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Page 1: 2004 aout b protegez vous

Protégez-Vous Août 2004 ‹ 13

Francine Lavoie y a cru pendantun moment. Il y a quatre ans,après avoir acheté Les SourcesSaint-Élie inc., elle pensait pou-voir distribuer son eau dans les

grandes chaînes d’alimentation et lesdépanneurs. Mais devant les coûts d’em-ballage et de transport et la guerre de prixque se livraient les grandes marques, elle a

vite déchanté. «C’était devenu impossiblede concurrencer les géants de l’industrie»,explique-t-elle. Elle a donc changé de stra-tégie. Aujourd’hui, pour goûter son eau, ilfaut se déplacer au Ritz Carlton ou dansdes chaînes de restos comme Presse caféou Sushi Shop. Car l’élixir n’est désormaisvendu que sous des marques privées.

Les Sources Saint-Élie est l’un desrares embouteilleurs d’eau indépendantstoujours en activité au Québec, avecAmaro et quelques autres spécialisés dansles grosses bonbonnes. Presque tous lesautres ont été avalés par les grands acteurs,qui ont aujourd’hui la mainmise sur plusde 80 % du marché québécois de l’eauembouteillée (voyez le tableau page 14).

Les multinationales injectent des mil-lions pour mettre en marché leurs pro-duits. Pour lancer Pure Life (de l’eau sou-terraine purifiée et minéralisée), Nestlé adépensé 80 millions de dollars en publi-cité. L’idée: que sa marque vedette soit laplus largement diffusée dans le monded’ici à 2010.

Selon le magazine américain Fortune,les profits mondiaux de l’industrie de l’eauatteindraient environ 40 % de ceux de l’in-dustrie pétrolière, et auraient déjà dépasséceux de l’industrie pharmaceutique.

À CHACUN SA NAPPE Un peu comme dans le secteur pétro-

lier, les multinationales ont le gros bout dubâton pour fixer lesprix. Un petit tour ausupermarché suffitpour voir qu’il coûteparfois plus cher

d’étancher sa soif que de remplir sonréservoir d’essence. En mai dernier, sur laRive-Sud de Montréal, la bouteille d’unlitre d’eau Dasani se détaillait 1,29 $.«C’est de l’eau du robinet, mais selon leformat, elle coûte jusqu’à 3 000 fois pluscher!» lance Gaëtan Breton, trésorier de lacoalition Eau Secours!, qui milite pour une

UNE POIGNÉE DE MULTINATIONALES, DES MILLIARDS DE PROFITS, UNE SEULERESSOURCE... QU’ON S’ARRACHE ENCORE GRATUITEMENT AU QUÉBEC.par René Lewandowski

NESTLÉ ET DANONE CONTRÔLENT PRÈS DE 70 % DES GRANDESMARQUES D’EAU EMBOUTEILLÉE DISTRIBUÉES DANS LE MONDE.

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› Eau

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14 › www.pv.qc.ca

saine gestion de l’eau auQuébec.

Selon M. Breton, cen’est pas tant la main-mise des multinationalesqui inquiète, que le faitqu’elles puissent pomperde l’eau sans égard auxconséquences environ-nementales. Par exem-ple, fait-il valoir, on neconnaît pas vraiment

l’état des nappes phréatiques québécoises,et on ne sait toujours pas à quelle vitesseelles se régénèrent. «Le gouvernementdélivre des permis en se fondant sur destests incomplets et ridicules», dit-il.

Le ministère de l’Environnement(MENV) rétorque qu’a-vant d’attribuer unesource d’eau, il exigetoujours une étudehydrogéologique auxfrais des embouteilleurs(jusqu’à 60 000 $). Cesétudes permettent dedéterminer le volumed’eau qui se trouve dansla source et de prévoirles impacts — au moyende tests de pompage —sur la nappe souterraineainsi que sur les nappesenvironnantes; ensuite,elles permettent devérifier la qualité del’eau de source et des’assurer de l’étanchéitéentre les eaux de sur-face et souterraines, afind’éviter la contamina-tion, explique LucProulx, directeur dumilieu municipal auMENV.

