afrique noire, table de divisions · en effet, la dissertation sophistiquée de rené dumont (1962)...

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1 Misbao AÏLA Diplômé des universités, Chercheur en Éducation et Sociologie Démédéros AÏLA, Ph. D. Docteur ès Mathématiques, Expert en géométrie différentielle, Pédagogue-praticien à Montréal AFRIQUE NOIRE : TABLE DE DIVISIONS OU SOUCOUPE DE BONNES ESPÉRANCES… ? Espace de Philosophie et de Recherche sur l’Immigration et le Social (ESPRISOCIAL - FRANCE) http://www.esprisocial.org/documents LILLE (FRANCE) FRANCE Montréal (Canada) - Wattrelos (France) 8 avril 2016

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    Misbao AÏLA

    Diplômé des universités, Chercheur en Éducation et Sociologie

    Démédéros AÏLA, Ph. D.

    Docteur ès Mathématiques, Expert en géométrie différentielle, Pédagogue-praticien à Montréal

    AFRIQUE NOIRE : TABLE DE DIVISIONS OU SOUCOUPE

    DE BONNES ESPÉRANCES… ?

    Espace de Philosophie et de Recherche sur l’Immigration et le Social (ESPRISOCIAL - FRANCE)

    http://www.esprisocial.org/documents

    LILLE (FRANCE)

    FRANCE

    Montréal (Canada) - Wattrelos (France)

    8 avril 2016

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    Plan INTRODUCTION I. ENJEUX ET DANGERS AU CENTRE D’UN APPAREIL COMMUNAUTAIRE

    1. Des contradictions de principes : défis ou menaces (d’effondrement ?) de jeunes démocraties 2. Ambiguïtés d’une politique africaine en contrainte et contradiction permanentes 3. Enjeux ou vacuité d’une communauté internationale de dupes ? 4. Et cependant…

    II. CONTINENT DIVISÉ OU SOUCOUPE D’ESPÉRANCES ?

    1. L’Afrique vue ou décrite par des Africains 2. Urgence d’une coopération sincèrement solidaire ? 3. Par-delà illusions et confusions… : une thèse bouleversante ?

    CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

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    Résumé de l’article L’article est centré sur la question cruciale du développement africain. Il se trouve en effet que la problématique exige à la pensée discursive de s’atteler prioritairement aux effets pervers qu’exercent la faim et la corruption, ainsi que le « blocage mentalitaire » des populations, sur les changements à opérer d’urgence en elles-mêmes en vue de s’offrir les possibilités d’un épanouissement intégral. Notre approche prend ainsi appui sur quelques spécialistes du développement, qui, tout en déblayant de pertinentes pistes de réflexions, ne soulignent pas moins l’engrenage des sujétions qui basculent l’Afrique dans un esclavage moderne savamment entretenu par des « puissances ». Il s’agit d’un éclairage critique sur les fardeaux mentaux de crédulité (chez les Africains eux-mêmes) qui incarcèrent les populations subsahariennes dans la résignation d’une jungle économique ou politique. L’analyse dégage grosso modo une triple orientation entremêlée : d’une part l’Afrique Noire vue ou décrite par des immigrants d’origine subsaharienne, d’autre part leurs raisons d’espérer ou de désespérer face aux calamités non-naturelles qui interrogent le quotidien de leurs efforts de resocialisation, et au final la perception de leur être au monde par rapport à leur pays d’origine. Mots-clés : développement, corruption, résistances aux changements, espérances ou désespérances.

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    Aujourd’hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrouvée ou renforcée, arrive au seuil de l’ère post-industrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes les nations se donnent la main pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie. CHEIKH ANTA DIOP

    Du reste, si les rapports humains étaient régis par la morale, la paix ne tiendrait qu’à une question de sermons. Les Africains doivent donc se convaincre que les choses sont plus complexes que cela.

    AXELLE KABOU

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    INTRODUCTION En général, dans les conflits relatifs notamment aux problèmes de famine endémique ou de corruption civile et militaire qui minent en quelque sorte les États subsahariens, on écarte facilement les remèdes élaborés par des têtes qualifiées du continent. D’aucuns s’en vont jusqu’à les soupçonner d’avoir naturellement leur nez trop proche des réalités sociales qui les concernent pourtant au même titre que les classes dirigeantes et leurs pauvres populations. Cela entraverait leurs jugements d’appréciation, leur neutralité d’expertises, dit-on souvent. La tentation devient ainsi irrésistible pour quelques décideurs d’en appeler vite aux experts venant de « loin », parfois de « très loin », pour résorber des maux ne coïncidant pas du tout avec leur quotidien culturel. Il est indispensable que l’intelligentsia africaine devienne plus responsable et plus objectivement entreprenante dans la gestion des graves crises qui secouent son continent. Avec bien entendu, quand c’est possible, la collaboration sincère et loyale d’une intelligentsia extracontinentale tout à fait expérimentée sur des cas similaires probants. Certes ! Des programmes sociopolitiques objectifs, bien étudiés à même les complexités du terroir et de la modernité, s’avèrent urgents pour la survie holistique du continent noir. Tant les échecs du passé continuent d’impacter, du moins économiquement, sur ses choix stratégiques ; surtout que les illusions thérapeutiques longtemps proposées ou même « appliquées » par des tout-puissants maîtres n’ont pu lui assurer le véritable redressement socioéconomique péremptoirement promis. Le vrai problème se trouverait-il plutôt gravement ailleurs ? Quel génie saurait-il construire le bonheur social exactement de la même manière à Lyon qu’à Yamoussoukro ? Aucun, sincèrement ! Des similitudes en génie civil sont souhaitables et même recherchées, mais le bon sens pédagogique ne voudra rechercher brusquement dans les structures ethniquement complexes d’un État africain, les finesses structurelles copieusement acquises dans les sociétés prométhéennes, notamment celles qui ont encore de la facilité à sucer le « sang des vaincus » pour se hisser au « firmament ». L’on peut toutefois tirer des échecs du passé quelques limons fertilisants pour améliorer le présent, si du moins il y a une volonté de sincérité : de part et d’autre. Il s’agit là de passer radicalement du stade des beaux discours à celui de l’action concrètement visible. Du stade des messes de paroles à celui de l’entrepreneuriat qui sauve. À cet effet, l’on veut justement des résultats palpables et durables, de tangibles résultats qui défient le temps, et non des fumisteries. Nous ne passerons pas sous silence quelques doctes analyses élaborées par des experts de renom. Rien ne nous empêchera donc d’évoquer le caractère inviolable d’une constitution plébiscitée dans la transparence par de vaillants peuples, ainsi que le respect dû à une Justice sociale ratifiée par des peuples en « soucoupe d’espérances », en « barque d’espoir ». Il y aura bien entendu l’apport succinct de quelques travaux sur les effets de conditionnements des masses subsahariennes, notamment des hypothèses de résistances aux changements au sein-même du continent africain. Et c’est justement lesdites hypothèses qui viendront ébranler nos « vieilles certitudes faciles ». Il ne nous reste qu’à convenir que le présent article n’est que l’approche infime d’un conflit continental immense et complexe. Quel Terrien prétendrait en avoir percé tout le « mystère » ?

