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1 La Cagoule, une société secrète en de sombres temps par Memento Mouloud

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La Cagoule, une société secrète en de

sombres temps

par Memento Mouloud

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Figure 1 Jean Filliol p. 5 Figure 2 Écrire l’Histoire p. 6-7 Figure 3 La Terreur selon saint Blanchot p. 8-9 Figure 4 Les grands cimetières sous la lune p. 10-14 Figure 5 Du Sphinx et de Monsieur Sarrault, président du conseil p. 15 Figure 6 Corps à corps p. 16 Figure 7 CSAR p. 17 Figure 8 La Police des ombres p. 18 Figure 9 Le klan, le klan, la cagoule p. 19-20 Figure 10 Et Artaud vint p. 21-22 Figure 11 Désert p. 23 Figure 12 Portulan p. 24 Figure 13 13 février 1936 : attentat contre Léon Blum p. 25-26 Figure 14 Männerbünde p. 27-28 Figure 15 Archives spectrales p. 29 Figure 16 Le juge Béteille p. 30 Figure 17 Clio p. 31-32 Figure 18 Camelots du Roi p. 33 Figure 19 Acéphale p. 34-37 Figure 20 PNRS p. 38 Figure 21 Rue Caumartin p. 39 Figure 22 Bandera Jeanne d’Arc p. 40 Figure 23 Mystère du nom p. 41 Figure 24 Listes et codes p. 42 Figure 25 Pozzo p. 43-44 Figure 26 L’Organisation p. 45 Figure 27 French Cancan p. 46 Figure 28 Boulevard Picpus p. 47 Figure 29 Putsch manqué p. 48-49 Figure 30 L’homme qui voulait éteindre le rire des juifs p. 50-51 Figure 31 Au pays du grand mensonge p. 52-58 Figure 32 Directives aux abonnés p. 59 Figure 33 Opérations « homo » p. 60-66 Figure 34 Coup d’Etat constitutionnel p. 67

3

Figure 35 Les chevaliers du glaive p. 68 Figure 36 L’Ange Gabriel p. 69 Figure 37 Croisade p. 70-71 Figure 38 16 novembre 1937 : perquisitions p. 72 Figure 39 Roman national p. 73-74 Figure 40 La tentation bactériologique p. 75 Figure 41 Le professeur Alibert p. 76 Figure 42 l’AF contre Fantomas p. 77 Figure 43 La quête p. 78 Figure 44 La Croix et le Croissant p. 79-82 Figure 45 Le détour espagnol p. 83 Figure 46 Hommage à la Catalogne p. 84-90 Figure 47 Les destinées sentimentales p. 91-93 Figure 48 Une idée fausse de l’Homme p. 94-95 Figure 49 Le tueur et la poire à lavement p. 96-97 Figure 50 Alice p. 98 Figure 51 Le fils du sergent p. 99-100 Figure 52 Le beau Fifi p. 101-102 Figure 53 Los encapuchados p. 103 Figure 54 Rapport Chavin p. 104 Figure 55 Laetitia/Yolande p. 105-106 Figure 56 Dagorre p. 107-108 Figure 57 Le style cagoulard p. 109-110 Figure 58 Contacts transalpins p. 111 Figure 59 Dépression p. 112-113 Figure 60 Trafiquant d’armes p. 114 Figure 61 La fin du magistère maurrassien p. 115-116 Figure 62 Le quart d’heure de gloire du PPF p. 117 Figure 63 Le prétendant p. 118 Figure 64 La disparition p.119 Figure 65 Satellites p. 120 Figure 66 La belle Hélène p. 121 Figure 67 Les Mitford p. 122-123 Figure 68 Le juif Süss p. 124-127 Figure 69 Jouissances de l’exode p. 128-130 Figure 70 Marie-Louise, avorteuse p. 131-134 Figure 71 Les parents terribles p. 135 Figure 72 L’attentat contre le président Laval p. 136-139

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Figure 73 Synarchie p. 140-141 Figure 74 L’année Darlan p. 142-148 Figure 75 Aryanisation p. 149-150 Figure 76 Martine Carol p. 151 Figure 77 Barbarossa p. 152-156 Figure 78 Le silence de la mer p. 157-161 Figure 79 Le Duce comme modèle p. 162-166 Figure 80 Saint-Paul d’Eyjeaux p. 167 Figure 81 Area Bombing p. 168-170 Figure 82 L’ère du soupçon p. 171-174 Figure 83 La filière l’Oréal p. 175 Figure 84 Khaliastra p. 176-180 Figure 85 Los adolfins p. 181 Figure 86 La Ferdine p. 182-184 Figure 87 Necessary Evil p. 185-186 Figure 88 Arriba España p. 187 Figure 89 La mort comme imminence p. 188-190 Figure 90 La Kabbale et le mal radical p. 191-192 Épilogue gnostique p. 193-194

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1

Ce serait aussi l’histoire de Jean Filliol, tueur du CSAR. De cet homme qui ne tient que la

place infra-paginale des références dans les livres d’Histoire, on fit un tueur méthodique froid,

cruel. On le retient dans le fétiche de la baïonnette homicide, sexe d’acier enfonçant sa lame

sanglante dans la chair des victimes. On fit aussi ce qui s’est toujours fait avec ce genre de

tueur, la manie des adjonctions et des références bibliques, on fit donc le cultivé, le

sermonneur, on asséna. C’était comme l’ange exterminateur, on n’en savait rien mais on

dégoisa une maxime, de quoi épeler le nom de Dieu au moment d’égorger, on fit donc du

bonhomme un fou.

Je ne sais ce qu’était cet homme et je vous laisserai juge de ce parcours étrange qui s’efface

aujourd’hui que ces histoires sentent la cave à charbon, soit un lieu qui n’a plus cours. Ces

Dieux, ces murs, ces épithètes et ce Roi ont disparu tout à fait, je ne dis pas de nom car les

noms résistent, c’est leur fonction, je dis de fait.

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2

Il n’y a pas d’écriture de l’Histoire qui ne traîne son cortège de sang, de mémoire et puis ce

quelque chose du chamane qui s’en va déterrer de quoi tremper de frousse le juste et l’assis. Il

n’y a pas d’écriture de l’Histoire qui ne soit un acte de défiance. Les Universités ont bien

tenté d’édifier des règles, de chasser l’exemplum, de transcrire dans la positivité et l’ennui

l’investigation d’un seul.

Elles n’auront réussi qu’à peindre de gris l’équivalence, pointer du néant d’un nous, la corolle

des siècles. De l’utilité de l’Histoire pour la vie, cette enquête, son intitulé, sa zébrure brise

d’un coup sec toute la nervure d’Institution qui dit « Tais-toi et applique », qui dit la méthode,

qui dit les critiques, qui sépare en interne et en externe la face sourde du Dehors et les plis qui

l’épousent, contigus et hagards et qu’on appelle dedans parce qu’il faut bien qu’on sacrifie au

mythe de l’Intériorité insondable, de l’Intériorité qui se dévoilera, de l’Intériorité glorieuse ou

mesquine ou infâme.

L’Institution énonce l’unanimité des vérités acquises, le sens giratoire des colloques qu’on

emprunte, son compte en main, avec publications à venir et corrections à la marge, traque des

revues et traductions en anglais, collection de bonneteau en attendant le siège.

Partir d’un point et tracer la parallèle, attendre et voir, pousser la position vers le contrefort,

c’est le trajet de toutes les thèses, parler, parler, parler, commenter le pénultième, addentum

sur addentum, le dépôt accumule les sédiments érudits sur le plateau calcaire effondré et aux

lézardes saillantes.

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Épousseter les morts, prosopopée et vampires, les petits stylets historiens ont ceci de commun

qu’ils noient le cursus honorum universitaire de considérations inutiles : vengeance des

peuples, soif de la raison, progrès des connaissances ; toujours Clio a besoin de béquilles.

Clio, muse boiteuse, diable impécunieux et malheureux, pauvre Bacchus de foire, brisant de

son doigté de vieille fille, l’hymen trop blanc des mythes nationaux.

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3

Ce récit s’ouvrirait sur l’arrestation en novembre 1937 des membres de la Cagoule avec en

voix off un texte de Maurice Blanchot sur le terrorisme comme seule politique possible afin

d’éradiquer le Front Populaire ; ça s’appelait le salut public, ça appelait la terreur, c’était né

avec Blum.

Vallat, dans un coin, criait, « ce vieux pays gallo-romain il est livré à un juif, un juif le

gouverne ». Blanchot, il avait écrit tout ça dans une revue de Thierry Maulnier qui s’appelait

Combat, c’était Lesueur qui payait comme Lesueur payait sa part à la Cagoule, c’était dans le

même immeuble que ça s’écrivait.

Plus tard Blanchot fit silence et devint communiste, je veux dire communiste du silence une

autre manière d’aristocratie diaphane. Maulnier qui avait commencé par un Racine terminait

en costume d’académicien ; c’était ça Maulnier le goût des honneurs et de la pompe, une

plume plombée, comme déchue d’avoir trop servie. Quand on le lit, on sent tellement l’agrégé

qu’on étouffe de rhétorique vieux XIXème, on en coince.

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On y verrait des hommes menottés sortis brutalement de leurs foyers, des hommes arrêtés au

bureau, des caches d’armes dévoilées, donc des sorties, des apparitions, des déterrements avec

des nuées d’hommes en noir, en gris, et des couleurs qui alterneraient ce gris et le marron des

plaines lourdes d’argiles.

Ce texte de Blanchot, je vous en donne un extrait, « Il est nécessaire qu’il y ait une révolution,

parce qu’on ne modifie pas un régime qui tient tout, qui a ses racines partout, on le supprime,

on l’abat. Il est nécessaire que cette révolution soit violente, parce qu’on ne tire pas d’un

peuple aussi aveuli que le nôtre les forces et les passions propres à une rénovation par des

méthodes décentes, mais par des secousses sanglantes, par un orage qui les bouleversera afin

de l’éveiller. Cela n’est pas de tout repos, mais justement il ne faut pas qu’il y ait de repos.

C’est pourquoi le terrorisme nous apparaît actuellement comme une méthode de salut public

».

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Dans les grand cimetières sous la lune, Bernanos se définit autant qu’il cherche à définir les

évènements dont il fut le témoin. Antonyme de l’imbécile, de l’Orgon moderne, bourgeois

cocu, médiocre, tenaillé par la haine, incapable de penser par soi-même, intrépide têtard de la

pensée de meute, l’écrivain figure cet ancien combattant de 14-18 (« J’ai vu beaucoup mourir

») chevaleresque, dépourvu de ressentiment envers les allemands, à l’opposé des « croisés de

Majorque », franquistes fervents qui nettoyèrent, jusqu’au dernier homme, les tranchées

républicaines. Catholique, il reste fidèle au message de saint Paul à propos de la dialectique

entre la Loi et sa transgression qui trouve son dépassement dans l’amour, aussi affirme t-il, «

nul ne peut offenser Dieu cruellement qui ne porte en lui de quoi l’aimer et le servir ».

Le style et la thématique de Bernanos appartiennent à la pensée réactionnaire française. Il

emprunte donc à de Maistre et à Baudelaire, une langue qui tressaute à grands renforts de

maximes qui ne souffrent pas la contestation, cela va de la « la prière est la seule révolte qui

se tienne debout », au misanthropique, « l’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe

sensible », à l’apophtegme, « il n’y aura jamais une légitimité de l’Argent ».

Bien sûr, Bernanos partage avec ses anciens amis de l’Action Française et ceux qu’ils

nomment « les petits mufles de la nouvelle génération réaliste » une position d’extranéité

envers les peuples attardés dans la contrefaçon passéiste. Il dira « on ne se met aisément qu’à

la place de ses égaux. A un certain degré d’infériorité, réel ou imaginaire, cette substitution

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n’est plus possible ». Si tout est dans le réel et l’imaginaire, il n’en pourfend pas moins les

hérétiques et déviants. Si les arabes sont qualifiés de pouilleux, ils le sont en compagnie des

franquistes et des maurrassiens, tous compromis par une série d’actions monstrueuses ou

dégradantes. Nègres et gitons funèbres dansent sur le cadavre des combattants de 14, des juifs

échangent l’encre anonyme du billet à ordre contre le sang versé comme si Bernanos citait

Marx et son aphorisme le judaïsme c’est l’argent, les femmes se délectent de l’hémoglobine

des gladiateurs comme au cirque, la pantomime renifle et se déhanche au balcon tandis que

dans la fosse, s’agitent encore, en tas distincts, des hommes dont on a brûlé la victoire en

holocaustes de champagne, fox-trot sur Douaumont.

De Morand à Céline, le refrain antisémite crépite comme le choeur de la victoire mutilée, on

se bouscule dans le rôle du coryphée parce qu’on tient la République pour responsable, pour

corrompue, pour désarmée, on voit la jeunesse du monde en uniforme, on s’extasie, pourquoi

pas nous, Doumergue, Pétain, le ridicule cacochyme, le vieillard sinistre à toutes les mises,

Bernanos a flairé le parfum d’Apocalypse, avec Majorque comme terrain de jeu, il dira vos

fascistes, c’est la femme écarlate.

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Son témoignage démarre par la phrase suivante, « j’ai vu là-bas à Majorque… », phrase d’un

témoin, pas d’un enquêteur. Ce qu’il perçoit, une entreprise de terreur, le retour des jacobins

déguisés en cristeros, la définition en est cristalline, « tout régime où les citoyens, soustraits à

la protection de la loi, n’attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d’Etat

».

Dès lors, il évoque l’« extermination systématique des suspects » menée en collaboration avec

l’ensemble des notables de l’île, femmes comprises. Il note la fonction centrale des délations

dans ce système illimité d’épuration dont il fournit à la fois une description sensible et

raisonnée. Pour ce qui est de l’immonde, il mentionne ces « hommes noirs et luisants, tordus

par la flamme», pour ce qui est des chiffres, il dévoile l’ampleur des exécutions collectives en

donnant le nom du charnier de Manacor (200 exécutions) et donne pour bilan des paseos pour

le mois de mars 1937, trois mille assassinats qu’il réduit à la fréquence suivante, quinze

disparitions par jour, auxquels s’ajoutent les prisons pleines et les camps improvisés.

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Or, cette épuration n’aurait jamais, sans la complicité des prêtres et des fidèles, pris l’aspect

d’un devoir religieux, devoir qui sert de moteur infini à la Terreur. C’est donc une guerre

impie qui est menée car « on ne saurait aimer Dieu sous la menace ». De fait, sous couvert

d’une croisade, Georges Bernanos dénonce une opération d’hygiène sociale destinée à

liquider ce qu’il nomme les pauvres malcontents avant que les « incurables » soient à leur tour

exécutés en masse. Cette guerre ne menace pas seulement la France mais se présente sous le

signe d’une fin des temps.

Ce qui s’annonce, la fin de l’homme de bonne volonté submergé par les homoncules

(propagandistes, ingénieurs et soldats, protagonistes de la mobilisation totale qui descend

jusqu’aux joueurs de billes). A ce tableau s’ajoute la rupture de la relation des hommes avec

Dieu qui ne peut déclencher que la haine universelle, parfait retournement de cet amour dont

témoigne la mort du Christ. Dès lors, redevenir enfant à la manière de sainte Thérèse, est pour

Bernanos une nécessité inscrite dans l’économie du salut.

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Parce qu’il inscrit cette guerre dans l’économie du salut, Bernanos se moque des politiques

qui justifient la terreur des uns par celle des autres en se trouvant toujours très malins et très

réalistes broyés qu’ils sont par une posture de spectateur de cricket, il évoque l’idéalisme de la

Phalange vue de loin et par les yeux de son fils engagé auprès des camizas azules, il resserre

le nœud autour de l’Eglise, du Christ, de son retrait.

Le « prince de ce monde vient » comme dit l’Evangile de Jean, la guerre qu’il voit c’est le

fruit de sa vigne pourrie dont les sarments seront brûlés, il désespère des gens de droite,

bornés, aveugles, insensibles à tout, adeptes d’une force qu’ils n’ont pas et qui feront d’eux de

pauvres fétus pour un vent qui n’est pas celui du Paraclet.

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Il y aurait des scènes au Sphinx. Pour le moment un plan récurrent : Sarrault monte un

escalier précédé par un jeune homme. A chaque retour du plan, même silhouette du jeune

homme mais jamais le même visage.

Sarrault est ce ministre qui s’éleva si fort contre le franchissement du Rhin par les troupes

verts de gris du gentleman Hitler qu’elles demeurèrent l’arme au poing, campant sur la ligne

Siegfried, rigolarde et gloutonne en attendant de dévorer le Limousin.

Sarrault était donc ce genre de radical épais qui fréquentait un bordel où de jeunes hommes

aussi offraient comme on dit leurs charmes. Je ne sais si Sarrault ressemblait au Charlus de la

guerre poursuivi par mille gouapes à chaque coin de rue, imaginons le bonhomme, place de la

Concorde accosté, ravitaillé en baisers et palpations, déjà suffocant, imaginons l’homme qui

prononça la dissolution des ligues, avec ses bretelles pendantes jeté sur un lit, pompant le dard

d’un inconnu, baleine affalée et blanche, de cette peau grasse qu’attisent les repas et les vins,

les cigares et la marmaille étrange qui virevolte autour des ministères, du Palais Bourbon et

du Sénat.

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Le principe est d’alterner les peaux qui se frottent, les corps à corps, les bouches qui se happent et les meurtres.

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7

Des hommes du CSAR, de leurs complices on ne verrait que des silhouettes, des complets qui

passent, des noms lâchés, parce que le nom du csar c’est encore un autre nom de la cagoule,

on verra donc que tout s’ébroue dans le vague des indéfinitions.

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De la police, se devinent des couloirs, des fiches, des bureaux

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9

La séquence se clôt sur la chanson de Gainsbourg le klan, le klan, la cagoule, ça vient donc

bien après l’étoile du sheriff comme il disait, ça vient dans le souffle de rock aroud the

bunker, ça vient dans l’ajustement des porte-jarretelles, dans le charme des cabarets de

Weimar où vient s’achever le rêve de Louis II, il faut revoir et accoler le Ludwig et les

Damnés de Visconti pour savoir que tout cela se tient, la fin des tabous, l’indistinction des

sexes, le matriarcat, l’hédonisme, la destruction des familles, la mise hors la loi des Pères, la

culture au service de la vie, le crachat sur les rites chrétiens, la haine des juifs, le

sentimentalisme en fourrure et l’entassement des corps comme un pied de nez aux bourgeois,

comme le dit Serge Ginzburg, de la steppe d’où il vient et des toiles brûlées une à une :

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Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,

Autour de nous le sang coule, relax baby be cool,

A la morgue il y a foule, relax baby be cool,

Relax baby be cool

Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,

Tout le monde il est maboule, relax baby be cool,

Tous les cons sont faits de moule, relax baby be cool,

Relax baby be cool

Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,

Ne t'en fais donc pas poupoule, relax baby be cool,

Pas de quoi avoir les moules, relax baby be cool,

Relax baby be cool

Le klan le klan la cagoule, relax baby be cool,

Bientôt désertée la boule, relax baby be cool,

Comme le crâne de Yul Brünner

Relax baby be cool

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10

Puis, il y eut Artaud. Ce dernier ne voulait pas seulement en finir avec le jugement de Dieu

mais avec le caractère inoxydable de la syntaxe française. Il partageait ce but avec Céline et

tous les deux, de conserve, comme deux parallèles finissent par se rejoindre, en vinrent à

conjoindre Révolution et antisémitisme, comme si le discours antisémite portait le désir

révolutionnaire à son point d’incandescence et le discours révolutionnaire, le désir récurrent

d’en finir avec les juifs.

De là, la fascination du nazisme et d’Hitler absorbant dans le trou noir de sa foi, les fragments

d’une religion de la modernité. Néanmoins, Céline écrivit une œuvre, Artaud, un théâtre de la

cruauté qui ne trouva aucun tréteau pour l’accueillir. Ainsi dans le manifeste n°3 de la

Révolution surréaliste, Artaud s’en prend à « nos scribes qui continuent encore pour quelque

temps à écrire, nos journalistes de papoter, nos critiques d’ânonner, nos Juifs de se couler

dans leurs moules à rapine, nos politiques de pérorer et nos assassins judiciaires de couver

leurs forfaits. Venez, sauvez nous de ces larves ».

En 1947, dans une lettre à Jacques Prével, il précise sa pensée « je commence à en avoir chié

de Kafka, de son ésotérisme, de son symbolisme, de son allégorisme et de son judaïsme,

lequel contient en germe et en petit toutes les foutoukoutoupou potroneries qui n’ont cessé de

m’emmerder depuis six années que j’en entends parler et qui vont cesser immédiatement de

m’emmerder parce que je n’en entendrai plus jamais parler. C’est par-dessus tout dans Kafka

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un retour du vieil esprit youpin que je poursuis (j’en ai autant pour le nom chrétien). Ce vieil

esprit d’une insupportable youpinerie qui nous a une première fois asséné la kabbale et une

deuxième fois la genèse de l’Ancien Testament. Je ne connais pas au monde de plus énorme

pot pourri de sanieuses calembredaines, de puantes pitreries glandulaires et testiculaires que

l’orchitisme phallique de la Cabbale ; insurrection larvaire d’un psoriasis d’anges spirituels

démis. Démis comme anges et démis comme esprits ».

Rêve d’anges asexués, plongée dans les délices de la castration et de la scatologie, haine

primaire du judaïsme et du christianisme, toute une virtualité révolutionnaire dont la

modernité a recueilli la substantifique moelle.

Si Breton pouvait croire aux haricots sauteurs s’animant sous l’effet d’une force intérieure, ou

aux guéridons gyrovagues afin d’en appeler à l’esprit de Lénine, il ne se commit jamais dans

l’antisémitisme, c’est encore Bataille qui donne une des clés pour atteindre Artaud, « il ne

riait jamais, il n’était jamais puéril et, bien qu’il parlât peu, il y avait quelque chose de

pathétiquement éloquent dans le silence un peu grave et terriblement agacé qu’il observait ».

Il suffit donc d’écouter sa causerie du Vieux Colombier en 1947 pour savoir de quelles

tessitures d’asiles était tapissé son silence.

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En contrepoint, des insertions de déserts de sable balayés par le vent

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12

Comme son prédécesseur, l’Eglise catholique, le socialisme eut sa variante gnostique dont

Lénine fut le porte-voix le plus accompli. C’est cette variante qui finit par s’imposer et

recouvrir toute une tradition qui fut mise en miettes, détruite et comme défigurée avant que

des hommes comme Benjamin, Gramsci ou Debord tentent d’en refaire un portulan au sein

des temps obscurs puis simplement troublés.

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13

13 février 1936

Attentat contre Blum, c’est l’occasion de la dissolution des camelots du Roi par le

pensionnaire du sphinx, A. Sarrault. Le sphinx est un bordel bi-sexuel, peut-être Sarrault a-t-il

pris la décision une queue frétillante lui déchirant le derrière, peut-être l’a t-il prise une

bouche ventousant son anus, les livres d’histoire sont muets là-dessus, c’est dommage.

Les livres d’histoire sont toujours un peu timide, ils évitent le sang, la merde et le séminal, ils

leur préfèrent la statistique qui éloigne, plonge dans l’oubli des chiffres et la sentence froide

des corrélations dont on sait qu’elles ne disent rien qu’une chose bête et sans âmes, ces deux

phénomènes évoluent de concert, et alors, ben rien, ils évoluent.

Le 13 février, des ouvriers, des terrassiers qui retapaient une façade sauvent la mise du futur

président du conseil. Filliol mène la troupe des agresseurs, c’est un dissident, sa carte de

l’Action Française gît dans les arrondissements chics de la capitale, il veut en découdre, il

possède le goût du sang et de la sueur.

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Le gentleyoutre comme l’appelait Maurras quand il ne lui adjoignait pas le syntagme de

chamelle parfumée, est dans la Citroën B-12 de Georges Monnet, boulevard St-Germain, il se

noie dans la foule des obsèques de Bainville, l’homme des conséquences politiques de la paix,

celui qui annonce la prochaine guerre implacable si l’Allemagne, si le jeune Reich prussien

n’est pas démantelé.

