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Guide pratique de traumatologie © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Chapitre 59 Ce que vous savez déjà • L’atteinte du nerf ischiatique (sciatique) repré- sente l’essentiel des traumatismes nerveux du membre pelvien. • Il faut nettement distinguer les plaies franches relativement rares, justiciables de suture ou à la rigueur de greffes courtes, des lésions par étire- ment (lors des traumatismes de la hanche, du fémur et du genou), qui sont par définition éten- dues, de diagnostic souvent tardif et de réparation difficile. • Il faut également différencier la paralysie du nerf tibial, surtout génératrice de troubles sensitifs et trophiques souvent réversibles, et la paralysie du nerf fibulaire, génératrice de steppage et souvent définitive. • Ces spécifités jointes à l’importance anatomique du tronc du nerf ischiatique font que les progrès apportés par la microchirurgie sont ici moins nets qu’au membre thoracique. • Il y a enfin un certain nombre de lésions iatro- gènes où une prévention est possible. Ce que nous pouvons préciser La topographie lésionnelle (figure 59.1) • Le nerf ischiatique peut être atteint : au niveau de la hanche : plus souvent par étirement radiculaire que contusion. L5 est plus fréquemment atteinte, avec paralysie élec- tive du nerf fibulaire commun. Une évolution régressive est constatée dans la moitié des cas. Il y a parallélisme entre la gravité de la paralysie et le retard apporté à la réduction de la lésion ostéoarticulaire. S’il y a atteinte concomitante nerf fibulaire commun-nerf tibial commun, il y a peu de chances de voir régresser la paralysie du nerf fibulaire ; Traumatismes nerveux du membre pelvien Fig. 59.1. 1. Luxation dorsale de hanche et atteinte de L5. 2. Luxation du genou et atteinte du nerf fibulaire.

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Page 1: 3 s2.0-b978229470300300059 x-mainnqs

Chapitre 59

Traumatismes nerveux du membre pelvien

Fig. 59.1. 1. Luxation dorsale de hanche et atteinte de L5. 2. Luxation du genou et atteinte du nerf fibulaire.

Ce que vous savez déjà

•L’atteintedunerfischiatique(sciatique)repré-sente l’essentiel des traumatismes nerveux dumembrepelvien.•Il fautnettementdistinguer lesplaies franchesrelativement rares, justiciables de suture ou à larigueur de greffes courtes, des lésions par étire­ment (lors des traumatismes de la hanche, dufémuretdugenou),quisontpardéfinitionéten-dues,dediagnosticsouventtardifetderéparationdifficile.•Il faut également différencier la paralysie dunerftibial,surtoutgénératricedetroublessensitifsettrophiquessouventréversibles,etlaparalysiedunerffibulaire,génératricedesteppageetsouventdéfinitive.•Cesspécifitésjointesàl’importanceanatomiquedutroncdunerfischiatiquefontquelesprogrèsapportésparlamicrochirurgiesonticimoinsnetsqu’aumembrethoracique.•Ilyaenfinuncertainnombredelésionsiatro-gènesoùunepréventionestpossible.

Ce que nous pouvons préciser

La topographie lésionnelle (figure59.1)

•Lenerf ischiatiquepeutêtreatteint:– au niveau de la hanche : plus souvent parétirement radiculaire que contusion. L5 estplusfréquemmentatteinte,avecparalysieélec-tivedunerf fibulairecommun.Uneévolutionrégressiveestconstatéedans lamoitiédescas.

Guide pratique de traumatologie© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Ilyaparallélismeentrelagravitédelaparalysieet leretardapportéà laréductionde la lésionostéoarticulaire. S’il y a atteinte concomitantenerffibulairecommun­nerftibialcommun,ilyapeudechancesdevoirrégresserlaparalysiedunerffibulaire;

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300 Traumatismes du membre pelvien

– au niveau de la cuisse:lesfracturesdufémursontuneétiologiepossiblemaisplusrared’éti-rementetderupture;– au niveau du genou:leslésionsd’étirementsontmajeuresetc’estsurtoutlenerffibulairequiestlésé.Ilyasouventrupturepartielleoutotale.Ilpeuts’ysurajouterunfacteur isché-mique lié à une atteinte associée de l’artèrepoplitée.La récupérationest rare.Nousn’enavons personnellement observé aucune sur11cas.