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    I. ENJEUX ET DANGERS AU CENTRE D’UN APPAREIL COMMU NAUTAIRE

    1. Des contradictions de principes : défis et menaces (d’effondrement ?) de jeunes démocraties

    La problématique officielle d’une Afrique Unie, celle d’une véritable force militaire et monétaire, ou du moins couronnée par des productions de richesses couvrant les besoins objectifs des États de l’entière Union, et garantissant une floraison de citoyens équilibrés par des activités professionnelles variées, ne rime pas encore au diapason avec les bonnes intentions de l’Organisation du continent : tandis qu’à la lumière de douloureuses réalités sociopolitiques, et malgré des décennies d’indépendance sous l’étendard flamboyant, le projet africain de démocratisation monétaire peine encore à échapper aux intrigues des lobbies d’Airain. Il y a néanmoins, dans cette volonté stratégique à disposer d’institutions démocratiques et financières fortes, pour l’optimisation des aspirations africaines d’épanouissement (du moins l’évacuation des illusions qui étaient pourtant déjà bien visibles il y a longtemps dans ses rétroviseurs de perception), des contradictions de principes et d’actions dont les grands défis peuvent s’énoncer ainsi : Changer radicalement de cap au plan de nombreux choix politiques caducs, eu égard aux besoins actuels de survie des populations dont la plupart se révèlent analphabètes (mais heureusement pas du tout bêtes), s’agissant notamment de leur santé, logement, formation et emploi, ainsi que de tout ce qui concerne la reconversion intérieure de leur conscience de citoyenneté ; sensibiliser tous les citoyens sur le caractère inviolable des principes constitutionnels et sur la légitimité inaliénable du peuple à s’insurger contre l’arbitraire, ainsi que les inciter par une éducation de masses à faire face aux épreuves quotidiennes du vivre-ensemble (en l’occurrence leur droit pour tous à s’assumer en tant qu’individus libres et égaux devant la loi) où essaiment tant de clivages que d’incompréhensions en des postures conflictuelles encore que souvent moins socialisantes que déviantes. Assainissements plus objectifs, plus humains ou plus rationnels des conditions d’accès des populations à l’emploi, à la santé et à la redistribution des richesses nationales ; vigilance minutieuse de la société civile et des gouvernants eux-mêmes concernant les plus démunis qui croupissent dans la précarité : il importe à cet effet que l’État ne laisse pour comptes les supposés « rats-sans-dent » ou « canards boiteux », en ce sens où la charge d’accès à la « grande mangeoire », que représente souvent la formation d’un gouvernement, impose bien au contraire de mettre fin aux gabegies et délits d’initié qui saignent les masses au profit d’une hiérarchie dite « bonne aux pires choses ». Cela dit, la suffisance dite osée avec laquelle certains gouvernants toisent leur population en l’acculant à l’abandon, par ignorance ou mépris, ouvre au final la porte à des excitations de tous les dangers. D’autant que ces injustices perpétrées à longueur de mandats frauduleux, constituent autant de charges d’explosions bien propres à saper les fondements de la cohésion nationale. Mais il faut néanmoins s’en aviser, s’en instruire : à force effective de soumettre son peuple aux humiliations de toutes sortes, le tyran en fait un dogue enragé et prêt à se retourner contre lui et le dévorer au final sans manquer de broyer son crâne royal. N’est-ce donc pas parce que les préoccupations populaires en liens directs avec les marées de crises sociales sur le continent noir, – (on sait qu’il y existe des leaders furieusement aptes à

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    « asphyxier davantage les franges les plus démunies de leur population, sans aucun espoir de redressement » (Kabou : 1991, p. 140) –, qu’il importe d’éveiller un tant soit peu les « inconsciences humaines » sur leurs stratégies de « négriers » ? Mais qui possède, en fait, de vrais « moyens pacifiques » pour renverser la puissante fédération de quelques « génocidaires » qui, aux faîtes de leur « égo des grandeurs », s’emploient à démolir les frêles stabilités d’un continent déjà « mal parti », pour leurs intérêts narcissiques ? La gouvernance en Afrique se réduirait-elle à un continuel enjeu de désespérances, pour de nombreuses populations, celui d’agoniser ou de survivre en désespoir de cause, au quotidien d’excentricité des hommes « forts », dans une jungle militaire qui cultive la criminalité et l’embellit coûteusement, quotidiennement, avec la complicité-même de forçats soumis à la violence d’une machine qui torture et tue ? Ne devrait-on pas comprendre qu’une telle machine d’asservissement n’est pas et ne peut pas être l’émanation d’un hasard mais d’une stratégie à laquelle une « Mafia sans masque », machiavéliquement organisée, a préalablement accordé des pouvoirs de terreur, et que cette machine infernale ne peut d’ailleurs que trop durer si aucune opposition unie n’en vient à l’enrayer, avec une détermination sans faille, radicalement ou sans merci ? Mais quel adversaire mafieux, au final, peut-il vraiment réussir à frapper de l’extérieur si l’intérieur lui-même n’est déjà pas prédisposé à lui prêter le flanc ? Mais lorsque l’extérieur a déjà malheureusement réussi à s’infiltrer dans l’intérieur, n’y centuplerait-il pas alors l’aberration que nous venons d’exposer ? 2. Ambiguïtés d’une politique africaine en contrainte et contradiction permanentes Essayons de dresser à présent, en quelques lignes, une assise argumentaire propice à signaler certaines ambiguïtés qu’une certaine politique africaine véhicule en son sein, de par sa pénurie d’industries qui fragilise durablement ses propres efforts à l’autosuffisance alimentaire, et qui se complique et s’aggrave en prolongement de ses nombreux échanges peu ou prou invalidants… En effet, la dissertation sophistiquée de René Dumont (1962) – L’Afrique noire est mal partie – nous permet de rebondir en quelque sorte sur les fardeaux d’ambiguïtés qui pèsent à beau frais sur le continent, en même temps que d’éclairer quelque peu la nuisance avec laquelle de tels fardeaux sapent ses tentatives de survie notamment alimentaires. Mais la scolastique, pré-visionnaire, ne s’était-elle pas bien faite avant-gardiste de la « vie organique » lorsqu’elle énonçait : « Primum vivere deinde philosophari » ? Rien n’interdit ainsi de se demander si la rentabilité cérébrale de l’individu-pensant ne passe pas davantage par un « estomac sain » que par un logiciel efficace dont l’ingénieur disposerait pour de multiples applications. Aucun savant inventeur de logiciels ne peut être l’émanation d’un ventre affamé, c’est assez évident ! Mais la corruption généralisée, ainsi que la famine endémique, ne suffirait-elle à anéantir en peu de temps le génie entier de tout un peuple ? Réussir à bien manger selon les besoins réels de son organisme, cela ne peut qu’être indispensable pour le déploiement cérébral : bien travailler passe donc par bien se nourrir, et la santé cérébrale a certes besoin d’être quotidiennement entretenue par une alimentation sainement riche, de la même manière que la santé économique d’un État ne saurait se soustraire à une gestion nourrie de rigueur et de transparence. Ne sommes-nous pas au fait des nombreuses impedimenta économiques qui entravent le bon fonctionnement de nombreux États subsahariens, s’il faut du moins nous limiter à parler des

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    « frêles démocraties africaines postcoloniales » ? À cet effet d’ailleurs, une expertise courageuse a déjà retenti, à juste titre, comme une sonnette d’alarme pour tout le continent :

    « Il n’existe pas d’exemple de nation, de continent au monde, qui soit parvenu à nourrir correctement ses populations en comptant sur le pouvoir des « multiplicateurs de billets », ou sur celui de leurs pendants occidentaux ou arabes : les bailleurs de fonds » (A. Kabou : 1991, p. 164).