La B12 est malmenée, la cocarde parlementaire attise la colère puis on reconnaît le soufflet

normalien à son port mi-ridicule, mi-mondain, ça revient vite sous le paletot, c’est l’homme

de Moscou, c’est l’homme du mépris, c’est la juiverie incarnée, c’est l’homme de la guerre à

venir car pour la première fois de leur histoire récente, les français ont peur du défi fasciste,

ont peur de la défaite à venir, ils sont entrés en défaillance permanente, ils s’abaissent à

plaisir, ils leur faut une icône à sacrifier, l’homme qui reçoit en robe de chambre est la proie

rêvée.

Maurras disait c’est un homme à fusiller dans le dos, Filliol répond à seriner gaiement. Blum

est blessé, les Monnet s’interposent, se battent, deux agents tirent le déguingandé sur la

chaussée, l’arrachent aux coups de cannes, aux coups de pied, aux insultes, on continue à le

frapper, on distribue crachats, quolibets, coups, cravaches, parapluies, on se rue, enfin des

ouvriers, des terrassiers, comme on l’a dit le tirent dans la cour intérieure d’un immeuble de la

rue de Lille, ils le tiennent en sûreté, Filliol, les yeux luisants sait que la comédie est finie,

entre ses dents, ils murmure, acte 1.

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14

En 1927, paraît un livre de Lily Weiser traitant des Männerbünde (les sociétés masculines).

Elle perçoit derrière les rites d’initiation une lutte entre générations, les rites ayant pour

fonction de réprimer non seulement les pulsions mais l’aversion des jeunes envers leurs pères.

Des sagas islandaises, elle extrait le groupe des berserkirs, jeunes guerriers initiés.

Ces hommes en proie à la fureur destructrice sont aussi des entités capables d’assumer une

forme animale (l’ours, le loup), ambivalence qui les rattachent à Odhinn, aux croyances sur

les loups-garous, mais aussi au vieux mythe de l’armée des morts dont ils sont la figure

incarnée.

Otto Höfler, en 1934, reprend le canevas dans une perspective national-socialiste affirmée

écartant tout lien avec le chamanisme pour rouler sur l’exclusive fonction souveraine de

Wodan/Odhinn. Il est évident que les positions du chercheur étaient proches de celles de

Krebs, exclu du parti national-socialiste en 1933 et qu’elles furent donc exécutées dans la

revue Rasse en 1936.

28

Côté français les choses se passaient au sein du Collège de sociologie où Alexandre Kojève

observait le programme de magie du tandem Caillois/Bataille avec des yeux amusés. On y

trouve un chamane assez bouffon en la personne de Bataille dont la conférence « Hitler et

l’ordre teutonique » semble perdue, un chamanologue tel que Alexandre Lewitsky fusillé par

les nazis en 1942, un conjuré sans conjuration en la personne de Caillois dont le vent d’hiver

sonne encore comme un appel à l’insurrection des esprits forts enfin un historien des sectes,

comme Hans Mayer.

Très inspirés par les recherches de Mauss, ces hommes avaient comme contrepoint érudit,

Georges Dumézil qui dans Mythes et dieux des germains revient sur les berserkirs « ils

assument dans la vie des sociétés germaniques cette fonction de fantaisie, de tumulte et de

violence qui n’est pas moins nécessaire à l’équilibre collectif que la fonction conservatrice

(ordre, tradition, respect des tabous) qu’assument les hommes mûrs et éventuellement les

vieux ». Ce que tous avaient en commun, c’est de ne pas jamais imaginer qu’un jour, il n’y

aurait plus que des berserkirs de tous âges.

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15

Le fonds de la sûreté ne contient que des revues de presse sur la Cagoule (CAC,1, 34, 3530 à

3534). On y ajoute le dossier d’instruction de l’affaire (ADP, 212/79/3), et aux Archives

Nationales (CARAN) en F7, 14672 à 14674, 14815 et 14816, 15343. Or il y eut 102 inculpés

en 1939. On annone disproportion, disparitions, le complot est comme vidé de ses archives, il

plane à jamais dans les limbes du discours historique. Des allumés le reprennent en

psalmodiant, ils disent la synarchie, ils ont pour violoniste Coston, l’antisémite forcené, celui

qui n’en finit jamais de débusquer le quart, le tiers, le dixième de juif, celui qui aimerait bien

que le juif soit bleu et même fluo et même clignotant.

Pour contrebassiste et contrepoint du côté des fosses communes staliniennes, un journaliste

d’après-guerre, Ullmann, peint Goering en initié. Après tout Hermann était le genre de gars à

vendre des cartouches rouillés aux républicains espagnols tout en entraînant la Luftwaffe

avant de spolier la bourgeoisie juive aux abois de Bohême vendant son mobilier et ses parts

dans la débâcle qui suivit les accords de Munich. Quand Wallenstein rencontre le séducteur

des brasseries, ça devrait résumer la vie du Dauphin, grand forestier du IIIème Reich.

30

16

le juge Béteille est le magistrat instructeur de l’affaire, le magistrat enfouisseur, « vous devez

sauver l’état-major », ce sera fait.

31

17

On met du temps à se défaire, à s’éloigner, à ne plus prononcer les pourquoi l’Histoire,

pourquoi le Temps, mais juste un pourquoi la Fable car toute narration est un songe, une

parure d’escroc.

Par delà bien et mal, par delà les éternelles scories, par delà les perpétuelles apories du « Que

s’est-il donc passé ?, où va-t-on ? Qui suis-je ? ». Celui qui tient du chant de son récit, celui-ci

est l’aède, il accompagne de sa mélopée le désastre du temps, il pilote, empoigne les yeux

hagards vers ses contrées où l’innocence disparaît à nouveaux frais pour revenir oublieuse des

fautes et d’elle-même.

L’Histoire est faite pour les enfants, elle est déniaisement, routine vermeille, poinçon de honte

au milieu des fumées et des holocaustes des peuples satisfaits ou engourdis ou réjouis de

haine partagée.

Toujours, Clio s’invite au repas, les convives ne la chassent pas, ils lui proposent de s’asseoir

et de se taire.

32

On lui clôt donc la langue soit que la promesse qu’elle porte bourgeonne encore et soit trop

forte pour des générations putréfiées, incapable de répondre à l’appel lancé du fond des âges,

soit que le son même de l’épopée sur clavecin critique sonne trop machine de guerre, tribu

perdue de vociférateurs impécunieux qu’on s’empresse de coiffer d’une tiare d’académicien

parce qu’il faut bien aux convives quelques accommodements.

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18

Le 9 décembre 1935, démission collective de la 17ème équipe des camelots du roi dirigée par

Jean Filliol. Il y a là Deloncle, Jacques Corrèze, Aristide Corre. Ces hommes sont du temps

des manifestes, ils ne partent jamais sans un petit papillon explicatif et ronéotypé, trempé dans

de l’encre à taper les mots d’ordre. Leur départ se traduit donc par une lettre à l’attention de

Maurras qui les dénonce dans l’Action Française du 30 décembre 1935. Bénouville est de la

section, il sera aussi de Caluire, de Dassault, des amis mitterandôlatres, il sera de partout où

bave le nom du CSAR.

34

19

Le culte du néo-paganisme, Georges Bataille entreprit de le bâtir sous la forme d’une société

secrète : Acéphale. L’ensemble des rites qui la soudait n’est pas connu, ni même l’ensemble

des membres qui y furent liés. On a beaucoup balbutié, beaucoup raconté, beaucoup déliré, on

a dit que Colette Peignot, alors atteinte de tuberculose et compagne de Georges Bataille, y fut

sacrifiée, on a donc fait de Bataille, à l’instar de Souvarine, un monstre, « un détraqué sexuel

» en proie à des « obsessions libidineuses », des « élucubrations sado-masochistes » toutes

choses altérant selon le cher Boris la chimie de l’intellect dépendant d’une saine morale fut-

elle conventionnelle.

Quand on aura compris que Colette Peignot fut la femme de Souvarine que ce dernier

prétendait sauver des fantasmagories du bon docteur berlinois Trautner qui la sortait un collier

de chien autour du cou, que cette femme fut internée sous les bons auspices du chef de

clinique psychiatrique Weil, père de la gentille philosophe à lunettes rondes Simone, on voit

quel passif de haine opposait les deux hommes.

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Voici ce qu’affirmait Bataille avant de fonder une religion nouvelle, « Fascisme et

nietzschéisme s’excluent, s’excluent même avec violence dès que l’un et l’autre sont

considérés dans leur totalité : d’un côté la vie s’enchaîne et se stabilise dans une servitude

sans fin, de l’autre souffle non seulement l’air libre, mais un vent de bourrasque ; d’un côté, le

charme de la culture humaine est brisé pour laisser la place à la force vulgaire ; de l’autre, la

force et la violence sont voués tragiquement à ce charme ».

On voit donc le motif d’une telle société, prendre acte de la force et de la violence, laisser

pourrir sur pied la morale de vieille fille édentée avec laquelle les démocraties entendaient

combattre le fascisme mais trouver le moyen de convertir cette force et cette violence non en

une servitude suicidaire mais en un acte de souveraineté qui a pour site la mort de Dieu et

pour enjeu de soutenir l’assertion suivante, « Tout exige en nous que la mort nous ravage ».

Des rites qui avaient cours dans cette société secrète, on ne connaît que peu de choses.

36

En premier lieu, l’interdiction de serrer la main d’un antisémite. En deuxième lieu,

commémorer place de la Concorde tous les 21 janvier la décollation de Louis XVI, attentat

contre la souveraineté monocéphale dont le fascisme serait l’héritier au nom du principe

suivant, « la seule société libre est la société bi ou polycéphale qui donne aux antagonismes

fondamentaux de la vie une issue explosive constante mais limitée aux formes les plus riches

».

Pour le reste, on doit se reporter au témoignage de Pierre Klossowski et à un texte de Georges

Bataille dont le statut n’est pas clair, entre onirisme noir et simple sténogramme du sacrifice

d’une femelle gibbon.

Dans le premier cas, la vingtaine de membres de la secte se rend à Saint-Nom-La-Brétèche

avec l’impératif de méditer en secret et de n’en parler à personne au cours d’une communion

d’un genre particulier au pied d’un arbre foudroyé.

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Dans la cérémonie du sacrifice mi-ridicule, mi-cruelle, m-orgiaque, on a une femelle gibbon

enterrée vivante la tête en bas et l’anus suspendu, comme symbole palpitant du ciel renversé.

On atteint au sommet de la bouffonnerie sacrificielle dès lors qu’est déléguée une femme nue

se tortillant dans les excréments de la bête tandis que les participants auraient été « détraqués

par l’avidité du plaisir ».

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20

Le siège du PNRS : 31 rue Caumartin, on y trouve Robert Lefranc de la société Ripolin qui

finance le parti et sert de façade. On trouve dans l’immeuble les locaux de l’Insurgé et de

Combat. S’y croisent Claude Roy, Maurice Blanchot et Thierry Maulnier. En 1945 le

souvenir est éclipsé, comme dissous, la vareuse pétainiste a tout administré au vaporeux, la

noyade se drape dans le brouillard d’Ile de France, un diadème de fuite, une chanson de

Nerval, Sylvie court sur l’île d’amour, la coupole de Chantilly luit comme au premier jour.

39

21

Lors du Front Populaire que ses ennemis désignaient du nom de Frente Crapular, Filliol et

Moussous font le coup de poing contre les grévistes. Dans le même temps le Parquet, donc le

Ministère de l’Intérieur, donc le gouvernement, ordonnent une perquisition au siège de la rue

Caumartin, le 20 juin 1936. Dans son torchon sur le docteur Martin, Pierre Péan situe la

perquisition le 10 juin mais Péan ne cesse de tergiverser, flageoler dans l’imprécision, il

enfume, c’est sa fonction.

40

22

Il existe en 1937 une bandera Jeanne d’Arc pour laquelle recrute François de Boisjolin,

rédacteur à la Libre Parole de Coston. Ces nationalistes peints dans le bleu de la Phalange

sont présents au sein du CRAS qui sert de paravent à des trafics d’armes. On y trouve la fine

fleur antijuive grimée en Quijote, il manque Pierre Ménard, numéro invisible de l’armada de

Borges.

41

23

Michelin, Lemaigre-Dubreuil auraient financé la Cagoule qui dispose de 3 noms : CSAR,

OSAR, OSARN, Quel est donc le vrai nom, nul ne le sait, le secret en procession.

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24

Des listes codées d’adhérents du CSAR sont saisies en janvier 1938, le code 1001 signalait le

groupe dirigeant (les deux frères Deloncle, le général Dusseigneur, Corrèze, Filliol, Corre).

Chez Aristide Corre, très imprévoyant pour un homme versé dans les sociétés secrètes, les

listes saisies le 16 septembre 1937, dans le cadre d’enquêtes sur le trafic d’armes, n’étaient

pas codées. La liste totale des adhérents comprend 70 pages, la police n’a plus qu’à secouer la

nasse.

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25

Le mode d’adhésion à l’organisation est tortueux, compliqué et prend la forme d’un mystère :

s’y mêlent des prestations de serment et la façade légale de l’UCAD, une franc-maçonnerie

retournée, un imaginaire de cryptes et de capes, la jésuitière des pamphlétaires furieux du

XIXème siècle avec le nom de Mussolini comme cache-sexe et la chevalerie en stuc pour

héritage.

Cette UCAD est présidée par le général Dusseigneur (chef des services militaires du cabinet

de Laurent-Eynac), le vice-président est Pozzo di Borgo. Le secrétaire de Duseigneur est

Douville-Maillefeu. Voici pour les accréditations.

Pozzo, noble corse de vieille obédience, possède avec le marquis de Montcalm des immeubles

à Paris. Il est marié à une américaine Valérie Norrie, il fume les terres comme on disait dans

la noblesse désargentée et il les fume bien. Quant au père de Chiappe il fut avocat à Ajaccio et

conseiller de la famille Pozzo di Borgo, gérant de leurs biens. Le monde parisien affiche son

étroitesse, on dit le monde pour dire, ceux qui comptent et se comptent.

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Chiappe est préfet de police jusqu’en janvier 1934, Pozzo di Borgo fait le tour des propriétés,

hôtel particulier au 51 rue de l’Université et château à Dangu (Eure). La police l’interroge et

le relâche le 5 mars 1938, il a sali de la Rocque, il l’a peint en quémandeur de fonds secrets,

sa mission s’achève.

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26

L’organisation a 4 bureaux : interne (Deloncle) ; renseignements (Martin) ; opérations et

instruction militaire (Georges Cachier) ; transports, ravitaillement, matériel (Jean Moreau).

C’est le calque exact de l’armée française. Comme un duplicata.

A la base, la cellule (de 7 à 12 hommes) ; 3 cellules forment une unité avec 3 agents de

liaisons, 2 chefs ; 3 unités forment un bataillon ; 3 bataillons forment un régiment ; 2

régiments forment une brigade= 54 cellules= entre 378 et 658 hommes.

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27

En France, l’Histoire est née de la Révolution, elle est la grande prêtresse de la continuité,

l’institutrice du présent, la donzelle gérontophile que la République couve de son sceptre, la

sage-femme du peuple.

Clio french cancan est le fanal de la populace devenue peuple et peuple un, populace

souveraine, populace frappée d’un blason de majesté aux trois couleurs qui vient se substituer

à l’azur semé de fleurs de lys d’or, car la populace veut qu’on l’honore, veut qu’on la salue,

qu’on lui dépose les particules et les donjons, qu’on lui énumère le Trésor des Eglises, qu’on

fasse de tout le dépôt, l’immense Musée des objets perdus que viendra consulter le peuple qui

manque, le peuple à trouver, le peuple législateur du futur, le peuple éduqué à la recherche de

son supra-sensible, à la recherche de son fantôme, à la recherche de la Liberté.

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28

Un des dépôts d’armes les plus importants se trouve dans un garage Boulevard de Picpus

(12ème arrondissement) : La police y découvre 832 grenades, 6 mitrailleuses, 42 fusils-

mitrailleurs allemands, 49 fusils semi-automatiques italiens, 80 fusils de guerre, 45 fusils de

chasse, des munitions.

Les armes allemandes sont de marque Schmeisser, Beretta côté italien. Les armes du 90 Bd

Picpus (chez le garagiste Gaston Jeanniot ancien des Croix de feu) proviendraient d’un vol

commis à la caserne Théremin d’Hame à Laon le 18 juin 1937 (selon la complotiste Lacroix-

Ritz) or cette assertion est incompatible avec la liste des armes retrouvées

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29

Le putsch manqué date du 15-16 novembre 1937. Il est précédé d’une rumeur préalable de

putsch communiste colportée par les membres du CSAR et ceux des réseaux Corvignolles qui

oeuvrent dans les casernes avec pour prétexte la mise en fiches des subversifs. La Cagoule

inaugure ce qui deviendra un classique de l’intoxication mais aussi un classique de la lâcheté

militaire et gantée, celle qui prévaut en France avec sa pensée de chambrée mise en musique

par Alibert et clavecinée par le vieillard marmoréen.

Pétain l’Incarnat comme va l’appeler Céline, ou le Père pétrin.

Pendant ce temps, Jünger de l’autre côté du Rhin découvre la légende du grand forestier, le

prophète de la mobilisation totale, le visionnaire placide des orages d’acier, le laudateur du

Travailleur, va chercher dans la forêt des odes germaniques, la figure du Rebelle, il s’y tient

avant le combat qui s’annonce.

En France, il y a donc préparation ratée d’un putsch qui devient avec le temps, dissolution

pure et simple de la Cagoule dans le brouillard épais de la chambre crapular qui donne les

pleins pouvoirs au taureau du Vaucluse, à l’âme damnée de la régénération, au républicain de

sanisette, Daladier.

49

50

30

« Dans ma vie, j’ai souvent été prophète et la plupart du temps on m’a tourné en dérision. Au

temps de ma lutte pour le pouvoir, c’étaient surtout les juifs qui riaient de m’entendre

prophétiser que je serais un jour le chef de l’Etat et du peuple allemand tout entier, puis que,

entre autres choses, j’apporterais sa solution au problème juif. Je crois que ces rires creux

d’alors restent en travers de la gorge de la juiverie d’Allemagne »

30 janvier 1939

« Je n’ai aucunement le désir d’oublier ce que j’ai dit, que si le reste du monde était plongé

dans une guerre générale par la juiverie, c’en serait fini du rôle de la juiverie en Europe. Les

juifs peuvent rire aujourd’hui, comme ils ont ri de mes prophéties antérieures ; mais les mois

et les années qui viennent prouveront que j’ai eu raison »

30 janvier 1941

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« J’ai dit que si la juiverie trame une guerre mondiale pour anéantir les peuples aryens

d’Europe, alors ce ne sont pas les peuples aryens qui seront anéantis mais la juiverie.

Naguère, en Allemagne, les juifs ont ri de ma prophétie. J’ignore s’ils rient encore

aujourd’hui, ou si l’envie de rire leur a passé ! Mais à présent, je ne peux aussi qu’assurer :

partout, l’envie de rire leur passera »

30 septembre 1942

D’où une nouvelle définition d’Hitler, l’homme qui voulait éteindre le rire des juifs.

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31

Les traits de l’idéologie communiste sont connus. C’est une idéologie salvatrice dont le parti

est le seul interprète, une pseudo-science infaillible qui entend accoucher du monde nouveau

en détruisant de fonds en combles l’ancien, une morale qui définit le bien en fonction du seul

objectif proclamé, la venue du socialisme, une manière de dénégation du réel où chaque

obstacle dans la construction de la société sans classes est interprété comme un complot

contre-révolutionnaire, une résurgence réitérée de ce même passé honni qui, à chaque fois,

mérite d’être éradiquée, un manichéisme en acte où s’opposent impérialisme et communisme,

bourgeoisie et prolétariat, réactionnaires et révolutionnaires, fascistes et anti-fascistes, un

mensonge obèse qui finit par tout avaler et ne demande que la participation de tous,

maquillant d’un onirisme de facture réaliste, la corruption, la gabegie, la soumission aveugle

et la dépravation morale de toute une société saisie dans un cauchemar sans fin.

53

Le socialisme dès son origine, notamment chez l’inventeur du terme Pierre Leroux, adepte

d’une théorie du circulus (en fait du fumier humain comme matérialisation de la fraternité en

transit), a logé le mal dans la propriété privée. Dans les faits, suite à la révolution

bolchévique, tout devient propriété publique, propriété d’Etat, et les gens ne conservent que

leurs vêtements, une partie de leur mobilier et un jardin potager comme viatique. Il n’y eut

jamais de riches dans les Etats du bloc socialiste mais une série de privilégiés bénéficiant

d’avantages codifiés ou non. Avec la propriété privée ce n’est pas seulement l’économie de

marché qui disparaît mais le droit véritable auxquels se substituent la planification et le troc

ainsi que l’arbitraire le plus complet. L’asymptote d’un tel idéal c’est la fin de la famille

bourgeoise, dans laquelle « la famille transforme l’enfant en un être égotiste, l’encourageant à

se croire le centre de l’univers ». Suivant les conseils de Zlata Lilina, spécialiste soviétique de

l’éducation, l’ABC du communisme recommandait donc aux militants l’abandon par les

parents du possessif moï pour désigner leurs enfants, leur enjoignant d’atteindre enfin l’amour

rationnel, celui d’une « famille sociale ».

54

Tout régime communiste s’est échiné à poursuivre les ennemis du socialisme ou du peuple

selon les formules consacrées. Si l’ennemi de classe pouvait être mis hors de combat à la

vitesse des exécutions de masse, on sait qu’il survivait parmi la progéniture puis se

métamorphosait en attentistes, en hooligans, en satiristes, en infidèles à la ligne de masse

définie par le parti. L’ennemi du peuple pouvait se cacher parmi le kolkhozien, le komsomol,

le policier, le soldat, le bolchévik. Partout le bacille contre-révolutionnaire se lovait. Dès lors,

dans les dictionnaires russes, la dénonciation (donos) était définie comme une vertu civique

s’apparentant à la révélation « d’actes illégaux ». Comme le disait Sergueï Goussev, futur

membre de la Commission centrale de contrôle, « Lénine nous a appris que chaque membre

du Parti doit devenir un agent de la Tcheka, autrement dit observer et rédiger des rapports ».

La police politique ne chômait guère empilant les rapports, les dossiers, s’épuisant en

entretiens, écoutes et recoupements, exigeant des aveux parfois délirants.

55

Les opérations mobiles de tuerie ont toujours eu lieu dès lors que la révolution communiste se

confondait avec la guerre civile. Si les chars et les gaz de combat vinrent à bout des cosaques,

Vladimir Zazoubrine a retracé le parcours d’une Tchéka en 1923 et sa besogne ordinaire : les

camions livrant leur fournée à exécuter, la balle dans la nuque pour chaque condamné, la cave

comme stand de tir, les camions venant ramasser les cadavres, une noria interminable et

motorisée.

La déportation en camps de travail eut pour cible soit des peuples entiers, soit des catégories

sociales désignées comme des ennemis du socialisme par le Parti. Les conditions de départ

étaient si précipitées, le côté far East si prononcé qu’il y eut des cas où tout le monde, le

terminus atteint, mourait de faim et parmi ce tout le monde, il faut compter les gardiens et les

chiens. Si les camps comptaient 20 mille pensionnaires en 1928, leur nombre atteint le million

en 1934, suite à la collectivisation dont Staline eut à cœur de modérer le rythme en mettant en

garde les cadres du Parti devant le vertige d’un succès qui avait la famine pour corollaire.

56

On sait que le plus grand des camps, le Belbaltag, comptait 100 mille détenus en 1932. Sa

tâche déclarée était le percement d’un canal de 227 km reliant la Baltique à la mer Blanche.

