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Le s p a p y r u s m é d ic a u xde l ’ Égyp t e anc i enne 6 0

p ar Th i er r y B ar d i ne t

L’étude des papyrus médi-caux montre que, pour lesÉgyptiens, la santé ou la mala-die dépendaient essentielle-ment de souffles d’origine

extérieure.

AOUR LP

2 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Bloc-notes d e D id i e r N o r d o n 5

Point de vue 7Informat ique, santé et sécuri té

p a r J e a n d e Ke r v a s d o u é

Tribune des lec teurs 9

Jeu-concours 1 0Décompte de ca rtes

p a r P ie r r e To u g ne

Science et gastronomie 1 1Dans les papil le s

Perspectives scientifiques :

Ma tér iaux mous 1 2Un soja bien mal squatt erisé 1 3Vent solaire 1 4Parfum antique 1 5Protection invisible 1 6La caulerpe 1 7Superphénix dema in? 2 0Sans domicile 2 1Un roman fl euve 2 2Ô râles et c ris

2 2La cellulose 2 3Rides et c ratè res sur Ganymède 2 4Cosmétiques et pépins de raisin 2 5

S av o i r t e c h n i q u e 2 6L’ampoule à halogène

p a r Te r r y M c Go w a n

Visions mathématiques 1 0 6La sculpture et les nombres

p a r I a n S t ew a r t

L’i mage du mois 1 0 8Chargeurs d’eau

p a r Giu l i o Cu c c o d o r o

Analyses de l ivres 1 1 0- Inventaire des plantes protégées en

France, p a r Ph i l i p pe Da n t o n e t M i c h e l Ba f f r a y- Flat land, p a r Ed w in Ab b o t t

- La physique quantique, p a r Ét i e n n e K le i n

La r e c o n s t i t u t i o nd e s d in o s a ur e s 2 8

p a r G r e g o r y P a u l

Les illustrations deCharles Knight ont res-suscité et réhabilité lesdinosaures bien avant

Jurassic Park.

Le so l e i l e t l a peau 4 4

p a r L o u i s D u b e r t r e t

Le soleil est indispensable à lasanté de la peau, mais l’excèsest nuisible. Les ultraviolets

A, que l’on croyait inoffensifs,sont aussi nocifs que les ultra-violetsB : ils déclenchent aussides cancers de la peau.

Le s p r o pr i ét é s d e s q ua s ic r i s t a u x 5 2

p a r J e a n- M a r i e Du b oi s

Les exceptionnelles propriétésélectriques, mécaniques et tri-

bologiques des quasicristauxsont d’heureuses surprises quipromettent d’intéressantesapplications technologiques.

DOSSIER : LA VIE DES DINOSAURES

Le baron Nopcsa et les dinosaures 3 6Un oisea u chinois du Jurassique? 3 8Les plus vieux tyrannosaure s 4 0Dinosaures du Gondwana 4 1

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3© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

É D I T O R I A LN ° 2 2 6 – A o û t 1 9 9 6

L’odyssée des quasicr ist aux :un cas d’école

Les quasicristaux sont exemplaires : subo-dorés il y a une dizaine d’années, ils sont aujour-d’hui une réalité industrielle.

L’évidence initiale était ténue : les dia-grammes aux rayons X de cet état de la matièreprésentaient une symétrie d’ordre cinq quicontredisait les lois classiques de la cristallo-graphie. Pour les sceptiques, les observationsn’étaient qu’un artefact, pour les plus opti-mistes et les mieux intentionnés, cette phasesolide était une curiosité de laboratoire. Lespreuves de l’existence de cette quasi-symé-trie reposent sur quelques grammes fabriquéesà grand frais ; aujourd’hui de tels quasicris-

taux, des alliages intermétalliques, sont pro-duits par tonnes (voir Les propriétés des

quasicristaux, par Jean-Marie Dubois, page 52).Sur le front de la science, les interactions

entre disciplines sont la règle, et les techniquesde pointe activement mobilisées. Une telleobservation n’est pas nouvelle : elle n’en estpas moins vraie. La compréhension de ces ano-malies de la matière a été étayée par un pavage biscornu découvert par le mathématicien Pen-rose, par une théorie mathématique élaborée

juste avant que ces cristaux à symétrie penta-gonale aient été découverts, par des observa-tions cristallographiques fines, par lesconnaissances accumulées en physique dessolides ; les structures fractales ont aussi contri- bué à une meilleure perception de la géomé-trie de l’alliage et ont grandement facilité lecalcul de ses propriétés électriques et thermo-dynamiques.

Aujourd’hui les ingénieurs mettent au pointdes alliages quasi cristallins dont les proprié-

tés antifriction et conductrices de la chaleursont prometteuses : des applications appa-raissent sur le marché. La partie n’est pas gagnéecar l’industrie est une maîtresse sévère, les voiesde la commercialisation semées d’embûches,mais les espérances sont tangibles.

Superbe cheminement entre sciences fon-damentales et appliquées. Dans ce domaine,les réalisations françaises sont en pointe : une bouffée d’oxygène en des temps qui peuventapparaître maussades.

Philippe BOULANGER

Le l o n g s o m m e i l d e s i n s e c t e s 6 8

p ar Fr é dé r i c M e n uet Domit ien Debouzie

Dans certaines populationsd’insectes, les individus s’en-

dorment pendant des duréesvariables. L’espèce se protègeainsi contre les variations cli-matiques.

La p ê c h e à Te r r e - Ne u v e 7 4

p ar J a c q u el i ne He r s a r tde la Vi l l emar qué

La pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve a long-

temps été rentable et, pendantprès de 500 ans, de nombreuxports ont armé pour cettepêche.

Ei n s t e i n, pè r e de s t r o u s n oi r sm a l gr é lu i 9 2

p ar J e r e my B er n s t ei n

Les équations de la relativitégénérale sont les fondements

de la théorie des trous noirs.Einstein voulait toutefois lesutiliser pour démontrer que cesobjets célestes n’existent pas.

Ne u f k i l o m è t r e s s o u s l ’ Al l e m a gn e 9 0

pa r Ro l f Emmer mann

En Allemagne, les géologuesont foré à neuf kilomètres deprofondeur, afin de com-prendre la formation et l’évo-lution du continent européen.

Le s t a x o ï de s : d e n o uv e l l e s a r m e sc o n t r e l e c a n c er 1 0 0

p a r K y r i a ko s Ni co l a ou ,Rodney Guy e t P ie r r e Po t ie r

Après avoir découvert le prin-cipe anticancéreux de l’if, leschimistes mettent au point descomposés analogues pour

combattre la maladie.

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7© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Le secteur de la santé ne peut plusse passer des données informa-tiques. La France a, dans cedomaine, une petite dizaine d’an-

nées de retard sur les autres pays occi-

dentaux. Jusqu’à une date récente, lespouvoirs publics s’en sont peu préoccu-pés. La mise en œuvre de la carte santé(dont l’idée date de 1975) a pris du retard.Des hôpitaux fabriquent des logiciels etconcurrencent ainsi leurs fournisseurspotentiels, les sociétés de service.Les médecins libéraux qui se sontéquipés de micro-ordinateurs ontaccès à peu de services et leurproductivité n’a guère aug-menté. Beaucoup plusgrave, des réticencesà l’informatisation sontapparues, dont la Com-mission nationale infor-matique et libertéss’est faite le porte-parole : cette institutionne s’est intéressée qu’àun aspect de la sécuritéinformatique, la restric-tion de l’accès auxdonnées médicales nomi-natives.

Le respect du secret médi-cal impose en effet la protection desdossiers individuels : seules les personnesautorisées doivent pouvoir y accéder. L’in-

formatisation accroît-elle le risque de divul-gation d’informations confidentielles? Uneforte hypocrisie règne aujourd’hui dans cedomaine. La règle est de limiter la connais-sance de données médicales aux seulsmédecins, y compris ceux des caissesde Sécurité sociale. Pourquoi alors l’in-terruption volontaire de grossesse a-t-elle un code spécifique, qui permet àtous les employés qui instruisent un dos-sier de remboursement de l’identifier, alorsqu’une fracture du bras ou une appendi-cectomie leur sont cachées?

En outre, nous sommes dans un état

démocratique, où les tribunaux peuvent

instruire les plaintes en cas d’accès àdes données médicales et de leur uti-lisation abusive. Nous n’avons donc pasbesoin de créer une procédure (pourne pas écrire une juridiction) d’excep-

tion pour protéger les données médi-cales numérisées sur des cartesmagnétiques ou circulant dans desréseaux entre les cabinets médicaux,les pharmacies et les caisses d’assu-

rance maladie. Si nous étions dans un

état totalitaire qui ne garantissait pasce droit fondamental, les protectionsimposées par la Commission nationaleinformatique et libertés ne seraient d’au-cune utilité.

UNE COMMUNICATION

VITALE

Les enjeux de la sécurité informatiquedans le domaine de la santé sont d’unetoute autre nature. Le risque majeur quecourt chaque Français est celui de lanon-transmission de données médi-

cales qui le concernent, entre méde-

cins, entre hôpitaux, voire entre ser-vices d’un même établissement.Un malade en urgence qui a perduconscience ne peut pas dire aux méde-cins qui l’accueillent qu’il est allergiqueà telle ou telle substance. Une étuderécente montre qu’au moins 25 pourcent (un quart!) des malades admisen urgence un jour donné dans un

échantillon d’hôpitaux français ontune maladie liée à la médecine etnotamment à l’ingestion de médica-ments. Comment prendre en chargeces malades si l’on ne connaît pasprécisément les thérapeutiques qui leuront été prescrites avant leur admis-sion à l’hôpital? C’est donc la commu-nication entre professionnels de santéqui s’impose et non la construction deprotections et de mécanismes de res-triction d’accès.

L’autre aspect de la sécurité est lafiabilité des informations décrivant à un

moment donné l’état d’un malade. Pourque l’information soit fiable, au-delàde quelques contrôles logiques, il n’ya qu’une règle simple : il faut qu’elle soitutilisée. Le cloisonnement et le non-partage sont les causes de la situationmalheureusement la plus fréquente :

données incomplètes, peu fiables,inutilisables par un tiers. Les

médecins se considèrenttoujours comme des tra-vailleurs indépendants,ce qu’ils ne sont plus.La médecine s’est spé-cialisée. La moindreintervention chirurgi-cale nécessite certesun chirurgien, maisaussi un anesthésiste,un radiologue, unbiologiste, souvent un

cardiologue. Les sourcesd’information sont mul-

tiples : elles doivent être par-tagées.

La maîtrise, notamment médi-calisée, des dépenses de santé n’est envi-

sageable que si toutes les données sontfiables et que certaines sont partagées.

Sur le plan économique, le coûtdes duplications d’examens, difficile àévaluer, atteint certainement des mon-tants de l’ordre de plusieurs milliards defrancs. En outre, la destruction de fichiersempêche toute étude épidémiologiquesérieuse, base de la prévention.

Informatique,santé et sécuritéJEAN DE KERVASDOUÉ

La fiabilité des données c ontenues

dans les dossiers mé dicaux e st plus importa nte

que leur confidentialité .

Jean de KERVASDOUÉ dirige la Société deconseil dans le secteur sanitaire et socialSANESCO et préside la Format ion «Santé-protect ion sociale» du Consei l nat ionalde l’ information statistique.

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9© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Co n s t r u c t i v i s m e

Paul Caro joint sa voix (voir Le mau- vais procès des constructivistes ,Pour

la Science , juillet 1996) au chœur desnotables et célébrités de la science sûre d'ellemême qui s'est exprimé dans le manifestede Heidelberg : tous les malheurs viendraientdes "fausses sciences" et d'une dangereusemontée de l'irrationalisme. Tout le mondesait pourtant aujourd'hui que la "méthodescientifique unique, valable dans tous lesdomaines" laisse passer des erreurs mons-trueuses. Est-ce que ce sont des tenantsdes parasciences ou des médecines paral-lèles qui ont poussé à transformer destroupeaux de ruminants dociles en charo-gnards ordinaires, avec les conséquencesque l'on sait (partiellement encore)? Cecis'est bien fait avec l'assentiment répété, sinon

avec l'approbation ou à l'initiative des vété-rinaires que les fabricants d'aliments pourle bétail se vantent d'avoir à leur service.

La position de P. Caro sur la mémoirede l'eau illustre bien une remarque de Jean-Marc Lévy-Leblond, qui déplorait que lesscientifiques confondent "validité" et "perti-nence". Ce n'est pas parce que la validitédes résultats concernant la mémoire de l'eauest contestable qu'une recherche dans cedomaine n'est pas pertinente. D'une part lesinteractions à haute dilution sont malconnues, d'autre part la médecine scienti-fique a bien besoin d'éclaircissements surle "mystère" du placebo.

Maurice PASDELOUP, Toulouse

Prétendre qu'il existe un seul principede causalité et une seule logique de

raisonnement semble, pour P. Caro, la seulemanière de ne pas sombrer dans l'ésoté-risme: un tel point de vue risque fort d'abou-tir au constat qu'un grand nombre dedisciplines scientifiques participent au pro- jet constructiviste! L'expérimentation en phy-sique des particules utilise-t-elle la mêmeméthode que l'expérimentation en psycho-logie expérimentale? Leurs résultats res-pectifs relèvent-ils de la même "vérité"immuable et définitive? Même en mathé-

matiques, existe-t-il un seul type de raison-nement acceptable? Le raisonnement parl'absurde, valable pour l'école formaliste, estrefusé par l'école intuitionniste, au nomprécisément de la rigueur mathématique.

Jacques MIERMONT, Paris

Dans la conception de la scienceprésentée par P. Caro, le public est

en position inconfortable : il sait que lascience conditionne de plus en plus sa vie,mais il ne peut s'approprier cette science.Il doit donc faire une confiance aveugleaux scientifiques. On reconstitue ainsi unerelation de croyance superstitieuse, sem-

blable à celles mises en place par les reli-gions et les pensées magiques.

Cette croyance se retrouve chez P. Caroà propos de la mémoire de l'eau : celan'existe pas parce que les scientifiques n'enparlent pas! Les scientifiques décident doncde ce qui est réel a priori. Cette façon depenser, dogmatique, interdit toute invention.Le constructivisme change cette concep-tion de la science en distinguant les connais-sances scientifiques de la démarchescientifique. L’un des paris du constructi-visme est que cette démarche soit trans-missible aux non spécialistes de la science.

J. M. ESPUNA, Montpellier

Ré p o n s e d e P a u l Ca r o

Les apôtres du constructivisme, commele montrent les lettres ci-dessus,

manient facilement le cliché émotionnel etle glissement affectif. Les questions poséespar l'émergence des théories "constructi-vistes" sont difficiles à condenser dans lesquelques lignes d'un Point de vue . Les stra-tégies de recherche du milieu scientifique,bien que souvent empiriques, reposentd'abord sur la reproductibilité, d'un labora-toire à l'autre, des expériences, des obser-vations ou des calculs. C'est ce consensusqui construit le fait scientifique (et industriel)et qui constitue de fait la méthode scienti-fique. Il n’existe pas dans le cas de la«mémoire de l’eau». Pour des faits avérés,il y a bien sûr d'abondantes disputes sur les

interprétations théoriques, qui souvent dépen-dent de l'esprit du temps. Celles-ci n'ontpas une grande importance : la scienceproduit finalement des connaissances incar-nées dans des produits, dans des machines,ou dans des armes qui, de tout temps, ontcontribué à l’établissement des civilisations.

Naturellement les sciences humaines,qui n'agissent pas sur la matière, produisentdes connaissances immatérielles, psycho-logiques, sociales, politiques, esthétiques,dont l'influence sur la société est considé-rable, et ceci d'autant plus que leur voca-bulaire entre plus ou moins dans le cadredu langage ordinaire. Au sein de ces

sciences humaines naissent aussi des inter-prétations abusives amorcées par le trans-fert de théories séduisantes issues des"sciences dures" auxquelles on prête sou-dain une valeur philosophique universelleque, par construction, elles n'ont pas.

Le problème est que cette image défor-mée convient parfaitement à ceux qui, pourdes raisons politiques, sociales, philoso-phiques, attaquent aujourd'hui le systèmescientifique et industriel. La tolérance desopinions variées est une chose, mais, dansce cadre, je crois qu'il est aussi permis auxchercheurs de dénoncer des descriptionsinexactes de leur travail qui alimentent une

tentative de déstabilisation du savoir, laquellepeut conduire à de graves difficultés sociales,culturelles et politiques.

M a u v a i s e s m i n e sD

ans l’article de Gino Strada L’horreur des mines antipersonnel (voir Pour

la Science , juillet 1996), une carte indiqueque des pays d’Europe occidentale font par-tie des zones dans lesquelles des personnessont blessées par des mines antipersonnel.Qu’en est-il exactement?

Georges BRAM, Orsay

R é p o n s e d e J e a n - B a p t i s t eRi c h a r d i e r , Ha n d i c a p

I nt e r n a t i o n a l

En Europe occidentale, le dernier conflitarmé s’est achevé il y a plus de 50 ans.

Pourtant, des mines et des munitions de cetteépoque continuent d’y faire des victimes :on a choisi de ne pas les éliminer totalement.En France, pour l’année 1991 seulement, 36agriculteurs sont morts et 51 ont été bles-sés en passant avec leurs machines surdes munitions non explosées. Lors de laconstruction de la ligne de TGVParis-Londres,les démineurs ont collecté environ cinq tonnesde bombes et autres explosifs, hérités de labataille de la Somme. Ces quelques chiffres

concernent un pays techniquement et éco-nomiquement développé. Ils permettent àpeine d’imaginer le bilan catastrophique, dansles prochaines décennies, de l’utilisation mas-sive des mines antipersonnel.

Anag r amm es

J’ai lu avec intérêt l’article de Ber-nard Iqueaux Mots croisés et ana-

grammes (voir Pour la Science , mai 1996).Au-dessus de la porte d’une ancienne cha-

pelle située non loin du château en ruines,de Rochemaure, sur les bords du Rhône, enArdèche, est inscrit un carré palindrome par-fait. Il s’agit d’un texte en latin composantun carré de 5 × 5 lisible dans tous les senset signifiant à peu près «Le laboureur Are-pon conduit avec soin sa charrue».

SATOR

AREPO

TENET

OPERA

ROTAS

Les logiciels décrits peuvent-ils en trou-ver d’autres, en français?

Edmond PEYRARD, Sauzet

TRIBUNE DES LECTEURS

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10 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

JEU-CONCOURSN°

26DÉCOMPTE DE CARTES

Prenez un jeu de 52 cartes facesvisibles et distribuez-le en différents

tas, faces visibles de la façon suivante :à partir de la valeur de la premièrecarte (valet, dame, roi comptant res-pectivement pour 11, 12 et 13), formezun tas en comptant depuis cette valeur jusqu’à 13. Ainsi si la première carteest un sept, on formera un paquet de

sept cartes ; si la première carte estune dame, un paquet de deux cartes,etc. Le premier paquet constitué, on conti-nue selon le même procédé jusqu’à épui-sement du jeu.

Deux cas peuvent se présenter : soiton épuise exactement le jeu, soit on n’apas assez de cartes pour compléter ledernier paquet, auquel cas on conserveen main les cartes que l’on n’a pu distri-buer. Maintenant choisissez au hasardtrois tas que vous retournez faces cachéeset ramassez les tas restants. Retournezla carte du dessus de deux tas quel-conques. Comment deviner la valeur dela carte du dessus du troisième paquetà partir des deux cartes retournées et descartes que vous avez en main?

Envoyez vos réponses aux questionssur carte postale à Pour la Science ,8, rue Férou, 75006 Paris. Parmi lesréponses exactes reçues pendant le

mois d’août 1996, dix gagnants tirésau sort recevront le livre Les abeilles,

Collection Univers des Sciences .

RÉPONSE AU JEU-CONCOURS N°24

Les réponses au Jeu-concours sur les sigles réinterprétés ont été parfois tropagressives pour ne pas être calomnieuses... Citons néanmoins quelques clins

d’œil.DTT : Du Très Toxique. FN : Français Nuisible (la rédaction attend le procès).IRA : Intransigeant Rebelle Anglophone. LSD : Les Sentiers Détournés.

OPA : On Peut Aimer. ONU : On Nous Utilise. RER : Roule En Rolls!IBM : Inventa la Bonne Machine. SDF : Seul Dans la Foule.TTC : Tente Ta Chance. SPA : Si Peu Aimés. RMI : Retiens Mon Ire.SARL : Sans Aucun Rêve Ludique (ou Lubrique). USA : Union Sans Avenir.CQFD : Chaque Question Fait Douter. CGT : C’est la Grève Totale.CNRS : Cherche Nobel Restant Sérieux ou Chercheur Novice Cherchant Situationou Crânes Nourris de Rutilants Savoirs ou Compote Neuronale et Rata Synaptique.SNCF : Stabilisons Nos Coûts Faramineux. ESA : Échec Satellisation Ariane.URSS : Union Repoussée Sans Suite. CERN : Chercheur Espérant Repérerdes Neutrinos. INRA : Isolez Nous des Ruminants Anglais. ADN : À DéchiffrerNaturellement. VSOP : Versez Sans Oublier Personne. EPR : Étrange et Parado-xale Relativité. Enfin pour les anglophones qui ne craindraient pas de prendre l’avionen Chine, la compagnie nationale CAAC (Civil Aviation Administration of China)devient : Chinese Aircraft Always Crash.

PIERRE TOUGNE

7CARTES

2 CARTES

5 CARTES

ETC...

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11© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Il y a deux ans, Richard Axel et LindaBuck annonçaient la découvertedes protéines qui, présentes dans lamembrane des cellules du nez, cap-

tent les molécules odorantes et permet-tent l’olfaction. La nouvelle fit alors grandbruit ; néanmoins ceux qui s’intéressentà la saveur, perçue par les papilles res-tèrent... sur leur faim : la biochimie de lagustation demeurait mystérieuse. Aujour-d’hui Gwendolyn Wong, Kimbermley Gan-non et Robert Margolskee, à New York,présentent les résultats d’une étude de

la gustducine, une protéine trouvée dansles cellules des papilles gustatives, clo-née il y a quatre ans, mais dont la fonc-tion dans la gustation était inconnue. Eninhibant la synthèse de la gustducine dansdes cellules gustatives de souris, lesbiochimistes ont observé que les animauxperdent leur aversion contre les saveursamères et, ce qui est plus étonnant, per-dent aussi leur sensibilité aux molé-cules sucrées.

La gustation commence quand unemolécule sapide se lie à des récepteursou à des canaux, dans la membrane d’unecellule sensorielle des papilles : à la suited’une série de réactions, le potentiel élec-trique de la cellule est modifié et, quandla modification est suffisante, la celluleréceptrice excite des neurones, qui, de

proche en proche, convoient l’informa-tion jusqu’au cerveau.

Toutes les molécules sapides n’agis-sent pas de la même façon. Si les ionshydrogène (saveur acide) ou les ionssodium (saveur salée) agissent direc-tement sur des canaux des membranescellulaires, modifiant immédiatement lepotentiel électrique des cellules récep-trices en ajoutant leur charge élec-trique à la charge totale de la cellule,les composés de saveur sucrée, amèreou autres (réglisse, par exemple) se lient

à des molécules nommées récepteurs(sans doute des protéines), placées dansla membrane des cellules réceptrices eten contact avec le milieu extracellulaire.

On suppose que ces récepteurs sontcouplés à d’autres protéines déjà identi-fiées, les protéines G ; celles-ci déclen-chent l’émission de molécules nomméesseconds messagers, qui agissent dansla cellule. Toutefois les récepteurs eux-mêmes n’ont pas été isolés, parce qu’ilsne se lient que faiblement aux molé-cules sapides. C’est un inconvénient pourl’analyse, mais un avantage gastrono-mique : si des molécules sapides se liaienttrop fortement aux récepteurs, nous nepercevrions pas les successions troprapides de saveurs.

En attendant la découverte des récep-

teurs, R. Margolskee et ses collèguesse sont intéressés aux protéines G despapilles. À l’aide de la méthode d’ampli-fication de gènes par l’enzyme polymé-rase, ils avaient multiplié les gènes dessous-unités alpha de plusieurs pro-téines G particulièrement abondantesdans les cellules réceptrices, s’intéres-sant tout particulièrement à la gustducine,

qui est une de ces protéines G, expriméeseulement dans les cellules des papilles.

L’ŒIL ET LA PAPILLE

Ces études avaient confirmé des res-semblances entre la gustation et la vision :la gustducine ressemble aux transducines,des protéines G des cellules réceptricesde l’œil ; mieux encore, les neurophysio-logistes new-yorkais ont retrouvé la trans-ducine des cônes et des bâtonnets dansles cellules réceptrices de la saveur.

La ressemblance est éclairante : si

les cellules des papilles fonctionnentcomme celles de l’œil, la gustducine etla transducine activent une enzyme quidiminue la production d’AMP cyclique ;la raréfaction de ce «second messager»modifierait alors les canaux ioniques etdes enzymes, ou bien perturberait leséchanges d’ions calcium entre l’inté-rieur et l’extérieur des cellules.

Afin de tester cette hypothèse, l’équipenew-yorkaise a inactivé le gène qui codela sous-unité alpha de la gustducine et aétudié le comportement de souris néesavec ce gène inhibé quand on leur pro-posait à boire des solutions diversementsapides ; simultanément les neurophy-siologistes enregistraient les signaux élec-triques des nerfs de la corde du tympan,qui conduit au cerveau les informationsgustatives : les réactions étaient normales,pour les saveurs salées ou acides, maisconsidérablement affaiblies pour les sti-muli amers, tels ceux du sulfate de qui-nine ou du benzoate de dénatorium (deuxcomposés amers), ainsi que du saccha-rose (le sucre de table) et d’un édulco-rant synthétique normalement très intense.

Pourquoi la perception des sucréset des amers n’était-elle pas complète-

ment annihilée? Les neurophysiologistesexpliquent que la transducine n’étaitpas éliminée, et qu’elle participerait, avecla gustducine, à la perception de cessaveurs. La prochaine expérience consis-tera donc à inhiber les deux gènes de latransducine et de la gustducine.

Hervé THIS

Dans les papillesOn découvre le fonctionnement des ce llules

qui perçoivent la sa veur des aliments.

Procha in rendez -vous France In fo etPour la Science , le 29 août 1996, avecla ch ron ique I n fo Sc i e nc e s de Mar ie -Odile Monchicourt.

MOLÉCULE AMÈRE

GUSTDUCINE

ENZYME

PDE

ION CALCIUM

RÉCEPTEUR

ALPHACANAL

CALCIUM

La perception d’une saveur amère commence quand une molécule sapide se lie à un récepteurde la surface d’une cellule des papilles. Ce récepteur interagit avec des protéines G, telle lagustducine, qui modifient la différence de potentiel électrique entre l’int érieur et l’ext érieur de

la cellule. Quand la stimulation est suffisante, la cellule émet un signal vers le cerveau.

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12 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Galilée eut le génie de comprendreque notre intuition du mouve-ment nous trompe : comme lesobjets qu’on lance finissent tou-

jours par s’arrêter, on croyait, avant lui,que le mouvement résulte d’une force. Ilcomprit qu’il n’est que modifié par lesforces ; la vitesse d’un corps sur lequeln’agit aucune force n’est pas nulle, maisconstante. Les phénomènes de frotte-ments, que Galilée a ainsi su séparer decelui de mouvement, sont restés, avecl’adhésion, un des Graal de la physique

moderne.Les nouveaux outils d’analyse don-neront-ils les bases atomiques de cesphénomènes? L’idée commence à cou-rir. À l’École supérieure de physique etde chimie de Paris, Christian Frétigny etCharlotte Basire utilisent un microscopeà force atomique pour examiner les frot-tements et l’adhésion à une échellepresque atomique.

Ces nouveaux microscopes sont com-posés d’une pointe très fine (quelquesatomes de diamètre à l’extrémité), quel’on déplace à la surface des échantillons;la pointe permet de faire des expériencesde «nanomécanique». Par exemple, lesphysiciens observent que la pointe, pla-cée juste au-dessus de la surface d’unmatériau polymère, s’enfonce sous l’ac-tion des forces d’adhésion : comme lemouvement constant des électrons autourdes noyaux d’atomes engendre desdipôles électriques instantanés, des forcesde van der Waals s’exercent entre lesatomes de la pointe et les atomes de lasurface. En mesurant la vitesse d’en-foncement, on détermine la viscosité etl’élasticité des matériaux testés... et l’onretrouve les valeurs obtenues par les

mécaniciens, qui avaient observé qu’une

bille de verre posée sur une surface s’en-fonce spontanément.

En quoi la reproduction des expé-riences macroscopiques est-elle alorsutile? Comme le microscope à force ato-mique explore de tout petits domaines,on peut choisir, à l’aide de sa fonctiond’imagerie, un site particulier pour déter-miner les réactions de matériaux biendéfinis. On analyse alors les diverseszones des matériaux hétérogènes,tels les composites. En outre, la nano-mécanique explore les échantillons

minces ou petits, dont les propriétésétaient inaccessibles par les méthodesmacroscopiques. Enfin, en validant lesrésultats macroscopiques, on s’ap-proche d’une interprétation des phé-nomènes à l’échelle atomique. Lananomécanique est ainsi une fenêtreouverte sur l’adhésion.

CHARRUE MICROSCOPIQUE

Elle éclaire également les phénomènesde frottement. La pointe enfoncée, onpeut la ressortir brusquement, ou la dépla-cer latéralement afin de mesurer les forcesque l’échantillon exerce sur cette «char-rue microscopique».

Dans le premier cas, on observe quela pointe laisse un sillon qui s’estompe pro-gressivement. Les réactions sont variées :le caoutchouc «cicatrise» si rapidementque le microscope ne permet pas d’ensuivre la déformation, mais d’autres poly-mères ne retrouvent leur forme qu’aprèsplusieurs heures. La microscopie à forceatomique ne donne pas encore les mou-vements macroscopiques de la cicatrisa-tion, mais elle révèle le phénomène.