    L’indigence généralisée n’est en effet d’aucune garantie pour le bonheur social, selon la spécialiste franco-sénégalaise du développement. Malgré les apparences actuelles de progrès que l’on enregistre çà et là au compte de sa fameuse croissance « exponentielle », l’Afrique (pourtant dite décolonisée) n’a pas encore cessé d’entretenir sur le continent une corruption tenace qui menace de ruines l’édifice fonctionnel de ses jeunes États qu’elle s’efforce de vitaliser bon an mal an, avec de gros bracelets de malversations ou de gabegies aux poignets. Comme le disait, en paraboles, une mère guinéo-ivoirienne dans une interview qu’elle nous accorda, après bien sûr quelques réticences justifiées :

    La corruption elle est implantée dans le monde, partout même dans nos maisons. …, mais on va pas délirer non plus hein. (…) Seulement qu’on reconnaisse que, sur ce plan, nous nos corruptions…, vraiment elles sont cas graves comme plaies qu’on doit traiter avec pénicilline des abeilles (…) Les chefs qui dirigent dans nos pays-là, presque tous ils sont des « mecs corrompus » (…) Exemple ?, bon… exemple, si tu entres dans palais du roi pour demander à boire, parce que t’as vraiment soif de qualité, tu constates d’abord que la cour c’est un joli jardin mais que l’eau du chef est corrompue. Tu es embarrassé parce que tu sais pas comment refuser l’eau souillée du roi (…) Tu t’étonnes simplement que le roi lui-même, c’est encore lui-même le chef des corrompus… Ses enfants-mêmes n’en parlons pas, ils sont des phénomènes graves… au fond ils sont tous des « enfants quinquins » [enfants gâtés]. Mais de toutes les façons, bizness c’est bizness, c’est pourquoi nous tous là-bas on a le profil pour faire bizness avec familles de rois corrompus. Eh oui ! C’est comme ça ! T’as qu’à bien te soumettre au roi pour que ses « soldats quinquins » ils te laissent au moins t’en aller en paix. Ça c’est ce qui se passe. Pays riches… pays pauvres, ils sont tous pareils (…) C’est qu’on traite pas « marigot sale » que nous buvons, simplement. (…) Arrête !…, non, arrête !... Pays pauvres ou pays riches, c’est la corruption dans le monde entier. Je voyageais beaucoup …, donc j’en ai beaucoup vu. Corruption c’est l’eau pourrie qui va détruire la terre… comme déluge du monde ! (…) On dirait que tu réalises pas vraiment dans quel monde-même nous sommes. (…) Mais c’est pas un secret pour personne hein. La corruption c’est la pire-même des maladies du monde, surtout chez nous … Ébola et Sida sont petits, d’ailleurs eux-mêmes là ils sont que maladies de corruption. Mais on sait aussi qu’on on n’a pas droit d’en parler trop. (…) Si tu en parles, on te dit que le pays c’est comme ça depuis même avant la naissance et la mort de ton arrière grand-père, t’as qu’à prendre ça comme ça. Donc tout le monde se tait et ça continue. Eh oui c’est comme ça ! (…). (X…, femme d’affaires).

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    Nous en passons aux paraboles d’« eau souillée du roi » de notre interlocutrice, en tout cas et si tant est que son diagnostic frappe assez durement au but ; mais, en fait, et il faut l’avouer, il ne se passe d’observations critiques sur l’Afrique qui ne se prêtent peu ou prou à de telles fulminations, à de telles sortes de métaphores que d’aucuns s’empressent d’ailleurs de qualifier de « calembredaines peu innocentes », de « bruits qui n’empêcheraient pas les ours blancs de dévorer les zèbres ». En réalité, sur quoi repose ce pessimisme objectif que profanes et chercheurs mettent plus que souvent à l’ordre du jour et dont nous essayons ici d’emprunter quelques rapides aperçus ? Sur notamment la corruption qui gangrène la plupart des États africains postcoloniaux. C’est essentiellement ce mal tentaculaire que fustige le célèbre agronome français, René Dumont, lorsqu’il écrit, successivement, L’Afrique noire est mal partie (1962), L’utopie ou la mort ! (1973), etc. Ses descriptions méthodiques de la corruption africaine, ainsi que ses analyses des conséquences de la décolonisation qu’il expose comme étant de lourds handicaps, bien d’autres esprits clairvoyants les ont suffisamment repensées, en quelque sorte, avec plus ou moins d’optimisme ou d’objectivité : tels, entre autres, Tévoédjrè (1978), Kodjo (1985), Kabou (1991), Agbohou (1999), Tobner (2007), Ziegler (2008), etc., etc… En effet, dans son L’Afrique noire est mal partie, Dumont énonce déjà toute une nomenclature d’enjeux mettant en doute et blâmant clairement les faux espoirs de tous ces « lendemains qui chantent » et font précocement rêver les plus enthousiastes des années de l’Indépendance. C’est bien là, d’ailleurs, en toute vraisemblance, que son inventaire d’agronome a des choses pertinentes à voir avec un micmac africain où les principes tendent à faire dégénérer l’univers des stratégies pourtant conviées à évoluer dans une société normale d’humains, au travers d’un consensus politique du vivre-ensemble : allégeance citoyenne à la loi, ou abnégation de principe de la part du groupe social par exemple : ce groupe devant s’organiser à fournir une description sans parti pris des insuffisances qui opposent les situations de toutes ses composantes, à apprendre à ses futurs leaders à dissocier leurs fonctions d’État de leurs intérêts personnels, à leur inculquer la loyauté envers la constitution du peuple, en même temps qu’à les initier à la déférence du citoyen à l’endroit de la Justice sociale. Une Justice sociale devant être protégée par une législation hardie et conviant le peuple et ses dirigeants à son strict respect, sans modification saugrenue. L’Afrique, visiblement étranglée par de graves calamités sociopolitiques, devrait tout au moins prendre conscience de la nécessité pour elle à opter pour une autosuffisance alimentaire pleinement diversifiée, à se rendre à l’évidence que l’être humain est fondamentalement un produit social multidimensionnel, et à réaliser que ses ennuis d’adaptation qui ne font d’ailleurs que trop durer, ainsi que le fait de subir indéfiniment des sujétions outrancières, sont des conséquences logiques de ses stratégies qu’elle doit revoir d’urgence au sein du programme général de sa communauté. Mais cela dit, – et sans proférer des blasphèmes sur les prophéties pertinentes de Dumont –, l’intellectuel négro-africain aurait-il néanmoins à suivre à la lettre les « dogmes » anciennement enseignés par ses maîtres plus ou moins en « avance » sur leur temps ? Serait-il encore convié à faire des compilations de constats destinés à finir leur jour dans les tiroirs d’un ministère aux ordres d’une « Führie » ? Serait-il davantage convié à moins jongler avec ce que l’on est aujourd’hui tenté d’appeler l’ « approche relative du réel mutant » ? Ou bien aurait-il à se surpasser au fur et à mesure que des épreuves cognitives, ou peut-être métacognitives, lui apparaitront concomitamment sous des formes oppressantes, en complexité de situations tragiques, et sans néanmoins outrepasser les exigences d’Éthique ?