Bien entendu, les planificateurs n’avaient ni relevés corrects du terrain, ni machines. La

profondeur prévue, 3,6 mètres le rendait inutilisable, mais Staline en avait fait une priorité

chargée de démontrer la supériorité du socialisme. Sans dynamites, ni machines, le canal fut

creusé à la hache, à la scie, à la masse. Dès le premier hiver 1931-1932, le quart des

prisonniers était mort à la tâche. Chef de chantier et détenu, Dimitri Vitkovski note « l’été, des

cadavres qui n’ont pas été ramassés à temps, il ne reste plus que les os, ils passent dans la

bétonneuse, mélangés aux galets ». C’était ce chantier que choisit Staline pour y déléguer des

« ingénieurs des âmes humaines » conduits par Gorki, chargés d’y expliquer les principes du

réalisme socialiste. Toutefois, certaines colonies du Goulag étaient conçues selon le terme de

Berzine, un bolchévique letton, comme une « forme expérimentale de développement

industriel » et Chalamov note dans les récits de la Kolyma « à l’époque il y avait si peu de

cimetières pour détenus que l’on eût pu croire que les habitants de la Kolyma étaient

immortels » tant et si bien que le camp fut démantelé. La bigarrure du Goulag allait donc d’un

traitement décent des prisonniers à une annihilation pure et simple.

57

Les exécutions judiciaires connurent leur apogée durant la grande Terreur de 1937-1938 où

selon des statistiques incomplètes 681 692 personnes furent assassinées et d’autres exécutées

pour « crimes contre l’Etat ». Le Goulag comptait 1 881 570 pensionnaires sans compter les

140 mille décès enregistrés dans les camps et le nombre indéterminé de disparus durant les

transports. A titre de comparaison, si les opérations anti-koulaks de 1929-1932 entraînèrent

près de 600 mille arrestations, « seuls » 35 mille détenus furent liquidés. Staline, d’une

logique implacable, était persuadé que les puissances fascistes (Allemagne nazie et régime

militaire japonais) allaient s’unir afin de dévaster l’URSS avec la neutralité bienveillante des

puissances occidentales, moyennant en quoi il fit exécuter la quasi-totalité des officiers

expérimentés de son armée.

Ainsi fit-il cette confidence à Romain Rolland qui ne broncha pas « Nos ennemis des cercles

capitalistes sont inlassables. Ils s’infiltrent partout ». De la guerre d’Espagne il tira la

conclusion qu’il fallait non seulement liquider la cinquième colonne et les espions et ennemis

fascistes mais aussi toute opposition intérieure. Ce qu’entendait Staline par le terme de

cinquième colonne, la directive 00447 se chargea de l’éclaircir : 669 929 anciens koulaks

furent arrêtés et la moitié exécutés sous le prétexte fourni par le NKVD qu’une organisation

monarchiste blanche (la ROVS) préparait, clandestinement, un soulèvement en liaison avec

une invasion japonaise de la Sibérie.

58

Le NKVD poussa si loin son auto-intoxication qu’il dénombra dans l’Altaï 22 mille membres

de la ROVS mis hors d’état de nuire. Que l’homme soit une proie et non un prédateur, nul

mieux que le scénariste Valeri Frid ne l’indique « nous étions tous semblables à des lapins qui

reconnaissent le droit du boa constricteur à les avaler ; quiconque tombait sous l’empire de

son regard avançait très calmement, avec un sentiment de perte dans la bouche ». Toute la

population était compromise dans cet exercice de loterie où le gagnant avait droit à son lot

spécial : une balle dans la nuque.

Ainsi, selon un haut responsable de la police, un employé de bureau soviétique sur cinq était

un informateur du NKVD, un autre évaluait ce peuple de mouchards dans les grands centres

urbains à 5% de la population totale. Evidemment le spectre était large allant d’une famille

sur sept d’informateurs dans Moscou à un informateur pour 17 mille habitants à Kharkov.

Reste que l’exercice était profitable et rétribué en argent, places, logement, rations spéciales et

immunité confondant la morale socialiste et celle du Milieu.

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32

Voici ce qu’affichait le CSAR dans ses directives internes qui flamboient comme un

communiqué d’état-major :

« Avertissement. Il est rappelé à tous de la façon la plus instante que le secret absolu doit

être rigoureusement observé. Il est particulièrement nécessaire que les membres des

familles de nos abonnés soient tenus en dehors de toute activité ayant trait à notre

organisation et n’en deviennent sous aucun prétexte les confidents ».

On le voit les conjurés sont des abonnés, on emprunte au vocabulaire de l’usage, des services

publics, on veut servir, on courbe l’échine, on tend l’oreille.

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33

Les actions avérées du CSAR sont les suivantes :

23-24 janvier 1937

Meurtre de Dimitri Navachine : Jean Filliol le tue à l’arme à feu (5 mm et 22 long rifle avec

douilles Imperial Chemical ) et à l’arme blanche. Depuis les derniers jours de l’année 1936, il

est suivi par les hommes du CSAR.

L’homme des soviétiques était proche de Spinasse et d’Anatole de Monzie qui, tous deux,

finiront dans la collaboration suivant la pente fatale qui conduit du pacifisme au nihilisme

final ; du pseudo-acquiescement à l’ordre des faits ou des choses ou du monde.

Comme avocat, il provoqua la déroute judiciaire des Grands Moulins de Paris, organisation

des céréaliers qui escroquait ses fournisseurs et bien entendu l’Etat, toujours bonne poire (via

des compensations versées lors des ventes de blé).

61

Il est retrouvé le 25 janvier 1937 au matin sur l’avenue du Parc des Princes près du bois de

Boulogne. En 1926, Navachine avait pris la direction de la Banque commerciale pour

l’Europe du Nord, 26 avenue de l’Opéra, c’est donc une créature bolchévique en mascara,

doublon de la tchéka, connaisseur des manières Ninotchka, mais en costume trois pièces.

En 1930, il quitte ses fonctions de direction, c’est un franc-maçon affiché. Il se lie à Jean

Coutrot, navigue comme chez lui chez Worms et Paribas, deux banques d’affaires

particulièrement férues de manœuvres de couloirs et de confections de ministères avec jetons

de présence dans tout ce qui s’avère nécessaire à l’exercice d’un pouvoir si minime soit-il.

Il vit près de la porte d’Auteuil, 28 rue Michel-Ange. Navachine avait donc de l’entregent et

des ennemis. Pour quel débiteur s’effectua ce meurtre, le mystère plane et les coups pouvaient

partir de partout. Dans tous les cas, c’est le premier de la série, il annonce donc l’entrée en

lice du CSAR, le prodrome de la stratégie de la tension que l’organisation promeut.

62

16 mars 1937

Provocations lors de la manifestation de Clichy, la police tire sur la foule, bilan : 5 morts, 200

blessés. Lors de ce véritable massacre, la contre-manifestation contre la réunion du PSF dans

un cinéma de la ville était emmenée par les masses hagardes et transies du Front Populaire.

La tactique est claire, radicaliser les membres du PSF, les pousser vers le PPF de Doriot, les

diligenter vers l’action directe. Que le sang coule et coule encore, sous le pont Mirabeau et

ailleurs encore, sillon bouillonnant.

17 mai 1937

Selon Bourdrel, Laetitia Toureaux est assassinée à la baïonnette coupée en deux et aiguisée.

C’est la signature de Filliol, égale à celle des plasticiens d’aujourd’hui.

63

9 juin 1937

Assassinat des frères Rosselli : réutilisation de l’arme blanche qui a tué Navachine. Le

meurtre est commandité par les services secrets italiens.

Méténier, futur charlatan sis auprès du Père pétrin, médecin de son état, auvergnat, lié aux

Michelin, rencontre le commandant Navale à Nice le 22 mars 1937 afin de préparer

l’assassinat contre l’achat de 100 fusils semi-automatiques Beretta.

Le 10 juin 1937 on retrouve la voiture abandonnée des frères Rosselli près de Bagnoles de

l’Orne, une bombe inexplosée sous le capot. Selon Pierre Péan, le 11 sur le chemin Bagnoles

de l’Orne/Couterne, on retrouve les cadavres de Carlo (4 coups de poignards) et de son frère

de 17 ans.

Premier constat, il est établi que Péan raconte des billevesées puisque Nello Rosselli, historien

de métier, venait d’être sorti des prisons du Duce (source : V. Serge). Ce n’est donc plus un

adolescent comme le prétend le singe vert du reportage historique.

64

Deux voitures suivaient les frères Rosselli, une 402 noire avec 4 personnes dont Filliol et un

cabriolet décapotable de deux places. Dans la capitale, Rosselli vivait au 79 rue Notre dame

des champs. A Bagnoles de l’Orne en Normandie, sur les lieux qui précèdent l’assassinat, la

femme de Carlo est présente.

Lors du meurtre, le vieux coup de la panne est mis en scène et le Times tente de salir Carlo

dès le 14 juin. Bertolucci met en scène le meurtre dans le conformiste adapté de Moravia. Une

Italie fasciste de dépravés et de névrosés mais aussi d’artistes éviscérés, un Trintignant,

disciple ignoble conduisant les hommes de la Cagoule, séduisant via la femme du professore

(Stefania Sandrelli parfaite) une Dominique Sanda ambiguë, sur le fil du rasoir.

Une esthétique blanche comme un catafalque. Côté français néant, la mort du brigadiste passe

comme un soufflet, rien à dire, rien à écrire, rien à filmer, bâton merdeux, Belgique de

Baudelaire aux trois couleurs.

65

29-30 juillet 1937

Destruction d’avions militaires américains destinés à l’Espagne républicaine sur l’aéroport de

Toussus-le-Noble près de Paris. Un avion détruit, 2 autres endommagés.

La surveillance date d’avril 1937. Sur la demande du colonel Ungrilla, Péan prétend que 3

avions sont détruits sur le tarmac de l’aéroport de Toussus-le-Noble le 29 août 1937. Selon

Bourdrel, c’est Filliol qui aurait déposé les charges de plastic qui est alors un explosif

nouveau expérimenté par un fermier américain sourcilleux sur la destination de ses impôts. Le

gars s’estimait lésé puis ruiné par l’école pompant ses arpents, il entreprit de la plastiquer

méthodiquement et la fit sauter, élèves compris avant que son caisson y passe aussi.

Premier perdant radical, premier libéral paranoïaque, une histoire édifiante comme dit l’autre.

Ajoutons que Jean Gradis, fondé de pouvoir de la banque Neuflize (ex PSF) participe au

sabotage.

66

11-12 septembre 1937

Des bombes sont placées aux sièges de la CGPF et de l’UIMM, 2 policiers tués. Une bombe

explose le 11, 4 rue de Presbourg, siège du patronat dans le quartier de l’Etoile. De même, le

siège de l’UIMM saute 45 rue Boissière. C’est ce dernier attentat qui tue deux agents de la

paix.

Meténier et Filliol ont monté l’attentat, premier essai convaincu d’une stratégie de la tension.

Ces types innovent sur la voie terroriste qui mène à la constitutionnalité. Plus tard, en

disciples consciencieux, les généraux argentins appeleront cela le processus de réorganisation

nationale, c’était en 1976.

67

34

Les hommes de la Cagoule théorisent le coup d’état constitutionnel (ceux de Mussolini et

Hitler) et cherchent leur voie propre écartant les coups d’état extra-constitutionnels (celui des

bolchéviks) et les pronunciamientos.

Il ne s’agit pas de s’égarer sur le terme constitutionnel car ce type de coup d’Etat a pour

mode, le combat de rue, l’usage des grenades et des armes automatiques qui distinguent

fusiliers et grenadiers. Ils ont pour objectifs, les lieux stratégiques, symboliques et

opérationnels : radios et édifices.

« Communiqué n°1, le maréchal Pétain appelle au calme… »

Le coup d’Etat constitutionnel replace la décision et le combat au cœur de la politique, il la

restitue à la guerre civile, il énonce, là gît le pouvoir constituant.

68

35

Dès l’automne 1936 Dusseigneur et Deloncle sont à Rome, puis, en avril-mai 1937, sous une

fausse identité, Deloncle y retourne. D’autres vont y chercher des armes. Le contact passe,

notamment par le colonel Emmanuele Santo, du contre-espionnage italien, via Méténier de la

société des enfants d’Auvergne, ancien de Michelin.

De plus le groupe niçois des chevaliers du glaive joue un rôle essentiel dans la liaison

clandestine avec l’Italie, via Maurice Juif qui est directeur des docks saint Roch à Nice et

Joseph Darnand qui est propriétaire d’une société de transport.

Le dernier étant déjà prêt à liquider le premier.

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36

Gabriel Jeantet se rend en Allemagne par deux fois lors de l’été 1937. Son aîné, Louis est lié

par alliance aux Violet frères (Byrrh). Claude se vit offrir un poste au ministère des affaires

étrangères en 1935.

On est donc du sérail chez les Jeantet, pas vraiment marginaux. Gabriel, arrêté et écroué, fut

libéré en décembre 1939 sur l’instance de Daladier (qui eut pour maîtresse Jeanne de Crussol

dont l’ami personnel Daniel Serruys, de la banque Lazard, deviendra haut-commissaire à

l’économie nationale).

Il reviendra menacer ses concierges, Mr et Mme Lavergne car l’ange Gabriel n’est pas tendre

avec les balances.

70

37

Loustanau-Lacau, commandant, avait fondé les réseaux Corvignolles au sein de l’armée

secondé par le colonel Groussard du 2ème bureau, en contact avec le CSAR dès la fin de

1936.

Porté sur les profits et les appointements, il empocha 1,5 millions de francs dans un projet

cagoulard bidon. Deloncle possédait un laissez-passer pour la cartoucherie militaire de la

Seine à Saint-Denis durant la période qui court de septembre à octobre 1936. Jean Chrétien

officier de l’état-major est aussi de la partie.

Selon Chrétien, Loustanau était lié au PPF, Groussard à l’Action Française. Ils ont pour cible

les réseaux d’aide à l’Espagne républicaine (réseaux Gaston Cusin, et la nébuleuse Pierre Cot

avec Labarthe et Jean Moulin).

Une guerre civile froide de réseaux est en place, on réglera ses comptes à la baignoire et à

l’arme blanche, dans les coulisses et la rue déserte, la paille des prisons et les terrains vagues,

on va se tuer entre français au nom d’une Cause supra-nationale, au nom de la vieille idée de

Croisade, on veut le pouvoir à tout prix et la Justice qui va avec, le sentier passe par la fosse

commune, on appelle ça l’Histoire.

71

72

38

C’est le 16 novembre 1937 au matin que la police mène une série de perquisitions qui

entraîne la découverte de caches d’armes.

73

39

Clio french cancan est une oraison permanente de noms et de batailles, de dates et de liturgies.

On y croise les sentinelles, les ossuaires et les martyrs, une Eglise écrivante de théologiens

positivistes tient le cahier des charges des temps nouveaux.

Elle énumère son catéchisme :

Tu pleureras au sacre de Reims car le peuple y était assemblé noyant le Roi de ses

acclamations

Tu inonderas Valmy de ton émotion

Tu iras souffrir en compagnie des poilus à Verdun avec ton appareil électronique à zoom

automatique

Tu gémiras de la défaite du 22 juin 1940 en conspuant le nom honni du maréchal Pétain

Tu devras, tu devras, tu devras…

74

L’Ecole implore et la liturgie chassée des rues et des pavés s’accomplit entre les quatre murs

de la salle de classes où se respire l’air raréfié du supra-sensible. Tous ensemble, les hussards,

en prêt à porter, chantent la Gloire émancipatrice de la République comme on chantait du

temps de Du Bellay, la France mère des arts.

Bien sûr, on rappelle dans un murmure pleurnichard les zones d’ombre qui finissent par

recouvrir d’un linceul troué toute la surface des invocations. On verse l’encens de la Nation

qui n’a pas froid aux yeux, l’encens d’un prêtre positif et réflexif rangé des voitures

idéologiques qui administre les pénitences et les autorisations, qui exorcise, chasse les esprits

malins, les simulacres par milliers afin que reverdisse la pelouse lustrale du roman national.

75

40

Le centralien Henri Philippe Roidot obtient un emploi à l’Institut Pasteur comme stagiaire en

bactériologie. Dès lors, il se perfectionne dans la connaissance des poisons et s’intéresse aux

bacilles tétaniques et butoliques.

Il fuit la France pour l’Italie le 15 janvier 1937. Il se révèle alors un agent infiltré de la

Cagoule au sein d’une tripotée de vigilants antifascistes qui ne découvrent les activités et les

commandes étranges de leur employé que par inadvertance.

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41

Selon le bon docteur Martin, Raphaël Alibert serait de la direction de la Cagoule avec

Groussard et Dusseigneur

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42

C’est Pujo de son bureau de l’Action Française qui nomme le CSAR, la Cagoule pour

ridiculiser l’organisation, il la baptise donc avec grand sorcier et croix en flammes.

78

43

Le colonel Heurteaux du Service de Renseignement de l’armée de l’air et Lemaigre-Dubreuil

collectaient selon Péan, auprès des patrons en panique, des ingénieurs en furie et des

chevaliers de Krogold rangés en bataillons noirâtres.

Ils y raflaient les fonds nécessaires à la colonie insurrectionnelle. Auraient cotisé, Renault,

Pavin (Lafarge), Gibbs, Violet (Byrrh), le beauf de Jeantet, les banques protestantes de la

rue de Provence, Mirabaud, Hottinguer, de Neuzflize, enfin Pierre Michelin, une sorte de

sainte Assurance contre le front rouge.

79

44

Gaston Cusin est nommé le 12 août 1936 par Blum, Monsieur intervention secrète en

Espagne. Cerutti, dit Pierre Allard, est l’interlocuteur du Komintern, il est en contact avec

Gretchko du NKVD. Un ancien d’HEC épaule le bonhomme, il se fera un nom du côté de

France-Navigation, on l’appelait Georges Gosnet. Côté soviétique, c’est Krivitski implanté

dans la patrie du fromage impeccable qui coordonne l’aide soviétique à l’Espagne

républicaine lâchée par tous.

Un homme combat quelque part en Aragon, les anarchistes ont Durutti en tête, ils marchent en

milices décimées devant Saragosse inexpugnable, on y fusille tous les matins devant les murs

d’enceinte. Simone Weil, ses parents aux trousses, pleure la mort d’un petit nationaliste, elle

trouve Durutti méchant, elle croyait que la Révolution portait des dentelles et une convention

de Genève comme couche absorbante.

80

Les plus lucides des républicains savent l’alliance avec les soviétiques inéluctable, ils savent

la liberté piétinée par les hommes de l’Internationale et du NKVD, mais c’est trop tard. Les

maures, la phalange, la légion tout concourt à la guerre totale, la bandera d’en face porte,

frappée de noir, le viva la muerte de Milan Astray, Unamuno s’épaissit en silence.

« Les hommes qui commandaient n’ont jamais nié que les arabes achevèrent les blessés de

l’hôpital républicain de Tolède. Ils se vantaient de la manière dont avaient été jetées deux

cents grenades sur des hommes sans défense.

Jamais, ils ne nièrent qu’ils avaient promis, aux arabes, des femmes blanches, en cas d’entrée

dans Madrid. Assis, près d’un bivouac du campement, je les entendis débattre du caractère

d’une telle promesse ; certains convenaient qu’une femme, même avec des idées

communisantes, pouvait être espagnole.

81

De même, El Mizian, seul officier supérieur arabe de l’armée espagnole, ne nia pas cette

pratique. Il se trouve que je me trouvais, avec lui, non loin de Navalcarnero, quand deux

gamines qui ne devaient pas avoir 20 ans, durent comparaître devant lui. Une d’entre elles

travaillait dans une usine barcelonaise et on découvrit une carte syndicale dans son sac de

cuir. La seconde, de Valence, prétendait ne pas avoir d’opinion politique.

Mizian les interrogea afin d’obtenir des informations puis les conduisit dans un petit édifice

qui avait servi d’école et où logeait une quarantaine de soldats arabes.

Quand elles arrivèrent près de la porte, des hululements se firent entendre, surgis de la gorge

des hommes de troupe. J’assistai à une telle scène, horrifié et inutilement indigné.

El Mizian souria avec condescendance lorsque je protestai devant ce qui venait d’arriver,

disant “ Oh, elles ne vivront pas plus de quatre heures ! ”. Je suppose que Franco pensait que

les femmes devaient être offertes aux arabes ».

John T Whitaker cité par Herbert Rutledge Southworth dans el mito de la cruzada de Franco.

82

Pas moins de soixante deux mille marocains épaulèrent Franco dans sa croisade recrutés à

coups d’huile d’olive, de kilos de sucre et de soldes par des caïds dont certains, Abdeljalek

Torres pour le citer, espéraient une autonomie future, voire l’indépendance.

On connaît leur mode de combat, exécution des adversaires, liquidations des politiques et des

syndicalistes, viol ou tonte des femmes, castration de certains, incendies d’Eglises parfois, en

un mot un assaut barbare mais ordonné.

Partout, dira Bernanos, l’Europe, la chrétienté, livrée aux barbares par les saintes démocraties

en rut, républicaines, monarchistes ou fascistes.

83

45

Gabriel Jeantet et Eugène Deloncle avaient leurs entrées en Espagne, Croisade oblige.

84

46

Dans son Hommage à la Catalogne, Orwell use d’une sorte d’antilyrisme comme procédé. Il

ne s’agit pas pour lui d’exalter les actes des révolutionnaires ou de présenter en un tourbillon

de formules plus ou moins poétiques l’héroïsme et l’abnégation de combattants mus par

l’espoir mais de rendre compte de l’expérience de la piétaille, de ceux qu’on ne voit jamais, à

ras du prosaïsme quotidien, de là l’insistance sur les odeurs de la guerre (pissat, avoine

pourrie, excréments, denrées avariées, puanteur abominable, boue nauséabonde) comme si ce

composé devait susciter une sorte d’écœurement donc de distance.

Suivent, les désagréments multiples d’une vie répétitive, les poux, la coexistence avec les rats,

la boue grasse dans laquelle on s’enfonce, la recherche de brindilles pour le feu, les meubles

brisés, les maisons dévastées et la blessure qui le contraint à l’évacuation. Les protagonistes

de ce conflit sont dévalorisés, du côté républicain, une armée d’enfants et d’adolescents, du

côté franquiste de pauvres bougres aux baraquements miséreux et grignotant un quignon de

pain.

85

La guerre attirerait systématiquement la racaille, ce qui est le retournement d’un lieu commun

à propos des révolutions comme mises en scène des plus vils malfaiteurs, des comédiens de

foire applaudis par des hordes d’hommes féroces et de femmes éhontées, un vaste bordel de

sperme et de sang, un carnaval hideux. Pourtant, Georges Orwell admet qu’il ne peut réfréner

« le sentiment pernicieux dont il est si difficile de se défaire, que la guerre, en dépit de tout,

est bien chose glorieuse ».

Toutefois l’essentiel, à ses yeux, n’est pas dans cette expérience dégrisée de combattant au

coude à coude avec le mono azul, l’uniforme des miliciens. L’écrivain l’affirme, le centre de

gravité de son témoignage tient dans ces journées de Barcelone où s’affrontèrent miliciens du

POUM et de la CNT, d’un côté, l’ensemble des forces de l’ordre gouvernementales, milices

de l’UGT et du PSUC, de l’autre. Comme il l’énonce « c’était peut être de l’histoire mais on

n’en avait pas l’impression ».

La fin de la Révolution, car il s’agit de cela, se manifeste, en premier lieu par des signes. La

présence dans Barcelone d’officiers de l’armée populaire en uniforme de parade et l’arme au

ceinturon, l’indifférence d’une population autrefois enthousiaste envers le déroulement d’une

guerre qui semble ne plus lui importer, le retour des différences de classe en général c'est-à-

dire des signes distinctifs d’une certaine hiérarchie sociale.

86

A ce stade Orwell est aveugle à plusieurs « conquêtes révolutionnaires » telles que le système

collectif de transports, ou d’éducation, la quasi-éradication de toute emprise catholique dans

la capitale catalane, enfin le rationnement qui touche de plein fouet la zone républicaine où

vivent plus des 2/3 des espagnols.

Les journées d’affrontement se soldent par un amoncellement de barricades, des tirs isolés, le

vacarme des explosions sans qu’on puisse discerner une mobilisation totale dans chaque

camp. Mais la signification de ces journées est claire : elle marque la fin de la liberté

d’expression au sein du camp républicain. Comme il le constate tristement, « il ne vous était

plus possible, comme auparavant, de différer à l’amiable et de n’en pas moins aller ensuite

boire un coup avec quelqu’un qui était censément votre adversaire du point de vue politique ».

