu' tre ici ou l ne leur est pas indiffrent mais,quau contraire, chaque chose possde, dans lUnivers, un lieu propre,conforme sa natu re (1). Une place pour chaque chose, et chaque chose sa place ; la notion du lieu naturel traduit cette exigence thorique de la physique aristotlicienne (2).

    La notion du lieu naturel tradu it une conception purementstatique de l'ordre. En effet, si tout tait en ordre , toute chose

    reposerait dans son lieu naturel, y demeurerait, et nen bougeraitpas (3).Pourquoi, en effet, en partirait-elle ? Bien au contraire, elle oppo

    serait une rsistance tout ce qui voudrait len chasser ce quine pourrait se faire que par violence et chercherait y revenirlorsque, par suite d'une telle violence, elle ne se trouverait pas dansson lieu.

    Ainsi, tout mouvement implique un dsordre cosmique, une rupture dquilibre, quil soit lui-mme effet immdiat dune tellerupture, cause par l'application dune force extrieure (violence),ou, au contraire, effet de l'effort compensateur de ltre pour retrouver son quilibre perdu et viol, pour ramener les choses leurs lieux-

    naturels, convenables, o ils pourraient reposer et se reposer. Cestce retour lordre qui constitue justement ce que nous avons appelmouvement naturel (4).

    Rupture dquilibre, retour lordre : on comprend bien que lordreforme un tat stable, et qui tend se prolonger indfiniment. On nadonc pas besoin dexpliquer le repos, du moins, le repos naturel duncorps dans son Heu propre ; c'est sa nature elle-mme qui lexplique,qui explique, par exemple, le repus de la terre dans le centre duMonde. On comprend aussi que le mouvement soit ncessairementun tat passager ; le mouvement naturel s'arrte naturellementlorsque son but est atte int ; et quant au mouvement violent, Aristote

    1. Lo>t seul ement dans son lieu que se parachev et s'aei omplit un tre, et c'est pourci la quil tend y parvenir.

    2. La notion du lieu naturel implique la finitude des mouvements et dune la finitude del'Univers. Uu, si lon prfre, la notion du lieu naturel traduit la conception dun Universlimit.

    3. Le mouvement naturel vers le haut prouve la finitude de l'Univers: v. plus bas p. 60,la critique de Galile.

    4. Lordre gomtriqu e lintri eur de lUnivers sphrique corres pondant lordre qualitatif (lourd-lger), il va de soi que les mouvements violents ou naturels consistent dans unloignement ou dans un rappr ochement du c orps donn de son lieu propre ; aussi va-t il desoi que ces deux mouvemen ts sont incompatibles. Cf. Ga l i l e ,Juuenilia, Opr,I, pp. 61 sq.

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    est trop optimiste pour pouvoir admettre que cet tat anormal puisseperdurer ; dailleurs, le mouvement violent tant du dsordre crantdu dsordre, admettre quil puisse se prolonger indfiniment seraitabandonner, en fait, lide mme du Cosmos. Aussi, sen tient-on la formule rassurante : rien de ce qui est contra naturam potestesseperpetuum.

    Le mouvement, dans la physique aristotlicienne, est donc, venonsnous de dire, un tat essentiellement passager. Prise la lettre,

    cette affirmation est doublement inexacte. Dune part, en effet, lemouvement, tout en tant pour chacun des mobiles, du moins pour lesmobiles sublunaires , les corps de notre exprience sensible, untat essentiellement passager et fini, nen reste pas moins, pour lensemble du monde, un phnomne ncessairement ternel (1). Et, parl mme, ternellement ncessaire. Phnomne que lon ne peutexpliquer quen dcouvrant sa source dans la structure mme duCosmos, cest--dire, en posant, comme cause des mouvements passagers et variables des tres sublunaires un mouvement perptuel,uniforme et donc naturel des sphres et des orbes clestes (2).Dautre part, le mouvement nest pas, proprement parler, unta t : cest un processus, un devenir dans et par lequel se constituent, sactualisent et saccomplissent les tres (3). Sans doute ledevenir a-t-il pour but et pour terme l'tre ; et le mouvement a,

    pour fin, le repos. Mais ce repos immuable de ltre pleinementralis est tout autre chose que l'immobilit pesante et impuissantedun tre incapable de se mouvoir ; le premier est acte, la secondenest que privation. Aussi le mouvement processus, devenir,changement se trouve -t-il, ontologiquement, plac entre les deux.11 est ltre de tout ce qui change, et qui nestquen changeant et en

    1. Le mouvement ne pouvant tre produit que par un autre mouvement, tout mouvement actuel implique une srie infinie de causes antrieures.

    2. Le mouveme nt circulaire est le seul mouvement uniforme qui puisse perdurer indfiniment dans un Univers fini ; cest aussi celui qui si nous lattribuons la sphre tout entire ne change rien ; par l il est le plus proche dun tat naturel. Aussi, les adversairesdAristote sefforceront-ils de dmontrer soit le caractre naturel du mouvement circulaireen gnral, pour tous les corps et non pas seulement pour les corps clestes, ce qui aboutitfinalement la dynamique de Copernic, soit comme Galile, et ce en mcomprenant Aristote, de dmon trer que le mouvement circulaire auto ur du centre , nest ni violent, ninaturel, puisque dans le mouvement circulaire les corps ni ne sloignent ni ne se rapprochent du centre . Cf. plus bas, p, 71, n. 1.

    3. Le mouvement est donc quelque chose qui affecte le mobile et se passe en lui. Aussiest-il comprhensible quun mobile ne peut avoir quun seul mouvement naturel, et questait affect de deux mouvements diffrents naturel et violent ces deux mouvementsse gneraient mutuellement.

    A LAUBE DE LA SCIENCE CLASSIQUE 21

    se modifiant (1). La clbre dfinition aristotlicienne du mouvement acte de ltre en puissance en tant quil est en puissance (dfinition que Descartes trouvera parfaitement incomprhensible)exprime admirablement bien ce fait que le mouvement est ltre

    lacte (2) de ce qui n est pas Dieu.Se mouvoir ainsi cest changer, aliud et aliud se habere, se comporter

    (ou tre) autrement et autrement. Ce qui implique, dune part, unterme de relation par rapport auquel le mobile se comporte autre

    ment et autrement (3) : ce qui veut dire, sil sagit de mouvementlocal, un point fixe par rapport auquel le mobile se meut, un centreabsolu des coordonnes, le centre de lUnivers. Ce qui implique,dautre part, tout changement, tout processus ayant besoin dunecause qui lexplique, que tout mouvement a besoin dun moteurqui le cause et qui sil dure lentretienne. Le mouvement, eneffet, ne dure pas de lui-mme, comme le repos. Le repos un tatou une privation na pas besoin de cause qui en explique la persistance. Le mouvement un processus, une actualit, et mmeune actualisation continue ne peut pas sen passer. Supprimezcette cause, le mouvement cessera ; cessante causa cesst effectus(4).

    Sil sagit du mouvement naturel , cette cause, ce moteur, cestla nature mme du corps, sa forme, qui cherche le ramener saplace ; cest elle qui entreti ent le mouvement. Un mouvement nonnaturel exige, par contre, pour toute sa dure, laction continuedun moteur extrieur, conjoint au mobile. Supprimez le moteur,le mouvement sarrtera. Sparez le moteur du mobile, le mouvement sarrtera galement. Aristote, en effet, nadmet pas dactions

    1. On prsente, le plus souvent, la physique aristotlici enne comme domine par des cat gories biologiques. Juste, sans doute, la conception du mouvement peut tre comprisecomme traduisant la situation intermdiaire que la vie occupe entre limmutabilit delesprit et limmobilit de la mort cette interprtation nous parait mconnatre le faitque la distinction entre t at et processus (tre et devenir) est absolument gnrale et nest

    pas limite l tre vivan t.2. Dans les discussions mdivales extr mem ent complexes sur la nat ure du m ouvement, celui-ci est considr habituellement comme une forme dun type spcial formafluens.Cf. les uvres cites de Duhem, Dijksterhuis et Borchert e t S. Mo s e r , Grundbegriffeder Naturphilosophie bei Wilhelm von Occham(Philosophie und Grenzwissenschaften, vol. IV,fasc. 2 3), Innsbruck, 1932.

    3. Le mouvement local est donc toujours la fois relati f et absolu. Relatif parce quilimplique ncessaire ment un terme de comparaison et ne peu t pas tre conu en soi , parrapport rien, comme le mouvement absolu de Newton ; absolu, parce que les lieux entrelesquels se fait le mouvement forment un systme absolu, possdant un te rme ess entiellementimmobile.