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    Cela ne signifie-t-il pas, en définitive, que l’ingénieur africain doit être à même de composer en « équilibriste » avec ce qu’il n’aurait probablement jamais appris, en appoint d’une sagesse professionnelle qui, dirait-on, ouvrirait largement ses bras à toute novation créatrice ? Mais comment dès lors s’y prendrait-il avec une novation impromptue si celle-ci se révèle déjà peu connue de ses acquis antérieurs d’ingénieur ? Ou bien devrait-il déroger à ses obligations si, au cas échéant, des urgences d’anomalies lui imposent d’ingurgiter quelques cognitions « initiatiques » qui seraient pour autant de nature à trouver leur application dans des champs de possibilités peu aisées à détecter ? 3. Enjeux ou vacuité d’une communauté internationale de dupes ? Il nous faut principalement aborder ici ce phénomène « nébuleux » appelé communauté internationale. Ce qui équivaut toutefois à esquisser d’abord une analyse du contexte mondial, actuellement très mouvementé par des violences de tout bord, violences que l’on redoute amèrement aujourd’hui, en tout lieu, sous formes de guerres ou d’attentats en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient, etc. En effet, comme des ouailles en prière devant leur Dieu qu’elles n’ont sans doute jamais vu, la quasi-totalité des humains croient peu ou prou à une communauté internationale d’impartialité, une sorte de « Jérusalem d’en Haut », où la manne du ciel, parfumée à la menthe religieuse, serait merveilleusement plus nourrissante qu’une pizza terrestre. L’on peut ainsi insinuer que, dans l’esprit du commun des mortels, il existerait bel et bien une auguste assemblée de tous les honneurs, une pure organisation politique jouissant de pleins pouvoirs d’exécution, et donc absolument dotée de puissants moyens pour enrayer toute velléité de préjudice dans ce bas monde : en bref, un commissariat mondial pourvu de structures juridiques les plus conventuellement opérationnelles, les intérêts de l’institution n’étant pourtant pas suffisamment conformes aux besoins objectifs de tous ses soi-disant membres. Il nous échoit néanmoins d’énoncer ensuite quelques observations secondaires mais paradoxalement non moins importantes. D’une part on peut affirmer, sur la base du constat qui précède, qu’en se gavant de seulement quelques phrases de « diplomaties atlanticiennes », des âmes crédules s’empressent de jubiler sur les condamnations verbales d’un prestigieux secrétariat général, d’une chancellerie de « grandes méthodes », d’un ministère de savants fonctionnaires, ou d’une ambassade d’habiles « marchands ». Et voilà ainsi une grande « masse d’indigènes » qui s’en félicitent prématurément, avec une ferveur monastique : « Impec ! La communauté internationale a condamné le coup. Demi-dieu et ses « anges blancs » vont nous sauver !» D’autre part, les populations du monde en développement, et pas qu’elles seules d’ailleurs, semblent naturellement portées à croire, à tort ou à raison, que les discours des tribunes internationales, sur des médias de prestige, suffiraient à offrir des solutions amiables ne pouvant plus ou moins manquer a priori de faire défaut entre « le loup et l’agneau » d’un contentieux politique, ainsi qu’aux « ours » postulant à de nouveaux marchés « trop juteux ». Et l’on sait, en l’occurrence, que les politiciens (d’ordinaire en manque de financements) n’ont souvent d’autre refuge que celui de se replier sur d’éventuels soulèvements populaires, de probables désobéissances civiles ardues, etc. : ils prennent bien entendu le risque certain d’exposer leur vie à la machine redoutable d’un « despote repu » ; mais, en dernier ressort, tout désappointés en quelque sorte, ils implorent le « Ciel » que de lourdes sanctions puissent tomber des « lèvres » d’une communauté internationale. Mais le grand-arbitre les renvoie tout

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    bonnement à un dialogue multipartite, sans en avoir toujours les « moyens » ou la volonté de leur fournir des prémisses efficaces. Néanmoins, si nous évoquons ici, et à nos risques et périls, les considérations relatives à cette prétendue communauté internationale, c’est à dessein pour lever un tant soit peu le voile sur la vacuité que recèle une telle notion très facilement « vénérée » ou véhiculée dans les discours d’espérance des peuples en mal de libération, mais sans toutefois que nous osions pour autant lui donner une absolue connotation de marché de dupes qui en serait pourtant une suite logique d’inférence. Nous pourrions insister encore sur cette vacuité notionnelle en tant qu’un risque bien réel auquel l’on s’exposerait à vouloir prendre pour argent comptant les fulminations d’une communauté (?) apparemment peu soucieuse d’apporter des remèdes aux États plus ou moins « sciemment » déstabilisés. En effet, et compte tenu des chimères qui annihilent les espoirs de libération du continent « mal parti », une solide perche de délivrance de la part d’une solidarité mondiale est bien souhaitable, et elle est même vivement espérée. Mais l’espérance la moins intolérable consisterait-elle à s’attendre à ce que la hache de « Jupiter » tombe d’une « nébuleuse institution » (lequel Jupiter entend plutôt se rattraper sur les rêveries des peuples ») ? Compter uniquement sur un secours qui viendrait d’un « lointain dehors », cela peut-il porter préjudice à la soucoupe d’espérances d’un continent qui a pourtant de bonnes raisons d’être optimiste ? Toujours est-il que les slogans de bonnes espérances endormies dans l’inaction, si vibrants fussent-ils, ne libèrent pas sûrement les nations éprises d’une vraie démocratie. Les sacrifices d’une lutte menée sans fioriture étant incontournables pour la victoire des peuples. Les Burkinabés et les Béninois en auraient-ils donc sûrement le secret ? – Fèflèwèkè ! N’en crions pas trop tôt victoire. Plutôt davantage au travail ! Avec rigueur, droiture et ponctualité ! 4. Et cependant… Aucune solidarité n’est vaine, en ce monde cruel où la loyauté dans le vivre-ensemble des humains devient plus qu’une urgence planétaire si elle repose tout au moins sur une justice à visage humain. Une telle justice de solidarité qui implique, constamment, la volonté d’un juste partage social universel, d’un échange purement fraternel, c’est-à-dire équitable, suppose au préalable une adhésion consciencieuse à un immense « don réciproque », matériel et immatériel, légalement bâtisseur de progrès : ce qui lui donne de recouvrer, de ce fait, une sorte de fédération de tout le génie humain, par le biais d’une solidarité internationale acquise sur la loi de tous et pour tous. Une telle assertion qui trouverait en partie sa validation en l’idée qu’il n’est personne d’humain qui ne ressente ce besoin de justice (même Néron, par exemple, pouvait-il se moquer indéfiniment d’une justice à même d’éradiquer les « vers et revers » de ses plus cruels abus ?), ne montre-t-elle pas qu’il est essentiel de veiller à l’harmonie de l’ensemble des populations qui participent à la cohésion de l’entière communauté, et qu’il faut notamment assurer leur survie par un éveil permanent des consciences ? N’est-ce d’ailleurs essentiellement ainsi, sous le regard impartial de la loi, que devrait fonctionner cette nécessité de « juste égalité » entre les humains, telle que la formulait de ses vœux le professeur béninois Albert Tévoédjrè1 ? 1 Cf. Albert Tévoédjrè : Après la crise des banlieues françaises : quelle France désormais ?... Et quelle francophonie ? Http : www.grioo.com/opinion5977.html

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    En effet, l’on se souviendrait tout au moins de ce que Nicolas Agbohou (1999), parlant du poids de la Constitution, et donc de la Loi dans le triangle de souveraineté des États (Monnaie-Défense-Constitution), ne manque souvent d’attirer l’attention de ses auditeurs ou lecteurs sur le danger que représente, pour le monde entier, la « mauvaise foi » d’une solidarité qui se limiterait à égrener des principes juridiques, sans sérieusement veiller à leurs justes applications. Ce qui revient à dire, selon la thèse de l’économiste ivoirien, qu’il ne doit pas suffire au néo-colonialisme d’emprunter à l’hitlérisme doctrinal des théories gazeuses pour détruire des pauvres diables africains, et d’organiser ainsi sa propre destruction sous l’orage imprévisible des révolutions noires, que de revoir ses façons surannées de coopérer. Alors le compte serait-il déjà fait ? La réalité psychosociale est que dans les milieux notamment diasporiques subsahariens, plus personne ne croit sérieusement aux allocutions politiques ! Cela ne traduit certainement pas, – l’on pourrait avoir l’humilité de l’avouer –, que l’impérialisme classique ait échoué dans sa stratégie originelle longtemps déjà connue, celle de dominer tragiquement, à tout prix, ou qu’il ne se soit guère préoccupé d’enseigner des « vertus » de Justice, de Fraternité ou d’Égalité à ses ouailles du fameux « tiers-monde », ou plutôt de les mettre, le cas échéant, aux pas cadencés d’une « communauté internationale » : de sustenter, pour tout dire, des populations affamées que lui-même eût savamment réduites aux « sorts des enfants de Soweto ». Mais cela implique derechef, en dernier lieu, que les pays inclus dans son « pré carré » ne lui auraient encore suffisamment signifié leur ferme détermination2, comme un « Laurent d’Abidjan », à en découdre avec leur condition de vassalité, à l’instar des tirailleurs sénégalais ou fellahs algériens, etc., qui ont su affronter l’exécrable nazisme aux côtés du Général De Gaulle, en vue de libérer la République, cette République aujourd’hui plus que chère à nous tous. Mais par quels sondages d’opinions l’on saurait prétendre au final, s’agissant de frustrations particulières dont se plaignent encore de subir un très grand nombre d’Africains sur leur propre continent, et même – dit-on – en Europe et même en « Amérique d’Obama », que les fils et filles de Chaka, de Gbéhanzin, de Samory ou de Lumumba, etc., en seraient moins dans l’espoir légitime de voir surgir un jour, militairement ou politiquement notamment, un tel ou tel « Général Kitoko », ou simplement un civil libérateur tout autant digne de vénération au Congo qu’un « Général De Gaulle » en France ?