Aussi la peur est un affect qui gagne les combattants antifascistes allemands et italiens, les

prisons s’emplissent, un régime de suspicion et de délation se met en place, les arrestations,

les mises au secret se multiplient, le POUM est dissous, Andres Nin, son dirigeant, liquidé,

Orwell évoque, « l’atmosphère de cauchemar de cette époque » et ce « sentiment abominable

qu’on allait peut-être être dénoncé à la police secrète par quelqu’un, jusqu’alors votre ami ».

87

Les grands gagnants de cet affrontement sont dès lors les communistes, via les brigades

internationales qu’ils contrôlent et les services de sécurité sur lesquels ils ont la haute main.

Orwell néglige dans son intrigue ce fait massif : à partir d’octobre 1936, l’URSS est la seule

puissance qui s’engage auprès de l’Espagne républicaine de manière franche et massive. Elle

envoie deux mille conseillers soviétiques sur place, alimente en matériel de guerre le

gouvernement de Valence, met sur pied, la colonne vertébrale de l’armée populaire

républicaine, le Cinquième Régiment qui compte près de 70 mille hommes en avril 1937,

échafaude, via les organisations du PCF, dans le seul hexagone, 50 bureaux de recrutement

pour les Brigades Internationales, crée en avril 1937 la compagnie France-Navigation, confiée

à Giulio Ceretti et à Georges Gosnet, afin d’alimenter en matériaux de guerre français, et ce

de manière clandestine, le camp républicain.

Dès lors, la surprise n’est pas tant que les communistes aient exigé le contrôle de la stratégie

républicaine, gagner la guerre avant de procéder à des réformes structurelles, mais le fait que

le tournant ne se soit opéré qu’aux alentours de l’été 1937, au moment même où l’URSS était

secouée par les grandes purges qui virent une quasi-dislocation du PC d’URSS.

88

De fait, Orwell ne met jamais en lumière ce trait de la guerre civile espagnole qui tient à la

fonction des communistes, comme gestionnaires d’une guerre où la mobilisation des soldats

nécessite celle de l’arrière y compris dans sa dimension policière, où les manœuvres du

théâtre d’opérations trouvent leur pendant dans les opérations secrètes des services de sécurité

jusqu’aux confins des lignes ennemies, où le rationnement et la logistique sont aussi

importants que l’ardeur des soldats dans les tranchées, première manifestation d’une guerre

industrielle que refusaient les milices espagnoles aux premiers jours de la Révolution .

Lorsque Orwell affirme qu’il « est impossible que personne ait pu passer plus de quelques

semaines en Espagne sans être désillusionné » il est plus que certain qu’il ne voit pas que la

mystique du socialisme, comme il nomme l’idée d’égalité, ressemble plus dans cette forme de

guerre industrielle à la mystique fasciste du Ernst Jünger du Die Arbeiter qu’à l’illusion

lyrique d’hommes se délivrant d’un geste d’une oppression pluriséculaire .

A ces angles morts et distorsions s’ajoute, une certaine cécité envers le processus

révolutionnaire dans ses dimensions sociale et religieuse. En effet, Orwell signale la vétusté

des instruments agraires dont se servent les paysans aragonais et c’est bien une des seules

occurrences d’une mention des structures matérielles de ce pays, à l’exception d’un champ de

pommes de terre abandonné par ses exploitants.

89

D’un autre côté, l’écrivain note la rareté des inscriptions religieuses sur les tombes d’un

cimetière près du front. Cela aurait dû l’alerter sur la véritable ferveur iconoclaste et

profanatrice qui enflamma la Catalogne et l’Aragon aux premiers jours de la Révolution. A

Barcelone, à l’exception de trois églises, toutes sont pillées et saccagées, les cercueils de la

sagrada familia et des religieuses de la Visitation ouverts afin d’annoncer le règne de l’égalité

devant la mort. A Lerida où passa Orwell, ce sont 85 religieux qui sont fusillés entre juillet et

août 1936, à Barbastro (Aragon) que traverse Orwell, 123 des 140 membres du clergé de la

paroisse sont exécutés dont l’évêque assassiné selon un rituel particulièrement cruel qui

démarre par une castration, se poursuit par des insultes et s’achève au cimetière où le prélat

agonisa une heure durant.

Au total, durant le seul été 1936, ce sont deux mille membres du Clergé qui seront assassinés

dans la seule Catalogne sur 6800 victimes au total dans toute l’Espagne. On voit donc que

cette explosion fut à la fois brutale, soudaine et réduite dans le temps, elle marque moins une

volonté de sécularisation qu’une forme messianique de rupture qui vient rompre

l’ordonnancement de l’ensemble des rites religieux. Or ce geste est inséparable du nouvel

ordre social mis en place par les anarchistes, ordre où s’agencent la collectivisation des terres,

des industries et des services.

90

Il est possible qu’Orwell ait été victime d’un contre-sens auprès de ses contemporains. En

effet, là où il suggère que l’expérience révolutionnaire est fugitive et doit absolument

s’éduquer si elle veut être autre chose qu’un feu provisoire bientôt défait dans les cendres

d’une dictature implacable, les contemporains antifascistes perçoivent surtout l’usage que fera

de son ouvrage la cinquième colonne tapie dans tous les pays démocratiques, présence

sournoise et propice aux soupçons qui rendit parfaitement crédible, auprès des cercles

antifascistes, l’existence de cette sorte de Bête fabuleuse fabriquée par les procès de Moscou,

l’hitléro-trotskyste.

91

47

Il y aurait un lien entre l’OVRA, la police secrète au service du Duce, le SIM du général

Roatta, barbouzes à médaillons fidèles à la dynastie des Savoie et l’Abwehr de Canaris,

chaîne dans laquelle se situe la Cagoule. En 1944 la liquidation de Deloncle par les balles de

la Gestapo dénoue le lien et sa nature, 20 juillet 1944 ? Exécution de Ciano ? Pendaison de

Mussolini ?

On peut emprunter le chemin des mœurs particulières comme les appelait Roger Peyrefitte.

On découvre alors que Deloncle était un homosexuel discret donnant sa femme en gages au

beau Jacques Corrèze. Aussi le Guide suprême de la Cagoule se révèle aimanté par le neveu

de l’Inspecteur Bonny, clef de voûte de la Gestapo française, un certain Jean-Damien Lascaux

qui sert d’appât pour le compte de Daniel Fernet alias « Duval ».

Si les Croix de feu ont droit au sobriquet de froides queues, on découvre sur le revers du

CSAR des tatas hautes en couleur et romanesques.

92

Du côté des couleurs, Jean Fontenoy, membre du MSR de Deloncle en 1941, opiomane,

alcoolique, très en jambes avec les allemands portés sur l’amour grec revus par Arno Breker,

bretteur émérite, aimant les coups de feu et la bagarre prêt à périr éventré sur une baïonnette

soviétique.

Du côté du larmoyant, François Sentein qui fit libérer Jean Genet du camp des Tourelles le 14

mars 1944 avant d’être remercié devant le comité d’épuration par l’orphelin incandescent qui

le chargea de plus belle avant d’écrire Pompes funèbres. On ne sait s’il lui lança son

apostrophe célèbre, « assieds toi sur ma bite et causons » mais ce qui est certain, c’est que le

beau Jean n’hésita pas à charger la mule pour sauver ses miches.

On dira c’est humain, on n’en aura pas moins oublié que Genet a toujours manqué à la simple

morale pour se camoufler derrière le tutu en béton de la création comme si celle-ci écrasait la

première, comme si elle relevait du même ordre. La saloperie du quotidien reste toujours la

saloperie même pour celui qui transfigure la vie dans ces fragments d’éternité que sont les

œuvres.

93

Celui qui prétend qu’une œuvre se mesure à l’aune de la morale usuelle est un benêt, celui qui

voudrait sacrifier le souci d’autrui à l’œuvre est inconséquent.

Dans les deux cas, on est incapable de voir en quoi ces ordres sont comme l’ombre portée du

spirituel et du profane, ce qui fait que l’homme est homme et non un fétu emporté dans les

vespasiennes du Temps.

Pour revenir à nos cagoulards, doit-on croiser la série tatas énigmatiques, l’Europe gay-cuir et

battle-dress avec une Europe des services secrets et des barbouzes écumant le continent de

règlements de comptes en trafics d’alcôves ?

94

48

Au tournant des années 1930, Bataille rejoint la Critique Sociale de Souvarine avec Jean Piel,

Leiris, Queneau, Jean Bernier, et Colette Peignot (sous le pseudo de Claude Araxe) qui

finançait la revue. Celle-ci liée au Cercle Communiste Démocratique attire Simone Weil qui

perçoit tout de suite le conflit central entre la ligne Souvarine et la ligne Bataille, lignes qui

passent par la conquête d’une femme qui en sortira ravagée, Colette Peignot.

Bataille entend conserver le feu de l’insurrection qu’il conçoit comme l’état permanent d’une

République et la résultante d’un état immoral de l’homme assurant, par la honte qu’il ne

manque pas d’inspirer, un mouvement perpétuel. Une telle approche de la Révolution

rencontrait l’orbe du fascisme car la pensée de Bataille était contre, tout contre le fascisme.

Simone Weil, sous le choc de l’accession d’Hitler au pouvoir dont elle est une des seules à

percevoir les conséquences, note « il est inutile et déshonorant de fermer les yeux. Pour la

deuxième fois en moins de 20 ans, le prolétariat le mieux organisé, le plus puissant, le plus

avancé du monde, celui d’Allemagne, a capitulé sans résistance. La portée de cet

effondrement dépassé de beaucoup la limite des frontières allemandes ».

95

Bataille bricole sa théorie du fascisme. Il va chercher chez Durkheim une conception du sacré

où le sain et le souillé se mêlent, sauvant le prolétariat pour conclure que le fascisme n’est pas

révolutionnaire car il se veut intégrateur d’une seule face du sacré, la plus noble.

Que le nazisme soit la tentative conjointe de produire un homme épuré et un homme-déchet,

sans doute Bataille l’a compris, mais plus tard, trop tard, d’où son repli sur l’expérience

intérieure. Dès l’automne 1935, André Masson lui écrivait « je crois que se réclamer si peu

que ce soit du marxisme est une erreur, c’est se réclamer d’un échec […] je suis sûr que tout

ce qui reposera sur le marxisme sera sordide parce que cette doctrine repose sur une idée

fausse de l’homme »

96

49

Jean Filliol fut arrêté par la police à deux reprises, la première après le meurtre des Rosselli, la

seconde parce qu’il perdait des cartouches d’un véhicule. Dans les deux cas, il fut relâché.

Le fion tout encrassé, occlusion intestinale tassée, une poire de lavement entre les cuisses, le

tueur avançait, il ne parlait pas, aphasique, il grognait, les paroles se muaient en un boyau

épais de merde, cela lui labourait le ventre à chaque embardée d’acier dans le corps affaissé et

saignant, c’est l’étron à la fenêtre que Filliol avait repris l’arme de son père brisée pour la

planter dans le squame putrescent des ennemis de Dieu, qui n’étaient que les victimes d’un

sacrifice. Celui qui vient, quand tous les chats sont gris.

Car Jean Filliol était de ceux qui voulaient les juifs clignotants et les autres, un trait sans

équivoque à la pointe de l’iris, un trait qui désigne, il voulait du référent à sa haine fécale qu’il

prenait pour une sentence divine.

La vérité des gestes de Filliol est dans l’écart.

97

Il tue sans commettre d’homicide, ce qui le tient dans l’exception à la règle juridique, mais

aussi sans célébrer de sacrifice, ce qui le maintient hors du sacré. Il appartient lui, sa merde

occluse et ses victimes à la sphère souveraine de la violence fondatrice en attente d’un ordre à

venir, celui des camps.

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50

Après le coup d’Etat manqué de novembre 1937, Filliol comme Jeantet et les Marton sont

hébergés à San Remo.

Filliol a une femme Alice/Françoise.

Il la suspend du haut d’une loggia chaque soir, par les pieds, par rage et plaisir, pour lui sentir

le moite du front, pour dériver la sueur, pour s’éventer en tout puissant, en ordonnateur de vie.

Il la tient trois mètres au dessus du sol, il gueule qu’il la lâchera, on le supplie, il jouit des

suppliques.

Il se vante d’avoir éviscéré un juif pour lui dérober sa carte d’identité, gratuitement il va sans

dire. Filliol n’est pas Shylock, puis Jean rejoint San Sebastian où il alimente les brigades

carlistes, orphelines du prétendant.

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51

Filliol est déclaré à la mairie de Bergerac sous les auspices d’un policier. C’est le fils d’un

sergent qui travaille à la caserne de Bergerac. Études médiocres, il déménage à Angoulême,

même lycée que Claude Roy ou François Mitterrand, lugubre.

Claude Roy dans ses mémoires décrit ainsi son Thélème, « j’ai rarement rencontré plus

grande densité de demi-déments, de maniaques, de névrosés, que dans le périmètre du lycée

d’Angoulême, pendant mes six années de réclusion ».

Suivent les portraits de professeurs, une folle sadique aux joues fardées, un ivrogne porté sur

les confidences gastriques et conjugales, « succession surprenante de maniaques, de

tortionnaires tordus, et de guignols en chaire ».

Puis Filliol devient papetier et monte à Paris, il eut deux enfants. Selon Coignard et Guichard,

il est employé aux messageries Hachette.

100

Après chaque meurtre, il prierait « Seigneur, faudra t-il qu’on les égorge tous ? », encore le

mythe, la rondelle catholique, le Moïse du pauvre et des brebis égarés, la grande faucheuse

toutefois, car de Moïse il faut effacer le nom à l’ombre de la Croix, il faut effacer jusqu’aux

cornes énigmatiques qui le symbolisent hors de la série des démons.

101

52

Comme tous les voyageurs de commerce, Filliol aime la compagnie de certaines femmes.

Il les arrache de bordels en bordels, du mascara et du rimmel sur les chemises, du rouge à

lèvres à la pointe du gland, du sperme coagulé dans des cavités sacrées qu’il devait prier le

rectum encombré, l’aspirine solide, les bourses pleines.

Comme tous les violents c’était à ses heures perdues, une loque pantelante, un pauvre

nounours minable quémandant sa ration de pansements à Bobonne.

Dans sa chambre de San Sebastian où s’active Alice/Françoise, entre deux tournées de coups

de poing et de coups de pieds, on trouve du bicarbonate, du sulfate de soude, de la quinine, de

la clamine, de l’idiotine, tous produits estampillés Bayer, IG Farben donc.

Suivent les formes, cachets, comprimés, compresses, bouteilles d’eau chaude et différents

modes d’administration bien répertoriés, flacons, fioles, sachets, seringues, ampoules.

102

L’homme qui veut bouffer un youpin à chaque déjeuner est une pharmacie ambulante

accompagnée de son infirmière, l’Ogre est un petit enfant sanguinaire qu’on appelle le beau

Fifi.

103

53

Le nom espagnol des conjurés de la Cagoule, los encapuchados rend compte du caractère de

l’entreprise entre Zorro et un épisode de Cantinflas.

104

54

Le rapport Chavin, du nom du préfet commis à la Sûreté générale par Darlan, aurait été

rédigée par un dénommé Husson qui sous le pseudo de Geoffroy de Charnay relance le mythe

de la Synarchie dans l’après-guerre. Aussi Le mythe tient la synarchie pour la fondatrice de la

Cagoule.

105

55

Assassinée par les cagoulards en mai 1937, Laetitia Toureaux était italienne et se faisait

appeler Yolande. Elle devait travailler à arracher des maxillaires son accent, elle trimait à

l’usine le jour, fréquentait les bals musette le soir et oeuvrait pour l’agence de détectives

Rouff.

Elle voulait le dehors des néons prolétaires, pas le flon-flon et musette mais la piste de la vie à

tout prix, la grande valse et les bas de chair.

Gabriel Jeantet fut son amant, cela suffit à la peindre en donneuse, cela suffit pour la Cagoule,

à moins qu’on ne l’ait dénoncée. Gabriel a dû approuver, baisser la tête, regarder ses

chaussures et, entre deux poignées de main gantées avec svastika, il lui ait sorti des lèvres, la

formule, je dirai le formulaire d’exécution.

Filliol se chargea de la besogne avec célérité.

106

C’est comme danseuse qu’elle connut les officiers d’extrême droite que charmait la jeune

italienne ouvrière délicate, un peu ramasseuse d’hommes et croqueuses de mitaines et

portefeuilles, cocotte au temps où les Odette de Crécy allaient rencontrer l’Histoire,

d’archives et de balles perdues. Elle fut la première des âmes vives sur l’almanach.

C’est comme fait divers qu’elle finit dans un wagon de cette ligne que j’emprunte au

quotidien, coincé dans les boucles d’une Marne qui charrie ses rêves de calicots. Pour

paraphraser Eluard, on pourrait écrire comme épitaphe :

Yolande rêvait de bains de lait

De belles robes d’uniforme frais

De belles tentures de calicots impurs

Un jour il n’y aura plus de cette misère

Dans les jardins de la jeunesse

Yolande a rêvé de défaire

Fut défaite

Par l’affreux nœud coulant des rêves de richesse

107

56

Selon les carnets d’Alexandre Corre, dit Dagorre, Filliol aurait proposé, en guise de

provocation, la liquidation du staff de l’Action Française (Maurras, Pujo, Daudet) et ce afin

d’interdire le PCF, accusé parfait, porteur comme on dit en Bourse.

Thibault, un camelot du 17ème que ce genre d’esprit plaçait en génuflexion éternelle fut

menacé deux fois, donc on le fit taire, « tu n’ as rien vu, rien entendu ou tu mourras, tu es

notre chose, la terreur dans tes yeux, n’oublie pas ce voile là ».

Les obsessions de Dagorre : la baisse du franc et des rentes, l’amoralité, la racaille rouge, le

débarquement des « sidis », le complot judéo-bolchévique emmené par l’employé de

l’ambassade soviétique Souritz.

Il partage ses phobies avec les rentiers, les épargnants, les retraités spoliés par la politique

désastreuse du Front Populaire qui provoque une dévaluation monétaire de 37 %, une

thésaurisation panique de l’or, une accélération de l’inflation, un alourdissement des charges

sociales pesant sur des PME exsangues.

108

Daniel Guérin écrivit, « de toute évidence, si le Front Populaire persévérait dans cette voie, il

finirait par dresser contre lui, avant longtemps, la plus grande partie de la petite bourgeoisie ;

il fournirait lui-même au fascisme, jusqu’alors impopulaire, une base populaire »

109

57

Le style des coups de fil cagoulards rappelle le Cocteau du testament d’Orphée : « Va au 11,

Minerve te dira le lieu et le cuisinier, l’heure », le style des énoncés, la rhétorique Alexandre

Dumas « les 90 juifs du gouvernement à la solde de Moscou ».

Le serment de la Cagoule : « Je jure fidélité et obéissance. Toute contravention à la règle

entraîne la peine de mort ». L’adhérent est appelé l’abonné, il prête serment, le bras tendu.

Qu’un abonné puisse être condamné à mort est d’une bouffonnerie qui échappe apparemment

au sens du ridicule du staff cagoulard. Fidélité et obéissance renvoient à la première des

vertus chrétiennes, contravention emprunte au vocabulaire juridique, règle sort du domaine

monastique, peine de mort, de la sentence qui suit la désertion ou la trahison, la Cagoule

annonce donc ce qu’elle est une instance de souveraineté qui entend restaurer un ordre

chrétien.

Le code de la Cagoule userait de trois ouvrages : Les mémoires de Raymond Poincaré,

L’Histoire de France de Bainville et Reading in money and banking de Chester Arthur

Philipps. Le 1er chiffre indique la page de l’ouvrage, le 2ème la ligne où se reporter, le 3ème

la position de la lettre dans la ligne. De plus, les ingénieurs de l’organisation y ajoutent le goût

des schémas et des plans.

110

A la villa « La futaie » à Rueil-Malmaison, une prison est construite afin d’y interner avant

jugement les ennemis du peuple, où l’on voit que les brigades rouges ont trouvé dans les

vieilles recettes de la Cagoule une partie de leur répertoire. La question reste, qui leur a

transmis un tel répertoire ?

111

58

Trois hommes assurent le contact de la Cagoule avec les autorités de l’Italie fasciste : Le

général Roatta du SIM, Emmanuele Santo, l’homme du contre-espionnage et le chef de

cabinet du comte Ciano, Filippo Anfuso. En outre, les italiens avaient des relais à Marseille,

Perpignan, Saint Jean de Luz.

112

59

Arrêté par la Sureté, Jean Filliol ne fut pas cuisiné comme l’étaient les truands, menottes sur

le radiateur et tabassage en règle jusqu’à ce que l’évanouissement s’en suive. Voici le genre

d’interrogatoire mené par le commissaire Belin « pourquoi avez-vous arrangé un alibi avec

MB (son dentiste) ? », puis face au mutisme de Fifi, il tente de le mener en bateau d’une

manière aigre-douce (« MB est à coté, vous trompiez votre femme, n’est-ce pas ? »). Dès lors,

les policiers le laissent une demi-heure seul dans la pièce, enfin ils lui parlent d’un accident

avec deux victimes et s’empressent de le libérer.

Filliol au moment des arrestations est déprimé, seule Pierrette l’a planqué et Orain l’a conduit

sous la neige et la pluie hors de Paris malgré les barrages si bien qu’il ne trouve dans les rangs

de la Cagoule qu’un ramassis de dégonflés craignant la police.

Filliol prétend avoir besoin de femmes, il dira « ma femme ne m’intéresse que lorsque j’en ai

connu d’autres, je suis comme ça » qui sonne chanson de marin ou de bistrot. Il se prétend

atteint de bougeotte mais s’attache à Eugène qu’il adule, à Alice/Françoise qui le soigne, à la

famille qui l’a couvé.

113

Proche de l’occlusion intestinale, Filliol subit, de la part de Françoise/Alice des lavements,

fantasme de sodomie, entrepôt gastrique, grande bouffe ?

A la frontière espagnole, sur le chemin de l’exil, Jean Filliol porte la mère de Corre sur son

dos et cueille des fleurs de France à la frontière, il a la tripe sentimentale le genre à rouler sa

bosse des cailloux dans les poches, larmes aux yeux et le nom de maman à la bouche, comme

susurré.

114

60

Maurice Juif (assassiné à la mi-décembre 1936, son corps est découvert le 8 février 1937 à

Corrialo en Italie) et Léon Jean-Baptiste (assassiné le 26 octobre 1936, sa valise est

découverte à Bruxelles) sont des trafiquants d’armes qui opéraient pour le compte de la

Cagoule en Belgique. Devant des soupçons d’escroquerie, un émissaire du CSAR débarque et

enquête. Juif et Jean-Baptiste achetaient leurs armes à Froment, ami de Degrelle, chef des

rexistes d’Anvers et administrateur de la société ARMAT (24 place Meir). Les deux hommes

liquidés, Gabriel Jeantet reprit les contacts avec Froment.

115

61

Les départs de l’Action Française commencent en janvier 1930 par l’exclusion des dirigeants

parisiens dont Henri Martin. Jean de Fabrègues est de la fournée. La rupture s’opère sur la

question corporative, qui est celle de l’action sociale, donc de l’action tout court. D’autre part,

au sein du salon de la comtesse de Castellane, Mussolini passe pour un rempart de la

monarchie alors que Maurras entretient une correspondance mielleuse avec Poincaré,

poursuivant la chimère bleue horizon de l’Union sacrée d’août 1914 voire l’espoir d’un ordre

français s’imposant à l’Europe via la vassalisation de la Ruhr.

Les départs de 1930 sont le premier symptôme de la désaffection des composantes de la droite

française envers le magistère maurrassien qui s’impose entre 1913 et 1926. En effet, la

condamnation pontificale de 1926 a paru, dans un premier temps, renforcer la solidarité

envers les membres d’un mouvement catholique auxquels certains prêtres allèrent jusqu’à

refuser les sacrements.

116

Toutefois, l’indignation passée, le ravage d’une telle condamnation apparaît nettement

puisque l’Action Française perd, à la fois, une partie du public catholique gagné aux thèses de

la démocratie chrétienne et la jeunesse intellectuelle qui entend se trouver de nouveaux pères

tutélaires (Bernanos en fut un) ou une école d’énergie flirtant peu ou prou avec le fascisme.