    4. Aristote a parfaitement raison. Aucun processus (devenir) ne dure par inertie. Et lemouvement ne dure que parce quil nest plus un processus.

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    22 ETU D ES G A LI I . H EN N ES

    distance (1) : toute transmission de mouvement implique, selonlui, un contact ; aussi, nen connat-il que deux formes : pression ettraction (2). La physique aristotlicienne forme, on le voit bien,une thorie admirable, admirablement cohrente, et qui na, vraidire (outre celui dtre fausse), quun seul et unique dfaut : celuidtre contredite par la pratique journalire, par la pratique du jet.Mais un thoricien digne de ce nom ne se laisse pas arr ter par uneobjection du sens commun. Lorsquil trouve un fait qui ne saccorde

    pas avec sa thorie, il le nie. Et lorsquil ne peut le nier, il lexplique.Et cest dans lexplication de ce fait le fait du jet, mouvement secontinuant malgr labsence du m oteu rap paremment incompatibleavec sa thorie quAristote nous montre tout son gnie (3). Sa thoriedu jet laboration systmatique dune remarque de Platon (4) consiste, en effet, expliquer le mouvement, apparemment sansmoteur, du projectile, par la raction du milieu ambiant (f>).

    Explication gniale, mais, du point de vue du sens commun, parfaitement invraisemblable. Aussi, toutes les attaques contre la dynamique dAristote porteront-elles toujours sur cette quest ion dispute :A quo nwveantur projeda ? (G)

    Nous reviendrons tou t de suite sur cette question, mais il nousfaut, auparavant, nous arrter une autre particularit de la dynamique aristotlicienne : la ngation du vide, et du mouvement dansle vide (7). Dans cette dynamique, en effet, non seulement le vide nefavorise pas le mouvement, il le rend impossible. Et cela pour des

    raisons trs profondes.

    1. Il ny a pas ilu forct> datt ract ion dans la physique aristot licienne.2. I)a poin t de vue str ict ement met aniiftic, il ny a lTecliveinent pas dantres . Lf. E.M e y f r -

    SOn ,Identit el Ituht:l, p. 8i.

    3. La thorie dAristote est si belle qu'elle sera imite et utilise jusquau xvu sicle, notamment par l)escartes et lluyghens.

    4. Cf. Time 70*.5. La thorie d'Arist ote consiste expliquer la continuatio n du mon veinent par un pro

    cessus tourbillonnaire dans le milieu entourant le mobile, qui agit sur ce dernier en lentranant et en le poussant. Le truc thorique est dans l'i nvention dun milieu particulirement apte se mouvoir ; nous dirions aujourdhui :d un milieu lastique, lair ; cf, Aristote, Physique, IV, 8, 215, VIII, 10, 207.

    6. Voir lhistoire de cette question dispute chez Di ' iif.m, litudes sur Lonard de Vinci,Paris, 1000-1013.

    7. Noublions pas ipie limpossibilit du vide est aussi une thse cartsienne. Descartesse trouve donc, en ce point, comme en maint autre, tre daccord avec Aristote, contreGalile.

    A l a u b e d e l a s c i e n c e c l a s s i q u e 23

    En effet, dans la dynamique aristotlicienne, tout corps est conucomme possdant une tendance se trouver dans son lieu naturel,et donc y revenir ds que, par violence, il en est loign. Tendancequi explique son mouvement (naturel) : mouvement qui le porte son lieu (naturel) par la voie la plus courte et la plus rapide. Il sensuit que tout mouvement naturel seffectue en ligne droite, et quetout corps va son lieu naturel aussi vite quil le peut, cest--direaussi vite que le milieu ambiant le lui permet. Si, par contre,rien ne venait larrter, si le milieu dans lequel il se meut nopposait son mouvement aucune rsistance (comme cela se ferait dansle vide), il sy porterait avec une vitesse infinie. Or, un mouvementinstantan parat Aristote (non sans raison) parfaitementimpossible (1). Ainsi donc le mouvement naturel ne peut seffectuerdan3 le vide. Quant au mouvement violent, celui du jet, par exemple,le mouvement dans le vide quivaudrait un mouvement sansmoteur : le vide, en effet, nest pas un milieu et ne peut pas recevoiret donc transmettre et entretenir le mouvement. De plus, dans levide (cest--dire, dans lespace de la gomtrie euclidienne), il ny ani lieux ni directions privilgis. Dans le vide, il ne peut y avoir de

    lieux naturels : un corps, dans le vide, ne saurait o aller, nauraitpas de raison de se mouvoir dans une direction plu tt que dansune autre, et donc de se mouvoir du tout.

    Aristote, une fois de plus, a raison : le vide (lespace euclidien)nest pas compatible avec lide' dun ordre cosmique (2) : dans levide, en effet, non seulement il n'y a pas de lieux nature ls, il ny amme pas de lieux du tout. Aussi la notion du vide nest-elle pascompatib le avec celle du mouvement-processus. Ni mme, peut-tre, avec celle dun mouvement corporel et rel. Le vide nestrien, et placer quelque chose dans ce rien est absurde. Danslespace gomtrique on ne peut placer que des corps gomtriques ;on ne peut y placer des corps rels. Aussi, nous dira Aristote, ne

    faut-il pas confondre gomtrie et physique : le physicien raisonnesur le rel (qualitatif), le gomtre na affaire qu des abstractions (3).

    1. Un mouvement infiniment rapide, une translation instantane dun corps dun point un autre, est effectivement absurde.

    2. Dans lespace homogne de la gomtrie, tous les lieux s ont pareils, et une trans lation ne produii rien de nouveau.

    3. Arist ote, on le sait bien, est tr s hostile tou te confusion des genres : le gomtre napas penser en arithmtic ien, ni le physicien en gomtre. Exigence parfa itemen t lgitime :tant que les genres subsistent, on ne peut les mlanger. Mais on peut dtruire les genres.

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    2. Le# discussions mdivales : Bonamico

    Les adversaires de la dynamique aristotlicienne nous venonsde le dire lui ont de tout temps oppos le fait de la persistancedu mouvement dun mobile spar du moteur ; aussi les exemplesclassiques dun tel mouvement, la roue (quelquefois remplace par

    une sphre), la pierre lance, la flche, se retrouvent-ils chez les critiques dAristote, depuis Hipparque et Jean Philopon (1) jusquBuridan, Nicole Oresme et Albert de Saxe, jusqu Lonard de Vinci,Benedetti et Galile.

    Nous nallons pas refaire lhistoire du problme (2). Pour nous rendrecompte de ltat de la question il nous suffit de nous adresser au

    propre matre de Galile, Bonamico (3). Voici donc son rapport surla question du jet (4).

    La mthode et la science des contraires est la mme ; or aumouvement selon la nature soppose le mouvement contraire lanature ; aussi, aprs avoir parl du mouvement selon la nature, largle que nous avons tablie concernant le mouvement exige que

    nous disions quelque chose de celui qui est contre la nature, et quiest engendr par la violence. Or, celui-ci est double, savoir, simplement contraire la nature, ou contraire dune certaine manireseulement. Car on dit que quelque chose est m par force, lorsquece qui est m ne reoit pas cette force de soi-mme, cest--direne possde pas (en lui-mme) la propension par laquelle il se meut,

    1. Sur Jean Philopon v. E. W o h l w i l l , Ein Vorganger Galileis im VI. JahrhundertPhysicalisrhe Zeitschrift, v. VII, 1906.

    2. Cf. Les ouvrages cits supra, p. 10, n. 2 et p. 15, n. 2. Ltude du problme du mouvement est infiniment instructive ltude dun chec lest toujours et, seule, peut nousperme ttre dapprcier et de c omprendre, le sens e t l importance de la rvo lution galilenne.

    3. Luvre de Bonamico tant la fois trs instructive elle nous montre, dune part,la perplexit de la pense mdivale deva nt les phnomnes de la chute et du j et ; ellenous rvle, dautre part, quel point la connaissance de la physique de Yimpetus taitcouran te dans les milieux universit aires et pra tiquem ent inconnue des historiens (elleest, dailleurs, fort rare : le British Musum lui-mme ne la possde pas) nous avons cmdevoir la citer in extensodaprs lexemplaire de la Bibliothque Nationale.