    2 En ce qui concerne les luttes africaines, depuis les tragédies précoloniales et les sacrifices populaires des années de l’Indépendance, jusqu’aux combats actuels pour l’avènement ou la consolidation de la démocratie sur le continent, en passant par de sanglants coups d’État dits téléguidés par l’ « Extérieur », nous croisons à récurrence, plus particulièrement en Occident, pas mal d’étudiants qui semblent convaincus, et ils le disent d’ailleurs sans bégayer, que si leur continent eût été moins « étranglé » par des « leaders bien nourris et protégés par des gourous de l’impérialisme babylonien », sa situation politico-économique aurait déjà cessé d’être ce qu’elle est encore aujourd’hui : « un vaste théâtre de corruptions à grande échelle, de gangstérismes institutionnels, de guerres génocidaires, de terrorismes et autres attentats occultes, de famines et maladies chroniques, etc., etc. … »

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    II. CONTINENT DIVISÉ OU SOUCOUPE D’ESPÉRANCES ? 1. L’Afrique vue ou décrite par des Africains

    Y a-t-il vraiment, en fait, quelque chose d’instructif à tirer d’un amas de récriminations dont bien de migrants subsahariens, peu ou prou mécontents de leur sort existentiel, s’autorisent à rendre compte pour fustiger ou, peut-être, se donner bonne conscience entre eux-mêmes en matière de justifications de leur exode ? Une seule chose, peut-être !, mais non des moindres puisqu’il s’agit d’une expression de révolte, et qui gronde comme un volcan dans leur conscience identitaire, leur personnalité profonde :

    Là les gens ils nous prennent pour des bébés fous quoi ! Tout ça c’est parce que nous on n’a pas souvent la chance de trouver des bons chefs sur notre terre là-bas (silence)… Ou même là, si un vrai chef africain se montre qu’il est capable de nous aider pour nous faire du bien, trop tôt il est éliminé par des traîtres noirs… C’est même vu, on a vu ça à Ouaga avec coup d’État qui a tué Sankara… Sinon la révolution burkinabé ça date pas d’aujourd’hui… (…) Même avec le gouvernement de transition, t’as vu, ça a failli bousculer à cause du voyou Général-là, comment il s’appelle même, « Général Diendéla ». (…) Les « Sud d’Afrique » [Sud-Africains], ces Noirs là-bas ils étaient contents que Dieu leur ait donné un bon Mandela… Au Burkina nous on avait eu malheur de trouver « Diendéla ». Diendéla lui-même il savait quels faux présidents l’ont conseillé de péter bordel à Ouaga (silence). Mais Dieu est bon, Burkinabé n’est pas bébé…, et dans ça aussi le Bon Dieu il nous a sauvés quoi ! (…). Ah il nous a sauvés dè ! (…). Non, non hein !, si le peuple et l’armée n’avaient pas stoppé « Blesse » et son « Diendéla »…, ces mauvais militaires ils allaient recevoir applaudissements des voleurs du monde…, en même temps les « Blanco » ils allaient tous aller partager l’or du Burkina avec ces mauvais Africains... Aaah, beuh, c’est comme ça ! C’est toujours comme ça ! Sinon, nous quand on disait à nos parents qu’en politique y a pas amis, ils étaient-là en train de brouter cola comme s’ils entendaient rien… Pourtant Sankara il nous avait tous avertis plusieurs fois. Là… maintenant-là, « Diendéla » il nous a trop salis au Burkina. Mais là, à quelque chose-là, le malheur peut faire du bien (Dozo, ancien manutentionnaire, d’origine burkinabè).

    À ce plantureux extrait d’interview apparemment subversive, nous voudrions préciser ce problème de perception afro-péjorative que beaucoup de migrants, déçus par l’inconfort social subsaharien, évoquent pour justifier leur exode massif en Occident. En effet, au regard de nos observations, si les récriminations des populations en mal d’intégration s’expriment en des termes de fustigation des dirigeants africains, une telle justification reposant sur l’inconséquence des élites civiles ou militaires (peu disposées à gérer au mieux leurs populations) n’est pas sans fondement réel. Le fourvoiement d’appréciation le plus insolite s’arrimerait à une stratégie qui se méprend des maux et souffrances que les familles pointent facilement du doigt lorsqu’elles essaient à leur manière de dire le motif de leur exil. L’immigration, même la plus « sauvage », s’opère ainsi dans un environnement de « neutralité identitaire » (?), d’exaltations ou d’exaspérations, ledit environnement étant nécessairement connecté à des sentiments divers, et faisant bien corps avec les tenaces aléas de l’intégration, sans néanmoins se dissocier des impératifs de cohésion sociale. Cependant, comme cela se voit dans l’extrait de l’entretien susmentionné, les immigrés subsahariens sont généralement peu soucieux de dissimuler les traces d’amertume qu’ils

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    portent dans leur mental cognitif, leurs vécus ou perçus identitaires entachés de tant d’insatisfactions individuelles et collectives, et qui signalent au plus haut point la logique des descriptions péjoratives qu’ils font de leur continent d’origine. Et leurs lexiques de déceptions, eux aussi, paraissent généralement « subversifs », quelque peu « déroutants » ou plutôt poignants. L’on s’éclaire alors de comment et pourquoi Dozo, notre interviewé burkinabé, semble peu enthousiaste à l’égard des récents événements politico-militaires qui ont fortement ébranlé son pays d’origine. Il met carrément en doute la bonne foi des officiers autochtones qu’il semble tout à fait percevoir comme des personnes ayant fort peu d’amour pour leur pays, soit du fait de leurs ambitions d’« arrivistes mégalomanes », soit du fait de leurs réflexes infantiles à dire inconditionnellement oui à des « réseaux mafieux », lesquels tirent les ficelles dans l’ombre et provoquent sciemment des amalgames conflictuels dans le monde, ou encouragent plutôt, dit-on, les « tyrans nègres » à décimer leurs propres populations, ou à les appauvrir durablement au profit des lobbies internationales, etc. … À la lecture même rapide de l’opinion de Dozo, il devient quasiment inutile d’insister outre mesure sur le grand fossé conflictuel qui s’étale entre le regard occidental à l’endroit de l’Afrique et la posture de défiance des subsahariens eux-mêmes à l’endroit de l’Occident, notamment en tout ce que les crises actuelles de l’immigration imposent de savoir sur la dialectique des intérêts qui motivent le tralala sans fin des rébellions armées, des fraudes électorales massives sous le regard « bienveillant » des institutions dites « mafieuses », etc. Il y a donc dans l’opinion de Dozo, à l’instar par ailleurs de la plupart des migrants négro-africains, qui, à leur corps défendant, justifient leur exil par la précarité de leur existence qu’ils jugent politiquement absurde dans leur espace d’origine, une sorte d’exclamation de dépits largement fondés sur la condamnation de la barbarie dont se rendent coupables officiers ou chefs d’État censés veiller sur la sécurité de leurs citoyens, de leur pays. Les migrants subsahariens construisent ainsi, comme Dozo, des jugements émaillés de moult désaveux qui marient a contrario leurs espérances en tant que celles des humains ayant naturellement des projets pour eux-mêmes et pour leurs enfants (tous apparemment inquiets de leur avenir). À noter que lesdits enfants sont particulièrement en proie aux doutes quant au devenir sociopolitique de leur continent accablé de fléaux désespérants. Et cette paranoïa collective, exacerbée par les calamités terroristes que suscite l’éclatement mondial déjà amorcé, grève au final le climat délétère qui enveloppe les ressortissants subsahariens en « exil ». Ils se résignent en général à accepter leur sort de migrants mais s’étranglent paradoxalement par des discussions politiques peu consolantes à l’endroit de leurs pays d’origine ou d’accueil. Beaucoup d’entre eux s’épargnent par là toute illusion liée aux faux calculs que l’humain se fait d’ordinaire lorsqu’il en vient, – certes ! par faiblesse naturelle –, à ignorer que nul ne peut toujours s’enquérir précisément de ce que le sort lui réserve comme surprise. Mais de tout l’exposé qui précède, il serait hasardeux de conclure que les ressortissants subsahariens seraient les seuls confrontés à ce dilemme existentiel : être migrant ou renoncer à l’être. Autant dire que les déblaiements politiques, peu ou prou excessifs, que les familles migrantes elles-mêmes esquissent pour se convaincre du bon sens de leur exil, semblent bel et bien de nature à affirmer (avec retenues, certes !) que les griefs jaillissant des descriptions de leur continent (le berceau de l’humanité !), notamment de leurs critiques à l’égard des conditionnements qui frappent l’espace politique antérieur à leur exil, tout cela n’est pas une caractéristique exclusivement réservée à leur psychologie éprouvée. Et il se trouve davantage que la question fondamentale du migrant, celle de son identité parfois litigieuse, de par toute