Aussi, en avril 1937, Maurras enjoint Maulnier de rompre avec la Cagoule évoquant des

«liens désastreux ». Mais, les anciens de l’Action Française passaient pour des intellectuels,

des entités trop raffinées, trop subtiles, en un mot des efféminés vieillissants, de vieilles

rombières, des pouffiasses pontifiantes, à éliminer.

Sur les murs de Paris selon Claude Roy on voyait sur une affiche, un pochard, avec comme

slogan « Un pernod pour Arthur ». Maulnier selon Cl. Roy « grand dadais myope et timide

qui couvrait à la Coupole des pages et des pages… » ; J-P Maxence « un fol hérissé de

cheveux pointus en perruque de clown 1900, dents gâtées et débit fébrile », des diaphanes, des

timides prêts à l’insurrection.

117

62

Dès décembre 1936, une campagne s’ouvre à droite contre le colonel de la Rocque (sur fonds

d’aide au PPF et à la Cagoule). C’est la défaite législative de Doriot à Saint-Denis en juin

1937 qui marque la régression du plus célèbre des communistes passé à l’ennemi. Wendel de

son comptoir sidérurgique, dès la fin du mois de juin 1937, annonce au leader du PPF la fin

du soutien financier du Comité des Forges.

118

63

Les deux frères La Roque travaillaient pour le prétendant et Alibert fut le professeur du comte

de Paris qui comptait sur les Ligues, la complicité de l’armée et la sympathie des classes

moyennes pour s’emparer du pouvoir. On attend disait-il « de jeunes âmes ardentes, des corps

sains, une parole facile, la discipline personnelle d’un militaire, l’attitude devant la vie d’un

chef, d’un organisateur, de quelqu’un qui manie de l’humain ». Convaincu de l’inertie du

vieux Charles, entre le 22 novembre et le 3 décembre 1937, le Prince rompt avec l’Action

Française.

Jean de Fabrègues comme Thierry Maulnier ont collaboré au Courrier Royal, de plus le comte

de Paris a entretenu des relations avec Lemaigre-Dubreuil et le général Lavigne-Delville

(chroniqueur militaire de l’Action Française), il n’est pas impossible que l’entreprise

cagoularde lui ait été rapportée et qu’il a pensé s’en servir afin d’accéder au trône.

119

64

E. Deloncle eut droit à deux perquisitions : la première au 2 avenue Rodin (XVIème) le 16

septembre 1937 alors que Badin est commissaire principal ; l’autre le 20 novembre du fait du

commissaire Emile Jobard. Bien sûr à lire le nom du tandem, Badin/Jobard on se dit que du

côté de la Sûreté, l’heure était à la franche rigolade.

La majorité des archives de la Cagoule étaient au 78 rue de Provence. Elle semblent depuis

s’être volatilisées.

Une partie des fonds de l’enquête judiciaire a disparu sur une péniche évacuée en direction du

Tarn et Garonne avant l’arrivée des allemands, cela se passait durant la débâcle mais des

fonctionnaires furent assez consciencieux pour amasser les cartons bien tassés dans une cale

de navire filant doux vers Montauban.

120

65

Les organisations satellites de la Cagoule sont les suivantes : à Clermont-Ferrand (Les enfants

d’Auvergne), à Lille (Le nord patriotique), à Lyon (le lyonnais réveillé), à Nice (les chevaliers

du glaive), à Nancy (le cercle bleu blanc rouge).

Le fils Michelin est tué lors d’un accident de voiture en 1937

121

66

Dans l’atmosphère saturée de sperme de la drôle de guerre, Hélène de Portes, maîtresse de

Reynaud mène la danse gouvernementale. Le propre beau-frère de la Dame, va t-en guerre en

septembre 1938, l’a désormais convertie à l’apaisement informe des intrigues du jour à son

corps pas très défendant et via un agent nazi, Otto Abetz. C’est elle qui pousse Baudouin au

secrétariat général du gouvernement, c’est elle qui téléphone, réquisitionne et foudroie.

Dans l’histoire des genres telle qu’elle s’énonce aujourd’hui de tels épisodes sont comme

évités, perdus, on ne sait où les mettre, que vient faire cette Diane en kit et son Henri II de

boulevard sinon rappeler qu’en République ne s’épuisent jamais dans la lueur des boudoirs

que des catins fortunées toujours à la recherche d’un rôle.

122

67

La liaison entre Unity Mitford et A. Hitler ne figure pas dans les livres d’Histoire. On la dit

platonique et intéressée. Un historien britannique prétend qu’Hitler conserva Unity auprès de

lui afin de propager des rumeurs dans les élites britanniques.

Pourtant lorsque cette dernière se tira une balle dans la tête, lors de la déclaration de guerre en

septembre 1939, le Führer vint non seulement à son chevet à plusieurs reprises mais lui permit

de quitter le pays.

Albert Speer plus perspicace remarqua tout de suite que l’adulation de la jeune anglaise pour

ce bavarois d’adoption lui plaisait, que le petit caporal aimait les deux yeux écarquillés et

cette bonne humeur espiègle où il pouvait discerner le parfum d’amour qui montait du pays et

plus largement des cavités utérines de la race aryenne disséminée.

Unity rendit folle ses parents et toute l’Angleterre quand elle envoya à l’organe du

pornographe Julius Streicher, Der Stürmer, sa lettre où elle voulait annoncer au monde entier

qu’elle haïssait les juifs et ce au moment où Mosley opérait son tournant antisémite et se

mariait dans le plus grand secret à Berlin.

123

Car entre temps, Diana était devenue, non seulement, une intime d’Hitler avec lequel elle

passait seule à seul, de longues soirées, mais aussi avec Magda Goebbels, divorcée du

millionnaire Quandt, et triste épouse d’un homme dont elle ne pouvait se séparer sur ordre

d’Hitler.

Lors des Jeux Olympiques, Diana fut de toutes les fêtes, elle dîna dans un bivouac SS,

contempla Goering en justaucorps jaune safran, fut de la party de clôture de Goebbels avec

ses deux mille invités. Le nazisme ressemblait vu du prisme des deux sœurs à un happening

coloré où de beaux garçons sains de corps et d’esprit gambadaient tenus en laisse par une

noblesse d’excentriques et de non-conformistes.

124

68

En 1940, sort le Juif Süss de Veit Harlan, une adaptation-trahison de l’ouvrage de Lion

Feuchtwanger. Le film voulait démontrer par une succession de fondus-enchaînés intensifs la

nocivité intemporelle du juif. François Vinneuil, alias Lucien Rebatet, dans Je Suis Partout y

vit une « œuvre d’une portée vaste et sérieuse », il voulait dire un prélude au règlement

définitif du problème juif et du problème français, le fondement esthétique d’une refondation

de la communauté des hommes, de la communauté raciale. Feuchtwanger avait tracé le destin

de Joseph Süss Oppenheimer, juif de cour du XVIIIème siècle selon une optique opposée, le

juif était la victime expiatoire éternelle, la victime avec un grand V, l’agneau du monde.

Les destins de ces deux hommes se croisent donc. Dans les années 1920, Lion Feuchtwanger

est un auteur à succès et qui, malgré les exils en France et aux Etats-Unis, le restera toute sa

vie. Veit Harlan débute comme acteur aux côtés d’Alexandre Moissi et sous la direction de

Max Reinhardt. Il est alors l’ami du comédien communiste Hans Otto que les SA

défénestreront un jour de novembre 1933. Sa première femme est juive, visiblement rien ne le

destine à devenir le cinéaste le plus populaire du Troisième Reich

125

Le nazisme transforme le destin des deux hommes, l’un devient un idiot utile de la

propagande communiste, le second le jouet de Goebbels et de sa future femme, Kristina

Söderbaum. Quelque bourgeoise qu'ait été l’existence de Feuchtwanger durant les années

1930, il n’en joue pas moins un rôle essentiel dans les rouages de la propagande antifasciste

que mettent en scène le Kremlin et le talentueux Willy Münzenberg. Il occupe la direction

avec Brecht de Das Wort et participe au Congrès pour la Défense de la Culture. Lorsque

l’Emergency Rescue Committee donnera pour mission à Varian Fry de sauver les artistes

exilés en France, il figure en bonne place sur une liste de 200 noms. Aussi, après un passage

dans le camp des Milles, où, à 55 ans, il est astreint à effectuer des travaux à la fois pénibles et

inutiles, il gagne les Etats-Unis à bord du Nea Hellas qui débarque son lot de réfugiés

célèbres le 13 octobre 1940.

Après quelques essais concluants, Goebbels commande à Veit Harlan, dès 1939, un film qui

s’inscrit dans la propagande antisémite du régime consécutive à la Nuit de Cristal. Le Juif

Süss n’est donc qu’un des quatre opus chargé d’expliquer à la communauté du peuple, comme

on dit en langage nazi, la ligne du régime en matière de judéophobie. Entre novembre 1939 et

mars 1940, le scénario est ficelé avec l’aide de deux co-scénaristes. Lors du tournage, tous les

plans sont supervisés par Goebbels qui apporte donc sa touche d’artiste raté. Bien entendu, la

réalité historique est travestie.

126

Ainsi dans le film, Joseph Süss viole Dorothéa, la fille du président de la Diète du

Wurtemberg alors que dans la véritable histoire, c’est le grand-duc qui la pousse au suicide

par ses avances répétées. De même, dans le film, Süss est condamné pour commerce charnel,

dans la réalité pour crime contre l’Etat, en fait contre les grands féodaux qui ne lui pardonnent

pas ses tentatives de rationalisation de l’administration des hommes et des choses.

Ce film, au succès considérable, compte 607 plans. Trois juifs orchestrent le complot, Süss,

son secrétaire Lévy et le rabbin. Les 3 évitent la caméra, tous sont mats de peau et le cheveu

frisé ou ondulé. A ses trois personnages s’opposent Sturm, Roeder et Faber, les bons aryens.

Au chapitre de l’antisémitisme expliqué aux allemands de 1940 et à tous les peuples de

l’Europe occupée ensuite, les groupes de juifs sont composés d’hommes, le plus souvent

vieux, ils accaparent donc à leur profit les filles nubiles et jettent, à la manière de Süss, leur

dévolu sur les femmes des gentils qu’ils corrompent (les courtisanes), séduisent (la duchesse)

ou violent (Dorothéa).

127

Le juif constitue donc par son existence un péril à la fois sexuel et racial car les femmes

aryennes, de part leur faiblesse de caractère, sont incapables de leur résister, c'est là le point

faible du dispositif aryen, retour à Pandora. Quant à la seule juive qui apparaît dans le film, le

corsage débraillé, elle côtoie un vieillard (les juifs sont aussi incestueux) et suce un objet non-

identifié (les juives sont lubriques), ce qui explique le goût des juifs pour les aryennes et celui

des aryens pour de telles cochonnes.

Quant au procédé filmique, l’usage répété des fondus enchaînés illustre la capacité de

métamorphose qui est celle du juif, car le juif n’a aucune substance, c’est une anti-race. Aussi

Harlan multiplie les métaphores et les transitions. On voit donc les papillotes et le caftan de

Süss disparaître au profit d’un accoutrement des plus raffiné (le Juif c’est Houdini), l’or qu’il

possède se transformer en ballerines destinées à ruiner le prince via des dépenses somptuaires

(le juif est maître de l’usure et des désirs), son sabir de ghetto se transmuer en un usage raffiné

du français (le Juif est cosmopolite) destiné à masquer ses appétits sexuels voraces par une

courtoisie qui n’est que feinte, car le véritable amour n’a pas besoin de parole, c’est une

question de race.

128

69

Dans cette masse grouillante de l’exode, le quart de la population civile française s’engouffre,

carrioles, voitures, camions, motos, tout est bon pour la cohue, les allemands y poussent, ils

traînent à l’aval de leur descente cette masse apeurée de pleureuses qui n’en finit pas de fuir,

tout se négocie, le vin, le pain, une grange où dormir, on siphonne la ville en maquignon, on

la saigne, on la vide, la France se découvre pour ce qu’elle est, une meute entourée de hyènes,

tandis que dans le ciel bleu d’acier les stukas pilonnent les colonnes en zig-zag des réfugiés.

Le frisson de la désagrégation est alors une trouée d’inconscient, la machinerie des corps mise

à nu dans l’espace déchirant de la vie qui tient dans le taffetas des tissus et des organes

ponctués de soubresauts.

C’était quoi Vichy ? Sinon le règne du Père de la Horde, une perversion intégrale des rites du

serment et de l’idée de Service, l’assomption des voyous de la Milice, avec un flux permanent

de jouissances inentravées.

D’abord Pétain, le vieillard libidineux qui montait dans les ascenseurs avec ses petites

secrétaires pour qu’elles lui astiquent le manche avec ardeur, le vainqueur de Verdun qui

envoyait les poilus à la mort en devisant sur un coin de table avec sa maîtresse du moment,

genre « en ce moment je pense à tes cuisses chaudes et à ta bouche fardée qui aspire mon

gland, l’offensive va commencer, j’aimerai bien perforer ton anse mais le devoir m’appelle ».

129

Cet homme qui exigeait le serment des fonctionnaires, ce vieux rite féodo-vassalique qui

comprend l’hommage, le baiser et la remise du fief. Le Maréchal avait bien sûr réduit le

serment à l’hommage, donc à une sorte de vœu monastique ordonné à une seule règle, suivre

en tout point le caprice de Philippe Pétain, nous Maréchal de France.

Idem pour l’idéologie du service indexée sur le Bien commun, sur la fonction protectrice de

l’Etat et que Vichy raccorde au culte des chefs, ce qui en détruit totalement l’efficace

puisqu’il n’y a plus de service que subordonné à la volonté et à la jouissance de tous les chefs

définis par Vichy.

En premier lieu les fonctionnaires d’autorité et les chefs d’entreprise.

Le naufrage de l’Eglise de France commence là, quand elle obtient pour son soutien à

l’entreprise la plus crapuleuse, la plus libidinale qu’ait connu ce pays, le sauvetage financier

de son réseau scolaire.

Une affiche résume Vichy, on y voit un Père, une Mère, un Enfant, on y lit dans un premier

temps l’exaltation de la famille. Quand on fouille on découvre que le père est homosexuel, la

mère, une lesbienne déclarée, l’enfant, un pauvre hère qu’on a sorti de l’orphelinat. Vichy dit

ce qu’il est du mauvais théâtre de Boulevard, un décor en trompe l’œil ce que Truffaut

appellera le cinéma qualité France.

130

Quant à la Milice, c’est encore le Jean Genet de Pompes funèbres qui en parle le mieux. Un

collecteur de vieilles tantes vengeresses, de jeunes hommes apeurés qui attendent qu’un beau

viking les encule en utilisant le ceinturon et le costard Waffen-SS rutilant, un masochisme

permanent qui éclate en de brusques embardées sadiques et dans une cupidité sans frein.

En face, les résistants, les antifascistes. Des types pas drôles qui croient à la morale, qui vont à

la mort presque sereinement ne sachant pas d’où viendront les balles et les tortures qui les

achèveront, des catholiques qui glissent au communisme parce qu’ils y voient la seule Eglise

encore debout, une alliance étrange entre ceux qui pissaient sur le drapeau et la Gueuse avant

guerre et ceux qui vivaient drapés dans une rigueur tempérée d’un humour un peu vache, les

voici les troupes de l’antifascisme, une virilité qui oscillait entre Humphrey Bogart et Albert

Camus.

Jouisseurs et gnostiques contre réfractaires et le reste, au milieu, comme d’habitude.

131

70

Dans une thèse publiée en 1938, Les délits contre la natalité, le juriste Xavier Tallet estimait à

500 mille le nombre d’avortements annuels dans la France de la IIIème République. Défini

par le code Napoléon de 1810 comme un crime puis un délit par la loi de 1923 qui entendait

retirer des assises le jugement de tels cas qui se soldaient aux ¾ par des acquittements,

l’avortement connaissait des modalités diverses.

Du côté des remèdes de bonnes femmes, au rayon herboristerie, l’absorption d’armoise,

d’aloès, d’absinthe, de camomille et de cannelle était assez répandue, les plus téméraires

penchant pour ces véritables poisons qu’étaient l’apiol, la rue, le genévrier et le thuya.

Lorsque l’embryon avait pris ses proportions naissantes, une alternative s’imposait : soit le

percement de la poche amniotique, soit le décollement par injection vaginale ou intra-utérine.

Dans le premier cas, un instrument pointu et métallique était requis (aiguille à tricoter, épingle

à chapeau, tringle de rideaux, baleine de parapluie, stylet, bougie Chaumel), dans le second,

on usait d’une canule relié à un récipient rempli d’un liquide irritant (eau savonneuse, iode,

vinaigre, arnica, glycérine, éther, vin de quinquina, ergot de seigle, liqueur de Fehling).

Parfois un curetage hospitalier accomplissait l’acte final d’une séquence que les praticiens

baptisaient du nom anodin de fausse-couche.

132

De telles opérations n’étaient pas anodines puisque qu’1/5ème des femmes déposées à l’Institut

médico-légal parisien en 1941 furent victimes de faiseurs/faiseuses d’anges qui se formaient

parfois en syndicats ou en réseaux si on tient au vocabulaire moderne.

Si Madeleine Pelletier, en libertaire qu’elle était, agissait en militante féministe désireuse

d’éradiquer toute progéniture à venir, d’autres avaient pour vocation d’arrondir les fins de

mois en concurrence avec les sages-femmes qui avaient joui d’un certain monopole jusqu’aux

premières lueurs de l’entre-deux-guerres. Ainsi, dans une affaire levée en 1942 dans le sud du

département de la Vendée, on trouve dans ce syndicat local, côté praticiens : deux médecins

étrangers, une sage-femme, une institutrice suppléante et une veuve de guerre, assistés, côté

rabatteurs, de deux cartomanciennes, d’un directeur de colo, d’un agent d’assurances, d’un

gendarme et d’un chômeur.

Marie-Louise n’était pas seulement avorteuse, mais officiait comme Madame Claude libérale

auprès des services de la Wehrmacht en mal de petites fraulein. Elle avait donc transformé

son appartement de Cherbourg en clinique et en bordel, prélevant sa dîme sur les clientes en

activité et créant une sorte de Monoprix pour l’usage de la canule et celle de son tralala.

133

Marie-Louise avait cette particularité de cohabiter avec ses trois hommes : un ancien quartier-

maître à la retraite, un manœuvre sur remorqueur et le chef d’un chantier de l’organisation

Todt. Côté rabatteuses : des cartomanciennes, dont l’une pensionnait un gigolo algérien

ramassé en fond de calle et une autre versée dans le catéchisme pour avoir fréquenté le

couvent de la Vierge-Fidèle dans le Calvados.

D’après son ex-mari, il arrivait à sa femme entre deux séances, l’une jambes en l’air, l’autre

agenouillée en position bricolage, de brandir dans la cuisine des fœtus dont elle demandait à

son mari de se débarrasser dans un jardin de la cité coloniale. Lorsque cette femme fut

exécutée pour sa mauvaise vie, les allemands avaient été effacés du tableau, les amants

comme relégués derrière les teintures et le mari classé dans la rubrique victime avec ces

femmes de rien, femmes particulièrement fécondes, épouses de prisonniers ou employées des

services d’occupation allemands qui voulaient arrêter la série des enfantements ou cacher la

faute devant le grand absent ou l’opinion.

134

En 1988, Claude Chabrol en fit un film, il y réglait ses comptes avec Vichy et la méchante

Eglise. Derrière la prière de sa Marie-Louise de celluloïd, son « je vous salue Marie pleine de

merde… », blasphème pour mou du bulbe, s’effaçaient les uniformes des allemands, le côté

jouisseuse sans cervelle de la petite paysanne mais aussi la fin de Louise M que l’avorteuse

avait traitée comme ses autres clientes mais qui en était morte.

135

71

Jean Filliol n’hésite pas à bastonner Reggiani après une représentation des Parents Terribles

au Gymnase en novembre 1941. Alors que le poète aux bouclettes de moutons sages est sous

la protection des autorités allemandes, la presse collaborationniste s’insurge contre une œuvre

qui trace la déchéance de la figure paternelle. Selon le biographe officiel de Cocteau, Filliol

aurait jeté des rats sur la scène afin d’interrompre la représentation, tout en tenant Reggiani

par la robe de chambre. Le critique de Je suis Partout, vitupère contre les grands-pères des

latrines et les grandes-tantes de la petite secousse, dépassant Drieu qui se contentait de pointer

de son mépris les « pédés précieux » sur lesquels s’abattait la vieille condamnation grecque

contre la passivité.

On recense une attaque à la boule puante et à la bombe lacrymogène. Cela, le biographe en

mal de sensation forte et très oublieux de la fierté de Cocteau envers ses ventes dans le grand

Reich, ne le dit pas, l’honneur est sauf.

136

72

Une source prétend que Jean Filliol revient d’Espagne en 1941, qu’il est soupçonné d’avoir

participé à l’attentat contre Laval et Déat la même année puis qu’il fut interné une année

durant au camp de saint Paul d’Eyjeaux près de Limoges ; une autre source situe son

internement en novembre 1942 et les causes de cette mesure administrative dans le fait qu’il

aurait accusé un membre de l’ambassade allemande d’être un franc-maçon, il aurait été sorti

un an plus tard du camp sur intervention de Darnand ; Laval lui-même aurait donné l’ordre de

l’interner en novembre 1942 et Darnand de le libérer au printemps 1944.

Une seule chose est sûre, de 1941 à 1944 c’est l’appareil SS qui le tient en appendice, je le

soupçonne de se secouer dans un château l’autre sous le nom de Restif, en ulmard

contorsionniste, dernier avatar du maquis brun, toujours aiguilleur vers le train d’enfer qui

conduit tout le beau monde dans un compartiment du Kaiser vers la dépouille de Bichelonne.

Marx-Dormoy, l’ancien ministre de l’Intérieur du Front Populaire qui diligenta les enquêtes

contre le CSAR, est assassiné, le 26 juillet 1941, par Vaillant, Meynier, Guichard et une

femme, Annie Mouraille. On efface donc les protagonistes après que les archives ont disparu.

137

Selon Henri Amouroux, le double attentat contre Laval et Déat du 27 août 1941, fut perpétré à

la caserne Desbordes de Versailles vers 18 heures, par Paul Colette (« grand garçon roux »). Il

blesse Laval près du cœur, Déat à l’estomac et au colon, enfin le colonel Duruy et le

légionnaire Besset. La scène se déroule lors d’une remise de drapeau à la LVF et le grand

roux eut le temps d’extraire de son 6.35 Unic, 5 balles qui attinrent toutes leurs cibles.

Laval, pendant une demi-heure fut laissé sans soins, ce qui déclenchera tous les mécanismes

de paranoïa critique dont il était capable. Paul Colette est condamné à mort le 1er octobre

1941 puis gracié sur l’instance de Laval le 3, enfin déporté en janvier 1943 à Neue-Brenien,

Mathausen puis dans trois autres camps allemands. Le parcours du meurtrier le range parmi

les activistes de droite.

En effet, Paul Colette est né le 12 août 1920, c’est un ancien adhérent du PSF mais aussi un

marin qui avait acheté son flingue le 1er juillet 1941 à Bône, ce qui suppose pour le moins une

certaine préméditation. Ce qui emmène par glissement à la thèse du complot visant à abattre

le « Président ». Laval aurait été attiré à la réunion par un coup de fil de l’adjoint de Deloncle

au MSR, Vanor ( alias Van Ormelingen ancien fonctionnaire colonial).

138

Pour sa part, Cointet dans sa biographie de Laval prétend que tout s’est passé vers 18 heures

30, que 5 personnes furent blessées, que Colette était ouvrier-ajusteur et qu’il ne fut transféré

en Allemagne qu’en février 1944. Reste que l’hypothèse d’un complot cagoulard visant à

abattre Laval et Déat d’un seul tenant suppose la complicité allemande et pour le moins la

neutralité de l’équipe Darlan.