    4. Bo n a m i c i ,De Motu, 1. V, c. xx xv, p. 503. De motibus praeter naturame t de projectiscontra Platonem. Quoniam vero oppositorum una est eademque methodus et scientia : motuivero : secundum naturam opponitur motus praeter naturam ; postquam de motu naturalisatis die tu m est : postulat nunc institu ta ratio de motu, ut aliqua dicamus de eo qui estpraet er natura m, qui item nasc itur ex violentia : hic vero duplex est, vel sim pliciter, velquodanunodo : vi autem moveri ilia dicuntur quandocunque id quod movetur non confertvim, hoc est non hahet illo propensionem, quo movetur, quia. s. non perficiatur ex eo motu,locutn ilium adipiscens in quo conservetur : hic autem est qui convenit suae formae ; sed abeo forma potius corrumpi tur. Ideo quod unumquodque suae neci rsistif, quant um p otest ;

    A L AUBE DE LA SCIENCE CLASSIQU E 25

    parce que par ce mouvement, il ne se parfa it pas en atte ignant le lieudans lequel il se conserve ; car le lieu o il se trouve est celui qui convient sa forme, tandis que par lautre elle est plutt corrompue.Or, tout ce qui est, rsiste sa mort autant quil peut ; le mobileest donc si loign du dsir de se rendre au lieu qui ne lui est pas naturel que si la vertu du moteur ne surm ontait pas sa rsistance, il nese mouvrait jamais ; et si la facult qui violente ne prvalait pas,

    il rtrocderait toujours dans lancien lieu ; ainsi daucune manirenaide-t-il au conatus du mouvant, comme le fait une pierre jetevers le bas avec une grande force ; dans un tel cas sa vertu (propre)sajoutant laction du mouvant produit un mouvement beaucoup

    plus rapide. Ainsi, le principe dun mouvement simplement violentest entirement extrieur et tranger (au mobile), et na quun seuladjuvant de son travail, savoir, le milieu, qui, recevant Yimpetusdumouvant, lirnpartit au mobile. En vrit, ce qui se meut absolumentcontre nature ne reoit absolument et simplement aucune force-mais est vaincu par le moteur, de telle faon que (dans sonmouvement) il suit (en sens inverse) la mme ligne quil aurait

    parcourue sil se mouvait selon la natu re ; aussi se meut-il plus

    rapidement au commencement qu la fin. Mais ce qui se meut lencontre de la natu re dune certaine manire seulement ne rsistepas absolument, bien quil ne tende pas au lieu o il va, et ne suitpas, tant violent, la mme ligne quil aura it poursuivie sil smouvai t conformment sa nature , mais est dvi vers le ct.Cest pourquoi aussi le milieu laide et le sert davantage dans sonmouvement ; et cause de cela, la mme pierre est projete plusloin, et dun mouvement plus rapide, vers le ct, que directement

    tantum abes t ut eo properet, u t nisi virtus moventis resistentiam tnobilis superet nunquammoveatur ; et nisi praevaleat facilitas violans, in pristinum locum semper rtrocdt ; nequeullo modo conatum moventis adiuvat, sicut adjuvaret saxum.si magnoimpetu deiieeretur :nam virtu s eiusmodi facultati aecedens longe velociorem motum faceret. Itaque principium

    talis motus omnino externum alienumque est, solumque socium sui laboris habet medium,quod irnpetum a movente excipiens mobili impert it. Verum quod praeter naturam absolutemovetu r ; omnino et simpliciter nullain vim confert : irnmo renit itur ; sed ita vincit ur amovente, ut simpliciter eandem illam lineam metiatur quam permearet, si moveretur secundum naturam : ideoque movetur ocyus ab initio, quain ad extremum. Quod vero aliquaex parte praeter naturam movetur, non omnino resistit ; licet eo non propendeat, quo movetur, necque eandem lineam peragrat violatum ac si secundum naturam moveretur ; sed adlatera quodam pacto deflectitur. Quam ob rem etiam medium illi motui magis inservit, obidvelocius et ad maius spatiuin idem lapis in latera proiieitur, quam sursum directo et ad

    perpendiculum. Attame n neutrum illo simplicite r vergit quo agit ur ; necque ibi manetsecundum nat uram ; sed postcaquam vis movens contabueri t ad suum motum locumquenaturalem sese recipit, describens lineam secundum quae est ad perpendiculum inter cen-trum mundi et extremum, et movetur aliquanto celerius in progressu. Principia vero quaeviolant v aria esse queunt et contraria, quae materiam aflligunt, ut ap paret in fulmine, quod

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    et perpendiculairement vers le haut. Cependant aucun corps (mainsi) ne tend simplement vers le lieu o il est pouss; et ny reste pasconformment sa nature, mais aprs que la force mouvante se soitpuise, il retourne son lieu et son mouvement naturels, dcrivant une ligne conforme la nature, ligne qui est une perpendiculaire entre le centre du monde et son extrme ; et dans ce mouvement, il augmente quelque peu de vitesse en savanant. Mais les

    principes qui violent peuvent tre trs divers, et ceux qui affectent

    la matire, sont, habituellem ent, les contraires, ainsi quon le voit dansla foudre qui, tant du feu, est expulse par leau environnante ; dansles corps graves, l o ils sont enlevs par le vent ; dans le raptusde certains mobiles, comme cela se fait peut-tre pour la couchesuprieure de lair ; dans Vimpetusde leau, ou de lair ms en cercle,comme dans les tourbillons ; et, en gnral, dans la pousse, la traction, la vection et la rotation qui se font surtout par les tres anims.

    Mais, comme on a suffisamment parl plus h aut de la cause et desproprits du mouvement violent en gnral, nous allons maintenant en traiter en particulier, et, prsentement, nous tudierons lacause de cet autre mouvement que lon a lhabitude de dsigner sous

    le nom de projection.Celle-ci est beaucoup plus difficile dcouvrir et, son sujet, il existe, depuis lantiquit, des opinions trs diverses.Ainsi, Platon, pour employer ses propres termes, attribuait la causede ce mouvement lantipristase. Mais Platon ne nous explique passuffisamment comment on doit le comprendre, et Aristote ny ajoute

    pas grandchose. Aussi ce terme est-il ambigu, vu quil dsigne, proprem ent parler, le circuit ou la rvolution des contra ires ; lorsquelun des contraires entoure lautre, et lamne, en quelque sorte,

    cum sit ignis, ab aqua circum stante expellitur et propter vim agitati corporis, ut fit, ubi ventiextollunt aliqua pondra et raptu mobilis cujusdam, ut forte evenit in hyppeccaumatc,iinpetu item aquae, aut aeris in gyrum acti, ut a ccidit in vorticibus et generatim pulsu,trac tu,vertigine et vectione quae pluriinurn fiunt ab animatis.

    Sed cum supra de caussa violenti motus universe satis dictum sit, agamus nunc de ipsospeciatim et in praesentia vestigemus caussam alterius illius motus quein soient nobis si-gnificare nota projectorum. Quae longe abstrusior est et antiqu itus etiam varias osten ditopiniones. Nam Plato quemadmodum eius verba sonant, assereba t caussam talis motusantiperistasim : quanquam quo pacto caussa haec accipienda sit, nec multum dclart Aris-toteles, neque satis e Platone colligitur. Etenim vox est ambigua. Siquidem sit proprie con-trariorum ambitus ; quando unuin contrarioruin ambit, et alterum velut in centrum adducitquemadmodum calor centrum versus aestate cogit frigus, unde multa poma oriuntur,quibus frigus insigniter dominetur ; et contra frigus hyeme centrum versus calorem pro-

    pellit, unde ventre s hy eme calidiores : secundo etiam communi us a ccip iatur in lati one sola,cum ambiens etTicit lationein in eo quod ambitur, ex eo ducens originem, ut Platovolebat ;quia movens omne, dum moveret, una quoque moveretu r; nec ullam vim, nisi qua corpusesset, mobili communicaret, aut in aliud a se transferret ; quapropter eodem motu quo

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    dans le centre. Ainsi, la chaleur, en t, surmonte le froid et cest del que naissent les fruits qui sont froids par nature ; et, au contraire,en hiver, le froid chasse la chaleur vers le centre, ce qui fait quenhiver, les ventres sont plus chauds. En deuxime lieu, e t plus communment, ce terme sapplique au mouvement seul, savoir au caso lambiant produit le mouvement dans le mobile quil pousseet, o, en mme temps, il tire son origine de celui-ci, ainsi que levoulait Platon. Car tout mouvant, tant quil meut, est, en mme

    temps, m. Et il ne communique aucune force au mobile, ni nentransfre aucune en un autre que soi ; cest pourquoi il se meut parle mme mouvement que le mobile lui-mme. Ainsi, si lesprit taitune chose corporelle, il mouvrait le corps, et se mouvra it soi-mmedun seul et mme mouvement.