Avec l’équipe de Mathieu Joannicot

et de Vincent Granier, au Centre de

recherches Rhône Poulenc , à Aubervil-liers, les physiciens de l’E.S.P.C.I. ontcaractérisé plus finement ces déforma-tions. Ils ont notamment testé des filmscomposés de microbilles de latex quiavaient été collées par l’évaporation dusolvant où elles baignaient initialement ;dans le film finalement formé, chaque billeétait une protubérance du film. La défor-

mation du réseau de billes, lors du retraitde la pointe, a montré que l’échantillonne glisse pas sous la pointe qui s’enfonce:chaque bille s’enfonce en restant à la ver-ticale de sa position d’origine, contraire-ment à l’eau devant un bateau. L’absencede glissement, dans le film de latex, résultede la forte adhérence de la pointe et dumatériau.

Dans le second cas, un balayage depeu d’amplitude donne accès aux forcesde frottement statique, telles celles quis’exercent sur un caillou qui ne glisse pas,sur une pente peu inclinée. Ces forces

sont accessibles si le balayage est lent.En effet, les polymères que la pointelaboure se déforment, parce que leslongues molécules dont ils sont consti-tués se déplacent, devant la pointe ; orces déplacements dépendent de la rapi-dité de la sollicitation. L’effet est le mêmeque lorsqu’on tire un spaghetti d’uneassiette pleine ; si l’on tire lentement,seul le spaghetti sollicité est extrait ; enrevanche, une traction rapide fait venirtout le plat.

Avec un balayage rapide de la pointe,d’autre part, on mesure le coefficient defrottement dynamique, qui prévaut quandun corps posé sur un plan incliné se metà glisser. Là encore, la méthode micro-scopique a, sur les études de mécaniqueclassique, l’avantage qu’elle évite leseffets, normalement inévitables, de larugosité : à l’échelle microscopique, lessurfaces qui frottent l’une contre l’autre(celle de la pointe et celle du matériau),ont une forme bien définie.

La nanomécanique de surfaceéclaire ainsi le comportement des maté-riaux mous, notoirement difficiles à étu-dier. Elle jette également un pont entreles phénomènes d’adhésion et de

frottement.

M atériaux mousOn explore les bases mic roscopiques

de l’adhésion et du frotte ment .

La déformation d’un film polymère mou où l’on enfonce une pointe

microscopique. Une fois la pointe retirée, le matériau cicatrise pro-

gressivement. À partir de cett e cicatrisation, on étudie les proprié-

tés visqueuses et élastiques du mat ériau.

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À l’Institut Pasteur, l’équipe deG. Peltre établit un répertoire des aller-gènes provenant de plantes ou d’alimentsd’origines diverses. Ces chercheurs ontainsi observé que de nombreuses aller-gies alimentaires proviennent de fruitssecs et de graines, et que l’arachideoccupe la deuxième position derrière lafarine de blé. Il est d’ailleurs étonnant de

constater que la proportion de réactions – parfois très graves– à l’arachide a dou-blé en France au cours des dix der-nières années.

N’en déplaise aux végétariens, lesoja, comme beaucoup de plantes, estlui aussi allergisant, mais il existe desvariétés dites hypoallergéniques vis-à-vis desquelles la réactivité est moindre.Deux allergènes majeurs ont été recon-nus, mais la fonction d’un seul a été iden-tifiée : il s’agit d’un inhibiteur de protéaseempêchant la dégradation des protéinesde la graine. Peut-être pourrait-on envi-

sager, suggère G. Peltre, de «raccour-cir» le gène concerné pour tenter desupprimer l’effet allergène sans inhiberla fonction de cette molécule et amélio-rer ainsi la qualité nutritive du soja (enréservant la transgenèse pour une étapeultérieure). Toutefois, du même coup, enmanipulant le génome du soja, court-on le risque de démasquer un nouvelallergène?

À la technique d’insertion d’un gènenouveau, les chercheurs préfèrent sou-vent celle qui consiste à «tuer l’aller-gène dans l’œuf». En intervenantdirectement sur le génome, ils tententd’éliminer un gène ciblé ou de suppri-mer son expression. Au Japon, une équipeest parvenue à obtenir un riz transgéniquedépourvu d’allergène majeur, tandis qu’un

autre groupe est intervenu, surun gène différent du précédent,pour améliorer la qualité d’un rizdestiné au saké.

Les généticiens agro-nomes tendent à utiliser desplantes «donneuses» dont l’al-lergénicité n’est pas reconnue

– ce qui, inversement, pré-sente l’inconvénient de rendre

le dépistage plus difficile. Il estd’autant plus surprenantd’avoir choisi la noix du Bré-sil comme «donneur» car outrele soja, le gène de la protéine2s a déjà été introduit dansplusieurs autres plantes :tabac, colza, haricot... Commele préconisent le Parlement etle Conseil Européen, il neparaît pas superflu d’envisa-ger un étiquetage des produitsissus de plantes génétique-ment transformées.

Marie-Thérèse LANDOUSY

Le mieux est l’ennemi du bien :maxime éternelle. La manipulationdu soja avec un gène de la noixdu Brésil prouve les dangers des

améliorations forcées : des allergènes ontaccompagné le gène transféré au sojapour enrichir ses qualités nutritives, avecles inconvénients que l’on devine.

Pour nourrir les animaux, on utilise

surtout des végétaux riches en protéines,notamment le pois sec et le soja. Les tech-niques de sélection classiques par hybri-dation ont déjà amélioré les rendementsou la qualité des plants, mais les tour-teaux de soja, constitués de résidus obte-nus après chauffage et pressage desgraines, restent pauvres en méthionine,un acide aminé soufré, indispensable àune bonne nourriture animale. L’addi-tion de méthionine en poudre étant trèsonéreuse, des chercheurs travaillant pourla firme américaine d’agro-alimentairePioneer Hi-Bred International ont voulupallier cette déficience en transférant ausoja le gène d’une protéine de la noix duBrésil, protéine dite 2s car riche en deuxacides aminés soufrés : la méthionine etla cystéine.

Comme tout matériel origi-naire de la famille des noix (noixordinaires, noix de cajou, noi-settes et cacahuètes...), la noixdu Brésil est très allergisante. Orle soja «complété» a égalementintégré le gène inopportun d’unallergène de la noix du Brésil.

Les chercheurs ont identi-fié que la protéine 2s était l’al-

lergène le plus actif, ou majeur,de la noix du Brésil. D’autre part,des tests sérologiques et deréactivité cutanée ont montréque les personnes sensiblesaux extraits de noix du Brésilréagissaient aussi aux extraitsde soja transgénique, alorsqu’elles restaient insensibles ausoja normal.

Bien que ce soja manipuléne soit destiné qu’à la seule ali-mentation animale, Pioneer Hi-

Bred International a décidé de

ne pas l’exploiter. Les jeunes

animaux, porcelets ou veaux, pourraienten effet reconnaître les mêmes allergènesque les humains ; la proportion de ceuxqui développent une allergie après lesevrage est environ deux pour cent,comme chez les enfants! Il est vraisem-blable que ce qui ne convient pas auxuns, ne conviendrait pas d’avantageaux autres!

ALLERGIES INDUITES PAR

DES PRODUITS EXOTIQUES

De nombreux travaux éludent les «mys-tères» des allergies. Chaque individuest génétiquement prédisposé à répondreà certaines molécules, pourvu qu’il lesrencontre. C’est ainsi qu’aujourd’huides produits exotiques, tels les kiwis,encore inconnus dans nos contrées il ya une vingtaine d’années, induisent par-fois des réactions allergiques. D’autresallergies «émergent» aussi à la suite demodifications des habitudes alimen-taires : ainsi en est-il de la fréquencedes allergies au pois chiche, en aug-mentation depuis que cet aliment est plusfréquent dans nos assiettes.

Un soja bien malsquatteriséL’introduction d’un nouveau gènedans le soja entraîne des allergies.

Graines de soja stylisées.

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l ’ é q u a t e u r

magnétique bas-culera complète-

ment. On s’attendalors à ce que la «scie

circulaire à hydrogène»bascule également. Le sillon

disparaîtrait en raison de la rota-tion du Soleil sur lui-même en 27

jours. D’autre part, les mesures desflux du vent solaire par l’instrumentSWAN, loin de l’écliptique, donneront desdonnées utiles pour les simulations deproduction du vent solaire, utilisées pourcomprendre comment la couronne

solaire accélère ces particules.

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Le Soleil émet un vent de particules,principalement des protons, à unevitesse comprise entre 400 et800 kilomètres par seconde. Deux

jours après leur émission, ces protonsarrivent près de la Terre et suivent leslignes de champ magnétique terrestre.Les émissions radio que ces particulesproduisent perturbent les communica-tions radio terrestres.

Comment le vent solaire se forme-t-il? Les astrophysiciens n’ont pas encorela réponse, mais la détection des rayon-

nements ultraviolets émis par l’espaceautour du Soleil révèle que l’hémisphèreSud du Soleil et son équateur émettentplus de protons que l’hémisphère Nord.

En décembre 1994, une sonde spa-tiale,Ulysse , avait quitté le plan de l’éclip-tique (le plan de l’orbite de la Terre) etmesuré au-dessus, puis au-dessous dece plan, une différence d’intensité du ventsolaire. Cette différence était-elle un phé-nomène local et transitoire ou s’agissait-il d’une caractéristique du vent solaire?Pour le savoir sans déployer une flot-tille de sondes tout autour du Soleil, lesastrophysiciens ont imaginé une méthodeindirecte : mesurer la lumière émise pardes atomes d’hydrogène présents dansle milieu où se déplace le Soleil.

En effet, dans sa course autour ducentre de notre Galaxie en 120 mil-lions d’années, le Soleil traverse desnuages d’hydrogène à une tren-taine de kilomètres par seconde.Les protons du vent solairearrachent leur électron àces atomes, qui sontainsi ionisés. Tel unnavire, le Soleil,qui pénètre le

nuage d’hy-

drogène en émet-tant un vent destruc-teur, laisse derrièrelui un sillage où l’hy-drogène neutre estraréfié.

Simultanément,la lumière du Soleilexcite les atomesd’hydrogène neutre,qui, en se désexci-tant, émettent des rayonnements ultra-violets à la longueur d’onde de 121,6

nanomètres (milliardième de mètre), laraie Lyman-α de l’hydrogène. Les détec-teurs de l’instrument SWAN, réalisés auService d’aéronomie du CNRS, à Ver-rières-le-Buisson, sont sensibles à cetteraie, non observable du sol de la Terre(ces ultraviolets sont arrêtés par l’atmo-sphère). Les cartes du ciel à la lon-gueur d’onde de cette raie révèlent leszones qui contiennent le moins d’hy-drogène neutre : ce sont les moinsbrillantes.

Dans la région du ciel où se dirigele Soleil, on note une première aniso-tropie : la moitié située au Sud de l’éclip-tique est moins lumineuse que la moitiésituée au Nord, indication que le vent

solaire a plus ionisé d’hydrogène au Sudqu’au Nord. On retrouve ainsi les obser-

vations de la sonde Ulysse . De sur-croît, on détecte, dans le plan del’écliptique, une étroite bande sombrequi montre que l’équateur solaire, actuel-lement voisin de l’écliptique, émet beau-coup de particules chargées, une sortede scie circulaire qui détruit l’hydrogène,dans le plan de son équateur.

LES ZONES ACTIVES

DU SOLEIL

L’intérêt de cette cartographie sera accrupar la surveillance permanente du Soleillors du passage de son état actuel deminimum d’activité, à son état de maxi-mum d’activité dans cinq ans, tandis que

Vent solaireL’hém isphère Sud du Soleil é me t plus

de part icules que l’hémisphère Nord.

Cette carte indique l’intensité des rayonnements ultraviolets captésautour de la sonde SOHO, le 28 mars 1996. La couleur jaune repré-sente les fortes intensités, la couleur violette les faibles intensités.La lumière diffuse provient d’at omes d’hydrogène éclairés par le Soleil.La part ie Nord de la cart e, plus lumineuse que la part ie Sud, prouveque l’hémisphère Sud du Soleil émet plus de vent solaire que l’hémi-sphère Nord ; un sillon sombre le long de l’éclipt ique (ligne blanche)montre que l’équateur solaire est particulièrement actif.

TERRE

SOHO

L1

SOLEIL

FAIBLE DENSITÉ

D'HYDROGÈNE NEUTRE

90°270°

Le Système solaire se déplace (flèche bleue) dans un nuage d’atomes d’hydrogène. Lesprotons du vent solaire (f lèches vertes) ionisant cet hydrogène, le Soleil laisse derrièrelui un sillage où la densité d’hydrogène neutre est inférieure (plus la couleur est claireplus l’hydrogène est abondant, i ci on n’a indiqué que les densit és dans le plan de l’éclip-t ique). L’ instrument SWAN de la sonde SOHO produit des cart es en observant dans touteles direct ions les atomes d’ hydrogène éclairés par le Soleil. Sur la ligne de visée corres-pondant à 90°, la faible densité d’hydrogène neutre produira une luminosité plus faible

que sur la ligne de visée correspondant à 2 70°, où l’hydrogène neutre est abondant.

COMÈTE

HYAKUTAKE

ÉTOILES

DE LA VOIE LACTÉE

SOLEIL

NORD

SUD

SILLON

360° 270° 180° 90° 0°

DIRECTION OU

VA LE SOLEIL

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Dans l’Odyssée , Ulysse s’enduitd’huile parfumée apportée parNausicaa. Aujourd’hui, l’alcoolest la base des parfums, mais,

les anciens, qui ne l’avaient pas décou-vert, utilisaient les corps gras pour fixerles arômes. Ils employaient des huilesde ben (une sorte de noix), de sésame,de raifort, d’amandes et surtout l’huiled’olive, aisée à produire en grande quan-tité. Des vestiges archéologiques dela ville de Peastum, récemment misau jour en Campanie et que l’on pen-

sait être des pressoirs agricoles,sont des pressoirs à huile pour lesparfums.

Dans l’Antiquité, le parfum joue unrôle important dans la vie religieuse, lesfunérailles et la vie profane. Aux IIIe etIIe millénaires, les parfumeurs travaillentdans les palais et les temples méso-potamiens, égyptiens ou crétois pourles besoins du culte et de la cour. Leparfum est alors un produit aristocra-tique et il faut attendre le VIIe siècle avantnotre ère pour qu’il fasse l’objet d’uncommerce de masse, notamment à par-tir de Corinthe. À l’époque hellénistique,puis romaine, le parfum se démocra-tise en même temps que la fréquenta-tion des thermes et des palestres (lapartie du gymnase où se pratiquaitl’exercice physique). Pour augmenterla production de parfum, les architectesconçoivent des installations fixes quilaissent des vestiges archéologiques

identifiables, mais rares. Hormisquelques fourneaux, presses et mor-tiers mis au jour près de Jérusalem etsur l’île de Délos, en Grèce, seuls desreprésentations picturales et des textesattestent cette activité.

Dès le IIIe siècle avant notre ère, larégion de Campanie est réputée pour lafabrication des parfums. Capoue, au Nordde Naples, est le grand centre de pro-duction : les seplasiarii , parfumeurs,tiraient leur nom d’une célèbre place dela ville. Tous les ingrédients sont dispo-

nibles : l’huile d’olive de Vénafre, excel-lente pour les parfums, les fleurs deCampanie (en particulier la rose, l’iris etla violette) et les épices d’Orient quel’on débarque au port de Pouzzoles.Durant tout l’Empire romain, la Campa-nie est l’une des plus célèbres régionsde fabrication des parfums, notammentle parfum de rose.

Sur plusieurs peintures de Pompéi etd’Herculanum, des Amours détaillent lapréparation des parfums : extraction del’huile d’olive qui servira d’excipient aumoyen d’un pressoir à coins, chauffagede l’huile et des substances aromatiquespour dissoudre les huiles essentielles defleurs, addition de colorants, de résines,de fixateurs dans un mortier, vente deparfum à des clientes. À Pompéi même,des inscriptions mentionnent des parfu-meurs et l’on a retrouvé la base d’unepresse qui aurait servi à extraire de l’huilepour parfum.

UNE PARFUMERIE ROMAINE

En octobre 1995, des fouilles ont mis au jour les traces de cet artisanat dans leville de Paestum au Sud de la Campa-nie. Poseidonia est fondée par les Grecsde Sybaris 600 ans avant notre ère. Troissiècles plus tard, au cours de la guerreentre Pyrrhus et Rome, Poseidonia est

prise par les Romains et transformée encolonie sous le nom de Paestum (273avant notre ère). Elle est alors dotée d’unevaste place centrale entourée de bou-tiques, le forum. Dans l’angle Nord-Ouestdu forum, les fouilles ont dégagé uneéchoppe contenant un mortier en basalte,un bloc de marbre blanc élégamment tailléet pourvu d’une rigole ainsi que les pierresde calage de poteaux verticaux.

Ces vestiges sont interprétés commeles restes d’un pressoir à coins, ana-logue à ceux représentés sur les pein-tures de Pompéi et d’Herculanum. Le

pressoir a été installé au cours du I

er

siècle de notre ère et a dû être utilisé jusqu’au IVe siècle. La présence d’untel instrument agricole est incongrue surla place principale de la cité, sauf s’il s’agitd’une presse servant dans une parfumerieet symbolisant son activité. Or, la régionde Paestum était réputée à la fin de laRépublique et au début de l’Empire romainpour ses roses. Les poètes Virgile, Ovide,Properce et Martial évoquent leur parfumet l’étendue des roseraies. Dans les Géor-giques, Virgile écrit : «Peut-être chante- rais-je l’art de fertiliser et d’ orner les jardins,ainsi que les roseraies de Paestum qui fleurissent deux fois l’an». On peut doncpenser que l’on a trouvé les vestiges d’uneparfumerie qui produisait à grande échelledu parfum de rose, une spécialité expor-tée dans tout le bassin méditerranéen,notamment en Égypte.

Jean-Pierre BRUN,CNRS, Centre C. Jullian, Aix-en-Provence

Parfum antiqueDans l’Antiquité , les parfumeurs utilisaient

l’huile d’olive pour fixe r les pa rfums.

Sur cette peinture découverte à Pompéi, des Amours préparentles parfums. Les personnages de droite ext raient l’ huile d’olive aumoyen d’un pressoir à coins, tandis qu’à gauche, un Amour dis-

sout les essences aromatiques dans de l’huile chauffée.

Ce bloc de marbre blanc , mis au jour dans une échoppe de la villede Paestum, en Ital ie, appart ient à un pressoir à l ’aide duquel,entre le Ier et le IV e siècle de notre ère, on fabriquait de l ’hui le

d’ol ive qui entrait dans la composit ion du parfum de rose.

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Les métaux sont instables : à l’air,il s’oxydent. On méconnaît le pro-grès considérable que fut la miseau point de métaux et d’alliages

inoxydables, quand les métallurgistescomprirent que des couches d’oxydesprotectrices se formaient à la surfacede certains métaux ou alliages. Aujour-d’hui les techniques d’analyse chimique

des surfaces, au niveau atomique, explo-rent ces couches et permettent une maî-trise de leur formation.

La corrosion des métaux correspondà leur réaction chimique avec les com-posés de l’air ou de l’eau qui les entou-rent, formant des oxydes métalliquesde surface. Si certains métaux etalliages sont apparemment protégés,c’est parce que les minces couchesd’oxydes qui se forment à leur surface

– les couches passives – ont une struc-ture qui bloque la diffusion ultérieure del’oxygène, de l’eau et du métal, ralen-tissant l’oxydation des couches plusprofondes. On connaît ainsi la passi-vation du fer trempé dans l’acide nitriquefumant, ou la passivation spontanée del’aluminium dans l’air. Les couches pas-sives ont une épaisseur de quelquesnanomètres, ou milliardièmes de mètre ;elles sont invisibles à l’œil nu et siminces que la surface conservel’éclat du métal.

Ainsi les feuillesd’aluminium que

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l’on utilise en cuisine ont l’aspect brillantdu métal, bien qu’elles soient recouvertespar une couche d’un ou deux nanomètresd’oxyde d’aluminium, ce qui leur garan-tit une exceptionnelle durée de vie.Toutefois cette couche gêne l’industrieaéronautique, qui souhaiterait coller despièces d’aluminium ; pour obtenirdes assemblages robustes, elle doit

apprendre à maîtriser les couchesd’oxydes qui recouvrent le métal de façoninvisible. De même, les dentistes ne peu-vent utiliser que des alliages dentairesqui résistent au milieu corrosif qui lesbaigne, sans relâcher dans la bouchedes métaux toxiques.

LES PREMIÈRES COUCHES

Familières, omniprésentes, utiles ougênantes, ces couches d’oxydes sontdignes d’intérêt. Au Laboratoire de phy-sico-chimie des surfaces de l’École natio-nale supérieure de chimie de Paris, nousles avons explorées par les techniquesmodernes d'ana-lyse des sur-faces : la

mesure de l’énergie des électrons émispar des échantillons soumis à l’irradia-tion par des rayons X.

Les couches d’oxydes croissent jusqu’à ce qu’elles atteignent une épais-seur stationnaire de l’ordre de un oudeux nanomètres (quelques couchesd’atomes) sur des métaux tels que le nic-kel ou le chrome dans de l’eau acidi-

fiée. La quantité d’atomes qui formentla couche passive est infime, par unitéde surface, mais la protection est effi-cace : la vitesse de corrosion des sur-faces passivées est réduite à moins d’uncentième de millimètre par an, au lieude plusieurs millimètres.

Les liaisons chimiques entre atomesd’oxygène et atomes de métal modifientles énergies des électrons des atomesmétalliques : comme ces liaisons chi-miques participent à l’émission d’élec-trons, lors de l’irradiation par les rayonsX, on identifie la nature des éléments

chimiques présents dans la couchesuperficielle en mesurant l’énergie desélectrons émis. L’épaisseur analyséeétant environ égale à trois fois le libreparcours moyen des électrons dans lesolide, cette méthode détecte la struc-ture des premiers plans d’atomes sousla couche mince d’oxyde.

Les études ont révélé l’existenced’une stratification de ces couches : unecouche interne d’oxyde, au contact dumétal, est couverte d’une couche d’hy-droxyde, du côté exposé aux solu-tions aqueuses où les métaux sontplongés. Le principe de cette struc-ture bicouche est assez général : sonexistence a été retrouvée sur le nic-kel, sur le chrome, sur les alliages fer-chrome (aciers inoxydables ferritiques),sur les alliages fer-nickel-chrome (aciersinoxydables austénitiques) et sur les

alliages inoxydables à base de nic-kel. Dans le cas des alliages,

un des constituants peutdevenir prépondérant

dans la couchesuperf iciel le

d’oxyde,qui n’a

a l o r splusl a

mêmeteneur en

divers métauxque la masse métal-

lique. C’est le cas duchrome, dont la concentration

augmente dans la couche passivedes aciers inoxydables. Parallèlement,lors de la formation des couches pas-sives, la composition des alliages estsouvent modifiée sous la couche

d’oxyde.

ProtectioninvisibleAnatomie des c ouches superficielles qui protè gent le s objet s mé ta lliques.

C o u c h ep a s s i v ed’oxyde à la sur-face d’un échantillonde nickel. Cett e couche,formée dans l’eau, protègele métal contre la corrosion. Laplage observée mesure deux nano-mètres (ou milliardièmes de mètre) decôté. Le cycle hexagonal (en noir) montreun motif du réseau cristallin d’oxyde de nickel.Cet oxyde forme une struct ure en gradins à la surfacedu métal. La part ie violett e de la partie supérieure del’image montre une des marches de la struct ure en gradinque forme l ’oxyde de nickel de la c ouche passive. Par fo is

l’oxyde est recouvert d’hydroxyde.

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On pensait que les couches passives,en raison de leur extrême minceur,devaient être amorphes, sans ordre ato-mique à grande distance. Toutefois lesétudes les plus récentes ont montré queles films peuvent être cristallisés. Ainsiles observations au microscope à effettunnel, où l’on balaye la surface deséchantillons avec une pointe très petite,

qui échange des électrons avec l’échan-tillon par l’effet tunnel, ont apporté desinformations essentielles sur la crois-sance des couches d’oxydes sur dessubstrats monocristallins.

CRISTAUX PROTECTEURS

La figure, par exemple, est celle de la struc-ture atomique de la couche passive for-mée sur une électrode de nickelmonocristallin. La périodicité observéeindique que cette couche était le plancristallographique le plus compact de

l’oxyde de nickel. Dans de telles images,on observe des défauts structuraux :marches monoatomiques, crans, lacunes,et joints... La croissance de l’oxyde s’ef-fectue selon une direction inclinée de huitdegrés par rapport au plan cristallogra-phique, ce qui conduit à un système deterrasses et de marches, et à l’existencede fluctuations de l’épaisseur du film. Cetype de croissance minimise les contraintesentre les réseaux de l’oxyde et du métal.

Ce cas n’est pas général. Pour lechrome, par exemple, la couche passiven’est pas constituée de grands cristaux,comme dans le nickel ; les très nom-breux «nanocristaux» formés sont reliéspar de l’hydroxyde de chrome, qui formeun liant, minimisant les défauts interfaciauxqui pourraient affaiblir la couche protec-trice. Cette structure nanocristalline estsans doute la clef des propriétés excep-tionnelles du chrome, connu pour sonexcellente résistance à la corrosion etutilisé, à ce titre, comme additif dans denombreux alliages.

Comment l’industrie métallurgique uti-lisera-t-elle ces analyses? Un succès aété obtenu dans le cas des aciers inoxy-dables ferritiques : la couche passive

qui se forme quand ces alliages sont plon-gés dans un milieu qui contient des ionschlorures (l’eau de mer, par exemple) estde qualité bien inférieure à celle qui appa-raît quand les mêmes alliages sont d’abordplacés en milieu oxydant contrôlé, c’est-à-dire au contact de l’air ou de l’eau. Onpeut aussi faire vieillir les aciers ou alliagesinoxydables dans ces milieux, ce qui aug-mente la concentration en ions chromedans les couches passives, avant de lesemployer en milieu chloruré.

Philippe MARCUSCNRS, École nationale supérieure

de chimie de Paris

La caulerpeCette algue aurait des

effets bénéfiques, en

assainissant les fonds

de la M éditerranée.

Aurait-on trop vite dénigré Caulerpa taxifolia ? Depuis quelques annéescette algue unicellulaire géantecolonise le littoral Nord-Ouest de

la Méditerranée et de l’Adriatique, où elleprolifère par endroits, au détriment d’autresespèces végétales. D’après les résul-tats d’une étude publiée dans la revueNature par les chercheurs de l’Observa-toire océanologique européen, cette algueserait un agent antipollution.

À la différence des autres algues, lacaulerpe a des rhizoïdes, l’équivalent desracines des plantes supérieures. Ces rhi-zoïdes soutirent des substances nutri-tives aux fonds marins et l’algue prospèreindépendamment des nutriments dissousdans l’eau de mer.

La surface des rhizoïdes est couvertede bactéries, et d’autres prolifèrent dansson volume interne. Certaines ressem-blent aux bactéries symbiotiques qui assu-rent la fixation de l’azote dans leslégumineuses (la luzerne, le haricot, parexemple). Jean Jaubert et ses collèguesde l’Institut océanographique de Monacoont observé que les pseudo-racines dela caulerpe absorbent du phosphore miné-ral et des composés organiques, notam-ment de l’azote et du carbone, et desacides aminés dissous. Ces substances,abondantes dans les zones où prolifèrel’algue, proviennent des rejets industrielsou domestiques; elles s’accumulent dans

Poulpe vivant au milieu de caulerpes.

les sédiments et dans certaines rochesporeuses. Cette faculté d’assimiler dessubstances nutritives inutilisées par lesautres algues expliquerait l’abondancede la caulerpe et la disparition d’unegrande partie de la flore, devenue inadap-tée.Caulerpa taxifolia comblerait les videslaissés par d’autres végétaux éliminés oufragilisés par la pollution, tels les herbiers

de posidonies.Pourquoi cette algue prolifère-t-elleaujourd’hui? Les algues du genre Cau- lerpa prospèrent dans les eaux chaudeshabitées par des coraux et pauvres ennutriments ; leurs rhizoïdes et leur struc-ture unicellulaire les avantagent parrapport aux autres algues car ils facilitentles échanges nutritifs. Plusieurs espècesde caulerpes, dont Caulerpa taxifolia,vivent dans la mer Rouge et ont sansdoute migré vers la Méditerranée occi-dentale par le détroit de Suez. Le réchauf-fement climatique accélérerait leur

expansion.Ce n’est pas la première incursion descaulerpes dans le bassin méditerranéen :avant la crise climatique de la fin duMiocène, il y a sept millions d’années,elles faisaient partie de la flore com-mune et y prospéraient.

Comme de nombreuses plantesaquatiques, les caulerpes produisentdes toxines, notamment la caulerpé-nyne, à laquelle la faune ne semble passensible. Le nombre et les espècesde poissons vivant dans les prairiesde caulerpes n’ont guère varié : Ils neles «broutent» pas, mais se nourrissentdes produits de leur dégradation.

Ainsi, grâce à leur aptitude à sedévelopper sur des substrats impré-gnés de matières organiques en décom-position, qui ne conviennent pas auxautres végétaux, les caulerpes assai-niraient les fonds méditerranéens.