En effet, lors de l’année 1941 le désir d’Abetz est de créer un parti collaborationniste unique,

aussi l’hypothèse d’un attentat contre Déat/Laval en phase avec l’ambassade allemande n’est

pas à écarter comme purement fantaisiste. Socialiste de formation, Déat y verra la main d’une

société secrète européenne, la Synarchie, la Cagoule jouant le rôle de cache-sexe de ce

complot immense dont lui, Déat, aurait su déjouer et dénouer les fils et intentions.

Le 23 septembre 1941, Antoinette Massé dite Tania, secrétaire générale du Mouvement social

de l’entraide des femmes françaises d’Eugène Deloncle disparaît. Elle fut assassinée alors

qu’elle devait se rendre à un rendez-vous important dont la nature n’est pas précisée.

Le 12 octobre 1941 : la rupture intervient entre le MSR d’Eugène Deloncle et le RNP de

Marcel Déat

139

Au sein du MSR, siègent le général Lavigne-Delville, Eugène Schueller, Georges Soulès

(futur Raymond Abellio après son passage en Suisse). En mai 42, Georges Soulès débarque

Deloncle et Schueller se retire. C’est la fin de l’option collaborationniste du côté d’Eugène

Deloncle.

140

73

Selon Kuisel, le pacte synarchique est un tract martiniste. La filière du tract passe par le

colonel Heurteaux qui le donne à Groussard qui le refile à Martin qui le transmet à Pétain. Or

tout démarre avec un suicide, daté du 19 mai 1941. Suicide qui serait la preuve de l’existence

d’un méta-complot qui aurait fini par liquider l’un de ses initiateurs, le polytechnicien Jean

Coutrot, membre d’X-Crise qu‘il est assez mal venu de confondre avec X-Files. Reste que

Pierre Constantini et Jean Mamy (l’Appel et Au pilori) reçoivent le tract le 5 juin 1941.

Le commissaire Chavin prend alors possession d’un rapport signé Raoul Husson sur la

synarchie entre la fin juillet et le début du mois d’août 1941. C’est à ce moment que

Constantini et Déat relancent la polémique, depuis Paris, et alimentent véritablement la

rumeur du complot.

Du 8 au 16 août 1941, la Gestapo, intriguée, entreprend quinze perquisitions en rapport avec

l’existence du complot synarchique (Raoul Husson, Jean Coutrot, Gérard Bardet, Jacques

Branger et sa maîtresse Nicole Terkon, René Gillouin sont concernés). Parmi les secrétaires

de Coutrot, l’un, Franck Théalet, meurt une semaine avant le suicide de son patron dans un

hôpital. Le second, Yves Moreau, un mois après Coutrot. Toutefois ce dernier a le bon goût

de s’éteindre à son domicile. Henri Brûlé, le beau-frère de Coutrot meurt d’une crise

cardiaque après un entretien avec Gabriel Leroy Ladurie.

141

La série des coïncidences est telle qu’on peut se demander si Coutrot et ses adjoints n’ont pas

été éliminés pour prouver l’existence d’un complot ou, deuxième hypothèse plus saugrenue,

parce que certains, dont les membres de la Gestapo, ont réellement cru à l’existence d’une

conjuration, à large échelle, impliquant l’Empire français.

En mars 1942 Pierre Pucheu renvoie Chavin et place en détention le docteur Martin. En effet,

le 5 janvier 1942, le directeur de cabinet de Pucheu, Yves Paringaux avait été retrouvé, mort,

sur une voie de chemin de fer près de Provins. Le ministre de l’Intérieur en avait conclu que la

Cagoule était toujours active. De fait, Pucheu était un ancien du comité des Forges mais aussi

du PPF de Doriot, un appointé des soirées Gabriel Leroy Ladurie et autres joyeux drilles de la

banque Worms qui se retrouveront aux commandes de l’Etat français après la venue au

pouvoir de Darlan. Il a du raisonner en fonction des réseaux politiques qu’il connaissait.

La seule mention de Groussard et de Martin lui indiquaient que la Cagoule était pour quelque

chose dans cette opération d’intoxication qui le plaçait lui et ses amis sur la sellette alors

même que la chasse aux sociétés secrètes était un leimotiv du gouvernement.

142

74

Né à Nérac, la ville où il ne reste plus qu’une aile du château de la Reine Margot dont

Shakespeare fit le décor d’une de ses pièces, fils d’un député de la IIIème République, le futur

amiral Darlan fait une carrière de cabinet auprès des ministres de la Marine des différents

gouvernements des années folles. C’est le Front Populaire qui le propulse chef d’état-major

général. Dans un mémorandum de janvier 1939, il se dit partisan d’une paix armée avec

l’Italie et l’Allemagne afin de laisser cette dernière « libre d’agir à l’est ».

En juin, il est amiral de la flotte. C’est lui, comme ses prédécesseurs, qui orientent la marine

vers une voie sans issue, celle des croiseurs lourds (19) et des cuirassés (7). Cette flotte

reconfigurée autour de la défense de l’Empire totalise en 1939, 545 mille tonnes dont 68

destroyers et 40 sous-marins mais aucun porte-avions efficient (les deux étaient prévus pour

1942-1943). De plus cette marine n’a jamais absorbé plus du quart des dépenses militaires et

même moins du sixième dans les années 1930, point essentiel aux yeux des parlementaires de

la Troisième.

143

Les défauts de cette marine sont multiples. Industriels, en premier lieu puisque les chantiers

produisent, chaque année, moins de 28 mille tonnes de matériel. Quand les anglais

construisent un destroyer en 2 ans, la France double la mise. L’acier produit est d’une qualité

médiocre à tel point que les torpilleurs de la classe l’Adroit sont vulnérables aux balles de

mitrailleuse. Les machines ne sont pas au point, si bien que sur le papier, les contre-torpilleurs

de la classe le Fantasque sont les plus rapides du monde mais comptent dans la réalité une

douzaine d’avaries entre mars 1939 et juin 1940. Rappelons pour finir qu’en septembre 1940,

quand le Richelieu fait feu sur la marine britannique, à Dakar, ses deux canons de 380

s’autodétruisent à la première salve.

Viennent en deuxième lieu, les erreurs stratégiques. La marine française est persuadée que son

adversaire sera italien, aussi, elle profile ses navires en fonction de combats en Méditerranée

occidentale en oubliant que la Regia marina aligne 110 sous-marins. Résultat entre Brest et

Dakar, Casablanca n’est pas une escale touristique, mais nécessaire pour recharger les

réservoirs en mazout. Les deux bases de Brest et Toulon sont sous-dimensionnées et l’Afrique

du Nord, à l’exception de la base de Mers El Kébir mise en chantier en 1936, n’en accueille

aucune de comparable.

144

Carences intellectuelles pour finir. Le sonar inventé par Paul Langevin, en 1918, est

abandonné au profit d’hydrophones qui fonctionnent à l’ouïe. En août 1939, le cher Darlan se

résout à récupérer du matériel britannique. Côté radar, les lacunes sont les mêmes. Pourtant

Maurice Ponte et Henri Gutton, deux physiciens, mettent au point un système de détection

baptisé magnétron en 1934. Dès 1935, le dispositif est monté sur un cargo. Jamais les

militaires ne se sont décidés à l’adopter si bien que l’Amirauté britannique récupère

l’innovation en mai 1940. Thank you froggies. La DCA est inexistante.

A Mers el Kébir, à partir d’informations tronquées fournies par l’amiral Gensoul, il refuse

l’ultimatum britannique, ce qui conduit à l’anéantissement de la flotte. Furieux, il propose aux

italiens une attaque conjointe sur la rade d’Alexandrie. Ceux-ci déclinent l’offre. Les trois

cuirassés italiens anéantis dans la rade de Tarente par l’aviation embarquée britannique auront

d’ailleurs tôt fait de les rappeler à la réalité des rapports de force. Le 10 février 1941, le voici

vice-président du conseil. Il s’entoure de technocrates, Pucheu, Barnaud, Lehideux voire

Alfred Sauvy. Son gouvernement semble une succursale de la banque Worms sur laquelle

plane l’ombre tutélaire de Gabriel Le Roy Ladurie. Il fait aussi appel à Marion, un dessalé et

aux militaires Platon, Huntziger (dénommé dans la prose darlanesque le puceau de sacristie,

ce dernier s’écrasera en novembre 1941 sur les pentes du Mont Aigoual. Un monument

commémore son saut de l’Ange) et Bergeret.

145

Il place l’ancien capitaine de frégate, Robert Labat à la tête d’un Service des Sociétés Secrètes

(SSS) qu’il installe dans les anciens locaux du Grand Orient, rue Cadet. Ancien du 2ème

bureau de la Marine et proche de la Cagoule militaire, Labat est un proche collaborateur du

colonel Groussard. Le premier acte du service sera d’enquêter sur Nadette et sa tante alias

Bernard Faÿ, pourfendeur ultra-gay de la franc-maçonnerie et son assistant William Gueydan

de Roussel.

Henri Moysset, secrétaire d’Etat à la vice-présidence du conseil, est un homme clé de la

configuration darlanesque. Il est doublé par Jacques Benoist-Méchin qui pousse à la roue pour

une nazification de la France. Sur son patron l’historien de l’armée allemande aura ce

jugement lapidaire « son esprit était borné, ses vues courtes, sa culture limitée ».

Darlan avance prestement sur la voie de la collaboration franco-allemande en signant les

protocoles de Paris en mai 1941, prélude d’une alliance future. En attendant, il offre des

camions stockés à Rommel. Préalablement, il s’était fait l’écho des thèses des technocrates en

transmettant à Otto Abetz, le plan d’un ordre nouveau. Il s’agissait d’intégrer la France dans

un ensemble européen régi par une union douanière et dans laquelle les ressources de

l’Empire permettraient l’éclosion d’un « sentiment de solidarité européenne ».

146

Où l’on voit que Darlan est un précurseur méconnu de Jean Monnet, à ceci près que le plan se

conclut par ses mots « nous voulons sauver la France. Nous prions le Führer de nous faire

confiance ». C’est le moment où les milieux collaborationnistes sortent l’affaire de la

Synarchie.

Après l’attentat communiste d’août 1941 contre un membre des forces d’Occupation, Darlan

institue les sections spéciales chargés de réprimer à la française les menées terroristes afin

d’éviter les fusillades d’otages inopinées. En ce qui concerne les juifs. Darlan a bien entendu

parler du projet nazi de les déporter dans un territoire lointain et il trouve, à la fois, audacieuse

et efficace une telle solution au problème juif, à laquelle il soustrait les juifs français de

longue date. D’ailleurs en mars il confie au pasteur Boegner sa conception du même

problème : il existerait « trois catégories de juifs : les étrangers dont je veux que la France soit

débarrassée ; les naturalisés de fraîche date : qu’on les renvoie, je ne demande pas mieux ;

enfin, les vieux juifs français qui sont assimilés, qui ont rendu de grands services au pays.

Nous ne voulons pas qu’on les maltraite ». Juste qu’on leur applique les statuts d’octobre

1940 et de juin 1941 qui leur rendent toute vie impossible.

147

Entre mars 1941 et avril 1942, il cautionne le recrutement de travailleurs français par les

industries de guerre du Troisième Reich, un nouveau pas dans la construction du nouvel ordre

européen. Il autorise donc l’ouverture de bureaux de recrutement allemand sur le territoire

hexagonal. Hostile au cléricalisme, Darlan restreint l’aide scolaire alors qu’une véritable ruée

vers l’enseignement libre a lieu. En revanche, il est incapable de trancher en faveur du

versement d’une allocation aux femmes de prisonniers de guerre, laissant à son successeur,

Pierre Laval, le soin de l’instituer. Pourtant Jacques Chevallier, secrétaire d’Etat à la famille

comme Maurice Pinot, responsable du commissariat aux prisonniers de guerre lui indique que

la misère noire de ces familles est une des causes de la prostitution massive des femmes et

mineures au cours des deux premières années de l’Occupation. Ce qui occasionne nombre de

naissances illégitimes dans un océan de recours à l’avortement. Mais Darlan n’étant pas un

puceau de sacristie, ce dernier doit sans doute y voir, une préfiguration de l’Europe future et

un pont jeté entre mâles allemands et femmes françaises. D’ailleurs l’amiral est si préoccupé

par l’état sanitaire des maisons de tolérance et l’état de santé des troupes d’occupation qu’il

autorise en mai 1941 l’investigation par les services sanitaires allemands de ces hauts lieux de

la Collaboration.

148

Héritier de la politique de tolérance de la IIIème République, il laissera aussi dans un tiroir les

demandes insistantes de pénalisation des rapports homosexuels entre marins français et civils.

En revanche, il tentera d’obtenir le rappel, du Maroc, de l’espion Théodore Auer, amant

simultané d’un parent de Von Ribbentrop et d’un juif autrichien Frans Suschnitz. En effet,

l’amiral l’accuse de pratiquer la sodomie presque publiquement mais le résultat de sa requête

sera nul puisque Auer sera nommé consul général du Reich en novembre 1941.

Perdant peu à peu tous ses appuis, le 18 avril 1942, Laval le remplace à la tête du

gouvernement. En novembre 1942, présent à Alger, au chevet de son fils malade, il rallie le

camp anglo-américain. Deloncle, l’ancien Conducator de la Cagoule tente de le rejoindre. Son

assassinat par un royaliste exalté, Fernand Bonnier de la Chapelle, laisse le champ libre aux

giraudistes et gaullistes, enterrant toute tentative de restauration monarchique.

149

75

Les 9-10 et 11 avril 1941, Jean Filliol participe à la saisie de six immeubles juifs parisiens

sous les ordres de Jacques Corrèze (83 avenue de la grande armée, QG du Congrès juif

mondial ; 67 avenue Victor-Hugo domicile de G. Mandel ; 57 rue de la Boétie Famille

Wildenstein ; 17 rue Desbordes-Valmore Mr Bernheim ; 141 Bd Haussmann (bureaux des

Bacry), 40 rue de Paradis, siège de la LICA)

Jacques Corrèze, né en 1912 à Auxerre, fait l’école Boulle et les Beaux-Arts, fils du président

de la société des tissus et tapis qui fournissait la propriété d’Eugène Deloncle dans l’Yonne, il

fut très tôt de la couche adjacente de Mercedes, Madame Deloncle pour l’état-civil. En 1934,

il gagne Paris.

Pendant la guerre Jacques Corrèze s’empare de 60 boutiques juives aryanisées et combat à

l’est sous l’uniforme allemand jusqu’en avril 1942. Dès sa sortie de prison, en 1950, François

Dalle, autre ami intime de François Mitterrand, l’emploie comme représentant. Versé en

Espagne franquiste où d’anciennes amitiés sont à réactiver et d’autres à saisir, associé à

Frédéric Bonnet, il crée Procasa, filiale de l’Oréal.

150

Jacques Corrèze est alors en lien avec Serrano Suñer, le beau-frère miraculé de Francisco

Franco, celui qui fut surnommé le cuñadissimo du temps où le Caudillo se demandait s’il ne

fallait pas aligner les positions d’un pays exsangue sur l’axe Rome-Berlin.

Mais les membres de la Cagoule ne s’arrêtent pas aux seules aryanisations et mettent en

œuvre les attentats contre les synagogues parisiennes du 3 octobre 1941, les explosifs étant

fournis aux hommes de Deloncle par des sbires de la police allemande. C’est Helmut

Knochen qui les transmet directement au chef suprême de la société secrète, Eugène Deloncle.

Knochen reçoit ses ordres de Berlin, il est à la tête d’une sorte de commando spécial de 25

hommes chargés de la chasse aux juifs et aux communistes. Lors des procès d’après-guerre,

l’Obersturmfuhrer Sommer passera devant un tribunal militaire pour complicité dans l’affaire

des synagogues. Il est donc probable que cet officier a agi sans en aviser directement ses

supérieurs immédiats, les court-circuitant, au profit d’une instance plus puissante ou plus en

vue à Berlin, une instance qui trouve son bras armé dans la SS.

C’est la version française de la nuit de Cristal qui avorte devant la répugnance de l’Etat

français devant ce genre de méthode. Au printemps 1942, le service dirigé par le SS Oberg,

atteindra cinq mille hommes, le temps des rafles sera venu, celui des gens organisés aussi. On

discutera directement entre hommes sérieux et avec les responsables compétents : Bousquet,

en premier lieu.

151

76

De son vrai nom Marie-Louise Mourer, Martine Carol prend comme nom de scène celui de

Maryse Arley. On la croise en silhouette évasive dans le Dernier des six (1941) ou les

Inconnus dans la maison (1942). Pierre Ramelot lui offre son premier rôle consistant, en 1942,

dans les Corrupteurs, film financé par l’Institut d’études des Questions juives. Le

sympathique François Périer qui a fait son éducation politique dans les rangs de l’Action

Française lui donne son pseudonyme définitif.

Or Marie-Louise a un ami proche de la Carlingue, Monsieur Palmieri. Ce dernier s’emploie à

ouvrir des bordels le long du mur de l’Atlantique afin que les membres du SD et de l’Abwehr

puissent reconstituer leurs forces titanesques épuisées dans la lutte contre le bolchévisme. Il

tient aussi à Paris, avenue Victor Hugo, un établissement nettement plus côté. C’est là qu’il

convoque Marie-Louise lorsque les barons du Reich Max Thomas (SS-Oberfuhrer), ou Karl

Oberg, chef suprême de la SS en France, en mai 1942, sont en goguette.

L’Histoire ne dit pas si Karl Oberg sortait des cuisses de Marie-Louise lorsqu’il prit langue

avec René Bousquet afin d’entériner l’accord qui allait aboutir à la rafle du Vel d’Hiv.

152

77

En août 1939, Himmler présente son plan de révolution démographique en Europe centrale

qui vise à germaniser « l’espace vital » dévolu à la race aryenne au détriment des slaves,

tandis que les juifs seront chassés des territoires conquis. Devant l’intransigeance

diplomatique de la France et du Royaume-Uni, Hitler signe un pacte avec les soviétiques avec

l’idée arrêtée de se « retourner » contre celle-ci, le moment venu.

Après la défaite française, Staline, devant la résistance britannique, ne croit pas à une attaque

hitlérienne pourtant décidée par le Führer, dès le 31 juillet 1940. D’une part, Staline considère

que l’URSS livre à l’Allemagne nazie tout ce qu’elle demande, d’autre part, en bon marxiste,

il est persuadé que l’idéologie national-socialiste n’est que le cache-sexe des intérêts

impérialistes de la bourgeoisie allemande, si bien que celle-ci oeuvrera, pour le maintien d’un

Empire européen au détriment de l’Empire britannique et non de l’Union soviétique, quitte à

liquider Hitler si celui-ci entrave les buts de guerre rationnels traduits en termes militaires par

l’Etat-major.

Staline n’a pas compris qu’Hitler croyait à ce qu’il prophétisait de discours en discours.

Ancien combattant, le chancelier du Reich est persuadé de deux choses. En premier lieu, le

coup de poignard dans le dos qui a abattu l’Empire du Kaiser fut ordonné par les juifs dont

l’Angleterre et l’URSS sont le bras armé. En second lieu, la défaite allemande n’est pas due à

une déroute militaire mais à l’effondrement du front intérieur. Dès lors, il faut neutraliser les

juifs et régler définitivement ce problème dans la zone d’influence du IIIème Reich, mais

153

aussi faire en sorte que la population allemande ne souffre pas des conflits en cours. La seule

tactique possible est donc celle de la guerre-éclair qui a anéanti l’armée française et ne peut

que démanteler le dispositif militaire d’une race d’arriérés que les juifs ont abêti par le

bolchévisme.

Une considération géopolitique va retarder l’offensive allemande. Programmée pour le

printemps 1941, l’invasion de l’URSS est reportée, dès lors que les Balkans sont en

effervescence. Le Troisième Reich obtient de cette zone le tiers de son pétrole (roumain), du

cuivre, du chrome et des denrées alimentaires. Le 28 octobre 1940, l’Italie lance son attaque

contre la Grèce. Les 700 mille soldats italiens mobilisés sont sous-encadrés, leurs chars sont

de véritables cercueils roulants, leur artillerie date de 1918, la logistique est inexistante. En 5

mois de campagne et, malgré l’aide de la Luftwaffe, l’Italie compte près de 40 mille tués, 50

mille blessés, 64 mille hommes hors de combat. Le 12 novembre 1940, inquiet de la présence

britannique en Grèce, Hitler émet la directive n°18 afin de protéger la Roumanie mais ses

généraux poussent à l’occupation entière de la Grèce. Grand bluffeur, le chancelier obtient de

Staline, par un accord signé en janvier 1941, une multiplication des livraisons de produits

stratégiques (pétrole, caoutchouc, manganèse) et d’autres de première nécessité (coton,

céréales).

Au printemps 1941, Vichy livre 13 mille camions, des canons anti-chars de 47 mm, des

tracteurs Laffly, des véhicules Panhard. Le 28 février 1941, Hitler prévient Staline que la

12ème Armée va prendre position en Bulgarie. Les britanniques débarquent à Athènes 35 mille

soldats et 80 avions. Fin mars 1941, le Führer est persuadé que les yougoslaves se sont alignés

154

sur les positions allemandes moyennant quelques promesses. Dans la nuit du 26-27 mars un

coup d’Etat mené par le général Simovic débarque le régent Paul. Hitler décide alors de

liquider la Yougoslavie entre le 8 et le 15 avril, ce qui sera fait en un temps record, la 2ème

Armée perdant 150 hommes. Dès le 9 avril, Salonique a capitulé. Le 21, ce sont toutes les

troupes grecques d’Epire (sous le commandement d’un futur général collaborateur

Tsolakoglou) qui se rendent tandis que les britanniques lancent l’opération de

rembarquement Demon.

Plus de 80 avertissements parviennent à Staline sur la mobilisation colossale des troupes

allemandes à la frontière soviétique (près de 4 millions de soldats en comptant les alliés, 600

mille véhicules et 600 mille chevaux, 9 mille canons, plus de 3 mille chars, près de 3 mille

avions). Un plan de frappe préemptive est concocté et présenté par Joukov, le 15 mai. Mais

rien n’y fait. Toute l’armée rouge est déployée à l’avant, ses avions sont alignés sur les

aéroports sans protection particulière, les unités d’artillerie n’ont ni obus à proximité, ni

camions pour le transit, les corps mécanisés sont dépourvus d’essence, de radios, de matériels

de rechange, l’encadrement est médiocre, la doctrine de la percée en cas d’encerclement faîte

pour perdre toute la chaîne de commandement en un clin d’oeil.

155

Les stratèges allemands misent sur une conquête de toute la Russie européenne le 31

décembre 1941 au plus tard, ce qui suppose la disparition de l’ensemble de l’armée rouge dès

la fin du mois d’août. Trois objectifs sont définis : au nord, Leningrad et le contrôle de la

Baltique, au centre Moscou, au sud, l’Ukraine et le Caucase. Le groupe d’armée nord reçoit la

portion congrue (18 % des hommes et du matériel), le groupe d’armée centre, l’essentiel des

divisions blindées. La guerre se réduira donc à une série ininterrompue d’encerclements et de

destructions des armées soviétiques.

Les déficiences logistiques de la Wehrmacht et les objectifs délirants que lui fixent Hitler sont

directement en rapport avec l’idéologie national-socialiste et son échec final lors de la prise de

Berlin par l’armée rouge. Dès janvier 1942, 2 millions de prisonniers soviétiques sont morts

de faim ou de froid dans des camps improvisés où rien n’est prévu pour le ravitaillement ou le

simple abri des internés, les libérations de volksdeutsche, de baltes ou d’ukrainiens cessent en

septembre-octobre 1941, à la fin juillet-début août, c’est l’ensemble de la population juive qui

est prise pour cible de ce qu’on appellera la Shoah par balles.