    Ainsi donc, lors de la projection, les parties du milieu environnantse succdent dans le lieu des parties postrieures du mobile ; ainsi A,sil meut B, arrive dans son lieu, et si B pousse C, il en occupe lelieu. Et ainsi de suite. Mais on se demande si cela se fait au moyen delextension du corps qui effectue le circuit, ou plutt au moyen dunesuccesssion qui se produit cause du vide ; car cest dans ce sens-lque linterprte Simplicius ; aussi cette thorie est-elle rfute parAristote par les arguments suivants : daprs cette thorie, le milieuse rapprocherait et sunirait au dos du mobile (le milieu donc devraittre liquide et pouvoir se mouvoir facilement) afin quil ny ait pasde vide ; cette cotion faite, le mobile poursuivrait son mouvement.Or, que lon admette que le milieu qui suit le mobile remplit seulement lespace que celui-ci abandonne, ou que lon admette quil

    mobile ipsum ageretu r, ut, si animus res esset corporea , idem que corpus agita ret, i psequoque primutn pari ratione ferretur.

    Ita igitur in projectione partes circunstantes in locum posteriorum succedunt, ut, A. simoveat B. subit in ejus locum et si B. propellat C. locum eius occupt et sic cetera deinceps.Hoc autem dubitatur, an sit per extensionem eius corporis quod ambitur ; an potius sit per

    successionem quae fit propter vacuum : nanque huiusmodi sensum ex eius verbis colligebatSimplicius, et haec item sententia ab Aristotele sub hac ratione confutata deprehenditur,quoniam ex eo quod a tergo rei mobilis coiret medium (hoc. n. liquiduin esse oportet et facilecoire posse) ne detur vacuum : facta autem ilia coitione mobile procederet ulterius. Sedquocunque accipiatur a tergo medium convenire, sive impleat solum id spatii quod a mobilirelictum fuerat, sive etiam id quod congreditur, ipsum promoveat, multa sunt quae nos abejus opinione avertan t. Ac quantum de secunda est, quam de verbis Platonis Simplicius ipseprofite tur, sa tis ha ecillu s fallaciam signiflc ant. Priinum quia rati o redd i non po test, cur primocessante, reliqua moverentur : ubi nam fiat motus per solum con tactum, veluti fieret in hachy-

    pothesi, uno moto deinceps omnia move rentur, eoque manen te quiesc erent ; quod omniain alteri us locum successione quadam subingre deren tur. Quod si id non eveniret, omniaquoque manere opus est : talis nam motus est antiperistaseos, si credere dignum est Aristotelesquod unum quidem primum movetur et movens in eius locum subit ; ita ut una movens et

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    pousse en avant ce quil aborde, il subsiste beaucoup de difficultsqui nous dtournent de cette opinion.

    Quant la seconde hypothse, que Simplicius lui-mme a tire desparoles de Platon, les raisons suivantes en dmontrent suffisamment lerreur. Primo, on ne peut pas expliquer pourquoi le

    premier mobile cessant (de se mouvoir), les autres continueraient,car l o le mouvement se fait par le contact seul, ainsi quil se feraitdans cette hypothse, tous (les corps) se meuvent dun seul mou

    vement, et celui-ci manquant, ils sarrtent tous, puisque les unsdoivent occuper les lieux des autres en se succdant... Sil en taitautrement tout devrait demeurer immobile. Tel est, en effet, lemouvement antiprista tique, sil faut en croire Aristote : un mo

    bile quelconque nest m que si le mouvant pntre dans son lieu.De telle faon que le mouvant et le mobile se meuvent ensembleet les parties (du circuit) ne se mouvront pas plus rapidement parla suite quau commencement. Or, cest le contraire qui est vrai.Que si lon doutait de lexprience, on pourrait faire valoir que leralentissement du mouvement du mobile un fait indubitable serait tout aussi impossible...

    Car le mouvement ne peut pas seffectuer, moins que le mouvant

    ne suive. Ainsi donc, linstant de la succession (du mouvant au mobile) est le mme que celui du mouvement. En outre, la pulsion duvide est toujours semblable elle-mme et donc le mouvement(lest aussi) . Ce qui impliquerait que tous les mouvements devraientse faire avec la mme vitesse. De plus, la nature ne dsire que le seul

    mobile coneitentu r ; neque velocitate inaiore pa rtes in progressu q. ab initio m overen tur :oppositum tamen appare t. Quod si de experientia dubite s, vide item id evenire, si segnius in

    progressu conci tetur quod in parte quadam motus illius negari non pot est nanque idem tnora natura servabitur, dum vacuum propulsare contendit, hoc stud et.u t arceatur inane, idsem-

    per eodem insta nti prae stat quo motus efficitur ; nec pote st efTici mo tus, nisi movens succdt. Itaque idem est successionis instans et motus, atqui vacui pulsio perpetuo sui similisest ; et motus igitur. Praeterea natura solam inte nderet coitionein, ut puta, ut exploderet

    vacuum : ubi igitur aere in saxi locum subingresso, ad epta illain fuisset; non esset certe,quod amplius labora ret ; si ergo post primam saxi motionem coivit aer, cur motus proceditulterius ? Quantum vero pertinet ad priinum ilium modum antiperistaseos qui affertextrusionem : habet et hic contra se multas experientias. In primis. n. ecquid erit caussa,quod vetetlapidem ad celuin usque concitari ? nam, si aer in eius locum succedet, et lapidemidcirco propellit, quan to continue sit ea successio, continu e quoque Iapidis propulsio fiet,quousque suppetat ar, aut corpus ari quod propter coundi facultatem valeat idematqu e ar. Tum item facilius palea, quam saxum proiici posset, tum quod pale a leviorest, et sursum magis propendetqua m saxum tum etiam, quid maior est aeris impellentisad paieam proportio, quam ad saxum : ex maiore autem proportione velocior motus

    procedeat necesse est. Rursus, si filum saxo appe ndatu r, ob eandem caussam a fronte saxipondere t : cum vide a.nus igitur ipsum a tergo porrigi in longitudin em, e t quasi trahi a saxo,potius qua m ab are propelli ; dic amus oporte t extrusione m non esse caussam tali motus.Sic undique Platonis opinionem lubricam esse comperimus.

    A l a u b e d e l a s c i e n c e c l a s s iq u e 29

    contact, cest--dire seulement la suppression du vacuum. L donco lair, stant rendu la place de la pierre, ralise le contact, ilnest pas clair pourquoi il travaillerait davantage. Ainsi donc, silair atteint le contact aprs le premier mouvement de la pierre,pourquoi le mouvement procderai t-il plus loin ? Mais en ce quiconcerne ce premier mode de lantipristase, celui qui comportelextrusion, il est galement contredit par de nombreuses expriences.En premier lieu, la cause qui projette la pierre suffirait pour la mener jusquau ciel. En effet, si lair succde dans son lieu et poussela pierre dune manire telle que cette succession soit continue, ilsensuit que la propulsion de la pierre se poursuivra aussi loin questend lair ou le corps de lair, lequel, en ce qui concerne la facultde contact, vaut autant que lair. Dans ce cas-l, une paille pourraittre projete plus facilement quune pierre, parce que la paille estplus lgre et tend vers le hau t bien plus que la pierre. De mme,si un fil tait attach la pierre, il devrait la devancer : or, nous levoyons stendre en arrire et plutt tre entran par la pierre que

    propuls par l air.Ainsi donc, lopinion de Platon nous apparat-elle parfaitement

    ridicule.Ayant rejet lopinion de Platon. Aristote (1) dcida que, par lemouvant, une force est imprime lair, ou au milieu, en vertu de sanature qui est double, ni grave seulement, ni lgre ; cause de quoi,

    justement, lair peut recevoir Yimpctus dans nimporte quel sens.Comme cependant Yimpetus nest jamais conforme sa nature

    bien que, ainsi que nous lavons dit ailleurs, un mouvement horizontal sy oppose moins que le mouvement qui se ferait simplement vers le haut, ou vers le bas, car lair nest pas seulement lger,mais aussi lourd, il y rsiste et l o il est quelque peu spar du

    premier moteur, il perd pet it peti t la force qui lui est imprime parcelui-ci ; cette force se dissipe et, finalement, spuise, et ainsi le pro

    jectile, nprouvant plus de violence, retourne sa condition ant-

    1. F. Bo n a m i c i,De Motu, I. V. c. xxxvi,p.504 :Aristotelis sententiade proiectorum moturecensetur, et ea quae contra illam afferi soient exponuntur : Repudiata Platonis opinione, de-crevit Aristoteles a movente vim impriini ari sive medio, propter eius na turam quae ancepsest, nec gravis tantum, au t levis : ob eamque caussam impetum quoquo versus exciperepotest. Quia tame n iinp etus ille simpli citer eo versus non est, lice t, ut alias an obis dictum e st,eius naturae minus hoc adversetur, quam si simpliciter sursum, a ut deorsum moveatur : quianon tantum levis est, sed etiam gravis, tantisper item resistit, atque ubi seiunctus est ali-quantum a primo motore, vim ab eo sibi impressam paullatim amitti t, demum deferiscitur,et contabesc it et ita proiectum ab aliono n violatum, pristinas conditiones rcuprt et se-cundum illas ad eundem locum festinat , unde coactum discesserat, quasi ferrum, quo d ubi

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    rieure, et, se conformant celle-ci, sempresse de revenir dans lelieu do la force lavait fait partir, de mme que le fer qui, lorsquilest spar du feu, retourne sa frigidit propre. L-dessus Philopon,et dautres latins, ont trs fo rtement at taqu Aristote, jusqurcuser son autori t.