Marie-Thérèse LANDOUSY

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perspe

ctives scientifiques

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Dans les années 1970, la construc-tion d’un surrégénérateur, Super- phénix , a été lancée sur le site deCreys-Malville, dans l’Isère. En

1994, après huit ans d’un fonctionnementponctué d’incidents et d’arrêts, le gou-vernement français en a autorisé le redé-marrage dans un but exclusif de recherche.Une commission d’experts a examiné

les objectifs proposés : outre une atten-tion soutenue à la sécurité, elle préconisel’étude prioritaire de la destruction desdéchets que sont les actinides mineurs(américium, neptunium, curium).

Lorsque la décision de construire lesurrégénérateurSuperphénix a été prise,ses promoteurs pensaient qu’il serait lepremier d’une longue série. Les surrégé-nérateurs, ou réacteurs à neutrons rapides,auraient remplacé à terme les centralesnucléaires à eau pressurisée, qui consti-tuent le parc français actuel. L’État fran-çais (et Électricité de France ) souhaitaitqu’à moyen terme la production d’éner-gie électrique soit indépendante du pétrole,dont l’approvisionnement et les cours sem-blaient incertains. En outre, les écono-mistes prévoyaient une telle augmentationde la consommation d’énergie que les cen-trales nucléaires à eau pressurisée seraientvite insuffisantes, et que l’uranium qu’ellesutilisaient deviendrait, pensait-on, commele pétrole à l’époque, une ressource rare.

Avec des surrégénérateurs, la sourced’énergie paraissait quasi inépuisable.Dans Superphénix , l’énergie est produitepar la fission du plutonium 239, et nond’uranium 235. On introduit en outre del’uranium 238, l’isotope le plus abondant,non fissile, dans le cœur du réacteur oùil est transformé en plutonium : le surré-générateur produit plus de plutonium qu’il

n’en consomme. Du plutonium était dis-ponible pour démarrer le cycle : c’est undéchet produit par les centrales à eaupressurisée.

Une vingtaine d’années plus tard, leconstat s’impose : les surrégénérateursne remplaceront pas de sitôt les autrestypes de centrales. Les experts les plusoptimistes fixent au milieu du siècle pro-chain la construction en série de cesnouveaux réacteurs. La consommationd’énergie a en effet augmenté moins viteque prévu. En France, le programme deconstruction de centrales nucléaires amême été ralenti. Le traitement du pluto-nium est complexe et coûteux : son utili-sation ne deviendrait rentable que si lescours des autres matières premières aug-mentaient considérablement. Comme lesréserves de pétrole et de gaz naturel ontété réévaluées à la hausse et que les coursrestent bas depuis 1990, les autres sourcesd’énergie ne se sont pas taries. L’uraniumest aussi abondant et bon marché.

En outre, les ingénieurs ne maîtrisentpas encore la technique nécessairepour faire fonctionner un surrégénérateurtel que Superphénix : depuis l’obtentionde la pleine puissance en décembre 1986,l’installation a été arrêtée pendant unedurée cumulée de plus de six ans, pourdes incidents mettant en cause la sécu-rité. L’utilisation de sodium liquide, qui

réagit violemment avec l’air et l’eau,comme fluide caloporteur, est à l’originede la plupart des difficultés rencontrées.

LE PROGRAMME

DE RECHERCHE

En juillet 1994, Superphénix n’a obtenul’autorisation de redémarrer que pour réa-liser un programme de recherche. Celui-ci comprend trois objectifs : démontrer lacapacité d’un réacteur à neutrons rapidesà produire de l’électricité à un niveau indus-triel, évaluer le fonctionnement de ce type

de réacteur en situation de sous-généra-tion, où il consomme du plutonium, et étu-dier ses possibilités de destruction desdéchets de grande durée de vie.

Le gouvernement a nommé, enoctobre 1995, une commission scienti-fique, présidée par Raimond Castaing,pour évaluer la crédibilité de ce programmede recherche. Elle a rendu son rapport en juin 1996. Celui-ci insiste sur l’importancede la recherche fondamentale : les étudesréalisées avec Superphénix auraient pourobjectif l’acquisition de connaissances deportée générale, applicables éventuelle-ment dans d’autres types de réacteurs.Superphénix ne devrait pas avoir desuccesseur avant une cinquantaine d’an-nées : même si l’on construit un jour dessurrégénérateurs au plutonium, ils seronttrès différents. Dans cette optique, la sûretéde fonctionnement est prioritaire sur laproduction d’énergie : l’analyse des inci-dents et les éventuels arrêts d’exploita-tion priment sur la recherche de puissanceou de durée de fonctionnement qui prou-veraient la capacité du réacteur à fonc-tionner industriellement.

Hélas, Superphénix n’est pas construitcomme un réacteur de recherche : son

utilisation dans ce but est malaisée. Lacommission propose donc de n’utiliserSuperphénix que pour les expériencesimpossibles à réaliser dans d’autres ins-tallations. La construction d’un nouveauréacteur de recherche, qui remplaceraitPhénix , en fonctionnement depuis 1973à Marcoule, lui semble souhaitable.

Le deuxième et le troisième voletsdu programme de recherche portent surl’utilisation des surrégénérateurs pour l’éli-mination des déchets radioactifs. La com-mission Castaing les a évalués enréférence à la loi de 1991 sur le traite-

ment et le stockage des déchets

Superphénixdemain?Le surrégénérateur devenu réact eur de rec herche devrait ét udier l’éliminat ion des déchet s.

Superphénix , à Creys-Malville : projet inutile?

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nucléaires. Celle-ci fixe un délai de 15ans pour l’acquisition de connaissances,afin de prendre des décisions de longterme en 2006.

À quoi est-il urgent d’employer Super- phénix ? L’uranium introduit comme com-bustible dans les centrales à eaupressurisée contient entre 3,25 et 4 pourcent d’uranium 235, l’isotope fissile, et de

l’uranium 238, non fissile. Un noyau d’ura-nium 238 peut, en absorbant un neutron,se transformer en plutonium 239, fissile.Ce plutonium participe ensuite partielle-ment à la production d’énergie. Chaquetonne de combustible déchargé contientainsi, en plus de l’uranium non consommé,dix kilogrammes de plutonium, 0,45 kilo-gramme de neptunium, 0,3 kilogrammed’américium et 0,03 kilogramme de curium.Ces éléments radioactifs à période longuesont encore dangereux après plusieurscentaines d’années.

La mise au point, ces dernières années,

pour les centrales à eau pressurisée, decombustible composé d’oxydes d’uraniumet de plutonium ouvre une voie promet-teuse pour utiliser ce dernier. En employantun tel combustible, les centrales consom-meraient autant de plutonium qu’elles enproduisent. Si l’on réussit à purifier le com-bustible après chaque cycle, on stabiliserale stock de plutonium. En outre, il seraitconfiné en majeure partie dans les cen-trales nucléaires : les risques de pollutionou de détournement seraient réduits.

Le neptunium, l’américium et lecurium, en revanche, sont inutilisables.Aujourd’hui, on les entrepose dans desendroits protégés. On pourrait en réduireles quantités en plaçant ces élémentsdans le fort flux de neutrons du cœur d’unréacteur à neutrons rapides. Dans cesconditions, les noyaux se cassent en élé-ments plus légers, à durée de vie pluscourte. Quelques noyaux se transformenten éléments plus lourds, mais la massetotale des déchets est réduite par l’opé-ration. Des calculs prévoient que, dansun combustible constitué à cinq pour centd’américium, une irradiation pendant 15ans dans Superphénix en éliminerait 90pour cent, laissant seulement 10 pour

cent de noyaux lourds. Ce modèle etd’autres doivent être testés avant quecette voie de réduction des déchets nesoit éventuellement utilisée en vraie gran-deur. À condition qu’il fonctionne, Super- phénix est le seul outil qui permette dele faire avant 2006.

Le rapport de la commission (ce n’étaitpas son objectif), ne répond néanmoinspas à une question : le jeu en vaut-il lachandelle? Même dans les conditions defonctionnement les plus sûres, est-il moinsrisqué de faire fonctionner un Superphénix plutôt que de stocker quelques tonnes de

produits radioactifs à vie longue?

accueillent parfois lorsqu’ils touchent unepension ; en outre, l’espérance de vieest faible dans la rue. Les moins de 25ans sont aussi sous représentés : unevolonté d’indépendance et des ressourcesfinancières plus faibles (ils ne peuventpar exemple pas prétendre au Revenuminimum d’insertion) expliqueraient unmoindre accès aux services d’héberge-

ment de moyenne et de longue durée,même de prix modique.Pourquoi perd-on son logement? Les

trois-quarts des hommes sans domicilene vivaient plus à 16 ans avec au moinsl’un de leur deux parents, étaient nés àl’étranger, ou avaient vécu un événementnégatif avant 18 ans (problème de santé,mauvais traitements...). Les parcours sonttoutefois divers et leur reconstitutionnécessite un dépouillement approfondides entretiens : des événements per-sonnels recouvrent parfois des phéno-mènes sociaux. Ainsi, un homme qui

présentait son divorce comme cause pre-mière de la perte de son logement avaitpréalablement perdu son emploi demineur de fond.

Cette enquête souligne aussi quede nombreuses personnes sans domicilen’en ont jamais vraiment eu. Certainessont passées d’un foyer de la DASS, oud’une famille d’accueil, à la rue. D’autresn’avaient un logement que grâce à leuremploi : un ouvrier du bâtiment, logé surles chantiers ou à proximité a perduemploi et logement après un accidentdu travail ; une gardienne d’immeuble aperdu son logement de fonction le jour deson départ en retraite.

Associées à celles des enquêtes habi-tuelles, les données collectées, grâce àdes enquêtes utilisant la même méthode,auprès des personnes sans domicile, four-niront un tableau plus exact de la popu-lation française. Permettront-elles de luttercontre l’exclusion?

SansdomicileLa premiè re enquête

stat istique à leur sujet.

Qui sont les personnes sans domi-cile fixe en France? Les enquêtesstatistiques traditionnelles lesignorent. Maryse Marpsat etJean-Marie Firdion, de l’Institut

national d’études démographiques, ontdirigé la première enquête qui a recueillides données sur cette catégorie de lapopulation. Les résultats soulignent ladiversité des histoires personnelles etle fort lien entre logement et emploi.

Les recensements et les enquêtes sta-tistiques, exhaustives ou sur des échan-tillons représentatifs de la population,s’appuient sur des listes d’adresses : lespersonnes sans domicile en sont exclues.L’interrogation des personnes rencontréesdans la rue par les enquêteurs est tropaléatoire : l’exclusion du logement n’estpas visible à tout coup.

Des adresses disponibles pour trou-ver des personnes sans domicile sontcelles des centres d’hébergement et derestauration. En février et mars 1995, uneenquête a été menée dans Paris auprèsdes personnes qui fréquentaient ces lieux.La plus ou moins grande utilisation desservices a été pondérée par le traitementstatistique des données.

Les sans domicile interrogés sontmajoritairement des hommes : la pro-portion de femmes n’est que de 17 pourcent. Les plus de 60 ans sont peu nom-breux : des maisons de retraite les

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20

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P O U R C E N T A G E D E S S A N S D O M I C I L E

ÂGES (EN ANNÉES)

18 25 35 45 60 18 25 35 45 60

HOMMES FEMMES

La pyramide des âges des personnes sans domicile fixe à Paris a ét é reconstit uée à part ir desdonnées de l’enquête menée en février et mars 1 99 5 dans des centr es d’hébergement et de

restauration. Pour les femmes, nettement minoritaires, il ne s’agit que d’ordres de grandeur.

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En recueillant les cristaux de zir-con dans les collines de la régiond’Amarillo au Texas, Nancy Riggsa retrouvé les traces d’un gigan-

tesque fleuve. Ce fleuve, il y a 225 mil-lions d’années, traversait l’anciensupercontinent, la Pangée qui allait sescinder en deux parties, le Gondwanaet la Laurasie. Le fleuve de 1 500 kilo-mètres de long, baptisé Chinle, reliaitce qui est aujourd’hui le Texas au Nevada(Science , 5 juillet 1996).

La curieuse découverte de cristauxde zircon datant de 520 millions d’annéesdans les sédiments plus jeunes du Nevadalança la recherche. Ces cristaux devaientprovenir de roches ignées anciennes,mais il n’existait aucune roche de cetype au voisinage du lieu de leur décou-verte ; aussi les géologues de l’Univer-sité de l’Arizona recherchèrent-ils plus àl’Est la source du zircon.

On savait que cette zone avait étésillonnée d’un réseau fluvial à la fin duTrias, réseau dont les eaux avaientcharrié des alluvions vers l’Ouest. Enrecueillant des zircons de même âge dansles sédiments d’autres États améri-cains, les géologues ont suivi le lit de la

rivière ancienne. Les zircons, des cris-taux d’une extrême robustesse, ne sontaffectés ni par l’érosion ni par les trans-formations des roches. Aussi leur âge est-il mesuré par les quantités relativesd’uranium et de son descendant radio-actif, le plomb. En identifiant les zirconsde même âge, N. Riggs et ses collèguesont identifié de proche en proche les dif-férentes zones alluviales du lit ancien.

La découverte de la source du fleuveprécise notre reconstitution de la géo-

graphie de la Pangée pendant la périodeoù les forces tectoniques la craquelaient.Pendant la dernière période du Trias,les vieux et majestueux massifs monta-gneux de la région d’Amarillo-Wichita(datant de 300 millions d’années) n’étaientpas érodés comme on l’avait longtempsimaginé : au contraire, pensent les géo-logues américains, ils avaient été soule-vés lors de l’ouverture du golfe duMexique, épisode pendant laquelle leszircons ont fait surface.

Les géologues ne trouvent plus demétaux précieux dans cette zone. Lespetits poucets amateurs de zircons trou-vent mieux : les témoins sédimentairesd’un fleuve.

Ô râleset crisLes hurlement s

des bébés dépassent les limites officielles

autorisées.

Mats Zarckrisson écrit dansNew Scientist (6 juillet 1996) que lescris de son enfant d’un moisdépassent 96 décibels : il a

mesuré cette intensité sonore au voisi-nage de son oreille alors qu’il portaitson bébé dans les bras.

Or la législation suédoise du travail

limite à 85 décibels le bruit autorisé surles lieux de travail. Il semblerait ainsi qu’unson aussi puissant et aussi riche en fré-quences aiguës que les hurlements desenfants en bas âge puissent entraîneravec le temps, et dans les familles nom-breuses, des troubles rédhibitoires del’audition.

Le risque a été mesuré par le com-mentaire associé à la norme ISO numéro1999, «Acoustique. Détermination desbruits et estimation des niveaux sonoresentraînant des défauts d’audition» : descalculs serrés indiquent qu’un bruit de96 décibels, huit heures par jour pen-dant 30 ans se traduit chez quatrepersonnes sur 10 par une très nettesurdité.

Il serait ainsi souhaitable que lesmères et le personnel des crèches oùune vingtaine d’enfants peuvent hurlerde concert, portent des casques de pro-tection auditive. Cette protection est-elle compatible avec les normes desécurité? Les cris constituant un appel,les protections sont probablement inter-dites. D’aucuns le regrettent car cesprotections éviteraient des surdités pré-coces, et rendraient le travail moins

pénible.

UN AVANTAGE

ADAPTATIF?

Selon Chris Handley de Nouvelle Zélande,le danger de surdité est réel. Toutefoisla sensibilité de l’oreille correspond,d’après notre bon physiologue, à un avan-tage adaptatif. Les bébés hurleurs setransformeront en adolescents revendi-catifs et pugnaces et les parents à l’au-dition handicapée seront sourds auxdemandes d’argent de poche de leurs

bambins quelque 15 ans plus tard...

Un roman fleuveLes sédiments charriés ret race nt

le cours d’un fleuve ancie n.

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COLORADOUTAH

WYOMING NEBRASKA

KANSAS

TEXAS

NOUVEAU

MEXIQUEARIZONA

NEVADA

C A L I F O R N I E

MONTAGNES

ROCHEUSES

ANCIENNES

SOULÈVEMENT

D'AMARILLO-

WICHITA

M O N TA G N

E S

OKLAHOMA

C H I N L E L I M

I T E

M A R I T M

E A U T R I A S

400 KM

Il y a 225 millions d’années un gigantesque fleuve coulait du Texas au Nevada actuels. Lesgéologues ont retracé son parcours en suivant les zircons anciens charriés à partir des

montagnes du soulèvement d’Amarillo-Wichita.

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La cellulose est si commune, danstous les végétaux, que sa synthèsepar la chimie semble inutile. Tou-tefois cette molécule est emblé-

matique, en science des matériaux, parcequ’elle conduisit à la définition des poly-mères (les «matières plastiques»), dontles très longues molécules sont compo-sées par la répétition de sous-unités,

du glucose dans le cas de la cellulose.Base des travaux qui ont finalementdonné les polyéthylène, polyuréthane,polychlorure de vinyle, etc. à partir desannées 1920, elle résistait à la syn-thèse chimique. Shiro Kabayashi, Shin-Ichiro Shoda et leurs collègues del’Université de Sendaï ont enfin mis finà la frustration.

La chimie des sucres (la celluloseappartient à cette famille) est notoire-ment difficile, parce que ces molé-cules réagissent de très nombreusesfaçons ; l’obtention d’une liaison chi-mique d’un type précis, entre deuxatomes particuliers de deux sucres, estun fait d’arme. Depuis un demi-siècle,les tentatives de synthèse de la cellu-lose échouaient, parce que l’on ne par-venait pas à enchaîner correctementles molécules de glucose en une molé-cule de cellulose analogue au polymèrenaturel.

Il y a deux ans, les chimistes deSendaï obtinrent des polymères du glu-cose, par une voie non biologique, en uti-lisant un fluorure de cellobiose,c’est-à-dire une molécule composée dedeux glucose enchaînés ; un atome de

carbone était rendu plus réactif par saliaison à un atome de fluor. Dans unsolvant organique, une enzyme de micro-organisme (une «cellulase») qui coupela cellulose éliminait du fluorure d’hy-drogène HF tout en liant les moléculesde cellobiose.

Toutefois les analyses avaient mon-tré que le polymère ainsi formé était la

cellulose II, la forme thermodynami-quement la plus stable, obtenue pararrangement tête-bêche des moléculesde cellulose, et non la cellulose I, nor-malement présente dans les végétaux.

Identifiant les raisons de leur pre-mier succès, les chimistes s’étaient alorspayé le luxe de reproduire la réactionen changeant les réactifs, et d’obtenird’autres liaisons sur mesure. Enfin lavisualisation au microscope électroniquedes microfibrilles de cellulose synthé-tique leur avait permis de mieux com-prendre la synthèse naturelle de la

molécule. Restait toutefois le lanci-nant problème de la synthèse de lacellulose I. Ni les polymérisations niles recristallisations de la cellulose IIn’avaient engendré cette forme méta-stable de la molécule.

Alors qu’ils cherchaient à purifier l’en-zyme utilisée pour leur synthèse, les chi-mistes japonais observèrent alors, surles images au microscope électronique,que les produits initialement synthéti-sés contenaient parfois des fibrilles deplusieurs types ; certaines d’entre ellesressemblaient à celles de la cellulose I.Avaient-ils obtenu cette dernière sansle savoir? Modifiant la composition dusolvant organique où ils faisaient leursynthèse, ils trouvèrent un mélange quioptimisait la production de ces fibrilles.Les analyses confirmèrent alors que lebut était atteint.

On comprend aujourd’hui mieux lerôle du solvant, et la méthode trouvéeà Sendaï permet même de produire desdérivés de la cellulose, en variant lesréactifs. On obtient notamment le xylane,qui est un composé important de l’hé-micellulose, dans les parois cellulairesdes végétaux.

La celluloseDes chimistes japonais

synthét isent e nfin

cet te m olécule qui

constitue l’arm at ure des végétaux.

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Les fibrilles de cellulose I au microscope électronique, et la molécule de cellobiose fluorée

utilisée pour la synthèse de la cellulose et de ses dérivés.

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Àla fin du XIXe siècle, des astro-nomes ont observé des structuresrectilignes à la surface de Mars.Ils crurent alors que des êtres intel-

ligents qui peuplaient la planète avaientconstruit des ouvrages d’irrigation. Qu’au-raient imaginé ces observateurs en décou-vrant la surface de Ganymède, le plusgros satellite de Jupiter, dont près de la

moitié est couverte de cannelures, quis’enchevêtrent sur des milliers de kilo-mètres? La sonde Galileo , en orbite autourde Jupiter, a scruté cette surface aumois de juin 1996 : à défaut d’y trouverdes extraterrestres, elle a confirmé uneactivité interne du satellite.

Galilée rapporte, dans Le messa- ger céleste , que, le 7 janvier 1610, il aobservé trois objets brillants autour deJupiter. Le dix du même mois, un qua-trième est apparu, le plus gros de cessatellites «galiléens». Quelques annéesplus tard, l’astronome allemand SimonMarius, rival de Galilée, qui prétendaitavoir observé les satellites le premier, lesnomma Europa, Callisto, Io et Ganymède,des noms de trois maîtresses et d’unamant de Jupiter, roi des dieux.

Avec son diamètre deux fois et demiplus petit que celui de Terre, Ganymèdea la taille d’une planète : plus gros queMercure et Pluton, il atteint les troisquarts de la taille de Mars. Les imagestransmises par les sondes Voyager 1 etVoyager 2 , à la fin des années 1970,avaient laissé entrevoir la profondeoriginalité de sa structure. Les infor-mations que Galileo a transmises, après

son passage à seulement 835 kilomètresdu satellite, sont encore plus étonnantes.

La surface de Ganymède est consti-tuée de deux types de terrains, différen-ciés par leur couleur, qui la recouvrent àpeu près à parts égales. Des zonessombres, couvertes de cratères, alternentavec des zones claires, où courent descannelures enchevêtrées. Galileo a pho-tographié en particulier la plus grande deszones sombres, nommée Galileo Regio,et une zone claire adjacente, Uruk Sulcus.

Malgré ces différences morpholo-giques, la composition chimique de la

croûte est identique sur tout le satellite :

il s’agit de glace, salie par des poussières.La densité de Ganymède est de 1,94. Sousl’épaisse couche de glace, des matériauxplus lourds, essentiellement des silicates,seraient agglomérés en un noyau dense.

Y a-t-il une tectonique des plaques surGanymède? Les terrains sombres sontles plus anciens : les cratères qui lescouvrent sont les traces d’un intense bom-

bardement de météorites qui s’est pro-bablement produit au début de l’histoiredu Système solaire, il y a quatre milliardsd’années. Les terrains clairs portent moinsde cratères d’impact : ils se sont doncformés plus récemment. Les canneluresqui les recouvrent, dont certaines attei-gnent 700 mètres de profondeur et cou-rent sur plusieurs milliers de kilomètres,ont été créées par des mouvements dela croûte de glace. Ces mouvements ontfavorisé l’enfoncement de l’ancienne croûteet son remplacement par de la glace moinsdense, située au-dessous.

Les variations du champ magnétiquedétectées par Galileo au voisinage deGanymède confirment que cet astre n’estpas mort : il crée son propre champmagnétique, ce qui n’est possible que parla circulation d’un matériau conducteursous la croûte. C’est la première foisque l’on observe ce phénomène pourun satellite. Le champ magnétique desplanètes, y compris des plus petites, estproduit par un noyau de fer. Ganymèdese distinguerait-il par un autre méca-nisme? La circulation d’une couche d’eausalée sous la surface pourrait créer sonchamp magnétique.

Dans les 18 prochains mois, la sondeGalileo, qui tourne en orbite autour deJupiter, visitera encore trois fois le satel-lite géant. Les données collectées s’ajou-teront, telles des pièces de puzzle, à lareconstitution de l’histoire de Ganymède.

Rides et cratèressur GanymèdeLa surface du plus gros satellite de J upite r té moigne d’une act ivité inte rne.

La surface de Ganymède est constituée dedeux types de t errains. La croûte ancienne,la plus sombre, est couverte de cratères(en haut, dans la région Galileo) , témoinsd’impact s météorit iques. Sur les terrains plusrécents, s’ét endent de longues cannelures,produites par des mouvements t ectoniques

internes (en bas, la région Uruk Sulcus) .

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cules présentant une activité cosmé-tique : à partir de nombreuses plantesactives, Patrice André et ses collèguesextraient des composés qu’ils testent in vitro , puis sur des cultures de cellulescutanées, et enfin in vivo . Lors de leurexploration des remèdes populaires, leschimistes ont découvert l’intérêt de laproanthocyanidine de pépin de raisin,

qui possède non seulement les pro-priétés astringentes attendues, maisaussi des propriétés antiradicalaires quipouvaient protéger la peau contre lerayonnement solaire ou contre le vieillis-sement.

Comment utiliser ce polyphénol?On ne pouvait pas l’incorporer directe-ment dans les préparations cosmétiques,car il est réactif et instable : il se trans-forme notamment en quinones, qui don-nent aux préparations une colorationbrune. En outre, les cosméticiens vou-laient une action en profondeur, qu’on

n’obtenait pas en appliquant les poly-phénols en surface : les proanthocyani-dines réagissaient avec les kératines,ce qui bloquait leur diffusion dans la pro-fondeur de la peau.

Le Laboratoire CNRS de pharmaco-technie, à la Faculté de pharmacie deReims, a proposé une solution aujour-d’hui brevetée : la réalisation de vési-cules creuses de polyphénols réticulés.Pour préparer ces vésicules, on dispersed’abord une solution aqueuse des proan-thocyanidines dans un solvant organique;puis on ajoute à l’émulsion obtenue undichlorure d’acide, dont chaque moléculese lie simultanément à deux moléculesadjacentes de proanthocyanidines, à lasurface des gouttelettes dispersées. Ainsise forment des membranes sphériquesqui limitent les gouttelettes aqueuses ini-tiales. Après lavage et centrifugation, onrécupère des vésicules parfaitementstables que l’on peut ensuite disperserdans l’eau ou lyophiliser ; elles conser-vent suffisamment de groupes hydroxyles

pour exercer leurseffets antiradicalaires.

La stabilisation estobtenue par la réticu-

lation, qui bloquecertains groupes chi-miquement actifs. Dansun produit commercia-lisé, le polymère forméà partir des proantho-cyanidines de pépin deraisin reste à la surfacede la peau, mais lesenzymes estérases dela peau le dissocientlentement ; les poly-phénols libérés diffu-sent et agissent en

profondeur.

Cosmétiqueset pépinsde raisinDes ta nins de pépins

combattent, des ans,

l’irréparable outrage.

Si l'on devait élire une molécule del'année, elle appartiendrait sansdoute à la classe des polyphé-nols, ces cousins des tanins, avec

lesquels les tanneurs rendaient les peauximputrescibles. Abondants dans les végé-taux, les polyphénols intéressent aujour-

d'hui les spécialistes des cosmétiques,qui les utilisent pour leur activité de sur-face : certains d'entre eux tirent la peauou gomment les rides.

Les polyphénols ont en commun uncycle à six atomes de carbone, auxquelssont liés plusieurs groupes hydroxyleOH. Les petits polyphénols, tel l'ester caf-féique, ont des effets biologiques quiintéressent l’industrie des cosmétiques:ce sont de puissants inhibiteurs enzy-matiques. Ainsi le gallate de pyrogallo-catéchine extrait du thé vert réduit lesinflammations cutanées et évite le rou-gissement des peaux fragiles ; d’autrespetits polyphénols évitent les rides eninhibant l'élastase, l'enzyme qui rigidi-fie la peau en dégradant la protéine nom-mée élastine.

En collaboration avec plusieursorganismes de recherche publique,tel l’ORSTOM, le Laboratoire de biolo-gie et des substances naturelles de laSociété Christian Dior cherche active-ment, dans le monde végétal, des molé-

Vésicules formées par rét iculat ion de polyphénol de pépin

de raisin.

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BARRETTE PROTECTRICE

LAMPE À HALOGÈNE

sa

voir technique

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Au cours des années 1950, les

ingénieurs de recherche de laSociété General Electric voulu-rent construire de petites

ampoules électriques pour les loger dansl’extrémité effilée des ailes d’avion super-sonique. Ils cherchèrent d’abord à aug-menter la température du filament detungstène, afin d’augmenter sa lumino-sité, mais le métal s’évaporait rapide-ment, comme ils le craignaient.

Ils eurent alors une bien meilleureidée : au lieu d’emplir l’ampoule par ungaz inerte, comme dans les ampoules

l’halogène. En revanche, quand lesatomes de tungstène approchent duverre, ils se refroidissent à moins de800 °C et réagissent spontanément avecl’halogène, formant un halogénure detungstène.

Les molécules ainsi formées diffusentdans toute l’ampoule et atteignent notam-ment le filament, qui perd de la matière.

Comme l’halogénure de tungstène y est

instable, il se décompose, libérant l’ha-logène et déposant le tungstène auquelil était lié sur le filament brillant.

La lampe à halogène brille ainsiplus et plus longtemps, car le tungstènene noircit pas le verre, et se recycle surle filament. Ce type de lampe est large-ment employé dans les automobiles,dans les foyers, mais aussi dans les

avions.

L’ampoule à halogèneTERRY MCGOWAN

LES AMPOULES des avions doiventêtre petites et brillantes. En cherchantdes ampoules pour les avions, lesingénieurs ont mis au point lesampoules à halogène.

classiques, ils utilisèrent un élément réac-tif : l’iode. Ils obtinrent une grande variétéde systèmes nommés ampoules à halo-gènes, qui contiennent des gaz tels quel’iode ou le brome.

Les lampes à halogène tirent partides propriétés chimiques du tungstène:aux températures atteintes par les fila-ments, soit environ 3 000 °C, la vapeur

de tungstène ne se combine pas à

UN FILAMENT de tungstèneémet de la lumière quand il estchauffé par effet Joule, lorsdu passage d’un courantélectrique. Les températuresélevées atteintes provoquent

l’évaporation du tungstène, cequi engendre une vapeurmétallique (en violet).