Dans tous ces cas, il y a dilacération, étirement,rétraction,rapidementfixée,desextrémitésnerv­euses;

– au niveau de la jambe et de la cheville : unmécanismedetractionsur lenerf fibulairepardéplacement important du segment distal dumembre peut entraîner une paralysie du nerffibulaire.Celle­ciest,engénéral,régressive;– il peut y avoir en revanche des plaiesaucoursdetraumatismesouvertsdelafesse,delacuisseetdugenou (colde la fibula). Sauf en casdeprojectiles(plombs), les lésionssontplusfran-chesetpluslimitées,doncplusaccessiblesàuneréparation;– il y a enfin des traumatismes par iatrogénicité:une compression par écarteur, par garrot, parplâtre,unetractionsurtableorthopédiquepeu-vent entraîner une paralysie du nerf fibulaire.Celle­ciest,dansl’ensemble,debonpronostic.Nousavonseu9récupérationssur10casentre9et18mois.Leshématomessousanticoagu-lantsdonnentégalementdesparalysies régres-sives, s’ils sont opérés à temps,mais avec desséquellesnonnégligeables;– il est important de noter, sur le plan médico-légal, que la régression d’une paralysie du nerf fibulaire laisse malgré tout dans 3 cas sur 4 une atrophie mineure mais certaine, et surtout des troubles sensitifs barométriques, dysesthésiques, souvent gênants.

•Les autres nerfs dumembrepelvien sont plusrarement atteints. Le nerf fémoral (crural), auniveau de son tronc, est surtout victime d’acci-dents iatrogènes au cours d’abords de hanchedifficiles(réfectionscotyloïdiennes).Auniveaudesesbranches,ilfautconnaîtrel’associationpossi-ble,chezlesportif,d’unerupturemusculairedu

rectus femorisetdufaisceaudescendantdunerfdurectusfemoris.•Le nerf obturateur est très rarement le sièged’une lésion traumatique, et celle­ci a peu d’in-cidencesvul’innervationmixtedelaplupartdesadducteurs. Une atteinte du nerf pudental parexcès de traction sur table orthopédique doitrequérirtoutmoyendeprévention.•Ànoterquelenerfcutanésuralmédial(saphèneexterne) etmême le nerf fibulaire peuvent êtreatteints au cours de la chirurgie des varices etlors d’un verrouillage distal d’un enclouage dufémur.

La nature de la lésion nerveuse

Rappelonsschématiquementquelescellulesner-veuses ont leur corps dans lamoelle épinière etqueleuraxoneentourédesagaineconstitueunefibrenerveuse.Celles­ciseréunissentenfasciculesentourésparlepérinèvre,l’ensembledesfasciculesconstituant le nerf anatomique, qui est entouréparl’épinèvre.Toutecomparaisonfréquentemaisfausse avec un câble électrique doit s’arrêter là.Touscesfasciculessont,saufexception,loind’êtreparallèlesdeleurnaissanceàleurterminaison.Lesminutieusescartographiesfaitessurleurstrajetsenmontrentlacomplexitéetlaissentprévoirlesdiffi-cultésopératoires.Letraumatismevacomplexifiercetableau.Les lésions sont classées par Sunderland de lafaçonsuivante:•degré1:interruptiondelaconductionnerveusepurement fonctionnelle.Récupérationspontanéeaveclalevéedublocdeconduction(neurapraxiedeSeddon);•degré 2 : interruption anatomique de l’axonemaisletubeneuralestintact.Larepousseseferasans«erreurd’aiguillage»;•degré3:letubeneuraletlesaxonessontinter-rompus,ilyaurades«erreursd’aiguillage»lorsdelarepousseetdoncunerécupérationpartielle;•degré4 : lepérinèvreest rompu, seulpersistel’épinèvre (vacuité du tronc nerveux à la palpa-tion)(lesdegrés2,3,4correspondentàl’axotom-nésisdeSeddon);•degré5:lasectiondutroncnerveuxesttotale.