    Ils ont dit tout dabord, que sa position nvite daucune faonla difficult que nous venons dobjecter Platon : savoir que si lapierre est porte par lair, son mouvement ne cessera jamais, car

    lair qui reoit Vimpetus na plus aucune raison de revenir au repos.Cet impetus, en effet, est conforme sa nature et son mouvementnest donc pas diffrent de celui de la descente de la pierre qui se faitconformment la nature. Cest pourquoi non seulement la pierre serai t mue travers toute lpaisseur de lair, mais encore, si lair ta itinfini, son mouvement durerait-il un temps infini. Car, que lairlui-mme soit mobile par soi, de telle faon quil puisse se mouvoiret aussi sarrter ce qui est le propre des tres anims, est trsloin dtre vraisemblable. Il ne suffit pas, non plus, de dire avecAverros, que le milieu est m par sa forme naturelle et que, cependant, Je mouvement se produit loccasion de quelque chose dext

    rieur. Car mme si lon admettait quil en soit ainsi, comment lerepos stabl irait -il dans le milieu ? Loccasion de se mouvoir est eneffet prsente, et le milieu est m selon sa nature. Ensuite : si cemouvement (du milieu) provient de Vimpetus imprim et introduit

    segregatum ah igni fuerit, ad propriam frigiditatem reverdit. Verumtainen Philoponus, eta!ii Latini in Aristotelem acerrimo inverti sunt, usque adeo, ut praeceptorem deserverint.Primum quia neque item uius positio difficultatem illarn vitt quam Platoni paullo anteobiecimus ; nunquam. s. eius motum ccssaturum, quoniam ab aere vehitur saxuin, aer autem,hic ubi impetum excepit, non ha bet unde quiescat :quoniam impctus ilie sit ei naturalis nonsecus atque deseensus saxo secundum naturam sit : quare non modo saxum per arem totumagit abitur , sed etiam tempore infinito, si infinitus fuerit aer. Nam dicere ipsum arem fieri

    per se mobilem, ut moveri simul et inanere possit, quod anima torum proprium est, longeaberret a verisimili. Neque sufficit id quod adscribebat Averroes, medium a sua naturali formamoveri, eum tamen motum ab extrinseco sumere occasionem. Nanque esto hoc. At undequies in medio ? iam.n. adfuit occasio movendi : mediumq. secundum naturam movetur.Deinde si ab impetu iam indito et impresso a primo movente sit iste motus ; quo mobile

    propin quius eri t moventi , eo quoque maior impe tuse rit saxi projec ti, et motus ipse velocior.At hoc falsum est, quia proiectorum motus augetur per aliquantum spatii in progessu, quoditem experientia test atur cum funda, aut balista, aut etiam quodvis tormentum ex distantiaquadam vehementius feriat, quam cominus. Adde etiam, quia saxum contra ventum moverinon posset. Etenim maiore impetu moveretur aer contra saxum, cum inaior sit impetusventi quam proiicientis ipsius. Accedit eodem q. per aequalem distantiam moveretur lapisa tangente et a remoto, quoniam aequalis impetus aeri posset iinprimi ab utroque. Tum

    postreino eadem velocita te proiice retur hast a oblonga ac brevis : quoniam aequalem impetum impertiri possis utra nque proiiciendo. Quamobrein Philoponus, post ipsum vero Al-bertus, D. Thomas et alii co mplures opi nati sunt, vim sa ne i inprimi a primo movente nonaeri quidem, sed mobili, utputa saxo ; et prout maior, aut minor vis illi imprimeretur, ita

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    par le premier mouvant, Vimpetus de la pierre projete seradautant plus grand, que le mobile sera plus proche du mouvant ;et son mouvement sera dautant plus rapide. Mais cela est faux,car le mouvement (la vitesse) des projectiles augmente dabord pendant un certain espace ; ce qui est dmontr par lexprience, savoir que la fronde ou la balliste, ainsi que le canon produisent deseffets plus vhments (lorsque lon tire) de quelque distance que(lorsque lon tire) de prs. Ajoutons encore que, si elle tait mue par

    lair, la pierre ne pourrait pas se mouvoir contre le vent, car...Vimpetusdu vent est plus grand que celui du projetant. Il sy ajouteen outre que la pierre serait projete une distance gale par un moteur qui la touche et par un moteur loign, car lun et lautre peuvent imprimer lair le mme impetus.Enfin, une lance longue et unecourte seraient projetes avec une vitesse gale, car la projection peutleur imprimer un impetusgal. Cest pourquoi Philopon et, aprs lui,Albert, S. Thomas et beaucoup dautres, ont pens que la forceest imprime par le premier moteur non point lair, mais aumobile, ainsi, la pierre. Et selon quune force plus grande ou plus

    petite lui est imprime, le mobile est por t plus loin et plus rapidement ; or, cette force est parfois reue plus facilement et plus rapide

    ment ; dautres fois plus difficilement et plus lentement ; ceci enfonction des facteurs qui favorisent le mouvement, tels la forme(gomtrique), la grandeur, la quantit de matire, etc., facteurs que

    per maius spatium atque velocius agitari. Huiusmodi autem vim interdum expeditius ac promptius excipi. Nonnunquam aegrius et lentius ; propter ilia quae motui soient auxiliari,utput a, flguram, magnitud inem, materiae multitud inem et c aetera, quae supra caussaslationis sodas appellavimus, sic longius fertur hasta, quam corpus quadratum, et chordatenta, quia melius e xcipit impetum, retinetque diutius, quam remissa, diutius quoque tremit,atque ictum facit maiorem. Si quaeratur etiam, cur ar in iactu non agitur in immensum :respondent :quia com municatur ille motus a lapide partibus proximis, et ab hisce subinde re-liquis contiguis, ut etiam vel eodem Aristoteles, teste et auctore (8 phys.) non sit unus ille m otus,quia mobile non simpliciter idem permaneat, at vero cum m otus ille non sit neque lapidi, ne-que ari naturalis, sed utrique eveniat ab exte mo p raeterea circumferentiam versus dilatetur,

    quemadmodum fieri conspicimus ubi, lapis in acquam proiciatur, facit . n. rotationes in prin-cipio minores, sed velocior es ; et ob maiorem proportionem quam habet tum movens admobile : et quia citius peragi solet spatium quo brevius est, in processu maiores quidem, sedtardiores : et aucto spatio et proportione moventis ad mobile imminuta : sic facit lapis inarem proiectus ; ideo motus segnior evadit ; ut demum fatiscat ; et interposita quiete ; quiamotus aut contrarii sunt, aut contrariis respondent, semoto impediente moveatur secundum naturam. Reddi etiam caussa potest, cur pila lusoria facilius repercutiatur , quam lapis :in motu.n. ante reflexionem valde comprimitur: postquam reflexa, est dilatatur; ita quae-rens innatam dimensionem (consequitur autem ipsam, non secus atq. suum locum elementum genitum assequatur, cum ablatum fuerit impedimentum ) ex repuls ione maiorem impulsum adipiscitur. Quo fit, ut cum positio haec ilia praestet quod bona quaestionis explicatio debet efficere :consentit.n. cum ratione, non oppugnat sensum : satisfacit omnibus problematisquae de re proposita quaeri possunt : et inhaerenti um caussas reddit : alacriter etiam a

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    nous avons appels plus haut causes concomitantes du mouvement.Ainsi la lance est porte plus loin quun corps carr ; et une cordetendue, parce quelle reoit mieux Yimpetus, et le retient plus longtemps que la corde relche, vibre plus longtemps et frappe plusfortement. Si maintenant on leur demande pourquoi lair, dans le jet,ne se meut pas indfiniment, ils rpondent que ce mouvement estcommuniqu par la pierre aux parties les plus proches et, par celles-ci, dautres, contigus. Et que ce mouvement, ainsi que le dit Aris

    tote lui-mme, nest pas un, car le mobile ne reste pas simplementun ; en outre, ce mouvement nest naturel ni la pierre, ni l'air,mais leur vient du dehors, aussi se propage-t-il vers la circonfrence,comme nous le voyons lorsque une pierre est jete dans leau ;elle provoque au dbut des cercles plus petits, mais plus rapides ;ceci en raison de la proportion plus grande qui existe alors entre lemouvement et le mobile : en effet lespace est franchi dautant plusrapidement quil est moindre ; ensuite la pierre forme des cercles

    plus grands, mais plus lents, parce que lespace augmente, et laproport ion du mouvant au mobile diminue.