LE REFROIDISSEMENTdu tungstène au voisinage duverre provoque la réactiondu métal avec l’halogènequi emplit l’ampoule, sousforme gazeuse (en bleu).L’halogénure de tungstèneformé migre vers le filament.

L’HALOGÉNUREde tungstène sedécompose quandles molécules sontchauffées par lefilament. Le métal sedépose alors sur lefilament, et l’halo-gène est libéré dansl’ampoule.

LES AMPOULESc l a s s i q u e scontiennent un gazc h i m i q u e m e n tinerte, de sorteque le tungstènequi s’évapore dufilament se déposesur le verre et lenoircit. On doit doncfaire de grossesampoules, de sorte

que le tungstèneainsi déposé formeune couche mince.

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LAVIEDES

DINOSAURESLes dinosaures sont les

plus familiers des «monstres»

préhistoriques.Parce que ces monstres

évoquent les fantaisies

de nos cauchemars.

Parce que leur extinction

brutale est associée à

une apocalypse, comète ou volca-

nisme. Parce qu’écrivains,

dessinateurs et cinéastes

ont évoqué les péripéties

de leur existence,

reconstruite ou imaginée.

La vie des dinosaures

est une partie de la vie de

la paléontologie : les articles

de ce dossier retracent

quelques vicissitudes

de notre compréhension

de ces animaux fabuleux.

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endant la première moitié du XXe siècle, les paléon-tologues pensaient que les dinosaures étaient des rep-tiles dotés d’un petit cerveau, donc frustes, et d’une

longue queue traînante synonyme de vétusté. Cesmonstres semblaient peu enclins à la vie sociale ou fami-liale, et certains pensaient que l’inadaptation et la stupidité(?) des dinosaures étaient les causes de leur extinction.Conséquence morale transposable : ils étaient responsablesde leur sort funeste. Depuis, les chercheurs ont réhabilitéles dinosaures, leur reconnaissant une certaine vivacité d’es-prit, tant d’esprit que de corps, et une aptitude à la vie com-munautaire.

Stephen Jay Gould a qualifié de «Consensus moderne»cette vision primaire des dinosaures, que l’artiste américainCharles Knight (1874–1953) avait contribué à populariser

par ses illustrations. Toutefois, si l’artiste suivait les pré-ceptes de son époque, sa vision anatomique était nouvelleet intéressante : elle ressuscitait les monstres des légendesantiques et des bestiaires du Moyen Âge, reconstituait lafaune passée de notre planète.

Les représentations murales que Charles Knight peignitau début du siècle pour différents musées américains ontinspiré durablement les représentations de la vie préhisto-rique. La génération actuelle des peintres d’animaux pré-

La reconstitution

des dinosauresGREGORY PAUL

Les illustrations de Charles Knight ont ressuscité

et réhabilité les dinosaures bien avant Jurassic Park.

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historiques, dont je fais partie, a grandi en admirant cesreprésentations qui inspirent encore les paléoartistes. Knightétait à la fois un grand artiste et un naturaliste : sa connais-sance approfondie de l’anatomie donnait à ses reconstitu-tions une vérité saisissante.

Paléontologie et reconstitution

La première publication faisant état de restes fossiles attri- bués aujourd’hui à un dinosaure date de 1824 : elle estl’œuvre du révérend William Buckland, géologue anglaisaussi brillant qu’excentrique. Un grand nombre de dentset d’ossements de dinosaures ont été découverts au débutdu XIXe siècle au cours de campagnes de fouilles en

Europe et aux États-Unis, et le public réclame des repré-sentations de ces géants disparus. Hélas, les chasseurs defossiles ne trouvent que des amoncellements de sque-lettes : comment les artistes, sur la base de ces informa-tions limitées, peuvent-ils retracer la posture etl’environnement de ces animaux? Richard Owen, l’émi-nent paléontologue qui inventa le nom Dinosauria («ter-ribles lézards») en 1842 conseille les peintres et les sculpteurs.Il commande en 1854, pour en doter le Crystal Palace deLondres, des sculptures de dinosaures en vraie grandeur,qui existent toujours.

Le seul squelette complet mis au jour avant les années1880 provient d’Allemagne : c’est un carnivore de petitetaille, qui ressemble à un oiseau, et dénommé Compsogna-

1. PEINTURE MURALE DE CHARLES R. KNIGHT où s’ af-frontent deux ennemis mortels, Triceratops et Tyran- nosaurus . Cett e œuvre, réalisée à la fin des années 19 20,es t t rès remarquée , e t son rayonnement es t t rèsimportant . De telles peintures servent encore de réfé-rence aujourd’hui pour les artistes en paléontologie.S’appuyant sur sa connaissance approfondie de l’ana-tomie et sur son imagination fertile, Knight reconsti-

tua des t ranches de v ie préhis tor iques préc ises etdétaillées. Par exemple, bien que la maquette de Ste- gosaurus qu’il avait réalisée en 1899 (photographie de dro i te) por te un nombre de p laques osseuses t ropélevé par rapport à ce qui est aujourd’hui admis, leurdisposition en alternance est, à l’heure actuelle, consi-dérée comme exac te. Sur la photographie, Charles Knighta 25 ans.

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thus. Les grandes découvertes datent de la période1870-1880, durant laquelle deux paléontologuesaméricains fouillent les sédiments jurassiques del’Ouest américain, riches en dinosaures. Ils sont cou-rageux, car les guerres indiennes font rage dansces territoires arides : ils exhument des squelettesentiers de sauropodes, d’allosaures prédateurs etde stégosaures à plaques. Les informations concer-nant l’aspect et la taille des dinosaures s’accumu-lent, et, dès les années 1890, Knight commence àpeindre les dinosaures. Il a la chance de tomber au

bon moment, et il saisit l’opportunité au vol.Knight est de caractère sensible et lunatique.

Sa vocation se révèle de bonne heure : il commenceà peindre des animaux et des paysages à cinq

2. LES MARÉCAGES DE RANCHO LA BREA, en Californie,ont ét é peints par Knight dans les années 192 0, une quin-zaine d’années après leur fouille en 19 06. Le site était trèsriche en fossiles de l’âge glaciaire, tels que tigre à «dentde sabre» : Smiladon, lions des cavernes, éléphants, mas-todontes, paresseux, chameaux, chevaux, coyotes, bisons,antilopes et oiseaux. Dans ses peintures de mammifères,Knight a tendance, contrairement à ses dessins de dino-saures, à représenter les animaux en act ion. Les squelett esmontés de mammi fères réalisés d’après les peintures muralesde Knight, telles que ces paresseux du Musée d’histoirenaturelle de New York (photographie) , ont de ce fait des pos-

tures t rès vivantes.

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ans, en dépit d’une myopie et d’une vision réduite parune mauvaise blessure à l’œil droit. Encouragé par lecontexte familial, notamment une belle-mère artisteet un peintre ami de la famille, Knight étudie à l’É-cole de beaux-arts à New York. À 16 ans, il est man-daté pour peindre des paysages dans des églises : c’estson premier et unique poste salarié.

Après cette tâche, pour s’éloigner de sa belle-mèrepar trop jalouse et autoritaire, Knight quitte Brooklynpour Manhattan. Il commence alors une carrière floris-sante d’illustrateur indépendant dans diverses publi-cations d’histoire naturelle. Il prend plaisir à fréquenterles zoos et les parcs de la cité et retranscrit ses périplesen des croquis détaillés des animaux et des plantes.Cet exercice, tout comme ses visites fréquentes au Muséeaméricain d’histoire naturelle où il affine ses connais-sances en anatomie en disséquant des carcasses, amé-liore la qualité de son travail. Quand un paléontologuelui demande de peindre un mammifère disparu, Knightdécouvre sa véritable vocation .

Après un long périple en Europe – où il s’inté-resse aux différentes écoles artistiques et visite d’autres

zoos –, Knight se spécialise dans les dinosaures. Iltravaille brièvement sous la direction d’Edward Cope,

juste avant la mort de ce paléontologue réputé, spé-cialiste des vertébrés. Cope et son rival, Othniel Marsh,créent le premier engouement américain pour les dino-saures au début des années 1870.

Au musée américain d’histoire naturelle, Knight col-labore avec un paléontologue distingué, Henry Osborn,qui recherchait un peintre capable de transformer sescollections de vieux ossements desséchés en images cap-tivantes, susceptibles, pensait-il, d’attirer les foules.

3. CES DINOSAURES À BEC DE CANARD, du genre Anatosaurus , ontété peints par Charles Knight en 190 9 (peinture de gauche) , en s’ins-pirant, pour la composition, de deux squelettes présentés au Muséeaméricain d’histoire nat urelle. Dans ce m usée, les salles consacréesaux dinosaures présentent côte à c ôte les squelettes et les peinturesde Charles Knight.

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Knight confirme son talent et contribue àla renommée du musée, reconstituant fidè-lement les conceptions originales d’Osborn.Selon ce paléontologue, les sauropodes étaientde grands herbivores terrestres , se nourris-sant de feuillages à la cime des arbres. Aussi,à la demande d’Osborn, Knight peint l’unde ces sauropodes, un brontosaure qui sedresse sur ses pattes postérieures comme s’ilessayait d’atteindre les frondaisons (voir la figure 4). Knight montre également d’énormesthéropodes – les plus redoutables dinosauresprédateurs– dans des combats que l’on devinemeurtriers (voir la figure 5) : il représente cesthéropodes comme des chasseurs agiles, alorsque la plupart des paléontologues de l’époquerécusaient cette vision.

Au début du XXe siècle, des fouilles en Amé-rique du Nord et en Asie livrent des restes dedinosaures remarquables datant du Crétacésupérieur : les terribles tyrannosaures, les céra-topsiens à cornes, les hadrosaures à bec de

canard et les ankylosaures à armure. Lestableaux de Knight de cette époque, essen-tiellement des peintures murales, sont desœuvres d’art très élaborées. Knight peintdes paysages embrumés, peut-être en raisonde sa mauvaise vue, et les anime de repré-sentations minutieuses et réalistes des dino-saures les plus connus. C’est sa période la plusproductive, et ses tableaux acquièrent unerenommée mondiale.

Knight fait école

Vers 1920, sa vie est harmonieuse : avec sonépouse, l’enjouée Annie Hardcastle, ils for-ment un couple à la mode, coqueluche de lasociété new-yorkaise. La bonne gestion d’An-nie leur assure une vie aisée : elle déchargeKnight de toutes les questions financières,lui alloue son argent de poche et traite dela rémunération de ses œuvres avec leséditeurs (Knight est d’une grande incom-pétence pour les questions d’argent) ; leurfille, Lucy, la relaie dès 13 ans, et, à 20 ans,obtient du musée Field 150 000 dollarspour les fresques de son père. Vers 1930,Knight donne aussi des cours, et son pres-tige augmente encore. Aujourd’hui de nom-

breux artistes reconstituent des dinosauresde par le monde, mais, à l’époque, Knight,étoile solitaire, est seul à pratiquer cet art.

4. SAUROPODE DRESSÉ peint par le je une Knigh t autournant du siècle ; cette peinture a été influencéepar l’une des t héories du paléontol ogue Henry Osborn,selon laquelle ces dinosaures auraient été des ani-maux t errestres herbivores se nourrissant du feuillageau sommet des arbres (peinture ci-dessus). À l’époque,la plupart des paléontologues n’admett aient pas cett eidée ; cependant, c’est dans la même attit ude (pho- tographie ci-contre) qu’a été disposé le fameux baro-

saure au Musée américain d’histoire naturelle.

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5. COM BAT DE CARNIVORES du genre Dryp- tosaurus , tels que décrit par le paléontologueEdward Cope ; Knight achève cette pein-ture en 1 897 , peu après le décès de Cope.

Pendant une décennie, la plupart des spé-cialistes doutent que des dinosaures puis-sen t bond i r a ins i ; au jourd ’hu i , l espa léon to logues pensen t que ces théro -podes ont été des chasseurs agiles et descombattants très agressifs.

6. KNIGHT PEINT EN 192 2 ces petit s proto-ceratopsiens, peu après la découverte enMongolie des premiers nids de dinosaures.Sur la suggestion d’Osborn, il représente c esdinosaures cératopsiens en train de protégerleurs œufs (des paléontologues ont récem-ment montré que ces œufs éta ient ceux

d’un Oviraptor).

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Knight travaille en étroite collaboration avec despaléontologues, aussi suit-il leurs préceptes, mais pasde façon absolue. Ainsi, dans La vie à travers les âges – uncatalogue de dinosaures qu’il peint en 1946 –, il traite lesdinosaures de créatures «stupides, inadaptées, arriéréeset à la démarche lente», vouées à l’extinction et qui serontremplacées par des mammifères «vifs et au sang chaud».Il consigne toutefois, sur la même page, qu’un dino-

saure prédateur était « de constitution légère pour agir

avec rapidité, et plutôt intelligentpour un reptile». Il ne dessined’ailleurs pas toujours les dinosaurescomme des reptiles «typiques». Ilreprésente ainsi un couple de Tricé-ratops en train de veiller sur un petitet montre en quelques occasions desgroupes de dinosaures herbivores.Après la découverte en Asie cen-trale de nids de dinosaures, il peint,sous la direction d’Osborn, de petitsprotocératopsidés qui veillent surleurs œufs.

Les connaissances limitées del’époque apparaissent davantage

dans son œuvre la plus connue, où l’on voit un Tricera-tops à cornes, solitaire, qui tient en respect deux Tyran-nosaures (voir la figure 1). Knight ignore que d’énormesaccumulations d’os peuvent révéler que certains dino-saures à cornes vivaient en troupeaux. De plus, dans lacomposition de cette œuvre de Knight, l’herbivore etses prédateurs s’ignorent : chaque pied des animaux estfermement ancré sur le sol. En fait, cette règle du «chaque-

pied-au-sol» s’applique à presque toutes les représen-

7. AGATHAUMAS CORNU, l’une des premièresœuvres de Knight, est ac hevée en 18 97 sousla direc t ion de Cope. Durant la période «Cope»,les paléontologues proposent de nombreusesdescriptions de dinosaures fantaisistes et

imaginaires. Cet anim al, à gauche, arbore unnombre d’ornements qui paraîtrait extrava-gant pour les normes classiques.

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tations de dinosaures de Knight. Il ne dessine pratique-ment jamais de dinosaures en train de marcher ou decourir, alors qu’il le fait fréquemment pour des mam-mifères, même pour les plus imposants. Il peint généra-

lement les dinosaures avec des teintes brunâtres etverdâtres, nuancées de gris. Leur peau avait peut-êtreces coloris. Toutefois, comme leur vision des couleursse rapprochait probablement de celle des reptiles et desoiseaux, leur peau à écailles avait probablement des pig-mentations plus intenses. Aujourd’hui, les artistes pei-gnent les dinosaures de teintes plus vives.

La musculature des dinosaures

Knight tire parti de ses connaissances en anatomie etredonne aux formes disparues une telle réalité que lesspectateurs les intègrent dans leurs visions du monde.C’est, aujourd’hui encore, une raison de leur succès. Pour-tant, cette apparence de réalisme reste superficielle surnombre de points. Knight représente en détail les sque-lettes et les muscles d’animaux vivants, mais il ne des-sine pas de croquis similaires pour les dinosaures– notamment parce que l’ossature ne donne que des infor-mations limitées sur la musculature d’un animal. Enrevanche, il monte des squelettes, sculpte des esquisses

ou compose à main levée des recons-titutions très vivantes, exemple quede nombreux peintres de dinosauresont suivi.

À la fin des années 1960, alors que je n’étais qu’un artiste peintre de dino-saures «en herbe», une caractéristiqueanatomique adoptée par Knight m’aembarrassé. Je savais que l’on clas-sait les dinosaures parmi les reptiles,et que les lézards et les crocodiliensont des cuisses aux muscles fins atta-

chés à des hanches de petite taille.Conformément à ce principe, lescuisses des dinosaures de Knightétaient étroites, comme celles des rep-tiles. Je pensais néanmoins, en obser-vant les squelettes, que les dinosauresétaient plutôt bâtis comme desoiseaux et des mammifères, avecdes hanches larges où se fixaient les

puissants muscles des cuisses. Que pouvait bien faireun «dino-artiste» adolescent et indécis? Imiter servile-ment Knight, son idole! Or, vers 1920, Alfred Romer,paléontologue spécialiste des vertébrés, avait étudié l’évo-

lution de la musculature des tétrapodes, et décrit des dino-saures aux fortes hanches et dotés de cuisses aux muscleslarges, comme les oiseaux. Vers les années 1970, la concep-tion de Romer s’imposa.

Les artistes sont des magiciens : ils persuadent lesspectateurs que leur peinture est une réalité. Le réper-toire de l’illusionniste grossit avec le temps, et la plu-part des artistes s’améliorent avec l’âge. Pourtant, lesreproductions de Knight datant des dix dernières annéesn’ont pas la qualité des précédentes. La faute en incombepeut être à sa vue défaillante. D’autre part, Osborn n’étaitplus là, la Grande crise et la Seconde guerre mondialeavaient mis au rancart l’art de la représentation des dino-saures : il existait des préoccupations plus urgentes.

Né trop tôt, Knight n’a jamais connu les lieux de nida-tion des dinosaures, la migration massive des troupeaux,les habitats polaires, la forme de la tête de l’ Apatosaurus ,les impacts géants des météorites, le fait que les oiseauxsont des dinosaures vivants. Ces reproductions sonttoutefois d’une qualité artistique difficilement égalableet suscitent encore des vocations.

8. CETTE PEINTURE MURALE exécut ée parKnight à la fin des années 1920 représentedes dinosaures nord-américains du Crétacésupérieur. Diverses créatures se profilent surun fond brumeux, not amment, de gauche àdroite, un Corythosaurus orné d’une crête,un troupeau de Parasaurolophus , un Paleos- cincus à armure, plusieurs Struthiomimus etquelques hadrosaures (Edmontosaurus) àtête plate.

Gregory PAUL est écrivain et illustrateur-paléontologue.Charles R. KNIGHT, Life Through the Ages, Alfred A. Knopf, 1946.S.M. CZERKAS et D.F. GLUT, Dinosaurs, Mammoths, and Cave-men, E.P. Dutton, 1982.

Dinosaurs Past and Present, sous la direction de S.J. Czerkas etE.C. Olson, University of Washington Press, 1987.Don LESSEM et Donald F. GLUT, The Dinosaur Society’s Dino-saur Encyclopedia, Random House, 1993.

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Le mot Transylvanie évoque la régiond’Europe centrale où vécu le san-guinaire Comte Dracula. Or la Tran-sylvanie est riche d’un important

patrimoine paléontologique, notammentune intéressante faune de dinosaures.

Les découvertes paléontologiques decette région située aux pieds des Car-pates nous renseignent sur les dernièresfaunes de dinosaures d’Europe, qui vécu-rent il y a environ 70 millions d’années.

La découverte de restes de dinosauresen Transylvanie est liée à la vie d’unpersonnage hors du commun : le BaronNopcsa. En 1895, Ilona Nopcsa, fille d’unenoble famille hongroise, découvrit desrestes fossiles de dinosaures sur les terresfamiliales, près de la ville de Szenpéter-falva, au cœur de la Transylvanie. Cettetrouvaille suscita la vocation paléontolo-gique de son frère Ferenc, alors âgé de18 ans. Le jeune Nopcsa se mit alors àprospecter les affleurements du Bassinde Hateg et découvrit en peu de tempsde nombreux spécimens d’un grand inté-rêt scientifique, parmi lesquels un crâne

complet d’hadrosaure (dinosaure à «becde canard»).

Ferenc, qui était étudiant à Vienne,profita de l’un de ses voyages pour mon-trer les fossiles à son professeur, le célèbregéologue Eduard Suess. Celui-ci vit

l’importance de la découverte. Les os pro-venaient de sédiments de la fin du Cré-tacé et appartenaient aux ultimesreprésentants des lignées de dinosaureseuropéens. L’Académie des Sciences deVienne songea à organiser une campagnede fouilles paléontologiques dans larégion, qui ne se firent malheureusementpas, faute de financement. Devant l’in-sistance de Nopcsa Suess l’encoura-gea à étudier lui-même le matériel. Nopcsaqui n’avait pas de formation en paléon-tologie, accepta dans l’enthousiasmede sa jeunesse la proposition et décidade consacrer tous ses efforts à l’étudedes dinosaures de Transylvanie. En juin1899, il présenta son premier travail,l’étude d’un crâne d’hadrosaure, devantl’Académie des Sciences de Vienne. Ainsicommença une brillante carrière.

L’axe principal de l’œuvre paléonto-logique de Nopcsa est l’étude des faunesde vertébrés de Transylvanie et en par-ticulier des dinosaures. Nopcsa organisaplusieurs campagnes de fouilles danscette région et réunit une importantecollection d’os de reptiles. Cette collec-tion fut vendue plusieurs fois au Muséed’Histoire Naturelle de Londres (un des

lots fut acquis en 1923 pour 200 livressterling), où elle se trouve toujours. Uneautre collection de fossiles ramassés à lamême époque par le géologue hongroisO. Kadic et étudiés par Nopcsa est dépo-sée à l’Institut géologique de Budapest.En 30 ans, Nopcsa publia plus d’une ving-taine d’articles scientifiques sur la géo-logie et la paléontologie transylvanienne.Il fut le premier à y découvrir une fauneabondante de reptiles,comprenant dino-saures, crocodiles, tortues et ptérosaures.

Nopcsa identifia cinq espèces diffé-rentes de dinosaures, dont une espèce

carnivore et quatre espèces végéta-riennes, ces dernières étant le sauropodetitanosauridé Magyarosaurus , les orni-thopodes Telmatosaurus et Rhabdodon et l’ankylosaure Struthiosaurus . Une desprincipales caractéristiques de ces dino-saures était leur petite taille comparée àcelle de leurs contemporains Nord-amé-ricains : Telmatosaurus et Rhabdodon mesuraient entre quatre et six mètresde long, tandis que Struthiosaurus dépas-sait à peine les trois mètres.

NANISME DÛÀ L’ISOLEMENT

Nopcsa en déduisait que les dinosauresde Transylvanie étaient «nains» et reliaitce phénomène à la géographie insulairede l’Europe à la fin du Crétacé. À cetteépoque, l’Europe était un chapelet d’îlesséparées par une mer peu profonde et iso-lée des autres masses continentales pardes barrières géographiques.

Nopcsa pensait que la restriction duterritoire était responsable de la petitetaille des dinosaures européens et com-parait ce phénomène au nanisme quiaffectait certains mammifères (éléphants,

rhinocéros, cervidés, etc.) qui avaient peu-plé les îles méditerranéennes pendantle Plio-Pleistocène (entre 5 millions d’an-nées et 10.000 ans). Similairement l’iso-lement géographique expliquait lecaractère primitif de beaucoup des élé-ments de la faune.

Dans un article publié à titre posthume,Nopcsa proposait que la faune herpéto-logique de Transylvanie était formée d’unmélange de formes primitives et spécia-lisées. Selon lui, les reptiles les plus pri-mitifs étaient les survivants d’une fauneeuropéenne ancienne qui avait évolué de

manière isolée, tandis que les plus spé-

Le Baron Nopcsaet les DinosauresLes premie rs dinosaures de Transylvanieont été dé couverts il y a 100 ans et m is en valeur

par un noble pa léontologue hongrois.

1. Reconstit ution du dinosaure cuirassé Struthiosaurus proposée par Nopcsa en 1 929 .

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cialisés étaient des émigrants prove-nant des continents de l’hémisphère Sud.

Ce modèle paléobiogéographique aucachet résolument moderne n’eut pasd’écho au sein de la communauté scien-tifique de l’époque. Nopcsa rompait avecles idées fixistes alors en vogue et s’ins-crivait dans une conception wegeneriennede la géologie. En effet, il défendait

avec ferveur la théorie de la «Dérivedes continents» proposée par l’AllemandAlfred Wegener. Ces idées, qui impli-quaient le déplacement des continentsles uns par rapport aux autres au coursdes temps géologiques, étaient minori-taires au début du siècle. Nombre depaléontologues pensaient que les dis-persions animales s’effectuaient à partirde «ponts continentaux». La contributionde Nopcsa était tout à fait originale et pourcette raison, il est aujourd’hui considérécomme un pionnier dans l’étude biogéo-graphique des reptiles mésozoïques.

Après la mort de Nopcsa en 1933, lafaune de vertébrés de Transylvanie tombadans l’oubli durant un demi-siècle. Cen’est qu’à la fin des années 1970 que desgéologues et paléontologues roumainsreprirent les fouilles dans le Bassin deHateg, en collaboration avec des scien-

tifiques étrangers.En plus des reptilesdécrits par Nopcsa,on découvritd’autres groupesfossiles, notam-ment des poissonsosseux, des amphi-biens, des lézards,

des mammifèresmultituberculés,ainsi que de nou-veaux dinosaurescarnivores et desœufs d’hadro-saures. La faunede vertébrés deTransylvanie estune des plus richesd’Europe et rivalise en diversité avec cellesd’autres gisements de la fin du Crétacé,tels que la Provence, le Languedoc, laCatalogne et le Pays Basque.

Ces faunes nous renseignent sur lacomposition des écosystèmes conti-nentaux peu avant la grande crise biolo-gique qui sonna le glas des dinosaureset d’autres organismes à la fin de l’ÈreSecondaire. L’extinction des dinosauresdemeure un mystère mais, grâce en par-

tie à la faune de Transylvanie, noussavons aujourd’hui que ces reptiles ontété capables de s’adapter aux chan-gements climatiques qui se sont pro-

duits à la fin du Crétacé. Par ailleurs,les faunes européennes de l’époqueapparaissent encore bien diversifiées,ce qui laisse supposer que les dino-saures n’étaient pas sur le déclin, toutau moins en nombre d’espèces. Bienque cela reste encore à démontrer, ceci

2. Crâne de l’hadrosaure Telmatosaurus , une des premières décou-vertes de dinosaure en Transylvanie.

BAS-FONDS

HAUTS-FONDS

TERRES ÉMERGÉES

FAILLE CHEVAUCHANTE

FAILLE

BASSIN DE HATEG

Carte paléogéographique de l’Europedurant la dernière période du Crétacée,

il y a 6 5 millions d’années.

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Les dinosaures vivent encore parminous, par leurs descendants :les oiseaux. Le plus ancien oiseauconnu de l’histoire de la Terre était

jusqu’à présent Archaeopterix , dont ona retrouvé, dès1860, une plume fossi-lisée. Ensuite sept autres squelettes ontété mis au jour dans les sédiments cal-caires de Solnhofen en Allemagne datésdu Jurassique supérieur (vieilles de 140à 150 millions d’années). Cette anté-riorité d’Archaeopterix n’est pas battueen brèche par des fossiles découvertsdans des couches nettement plusanciennes datant du Trias - tel que Pro- toavis du Texas- car leur examen cri-tique ne permet pas de les classer aveccertitude parmi les oiseaux.

L’OISEAU CHINOIS

Les paléontologues ont découverts dansla province de Liaoning au Nord-Est dela Chine, les restes fossilisés d’un oiseaudont l’âge géologique (Jurassique supé-rieur) est voisin de celui d’Archaeopte- rix . Ces fossiles ont été trouvés dans dessédiments lacustres de la formation duYixian où les paléontologues chinoisavaient déjà découvert en 1992 des restesfossilisés d’oiseaux des genres Sinornis,puis Cathayornis .

De même, on a signalé la découverteen Corée du Nord des restes fossilisés

d’un oiseau dans des couches datant

Un oiseauchinois duJurassique?La découvert e,

dans le Nord-Est

de la Chine,

d’un oiseau primitif

suggère que

les oiseaux

ont vite c olonisé

l’ensemble

du Globe ou

que leur origine

est plus ancienne

que le Jurassique

supérieur.

Ferenc Nopcsa von Felsö-Szilvas, plusconnu sous le nom du Baron Nopcsa, est

né le 3 mai 1877 à Sacel (Szacsal en hon-grois) en Transylvanie. Ferenc était le neveudu Baron F. Nopcsa, maître de cour del’Empereur François-J oseph et de l’Impé-

ratrice Elisabeth (à cette époque, la Tran-sylvanie faisait encore partie de l’empireAustro-hongrois). Nopcsa montra dès sa

jeunesse un grand intérêt pour les Sciencesnaturelles et fut diplômé de l’Université deVienne en 1903. Sa situation financièreconfortable lui permis de se dédier à laScience et de voyager à traversl’Europe pour visiter des muséeset des centres de recherche.Son esprit aventurier le menaà plusieurs occasions jusqu’enAlbanie, un pays inhospitalierqu’il dénommait «le coin

d’ombre de l’Europe», maisqui le fascinait à tel point qu’illui dédia un grand nombred’études géologiques et eth-nologiques.

Durant la Première Guerremondiale, Nopcsa fut agentsecret au service de l’em-pire Austro-hongroiset envisagea dedevenir roi d’Alba-nie. En décembre1918, la Roumanieannexait la Transyl-vanie et Nopcsa per-dit la majeure partiede ses terres. À lasuite d’une alterca-tion avec des paysansroumains, il eut le cranefracassé et souffrit de troubles nerveux.Nopcsa compensa sa nature fragile par uncaractère fort et arrogant.

L’image de Nopcsa qui prévalait danscertains cercles scientifiques est celle d’unpersonnage pittoresque, quelque peu dilet-tante, au mode de vie hétérodoxe lié à songoût pour l’aventure et ses tendances homo-sexuelles. Ceci semble au premier abord à

l’opposé de l’image classique du paléonto-logue à la «Indiana J ones». Il n’en demeure

pas moins que Nopcsa fut un grand aven-turier qui sillonna la «poudrière» des Bal-kans, ce qui ne devait pas être moinsdangereux que de traverser l’Ouest améri-cain comme l’avaient fait Cope et Marsh.D’autre part, Nopcsa fut un scientifique de

premier ordre et il est considéré comme l’unedes figures les plus marquantes de la Paléon-tologie des Vertébrés de la première moitiéduXXesiècle. Sa curiosité naturelle, sa vasteculture et sa connaissance de la littératurescientifique de l’époque lui permirent de s’in-

téresser à des thèmes variésdes sciences naturelles.