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    la complexité constructive de la notion-même d’identité, semble n’avoir que peu de chose à placer en opposition du « vécu » de tout individu en duel d’intégration avec un environnement multiculturel. 2. Urgence d’une coopération sincèrement solidaire ? L’immigration peut être à la fois une voie de libération et de resocialisation pour l’individu, ou dont les aléas d’intégration cacheraient difficilement les conflits qui opposent les populations autour de leurs occupations quotidiennes variées. Leur besoin de s’épanouir intégralement dans une société d’intégration, présuppose de leur part l’acceptation personnelle profonde d’une telle reconversion mentale d’habitus. La complexité ou la diversité du visage mental africain s’étend ainsi de la sphère psycho- historique et géographique subsaharienne vers cette reconstruction intérieure nécessaire pour l’équilibre de sa personnalité « moderne ». De ce point de vue, il semble urgent de repenser les migrations subsahariennes autour d’un complexe de considérations tel que ses corollaires de poids démographiques ou de bouleversements sociohistoriques (y compris les manœuvres tentaculaires des grandes puissances et l’influence colossale des lobbies internationales) suscitent des contraintes de déplacements continus chez des populations extrêmement bousculées. Les besoins vitaux des masses subsahariennes face au cortège de peines et risques que leur font porter moult structures étatiques, et même paraétatiques, entrent rarement dans une véritable prise en compte humanitaire des aléas que subissent ces populations en détresse. Quels que soient d’ailleurs le mécanisme et les formes qu’empruntent ces organismes qui volent au secours des personnes sinistrées, la particularité identitaire et la pluralité des besoins (alimentation, sécurité, logement, activité professionnelle si possible…) de l’individu ne sauraient manquer d’apparaître comme appartenant aux ultimes préoccupations de tout individu conscient de sa précarité. Ce qui fait dire de l’humain que son humanisme ne peut occulter les priorités humanitaires. La solidarité importe certes !, mais c’est toute l’humanité qui est concernée par ce besoin de solidarité. Et lorsqu’il s’agit nommément de solidarité internationale, c’est même toute la planète qui devrait être « couverte » et non quelques parties de la planète (la planète entière étant déjà gravement malade). Que les désolations d’une dérive politique dans le sud du Sahara impliquent ainsi (dans l’ordre mondial) des mesures drastiques, ou que des calamités non-naturelles assomment tragiquement des populations occidentales, et même que la faim ou la soif tuent des populations de femmes et d’hommes robustes et possédant un sous-sol bourré de minerais tardent à donner assez à réfléchir sur l’urgence d’une sincérité qui rapprocherait le monde aussi bien du Zambèze que du Niagara, un tel « retard » devrait remuer la conscience des États curieusement plus soucieux de leur « lait d’intérêts » que d’un monde fraternel de paix. Dans bien des circonstances de ce flou total entretenu, ne s’agirait-il plutôt de fortes activations moins humanitaires qu’autre chose ? Autrement dit, dans un fatras de conflits continus (et l’Afrique subsaharienne n’est-elle pas gorgée de conflits ouverts ou latents ?), au vu des particularités géologiques de chacun des États du continent, l’originalité du principe de coopération s’effrite en lambeaux, pour la cause bien évidente que la vraie solidarité entre les États semble n’exister en ce jour que dans les contes de fées, ou disons plutôt qu’une telle originalité tarde durablement à voir sérieusement le jour.

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    La coopération de ce siècle qui prétend tout de même tenir lieu d’une solidarité au sein du continent, et au-delà-même de ses frontières physiques et mentales, serait-elle exempte de jeux politiques malsains, aussi bien à « l’intérieur » qu’à « l’extérieur » ? À en interroger les plus cultivés ainsi que bien d’autres personnes de la diaspora africaine, leurs réponses semblent nettement mitigées. D’aucuns s’avisent à répondre sporadiquement avec un tantinet aussi bouleversant que peu dépourvu d’« impartialité » (mais bien pertinent tout de même) ; d’autres réagissent avec des critiques nuancées à l’égard des dirigeants africains tout en les taxant d’être lâchement complices de leurs « maîtres insatiables » ; d’autres encore, moins cléments que les précédents, s’en prennent à un « Demi-dieu barbu » qui eût créé « les nègres et leurs négrillons pour lécher les bottes de leurs grands maîtres ». Ces péjorations lancinantes, faites avec plus ou moins de clairvoyance par des esprits cultivés, et même par des personnes peu scolairement instruites, révèlent en apparence le scénario apocalyptique d’une « Pompéi tragiquement disparue ». D’aucuns s’en vont même noircir davantage le plafond de leurs oracles en esquissant un commentaire particulièrement cossu : « Endormie au sommet d’un volcan baptisé « Ababa », l’Union Africaine se réveillera brutalement tard lorsqu’elle se rendra compte que ses immenses champs de diamants, d’or et d’uranium… n’ont pu lui servir qu’à se doter d’infrastructures dignes de sa naïveté ». Mais, nous demanderions-nous, n’en trouve-t-on pas aussi, en contrepoids aux augures de lamentations, des migrants moins effarouchés qui osent rétorquer aux « négationnistes » que tout déni de progrès à l’endroit de l’Afrique, continent en luttes continues pour son développement, rimerait faussement avec le « mythe cinglé » de Sisyphe, avec les délires noctambules d’un Don Quichotte en conflits avec des ennemis imaginaires ? En réalité il se trouve, en parallèle des objurgations susmentionnées, un profond malentendu autour de ce que la jeunesse africaine a aujourd’hui l’audace de nommer « Table de divisions » ou plus communément « Coopération de blaguer tuer », reprenant ainsi, pour son propre compte, une chanson très populaire du reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly. Terrible !, n’est-ce pas ? Terrible en effet, mais le fait populaire y adjacent n’est pas du tout surprenant. Car, en ce temps de grands conflits armés, où la coopération subit assez d’interprétations houleuses, et où l’on ne doit tragiquement se leurrer en supputant que les agitations subsahariennes n’auront qu’à s’estomper sagement d’elles-mêmes pour faire place aux chants d’ovation du Sud pour le Nord, l’Humanité doit pouvoir se rééduquer sur le point central auquel se résumerait cette coopération contre laquelle bien de personnes, déçues par de nombreux manquements institutionnels, s’inscrivent désormais en faux. Violemment en faux ! Une telle situation tant subsaharienne que mondiale, pure émanation d’une longue série d’abus de pouvoirs au sein d’une communauté de grands stratèges et « petits figurants », rend « légitime » d’une part – et c’est le moins qu’on puisse dire – une sorte d’alliance mortifère entre des « ours tout-puissants » et des « « singes faméliques nigauds », sans manquer d’engrener, d’autre part, des violences extrêmes et « coups bas » entre continents, États, peuples ou nations, et, de constituer ainsi une preuve flagrante aux faits de coopération que le sociologue suisse Jean Ziegler (2008) éclaire à propos des abus et inégalités opposant la civilisation blanche et le continent noir. Que tant de fuites en avant, de politiques de revanches du « corbeau », sortes d’asiles narcissiques ou d’amour de soi, deviennent ainsi des « bals démasqués » où l’on s’enivre à gogo d’un « poison d’authenticité », ou bien davantage des festivités survoltées où l’on trouve