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Chapitre 59. Traumatismes nerveux du membre pelvien 301

Leur bilan clinique•Ilestbanalderappelerlanécessitéd’unexamensystématique de la motricité et de la sensibilitédansleterritoiredunerfischiatique,devanttouttraumatisme important dumembre pelvien, quiestunélémentindispensablederéférencecliniqueetmédicolégale.•Rappelons qu’au cours d’une surveillance cli-nique,laréapparitiond’unecontractionpremièredanslesischio­jambiersmédiauxsigneunelésionradiculaire, alorsque le long fibulaire et le longextenseur des orteils (extenseur commun) sontréinnervésenpremieraucoursd’unelésiontron-culaire (intérêt pronostique, la lésion radiculaireétanteneffetplusgrave).•Uneparalysieduquadricipitisfemorisparlésiondu tronc du nerf fémoral (crural) est évidente,maisilfautpenseràlarupturedunerfdurectusfemorisdevantuneséquelledurabledeclaquagechezunsportif.

Leur bilan complémentaire

D’unesériede31paralysiesdunerffibulairesui-vies par électromyographie, nous avons tiré lesenseignementspratiquessuivants:•s’il y a une dénervation totale initiale et à3examensespacésd’unmois,laparalysiedemeu-rera complète cliniquement sur le plan moteur,avecpossibilitéd’unretourvariablemaistoujoursincompletdelasensibilité;•s’ilyaunedénervationpartielle initiale, ilya2chancessur3pourquelemaladerécupère,enmoyenne,en18mois,maisensachantquecetterécupérationpeut êtregênée sur leplanmoteurparuneraideurdel’articulationtalo­crurale,unerétraction tendineuse et une griffe des orteils etsurtout,sur leplansensitif,pardesphénomènesparesthésiques.Ainsi, en dehors d’une constatation immédiateperopératoirederupture,onpeutêtrefixé,avecpeu de risques d’erreurs, dans les 6 premiersmoislorsqu’ilyadénervationtotale,etdansles18mois lorsqu’il y adénervationpartielle.Ceséléments nous paraissent intéressants à signalerpourprévoirunplanthérapeutiqueetétablirunpronostic.

Leur traitement•L’explorationchirurgicale:– elleestindiquéepourtouteplaieauvoisinaged’untroncnerveuxouaucoursdetoutabordchirurgical pour une autre lésion traumatique(vasculairenotamment);– elledoitêtreminutieuseetatraumatique.Lenerfdoitêtreprotégéets’ilestsectionnérepéréetsesextrémitésorientées;– unbilancompletdeslésionsassociéesetleurtraitementdoiventêtreréalisés.

•Lasuppressiondel’agentcompressif(os,héma-tome,plâtre)etdel’élémentdetraction[ ][ ].•La suture nerveuse épipérineurale de Bourreldirectionnelledesgroupes fasciculaires sousmicro­scopeaufil9/0,enurgence,possiblesurdesplaiesfranchesvuesenurgence,aidéeparfoisparunlégerraccourcissementd’un foyerosseux(l’utilisationdecollebiologiquesimplifielasutureetréduitlenom-bredepoints).Danstouslesautrescas,attendrela3e semaine,oùapparaîtlepicderégénération,oùlaplaieestcicatrisée,oùleszonescontusessontbienlimitées,mêmedansleslésionstronculairesproximales.•Lagreffenerveusefasciculée(rarementindiquéeenurgence):elleestlimitéeparl’importancehabi-tuelledesdéfectset lamodicitédessitesdonneursde greffons (nerf cutané suralmédial, ou saphèneexterne, plutôt controlatéral, nerf fibulaire homo-latéral,plutôt revascularisé).Ellen’estpossible surtout le troncdunerf ischiatiquequ’encasd’écarttrèslimité(<7cm).Ilfautautrementprivilégierlenerftibialeteffectuerrapidementunechirurgiepal-liativecontrelestroublesmoteursdunerffibulaire.Surleslésionsisoléesdunerffibulaireaugenouparrupture,ladilacérationetlarétractionnedoiventpaslaisserundéfectdeplusde20cmpourqu’unegreffeaitunechancedesuccès(etencoreena­t­ellepeu).•La chirurgie palliative (notamment de trans-plant dumuscle tibial dorsal, ou jambier posté-rieur),quisortducadredel’urgence.