Son héritage scientifique,une œuvre écrite en plu-sieurs langues (hon-grois, allemand,anglais, français etalbanais) comporte des

contributions notablessur des sujets tels quela paléobiologie des

reptiles, la paléobio-géographie, la géologiestructurale et la biologie

évolutionniste. L’acti-vité scientifique

développée parNopcsa fut récom-

pensée par de nom-breuses responsabilités.Il fut directeur de l’Ins-titut géologique royalde Hongrie de 1925 à1929, membre de l’Aca-démie des Sciences deHongrie et de nom-

breuses sociétés savantes,dont la prestigieuse Société Géolo-

gique deLondres.Le 25 avril 1933, accablé par les pro-

blèmes de santé et les difficultés financières,Nopcsa décida de mettre fin à sa vie. Aprèsavoir administré un somnifère à son ami etsecrétaire albanais E.D.Bajazid, il le tua d’uncoup de revolver, puis retourna l’arme contrelui. Ainsi finit l’ultime représentant d’unedes plus anciennes familles nobles de Tran-

sylvanie et l’une des figures de la Sciencehongroise de ce siècle.

Ferenc Nopcsa (1877-1933)

appuie l’hypothèse d’une disparitionbrutale et non graduelle des dinosaures.

Un siècle après les premières décou-vertes en Transylvanie, la faune de Ver-tébrés demeure un centre d’intérêt pourles paléontologues. En témoigne, un sym-posium sur le thème «les faunes de ver-tébrés mésozoïques d’Europe centrale»qui a lieu ce mois-ci à Deva, tout près des

célèbres gisements à dinosaures.

Il est à parier que la figure et l’œuvrede Nopcsa y seront évoquées et que lespaléontologues ne manqueront pas derendre hommage à l’homme et au scien-tifique qui laissa son empreinte dansl’étude de la faune de Transylvanie,l’une des plus importantes du Crétacéfinal de l’Europe.

X. PEREDA et N. BARDET, Lab. de

Paléontologie des Vertébrés, Paris VI

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muscles de vol qui étaient vraisembla-blement ancrés dans un sternum adapté.

Il est malheureusement impossible dedéfinir exactement l’âge du Confuciusor- nis par rapport à celui de l’Archaeopterix , car la datation des sédiments du Juras-sique supérieur et du Crétacé inférieurde Chine est sujette à controverse. Il estdifficile d’établir une corrélation entre celles-

ci et des couches d’origine marine tellesque celles de Solnhofen, en raison des dif-férences entre les fossiles caractéristiquesqu’elles contiennent et qui sont représen-tatifs de la faune soit terrestre, soit marine.

JURASSIQUEOU CRÉTACÉ

La formation de Yixian, qui mesure entre1000 et 3000 mètres d’épaisseur, estpartiellement constituée de roches d’ori-gine volcanique qui contiennent des iso-topes radioactifs permettant une

datation absolue . Ainsi, la méthodeau potassium/argon donne un âge de137±7 millions d’années, et la méthodeau rubidium/strontium 142,5±4 millionsd’années. Mais les tables chronolo-giques actuellement utilisées fontremonter la limite entre le Jurassiqueet le Crétacé soit à 135 millions d’an-nées, soit à 145 millions d’années. Dansces conditions, on peut rattacher la for-mation de Yixian soit au Jurassiquesupérieur, soit au Crétacé inférieur. D’unautre côté, l’attribution des calcaireslithographiques de Solnhofen au Juras-sique supérieur ou plus exactementau Tithonien inférieur- repose sur la pré-sence de fossiles marins caractéris-tiques tels que l’ammoniteHybonoticeras hybonotum , et l’âgeabsolu de cette formation serait, d’aprèsles tables chronologiques, compris entre140 et 150 millions d’années.

Ce mélange d’une structure évoluéedu crâne et du reste du squelette primitifincite à penser que Confuciusornis repré-senterait un stade d’évolution intermédiaireentreArchaeopterixet les oiseaux du Cré-tacé inférieur tels que Sinornis et Ibero- mesornis , et qu’il aurait vécu dans la période

de transition entre le Jurassique supérieuret le Crétacé inférieur.

Cette découverte ainsi que cellesd’autres oiseaux du Jurassique enCorée du Nord et en Chine indiqueque dès la fin du Jurassique supé-rieur, des lignées différentes d’animauxà plumes capables de voler existaienten Europe et en Extrême-Orient. Aussiles oiseaux, soit auraient des ancêtresplus ancien qu’on ne le supposait, soitse seraient répandus très rapidementà la fin du Jurassique.

Peter WELLNHOFFER, Conservateur du

Musée de Paléontologie de Munich

du Jurassique : Archaeopterix pourraitne pas être le seul oiseau qui vivait auJurassique supérieur, il y a quelques140 millions d’années!

Le matériel fossile de la formationdu Yixian est composé des squelettes detrois individus que le paléontologue HouLianhai de l’Académie Chinoise desSciences à Beijing a baptisé Confuciu-

sornis sanctus . Ces restes sont consti-tués du crâne, long d’environ cinqcentimètres, des os du bras et de la jamber ainsi que du bassin. Des tracesde plumes sont visibles au voisinage dumembre postérieur, et on dispose en outred’une série d’empreintes isolées deplumes d’oiseau qui ont été attribuées àla même espèce. Toutefois la colonnevertébrale, la ceinture scapulaire et unpossible sternum manquent.

CONFUCIUSORNIS,UN OISEAU PRIMITIF

Confuciusornis a la taille du plus petitArchaeopterix connu, celui d’Eichstatt.Le crâne est relativement petit, deprofil triangulaire et creusé de grandesorbites. La surface de l’os de la partieavant de la mâchoire, apparemmentdépourvue de dents, est creusée denombreuses petites cavités et pores quiindiquent l’existence d’un ramphothèqueou bec corné. En pareil cas, Confu- ciusornis serait le plus ancien oiseaupourvu d’un bec et représenterait unstade d’évolution plus avancé qu’Ar- chaeopterix qui possédait une dentitionbien définie. Au cours du processusde fossilisation, le crâne a cependantsubi d’importantes déformations quipénalisent l’interprétation de certainescaractéristiques.

En revanche l’allure du reste dusquelette est relativement primitive etcorrespond au degré d’évolution d’Ar- chaeopterix , comme en attestent les osrelativement massifs des ailes ainsi quel’humérus avec son extrémité supé-rieure exceptionnellement large. Lamain à trois doigts est pourvue de fortesgriffes courbes et les os du métacarpe

ne sont pas soudés entre eux. A la nais-sance de la main, un os carpien enforme de demi-lune est considéré à cestade de développement comme lacaractéristique-clé des dinosaures thé-ropodes et des oiseaux primitifs.

Le squelette du membre posté-rieur est, lui aussi, fort primitif et res-semble beaucoup à celui del’Archaeopterix ; il se termine par unpied coureur à trois doigts. Les troisos du métatarse ne sont soudés quedans leur partie supérieure et le cin-quième, comme dans le cas de

l’Archaeopterix et de nombreux thé-

ropodes, est recourbé en clavette. Enfin,le doigt supérieur, orienté vers l’ar-rière est, tout comme les autres doigts,pourvu de puissantes griffes recour-bées.

On retrouve tout comme chez l’Ar- chaeopterix le plan anatomique carac-téristique des théropodes. Le pubis estincliné vers l’arrière et n’était probable-

ment pas soudé dans sa partie inférieure.Comme la colonne vertébrale et la cein-ture scapulaire manquent, on supposeque la queue articulée n’était pas encoreraccourcie pour donner un coccyx ou pygo-style tel qu’on le trouve chez les oiseauxdu Crétacé inférieur. On ignore si cetanimal était pourvu d’un sternum ossifié,mais l’humérus présente de grandessurfaces d’attache pour de puissants

CÔTES

CEINTURE SCAPULAIRE

ET FOURCHETTE

5 CENTIMÈTRES

PIED COUREUR

À TROIS DOIGTS

BASSIN

MEMBRE ANTÉRIEUR

(AILE)

Reconsti tut ion du squelette de Confuciu- sornis sanctus de la formation de Yixian dansla province de Liaoning au Nord-Est de laChine. La colonne vertébrale et la ceinturescapulaire ne sont qu’hypothétiques et nefigurent pas parmi les restes fossiles retrou-

vés par les paléontologues chinois.

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Un des dinosaures les plus célèbresest sans conteste Tyrannosaurus rex , un énorme carnivore attei-gnant une longueur de 12 mètres,

qui vivait en Amérique du Nord il y a un

peu plus de 65 millions d’années. Outrele fameux Tyrannosaurus rex , on connaîtd’autres membres de la famille des Tyran-nosauridés (Tarbosaurus, Albertosaurus,etc.), qui diffèrent les uns des autres

surtout par leur taille et leur robustesse.Ces animaux vivaient en Amérique duNord et en Asie à la fin du Crétacé, il y a65 à 83 millions d’années environ.

Les tailles fabuleuses de ces tyran-nosaures excitent notre curiosité, et lespaléontologues souhaitent évidemmentconnaître leur filiation : les ancêtres desgéants étaient-ils eux-mêmes gigan-

tesques? Hélas, on ne savait jusqu’icique très peu de choses de l’histoire plusancienne des tyrannosaures. Quelquesrestes fragmentaires trouvés dans ledésert de Gobi et dans l’Ouest améri-cain témoignent de leur existence il y aenviron 95 millions d’années, mais lesroches plus anciennes n’avaient pasencore livré de fossiles attribuables à destyrannosaures.

Une découverte réalisée en Thaïlandepar les membres de la Mission paléon-tologique franco-thaïlandaise apportedésormais des informations sur des stades

bien plus anciens de l’évolution des tyran-nosaures. Dans les collines de Phu Wiang,sur le plateau de Khorat (Nord-Est de laThaïlande) les paléontologues ont trou-vés des éléments d’un squelette appar-tenant à un tyrannosaure primitif, plusvieux d’une vingtaine de millions d’an-nées que le plus ancien tyrannosaure jus-qu’ici signalé. Les grès et argiles rougesde la Formation Sao Khua, riches enrestes de dinosaures, sont en effet datéspar les grains de pollen qu’ils contiennentdu Crétacé inférieur, leur âge étant com-pris entre 120 et 130 millions d’années.

Le squelette incomplet trouvé à PhuWiang en 1993 se compose d’une par-tie de la colonne vertébrale (y compris unbon nombre de vertèbres de la queue)et du bassin. C’est surtout ce dernierélément, composé, comme chez tous lesdinosaures, de trois os, qui a permisl’attribution à la famille des Tyrannosau-ridés. On observe en effet sur les os dubassin une combinaison de caractèresosseux connus chez les tyrannosauresde la fin du Crétacé, et qui permet d’at-tribuer ce nouveau fossile à cette famillede dinosaures carnivores. Mais le spé-cimen thaïlandais présente aussi, dans

le bassin et les vertèbres, un certainnombre de caractères peu évolués : ilsmontrent qu’il s’agit d’un représentant trèsprimitif de la famille, en accord avec songrand âge géologique.

Le tyrannosaure de Thaïlande pré-sente donc un ensemble de caractèresanatomiques spécifiques et a été attribuéà un nouveau genre et une nouvelleespèce, Siamotyrannus isanensis (le nomdu genre fait allusion à la fois à l’appar-tenance aux tyrannosaures et au Siam,ancien nom de la Thaïlande, alors quele nom de l’espèce se réfère à la prove-

nance géographique précise du fossile,

Les plus vieuxtyrannosauresDécouverts en Thaïlande, ils allongentd’au m oins 20 millions d’année s l’histoire

de ce s dinosaures carnivores.

Reconstit ution du bassin et d’une part ie de la queue de Siamotyrannus isanensis .

Le site où furent découverts les ossements de Siamotyrannus isanensis , dans les collines

de Phu Wiang ( Nord-Est de l a Thaïlande).

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Isan étant le nom local du Nord-Est dela Thaïlande). Siamotyrannus isanensis était un dinosaure d’une taille respectable,puisqu’on peut estimer sa longueur totaleà environ 6,5 mètres, mais il était encoreloin d’atteindre la douzaine de mètresde certains de ses successeurs.

LES ANCÊTRES

DES TYRANNOSAURES

Siamotyrannus isanensis nous ren-seigne ainsi sur les débuts de l’histoiredes tyrannosaures. Ses caractères indi-

quent que les tyrannosaures ne sontpas les descendants des grands dino-saures carnivores du Jurassique (lapériode qui précède le Crétacé), commeAllosaurus , mais sont plutôt apparentésaux «coelurosaures», un ensemble dedinosaures carnivores généralement depetite taille, ainsi que divers chercheursl’avaient déjà suggéré.

Le nouveau dinosaure thaïlandaisautorise une reconstitution de l’histoirebiogéographique des tyrannosaures.Ceux-ci ne sont connus, notamment auCrétacé supérieur, qu’en Amérique du

Nord et en Asie (Mongolie et Chine sur-

tout). On pouvait donc se demander sila famille était apparue en Amérique duNord, pour ensuite gagner l’Asie, ouvice versa. La découverte de Siamoty- rannus joue en faveur d’une origineasiatique des tyrannosaures. La seulerégion du monde où soient actuellementconnus des tyrannosaures du Crétacéinférieur est l’Asie et, plus précisément,l’Asie du Sud-Est. À la même époquevivaient sur les autres continents, ycompris l’Amérique du Nord, d’autresgrands dinosaures carnivores, quin’étaient pas des tyrannosaures. On sup-

pose donc que c’est en Asie qu’a débutél’évolution des tyrannosaures, et que cen’est que plus tard, il y a peut-être unecentaine de millions d’années, qu’ils ontatteint l’Amérique du Nord. Il est probableque ce passage s’est fait par la régionde l’actuel détroit de Bering, qui pen-dant le Crétacé fut à diverses reprisesune zone émergée, sorte de «pont conti-nental» permettant les migrations de dino-saures et d’autres animaux entre l’Asieet l’Amérique du Nord.

E. BUFFETAUT (CNRS, Paris)V. SUTEETHORN (Bangkok)

H. TONG (Paris)

Dinosauresdu GondwanaTyrannosaurus rex e st

il doubleme nt détrôné ?

Paul Sereno, de l’Université de Chi-cago, a découvert dans la région deKem Kem au Maroc un nouveauspécimen deCarcharodontosaurus

(«le reptile aux dents de requin»), dino-saure carnivore dont la tête mesure 1,6mètre. Cette découverte succède à celle,annoncée l’année dernière, de Giganoto- saurus en Argentine. Le géant sud-amé-ricain et son analogue africain,parallèlement à une autre découverte maro-caine de Paul Sereno, un espèce de coe-lurosaure plus petite appeléeDeltadromeus

, ou le «coureur du Delta», donnent desinformations de la paléobiogéographie ily a une centaine d’années.

Carcharodontosaurus et Giganoto- saurus étaient plus lourds et avaient la têteproportionnellement plus grosse que lefameux Tyrannosaurus rex (bien que cedernier ait des pattes arrières plus longues),mais les paléontologues ne savent pasencore qui était réellement le plus grand.Ils vivaient tous deux à la même époque,il y a environ 90 millions d’années, et appar-tenaient à la même famille de dinosaurescarnivores, les carcharodontosauridés. Ladistribution de ces théropodes, dont untroisième représentant, contemporain deCarcharodontosaurus etGiganotosaurus ,provient d’Amérique du Nord, indiqueque les carcharodotonsauridés avaient,au Crétacé inférieur, colonisé les conti-nents des deux hémisphères.

À la fin du Jurassique, il y a quelque150 millions d’années, l’ancien super-continent, la Pangée, se divise en deuxmasses, la Laurasie au Nord et le Gond-wana au Sud. Les affinités des dinosauresmarocains avec des formes nord- et sud-américaines, suggèrent qu’à la fin du Juras-sique et durant le Crétacé inférieur, les

faunes se sont échangées alors qu’à cetteépoque la fracturation de la Pangée n’étaitpas encore achevée.

Parents, mais différents : la composi-tion de la nouvelle faune africaine de dino-saures est distincte de celle de faunescontemporaines d’Amérique du Nord etdu Sud. Ainsi le provincialisme de cesfaunes est manifeste dès le début duCrétacé supérieur, et, il y a quelques 90millions d’années, la Pangée était dislo-quée et les barrières océaniques sépa-raient la Laurasie et le Gondwana. La Terreà cette époque ressemblait déjà à un patch-

work de continents isolés.

3. Reconstit ution d’Albert osaurus, t yrannosaure du crétacé inférieur d’Amérique du Nord.

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Au cours de centaines de millionsd’années, l’énergie des rayonssolaires a entretenu des réactionschimiques complexes qui ont

abouti à l’apparition des premiers orga-nismes vivants. Des bactéries photo-synthétiques qui produisent l’oxygène,aux plantes dont la fonction chloro-phyllienne transforme le gaz carbo-nique en oxygène, la vie dépend del’énergie solaire. Certains effets dusoleil sur la peau humaine témoignentde cette dépendance bénéfique.

Bénéfique, sauf pour les personnestrop sensibles au soleil, et l’histoiredes colons britanniques d’Australieillustre que nous ne sommes pas tous

égaux devant le soleil. Au XVIIIe

siècle,le gouvernement britannique condam-nait à la peine de mort les crimes etles délits, vols ou contrefaçons. Quanddes mesures de clémence salutairescommuèrent la peine capitale enemprisonnement les prisons furentvite surchargées. Aussi, vers 1780, lesautorités britanniques décidèrent-ellesde bannir les criminels dans descontrées éloignées. En quelquesdizaines d’années, la côte Est de l’Aus-tralie fut peuplée de colons britan-niques et irlandais à la peau claire, etsouvent blonds.

Aujourd’hui, leurs descendantssouffrent de cancers de la peau, plusque toute autre communauté ailleursdans le monde, et beaucoup plus queles Aborigènes d’Australie qui ont lapeau plus foncée. Comment expliquercette sensibilité particulière? Com-ment le soleil agit-il sur la peau? Sonaction est-elle toujours néfaste?Nombre de ces questions sont aujour-d’hui résolues ; éducation et préven-tion devraient limiter la multiplication

des cancers de la peau.

Ultraviolets A etB

Le rayonnement solaire est constituéde rayons ultraviolets A et ultravio-

lets B. Avant d’expliquer leurs modesd’action, examinons les différentsconstituants de la peau.

L’épiderme se subdivise en quatrecouches : la couche basale contientune épaisseur de cellules souches, leskératinocytes, qui migrent vers lacouche cornée, la surface de l’épi-derme. Au cours de leur migration,la forme et la fonction de ces celluleschangent. Dans la couche basale, leskératinocytes ont une forme cubique ;ils adhèrent à la membrane basale qui

sépare l’épiderme du derme sous- jacent . Outre les kératinocytes, lacouche basale renferme des mélano-cytes, les cellules qui produisent lamélanine, le pigment de la peau.

Au-dessus, la couche de Malpighiest constituée de plusieurs couches dekératinocytes arrondis. La couche gra-nuleuse est formée de deux à troiscouches de kératinocytes aplatis. Enfin,la couche cornée est faite de cellulesmortes, hexagonales, aplaties et régu-lièrement ordonnées, comme desécailles microscopiques : ce sont lescornéocytes. La cohérence et le carac-tère hydrophobe des cornéocytesconfèrent à la couche cornée sa fonc-tion de barrière protectrice. En surface,les cornéocytes desquament.

Les rayons ultraviolets B sont par-tiellement responsables du caractèreambivalent du soleil, indispensable,mais nocif à trop forte dose. Ce sontles plus énergétiques des rayons ultra-violets qui parviennent sur la Terre.Le rayonnement solaire contient aussides ultraviolets A dont la longueur

d’onde est comprise entre 320 et 400

nanomètres ; les ultraviolets B ont unelongueur d’onde comprise entre 290et 320 nanomètres. Les ultraviolets B

sont arrêtés par le verre, mais, quand

ils pénètrent dans la peau, ils sont absor- bés par les cellules de l’épiderme ou duderme et y créent des dommagesnotables. Les ultraviolets A sont moinsabsorbés et traversent le verre; ils sont,en outre, environ 100 fois plus abon-dants que les ultraviolets B, à proxi-mité du sol.

Les bienfaits du soleil

Les ultraviolets B transforment une par-tie du cholestérol en vitamine D3, molé-

cule elle-même hydroxylée dans le foie,puis dans le rein, en vitamine D active:cette dernière prévient le rachitisme.De plus, la vitamine D améliore la dif-férenciation terminale de l’épiderme,garante de la qualité de la couche cor-née ; elle a aussi une action immuno-suppressive qui calme des mécanismesinflammatoires cutanés, et elle a despropriétés antitumorales.

Pourtant l’excès de vitamine D esttoxique, car il entraîne une augmen-tation néfaste de la concentration san-guine en calcium. Les ultraviolets B

favorisent la synthèse de cette vita-

Le soleil et la peauLOUIS DUBERTRET

Le soleil est indispensable à la santé de la peau, mais l’excès est nuisible.Les ultraviolets A, que l’on croyait inoffensifs, sont aussi nocifs que les

ultraviolets B : ils déclenchent aussi des cancers de la peau, mais par des

mécanismes différents.

1. LE SOLEIL calme cer ta ines inf lamma-tions de la peau et favorise la formation d’unebarrière cut anée de bonne qualité. Toutefois,les rayons ultraviolets qui pénètrent dansl’épiderme risquent de léser l’ADN cellulaire.Quand une cellule anormale n’est pas élimi-née et qu’elle échappe aux mécanismes quiprotègent l’ organisme, elle peut se multipliersans frein et donner un cancer de la peau.Les kératinocytes sont responsables des can-cers de la peau les plus fréquents. Les méla-nocytes dégénèrent en m élanomes, plus rares,

mais plus agressifs.

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COUCHE CORNÉ

CORNÉOCYTE

ÉPIDERME

DERME

MÉLANOCYTE

KÉRATINOCYTE

COUCHE DE

MALPIGHI

LÉSION DE L'ADN

COUCHE BASALE

FIBROBLASTE

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46 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

mine, mais ils en transforment aussi lamajeure partie en dérivés inactifs, cequi évite tout excès.

L’exposition au soleil, et notammentaux ultraviolets B, favorise la formationd’une barrière cutanée – la couche

cornée – de bonne qualité. On a constatéqu’appliqués sur la peau avant l’été dif-férents produits déclenchent une irri-tation ; après l’été, l’irritation déclenchéeest moindre, car la barrière cutanéeest plus efficace : les produits irritantspénètrent moins profondément dans lapeau. Chaque année, le soleil restaurela barrière cutanée.

Les ultraviolets A et B inhibent lesfonctions immunologiques de la peau,notamment diverses réactions aller-giques. Ainsi, l’état des enfants souf-frant d’eczéma rebelle s’améliore ausoleil. La lumière solaire a aussi uneffet thérapeutique sur le psoriasis.Les personnes atteintes de psoriasisont une inflammation chronique de lapeau, laquelle se renouvelle trop rapi-dement, ce qui entraîne une desqua-mation accélérée et la formation deplaques blanches, accumulation de cel-lules épidermiques mortes. Sous l’ac-tion du soleil, l’état de santé de prèsde trois personnes sur quatre atteintesde psoriasis est amélioré.

D’autres maladies inflammatoires,

tel l’acné, sont également soulagées

par le soleil ; toutefois, en épaississantla couche cornée, le soleil augmentela formation de comédons (le sébumsécrété par les glandes sous-cuta-nées s’accumule alors et forme desmicrokystes) ; dès la fin des beaux

jours, alors que l’e ffet anti-inflam-matoire disparaît, les comédons quise sont développés pendant l’étéaggravent l’acné.

On a récemment montré que lesultraviolets B favorisent la formation,dans l’épiderme humain, de moléculesproches des endorphines, des molé-cules synthétisées par l’organisme etqui sont des analogues naturels de lamorphine. La libération d’endorphinesserait-elle responsable de la sensationde bien-être que l’on éprouve quandon s’expose au soleil? Expliquerait-elleque certaines personnes soient des«drogués du soleil»? Ces questions res-tent ouvertes.

Les dangersdes ultraviolets A

Toutefois, le soleil, aliment de la peaunécessaire à la qualité de la vie, a deseffets secondaires toxiques, et l’abusentraîne des dommages partiellementirréversibles qui s’accumulent. Les pre-miers dommages sont les coups de

soleil dus aux ultraviolets B : ils tuent

de nombreuses cellules épidermiqueset la peau pèle. Ce n’est pas le fait desultraviolets A, qui ont été, pour cetteraison, longtemps considérés commeinoffensifs, car ils n’ont pas d’effet aigudans des conditions normales d’ex-

position.Les ultraviolets A et B, quand ilssont absorbés par une molécule, per-turbent le fonctionnement des cel-lules. Les ultraviolets B sontparticulièrement toxiques : ils ontpour cible à la fois l’ADN et les pro-téines, de sorte qu’ils modifient lecode génétique cellulaire et toute lamachinerie enzymatique des cellules.En revanche, les ultraviolets A ne sontabsorbés ni par l’ADN ni par les pro-téines. Il faut 1 000 fois plus d’ultra-violets A que d’ultraviolets B pourentraîner les mêmes dommages aiguset pour provoquer des tumeurs dela peau chez l’animal. Selon ces don-nées, les ultraviolets A semblaientinoffensifs.

Il n’en est rien : il y a environcinq ans, on a découvert que les ultra-violets A déclenchent la formation deradicaux libres dans le cytoplasmedes cellules. Ces radicaux libres sontde puissants oxydants qui attaquentdivers composants cellulaires, tels leslipides, les protéines et l’ADN. Ils

créent des mutations sur l’ADN et

1,62,2 5,9

8,4

1953 1978

DANEMARK

2,42,8

7,88,2

SUÈDE

1953 1978

1953 1978 1953 1978

4,5

7,7

15,621,4

NOUVELLE-ZÉLANDE

1953 1978 1953 1978

33,6

8,47,7

ÉTATS-UNIS

1953 1978 1953 1978

0,91,6 1,6

3,3

GRANDE-BRETAGNE

1953 1978 1953 1978

2,42,7 4,3

5,7CANADA

1953 1978 1953 1978

2,43,3 5,8

7,4ISRAËL

1953 1978 1953 1978

2. AUGMENTATION DU NOMBRE DES MÉLANOMES dans despays où les habitants sont sensibles. On a comparé le nombre denouveaux cas de mélanomes pendant les années 1953-1963 etpendant les années 1978-1982 pour les hommes (en b leu) etpour les femmes (en rouge) . Entre ces deux périodes, le nombre

de cas a notablement augmenté dans les pays nordiques, enNouvelle-Zélande et en Austral ie. Les chif fres indiqués corres-pondent au nombre de nouveaux cas enregist rés chaque annéepour 100 000 habi tan ts . En France , au jourd ’hu i, on dénombreannuellement un dizaine de nouveaux cas pour 100 OOO habitant s.

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entravent le fonctionnement cellu-laire. Ainsi, les ultraviolets A endom-magent-ils indirectement l’ADN parle biais de radicaux libres. Cette toxi-cité indirecte est presque aussi impor-tante que la toxicité des ultravioletsB, lesquels agissent à la fois directe-ment et indirectement. Patrice Mor-lière, à l’hôpital Saint-Louis, a montréque les ultraviolets B peroxydent leslipides seulement dix fois plus queles ultraviolets A.

Simultanément, l’équipe d’AlainSarasin, à l’hôpital Gustave Roussy, àVillejuif, a découvert que les ultravio-lets A créent des mutations dans les cel-lules de la peau humaine dès que ladose est 700 fois supérieure à la dosetoxique des ultraviolets B.

Sur une plage, la quantité d’ul-traviolets A captée par la peau est 100fois supérieure à la quantité des ultra-

violets B, et ces ultraviolets A pénè-trent beaucoup plus profondémentdans la peau que les ultraviolets B.Ces derniers sont, pour la plupart,absorbés par la couche cornée : ainsi,les cellules de la couche basale del’épiderme reçoivent environ 700 foisplus d’ultraviolets A que d’ultravio-lets B. Or, les mutations sont dange-reuses dans cette région del’épiderme où sont localisées lescellules germinatives. Ainsi les muta-tions cellulaires sont presque autant

dues aux ultraviolets A qu’aux ultra-violets B.

Le pouvoir cancérogènedes ultraviolets A

Les ultraviolets A jouent un rôle directdans la formation des cancers cutanés,et pourraient même potentialiser latoxicité des ultraviolets B. Ils seraienten grande partie responsables de la sur-venue du mélanome malin.

On distingue trois types de can-cers de la peau : les cancers basocel-lulaires, les cancers spinocellulaireset les mélanomes malins. Les can-cers basocellulaires sont localisés etne métastasent jamais. Ils se présen-tent comme de petites perles roses surla peau ou comme des zones scléreuses(durcies). Ils guérissent toujours aprèsavoir été traités par ablation chirur-gicale.

Les cancers spinocellulaires ontun aspect de croûte ou de bourgeonsde peau qui se développent rapide-ment, saignent facilement et méta-

stasent parfois. Ils sont traités par la

chirurgie et nécessitent parfois radio-et chimiothérapie. Les carcinomesrésultent d’expositions chroniques ausoleil, et leur fréquence augmenteavec l’irradiation. Ce sont les cancersdes sujets qui travaillent en pleinair, les marins et les cultivateurs parexemple.