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    l’occasion tant rêvée de huer des « ennemis-coopérants » dans des bars bruyants de musiques populaires ! N’est-ce pas une grave affaire à bien suivre… ? 3. Par-delà illusions et confusions… : une thèse bouleversante ? Sans donc se laisser facilement convaincre par des arguments relatifs à une Afrique souvent dite « victime », Axelle Kabou (1991) aborde courageusement la question du développement africain avec, à la fois, une verve dialectique et une absence de complaisance aussi prégnantes que chez d’autres auteurs qui ont également eu la bravoure d’écrire sur le continent noir – en l’occurrence par la poigne intellectuelle avec laquelle elle épingle la tendance africaine à ruser avec le développement. Mais prenons plutôt la peine de la lire dans sa version originale :

    « S’il n’y a ni hommes supérieurs, ni hommes inférieurs, comme le montre l’absurdité-même de cette proposition, il existe en revanche des cultures plus aptes que d’autres à défendre leurs droits à l’existence dans les faits. De ce point de vue, on remarquera que l’histoire des rapports des élites politiques et intellectuelles africaines avec les masses se caractérisent depuis les indépendances par une formidable lâcheté culturelle. Depuis trente ans, on flatte tout et n’importe quoi, sous prétexte de retour à soi. Quand on sait à quel point cette réappropriation identitaire n’est qu’un anti-occidentalisme datant des années 30, on mesure l’ampleur des dégâts. Ainsi, l’Africain, du seul fait de l’humiliation coloniale, est devenu le plus beau, le plus fort, le plus intelligent, le plus religieux, le plus spirituel. Face à cette inquiétante surenchère, l’Afrique humiliée applaudit et en redemande : sa supériorité se fonde, croit-elle, sur le caractère rudimentaire de sa technologie. Cette Afrique contente de soi doit savoir cependant que le principe d’équivalence des cultures, inattaquable au plan de l’esthétique et des mœurs, ne s’applique pas automatiquement au domaine économique et militaire ; que l’économie et la défense sont des produits culturels au même titre que les systèmes de parenté sophistiqués, la danse et les masques. La traite négrière et la colonisation enseignent précisément qu’il n’y a aucune commune mesure entre une sagaie et un mousquet, un javelot et un canon. Telle est l’exacte mesure de l’arriération culturelle et technologique de l’Afrique. Les Africains s’en doutent, mais, lisant Césaire et Cheikh Anta Diop en diagonale, ils se sont convaincus, par la simple inversion du mythe colonial des rois nègres sanguinaires, que leurs ancêtres précoloniaux étaient des pacifistes. Ce qui du même coup permet d’expulser l’art économique et militaire de la sphère de la culture. Nous savons que le pacifisme est une vue de l’esprit » (A. Kabou : 1991, p. 120).

    En effet, ce qui se révèle ici important à noter, – à seule fin de rester fidèle à la dialectique de l’auteure –, c’est un « monde sur-armé, régi de surcroît par des rapports de force à peine voilés » dans lequel le continent noir, divisé puis continuellement spolié, entend tout de même se faire respecter des puissances occidentales, tout en continuant d’en appeler désespérément à la catéchèse du droit international. Et l’auteure précise clairement, de son propre parti, qu’elle ne croit pas aux bombes mais qu’elle demeure toutefois certaine que les États africains réduiraient considérablement leur condition de sujétion en concevant des modèles de développement susceptibles d’accroître la productivité de leurs citoyens à tous les niveaux. Mais ce qui est davantage frappant chez Kabou, c’est le cheminement discursif et probant sur la base duquel elle fonde son argumentaire pour relier ses deux principales hypothèses : un

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    béton mentalitaire d’entraves, une spéciale résistance aux changements que l’auteure appelle le refus du développement dans les sociétés africaines ; ensuite ce fameux développement perçu à tous les échelons comme une émanation des diktats postcoloniaux et ayant des effets pervers sur un continent déjà fragilisé par de lourds événements politico-historiques.

    L’Afrique semble n’avoir pas encore pris conscience de la gravité de sa situation de dépendance chronique et passivement acceptée, avec illusions ou résignation. Les dirigeants africains et leur intelligentsia se persuadent facilement « que l’invective et l’accusation de l’Occident sont des armes dissuasives, que tout serait destiné à s’arranger autour d’une table de négociations pourvu qu’on ait le verbe haut et dur » (Kabou : 1991, p. 121). Le continent reste ainsi durablement attaché à une identité culturelle dont quelques États et leurs populations, en soucoupes réglées, parviennent à survivre grâce à la braderie enthousiaste de leurs ressources. Et l’auteure estime, dans son expertise d’ailleurs très rigoureuse, que le continent sera top ou tard réduit à repenser au mieux ses illusions, sous la contrainte de graves récessions dont il aura sûrement à se réveiller brutalement.

    D’où l’intérêt pour les Africains de s’évertuer à se défaire des mentalités dangereuses qui ne les ont aidés jusqu’ici qu’à s’embourber dans des chimères de développement : étant donné que ces théories d’illusions stériles, aussi tenaces fussent-elles, sont déjà frappées de péremption de par l’absurdité des voies-mêmes sur lesquelles elles ont pu faire leur regrettable apparition.

    Mais l’experte franco-sénégalaise, prenant plus ou moins le contre-pied du Français René Dumont, considère davantage que l’intelligentsia africaine et ses masses paysannes méritent bel et bien leurs dirigeants politiques, en même temps qu’elle soutient que la dictature en Afrique est le prolongement logique de la rigidité des cultures africaines, ainsi d’ailleurs que celui de leurs résistances aux changements. Elle souligne sans tergiverser :

    « Pour nous en convaincre prenons un exemple : imaginons Samuel

    Doe, du Liberia, dirigeant le peuple américain, et la superposition explose dans toute son invraisemblance. Replaçons-le, en revanche, dans n’importe quel pays africain et le coefficient de vraisemblance monte en flèche. Cela signifie qu’il n’y a pas de gouvernants sans peuples. Qu’au sous-développement des leaders correspond toujours celui des élites intellectuelles et des masses. Aucune dictature, fût-elle armée jusqu’aux dents, ne peut se maintenir durablement dans un pays par son seul pouvoir de répression et de corruption. Seule la préexistence d’un terrain social et culturel explique que de tels régimes puissent prendre racine et prospérer » (A. Kabou : 1991, p. 131).

    L’équation « résistances aux changements = sous-développement + dictatures » instaure en Afrique une sorte de sclérose totémique dans un infernal statu quo, tout en imposant une misère d’horreurs aux peuples, avec l’apport vicieux d’éléments plus complexes tels que le pillage systématique des ressources du continent, ou la corruption généralisée, la criminalité civile et militaire, la fraude électorale institutionnalisée, l’hypocrisie ou la complicité des organisations locales ou étrangères, etc… Et nous en passons à ce bref commentaire de notre approche résumant en quelque sorte l’analyse de l’auteure sur son ultime question : Et si l’Afrique refusait le développement ?