En mai 2000, unrapport du Bureau d’au-diences publiques surl ’ e n v i r o n n e m e n t(BAPE) abondait pour-

tant dans le sens des environnementa-listes. Ses conclusions: les connaissancessur la nature, le potentiel et le taux derenouvellement des nappes sont encorelimitées; il faut user de modération pouréviter des excès de prélèvements.

Pas question, cependant, de rétablir lemoratoire d’un an sur le captage d’eaudécrété par le gouvernement en 1997,comme l’avaient exigé avec insistance plu-sieurs participants aux audiences duBAPE. Après tout, faisait valoir l’orga-

nisme, dans l’ensemble de la consomma-tion des eaux souterraines québécoises, laproportion de l’eau embouteillée est trèsfaible, se situant à 0,08 %; le reste va auxindustries, aux commerces, aux agricul-teurs, aux municipalités et aux particuliers.

La rigueur restenéanmoins de mise: l’eausouterraine demeureextrêmement vulnérableà la pollution (par lespesticides et le fumier, lesdépotoirs, les résidusminiers et les hydrocar-bures), et une nappe sou-terraine contaminée estdifficile et coûteuse à nettoyer.

À QUI LA FACTURE?

Depuis 10 ans, leministère de l’Environ-nement a attribué19 sources, dont11 depuis 2000. «Maisseulement le tiers sont enactivité», indique LucProulx. Aucun desexploitants ne paie pour-tant de redevances pourpomper l’eau du Québec.«C’est une ressource quia de plus en plus devaleur, mais on la donnegratuitement. Ça n’a pasde bon sens», s’insurgeGaëtan Breton.

Au Québec, il se consommeannuellement près de 380 millions delitres d’eau embouteillée, selon uneestimation de janvier 2001 de TDGConsulting. Mais l’industrie en captebien davantage, puisque déjà en 1996plus de 33 % de la production étaitexportée. Une manne pour lesembouteilleurs, qui n’ont pas à payerleur matière première. Si seule Danonepompe l’eau de ses petites bouteilles auQuébec, les fabricants des bonbonnesde 18 L — entre 40 et 45 % de l’eauvendue ici — la puisent tous ici.

La situation préoccupe les diri-geants politiques. À un point tel qu’ennovembre 2002, au moment du dépôtde sa politique de l’eau, le gouverne-ment de Bernard Landry avait prévu laperception de redevances de 10 à 15 millions de dollars par an desembouteilleurs. Une goutte d’eau dansl’océan des profits, certes, mais l’idéeétait de créer un fonds national de l’eaudestiné à financer la réfection des infra-structures municipales.

Avec l’arrivée au pouvoir des libé-raux, la mesure a été retardée. «Noussommes conscients que l’eau a unevaleur, mais nous ne voulons pas payertout seuls», dit la présidente del’Association des embouteilleurs d’eaudu Québec, Anita Jarjour, qui est aussidirectrice des affaires réglementaireschez Danone Canada. Chiffres à l’ap-pui, les embouteilleurs estiment qu’ilserait injuste d’assumer seuls la notealors qu’ils utilisent moins de 1 % del’ensemble de la consommation deseaux souterraines.

Le MENV étudie donc différentsscénarios. L’un d’eux serait de ciblerl’ensemble des exploitants commer-ciaux et industriels pour qu’ils se parta-gent la facture. L’actuel ministre del’Environnement, Thomas Mulcair, aégalement ouvert la porte à l’exporta-tion de l’eau en vrac en juin dernier.Même si cette activité s’accompagnaitde redevances aux régions, l’idéequ’elle puisse être soumise aux règlesde l’Accord de libre-échange nord-américain inquiète certains interlocu-teurs qui craignent que la précieuseressource devienne une marchandisecomme les autres. Débat en vue.‹

Les grands acteursq prélevée au Québec W prélevée ailleurs au Canada

EvianLabradorqNayaqLarochelleq

MontclairWAberfoyleWPerrierVittelSan PellegrinoPlus de 70 autresmarques dans le monde

DasaniW

Aquafina

AmaroqKiriqSources Saint-ÉlieqNutrinorq

Quelques indépendants

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› Eau

«L’EAU EST UNE RESSOURCE QUI A DE PLUS EN PLUS DE VALEUR, MAIS ON LA DONNE GRATUITEMENT.ÇA N’A PAS DE BON SENS!» Gaëtan Breton, coalition Eau Secours!