En revanche, le cancer des méla-nocytes, le mélanome malin, est lecancer des «cols blancs», le cancer despersonnes qui travaillent dans un

bureau et qui , dès les beaux jours ,exposent leur peau au rayonnementsolaire. Les études épidémiologiquesont montré que les sujets à risque demélanome malin sont (1) les sujets àpeau très claire, qui ont des tâchesde rousseur, (2) ceux chez qui appa-raissent, à la suite d’expositionssolaires, de nombreux grains de

beauté normaux, (3) les sujets très

exposés au soleil et ayant eu de nom- breux coups de soleil pendant leur jeunesse et enfin, (4) les sujets ayantd’autres membres de leur famille souf-frant de mélanome.

Un mélanome malin se présentesous la forme d’une tache pigmentéeplate, d’un grain de beauté dont la sur-face augmente, qui devient asymé-trique, dont le bord est festonné et lacouleur hétérogène. Tout grain de

beauté qui se modifie doit inciter lepatient à consulter son médecin.

Le rôle des ultraviolets A a été sug-géré par des corrélations entre occur-rence des mélanomes et mesures descaractéristiques du rayonnementsolaire. Ces études menées en Nor-vège et en Australie montrent que lenombre de mélanomes malins dépendplus de l’augmentation de l’exposi-tion aux ultraviolets A qu’aux ultra-violets B.

On connaît un poisson qui, irradiépar des ultraviolets, développe desmélanomes malins. En étudiant ce pois-son, on a montré que les ultraviolets A sont seulement dix fois moins effi-caces que les ultraviolets B pour déclen-cher un mélanome malin. Comme ilssont 100 fois plus abondants que lesultraviolets B, on conçoit qu’ils puis-

DESQUAMATION

ULTRAVIOLET A

CELLULE BASALE CIBLE

VITRE

ULTRAVIOLET B

FIBROBLASTE CIBLE

3. LES ULTRAVIOLETS A ET B n’ont pas le même comport ement : les UVB sont responsablesdes coups de solei l , mais sont arrêtés par le verre. Au contraire, les UVA traversent leverre et pénètrent profondément dans la peau lésant les cellules de l’épiderme et aussiles cellules du derme, aboutissant à la formation de rides. Les ultraviolets A et B at te i -gnent la c ouche de cel lules germinatives qui, en se dif férenciant, donnent les cel lulesdes différentes couches de l’épiderme. Plus la cellule endommagée est située en amont

dans la chaîne de la différenciation c ellulaire, plus les conséquences risquent d’être graves.

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48 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

sent participer à la genèse des méla-nomes malins chez l’homme. Toute-fois, il reste à établir que ce poissonest un modèle prédictif des réactionsphysiologiques humaines.

Si le mélanome malin est plus rareque les carcinomes, il est beaucoup plusgrave, puisqu’il tue une fois sur quatre.De surcroît, sa fréquence double tousles dix ans. C’est le cancer le plus fré-quent pour les 25-30 ans. Si la situationcontinue à s’aggraver, une personnenée en l’an 2000 aura 1 risque sur 75 dedévelopper un mélanome malin aucours de son existence.

Face à ce risque, nous ne sommespas égaux, et les sujets à peau clairesont plus exposés. Leur peau contientdes mélanines renfermant du soufre,les phéomélanines, qui sont respon-sables de la couleur rousse, mais pro-tègent mal du soleil ; ces mélanines

déclenchent la formation de radicauxlibres qui potentialisent les effets dusoleil. Ce résultat biologique corroboreune observation clinique : les sujetsdont la peau est claire, quoi qu’ils fas-sent, ne «bronzent» pas ; la faible pig-mentation qu’ils obtiennent ne les

protège jamais efficacement contreles dommages chroniques dus au soleil.La mélanine des personnes roussesserait de mauvaise qualité et n’assu-rerait pas la fonction protectrice de lamélanine noire, ou eumélanine, quiabsorbe les ultraviolets sans causerde dommages.

Ainsi, les effets directs et indi-rects des ultraviolets B, et indirects seu-lement des ultraviolets A,s’additionnent. Ces mutations sont engrande partie réparées : diverses pro-téines reconnaissent les mutations surl’ADN, d’autres découpent l’ADN pouréliminer les zones mutées, d’autresencore reconstruisent un ADN de

bonne qualité.L’élimination des fragments d’ADN

anormaux favorise la pigmentation,comme l’a montré Barbara Gilchrestà Boston : le bronzage est une cicatrice,

conséquence des lésions causées auxcellules par le soleil.

Lorsque l’exposition au soleil esttrop intense, les mécanismes de répa-ration sont débordés, et les mutationss’expriment. Ces mutations sont le pre-mier stade de la cancérogenèse. Un can-

cer risque d’apparaître quand unecellule se multiplie sans contrôle. Cettesituation peut se produire dans deuxcas : une mutation active un oncogène,c’est-à-dire un gène qui favorise la mul-tiplication cellulaire ; ou elle inactiveun gène qui bloque cette multiplica-tion, c’est-à-dire un gène suppresseurde tumeur.

Diverses équipes ont montré quele gène p53 participerait au dévelop-pement des carcinomes cutanés. Nor-malement, le gène p53 veille àl’intégrité du génome cellulaire :lorsque survient une mutation, ilempêche la cellule atteinte de se divi-ser tant que la lésion du génome n’apas été réparée. Quand la lésion esttrop importante, il déclenche le sui-cide de la cellule (apoptose). Unemutation dans le gène p53 facilite lasurvie de cellules anormales ; les cel-

lules lésées, qui se multiplient sansfrein, subissent de nouveaux rema-niements qui favorisent la transfor-mation tumorale.

Dans le cas du mélanome malin,on a mis en évidence des altérationssur le chromosome 9 ; ces mutationsperturbent le contrôle du cycle cellu-laire, favorisant notamment la multi-plication des cellules. Toutemodification du génome due aux ultra-violets contribue au développementde cellules malignes qui sont d’autant

moins facilement éliminées que lesoleil abaisse la surveillance immu-nitaire cutanée.

Soleil et système immunitaire

Les réactions immunitaires de la peausont déclenchées par les cellules deLangerhans ; ces cellules, qui naissentdans la moelle osseuse et migrent

jusque sous la couche cornée, sontpourvues de longs prolongementsnommés dendrites. Elles repèrentles substances étrangères et déclen-chent l’alarme du système immuni-taire. Les ultraviolets B et lesultraviolets A inhibent les fonctionsdes cellules de Langerhans. Ils peu-vent agir directement en détruisant,par exemple, le cytosquelette de cescellules, ou indirectement : sous l’ac-tion des ultraviolets B, les kératino-cytes de l’épiderme libèrent dessubstances qui inhibent les réactionsdu système immunitaire. Ces sub-stances immunosuppressives sontl’acide urocanique et des cytokines.

Sous l’action du soleil, l’acide uroca-

KÉRATINOCYTE

MÉLANOCYTEMUTATION

ULTRAVIOLET B ULTRAVIOLET A

PROTÉINE

CYTOPLASME

RADICAL LIBRE

MUTATION

MÉLANOCYTE

PROTÉINE

KÉRATINOCYTE

4. LES MÉCANISMES D’ACTION DES ULTRAVIOLETS A ET B diffèrent. Les ultraviolets B

(en haut) créent directement des mutat ions sur l ’ADN des mélanocytes, les cel lules res-ponsables de la pigmentation de la peau, et des kératinocytes. Au c ontraire, les ultra-violets A produisent des radicaux libres (en bas) dans le cytoplasme cellulaire. Ces radicauxl ibres, très oxydants, endommagent aussi les protéines cytoplasmiques et créent desmutat ions sur l ’ADN. Lorsqu’un mélanocyte ou un kératinocyte cont enant une mutat ionn’est pas él iminé par le système immunitaire, i l r isque de se mult ipl ier et de déclencher

un mélanome malin dans le premier cas et un carcinome dans le second.

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PEAU DE TYPEI

Les personnes possédant ce type depeau ont un phénotype roux et une peau trèsclaire; elles ne bronzent pas, mais des tachesde rousseur apparaissent au soleil ; elles ontdes coups de soleil à la moindre exposition.

PEAU DE TYPEIICes personnes ont également la peau très

claire et, à la moindre imprudence, elles ontdes coups de soleil ; elles bronzent légère-ment, mais ce hâle léger qui évite les coupsde soleil ne protège pas contre le risque devieillissement cutané ni contre les cancers dela peau.

PEAU DE TYPE III

Ces personnes ont peu de coups de soleilet bronzent facilement.

PEAU DE TYPEIV

Ces personnes n’ont jamais de coups desoleil et bronzent très facilement. On trouve

ce type de peau, par exemple, autour de laMéditerranée.

PEAU DE TYPEV

La peau est naturellement pigmentée etclaire, comme celle des Asiatiques.

PEAU DE TYPE VI

La peau est noire, très résistante aux dom-mages provoqués par le soleil.

49© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT1996

nique donne un dérivé qui inhiberaitla présentation des antigènes par lescellules de Langerhans. De plus, ona récemment montré que les ultra-violets B activent la synthèse de deuxcytokines, la TNFα et l’interleukine10 dans les kératinocytes, qui inhibentles cellules de Langerhans.

Enfin, les ultraviolets B favorisentla «tolérance immunitaire active».Outre les cellules de Langerhans quisont responsables des réactions de rejetde greffes et des eczémas, il existed’autres cellules dendritiques dansl’épiderme ; ces cellules augmentent latolérance de l’organisme aux agentsétrangers et résistent mieux aux ultra-violets que les cellules de Langerhans.Ainsi, l’irradiation de la peau par lesultraviolets a un effet immunosup-presseur qui calme les irritations, maiselle améliore aussi l’apprentissage de

la tolérance aux substances étrangères,ce qui diminue les réactions allergiquesou de rejet.

Cette mise en veilleuse du systèmeimmunitaire de la peau n’est pas sansinconvénient, puisque l’éliminationdes cellules cancéreuses n’y est plusassurée. Chez l’animal, lorsque l’im-munité cutanée est inhibée par lesrayons ultraviolets, les tumeurs cuta-nées se développent beaucoup plusrapidement.

Ainsi, les ultraviolets sont cancé-

rogènes de deux façons : ils créent direc-tement des lésions dans l’ADN deskératinocytes et des mélanocytes, et ilsinhibent les réactions immunitairescutanées qui éliminent les cellulestumorales.

Soleil et vieillissement

Les ultraviolets B et surtout les ultra-violets A provoquent un vieillissementde la peau.

Le vieillissement est un mécanismegénétiquement programmé, mais cer-tains facteurs d’environnement l’ac-célèrent. Aussi, la peau prend un aspect

beaucoup plus âgé sur les zones expo-sées au soleil, telles que le dos desmains ou le visage, que sur les zonesprotégées, les fesses par exemple.L’agression chronique de la peau parle soleil entraîne une augmentationdes divisions cellulaires et un épais-sissement de l’épiderme et de la couchecornée. Au fil des années, l’épidermes’atrophie : les cellules s’y différen-cient de façon de plus en plus désor-

donnée ; des troubles de la

différenciation apparaissent avec for-mation de croûtes plus ou moins pig-mentées et, parfois, apparition de

carcinomes.Dans le derme, les cibles les plus

sensibles à l’exposition du soleil, etnotamment aux ultraviolets A péné-trants, sont les fibres élastiques. Ellescontiennent une protéine nomméeélastine en raison de ses propriétésélastiques ; sécrétée par les fibro-

blastes du derme, l’élastine s’attacheaux fibres de collagène. Leur asso-ciation assure la solidité du derme(collagène) et lui confère sa souplesse(élastine).

Les ultraviolets, notamment lesultraviolets A, modifient la produc-tion du collagène : ils en diminuentla synthèse et en augmentent la dégra-dation. Ils perturbent également lasynthèse et les propriétés de l’élas-tine : les molécules anormales d’élas-tine, produites en grande quantité,sont incapables de s’attacher au col-lagène et s’agglutinent en mottes, sepelotonnant en petites boules blanchesvisibles sous la peau ; elles donnentaux faces latérales du cou un aspecten chair de poule.

Entre ces petites mottes blanches,le réseau vasculaire apparaît : la peaua un aspect rouge ponctué de blanc,d’abord sur les faces latérales du cou,puis sur toutes les zones saillantestelles que le bout du nez, les pom-mettes ou le menton. Les rides résul-tent de l’exposition au soleil et,notamment, aux ultraviolets A. Cevieillissement accéléré de la peau esttrès marqué chez les fumeurs : commeles ultraviolets A, le tabac détruit lesfibres élastiques (il produirait des radi-

caux libres).

L’évaluation du risque

L’étude des méfaits du soleil montre

que l’intensité de l’agression joue unrôle essentiel, mais aussi que certainespersonnes sont plus sensibles qued’autres. On a classé les types de peauet montré que, statistiquement, lerisque de mélanome malin augmentequand la peau est plus claire : c’estsurtout le cas dans le Nord de l’Eu-rope et en Australie, où le phéno-type roux est fréquent.

On sait évaluer les risques pourune population donnée, mais peut-onprévoir le risque individuel? Parmi

les individus ayant le même type depeau et subissant la même exposition,certains auront un cancer de la peau,d’autres non. Le phototype de peaun’est pas le seul facteur définissantle risque de cancer cutané : les méca-nismes de réparation des dommagesprovoqués par le soleil diffèrent d’unepersonne à l’autre dans un mêmegroupe. Ces mécanismes de répara-tion sont déterminés par le patrimoinegénétique.

Certains enfants sont atteints d’unemaladie génétique grave, le xerodermapigmentosum : leur peau est extrê-mement sensible au soleil et les dom-mages provoqués par le soleil à l’ADNne sont pas réparés. Ces enfants ontdes cancers cutanés et des mélanomesmalins dès l’âge de quatre ou cinq ans,et ils meurent souvent très jeunes d’unemultitude de cancers cutanés.

Un nouveau test de dépistage, letest des comètes, devrait permettre uneidentification des sujets à risques, denaissance ou parce qu’ils ont abusé dusoleil. Lorsque l’on irradie un lym-

phocyte du sang ou un kératinocyte de

Les différents types de peau

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50 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

la peau avec des ultraviolets, l’ADNsubit des lésions. Quand on soumetune cellule irradiée par des ultravio-lets à un champ électrique intense, lesfragments d’ADN chargés migrent (lesplus courts migrent le plus loin). Cesfragments créent une traînée visuali-sée grâce à un colorant fluorescent, quiest d’autant plus longue que les frag-ments sont nombreux.

Normalement, quelques heuresaprès l’irradiation, ces cassures sontréparées. La traînée des fragmentsd’ADN qui sortent de la cellule res-semble à celle d’une comète, ce qui avalu son nom au test. Après une irra-diation normalisée et un temps de répa-ration défini, l’aspect de la queue de lacomète renseigne sur les capacitéscellulaires de réparation des dommagesdus aux ultraviolets.

La méthode, mise au point il y a

quelques années, était jusqu’à présentutilisée pour l’évaluation des dom-mages subis par des cellules expo-sées à divers agents agressifs del’environnement. L’équipe d’EthelMoustacchi, de l’Unité CNRS UMR218,à l’Institut Curie, a appliqué cetteméthode à la détection des dommagesprovoqués sur l’ADN par les ultra-violets dans des maladies génétiquesgraves, où la sensibilité aux ultravio-lets est extrême.

Aujourd’hui, l’équipe étudie des

personnes qui ne semblent pas pré-disposées ; elle compare actuellementun groupe de patients de 50 ans ayanteu un cancer de la peau et un groupede patients de 50 ans qui ont été épar-gnés. Les tests des comètes réalisés surces deux groupes de patients devraientêtre différents, puisqu’ils reflètent lescapacités de réparation des cellules del’épiderme. Si tel est le cas, on dispo-sera d’un test de routine permettant desavoir si un nouveau-né présente desrisques vis-à-vis du soleil, et commentévolue, chez l’adulte, sa capacité à répa-rer les lésions de l’ADN causées par lesoleil.

La prévention

Avec l’amélioration des connais-sances, les conseils de prévention sontde plus en plus efficaces. Éducationet information sont les clés d’unemeilleure protection. Les conseils dedétection sont efficaces, puisque l’ona noté qu’après des campagnes d’in-formation faites en Suisse ou dans le

midi de la France, le nombre de méla-

nomes malins diagnostiqués a dou- blé au cours des six mois qui ont suivila campagne ; cela signifie que denombreux mélanomes malins débu-tants, faciles à soigner par la chirur-gie, ont été détectés grâce à cetteinformation.

Outre ces mesures d’information,la photoprotection vestimentaire estessentielle : quand on a la peau trèsclaire, on doit se baigner avec une che-misette et s’habiller sur la plage.

Les produits solaires sont une autrearme de la photoprotection. Toutefois,les premiers, conçus pour lutter seu-lement contre les coups de soleil, onteu des conséquences paradoxales : enfiltrant les ultraviolets B, ils évitaientles coups de soleil, favorisaient lesexpositions prolongées, et potentia-lisaient les effets chroniques du soleil,c’est-à-dire une accélération du

vieillissement cutané et une aug-mentation du nombre de cancers dela peau.

Aujourd’hui, on a pris conscienceque l’on doit utiliser des écranssolaires qui protègent non seulementcontre les ultraviolets B, mais aussicontre les ultraviolets A. Toutefois, onfiltre difficilement les ultraviolets A,et une grande quantité pénètre dansla peau.

Les produits solaires doivent êtreutilisés pour éviter les coups de soleil,

mais non pour prolonger l’exposition.Nous devons informer les adultes desrisques du soleil et éduquer lesenfants pour qu’ils apprennent à seprotéger : à la naissance, les cellulesde la peau ont une certaine capacitéà réparer les lésions dues au soleil,mais ces réparations sont toujoursincomplètes. À chaque irradiation,des lésions persistent, s’accumu-lent, et les capacités d’adaptation ausoleil diminuent ; après chaque expo-sition, le nombre des lésions répa-rables diminue. On doit apprendreaux enfants et aux adolescents à pré-server leur «capital soleil».

5. LE TEST DES COMÈTES met en évidencela capacité de réparation de l’ ADN soumisaux ult raviolets. Un noyau indemne appa-raît circ ulaire après avoir été m arqué avecun colorant fluorescent (a ) . Après irradiationpar les ultraviolets, l ’ ADN est f ragmenté ;sous l’act ion d’un champ électrique, les frag-ments migrent et forment une traînée, quiressemble à la queue d’une comète (b). L’évo-lution de l’aspect de la t raînée renseigne surles capacit és de la cellule à réparer les dom-mages subis par l ’ AD N. Qu a nd l’ AD N es treconstruit , la traînée ne se forme plus (c)et, au bout de quelques heures, le noyau

reprend sa forme circulaire initiale (d ) .

Louis DUBERTRET dirige un service dedermatologie de l’Hôpital Saint-Louis etl’Unité INSERM U 312.

L. DUBERTRET, M. JEANMOUGIN, La peauet le soleil, Collection Ouverture médi-cale, éditions Hermann, 1993.L. DUBERTRET, R. SANTUSet P. MORLIÈRE,Ozone, Sun, Cancer, éditions INSERM, 1995.

a

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52 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Les quasicristaux vont-ils, 12 ans

après leur découverte par DanyShechtman et ses collaborateursIlan Blech, John Cahn et Denis Gra-

tias, devenir des matériaux comme lesautres? Quitteront-ils leur statut pri-vilégié de composés modèles et aca-démiques pour contribuer à notre

bien-être quotidien? Ces questions sontsouvent posées, surtout par des indus-triels soucieux d’innovation ou enclinsà protéger les acquis de leur techno-logie. Nous faisons le point, dans cetarticle, sur les propriétés de ces maté-

riaux et leurs applications potentielles.

Des arrangementsétranges, mais stables

Lors de leur découverte, les physiciensperçurent les quasicristaux comme descomposés exotiques dotés d’une struc-ture bizarre qu’il fallait élucider au plusvite. Pour l’essentiel, cette structure estaujourd’hui bien comprise. Il a fallu,pour la comprendre, généraliser la cris-tallographie et y inclure la descrip-tion des structures à symétrie quinairequi avaient longtemps été considéréescomme interdites. Cette structure cris-tallographique était celle des quasi-cristaux.

À l’opposé des difficultés soulevéespar la compréhension de la structure,le comportement thermodynamiquedes quasicristaux s’est révélé classique.Les premiers quasicristaux Al-Mnétaient produits par solidification ultra-rapide à des vitesses de refroidisse-ment dépassant 1 000 000 °C parseconde. Comme tous les alliages de

métaux qui subissent un tel traitement,

les structures obtenues par refroidis-

sement ultrarapide sont dans un étatmétastable et évoluent vers un état plusstable quand ils sont chauffés. Lesalliages se transforment alors en unmélange de phases cristallines.

Pendant les quelques années quiont suivi la découverte, les chercheursont cru que tous les quasicristauxprésentaient cette caractéristique. Ilsles ont alors rattachés à un état inter-médiaire entre l’état cristallin parfai-tement ordonné et l’état vitreuxcaractéristique du désordre partiel qui

prévaut dans un liquide. La positionétait commode parce que suffisammentimprécise. Cette interprétation a changéradicalement en 1987 lorsque A.P. Tsai,qui terminait sa thèse à Sendai, au

Japon, a publié une série d’articlesdémontrant l’existence de quasicris-taux stables, associés à des diagrammesde phases bien définis. Ces cristauxétaient des alliages intermétalliquestels que Al-Cu-Fe, Al-Cu-Co, Al-Co-Ni et Al-Pd-Mn. En fait, le pas décisif avait été franchi l’année précédentelorsque B. Dubost et ses collaborateursdu Centre de Recherches de Péchiney,à Voreppe, avaient préparé des mono-cristaux icosaédriques par solidifica-tion lente, à partir de l’état liquide, d’unalliage Al-Li-Cu. Ces cristallites, facet-tés, diffractaient le rayonnementcomme les quasicristaux et, de plus,leurs facettes définissaient sans ambi-guïté la forme d’un polyèdre du groupede l’icosaèdre. Figure de diffractionet morphologie cristalline montraientqu’il s’agissait bien d’un quasicristal.

Aujourd’hui les revêtements quasi

cristallins sont identifiables par leurs

caractéristiques cristallographiques ;

aussi est-il simple de les détecter dansun dispositif, ce qui facilite la défensedes brevets. Ils sont relativement aisésà produire et d’un prix de revient suf-fisamment faible pour s’adapter auxcontraintes de nombreux marchés.

Un obstacle de taille a pourtantfreiné quelque temps notre enthou-siasme : la fragilité mécanique de cesmatériaux. Comme de nombreuxautres intermétalliques, ils sont trèsdurs à la température ambiante, et leurductilité très faible ne permet pas une

mise en forme aisée. Cet inconvé-nient majeur interdit encore aujour-d’hui l’utilisation des quasicristaux àl’état massif dans des applicationsmécaniques. En revanche, il est tout àfait possible d’en faire des revêtementsde surface : le substrat apporte la résis-tance mécanique, tandis que le revê-tement résiste aux agressionssuperficielles. Cette solution est cou-ramment adoptée pour la protectioncontre la corrosion, la résistance à larayure, la réduction du frottement, lacoloration superficielle, les revêtementsanti-adhérents, etc.

Déconcertantes propriétésdes quasicristaux

À la surprise générale, les quasicris-taux icosaédriques se sont révélés depiètres conducteurs de l’électricité etde la chaleur, contrairement à leursconstituants métalliques. Leur conduc-tivité est d’autant plus réduite que laperfection du réseau cristallin estgrande ; certains alliages, comme

Al70Pd20Re10, icosaédrique seraient

Les propriétés

des quasicristauxJEAN-M ARIE DUBOIS

Les exceptionnelles propriétés électriques, mécaniques et tribologiques

des quasicristaux sont d’heureuses surprises qui promettent

d’intéressantes applications technologiques.

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53© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

3. STRUCTURE DE 51 ATOMES (à gauche) consti tuant l ’agrégatélémentaire du quasicristal Al-Pd-Mn. Cet agrégat, ayant les symé-tries de l’icosaèdre, est constit ué de trois éléments emboîtés a, b, c .L’élément a central a neuf atomes d’aluminium. Les deux autreséléments exist ent sous deux «colorations» chimiques distinct es (non représentées) : d’une part, 6 M n plus 6 Pd pour l’élément à 12 at omes,

et 30 Al pour celui à 30 atomes ; d’autre part, 12 Al et 20 Pd plus

10 Al. À droite, on a représenté l’organisation hiérarchique du qua-sicristal : chaque niveau de la hiérarchie reproduit la struct ure ico-saédrique de l ’agrégat élémentaire, avec la struc ture du niveauprécédent aux sommets de l’icosaèdre de ce niveau. Les agrégatssont représentés par leur plan équatorial et tous les plans équato-riaux des agrégats représentés sont dans un même plan. L’anneau

de l’agrégat de base est figuré par un petit cercle orange.

1. QUASICRISTAL icosaédrique Al-Pd-Mn à fac es pent agonales.

+

+

5 NANOMÈTRES

a

b

c

d

9 ATOMES

12 ATOMES

30 ATOMES

51 ATOMES

2. PAVAGE DE PENROSE obtenu à partir de deux losanges.

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54 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

La s t r uc tu r e des quas i c r i s taux

b. Figure de diffraction d’un quasicristal.

a

e E 1

e 2

L C

δδ

θλ

nλ = 2a sinθ = 2δ

a Q U

A S I - P

É R I O D I Q

U E

P É R I

O D I Q U E

a. Interférences construct ives dans un cristal. c. Interprétation géométrique de la struct ure d’un quasicristal.

dans un espace de dimension plus grande.Pour illustrer cette cristallographie à hautedimension, considérons l’exemple repré-senté sur la figurec . Nous voulons construire

une fonction quasi périodique, la densité ato-mique, le long d’une droite E , c’est-à-direune fonction qui prenne, soit la valeur 0 (iln’y a pas d’atome), soit la valeur 1 (l’atomeest présent au point considéré) dans unespace à une dimension.

Pour cela, nous construisons d’abordun réseau périodique, carré pour simplifieret de paramètrea , engendré dans un espaceD à deux dimensions par translations selonles vecteurs de base (e

1, e

2 ). Tout vecteur

de ce réseau a des composantes à coeffi-cients entiers sur (e

1, e

2 ), mais peut être rap-

porté aussi, de façon univoque, à une baseportée par D ; l’espace complémentaire D’ ,orthogonal à D est de dimension unité.

Nous munissons ensuite le réseau carréd’une densité atomique choisie pour que l’in-tersection entre D et E se réduise à despoints, les atomes deE . L’option la plus simpleconsiste à placer des segments de lon-gueur ∆ sur les nœuds du réseau (e 1, e 2 ),perpendiculaires à E, et appartenant à l’es-pace D’ . La longueur ∆ est telle que l’onobtienne la densité atomique voulue sur E .

Chaque intersection entre l’espace E etles segments de droite ∆ détermine la

position d’un atome, car, par construction,cette intersection se réduit à un point. Lesatomes sont ainsi séparés par des distancescourtes C ou longues L. La séquence dessegments L etC sera nécessairement pério-dique si la pente de E rapportée au référen-tiel (e

1, e

2 ) est un nombre rationnel, car alors

E passe périodiquement par des nœuds duréseau. La densité atomique, comme lasuccession des distances L et C construitesentre ces nœuds, se reproduit donc pério-diquement, identique à elle-même entrechaque couple de nœuds du réseau carré que

diffraction de ce pavage est alors strictement

invariant par rotation d’un cinquième de tourautour de son origine. Pour obtenir cette symé-trie d’ordre cinq, Penrose a abandonné la notionde maille unitaire unique des cristaux tradi-tionnels et utilisé deux éléments de construc-tion distincts (des losanges d’angles au sommet4π/5 etπ/5 d’une part et 3π/5 et 2π/5 d’autrepart), associés l’un à l’autre par des règles d’as-semblage strictes (voir la figure 2). Le pavagerésultant n’est plus périodique, en ce sens qu’ilest impossible de trouver une distance de dépla-cement finie telle que le pavage se superposeexactement à lui-même. En revanche, presquetous les points du pavage se superposent à un

point du pavage original si on glisse, parexemple, la copie selon le côté d’un losange :le pavage est presque périodique, quasi pério-dique ou quasi cristallin.

La mathématique des fonctions quasipériodiques était connue avant la découvertedes quasicristaux. Elle a apporté le cadre duproblème central de la localisation des atomesdans les quasicristaux. En effet, une fonctionquasi périodique dans un espace de dimen-sions n (ici n égal à 3) peut toujours être consi-dérée comme une opération de coupe parl’espace en question d’une fonction périodique

U n diagramme de diffraction est une figured’interférences créée par la superposi-

tion des ondes (rayons X, électrons ouneutrons) réfléchies dans une direction don-

née par les atomes d’un cristal. La direc-tion qui donne lieu à des interférencesconstructives, c’est-à-dire à une tache,correspond à des ondes diffractées déca-lées d’un nombre entier de longueur d’onde(fig ure a). Cette direction indique la distancequi sépare les plans atomiques,lesquelsconstituent autant de «miroirs» pour lesondes produites par la source éclairantl’échantillon. L’ensemble des taches de dif-fraction reflète l’arrangement des plans ato-miques qui définissent le cristal.

Ce diagramme de diffraction (figure b)

est semblable à celui du premier cristaldécouvert par D. Shechtman. Il présentedeux groupes de taches intenses, décalésangulairement de 36°, qui marquent les som-mets de deux étoiles à cinq branches. Cesfigures sont invariantes par rotation d’uncinquième de tour autour du centre de lafigure, ce qui implique que, dans l’échan-tillon, la disposition des plans atomiquespossède cette symétrie de rotation.

L’invariance par rotation de 2π/5 n’est pascompatible avec la symétrie de translation quicaractérise les cristaux habituels. Pour s’enconvaincre, il suffit d’imaginer un carrelage

réalisé avec des pentagones. Un tel pavage nepeut pas couvrir toute la surface parce quel’angle au sommet du pentagone (108°)n’est pas égal à une division entière d’untour (2π/n avecn entier). Il n’est pas possiblede disposer un nombre entier de pentagonesautour d’un sommet, alors que cette construc-tion est réalisable avec des hexagones, descarrés ou des triangles équilatéraux.