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    Disons que l’ouvrage d’Axelle Kabou apporte un éclairage tout original, celui de faire « toucher du doigt l’extrême indigence d’une pensée africaine qui, depuis les indépendances, fait feu de tout bois pour éviter de poser le problème de ses mentalités » (Kabou : 1991, p. 131).

    Que l’on ne s’y égare pas, toutefois. Les résistances africaines aux changements sauraient-elles justifier qu’une organisation prestigieuse prenne, d’un côté, de grands airs à condamner fermement « le coup d’État le plus bête du monde », et à drainer, de l’autre, quantité d’eau douce au moulin amer d’un dictateur chassé du pouvoir par son peuple ?

    Hum… ! À des résistances aux changements tout à fait discutables, l’humain n’est-il tout de même pas en droit de formuler le vœu de voir s’accomplir une Éthique plus humaniste dans les rapports étatiques ? Mais là encore, et toujours sans trembler, Kabou nous répond sans complaisance :

    « La question aujourd’hui est plutôt de savoir ce qu’il faut faire pour

    éradiquer la haine séculaire des Africains pour leurs semblables. En effet, que peut-on concevoir de plus humiliant que la traite, la colonisation et l’insupportable médiocrité actuelle de l’Afrique pour amener les mentalités à exiger d’elles-mêmes des attitudes capables de forcer le respect ? » (A. Kabou : 1991, p. 174).

    Autrement dit, il n’est pas erroné de penser, comme l’explique la thèse de l’auteure, que « l’Afrique s’est profondément enfoncée dans une impasse culturelle dont elle ne sait trop comment sortir aujourd’hui, sans renier trente années d’autoglorification improductive » (p. 96). Et l’auteure, sûrement consciente du fait que « l’Afrique hait les chercheurs » (p. 97), pose déjà la question qui fâche :

    « Et de fait, qu’ont gagné les Africains à être les plus forts en danse

    ou dans le domaine du surnaturel, si ce n’est le triste privilège de s’exclure totalement de la marche du monde réel ? » (A. Kabou : 1991, p. 96).

    Que ces réflexions émanant d’une redoutable analyste restent néanmoins ouvertes à la critique, nul n’en saurait douter sérieusement. Mais toujours est-il que tant d’anomalies sociopolitiques nécessitent encore dans le monde, et plus radicalement en Afrique, des lumières neuves susceptibles tout de même d’éblouir l’individu peu préparé à la rigueur d’un diagnostic sans complaisance. N’est-ce d’ailleurs pas en cela, entre autres, que l’auteure a le mérite d’avoir projeté ses phares au visage de ce « vieux démon idéologique », le refus du développement, qui ne démord pas d’entraver l’éveil des consciences en Afrique ? Qui reprocherait donc à la spécialiste du développement de constater (p. 97) qu’après des décennies d’indépendance et de retour à l’authenticité tant proclamée, « l’Afrique n’a toujours pas encore effectué l’inventaire de ses valeurs traditionnelles objectivement dynamiques qui pourraient, non seulement constituer le fondement solide de politiques cohérentes de développement, mais aussi servir à minimiser les effets pervers de la domination extérieure » ?

    Il n’est évidemment pas question pour nous d’entreprendre ici une apologie de l’auteure. Peut-être même n’en avons-nous ni d’espace ni de « verve », la consultante en stratégie n’en ayant elle-même d’ailleurs que faire. Qu’importe donc ! Cependant (et la recherche en appelle plus simplement à la conscience qu’à la passion), bien que la rigueur dialectique de l’auteure

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    corresponde, en droite ligne, à une sorte de « piqûre curative » dont le continent noir a tout à fait besoin pour se désaliéner, (sa piqûre épistémique étant sûrement un remède d’élévation mentale pour une jeunesse qui en a déjà marre des flagorneries politiques), son ouvrage apparemment bouleversant n’est tout de même pas hors de portée pour tout le continent africain, dans la juste mesure où celui-ci a plutôt quotidiennement l’opportunité d’en vérifier le fondement pratique et d’en tirer de réelles conséquences pour des résolutions plus fécondes. CONCLUSION Loin d’avoir abordé la question du développement subsaharien sur le plan de ses courbes logarithmiques de comparaisons internationales, encore moins à différents niveaux de leurs prospérités ou récessions respectives, nous avons globalement approché le phénomène sous l’angle quelque peu subjectif du « mal » qui instaure sur le continent tant de malentendus, et partant de graves conflits idéologiques ou purement stratégiques : les affres de la faim (ou de la malnutrition) et les nuisances sociales de la corruption qui semblent avoir réussi hélas ! à transformer le continent noir en une gigantesque « Enclume de brisures », une sorte de « Table de divisions ». Au terme de l’exposé en effet, il s’impose de tirer l’échelle appropriée. Eh bien, nous le voyons : un continent insuffisamment nourri, et de surcroît miné par la corruption, l’analphabétisme, le chômage, la maladie, l’improvisation ou l’amateurisme…, ainsi que par sa tenace aptitude à refuser les grands changements sociopolitiques nécessaires en son propre sein pour sa survie, ne peut assumer pleinement son rôle citoyen d’évincer les tyrannies bénéficiant de tant d’appuis stratégiques et logistiques d’un extérieur goulûment profiteur. L’on peut ainsi comprendre facilement pourquoi le refus compulsif du développement demeure encore une hypothèse rarement discutée en Afrique par les consciences dirigeantes, et même davantage moins par les masses populaires. Le désordre identitaire et son chaos politique continental continueraient-ils ainsi à demeurer une kabbale gérée au sous-sol d’un sanctuaire de « tabliers logiques » ? Les secrets de « tares » n’auraient-ils pas destin à devenir tôt ou tard de tristes clameurs populaires ? Il s’avère alors que face à une Afrique décolonisée mais continuellement assujettie, un Africain, exilé ou résidant sur son continent, s’il demeure attaché à sa volonté de s’affranchir véritablement de toute oppression intérieure ou extérieure, aura à troquer ses mentalités statiques contre une ouverture d’esprit sans cesse réfléchie dans un discernement infiniment rationnel et vigilant. Ce qui laisse comprendre que, dans bien des circonstances de la complexité des dynamiques psychosociologiques, entraîner nos populations à changer elles-mêmes de l’intérieur d’abord, cela peut ensuite constituer une immense énergie stratégique susceptible de provoquer des résultats plus équitables dans nos rapports d’échanges avec tous les redoutables partenaires de l’extérieur. En ce sens, le résultat ultime de nos enquêtes vient de l’intérieur profond de personnes implacablement en lien avec l’Afrique subsaharienne. Nous avons ainsi plus ou moins sondé l’intérieur profond de ces « individus de chair et d’os » ayant accepté de s’exprimer sur l’inconfort ahurissant de leur continent d’origine (certes le plus âgé de l’Humanité !). N’est-ce donc pas, en quelque sorte, une opération de « fouilles intérieures » que nous avons ainsi risquée à leur endroit, quand bien même aucun regard tout nu, à moins d’être l’émule d’un

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    thaumaturge des bords du Nil, ne peut prétendre a priori avoir pu lire dans un « crâne souffrant » les détails cliniquement fournis en laboratoire par un scanner ? L’on peut enfin se demander ce que l’Afrique pourrait bien faire de ses « grands pouvoirs surnaturels », ainsi que de ses « grandes richesses naturelles », pour sortir de sa longue torpeur de statu quo et devenir au sens noble un espace de bonnes espérances pour ses enfants, c’est-à-dire le Lieu des résultats tangibles en matière de santé publique et individuelle, d’agronomie sainement organisée, de monnaie durablement prospère, d’éducation utile pour tous, d’énergies proprement renouvelables, d’industries objectivement efficientes, de logements socialement décents, d’emplois économiquement épanouissants… Le chantier s’avère bien vaste en effet ! Vraiment complexe et immense ! Mais l’Humanité veut-elle coopérer sincèrement ? BIBLIOGRAPHIE AGBOHOU, N. (1999). Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, Paris, Solidarité mondiale.

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