Face à une sous-humanité ou à l’ennemi juif, les nazis n’ont prévu que la Terreur et la

liquidation, jamais la séduction des masses, au principe de leurs succès électoraux. L’hubris

hitlérienne ne commence vraiment qu’avec la victoire sur la France et son asservissement

tranquille, celle-ci rejoignant les satellites du nouvel ordre européen. A partir de cet instant,

Hitler n’a plus à séduire, donc à entrer dans les désirs et les anticipations de ses adversaires

pour les manipuler ou les neutraliser, il confond les fluctuations de ses visions avec la réalité,

sa stratégie est unilatérale, son discours parfaitement autistique. Le réel d’une résistance

156

soviétique à la conquête allemande est si peu assimilable que la Luftwaffe, pourtant maîtresse

du ciel, ne bombarde aucun des convois ferroviaires destinés à remonter les usines derrière

l’Oural, ni ne prévoit la contre-offensive soviétique de novembre-décembre 1941. D’autre

part, Hitler est incapable d’analyser les effets de l’adoption de la loi prêt-bail américaine qui

permettra, durant la durée de la guerre, le maintien du système de transport et de

communication soviétique, les performances quantitatives de son industrie de guerre et le

ravitaillement de la population en produits alimentaires.

Devant l’évidence de la défaite annoncée, devant ce trou béant que ne comblaient pas les

vociférations de Goebbels, devant l’impuissance des armes-miracles que furent les V1 et les

V2 ou le Messerschmitt Me-262, toute la machine nazie a produit la seule réalité qui était à sa

portée, l’univers concentrationnaire et le travail forcé ainsi que l’extermination des juifs

d’Europe, des tsiganes et des aliénés, une humanité conçue comme appendice ou simple

déchet, la preuve « vivante » et toujours renouvelée de la surhumanité aryenne partie en

fumée à Stalingrad.

157

78

En 1941, trois intellectuels communistes fondent la Pensée Libre, Jean Vercors fait parvenir

à la revue le Silence de la mer mais cette première version disparaît après une descente de la

Gestapo. Le 20 février 1942 paraît le premier volume des Editions de Minuit, animées par

Pierre de Lescure et le même Vercors. Leur premier ouvrage sera le Silence de la Mer

adressé, selon son auteur, à Drieu la Rochelle et Otto Abetz.

Afin de le diffuser, Jean Paulhan aurait préparé une première liste de destinataires, puis sont

ciblés la haute finance, la magistrature, le milieu des carabins, celui des ingénieurs et chefs

d’entreprise ainsi que l’Université. Aussi le premier tirage atteint péniblement les 400

exemplaires, ce qui n’a rien de prolétarien. Robert Debré se dit épaté, les communistes via les

Lettres Françaises y verront, en février 1943, le livre « le plus émouvant, le plus

profondément humain que nous ayons eu l’occasion de lire depuis l’occupation allemande ».

Le roman propose aux français d’établir face à l’occupant un mur de silence absolu, une ligne

Maginot intérieure, attitude qui ne peut que plaire aux pacifistes de gauche et à ceux de droite

qui, ralliés à Pétain, n’en entendent pas moins maintenir une certaine dignité. Comme le dit

Robbe-Grillet « il ne fallait pas confondre la main tendue au vainqueur avec le zèle à lui

lécher les bottes ».

158

Le silence de la Mer est donc l’ouvrage d’un nostalgique du pacte de Locarno susurrant le

fameux « arrière les canons » du défunt Aristide Briand avec des airs de chien battu. Il s’agit

de préserver la paix future en flanquant l’attentisme usuel de l’écrivain lambda d’un parfum

de dissidence puisqu’il signale une voie nouvelle, l’édition clandestine sous pseudonyme.

Le texte, un temps attribué à Duhamel, ouvre la voie de la littérature engagée pour ne pas dire

propagandiste. Or en avril 1942, le contrôle du papier devient nettement plus strict tant du

côté des autorités d’occupation que de Vichy. La consommation est donc divisée quasiment

par 3 entre 1941 et 1942. Devant la pénurie des tirages, le choix des possibles se restreint si

on veut être édité et publié : soit rejoindre à toute berzingue la Collaboration, soit jouer les

chevaux légers du côté de Vichy, soit obtenir la sympathie de la Résistance et des

communistes en publiant dans des revues de contrebande des récits et des poésies plus ou

moins cryptés.

A l’automne 1942, le silence de la mer gagne l’Angleterre. La Marseillaise, revue gaulliste,

le publie en feuilleton de janvier à avril 1943. On parle d’un cri poussé par les littérateurs

français, une sorte de plainte vengeresse. La première édition anglaise est épuisée en 15 jours,

elle compte 10 mille exemplaires. Les droits d’auteur, 450 livres, sont strictement thésaurisés

et Charles Morgan est pressenti pour la traduction.

159

La presse anglaise se déchaîne, l’auteur ne peut être qu’un écrivain-né, l’ouvrage, un chef

d’œuvre. C’est le couronnement. De l’autre côté de l’Atlantique, Life publie un article en

octobre 1943 sous le titre de « a story of a french family and a nazi officer writen in France

under the German Occupation ».

La mythologie enveloppe avec une pudeur soudaine la réalité des rapports entre allemands et

françaises dont témoignent à la fois les 200 mille naissances germano-françaises recensées

entre 1941 et 1946 (compte non tenu des nombreux avortements) et le chiffre d’affaires

exponentiel des bastringues tel que le relate l’état des recettes de l’impôt municipal à Paris qui

affiche à la ligne « maisons de tolérance » un tonitruant 6 millions de francs en 1943.

N’empêche, la fiction de la France résistante est lancée, le livre est traduit en 1944 dans

l’Espagne franquiste, les Pays-Bas libérés, à Québec, dans le Beyrouth sous administration

britannique, au Sénégal, en Australie, partout où les rotatives fonctionnent.

160

En novembre 1943, Arthur Koestler effaré, écrit « psychologiquement, l’histoire ne tient pas

debout, mais politiquement, elle est pire » puisqu’elle apparie un mélange détonant

d’arrogance et de complexe d’infériorité. La Londres démocratique de Churchill clôt alors la

saison des critiques de l’ouvrage qui sont désormais interdites.

Du côté de la France Libre, on édite, avec l’appui financier de Philippe de Rothschild, des

cahiers du Silence qui seraient la pointe avancée du combat de l’esprit français. Ces cahiers

n’auront qu’un seul ouvrage au catalogue, sans doute pour épargner la fortune du bon Philippe

et épouser les fluctuations de la politique gaulliste.

En effet, l’ouvrage épouse la ligne de Gaulle, celle d’une Résistance intérieure pacifique c'est-

à-dire absolument indiscernable d’un attentisme goguenard. Dès lors, Ilya Ehrenbourg, à

l’automne 1943, est chargé depuis Moscou de définir la nouvelle ligne du parti « en France les

patriotes tuent les Boches non par le silence mais avec des grenades, des balles, des

couteaux ». Option qui entraînera la liquidation totale des FTP-MOI parisiens au cours de

l’hiver suivant.

161

Néanmoins Ehrenbourg rejoint le jugement lapidaire de Kléber Haedens qui voyait dans cet

ouvrage « un récit assez plat où l’on voit deux français abrutis aux prises avec un Allemand

très distingué » puisque le littérateur soviétique à portée de Goulag écrit, comme en écho,

qu’il se refuse à croire qu’on ait trouvé en France « des hommes assez fous pour composer,

imprimer, brocher dans l’illégalité et luxueusement encore, un livre qui s’extasie devant la

beauté morale et physique d’un Boche ».

En mai 1944, c’est au tour de la Marseillaise de changer de ligne politique et d’éprouver des

« hésitations » devant ce roman car la France est devenue celle qui se bat, une France virile à

la tondeuse facile et non plus ce couple étrange formé par un oncle mutique et une nièce un

peu conne qui prépare les déjeuners et les sert en silence.

En 1949, Otto Abetz estimera que Werner von Ebrennac, le héros malheureux du conte, aurait

mieux fait de s’engager dans la lutte active auprès du Docteur Epting plutôt que de perdre son

temps en monologues douteux sur les dangers du nazisme berlinois. Deux ans plus tard,

Vercors lui répond, implicitement, en établissant une version définitive de l’ouvrage puisqu’il

ajoute à son roman-phare cette seule phrase « Ainsi il [Von Ebrennac] se soumet. Voilà donc

tout ce qu’ils savent faire. Ils se soumettent tous, même cet homme là ».

162

79

La mère d’Eugène Deloncle est corse si bien que le chef de la Cagoule est le neveu du général

Grossetti. Polytechnicien, héros de guerre, ingénieur efficace, Eugène Deloncle peut prétendre

à un destin d’envergure dans une époque qui cherche l’Homme, celui qui tient de son écart

avec le troupeau, une vocation d’inspiré ou de manieur de foules. Comme tous les apprentis

dictateurs, il avait pour modèle, le Duce.

Mussolini fut le premier fils du peuple à accéder au pouvoir sur le mode bouffonnerie,

bassesse et surveillance généralisée. Il aimait les femmes, les femmes laides de préférence,

boîteuses, avec strabisme, habillées à la diable, le poursuivant comme Rachele sa légitime, et

vraisemblablement sa demi-sœur, avec un pistolet dans les couloirs de sa villa de

plénipotentiaire de la déroute italienne.

Benito Mussolini était de ses matamores qui se perpétuait comme il disait, reconnaissant

parfois ses rejetons, le plus souvent jamais, allant jusqu’à l’infamie lorsque une Ida Dalser

l’obligea à reconnaître le jeune Benito Albino comme son fils. On sait qu’il la fit interner,

s’empara de ses lettres pour les brûler avant de faire la même chose avec son fils qu’il laissa,

comme nombre de fous italiens et français entre 1940 et 1945, mourir de faim et de manques

de soins.

163

Il fut incapable d’élever ses enfants si bien que Vittorio ressemblait comme deux gouttes

d’eau à une jeune pousse sauvage élevée au kebab farci de sauce blanche.

Évidemment celui qui jouait du violon à la façon roumaine pour que chavirent les cœurs

d’artichauts des soubrettes aurait été un modèle pour nos multi-cultureux d’aujourd’hui, une

sorte d’athlète de la fornication antiraciste, le « dictateur priapique » comme le surnomma

Carlo Emilio Gadda.

Couchant en socialiste avec Angelica Balabanoff, en philosémite à éclipses avec Margherita

Sarfatti (née Grassini), en orientaliste avec Léda Rafanelli (occultiste et convertie à l’Islam,

ancienne maîtresse du grand Carlo Carra), en bellâtre sur le déclin avec la Petacci qui

partagea sa fin, suspendue par les pieds en réplique aux pendaisons allemandes de Gênes.

Le reste du harem est innombrable, Benito Mussolini avait une queue à la place du cerveau,

une matrice spermatique en guise de prolongement du canal urinaire, l’ensemble de ses

enfants est encore, à ce jour, indéterminé, il faudrait donc songer à monter un site Facebook,

des descendants du Duce.

164

Il faisait surveiller ses femmes, ses amis, son gendre, tous les italiens étaient encartés quelque

part sur les fiches de l’OVRA, ce quotidien ressemblait à la vie sous la férule de la Stasi à ceci

près que les disparitions ne donnaient pas lieu à la même invention méticuleuse et perverse

qui fut la signature des agents de la RDA.

On assassinait à coups de couteau, on traitait de porcs ceux qui finiraient sur un bas côté,

tabassés à mort par des nervis à gabardines et à chemises noires, on jouait la virilité mais

quand la guerre vint, tout se débanda, découvrant toute nue la lâcheté.

Mussolini avait donné l’exemple en 1915, lui l’interventionniste, le grillon appelant à la mort

des autres, resta, tout au plus, trente jours sur le front se blessant lors du maniement d’un

mortier.

Ce sinistre bouffon en pierre de Carrare vint à la place de Gabriele d’Annunzio que ces

créanciers avaient chassé d’Italie, qui revint sous les vivats d’un peuple revenu à sa fierté, qui

se portait à la tête des arditi au cri de « eia eia alala », qui devint celui des fascistes quand ils

battaient à coups de gourdins une famille de paysans inscrite au partito popolare ou chez les

socialistes.

165

D’Annunzio affrontait à plus de 50 ans les nids de mitrailleuses, les lance-flammes et les gaz

des tedeschi, tandis que Mussolini gavait son torche-cul avec l’argent des Perrone, gros

matous dont la fortune s’enfla avec la guerre avant de s’effondrer lors du krach de sa banque

véreuse.

Il fut l’homme de la Sarfatti mais lorsque sa fille, Edda, tomba amoureuse de Dante Pacifici,

bel officier italien dont le tort était d’être juif, il s’y opposa, la confiant à Galeazzo Ciano dont

le père fut un compagnon de la première heure, un soutien indéfectible lorsqu’un Mussolini

balbutiant ne savait que faire du cadavre encombrant de Matteoti.

De Chirico s’était demandé « sommes-nous des explorateurs prêts pour de nouveaux départs ?

», tandis que Mussolini envoyait à la Sarfatti des « je suis pour toi en surface et en profondeur

moi ton très dévoué sauvage » avant de brûler devant la mégère du palais les lettres de sa

maîtresse dans un autodafé solennel qui voulait dire, « promis tu es la première ».

Si la tranquille et absurde beauté de la matière est bien métaphysique comme le disait Chirico,

la liaison entre cette femme de bonne bourgeoisie vénitienne et ce fils d’un aubergiste-

forgeron qui transforma l’Italie en décor en trompe l’œil, en lisière de la civilisation

européenne qu’attaquait déjà à boulets rouges Leopardi, cette liaison donc est comme le

travelling de honte que seul vint effacer la beauté et les sarcasmes douloureux du cinéma

italien d’après-guerre.

166

Collaborationniste et fondateur du MSR, Eugène Deloncle, dictateur virtuel, Guide suprême

de la France régénérée devenu agent contractuel de la SS ou de l’Abwehr, est arrêté par les

allemands en août 1942 puis relâché un mois plus tard. En janvier 1944, la Gestapo vient le

chercher, il meurt avec 10 balles dans le buffet, son fils en prenant une dans la tête. Jacques

Corrèze et la femme de Deloncle, Mercedes, en sortent indemnes. Ce 7 janvier 1944, selon

Lacroix-Ritz, les allemands s’emparent rue Lesueur des documents présents. De même des

FFI et le major Hadley de l’Intelligence Service ont fouillé, ultérieurement, le même

appartement cherchant d’éventuelles notes ou des carnets épars. Parmi les Deloncle, il ne

restait plus que le frère. De l’ombre d’un Duce à la française, une photo d’identité, prise de

profil.

167

80

Le camp de saint Paul d’Eyjeaux, où fut détenu Jean Filliol, est construit par le service des

Ponts et Chaussées de la Haute Vienne sur décision du préfet le 30 octobre 1940 (profondeur

argileuse de 2 mètres, 600 personnes y vivent en janvier 1941). Sont empierrés, l’allée

centrale et trois chemins, sinon l’épaisseur de boue est de 20 à 25 centimètres. Les WC sont

dans la partie basse du camp qui est marécageuse, c’est un camp de « politiques ».

Selon Georges Rougeron, ancien secrétaire de Marx-Dormoy, le 14 septembre 1943, le

gestionnaire Evrard succède au chef de camp. En octobre 1943, Bousquet ordonne la

fermeture du camp et les prisonniers sont transférés à la prison centrale d’Eysses

Ménétrel, médecin de Pétain (gendre de Célestin Montcocol entrepreneur de travaux publics,

financier de la Cagoule) protégea Jeantet et Filliol. Selon la biographe de Ménétrel, il entretint

une correspondance amicale avec Filliol lors de son internement et versa des subsides à sa

femme et à ses deux enfants alors en bas âge.

168

81

Selon les statistiques officielles, la Royal Air Force aurait largué sur l’Allemagne au cours de

la seconde guerre mondiale 1 million de tonnes de bombes réparties en 400 mille vols. Sur les

131 villes bombardées, certaines furent rayées entièrement de la carte. Six cent mille civils

avaient péri, 3,5 millions d’immeubles furent détruits, 7,5 millions de personnes étaient sans

abri, on comptait dans la seule Dresde 42,8 m3 de décombres par habitant. Le 28 juillet 1943,

les flottes aériennes américano-britanniques se fixèrent pour objectif l’anéantissement de la

rive est de l’Elbe, à Hambourg. Au bout de 20 minutes, la ville ressemblait à un mur compact

de flammes. Le feu montait jusqu’à deux mille mètres dans le ciel aspirant l’oxygène.

L’air déplacé avait la puissance d’un ouragan. Deux cent kilomètres d’immeubles avaient

disparu. La ville formait une longue colonne de réfugiés, plus d’un million, dispersés dans

toute l’Allemagne, partout l’angoisse d’une mort pitoyable, enseveli, asphyxié dans une cave,

partout les marques de la folie, comme cette femme transportant son enfant calciné dans sa

valise.

Cette stratégie de l’area bombing fut résumée par Churchill en 1941, « procéder, à partir de

notre pays, à une attaque absolument dévastatrice, exterminatrice, en envoyant des

bombardiers lourds sur le territoire allemand [ …] afin de détruire le moral de la population

civile ennemie et, en particulier, celui des travailleurs ».

169

Cette stratégie était à la fois inadéquate, meurtrière pour les équipages et inutilement cruelle

mais elle engloutissait un tiers de la production de guerre britannique si bien qu’elle continua

malgré son échec évident. Comme le note Alfred Döblin « les hommes circulaient dans les

rues, parmi les ruines effrayantes comme s’il ne s’était rien passé de spécial, comme si la ville

avait toujours été dans cet état ».

De fait, l’area bombing soutenait le moral britannique à défaut d’amoindrir celui de la

population civile allemande. Et Churchill pouvait trouver des accents bibliques pour

proclamer « ceux qui avaient lâché sur l’humanité toutes ces horreurs sentiraient désormais

dans leurs foyers et dans leurs personnes les coups dévastateurs d’un juste châtiment ».

Harris ivre de destructions secondait parfaitement Churchill si bien que les victimes des

bombardements n’étaient pas la médiation nécessaire et cruelle d’un objectif, provoquer une

révolte en Allemagne, mais la véritable cible du projet. Plus elles seraient nombreuses et

mieux ça serait. Il semble que la réalité des destructions n’ait pu s’inscrire dans la mémoire

des rescapés qu’à grands renforts de stéréotypes donc de neutralisation des souvenirs.

170

Pourtant, comme le note Sebald, « les conditions préalables du miracle économique allemand

n’étaient pas seulement les énormes investissements du plan Marshall, l’émergence de la

guerre froide et cette mise à la casse des sites industriels vieillis réalisée avec une brutale

efficacité par les escadres de bombardiers.

Le miracle économique allemand était dû aussi à l’éthique du travail apprise sous la société

totalitaire et appliquée sans état d’âme à la faculté d’improvisation logistique d’une économie

cernée de toutes parts, à l’expérience en matière d’utilisation de la main d’œuvre étrangère et

à la perte, finalement regrettable par un petit nombre seulement du lourd fardeau historique

des immeubles d’habitation et de négoce vieux de plusieurs siècles qui, entre 1942 et 1945,

partirent en fumée. Mais le catalyseur était une donnée purement immatérielle : c’était le flot

d’énergie psychique, intarissable jusqu’à ce jour, dont la source est le secret gardé par tous les

cadavres emmurés dans les fondations de notre système politique ; un secret qui a lié les

allemands dans les années de l’après-guerre, qui continue de les lier bien plus efficacement

que tout objectif n’aurait su le faire et je pense ici à la réalisation de la démocratie ».

171

82

L’ère du soupçon est un petit ouvrage d’exploration du roman moderne. Le titre indique qu’il

est advenu un évènement dans la prose, un évènement au sein du récit, un évènement quant à

la nature des personnages. Cet évènement porte un nom Dostoïevski, et une lignée dont Kafka

et Proust tracent le sentier. Un russe orthodoxe revenu des nihilismes, un juif déjudaïsé au

dernier degré et de langue allemande dans la Prague des nationalismes tchèque et germanique,

un autre de langue française, dreyfusard, puis parti braconner sur les terres de la Tradition

littéraire hexagonale qui laissèrent l’intendant Maurras sur le talus réécrivant à jamais

Anthinea.

Comme le dit Nathalie Sarraute, « sur ces terres immenses dont Dostoïevski a ouvert l’accès,

Kafka a tracé une voie, une seule voie étroite et longue, il a poussé dans une seule direction et

il est allé jusqu’au bout ».

Qu’arrive t-il à l’action quand le centre de gravité du personnage romanesque passe du

Dehors au Dedans, elle devient variation, mouvement infiniment déplié fait de contacts, de

repli, d’opacité si bien qu’on « ne sait plus si on avait résisté ou si on avait cédé ». Chez

Kafka cette recherche éperdue du contact se trame sous la forme de l’errance, du jugement, de

la documentation administrative si bien que le personnage n’est plus un type humain à la

caractériologie fixée en genre et espèces (Buffon repris par Balzac) mais le porteur d’états

inexplorés, un homme-limite.

172

Dans le même temps, Paulhan, l’homme-orchestre de la NRF, revue phare de la maison

Gallimard et de la littérature française gidéo-maurrassienne, se met à penser ce qu’il

diagnostique comme un « mal du langage » issu de l’expérience muette des hommes des

tranchées.

Il y aurait donc à l’origine de la crise de la littérature un évènement collectif traumatique et

une impossibilité de le traduire en œuvre. Pourtant Valéry et son « nous civilisation savons

que nous sommes mortelles » éprouve cette horreur indicible et sans précédent dès 1919, Abel

Gance la met en scène sous la forme d’une armée de fantômes, Paulhan sait tout cela mais il

ne disserte pas là-dessus, ni même sur le perpétuel retard à l’allumage ou la non moins

éternelle prescience des œuvres de fiction quant aux expériences humaines.

Ce qu’il poursuit est moins palpable, il en dessine les contours : une perte des genres

littéraires dans leur contamination réciproque initiée par le romantisme, continuée par

Rimbaud et les surréalistes, un équarrissage du cliché qu’est tout langage au nom d’un refus

consubstantiel aux arts littéraires, une traque éperdue d’une « extrême pureté de l’âme ».

Aussi la Terreur dans les lettres, qu’il s’agisse d’épurer le langage de ses expressions usuelles

pour y distiller la pensée, ou de détruire les genres littéraires pour en épuiser les conventions,

aurait donc comme ressort, « la fraîcheur de l’innocence commune ».

173

Maurice Blanchot revient sur cet ouvrage en contemporain, en homme qui connaît intimement

le vocabulaire de la Terreur, pour en avoir usé dans la revue Combat alors proche de la

Cagoule, appelant en l’année 1936 à dresser les échafauds du salut public devant l’avènement

du Front Populaire.

Dès lors, Maurice Blanchot sait parfaitement en cet instant où Vichy tient les camps

d’internement pour une machinerie d’épuration consubstantielle au régime que le terme de

Terreur est apparié à celui de Révolution, qu’elle soit nationale ou non. Il sait aussi que la

littérature concourt au langage proprement vichyssois ne serait-ce que par la rédaction des

discours du Maréchal Pétain signés Emmanuel Berl, il sait aussi qu’on l’a sollicité pour écrire

dans la NRF afin que continue le ballet des rhéteurs. En répondant à la Terreur, Blanchot

amalgame enjeux littéraire et politique.

En conséquence, il pointe deux questions restées en suspens. La première concerne le cliché

poursuivi pour son ambiguïté. Or celle-ci concerne moins l’écrivain que le lecteur, comme il

l’énonce parfaitement les vocables politiques de démocratie, de liberté, d’ordre sont de pures

émanations verbales c’est à celui qui les écoute de les décrypter, non à celui qui les énonce.

174

La question posée à l’écrivain se déplace et devient qu’est ce que la pensée ? Blanchot y

répond provisoirement : « un désordre de mots isolés, de fragments de phrases, une première

expression, fortuite », qu’est-ce que le langage ? « Une expression réglée, le système ordonné

des conventions et des lieux communs ».

On le voit, la pensée serait pure matière, un amalgame de signes et de blocs obscurs, le

langage un corset à trames multiples. Ainsi l’analogie qui les tient appariés est celle de la

traduction. Il n’y a pas plus de trahison que de déformation, mais une création de «

métaphores expressives » seules à même de faire advenir la pensée à elle-même sans se

condamner au silence de la blancheur innocente.

175

83

Jacques Corrèze se lie à Jean Bouvyer (ami d’enfance des Mitterrand, il passa ses étés en

Charente en compagnie de la parentèle) quant à Gabriel Jeantet (né en 1906), il fut le parrain

de François lors de la remise de la Francisque en août 1942. A travers ces deux hommes, c’est

un peu de la Cagoule qui serpente autour du destin singulier du futur président de la

République en ces années où comme le constatait Jacques Laurent, Mitterrand lorgnait

derrière les vitrines la place du Maréchal Pétain.