En 1974, R. Penrose a résolu le problèmedu pavage du plan, sans trou ni recouvre-ment, de telle sorte que la symétrie globaledu pavage soit quinaire. Le diagramme de

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55© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

même classés dans les isolants. Laconductivité de cet alliage passe de10 (ohm-cm)–1 environ à quelques cen-taines d’(ohm-cm)–1entre 1K et 1 000K.Ce comportement est à rapprocher decelui des semiconducteurs qui, contrai-rement aux métaux, conduisent d’au-tant plus que la température s’élève.Pourtant, le mécanisme qui assure laconduction dans les quasicristaux estspécifique.

Dans un cristal semiconducteur, lesétats d’énergie des électrons sont répar-tis dans deux bandes séparées par ungap, la bande de valence et la bande deconduction. Pour que ce cristalconduise l’électricité, il faut que cer-tains électrons franchissent le gap et setrouvent dans la bande de conduction.À température nulle, le cristal n’est pasconducteur. Sous l’effet de la tempé-rature, des électrons de la bande de

valence bondissent dans la bande deconduction, où ils conduisent l’élec-tricité ; dans le même temps, un troude charge positive se constitue dansla bande de valence, trou qui conduitaussi l’électricité.

Dans les quasicristaux, aucun gapne sépare nettement le haut de la bandede valence et le bas de la bande deconduction. En revanche, dans lesphases icosaédriques, une dépressionprofonde de la densité d’états – appe-lée un pseudo-gap – sépare la région

des états occupés de celle des états inoc-cupés. La dépression, qui nuit à laconduction, est d’autant plus marquéeque la phase icosaédrique est moinsconductrice : cette observation cadre

bien avec la forte résistivité des cris-taux icosaédriques. En fait, il sembleque les électrons soient confinés parles agrégats atomiques dans des «puitsquantiques» d’où ils s’échappent sousl’effet des excitations thermiques pourassurer un minimum de conduction.

Les autres propriétés liées au trans-port électronique dans les phases ico-saédriques s’écartent tout aussinettement du comportement métal-lique. Dans les phases icosaédriques,la conduction à basse température estassurée par des électrons et la contri-

bution des trous augmente avec la tem-pérature. La nature du porteur decharge est cependant très sensible audegré de pureté du quasicristal.

De plus, la nature du porteur change brutalement de signe lorsque la com-position des alliages Al-Cu-Fe passepar la composition correspondant pré-

cisément à la concentration électronique

de 1,86 électron par atome. La résisti-vité la plus élevée et la perfection struc-turale sont obtenues conjointementdans cet alliage particulier.

De même, le comportement desquasicristaux vis-à-vis du rayonne-ment électromagnétique ne suit pasle modèle qui explique bien la conduc-tivité optique des métaux. Dans cemodèle, la transparence est une fonc-tion croissante de la fréquence durayonnement électromagnétique : lesmétaux sont transparents pour les pho-tons de très courte longueur d’onde,ultraviolets et en deçà, et réfléchissantsaux grandes longueurs d’onde de l’in-frarouge et du rayonnement micro-métrique.

Les mesures effectuées sur des cris-taux icosaédriques Al70Pd20Re10 témoi-gnent d’un comportement différent : latransparence est faible tant que la

longueur d’onde est inférieure à 1000cm–1, passe par un maximum au voi-sinage de 10 000 cm–1 puis diminue.

Il en va de même de la conductionthermique. La phase icosaédriqueAl71Pd21Mn8, par exemple, ne conduitpratiquement pas la chaleur à bassetempérature : sa conductivité ther-mique passe de 10–4 à 10–3 W/mK entre1 et 10 K. Cette valeur est comparableà celle des meilleurs isolants ther-miques, comme la laine de verre ou laplume d’oie des vestes de duvet que

chérissaient les alpinistes avant l’in-vention des textiles modernes. Laconductivité thermique augmenteensuite rapidement avec la tempéra-ture, puis stagne entre 100K et 300Kavant de reprendre une croissanceapproximativement exponentielle avecla température. Les valeurs atteintesdans le régime des hautes tempéra-tures, au-delà de la températureambiante, restent cependant faibles parrapport à des matériaux classiques :la conduction thermique est analogueà celle de la zircone, prototype des iso-lants utilisés dans l’aéronautique.

Dureté et plasticité

Nous avons mentionné que les quasi-cristaux sont durs, mais fragiles. Lesduretés caractéristiques, appréciablespour un alliage léger, sont comparablesaux duretés des intermétalliquescomme Al-Fe ou des aciers martensi-tiques de haut de gamme. En revanche,les monocristaux icosaédriques sontd’une grande fragilité : ils ne résistent

pas à la propagation d’une fissure.

rencontre E . En revanche, si la pente de E estun nombre irrationnel, E passe par un seulnœud du réseau carré, et la séquence desdistances L et C est apériodique. Cette confi-guration correspond au quasicristal.

La position de E est bien entendu arbi-traire. Toute autre droite parallèle à E repré-sente également un quasicristal, globalementidentique au premier même si, localement, onpeut observer une inversion de deux segmentsL C en C L. Ce mécanisme de saut localisé nechange pas la densité atomique globale, maischange l’environnement proche d’un atome.Il semble jouer un rôle crucial pour la mobi-lité atomique dans les quasicristaux, car il meten jeu des barrières énergétiques minimesentre sites équivalents, tout en autorisant letransport de matière à longue distance dansles quasicristaux réels de dimension plusgrande que l’unité. Enfin, la figure c montrebien que de nombreux cristaux peuvent

exister avec des arrangements atomiques trèsvoisins de ceux du quasicristal, dès lors quela pente de E est rationnelle, mais peu diffé-rente de la pente irrationnelle. Ces cristauxsont appelés approximants et existent effec-tivement dans les systèmes d’alliages quicontiennent des quasicristaux au sens strict.

La construction de la figure 3 présentedonc une généralisation de la notion de cris-tal. Elle rend compte soit du cristal classiquesi la pente de E est rationnelle, soit du qua-sicristal si ce nombre est irrationnel.

De même, un réseau périodique à quatredimensions, décoré par des polygones et coupépar un plan, rend compte des pavages apério-diques comme le pavage de Penrose. Cette situa-tion correspond, dans les alliages réels, auxphases décagonales qui contiennent des empi-lements, périodiquement ordonnés selon unedirection, de plans atomiques quasi périodiques.Les quasicristaux icosaédriques sont apério-diques dans les trois directions de notre espacehabituel. Ils peuvent être engendrés par la couped’un espace hypercubique de dimension 6 parnotre espace de dimension 3. La densité ato-mique dans l’hyperespace est représentée alorspar des polyèdres du groupe de symétrie de

l’icosaèdre, on dit des hypersurfaces ou dessurfaces atomiques, contenus dans l’espacecomplémentaire de dimension 3 également.

Bien que cette méthode ne soit plus aussiintuitive que la cristallographie classique, ellea l’avantage d’en restituer les principauxavantages. En particulier, elle associe à l’es-pace périodique de grande dimension du cris-tal un espace réciproque, périodique égalementet de même dimension, qui porte l’intensité desdiagrammes de diffraction. On a pu ainsi déter-miner la majorité des positions atomiques dansles quasicristaux.

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bon métal ou un matériau comme lesilicium présente alors des facettesplanes où il est facile de reconnaître lesarrangements atomiques réguliersdu cristal.

Dans les quasicristaux, de tellesimages sont très difficiles, voire impos-sibles, à observer. Il est préférable

d’abandonner la résolution atomiquepour regarder la surface d’un peuplus loin. On voit alors une surfacerugueuse, faite de creux et de bosses.La hauteur moyenne (et le diamètre)de ces irrégularités est variable, maiselle ne descend pas au-dessous d’unedizaine d’angströms. Il est tentant d’as-similer ces bosses à des amas consti-tués d’entités de base qui remplissent,selon une règle d’inflation hiérarchique,la totalité de l’espace (voir la figure 3).

On admet alors que la rupture sepropage entre les amas, dans la zoneinterstitielle, et non pas le long des plansdenses d’atomes qui sont identifiés sansdifficulté dans les modèles atomiques.Cette hypothèse n’est pas encore com-plètement validée. Elle aurait pourconséquence, entre autres, que la méca-nique de la rupture des quasicristauxserait semblable à celle des verres etque la transition fragile-ductile seraitprovoquée par une transition de naturesemblable à la transition vitreuse carac-téristique les matériaux amorphes (maisse produirait au chauffage, et non au

refroidissement).

Sauf précautions exceptionnelles,les quasicristaux sont soumis à l’actionde l’oxygène de l’air. Des étudesrécentes ont montré qu’ils se cou-vrent d’une couche d’un oxyde d’alu-minium. À la température ambiante,la vitesse à laquelle cet oxyde recouvrela surface est très importante. Enrevanche, son épaisseur est très faible,de l’ordre de une ou deux couches ato-miques, contrairement aux alliagesd’aluminium classiques qui se couvrentd’oxydes beaucoup plus épais. Cettecouche d’oxyde est étanche (passi-vante) et elle empêche le passage ulté-rieur de l’oxygène. Même à destempératures proches du point defusion de l’alliage, la couche d’oxydene dépasse pas quelques nanomètresd’épaisseur.

Il en résulte que les quasicristauxsont particulièrement résistants à l’oxy-

dation et qu’ils peuvent soutenir desutilisations prolongées à des tempé-ratures de quelques centaines dedegrés, ce qui est appréciable pourun composé de faible densité. Demême, leur résistance à la corrosion estintéressante.

Adhérence et frottements

La faible réactivité chimique de la sur-face des quasicristaux, que soulignentles expériences d’oxydation et de cor-

rosion, est industriellement promet-teuse. C’est vers son étude que setournent maintenant nombre de recher-ches tant fondamentales qu’appliquées,puisqu’elle explique vraisemblablementla faible adhérence des quasicristauxavec des liquides ou d’autres solides.Cet effet est, lui aussi, surprenant, carles métaux et alliages usuels présententdes énergies de surface assez élevéesqui correspondent habituellement à desforces de «collage» importantes.

Nous avons mis en évidence cettecaractéristique des quasicristaux dedeux manières distinctes. Notre pre-mière approche, très empirique, se rap-porte au problème quotidien etincontournable de la cuisson des ali-ments. Ainsi, nous avons préparé dessurfaces de cuisson revêtues de qua-sicristaux. Elles sont plus adhérentesque les revêtements de PTFE (polyté-trafluoroéthylène), mais meilleures queles autres surfaces, en particulier métal-liques. Comme la résistance des qua-sicristaux aux agressions mécaniques,leur stabilité thermique et leur durée

de vie sont bien supérieures à celles

56 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Les caractéristiques mécaniquessont plus intéressantes à températureélevée. La résistance mécanique obser-vée à la température ambiante persiste

jusqu’au-delà de 600 °C, ce qui est inté-ressant industriellement. En compa-raison, les alliages aéronautiques dehaute performance perdent leurs carac-

téristiques dès 300-350 °C. Lorsque latempérature dépasse 650 °C, le quasi-cristal n’est plus fragile et, au contraire,devient ductile. Des déformations sansrupture de plus de 100 pour cent ontété obtenues par compression de cer-tains alliages quasi cristallins.

Cette transition n’est pas liée uni-quement à la mobilité des joints degrains, puisqu’elle est aussi observéedans les monocristaux. L’apparition dela ductilité a été associée à la créationd’une forte densité de dislocations,comme dans les alliages classiqueslorsqu’ils dépassent leur limite élas-tique : il est possible que les sauts ato-miques entre sites énergétiquementéquivalents contribuent également àla déformation du quasicristal ou par-ticipent à la création de dislocationsdans le cristal.

Avec les techniques modernes dela microscopie à champ proche, on voitles atomes de la surface d’un cristal.Pour cela, on part d’un monocristal quel’on clive directement dans l’ultravidedu microscope pour prévenir toute

dégradation ultérieure à la fracture. Un

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Fe

Cu

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4. COUPE À 700°C du diagramme de phases Al-Cu-Fe montrant en insert un agrandisse-ment de la région de la phase icosaédrique. Celle-ci se forme dans l’étroite région coloriéeen rouge qui correspond à une concent ration de 1,86 élec tr on par atom e. Elle voisine avecdes composés cristallins à grande maille ( région marquée en bleu ) qui possèdent des arran-gements atomiques presque identiques. Ce diagramme de phases est la version moderne

du diagramme de ce système publié en 1939. Les auteurs soulignaient alors l’existencedans cette région d’une phase nouvelle, impossible à identifier par diffraction des rayons Xsur poudre. Les microscopes électroniques n’existaient pas à l’époque...

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des PTFE, les revêtements de quasi-cristaux offrent un compromis attra-yant qui a franchi la porte deslaboratoires depuis quelques annéesdéjà.

Pour mesurer les propriétés d’ad-hérence des quasicristaux, nous pou-vons déposer sur la surface d’unéchantillon une minuscule goutte d’unliquide dont les propriétés sontconnues. Cette goutte est soumise à desforces de tension superficielle quimodèlent sa forme, car les moléculesdu liquide sont diversement attiréespar le substrat solide et par le gaz.L’angle du ménisque de la goutte surl’échantillon mesure ces tensions super-ficielles à l’équilibre. Avec cette tech-nique, nous avons comparé les énergiesd’adhésion de divers substrats, dontun monocristal de phase icosaédriqueAl-Pd-Mn, pour différents liquides.

L’énergie de surface du monograinde phase icosaédrique Al-Pd-Mn n’estpas beaucoup plus élevée que celled’un échantillon de PTFE. Elle est plusfaible que celle d’un alliage métalliquehabituel (tous les autres paramètres depréparation des surfaces étant égaux)et l’on ne détecte pas l’effet de la couched’oxyde superficielle.

Un autre moyen d’apprécier lesqualités d’adhérence de la surface d’unsolide met en œuvre une expériencede tribologie : on applique un frot-

teur, l’indenteur, avec une forceconstante et on le déplace à vitesseconstante sur la surface à étudier. Onenregistre pendant le déplacement laforce qui s’oppose à son mouvement.On étudie après le passage de l’in-denteur, les dommages induits. Le frot-tement résulte de la combinaison deseffets de la déformation élastique desdeux matériaux, des rugosités des sur-faces en contact, des forces d’adhérence,etc. Très souvent intervient aussi untroisième corps dû à la présence d’unlubrifiant, de débris d’usure, etc.

Pour simplifier, nous considéronsici un indenteur en diamant, indéfor-mable et parfaitement lisse. Pour mini-miser les effets de rugosité, nouspréparons la surface du quasicristalpar un polissage soigné, de sorte quesa rugosité macroscopique deviennenégligeable. Les causes du frottement

se réduisent alors, pour l’essentiel, à ladéformation élastique du quasicristal(l’indenteur repousse de la matière sursa face avant) et aux forces d’adhérence.On effectue plusieurs passages dans lamême trace après avoir éliminé, àchaque fois, les débris d’usure.

Le coefficient de frottement est trèsfaible, y compris lorsque la pressionexercée sur la surface de contactdépasse notablement la limite de rup-ture du quasicristal. Cette valeur estpréservée (elle a même tendance à

décroître) lors de passages successifsde l’indenteur qui «lisse» la surface.À titre de comparaison, le frottementd’un diamant sur un film de diamantréalisé par pulvérisation cathodiquedonne un coefficient de frottementidentique. Connaissant les caractéris-tiques mécaniques du quasicristal, onsait évaluer, par la théorie, la contri-

bution au frottement de la déforma-tion du matériau sous l’effet de lacharge de l’indenteur. Cette contribu-tion est très proche de la valeur mesu-rée : autrement dit, les forcesd’adhérence ne contribuent pas, ou trèspeu, au frottement avec le diamant.

La raison pour laquelle les forcesd’adhérence à la surface du quasicris-tal sont si peu élevées reste mystérieuse.Une contribution importante devraitvenir de la réduction de la densitéd’états au niveau de Fermi et de l’apla-

tissement de la bande de conduction,car ces paramètres déterminent leséchanges électroniques disponiblespour créer des liaisons chimiques aucontact d’autres matériaux. Ce pointest établi pour le cœur du matériau,mais pas encore pour sa surface. Or,c’est l’extrême surface qui importe dansles phénomènes d’adhérence, et noussavons qu’elle est toujours constituéed’un oxyde. Le sujet reste donc ouvert.

D’autres matériaux d’indenteursne produisent pas un frottement sur

0

50

100

150

200

250

A L U M I N I U M

C U B I Q U E F A C

E C E N T R É E

A L U M I N E

CONDUCTIVITÉ THERMIQUE (EN W/mK)

50

100

150

200

S I L I C I U M

A l 1 3 F e 4

D É C A G O N

A L

I C O S A É D R I Q U E

0

1

2

3

4

1 3 5 7 9 11 13 15

0,04

0,05 COEFFICIENT DE FROTTEMENT

5. CONDUCTIVITÉS THERMIQUES à la tem pérature ambiant e c ompa-rées entre un métal : l ’ aluminium, un semiconducteur : le silicium, unoxyde : Al2O3 , un composé approximant de la phase décagonale :Al 13 Fe4 , une phase décagonale et une phase icosaédrique polycris-tallines. La conductivit é thermique du quasicristal icosaédrique est

250 fois plus faible que celle de l’aluminium.

6. MICRO-INDENTATION pratiquée au centre d’une rayure d’unquasicristal icosaédrique par un indenteur en carbure de t ung-stène fritt é. La forme de l’ indentation indique que le matériau rayéest duct ile, alors qu’il était initialement fragile. En haut, variationdu coefficient de frot tement lors de passages successifs d’un inden-

teur diamant.

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La conduct ion élect r ique des métaux

A L U M I N

I U M

M É T A L

L I Q

U E

A l

I C O S A

É D R E

P H A S E I C

O S A É D R I Q U E

ÉTATS OCCUPÉS ÉTATS INOCCUPÉS

ÉNERGIE DE LIAISON

(EN ÉLECTRONVOLTS) D E N S I T É É L E C T R O N I Q U E ( U N I T É S A R B I T R A I R E S )

12 10 8 6 4 2 0 -2 -4 -6 -8

b. Densité des états électroniques de niveau p dans l’aluminium.On a environ quatre fois moins d’électrons au niveau de Fermidans le composé AlCuFe icosaédrique que dans l’aluminium . Dansles états inoccupés, la faible densité des état s de conductionde la phase icosaédrique est visible et la bande de conductionest aplatie.

kT

D E N S I T É D ' É T A T S

ÉTATS

OCCUPÉS

ÉTATSINOCCUPÉS

N I V E A U

D E

F E R M I

VALENCE CONDUCTION

ÉTATS

OCCUPÉS

ÉTATS

INOCCUPÉS

ÉNERGIE

MÉTAL

SEMICONDUCTEUR

a. Dans un métal, les états occupés et inocc upés se recouvrentet la conduction par les élect rons est facile puisqu’aucune bar-rière ne s’oppose à une augmentation de l’ énergie des électrons.Dans un semiconducteur, bandes de valence et de conduct ion sontséparées par un gap, et la conduction n’est obtenue que si kTest supérieur à la largeur du gap (les élect rons conduisent alors).

C ertains atomes, tels l’aluminium et lecuivre, partagent les électrons les plus

externes de leur cortège électronique pourformer un gaz d’électrons libres confi-

nés à l’intérieur du cristal. Ce cristal estalors un métal ou un alliage métallique.Le terme «gaz» signifie qu’en premièreapproximation on peut négliger les inter-actions entre électrons et ne prendre encompte que l’interaction du nuage d’élec-trons avec le potentiel des ions positifsconstitué par les atomes épluchés de leursélectrons externes. Les électrons appor-tés par chaque atome du métal remplis-sent des états d’énergie croissante.

Cette loi de croissance des éner-gies est parabolique : le nombre d’étatsn(E) ayant l’énergie E est proportionnelà la racine carrée de E . Les états sontoccupés en commençant par les niveauxinférieurs. La séparation entre niveauxest si faible que le remplissage paraîtcontinu, bien qu’il s’effectue par étatsdiscrets. On parle alors de bande d’éner-gies. Le remplissage se poursuit jusqu’àune énergie maximale qui correspond àl’affectation de l’ultime électron dispo-nible. Si les atomes apportent n élec-trons au gaz d’électrons libres, cetteénergieE

F , appelée énergie de Fermi, est

proportionnelle à (n 0)2/3, oùn 0 est la den-

sité d’électrons libres, ou concentra-tion électronique du métal (n 0 =n /V , V étant le volume offert au gaz d’élec-

trons par le cristal). À la température T ,seuls les états situés juste au-dessousdu niveau de Fermi sont excités vers desétats situés juste au-dessus. Le nombre

de ces états est environ égal à kT/kT F ,où k est la constante de Boltzmann etkT F

est égal à l’énergie de Fermi E F .

Le nombre d’électrons qui contri-buent à la conduction est approximati-vement égal au nombre d’étatsdisponibles de part et d’autre du niveaude Fermi dans un domaine d’énergie delargeur kT . Sous l’effet d’une excitationthermique d’amplitude kT , la variationd’énergie du gaz électronique est pro-portionnelle à n( E F )k 2T 2.

Soumis à un champ électrique, cesélectrons du niveau de Fermi assurent laconduction du courant. Dans l’hypothèsedu gaz de particules chargées sans inter-action, chaque électron parcourt librementune distance moyenneλà la vitessev F (E F

égal à 1/2 m v F 2) avant de rencontrer un

obstacle où il est diffusé de façon élastiqueaprès un temps de volτ=v F

λ. La conduc-tivité électriqueσest ainsi proportionnelleau nombre de particules qui se dépla-cent, c’est-à-dire n( E F ), que multiplie letemps moyenτentre deux collisions. Aussila résistivité est faible, car λ est grandedans les métaux purs et bien cristallisés.Elle croît avec la température, ainsi qu’avecla densité de défauts dans le cristal, cartous deux diminuent λ.

On admet aussi que les électrons sontles agents caloporteurs. La conductivitéthermiqueκ est ainsi proportionnelle auproduit de la chaleur spécifique du gaz

électronique, de la vitesse de migrationdes particules et de leur libre parcoursmoyen. Il vient ainsi une expression de κ

proportionnelle au nombre de porteurs decharge, à la température et au tempsτ. Lerapport κ /σ est donc simplement pro-portionnel à la température : κ /σ =LT.

Cette loi, dite de Wiedermann-Franz,est l’un des meilleurs soutiens à la théo-rie des métaux. En effet, la constante deLorentzL =(π2/3)(k/e )2 =2,45 10–8 W ΩK –2

(oùe est la charge de l’électron) est mesu-rée avec un bon accord par rapport à savaleur théorique dans tous les métaux, ycompris les plus mauvais conducteurs.

Aucune de ces lois n’est observée dansles quasicristaux : la conductivité σ, demême que κ sont faibles et augmententavec la températureT et avec la densité desdéfauts structuraux. La contribution desporteurs de charge à la conductivité ther-mique est négligeable à basse température(inférieure à 300 K ) et comparable à celledes phonons au-dessus de la tempéra-ture ambiante.

On constate alors que la loi de Wie-dermann-Franz prend une forme différentedans les quasicristaux:κ /σ =LT plus uneconstante qui augmente avec la perfec-tion structurale du matériau.

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un quasicristal aussi faible que le dia-mant. L’augmentation du frottementpar rapport au diamant est liée à l’im-portante ductilité de ces indenteurs,mais elle reste bien inférieure aux-frottements dans des systèmes tra-ditionnels comme des aciers ou descéramiques en contact sans lubrifi-cation.

Par ailleurs, la rayure d’un échan-

tillon de phase icosaédrique par unindenteur en carbure de tungstène aune caractéristique technique intéres-sante. En effet, le quasicristal, initiale-ment fragile, est devenu ductile dansla région sollicitée lors du passage del’indenteur.

Les quasicristaux, du moins lesphases icosaédriques, possèdent doncune faculté de restauration qui réduit,sous fortes charges, les défauts tels queles fissures produites lors du premiercontact. À l’inverse, les composés inter-métalliques classiques et les céramiquestechniques sont beaucoup plus sen-sibles à la création, puis à la propaga-tion des fissures.

Des quasicristaux utiles

On conçoit l’intérêt des quasicristauxdans les industries mécaniques, l’au-tomobile, l’électroménager et le spa-tial, où la réduction du frottement etde l’usure fait l’objet de recherchesnombreuses, afin d’économiserl’énergie et/ou d’accroître les per-

formances.

D’autres secteurs, qui visent éga-lement les économies d’énergie, peu-vent bénéficier des propriétésthermiques des quasicristaux. On envi-sage des barrières isolantes tirant simul-tanément avantage de la faibleconductivité thermique et de la plas-ticité à haute température des quasi-cristaux. Ces matériaux limitent les fluxde chaleur et accommodent aisément

les déformations qui naissent lors descycles thermiques. On obtient ainsi,soit une prolongation de la durée devie des pièces protégées, soit une aug-mentation de la température de fonc-tionnement du moteur, c’est-à-direun rendement plus élevé.

Les applications technologiquesdes quasicristaux sont aujourd’huiconsidérées dans plusieurs paysindustriels. Les chercheurs de l’Ins-titut des matériaux de Sendai, au

Japon, ont mis au point un nouvelalliage d’aluminium de faible densité(2,9 g/cm3), où se forment des préci-pités nanométriques de phase icosa-édrique. Ces précipités décuplentles caractéristiques mécaniques del’alliage, tout en lui conservant uneductilité importante. À terme, cetalliage pourrait rivaliser avec les bonsalliages aéronautiques.

Les chercheurs de l’UniversitéWashington, à Saint Louis, ont décou-vert une nouvelle série d’alliages ico-saédriques à base de titane qui stockentl’hydrogène. Le nombre d’atomes

d’hydrogène que ces alliages peuvent

fixer est de 1,6 par atome de métal,c’est-à-dire une performance d’assezpeu inférieure aux meilleurs hydruresconnus. Il est encore trop tôt poursavoir si ces nouveaux quasicristauxont un avenir commercial, mais on saitdéjà que leur coût de fabricationdevrait être modeste, compte tenu deleur composition chimique. Citonsencore l’utilisation des propriétés d’ab-sorption optique des phases icosa-édriques, comme le proposent parexemple les chercheurs de l’Univer-sité de Munich, en Allemagne. Il s’agitlà de construire un capteur solaire trèssélectif, grâce à un film mince de qua-sicristal Al-Cu-Fe placé en sandwichentre deux diélectriques, absorbantdans le visible et peu émissif dans l’in-frarouge.

Comme toute innovation, les qua-sicristaux devront vaincre sur les mar-

chés la concurrence avec d’autressolutions technologiques et franchirles obstacles, nombreux, qui parsè-ment les stratégies de développementindustriel. Quel que soit leur avenirtechnologique, doré ou misérable, jene voudrais pas clore cet article sansrappeler que les quasicristaux ont déjàdémontré leur utilité scientifique. Ilsont ébranlé les bases de la cristallo-graphie, fondée il y a deux sièclespar l’abbé Haüy. Ils ont forcé sa géné-ralisation et prouvé que des phé-

nomènes physiques entièrement nou-veaux apparaissent dans des domainesapparemment connus et explorés delongue date. La compréhension de cesphénomènes est en gestation et ellese doit d’emprunter à des disciplinestrès éloignées de celles qui paraissaienta priori adaptées au problème posé. Lesquasicristaux ont déjà ébranlé lascience des matériaux et la physiquedu solide. Peut-être marquent-ils aussi,dans une certaine mesure, «la fin descertitudes»?

Jean-Marie DUBOIS, directeur de Recher-ches au CNRS (URA 159), effectue sesrecherches à l’École des Mines de Nancy.

J.-M. DUBOIS,Structure et propriétés des qua-sicristaux et leurs applications technologiques potentielles, Annales de chimie, numérospécial Quasicristaux, n° 18, p. 423, 1993.Lectures on Quasicrystals, sous la direc-tion de F. Hippert et D. Gratias, LesÉditions de physique, Les Ulis, 1994.C. JANOT, Quasicrystals, a Primer, OxfordUniversit y Press, Oxford 1992 et 1994.

200 400 600 800 1 000

2 000

TEMPÉRATURE EN KELVINS

R É S I S T I V I T É E N M I C R O - O H

M S

P A R C E N T I M È T R E

0

C H A U F F A G E

R E F R O I D

I S S E M

E N T

4 000

6 000

8000

10 000 Al70,5 Pd22 Mn7,5

RECUIT

7. LA RÉSISTIVITÉ de la phase icosaédrique Al-Pd-Mn est grande à basse température etelle diminue lors du chauffage. Quand on pratique un recuit à haute température pour éli-

miner les défauts cristallins, la résistivit é augmente plus vite lors du refroidissement.

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Avant qu’en 1822 Jean-FrançoisChampollion ne trouve la clé deshiéroglyphes et ne permette ainsil’accès aux textes de l’Égypte

ancienne, notre connaissance de lamédecine égyptienne se résumait àquelques témoignages de l’Antiquitéclassique, tels ceux d’Hérodote : «Lamédecine chez eux est divisée en spé-cialités : chaque médecin soigne unemaladie et une seule. Aussi le pays est-il plein de médecins, spécialistes de la

tête, du ventre, ou encore des maladiesd’origine incertaine. […] Voici leurgenre de vie : ils se purgent pendanttrois jours consécutifs chaque mois etcherchent à se maintenir en bonne santépar des vomitifs et des lavements, dansl’idée que toutes nos maladies pro-viennent de la nourriture absorbée.»