    Il en est de mme de la pierre projete en lair; aussi le mouvementdevient-il plus lent, et, finalement, spuise. Alors, aprs un repos

    interpos, la pierre commence un mouvement naturel : parce queles mouvements sont soit contraires, soit rpondent aux contraires;aussi lempchement tant supprim, le mobile se meut-il conformment la nature. On peut expliquer galement pourquoi une ballerebondit plus facilement que la pierre : en effet, dans son mouvement

    prcdant la rflexion, elle est fortement comprime ; aprs sa r-

    Latinis contra Arist. ipsum defendatur. Et cfuoniam ita potest in methodo naturali cxperien-tia, u t ceteris neglectis machinis ingenii et rationis, iili standum sit, statuamus ad opinionishuiusce confirmationem levissimam tabulam, ex cjua torno, aut circino incidente orbis exi-matur : ita ut sine mu tuoa ttritu orbis ille intra illud cavum circumagi possit, et tabu laalicubi defixa. vectis cum manubrio illi orbi infigatur, quod manubrium singulae utrinq-furcillae, seu cervi sustineant. Tune manifesto apparebit circumactum orbem intra illud spa-tium tabulae orbiculatum moveri moto rnotore, nullo are impellente. Neque tune, quiamotus ille in orbem est, locus erit ari Lnpellenti. Nam quamvis ar inter orbem et tabulamexistt, adeo est exiguus, ut nullas vires ad eum moturn habiturus sit ; eoque maxime, quodipsius orbis politissima laevitas ab are circunstante, neutiquam agitationis instigationemaccipere valebit. Quoin. laevius quid est, eo magis agglutinationem respuit.

    Quanquam quid aliud erat, quod a nobis in hac caussa reddenda posset afferri, quamauctoritas ipsa Arist. qui aut hanc caussam omnino recipit, aut si aliam probavit, eviden-tissima repugnantia concluditur ? Habet.n. Q. Mech. tantum ferri id quod fertur. i. proiieituret pellitur, quantum aris moverit ad profunduin, ideoque caussam reddebat, cur neque magnanimis, neque valdeparva proiici possent. Monstrant haec omnia igitur impetum ari in motu

    projectorum a movente primo non committ i, contra q. ab ipso Arist. contra Platonemdecretum fuerit. Ita magnum opus erit ; si summus ille praeceptor a caiumniis hisce purgetur,id quod nos pro veritate ipsa mox aggrediemur, oppugnatores enim acerrimi sunt.

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    flexion, elle se dilate ; ainsi recherchant la dimension inne (or, ellela recherche de la mme manire que llment recherche son lieunatif, lorsque lempchement est supprim) elle reoit de la rpulsionune impulsion plus grande.

    Do lon conclut que cette thorie possde tous les caractresdune bonne explication de la question, cest--dire quelle saccordeavec la raison et ne contredit pas le sens : elle donne la solution detous les problmes tudis et rend raison de tous les phnomnesinhrents ; aussi est-elle dfendue vigoureusement par les latinscontre Aristote lui-mme.

    Et puisque dans la science de la nature telle est la puissance delexprience quil faut sy ranger en ngligeant tous les autres artifices de lintelligence et de la raison, faisons lexprience suivante...

    prenons une planche trs polie, dans laquelle, au moyen dun tour,ou dun compas tranchant, nous dcouperons un orbe : de telle faonque, sans frottement mutuel, lorbe puisse tourner dans la cavit,et, la planche fixe quelque part, quune manivelle soit adapte lorbe et que cette manivelle soit soutenue par de petites fourchettesou encoches. Alors il apparatra clairement que lorbe tournant lin

    trieur de l espace orbiculaire de la planche est m par le mouvementdu moteur, sans quaucun air ne le pousse. Car bien quentre laplanche et lorbe il y ait de lair, il y en aura si peu quil naurai tpas la force de produire ce mouvement ; ceci dau tant plus que lasurface extrmement lisse dudit orbe ne saurait recevoir aucune

    pousse de lair environnan t ; car dau tant que quelque chose estplus lisse, d autan t moins de prise il offre...

    Nous navons pas besoin dinsister sur lintr t de ce passage quinous montre bien les traits essentiels de la science mdivale : uniondune mtaphysique finaliste avec 1 exprience du sens commun.Ce sont ces traits -l que la science galilenne reje tera tous lesdeux que nous trouvons galement dans lanalyse du problme de

    la chute.

    Le problme du jet ne fut pasla seule cruxdes commentateurs anciens ou mdivaux de la physique dAristote. Celui de la chute descorps ou, plus exactement, celui de la chute acclre en formait uneautre, peine moins redoutable.

    Pourquoi, en effet, les corps tombent-ils avec une vitesse de plus

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    en plus grande ? Pour Aristote lui-mme, le problme, vrai dire,tait peu prs inexistant. Le mouvement de la chute des corpslourds (ou, corrlativement, le mouvement dlvation des corpslgers) se faisant en vertu dune tendance naturelle de lobjet darriver son lieu propre , quoi de plus naturel que de voir ce mouvement sacclrer au fur et mesure de son approche du but ?

    Mais pour les commentateurs, surtout pour les commentateurs

    mdivaux, il y avait l un problme, et mme un problme difficile. Confondant la notion aristotlicienne de tendance avec cellede force , ils se demandaient avec beaucoup de raison commentse faisait-il quune cause constante (le poids), agissant dune manirenaturelle, produisait un effet variable ? Do provenait lacclration ?

    Les rponses proposes par les commentateurs peuvent tre,grosso modo, classes en deux groupes (1). Les aristotliciens cherchaient la solution soit dans une variation (diminution) de la rsistance du milieu (de lair), soit, appliquant au mouvement de lachute la thorie labore pour le jet, dans la raction du milieu, provoque par le mouvement lui-mme, raction dont l effet sajoutera it

    celui de la pesanteur proprement dite (2).Quant aux partisans de la physique de l 'impetus, ils cherchaient la

    solution dans une variation de la force motrice de Yimpetus animant le corps, dans une espce de sommation de limpulsion au mouvement. Cette solution, en labsence de la notion dinertie, tait, vrai dire, fonde principalement sur une quivoque verbale entreYimpetus : force motrice, et imptuosit : qualit ou proprit dumouvement. Le corps, ainsi pensait-on, acqurait en tombant unecertaine imptuosit, et cette imptuosit de son mouvement,sajoutant Yimpetus naturel de la pesanteur, pouvait expliquerun accroissement de la vitesse

    Mais adressons-nous, encore une fois, Bonamico (3). ...Pourquoi les choses qui se meuvent selon la Na ture se meuvent-

    elles plus rapidement la fin quau commencement du mouvement ?Sur cette question beaucoup de choses ont t dites, tant lpoquedAristote lui-mme, que depuis lors, et jusqu nos jours. On en a

    1. L encore, cest aux Etudesde Duhern que nous devons la connaissance de ces discussions.2. Nous avons dj not que telle fut aussi la solution adopte p ar Descartes3. F. Bo n a m i c i, De Motu, 1. IV, cap. xxxvi l , pp. tO sq. : Aggredimur questionem qua

    de cremento naluralis motus in fine disseritur. ... facile reddi potest caussa quaestionis illius ; cur ea quae moventur secundum na turam