Dans l’après-guerre, Eugène Schueller, patron de l’Oreal, envoie en Amérique Latine Jacques

Corrèze où il rejoint un ancien de la 17ème équipe Jean Azéma. En 1961, Corrèze fonde dans

le Delaware Cosmair. François Dalle, un vieil ami de Mitterrand, dirige alors la maison mère.

176

84

1/ « Depuis des siècles, la Russie vivait aux dépens du noyau germanique de ses couches

supérieures dirigeantes qu’on peut considérer actuellement comme extirpé et anéanti. Le juif a

pris sa place. Lui-même n’est pas un élément organisateur, il n’est qu’un ferment de

décomposition. L’Etat gigantesque de l’est est mûr pour l’effondrement. Et la fin de la

domination juive en Russie sera aussi la fin de la Russie en tant qu’Etat »

A. Hitler, Mein Kampf

2/ Hitler à Rauschning « Le juif est une créature d’un autre Dieu. Il faut qu’il soit sorti d’une

autre souche humaine. L’Aryen et le Juif, je les oppose l’un à l’autre, et si je donne à l’un le

nom d’Homme, je suis obligé de donner un nom différent à l’autre. Ils sont aussi éloignés

l’un de l’autre que les espèces animales de l’espèce humaine. Ce n’est pas que j’appelle le Juif

un animal. Il est beaucoup plus éloigné de l’animal que nous Aryens. C’est un être étranger à

l’ordre naturel, un être hors nature […] Il ne peut y avoir deux peuples élus. Nous sommes le

peuple de Dieu »

3/ Dès mars 1940, Heydrich présente à Göring un projet de solution globale du problème juif

et demande l’autorisation de traiter avec les pleins pouvoirs avec les chefs de l’administration

civile et des autres organismes.

177

4/ 16 juillet 1941 : Hans Heinrich Lammers, chef de la chancellerie du Reich annonce à

Himmler qu’Hitler lui a confié la responsabilité de la police et de la sûreté dans les territoires

conquis de l’Est. A la fin de l’année, les effectifs des bataillons de police atteignent 33 mille

hommes soit 11 fois plus que l’effectif des Einsatzgruppen en juin.

5/ Fin juillet 1941, Heydrich convaincu depuis le mois de mai que « la solution finale du

problème juif viendrait sans aucun doute », charge Eichmann de rédiger une autorisation de

Göring, officiellement en charge du problème juif depuis novembre 1938, en vue de préparer

la « solution complète du problème juif dans la sphère d’influence allemande en Europe »

6/ 1er août 1941 : Un ordre d’Himmler circule à partir du 2ème Régiment de cavalerie de la SS

« Tous les juifs doivent être exécutés. Chassez les juives dans les marais » (du Pripet). Un

commandant prenant les ordres à la lettre se plaint que les marais ne soient pas assez profonds

pour y noyer les femmes et les enfants. A la mi-août, le propre cinéaste du Führer est sur

place lors des massacres de Minsk aux côtés d’Himmler avec ordre de les filmer. On ne sait

ce que sont devenues les bobines.

7/ Mi-août 1941, Goebbels suggère à Hitler d’obliger les juifs à porter un insigne distinctif.

Le Führer donne son feu vert. La mesure devient effective à partir du 1er septembre.

178

8/ Alors qu’on lui rapporte la déportation sur ordre de Staline de centaines de milliers

d’allemands de la Volga, Hitler ordonne la déportation des juifs du Reich.

9/ « S’il n’y avait plus de juifs en Europe, plus rien ne perturberait l’unité des Etats

européens »

Adolf Hitler au maréchal croate Sladko Kvaternik

10/ Octobre 1941, Heydrich exige un usage plus intensif des camions à gaz. Troublé par les

exécutions massives, le commissaire général de Biélorussie, Wilhelm Kube soulève des

objections quant à l’exécution des « êtres humains de notre sphère culturelle » qu’il distingue

des « hordes bestiales indigènes » et demande des éclaircissements sur le sort des juifs

médaillés de guerre, mariés à des aryennes ou partiellement aryens selon les lois raciales de

Nuremberg (Mischlinge)

11/ A la date du 12 décembre 1941, Joseph Goebbels note dans son journal « Pour ce qui est

du problème juif, le Führer est décidé à faire un grand nettoyage, il a prophétisé que s’ils

provoquaient une autre guerre mondiale, ils seraient anéantis. Ce n’étaient pas des mots en

l’air. La guerre mondiale est là. L’anéantissement des juifs doit en être la conséquence

nécessaire. C’est une question à aborder sans faire de sentiment ». Dès cette date, un des

quatre Einsatzgruppen dépêché à l’arrière de la Wehrmacht avait tué très exactement 229 052

juifs.

179

12/ Hans Frank, commissaire du Gouvernement Général, lance « Nous ne pouvons pas

exécuter ces 3,5 millions de juifs, nous ne pouvons pas les empoisonner, mais nous devons

être capables de prendre des mesures qui conduiront d’une manière ou d’une autre à la

réussite de l’extermination »

13/ Heydrich réunit toutes les autorités concernées à Wannsee le 20 janvier 1942. Il a pour

mandat la liquidation totale des 11 millions de juifs européens. Il semble qu’Eichmann ait

révisé les minutes de la conférence afin d’en éliminer « certains passages trop explicites »

14/ Mars 1942 : Les chambres à gaz de Belzec, Sobibor et Treblinka sont opérationnelles.

Auschwitz-Birkenau devient, le même mois, un camp destiné à la destruction des juifs

d’Europe

15/ Himmler aux officiers supérieurs et chefs de services de la SS, 9 juin 1942 : « Tout ce que

nous faisons doit être justifié par rapport à nos ancêtres. Si nous ne retrouvons pas cette

attache morale, la plus profonde et la meilleure parce que la plus naturelle, nous ne serons pas

capables à ce niveau de vaincre le christianisme et de constituer ce Reich germanique qui sera

une bénédiction pour la Terre entière. Depuis des millénaires, c’est le devoir de la race blonde

que de dominer la Terre et de toujours lui apporter bonheur et civilisation »

180

16/ Himmler (24 avril 1943) : « Détruire les poux ne relève pas d’une conception du monde.

C’est une question de propreté. Bientôt nous n’aurons plus de poux »

17/ Himmler (6 octobre 1943) : « La question suivante nous a été posées : que fait-on de

femmes et des enfants ? Je me suis décidé et là aussi j’ai trouvé une solution évidente. Je ne

me sentais pas le droit d’exterminer les hommes et de laisser grandir les enfants qui se

vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire

disparaître ce peuple de la Terre. »

181

85

A Limoges, régnaient à la tête du bureau de la Milice, Jean de Vaugelas et Victor de

Bourmont puis en juin 1944, le capitaine Raybaud en liaison avec le lieutenant Géromini qui

remplace Bourmont enfin Henri Barrier qui succède, le 25 juillet 1944, à Raybaud. Le jeu des

chaises musicales suit la débandade, le régime de Vichy s’effondre par pans mais des officiers

sont toujours prêts pour la relève. Filliol y dirige le 2ème service de la Milice, il se fait

appeler Deschamps et torture, selon des témoins, en gants blancs. Toujours l’office, l’âme

perverse du prêtre défroqué. Les acolytes de Filliol sont Thomine et Dubarry, assesseurs et

vicaires.

Selon Bar-Zohar, Filliol aurait conduit la division Das Reich sur Oradour sur Glane le 10 juin

1944. Dernier acte de la substitution. Même la guerre civile est déléguée aux allemands.

La retraite des miliciens de Limoges s’opère après le 16 août 1944 : Le convoi est composé de

95 véhicules chargeant plus de huit cents personnes (500 miliciens, 200 femmes, 150 enfants).

Ces miliciens rejoignent le bataillon Carus qui prend position à Tirano (Italie) fin avril 1945,

il y est bombardé par les partisans de la division Valtellina qui le mettent en pièces.

182

86

La Ferdine comme il s’appelait lui-même, avec bien d’autres montmartrois, a une conception

de la vie qui échappe aux midinettes, aux héroïques, aux stoïciens des cafés-concerts, le poing

bloqué sur une liasse. La vie selon Louis-Ferdinand dit Bardamu, dit Monsieur Destouches,

dit le Chroniqueur est une longue suite de dépendances et de défaillances conjointes. Face aux

chimères, face aux pouvoirs, face aux corps, la vie impose dans toute sa cruauté une

dissymétrie des relations entre éléments, une déchéance, une défaite imparable des

consciences et des principes.

De là le procédé comique que Céline emprunte à Rabelais, procédé qui unit en une même

parade passée à la mitraille d’une prose trois points la montre et sa défection : Raumnitz en

maître du château des Hohenzollern mais fessé à Paris, Pétain l’incarnat dernier roi de France

mais régnant sur un peuple de faméliques en bordure de Danube, le couple des aubergistes

allemands alliant un être cupide et une nymphomane sadique, la troupe des 1142 fuyards

lisant, éructant, se disputant, ouvrant leur boutique PPF chargée jusqu’à la gueule de mourants

et de grabataires, la gare où se consomment les idylles ventres vides entre soldats désemparés

et femmes enceintes esseulées et fuyardes ou adolescentes en congé de société, l’officier

allemand débarquant dans l’officine de Céline avec une armada pour lui présenter sa prostate

enflammée avec toucher rectal et rendez-vous, Aïcha et son dogue nettoyant les couloirs de sa

foule haletante de teneurs de gogues bouchés et de fous furieux, débarquant tous les curieux

par la porte de la chambre 36.

183

Néanmoins, comme poète, car Céline est poète, le rhapsode présente sa prose comme une

prosopopée d’où après une centaine de pages de récriminations cette vision d’une péniche à

quai la Publique, avec Caron, le promeneur du Styx, et dans le rôle du guichetier, Le Vigan en

habit de gaucho sorti des pampas argentines de Juan Peron. Du côté des morts, Céline

s’installe sur les nappes floues du passé, ramenant à lui les disparus d’une image et d’un trait

comme ce Laval plus vrai que nature en agent électoral compulsif et en blablateur

égocentrique appelant le pauvre Bichelonne comme garant des faussetés qu’il profère.

Comme narré et médecin, Destouches, le double de Céline, suit les vivants dans cet incessant

ballet où la souffrance croise ses symptômes, maladie, naissance, advenue de la mort, folie.

Car chez Céline, le temps c’est toujours celui de l’apocalypse, le dernier, celui de la décision.

Il ne s’agit donc pas d’intégrer un quelconque style oral, populaire, argotique et je ne sais quel

fantasme populiste en recherche de prix, de vraisemblance et de crudité mais de traiter

l’Instant à son point d’ébullition dans le tremblé de sa venue qui échappe à la nécessité et

partant à toute culpabilité.

184

L’Instant chez Céline c’est donc une Vision car tout poète comme le disait Rimbaud dans sa

lettre est Voyant. Dès lors, tous les personnages de la chronique ont quelque chose de

burlesque, saisis dans leurs mimiques, transportés dans une prosodie où l’usage de la

répétition est constant comme un tenseur hachant l’arabesque grammatical.

Céline parcourt les traits expressifs, il ne cherche pas la ronde des signes, il est celui qui se

lance, aveugle, dans le flot monstrueux de l’Histoire, bistouri en main avec ses capsules de

morphine et cyanure, il est celui qui ricoche aux angles d’inanité du beau récit, de la belle

langue car il tient le monde pour obscur et sans mystères, paysage dévasté des dieux et des

morales, il l’annonce, je suis un mystique mais du néant.

Aussi s’il est un maître Eckhart nihiliste, car persécuté, il n’en reste pas moins un contempteur

de la Rédemption parce que le nivellement est la pente fatale, parce que les hommes veulent

porter beau mais qu’ils sont incroyablement lourds, lestés, du poids de leurs chausse-trappes.

185

87

1943. L’architecte judéo-allemand Erich Mendelsohn est coopté par le Corps d’armement

chimique afin de travailler avec les ingénieurs de la Standard Oil et les décorateurs de la

RKO. Il s’agissait de recréer à l’identique un quartier ouvrier de Berlin dans le désert de

l’Utah. Parallèlement, l’architecte Antonin Raymond mène ses recherches sur la manière dont

les maisons japonaises en bois réagissent au feu. Six répliques de Mietskasernen (baraques de

location) sont donc érigées. Mendelsohn se penche particulièrement sur les matériaux de

couverture dont les caractéristiques sont essentielles en cas d’incendie. Le bois des charpentes

était importé de Mourmansk et les GI l’arrosaient régulièrement afin de reproduire les

conditions climatiques de la lointaine Prusse.

La fabrication du mobilier intérieur était, en revanche, le domaine des techniciens de la RKO

épaulés par des artisans allemands. Tous les détenus de la prison d’Etat de l’Utah furent

enrôlés dans l’œuvre collective. En 44 jours, les villages allemand et japonais étaient sur pied.

Entre mai et septembre, des bombes incendiaires à la thermite et au napalm furent larguées

sur le complexe, et ce, trois fois de suite. La supériorité des munitions au napalm M-69

apparut à tous. Comme le résume Barry Watts, c’était là la conception américaine de la

guerre, « un immense projet d’ingénierie dont les processus fondamentaux sont aussi

précisément calculés que les capacités de résistance à la pression d’un barrage ou la tension

d’un pont »

186

Le 6 août 1945, le bombardier B 29 Enola Gay conduit par Paul Tibbets porte dans ses flancs

Little Boy qui va souffler Hiroshima. A ses côtés, une équipe de scientifiques est embarquée

afin de déterminer avec précision les conditions et les effets de l’explosion. Le bombardier

s’appelait Necessary Evil.

Six options existaient afin d’obtenir la reddition japonaise sans invasion de l’archipel :

poursuite des bombardements et du blocus, négociations officieuses, modification des termes

de la reddition, entrée en guerre des soviétiques, largage atomique de « démonstration »,

largage de bombes atomiques sur des objectifs civils. La seule qui ne fut pas discutée et

débattue fut la dernière.

Aux lendemains du bombardement de Nagasaki, le chef de la marine nippone propose le

lancement d’attaques spéciales dont il estime le bilan à 20 millions de sacrifiés. Les

américains se préparent au largage d’un troisième engin mais la reddition tombe le 14 août, à

la surprise générale.

187

88

On retrouverait Filliol en France en 1946 où il ferait chanter des industriels cagoulards, en

Espagne en 1948, où il prend le nom de Lamy. Il aurait fini riche à Saint Sébastien, deux

stations de la vie, la balle qui l’oublie, la fortune qui le porte dans la langue de Cervantès,

señor Lamy.

Henri Deloncle, le frère du Guide suprême, écroué à la Santé, est libéré en décembre 1945

suite à une « erreur matérielle ». Il fuit en Espagne avec son neveu Louis (18 ans en 1944), et

sa nièce Claude, mariée au milicien Guy Servant. Enfin Henri embarque Mercedes Deloncle

qui deviendra officiellement la femme de Jacques Corrèze, arriba España.

188

89

Selon les méditations d’Heidegger dans Etre et Temps, la mort est une imminence mais une

imminence qu’on ne peut utiliser, ni avec laquelle la coexistence est possible. La mort est un

rendez-vous avec soi-même. La révélation de cette possibilité qui appartient en propre à ce

soi-même, n’est pas théorique, ne passe pas par le rapport à autrui, elle se manifeste dans

l’angoisse.

Le rapport à la mort n’a donc rien à voir avec cette vérité première de l’opinion selon laquelle

nous mourons tous un jour. De plus, ce rapport est étranger à cette réaction devant l’annonce

de la mort des autres, lointains ou proches, qui rappelle que nous sommes encore à l’abri d’un

tel évènement. Contre la mort, il n’y a pas d’assurance, pas de contrat, sa dévastation est

absolue, elle abolit tout lien.

Dans le temps du factice, la mort est toujours un désagrément, un quasi-manque de tact, il

s’agit donc de mourir en silence et discrètement, sans déranger le déjà-vu et le déjà-su qui font

la trame du quotidien. Or, le rapport à la mort, est toujours l’ouverture d’un possible qui n’est

ni le suicide, ni un memento mori, juste la découverte d’un impératif, celui d’éviter de devenir

trop vieux pour les victoires.

189

On peut en tirer la réaction désabusée d’Evola selon laquelle un peuple manque à sa destinée

fasciste dans la mesure où il se montre incapable de fournir un nombre suffisant d’hommes à

la hauteur de certaines exigences et de certains symboles, écho d’une phrase d’Hitler pour qui

après la bataille décisive contre les russes, il ne restait que des êtres inférieurs, les meilleurs

servant de nourriture aux oiseaux et charognards.

Dans les deux cas, on constate un même contre-sens, mais symétrique, de celui de Sartre à

propos de l’existentialisme supposé d’Heidegger. On juge sur le résultat empirique de la

valeur des hommes et des communautés et on en oublie la foi qui les mène et dont les

arabesques sont autres choses que des annonces de journaux ou les concaténations des traités

idéologiques.

Comme l’a dit, le même Heidegger, à propos de Schlageter, baptisé pèlerin du néant par le

leader de l’Internationale communiste Karl Radek, « il ne pouvait se dérober à son destin qui

était de mourir de la mort la plus dure et la plus grande, avec une volonté tranchante et un

cœur lucide ». Que Schlageter fut un nazi fusillé par les troupes d’occupation françaises

dépêchées par Poincaré, n’empêche pas d’observer qu’on est en présence d’un culte du don de

soi qui diffère radicalement du culte de la mort élaboré par les fascistes italiens de la

République sociale avec ces mots gravés sur les mitraillettes de la X Mas du prince Borghese,

« la piété est morte ».

190

Comme l’a bien observé Jean Genet, dans notre Dame des fleurs, la Milice comme les

brigades noires du dernier Mussolini, agissaient en voyous ou en enfants cruels couverts par

l’autorité légale, occupant les trois places du juge, de l’ennemi irréductible et du bourreau. Ce

sentiment exalté d’exercer une sorte de vengeance souveraine sans limites, se retrouve dans

une lettre d’une brave infirmière de la Croix-Rouge passée au service des débris de la

République de Salo « Tu sais, quand ils sortent pour les ratissages, j’essaie toujours de m’y

faufiler, moi aussi. L’autre jour, j’y suis allée avec papa, qui avait demandé de s’engager dans

la SS, j’étais si heureuse, tu sais. Les militaires me disent toujours que je ne devrais pas parce

que je porte la poisse, mais, moi, tu sais, quand je peux, j’y vais ».

191

90

Pour les Kabbalistes, l’unité de la divinité repose sur les sefirot qui sont comme les

émanations d’une respiration sans fin dont les modalités ont trois scansions, la Création, la

Révélation et la Rédemption.

Le terme, sefira, introduit au XIIIème siècle, repose sur la racine SFR dont la double

signification renvoie au Livre et au compte. Il est étrange que les nazis n’aient jamais oublié

ces deux pôles dans leur entreprise de règlement du problème juif par la destruction et le

compte des vivants et, parallèlement, la collection et le compte des morts. Chez eux, la beauté

du mort passait par la destruction finale du vivant, les juifs avaient survécu par l’étude, les

nazis les maintiendraient par la recherche après les avoir réduit aux volutes des crématoires.

Alors que la conférence de Wannsee avait décidé la destruction des juifs d’Europe, Alfred

Rosenberg, l’idéologue nazi à la langue épaisse avait entrepris de réunir l’ensemble des fonds

des bibliothèques juives dans le Hoschule zur Erforschung der Judenfrage à Francfort, comme

si l’entreprise criminelle en cours se doublait d’une attestation de la perversité juive à travers

l’Histoire, car n’en doutons pas comme tous les athées et tous les eugénistes conséquents, les

nazis considéraient que les juifs avaient commis cet acte ignoble d’instituer la transcendance

et l’existence d’une faille perpétuelle dans l’Humanité dont les nazis entreprenaient par le fer

et le feu de restaurer le corps biologique glorieux.

192

Pour ce faire, on réunit des érudits juifs qu’on s’empressa d’expédier à Auschwitz en 1943 à

l’exception de certains dont le plus important fut le docteur Ernst Grumach. Bien entendu la

collecte fut menée à l’allemande, d’une manière méthodique et délirante. Les bombardements

alliés eurent raison de certains fonds alors même qu’ils réduisaient en poussière le treillis des

villes allemandes détruisant sous un tapis de bombes Cologne, Hambourg ou Dresde.

Consciencieux, les responsables nazis expédièrent les fonds en Tchécoslovaquie et en Silésie

avant que l’avance foudroyante de l’armée rouge accompagnée de son cortège de viols

massifs, de pillages et d’orgie de destructions devant le spectacle d’un ordre et d’une

prospérité germaniques qui rendait fous des moujiks, dont le sens moral était perverti par la

cynisme vibrant du stalinisme.

Gershom Sholem fut envoyé sur place par les instances du Yishouv qui n’était pas encore

Israël afin de sauver ces fonds mais ce fut un major américain, un certain Pomeranz qui

entreprit de les récupérer à Offenbach près de Francfort pour les offrir en guise de rédemption

triste à ceux qui avaient survécu mais ne savaient plus vraiment ce qu’ils étaient.

Dans la Kabbale il est dit que la Shekhina est la présence divine dans le monde, c’est une

entité féminine, la fille du Roi, elle est de l’ordre du créé de l’inférieur, elle est le royaume.

Qu’un tel royaume comprenne Auschwitz pose le problème du lien avec la divinité cachée

l’EnSof, un lien qu’Azriel de Gérone avait formulé ainsi, En-Sof est la racine commune de la

foi et de l’incrédulité, comme si ce Dieu caché disait aussi le caractère insondable d’un mal

que Kant nommait radical parce qu’il le pressentait infini.

193

Épilogue gnostique

On sait ce qu’est l’artiste gnostique, toujours en révolte contre le monde et la création, en

manque de peuple et citoyen de la Cité de demain, toujours en attente d’une illumination qui

le ramènera à son essence supra-humaine, volontaire de chaque instant pour la communion

avec le Plérôme, appartenant de droit à l’idéal. Comme Initié, son art dévoile et voile en

même temps le grand secret et le place en bordure rémanente du désespoir (est-il pneumatique

?). Il ne sait comment traduire les influx sublimes qui le traversent, dès lors il sera le forcené

de la déchirure, du scandale, l’athlète de la statue intérieure puisque toute œuvre est

décevante. Déchirer le voile des apparences sera son obsession, toujours du choc et des

claques pour que la masse effarouchée des hyliques et psychiques voient et sentent puis

tremblent devant le scandale de leur existence.

En conséquence le politique gnostique sera racialiste ou partisan d’un nouvel homme (d’où le

mythe de l’élection et son antisémitisme à fleur de peau), tour à tour artiste et laborantin,

porté sur le rituel et l’efficacité, cynique mais en porte à faux sur l’horizon eschatologique où

le mal sera extrait du monde par le combat, l’activisme, le feu, la terreur et la palette entière

de ses exactions. Tout sera bon pour faire advenir la communion enfin réalisée du vrai savoir

qui n’est jamais officiel, de l’homme véritable qui n’est toujours qu’une partie de l’Humanité

et de l’origine supra-humaine qui nous fera les enfants d’Hyperborée, du communisme

primitif, d’Apollon ou d’on ne sait quoi.

194

Pour le gnostique, la seule vertu qui soit est celle de sa supériorité, la seule souffrance, la

sienne, le mal, l’action des méchants, des prisonniers de la glaise, Dieu n’est jamais le gardien

du monde mais son contempteur, il accomplit donc sa volonté, tel un somnambule dont

l’intuition guide les pas jusqu’au crépuscule final qui est toujours celui des dieux. Avec sa

mort, le gnostique pense que c’est le divin qui se retire et se rétracte et la malignité du

démiurge qui remplit de nouveau le monde si bien qu’il n’y a pas de crime qui ne soit

supérieur en gravité à cette défaite, pas d’autre voie que le suicide quand les forces coalisées

sous l’action sinistre de quelque complot viennent porter l’estocade.

De toute façon, le gnostique s’en fout, il est Immortel.