Comment choisir ?

•En premier lieu, une attention permanentedoitprévenirleslésionsiatrogènes:miseenplaced’écarteurs,confectiondeplâtre,tractionsmodé-rées en surveillant les rotations et la flexion dugenou,etc.

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302 Traumatismes du membre pelvien

•Ensuite,uncertainnombredegestessimpleseturgentssontàeffectuerpour:– réduirelesluxationsdehancheetdegenou;– supprimerunecompressionouunedistension;– évacuerunhématomesilaparalysieapparaîtsecondairement sans raisonmécaniqueet soustraitementanticoagulant.

•Del’urgencedugeste,dépendraengrandepar-tielepronosticultérieur.•Enfin, peu d’actes directs sont à effectuer enurgencesurlenerflui­même:– au niveau de la hanche : quasiment jamais(saufhématome);– auniveaudelacuisse:lesplaiesfranchesserontsuturéesd’embléeouunegreffecomplèteseraeffectuéesil’écartesttrèslimité(<7cm)(inter-ventionsouventsecondaireprécoce,oudifféréejusqu’au 6e mois vu un contexte traumatiquegrave). Toute perte de substance plus impor-tanteliéeàuneruptureserarepéréeetfixée.Larecoupe secondaire sera très large notammenten proximal, la réparation privilégiera le nerftibial, aubesoin en se servant commegreffondunerffibulairerevascularisé;– auniveaudugenou,endehorsdesraresplaiesdunerf fibulairequi seront suturéesd’embléeouaurontunegreffecourte,l’atteintepardila-cérationdunerffibulaireestsouventtrèséten-due. Au moment du traitement de l’entorsegravequienestàl’origine,onrepéreraetfixerales extrémités. Une greffe secondaire ne serapossible qu’au­dessous de 20 cm et avec desrésultatsmédiocres.

•Encasdelésionstropétenduespourunechirur-giedirecte, il fautrapidementeffectuerungestepalliatif : par exemple, transposition du muscletibialdorsal(jambierpostérieur).

Quelques chiffres pour informer le malade et son médecin

•Prévention thromboembolique :– encasd’immobilisationdumembrepelvien:protocole orthopédique proposé durant les15premiersjours,avecrelaisparAVKouHBPM(3100UI)jusqu’àreprisedelamarchedepuis8jours;

– écho­Dopplerconseillési interventiondiffé-réeetmaladeprivédemarcheavecappuidepuisplusieurssemaines.

•Durée d’hospitalisation :– elleestenfaitfonctiondelalésioncausale;– une greffe nerveuse isolée ne nécessite que6à8joursd’hospitalisation.

•Rééducation :– indispensablepourmaintenirlamobilitédelatibio­tarsienneetéviterlesgriffesd’orteilsetlarétractiondutendoncalcanéen;– àassocieràunappareillageprovisoire:attelleanti­équinoureleveur.

•Arrêt de travail(trèslong):– sur 42 malades suivis pour une paralysie du nerf fibulaire, 1/3 ont repris avant 2 ans,1/3après3ans,1/3sontinvalidesoureclassés;– enfait,unesectiontotalenonréparéeasonpronosticfixéen6mois.Unedénervationpar-tielle peut évoluer sur 18 à 24mois selon leniveaudel’atteinte;– il en est de même pour la surveillance durésultatd’unegreffe.

•AIPP :– paralysieischiatiquecomplète:35à45%enAT,35à45%enDC;– paralysiedunerffibulaire:15à30%enAT,15à20%enDC;– paralysie du nerf tibial : 15 à 25% enAT,15à20%enDC;– paralysiedunerffémoral(crural):45à55%enAT,20à30%enDC;– ulcérationstrophiques:5à20%enATetDC.

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