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    allgu des causes trs nombreuses : dune part, des causes per se,telles que la nature ou le lieu, et, dautre part, des causes per acci-dens, telles que la suppression des obstacles, la chaleur rarfiante,une certaine gravit adventice, et cela sparment ou conjointement. Or ces explications sont suffisamment vraisemblables ; aussi, moins davoir des yeux dArgus, est-il facile de se tromper et nousfaudra-t-il examiner les causes particulires avec beaucoup datten

    tion. Dans lantiquit (car nous commencerons par rapporter les opinions et doctrines des Grecs), Time, Straton de Lampsaque et Epicureestimrent que, en vrit, toutes les choses taient graves et querien ntait lger par soi ; or, il y a deux termes du mouvement,lun, le plus haut et lautre, oppos celui-ci, le plus bas ; mais lun, savoir le bas, est le lieu vers lequel toutes les choses tendent de parleur nature ; lautre, par contre, est celui vers lequel elles sont portes par force ; ainsi, comme toutes les choses sont graves, elles se

    portent vers le bas de par leur nature ; et si lune delles est plusbas ou plus hau t, cela ne prov ient de rien dautre que de ce que lescorps les plus graves exercent une pression sur les moins graves, et,

    de ce fait, se placent au-dessous delles ; non pas que quelque chosesoit rellement lger, et se porte vers le haut grce une tendancespontane, mais les deux corps appartiennent au genre des graves.Si lun deux apparat lger, cest que lautre est plus lourd et celui-ci lest moins ; or, parce que lun deux est trs lourd, il exerce une

    pression sur celui qui est moins grave et va au-dessous, et ce qui estmoins grave, au-dessus ; ainsi le mouvement (vers le haut) se fait, enquelque sorte, p ar extrusion, parce que le grave, plus il est tel, plus il

    ocyus in fine moveantur, quam in principio motus. De qua sane quaestione multa dictafuerunt tum Arist. ipsius ternporibus, tum etiain usque ad haec no stra, caussaeque compluresaliatae, cum per se, vel natura, vel locus, tum per accidens, ut impedimenti sublatio, calor

    rarefaciens, adventitia quaedam gravitas, atque haec vel seorsum vel eouiunctiin, eadem-que admoduin verisimiles, ut nisi Argi oculos adhibeainus, facile decipi possimus. Idcircoprae stat , ut singulas caussas curiosius requirain us...

    Nam ant iqui tas (etenim nos Graecoruin sent enti as primum recitabi inusj. Timeus, Stra toLampsacenus et Epicurus existimaverunt, omnia quidem esse gravia, nihil per se leve : duosautem esse tenninos motus, alterum supremum, atque alterum oppositum illi infimum, sedunum nempe deorsum et infimum esseiocum in quem omnia properent secundum naturam ;alterum vero ad quem vi feran tur: etenim cum omnia gravia sint, deorsum suapte naturaferuntu r, quod si quis ex his inferius est, au t superius, hoc non aliun de proficisci quam,quod corpora graviora minus gravia premun t, et ideo subeun t ilia, non quidem quialeve aliquid sit ; propterea suopte nixu sursum feratur, sed utraque corpora sunt ingnr gravium ; alteru m vero ex illis leve appare t, quoniam hoc gravissimum est, illudminus grave, et quoniam hoc gravissimum est, ideo premens illud quod est minus grave,subit ipsi, quod autem minus grave est, sic supere minet : quasi vero motus hic lit per

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    chasse et opprime celui qui est moins grave et cela dautan t plusrapidement. Ainsi, la vitesse de ce mouvement (vers le haut) nedrive pas en vrit dune cause interne, mais dune externe et estviolente, et nullement naturelle.

    Du reste, Aristote a fait la critique de ces doctrines, en par tan t desfaits que le sens peroit dans tout genre de mouvement ; il conclutquil y avait un mouvement naturel dans tous les corps, mme (dansceux qui vont) vers le haut, car l o une chose est mue par force,

    elle est mue plus rapidement, lorsquelle est plus petite que lorsquelleest grande ; en outre, tout ce qui est m par force est plus rapidedans son mouvement au dbut de celui-ci ; mais lorsque Yimpetusqui le meut svanouit, son mouvement sarrte galement, et unmouvement naturel lui succde ; celui-ci, au contraire, est plus lentau dbut, mais crot progressivement et cest vers la fin quil devientle plus rapide ; car ce qui est port quelque part par force, se meut partir de l selon la nature. Or, nous voyons que dans lemouvement des lments, par exemple, dans celui dont descend laterre, le mouvement est dautant plus rapide que la masse est plusgrande. De plus, nous voyons que la terre se meut au commencementplus lentement que par la suite ; quelle se meut le plus rapidementlorsquelle arrive la fin du mouvement et que, enfin, lorsquelle arrive au centre, elle n en bouge plus, moins quelle ny soit force ; ilen est de mme en ce qui concerne les choses qui se portent vers lehaut. Ainsi donc, nous dirons que ces corps-l sont mus non paroppression ou extrusion ou, enfin, par quelque autre force, mais parnature.

    On pourrait dire cependant : que ce mouvement soit naturel, et

    extrusionein, quare, quo gravius est, magis extrudit, magisque opprimons id quod est minusgrave, eo etiam velocius fert ur. Ob id velocitas huius motus non quidem ab interna caussaderivabitur, voruin al) externa, e t erit violenta, non autem naturalis.

    Ceterum in hos invcctus est Aris. ab his quae mons trat sensus in aliquo genere

    motuum, a tque con clusit nonnulluin esse quoque m otum na turalern in omni eo rpore etsursum etiam, tum quod ubi rnovetur aliquid vi, citius fertu r, si minus sit, quarn si fue ritmains, tum praeterea quia quiequid vi rnovetur in sui motus nitio velocius est ; evanes-cente vero illo inoventis impet u, etiam dficit eius motus, ac natura lis illi succedi t, quiquidem in prineipio segnior est, vegetior vero fit in progressu, ac postremum propelinem vclocissime fertur : nam id quod aliquo fertur vi, rnovetur inde secundumnaturam. At nos in eleinentorum motu, verbi gratia quando terra descendit, cernimusquo mains est illius moles, etiam ferri velocius. Praet erea conspicimus ipsam initiosegnius agita ri, quam in progressu et tum velocissime con citari cum fuerit prope finemmotus, atque ubidemum pervenerit ad medium, abipso non moveri, nisi cogatur, idemquoque iudicandum de nonnullis quae sursum ferunt . Ergo non oppressione. aut

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    dabord le fait que le lieu est reu par eux en mme temps que laforme, cest--dire que le lieu appartien t leur constitution ; ensuite,le fait quils ny sont pas et quils sont retenus en dehors de leurlieu (comme, par exemple, le feu dans la rgion de la terre) ; la suppression des entraves qui les retiennent en dehors de leurs lieux formedonc une seconde cause du mouvement. Lacclration sexpliquepar le fait que, lorsquils sont engendrs dans un lieu qui nestpas le leur, ils ne peuvent pas exercer leur facult native, parce quils

    sont imparfaits ; mais aprs que limpedimentum est cart,quest-ce qui les empche de sy prcipiter selon le summum de leurnature ?

    Cest peut-tre un bon argument contre Hipparque, mais il negne aucunement notre position : parce que lempchement est tou

    jours prsen t jusq u ce que les lments soient dans leurs lieuxpropres et lorsquil est entirement limin, ils ne se meuvent pas,mais reposent en leur lieu propre.

    Je ne sais pas ce q uen pensrent d autres ; nombreux sont cependant ceux qui en vinrent adopter cette doctrine.

    Simplicius lui-mme admet que la vitesse augmente du fait que larsistance du milieu est moindre vers la fin du mouvement quaucommencement ; parce que le mobile dont le mouvement approchede sa fin na plus quune partie moindre du milieu franchir, qui, donc,rsiste moins. En effet, telle est la condition des vertus qui sont dansla matire que, toutes choses gales, elles sont plus robustes dans lescorps plus grands : or, le milieu rsiste au mouvement ; cest mmel la cause pour laquelle dans le changement de place il se consomme

    quantum con trahunt de forma tantundem etiam assequuntur de ipso ubi : altra vero quandoiam genita extra locum proprium ab aliquo detineantur, quemadmodum ignis apud nos, etfcmoveatur impedimentum. Esto igitur quod cum gignuntur, quia tune perfecta non sunt,non possunt exercere facultatem illam suam nativam;at postquam a genitisarceatur impe-diens, quid ilia vetat, quominus secundum summum suae naturae concitentur ?

    Forlasse poterat hoc adversus llipparchum, quia non urget id positionem nostram :

    co, quod adest semper impedimentum, quousque fuerint in loco proprio, atquc ubi remotumfuerit universum, iam non moventur sed in proprio loco quiescunt. Idcirco existimaruntalii ncscio quod, multos autem in eam venisse sententiam.

    Simplicius ipse testatur : eorum velocitatein ex illo amplificari, quod resistentia inediiminor esset in fine motus, quant ab initio : qiiandoquidem minor inedii portio relinqueretura mobili superanda rnotu ad finem tendente, eaque minus resisteret. Talis. n. est conditiovirtutum.quaeinmateriaconsistunt.quod celeris paribus in maiore corpore sunt robustiores :medium veroinotuircsistere, iiumo verocaussant esse, car tem pus inlocomutando consumatur,ante docuimus quain ob rem ubi medium rarius est maior solet esse celeritas, atque adeo utin vacuo non futurus sit motus. Attamen caussa talis non est quant reddidit Arist. inquiensaugeri velocitatein in line motus ex udditione gravita tis, non autem ex eq, quod minor portioinedii supersit. Sed quoniam revocatur hic locus in controversiain, ne forte petitioneni principiicommittamus, etiam sic urgeamus illos. Quia majori corpori ceteris paribus, utputa figura,

    A l a u b e DE LA SCIENCE CLASSIQUE 39

    du temps ; nous avons enseign plus haut pourquoi l o le milieuest plus rare, la vitesse est plus grande et pourquoi dans le vide ilny aura pas de mouvement. Toutefois, la cause allgue par Simplicius nest pas celle que donne Aristote, qui dit que la vitesse augmentedans la fin du mouvement par suite de laddition de la gravit, etnon du fait quil ne reste quune plus petite partie du milieu franchir. Mais comme ce passage est controvers, nous nen ferons pasusage, ce qui serait une ptition de principe, et nous leur opposerons

    en plus largument suivant : au corps plus grand ceteris paribus...rsiste plus dair quau plus petit.Lair rsiste donc davantage au corps plus grand quau corps

    petit e t cependant le corps grand descend plus vite que le petit. Doncla rsistance du milieu ne peut tre la cause pour laquelle le mouvement est plus faible au commencement . Ensuite comme cest lamme cause qui intervient lors du mouvement violent que lors dunaturel, savoir la diminution du milieu qui reste franchir, elledevrait produire le mme effet. Or, comme lexprience ne le confirme pas, mais enseigne plutt le contraire, il nest pas croyableque telle soit la cause pour laquelle le mouvement naturel augmentevers sa fin.

    Chez les interprtes Latins (1) nous lisons que certains ont pensque lair schauffe par le mouvement ; schauffant, il devient plusrare et, par cela mme, cde plus facilement auxehoses qui se meuvent, travers lui ; do il suit que, plus longtemps une chose se meut,

    plus elle chauffe le milieu, e t dau tan t plus elle le rarfie et le renden outre plus apte la rarfaction ; par l mme le mouvement peutse faire toujours plus facilement et donc plus rapidement. Ainsila flche se mouvra-t-elle beaucoup plus rapidement en progressant,surtou t si elle schauffe par le mouvement . Or, elle schauffe

    et insigni parvitate molis, excepta, plus aeris obsistit quam minori. Nanque omnia haec

    motus evariare possunt. seu nat traies sint, sive animales, sive etiam violenti...Plus igitur aer obsistit majori corpori, quam minori, et ta.men corpus maius citiusdelabitu r quam minus. Non ergo medii resistentia potuit esse caussa cur motus ab initiopig riors it. Deinde quonia.n caussa eadem in tercet! it, me dii nimirum imminu tio ubi motusviolentas sit, sic ut etia n ubi naturalis, quare item elTectus idem contingere plane deberet.Cum igitur hoc ipsa experientia non conlir.net ; sed oppositum potius doceat, credibileitem non est earn esse caussa.n cur intendat motus naturalis in fine.

    1. F. Bo n a m i c i .De Motu, I. IV, cap. xx xv ui, p. 412 sq.: Latinorum sententie de erementonaturalis motus in fine ex ordine recilantur. Apud Latinos interprtes legimus opinatos

    fuisse nonnullos aerem a motu caielieri ; calefac tum ve to lieri rariorem : ob id cedere faciliusiis quae per ipsum moventur, inde consequi unde quo longius aliquid moveafur, quia magi?calefiat medium, et quoque rareflat magis atque inagis, subinde aliciatur ad rarefaotionem.Quare per ipsum prompti us, expedit ius et denique velocius obiri poss it motus. Ceterum

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    tellement, au tmoignage dAristote, que si elle tait en plomb,elle fondrait ; et pourtan t, elle se m eut en se ralentissan t continuellement.

    Tout cela me parat pe rvertir entirem ent lordre de la nature. Carle mouvement est avant rchauffement du milieu ; or, ceux quitiennent pour lopinion nonce, mettent la rarfaction avant lemouvement et ainsi posent un effet qui par nature prcde sa cause ;rien nest, sans doute, plus inepte.

    Plusieurs in terprtes attribue nt la cause des effets de ce genre auxforces du lieu lui-mme ; cependant, ils ne les conoivent pas tous dela mme faon, mais nous les voyons expliquer les forces du lieu dedeux manires diffrentes. Certains, comme nous lavons rapport

    plus hau t, estiment que le lieu possde la force de conserver lemobile. Or, par un apptit naturel, toutes les choses recherchentleur conservation, e t cest pourquoi les corps recherchent leur lieunaturel, comme tant le plus favorable leur tre...

    Dautres disent que dans le lieu se trouve une force dattirer lemobile, comme dans laimant la force datt ire r le fer. Mais, pourdire quelque chose contre ces derniers, nest-il pas vrai que, plusle corps est grand, plus il rsiste aux forces attractives ? Sans

    doute. Par consquent, les plus grands descendraient plus lentement que les plus petits. Ce nest pas non plus dune distancequelconque que se mouvrait une masse de terre, comme ce nest pasdune distance quelconque que le fer peut tre m par laimant,

    parce que la puissance dune facult naturelle est finie. Cette opi-

    euam multo velocius in processu sag itta movebitur : praesertim si ex motu concalefactafuerit, quam, si plumbea sit ; ita excalefieri testatur Arist. ut eliquescat : nihilosecius eosegnius assidue movetur.

    Praeterquam quod his mihi videntur ordinem naturae prorsus pervertere. Nam prius estmotus quam calefactio medii ; ipsi tamen priorem faciunt rarefactionem quam motum, etidcirco ponunt efFectum qui suae caussae natura praecedat, quo certe nihil ineptius.

    Tribuunt complures huiuscemodi eventi caussam viribus ipsius loci quas tamen interprtesnon eodem modo omnes accipiunt, sed duobus modis ipsos de viribus loci differere comperi-

    mus. Aiiqui, quemadmodum supra nos constituimus q uia locus habea t vim conservandimobile : omnia vero appetitu naturalisuam ipsorum conservationem quaerant ;ex hoc efflciut plantaeetanim aliamagishoc quam illocoelo fruantu r;is autem esse debet huius modi,ut partim similis sit, ut ab eo locati materia conservetur partim contrarius ut emendeturexuperantia.

    Sic unumquodque elementum cum illo cui contiguum est, in altra qualitate convenit, inaltra verodiftert, quod sane ab Averro videtur, exceptum quilocum appet i dicebat a mobili,tan quam ftnem motus et quod in ipso sit eius quies. Alii dicunt in loco vim inesse trahendimobile, quemadmodum est in magnete vis a ttrahendi ferrum. At ut aliqua contra posterioresdicamus. Nonne quo maius est corpus, eo quoque magis viribus attrahen tis resistit ? Utique.Ergo maiora descenderent tardius quam minora. Neque item ex quacunque distantiamovereturglebaterrae, sicuti nec ex quacumque distantia ferrum moveri potest a magnete,

    A L AUBE DE LA SCIENCE CLASSIQUE 41

    nion, en outre, dtruirait la force des raisons aristotliciennes envertu desquelles on admet que, du centre dun autre monde, si loignsoit-il, la terre se porterait vers le centre du ntre, car elle ne semouvrait pas ici, moins que la facult tractrice qui est dans lemilieu du ntre ne puisse y parvenir... Or, bien que la valeur decet argument, ne soit pas grande, cependant il vaut contre ceux quiconcdent au fieu une force attractive.

    Si tu ajoutes la propension, tu te rfutes toi-mme.Contre Averros certains ob jectent, bien quen allguant un argument fallacieux, que ce qui manque le plus est aussi le plus dsir.Mais le fieu manque davantage lorsquon en est loin que lorsquonen est prs. En effet, plus une chose est loin de son fieu et de saforme, dautant plus rapidement elle y avance et sy rend. Mais,certes, ceux qui raisonnent ainsi ne voient pas que lapptit, qui estla cause du mouvement, est plus grand dans la matire qui est plusprs que dans celle qui est plus loin du but . Ainsi, la plante ne dsirepas la vue, ni la taupe la lumire, tandis que lhomme, sil tai taveugle, les dsirerait par-dessus tout, parce quil est tout prs de lavision ; de mme la matire ne dsire pas un bien quelle ne peut

    prouver, et parmi ceux quelle peut prouver, elle dsire ceux quilui sont plus proches. Cel