Grâce à de nombreux papyrusmédicaux égyptiens que le hasarddes fouilles a fait connaître depuis leXIXe siècle, nous savons aujourd’huique l’organisation de la médecine égyp-tienne était différente de celle que rap-portait Hérodote, bien que les«spécialités» dont il évoque l’existencecorrespondent à des titres de méde-cin retrouvés dans les inscriptions.

Après avoir examiné les circons-tances des découvertes des papyrus,nous verrons que les nombreusesétudes qu’ils ont suscitées sont loinde répondre à toutes les questions.Ceux qui ont voulu identifier les mala-dies évoquées par les papyrus se sontsouvent fourvoyés parce qu’ils attri-

buaient aux médecins égyptiens une

connaissance moderne des maladies.

En outre, ces études n’avaient pasfourni une explication générale desconceptions médicales égyptiennes.

Grâce à une nouvelle traductionde tous les papyrus médicaux publiés,on montre aujourd’hui que, pourl’Égyptien, la maladie est quelque chosequi vient du dehors, un souffle mor-

bide. Ce souffle, qui est parfois apportépar une substance ou un être maléfique,pénètre et circule dans les conduits quiparcourent le corps. En conséquence,

les thérapies visaient principalementà chasser ce souffle pathogène. Cetteconception de la médecine égyptiennetrouve ses origines dans la mythologieet dans la conception de l’organisationdu monde de l’époque : des soufflesomniprésents déterminaient la santéet aussi la croissance ou la mort.

Des sources suffisantes

Les sources issues de fouilles sont nom- breuses. Le premier papyrus médicaltrouvé, aujourd’hui conservé au muséede Berlin, fut mis au jour dans la nécro-pole de Saqqarah et publié en 1863,donc bien après la mort de Champol-lion (1832). Ce papyrus de Berlin datedu règne de Ramsès II (vers 1200 avantnotre ère). Des documents souventplus anciens apparurent par la suite,au cours de fouilles clandestines ouofficielles : parmi ceux-ci, les deux plusimportants sont les papyrus Ebers etSmith. Ces deux papyrus, qui datentde –1550, auraient fait partie d’uneseule trouvaille (clandestine, vers 1860,

dans la nécropole de Ramsès II , à

Thèbes) qui comprenait aussi le papy-rus mathématique Rhind, lequeltémoigne de la plus ancienne utilisa-tion connue du calcul décimal. Lesdeux papyrus médicaux furent acquispar l’Américain Edwin Smith, grandamateur d’antiquités qui vivait alorsà Louqsor. Smith garda pour lui lepapyrus qui porte maintenant sonnom, un traité chirurgical que JamesHenry Breasted publia bien plus tard,en 1930. Smith vendit à l’égyptologue

allemand Georg Ebers le plus long desdeux papyrus médicaux.Le papyrus Ebers est un manuel qui

donne la liste des signes pathologiquesrencontrés par un médecin dans sonexercice quotidien. C’est le documentmajeur pour l’étude de la pensée médi-cale de l’époque. Le traité chirurgicaldu papyrus Smith est d’un abord plusdirect, car il traite de lésions et de trau-matismes qu’un médecin d’aujourd’huipeut reconnaître, mais il ne donnepas une vision claire des connaissancesmédicales égyptiennes.

Un autre document qui provient defouilles officielles, le papyrus trouvéà Kahun, écrit pendant le Moyen

Les papyrus médicaux

de l’Égypte ancienneTHIERRY BARDINET

L’étude des papyrus médicaux montre que, pour les Égyptiens, la santéou la maladie dépendaient essentiellement de souffles d’origine extérieure.Les traitements visaient principalement à débarrasser le corps de ces souffleset des éléments pathogènes qui les animaient.

1. CETTE PEINTURE découver te sur les paroisde la tombe d’ Ipouy (un chef des sculp-teurs de la XX e dynastie, –110 0), à Thèbes,montre des ouvriers qui construisent uneestrade funéraire. Elle illustr e quelques acci -dents de t ravail. En bas, à gauche, un ouvrierayant reçu un éclat de pierre dans l’œil sefait soigner par un oculiste (a) ; la troussede l’oculiste est au-dessus de sa tête (b) .Au mil ieu, à gauche, un ouvrier reçoit unmaillet s ur le pied (c ) . En haut, à droit e, un

médecin remet une épaule démise (d) .

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Empire égyptien (vers –1850), est leplus ancien traité de gynécologieconnu. Le papyrus Ebers et le papyrusde Berlin détaillent aussi des remèdespour les maladies des femmes, des pro-nostics pour le déroulement de la gros-sesse, mais aucun ne traite ces sujetsaussi systématiquement que le papy-rus de Kahun.

Enfin, en 1989 fut publié le papyrusde Brooklyn, dont on ignore la prove-nance. Édité par Serge Sauneron dansles collections de l’Institut français d’ar-chéologie orientale, il date de la XXXe

dynastie ou bien du début de l’époqueptolémaïque (–300). Sa publicationrévèle les grandes facultés d’observa-tion des anciens Égyptiens. Le papy-rus comprend deux parties. La premièreclasse près de 40 serpents selon des cri-tères d’identification précis, qui mon-trent une connaissance approfondie des

différents reptiles, de leurs mœurs, du

(a)

(b)

(c)

(d)

2. LE PAPYRUS SMITH, découvert en 1860 à Thèbes, est un manuel chirurgical d’une ving-taine de pages qui permet au médecin d’agir face à des blessures caractéristiques. Ce pas-sage du papyrus se rapporte au t raitement d’une luxat ion de la mâchoire inférieure : «Si tuprocèdes à l’examen d’un homme atteint d’un déboîtement de la mandibule, et que t u constat esque sa bouche est ouverte, sa bouche étant incapable de se fermer, tu devras placer tespouces aux extrémit és des deux griffes de la mandibule, à l’ intérieur de sa bouche, et tesautres doigts sous son menton. Tu feras aller les griffes vers le bas de sorte qu’elles soientremises en place. Tu diras à ce sujet : “ Un homme att eint d’un déboîtement de la mandi-bule, un mal que je peux t raiter.’’ Tu devras le panser avec de l’ irmou , du miel, chaque jour,

jusqu’ à ce qu’ il ai ll e bien.

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danger de leur venin et des spécifici-tés de leurs blessures. La seconde par-tie est un recueil d’antidotes, proposanttout d’abord plusieurs remèdes contreles morsures venimeuses en général,puis d’autres contre les morsures deserpents particuliers. Ce papyrus,unique témoignage d’une véritablescience égyptienne des serpents,résume probablement des millénairesde connaissances humaines sur le sujet.

D’autres papyrus médicaux moinscomplets existent, tel le papyrusHearst, qui reprend en partie le papy-rus Ebers. Les plus anciens sont ceuxqui ont été trouvés dans un cime-

tière des XIe et XIIe dynasties (–2000)

recouvert par les dépendances dutemple funéraire de Ramsès II à Thèbes(papyrus du Ramesséum). Il existeencore quelques fragments de textesconservés à Berlin et à Paris, et despapyrus écrits en démotique (langueet cursive des derniers siècles del’Égypte ancienne). Enfin, quelquesinédits plus ou moins fragmentaires(Berlin, Brooklyn, Londres, Zagreb)attendent d’être édités.

Avec tant de papyrus médicaux,la médecine égyptienne devrait être

bien connue. Toutefois, ces textes sontessentiellement des manuels pratiques:ils ont été rédigés pour permettre à

un médecin de diagnostiquer les patho-

logies dans son exercice quotidien etde proposer un traitement adapté. Cene sont pas des traités théoriques ausens moderne du terme (qui expliquentles maladies) et, pour cette raison, leurabord par un médecin du XXe siècle estdifficile. Leurs premiers éditeurs sesont tout d’abord souciés d’en faire uneédition pratique et scientifiquementirréprochable. Ces manuscrits sontécrits en hiératique, une écriture cur-sive, dérivée des hiéroglyphes, diffi-cile à lire directement. Aussi les textesont été tout d’abord transcrits en hié-roglyphes, puis les passages similairesentre les différents papyrus ont étéregroupés, et le corpus ainsi établi a étémuni d’un indispensable index.

C’est en Allemagne que fut entre-pris ce travail entre 1954 et 1963, bienlongtemps après la découverte dessources elles-mêmes. La grande publi-

cation qui s’ensuivit (Grundriss des Medizin der Alten Ägypter, soit «Manuelde médecine de l’ancienne Égypte»)restera longtemps encore l’instrumentde travail indispensable à toute étudesur la médecine et les textes médi-caux égyptiens. Cependant, ce travailest essentiellement une étude critiquedes textes par comparaison systéma-tique des manuscrits. La présentationdes textes médicaux n’est générale-ment pas faite, papyrus par papyrus,mais regroupe les remèdes selon un

ordre particulier, en fonction des dif-férentes parties du corps et par réfé-rence à des listes anatomiques que l’ontrouve dans les textes religieux égyp-tiens. Cette approche surtout philolo-gique, tout en étant nécessaire, nerépond pas toujours aux questions quese pose l’historien de la médecine surles conceptions médicales elles-mêmes.

L’apparente modernitéde la médecine égyptienne

Quelques spécialistes ont aussi essayéd’identifier les pathologies décritesdans les papyrus. Ces essais d’identi-fication terme à terme avec la nomen-clature moderne sont fondés sur destraductions équivoques et on doit yrenoncer. Par exemple, plusieursauteurs ont traduit setet par «rhuma-tismes», alors qu’il s’agit d’élémentspathogènes vivants qui créent des dou-leurs par leur passage dans les conduitscorporels. Certes, il existe un réel patho-logique (le nôtre!) et le médecin égyp-tien avait bien en face de lui des

maladies réelles. On peut dans certains

3. LE PAPYRUS EBERS, le plus long papyrus médical égyptien (108 pages), date de 1550ans avant notre ère. Il a permis de mieux c omprendre les connaissances médicales de l’époquepharaonique. Ce papyrus, ainsi que les autres papyrus médicaux, étaient des manuels pra-tiques plutôt que des ouvrages théoriques. Il indique des traitements contre de nombreuxmaux. Cette page t raite des affections des dents et des maladies pestilentielles : «Remèdepour maintenir en état une dent : farine d’épeautre-mimi : 1 ; ocre : 1 ; miel ; 1. Ce sera pré-paré en une masse homogène. Bourrer la dent avec c ela. Autre remède : poudre de pierreà meule : 1; ocre : 1; miel : 1. En bourrer la dent … »

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cas, lorsque la maladie a une mani-festation externe évidente et que cettedernière est bien décrite dans le textemédical (le meilleur exemple étant celuides maladies de la peau), proposer uneidentification probable avec le termeantique. Encore faut-il comprendre quel’on identifie ainsi la maladie réelledont souffrait le malade examiné, etnon l’idée que les médecins égyp-tiens s’en faisaient. Le danger constantest d’attribuer au médecin antique cer-taines connaissances que nous possé-dons aujourd’hui.

En 1930, la publication du papyrusSmith eut un grand retentissement sur

l’appréciation que l’on portait sur lesconnaissances médicales des Égyp-tiens. S’opposant à première vue aureste de la littérature médicale, le papy-rus Smith semblait quasi scientifique :il décrit successivement les blessuresdu corps en suivant un ordre logiqueet ne fait presque pas appel aux causesoccultes. Cette originalité apparente nerepose que sur une erreur d’apprécia-tion. Les signes objectifs des atteintesdécrites sont si scrupuleusement notésdans ce papyrus que l’on a parfoisconsidéré que le rédacteur ancienpercevait le lien de causalité qui, pournous, relie les observations rassem-

blées. Il n’en est rien: le papyrus Smith,en collectant soigneusement les obser-vations médicales de différentes bles-sures, veut permettre au médecin defaire correspondre le cas particulier du

blessé qu’ il examine avec une des-cription type qui met en relation la bles-sure, sa gravité, et les signes cliniquesrencontrés habituellement. En outre,les théories médicales décrites ne s’éloi-gnent pas des théories en faveur àl’époque. Certains passages du papy-rus Smith renvoient ainsi à ces théo-ries selon lesquelles tout désordreentraîné par une lésion s’expliquepar la perturbation des souffles de

4. DU TEM PLE FUNÉRAIRE de Ramsès II (Ramesséum, XIXe dynastie,1200 ans avant notre ère), à Thèbes, proviendraient les papyrus médi-

caux les plus importants : le papyrus Ebers et le papyrus Smith. Les

magasins de ce t emple recouvraient en outre un ancien cimet ière dela XIIe dynastie (2 000 ans avant notre ère), où furent retrouvés les plus

anciens papyrus médicaux connus à c e jour (papyrus du Ramesséum).

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vie parcourant l’intérieur du corps etpar l’action d’éléments dangereuxqui profitent de l’état du blessé pourl’envahir.

En 1995, j’ai donné une nouvelletraduction de la totalité des textes médi-caux égyptiens édités. Les interpréta-tions qui s’ensuivirent s’inscrivent dansle souci actuel des chercheurs en his-

toire des sciences, qui, plutôt que juger,tâchent de comprendre «de l’intérieur»la pensée des Anciens pour en retrou-ver la logique interne.

Les souffles,cause de maladie

Dans ces textes, on ne trouve pas denoms de maladies au sens moderne duterme, c’est-à-dire des mots ou desexpressions dénommant un état patho-logique particulier, caractérisé par unensemble de symptômes. De nombreuxpassages indiquent des listes de symp-tômes qui étaient associés chez les per-sonnes souffrant de certaines maladies,mais nous l’avons dit, les maladieselles-mêmes n’étaient pas nommées.Les Égyptiens n’identifiaient pas lesmaladies ; ils cherchaient les causes dessymptômes individuels.

On pensait que les troubles résul-taient le plus souvent de l’actiond’agents extérieurs (substances animéespar un souffle pathogène) contre les-quels étaient alors prescrites des médi-

cations destinées à les détruire ou à les

chasser. Le corpsn’était pas maladeen lui-même, il étaitagressé. La méde-cine égyptiennecherchait les causespathogènes recon-nues.

Cette rechercheétiologique (larecherche des cau-ses) résulte desconceptions égyp-tiennes sur l’ori-gine du mondeorganisé. Pour lesÉgyptiens, le mon-de avant son orga-nisation par lesdieux se résumaità un univers li-quide, le Noun, où

se trouvaient ensolution tous leséléments constitu-tifs du monde à

venir. Les éléments qui constituaientle monde organisé et hiérarchisé qu’ilsavaient sous les yeux, se trouvaient àl’origine dispersés dans une sorte de

boue liquide où le corps même du dieucréateur était dissous. L’émergence dece dieu créateur par une sorte de sédi-mentation naturelle expliquait l’or-ganisation des éléments dispersés. Dès

lors, l’intervention directe du dieudans l’équilibre du monde ne cessait jamais. Le Noun, réservoir de germesde vie, persistait à la périphérie dumonde déjà bâti.

À chaque crue, le Nil, dont lasource était cet inépuisable réservoir,apportait de quoi créer de nouveauxorganismes. Selon cette conception,le développement d’un simple épi de

bl é ne se ré duis ai t pas à la croi s-sance d’un grain placé dans le limonfertile. La crue apportait en solutiondans son flot les éléments constitutifsde cet épi, et le grain que jetait le pay-san ne jouait que le rôle d’une matriceoù ces éléments constitutifs se liaientpar un processus divin. L’interven-tion des dieux était constante autourde l’homme et dans l’homme. Touterecherche des causalités s’y ramenait,et toute spéculation médicale sedéroulait dans le cadre étroit des cau-salités divines.

Cette vision du monde ne s’oppo-sait pas à une véritable réflexion médi-cale. Au contraire, dans un monde où

les dieux agissaient de toutes parts, on

devait observer scrupuleusement lesphénomènes pour comprendre les agis-sements divins. Cette observation per-mettait aux Égyptiens de concevoircomment s’exprimaient les modalitésde la vie à l’intérieur d’un corpshumain, c’est-à-dire, en termesmodernes, comment le corps «fonc-tionnait».

L’analyse des textes montre com-ment la question de l’origine des mala-dies est tributaire de cette conceptiongénérale sur l’origine des choses : l’idéepremière étant toujours celle de l’in-tervention divine, les éléments consti-tutifs du corps humain n’ont pas depropriétés fixées ; ils sont le jouet deforces supérieures normalement béné-fiques (observation de l’état de santé),mais parfois néfastes (observation dessignes de la maladie). Pour les Égyp-tiens, ces forces ont une réalité maté-

rielle : ce sont des souffles actifs ou dessubstances pathogènes, animées parces souffles, qui circulent dans lesconduits du corps et qui perturbent sa

bonne organisation. Lorsque cessouffles s’introduisent dans le corps,certains constituants normaux ducorps ont un rôle néfaste à cause dusouffle pathogène qui les anime. Cessouffles peuvent encore entraînerdes fausses routes pour les sécrétionscorporelles naturelles, qui envahissentalors le corps.

De nombreuses substances patho-gènes sont animées par un souffle mor- bide qui dicte leur action et leur permetde s’insinuer dans le corps, de s’ydéplacer, de le ronger et de le pertur-

ber. Trois d’entre elles, le sang, le âaâet les oukhedou, très souvent citées dansles textes, illustrent la démarche intel-lectuelle propre aux praticiens del’Égypte ancienne.

Le sang, bénéfiqueet dangereux

«Le dieu Khnoum est le maître dusouffle ; la vie et la mort obéissent à sesdécisions. Celui qui est vide de lui[du dieu, donc du souffle], le sangmanque en lui». Ce texte tiré deshymnes au dieu Khnoum du templed’Esna (en Haute-Égypte) correspondà l’idée égyptienne constamment affir-mée sur le sang : un liquide bénéfiqueanimé par le souffle de vie, supportmême de la vie. D’autres textes expo-sant des théories égyptiennes sur lacréation des formes de vie indiquent

que le rôle habituellement dévolu au

LE CAIREGIZEH

MEMPHIS

SAQQARAH

DEIR EL-BALLAS

ESNA

THÈBES

ASSOUAN

ALEXANDRIE

LOUQSOR

KAHUN

N I L

5. LES LIEUX DE DÉCOUVERTE des plus importants papyrus

méd icaux son t Thèbes (papyrus Ebers e t Smi th ) , Memph is(papyrus de Berlin), Deir el-Ballas (papyrus Hearst). On ignore leplus souvent la provenance des autres papyrus médicaux, qui sontissus de fouilles clandestines.

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65© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

sang est celui de «lier», rôle bâtisseurqui explique la formation et le déve-loppement de l’embryon, puis la crois-sance de l’être humain (le sang «lie»alors l’alimentation en chairs).

Toutefois, certains passages destextes médicaux consacrés aux «sub-stances qui rongent» attestent que lesang peut avoir un rôle pathogène.Le sang, animé alors par un soufflepathogène, se met à «manger», lit-ondans les textes. Il y aurait alors inver-sion pathologique du rôle du sang, cequi en ferait un facteur particulière-ment dangereux du fait de sa présencedans tout le corps. D’autres textes indi-quent que, lorsque le sang ne lie pas

les éléments composant le corps ou lesaliments qui y pénètrent, il bloque lepassage des souffles de vie. L’inter-prétation égyptienne des processusmorbides tient compte des conceptionsphysiologiques de l’époque.

Le âaâ, source de vie

et source de troublesLe âaâ est une autre substance qui joueparfois un rôle pathogène. Un passagedu traité de physiologie du papyrusEbers indique qu’il provient du corps :«Quatre conduits se divisent au niveaude la tête et se déversent dans la nuque,puis ensuite, forment un réservoir. Une

source/puits de âaâ, c’est ce qu’ils for-ment extérieurement à la tête.»

Il existe toute une famille de motsappartenant à la même racine linguis-tique âaâ et trouvés dans des contextesvariés. Il y a tout d’abord un rapportavec l’eau fertilisante, celle du Nil, nom-mée parfois âaât. Dans les substantifsde la famille âaâ, on retrouve constam-ment l’idée de «semence», émanationcorporelle divine. Si le âaân’est pas uni-quement le sperme, il garde toujours,dans les textes médicaux et non médi-caux, le sens vague de fertilisant d’ori-gine corporelle. On retiendra le sens de«sécrétion corporelle», de fluide par-fois émis par les corps des dieux et

Les médecins,techniciens

de la maladie

Le nombre de papyrus égyptiens est suffi-sant pour nous renseigner sur les pratiques

médicales de cette époque, mais qui sont leursrédacteurs? Quelle était la place des méde-cins dans la société égyptienne?

Ce qui frappe dans toute la littérature médi-cale égyptienne, c’est l’absence d’auteurs.Aucun traité médical de l’Égypte ancienne nepeut être attribué à un auteur particulier. Ona recensé beaucoup de noms de médecinségyptiens, mais la documentation est essen-tiellement extra-médicale: inscriptions dans

des tombes, sur des stèles, documentationadministrative. Nulle part il n’est affirmé qu’unedoctrine ou un remède ont été élaborés parun médecin particulier.

Cette absence d’auteurs reconnus s’ex-plique par l’importance toute particulière dela médecine du palais royal. Auprès du roi d’É-gypte était rassemblé un cortège de grandsmédecins dont le rôle était de répandre à tra-vers le pays les bienfaits attendus de l’art médi-cal. Ils agissaient au nom du roi, délégué desdieux sur terre et seul garant, selon le dogme,de la santé de ses sujets. Une telle concep-tion ne permettait à aucun praticien de lacour de se présenter comme un véritableauteur. Toutefois, autour du personnage duroi, se trouvait un médecin qui portait le titrede «Grand des médecins du palais» et qui étaitle médecin personnel du roi et le chef detous les autres médecins d’Égypte.

Le plus ancien de ces «Grand des méde-cins» qui nous soit connu, Hésy-Rê, portaitle titre de «Grand des dentistes et des méde-cins». Il est probable qu’à la longue, de telstitres n’étaient qu’un indice de rang hiérar-chique pour la corporation des médecins dupalais.

L’activité principale de tous les praticiensde la cour était la rédaction de manuels

médicaux, destinés au praticien de base, simple

exécutant. Ils enferment ainsi l’activité quoti-dienne de ce dernier dans un cadre étroit : lemédecin de tous les jours ne doit pas s’écar-ter des préceptes édictés par ses supérieurshiérarchiques, sous peine de sanctions.

Pour comprendre cette organisation dela médecine du palais, on se fonde sur lesmythes égyptiens, telle l’histoire de la que-

relle entre le dieu Horus, héritier présomp-tif du trône d’Égypte, et le dieu Seth, quiconvoite cet héritage : Seth essaye d’abu-ser du jeune Horus qui, en se protégeantcomme il peut, a les mains souillées par lasemence de son rival. Isis coupe les mainsde son fils, lui en fabrique de nouvelles,puis parvient à contaminer à son tour Sethen lui faisant ingurgiter la semence de sonfils répandue sur des laitues dont il était friand.Alors, dit le mythe, du front de Seth sortitun disque d’or que le dieu Thot mit sur sonfront. La signification du mythe paraît être

la suivante: la ruse (les pouvoirs magiquesd’Isis) permet au monde civilisé et raison-nable (symbolisé par Horus) de faire un enfantau désordre (le monde désordonné de Seth)et d’engendrer un dieu (Thot) qui repré-sente au mieux ce que sont, pour les Égyp-tiens, nos sciences appliquées (écriture,magie, médecine).

On a retrouvé dernièrement, dans unpapyrus, une liste de titres de dignitairesde l’ancienne Égypte, liste qui place en facede chaque titre un nom de divinité qui sym-bolise la fonction qu’il incarne. Le «Chef des médecins et des dentistes», dont le rôledevait être analogue à celui de Hésy-Rê, estassimilé à «Thot né aux deux seigneurs»,c’est-à-dire d’Horus et de Seth. Le recoursau mythe peut expliquer ainsi l’organisa-tion de la médecine égyptienne : sous ladirection d’Horus-pharaon (celui qui doitrétablir l’ordre toujours en sursis), Thot-Grand-des-médecins (le technicien) estchargé de définir les moyens pratiques dela lutte contre Seth (représentant ledésordre, la force destructrice, la mala-die) et de les faire connaître dans tout lepays.

UN DES PANNEAUX DE BOIS tr ouvé dans latombe de Hésy-Rê représente ce «Granddes médecins» de la II Ie dynastie (–2700 ).

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cicatrisation (formation de pus par dis-solution des chairs, action opposée àl’action liante du sang).

Les oukhedou provoquent la dou-leur par leur action rongeante. Cetteidée est exprimée directement par letexte d’un paragraphe du papyrusEbers : «Si tu procèdes à l’examen d’unhomme qui est atteint de cela épiso-diquement, cela étant comparable àla morsure des oukhedou». Les Égyp-tiens considéraient que la douleurrésultait d’un grignotage des chairs.

Certains textes indiquent que le âaâpeut engendrer les oukhedou, mais lanature de ces derniers est différente :l’action pathogène des oukhedourongele corps lui-même, tandis que le liquidefertilisant âaâ est pathogène par lessubstances qu’il engendre (voir la figure 6).

Ces constructions théoriques,

retrouvées par l’analyse des textesmédicaux égyptiens, montrent quel’Égypte ancienne utilise une penséemédicale élaborée.

L’art médical égyptien reposait surdes traditions et des façons de faire mil-lénaires, certainement en partie anté-rieures à la période historique. Au coursdes siècles, une science des signespathologiques, fondement de touteactivité médicale, s’élabora afin dedéceler l’état de maladie et de recon-naître les agents pathogènes nombreux,

animés par des souffles nocifs. Ainsila médecine égyptienne était remar-quable à aux moins deux titres : le choixdes médications qui, en dehors d’unsimple usage traditionnel pouvantremonter à la préhistoire, obéissait par-fois à des critères complexes ; le savoirthéorique et les connaissances pra-tiques qui étaient demandés au méde-cin de l’époque.

Thierry BARDINET est chirurgien-den-tiste et docteur en sciences historiqueset philologiques de l’École pratiquedes hautes études.

T. BARDINET, Les papyrus médicaux del’Égypte pharaonique, Fayard, 1995.P. GHALIOUNGUI, La médecine des pha-raons, Robert Laffont, 1983.M. D. GRMEK, Les maladies à l’aube dela civilisation occidentale, Payot, 1983.G. LEFEBVRE, Essai sur la médecine égyp-tienne de l’époque pharaonique, PUF, 1956.H. GRAPOW, W. WESTENDORF, H. VONDEINES, Grundriss des Medizin der Alten Ägypter, Berlin, 1954-1963.

ÂAÂ

OUKHEDOU

VERMINE

ACTION RONGEANTE

ET PUTRÉFACTION

INFLAMMATION

6. DES FACTEURS PATHOGÈNES CIRCU-LANTS semblaient être la cause de nom-breux processus morbides. Le âaâ , émanationcorporelle d’essence divine, pouvait se t rans-former en vermine intestinale. I l se t rans-formai t aussi en oukhedou dont l ’ ac t i ondécomposante provoquait les inflammationset la putréfaction des chairs.

Entretiensavec Ém ile Noël

12 CLÉSPOURLEMÉDICAMENT

La plupart des médicaments

actuels sont d’origine naturelle.

Découverts le plus souvent par

hasard, certains sont hérités du

passé, d’autres sont plus récents.

La quête de nouveaux produits

toujours plus efficaces et mieux

tolérés reste l’un des objectifs

de la recherche de pointe.

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des démons, de liquides capables de setransformer dans l’organisme en élé-ments parasites variés.

En raison de ses transformations,ce âaâ était tenu pour particulièrementdangereux. Les Égyptiens le croyaient

notamment à l’origine de la vermineintestinale. Dans le passage du papy-rus Ebers cité précédemment, le âaâest le sébum (une sécrétion grasse pro-duite par des glandes sur la peau etsur le cuir chevelu), considéré commeune véritable semence. On peut sup-poser qu’il existait une théorie fai-sant jouer à ce âaâ-sébum un rôleessentiel dans la multiplication de lavermine qui infeste le corps deshommes (les poux notamment). L’unedes principales actions nocives du

âaâest, nous allons le voir, d’être à l’ori-gine de facteurs pathogènes trèsimportants, les oukhedou.

Lesoukhedou, élémentsrongeants maléfiques

Nous avons vu comment le sang (sauf quand il devenait pathogène) étaitconsidéré comme le principal facteurvital du corps, celui qui «lie» les chairset bâtit le corps. Les textes médicauxfont jouer aux oukhedou et au sang desrôles opposés. Les oukhedou sont liésaux matières en décomposition. Lesang agit dans un milieu vivant, alorsque la présence d’oukhedou est syno-nyme de vieillesse et de mort.

Selon les informations que l’on peuttirer des textes, les oukhedou seraientdes substances animées par un soufflepathogène qu’on incorporait sans cesseen s’alimentant. Leur présence sem-

blait expliquer la dissolution, sinon laputréfaction, de la nourriture dans leventre de l’homme. Ils jouaient un rôlenocif en délitant la substance corpo-

relle, ils s’opposaient aux processus de

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68 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Les insectes ont colonisé la plupartdes régions du Globe, parce qu’ilsse sont adaptés à tous les milieux.Dans les forêts équatoriales, la tem-

pérature, l’humidité et les ressources ali-mentaires permettent leur reproduction

et leur développement pendant toutel’année. En revanche, les espèces quivivent dans les régions tropicales, tem-pérées ou arctiques endurent de longuespériodes de sécheresse ou d’inondation,de froid ou de jeûne. La plupart desinsectes se sont adaptés à ces conditionsextrêmes grâce à des phases de vie ralen-tie, nommées dormances.

Ainsi, le cycle de vie du balanin dela châtaigne (Curculio elephas), un cha-rançon qui attaque les châtaignes etles glands, comprend des phases de

dormance de deux types : la diapauseet la quiescence. Après la copulation, lafemelle pond dans les châtaignes, dontelle a préalablement perforé la bogueépineuse et l’enveloppe à l’aide d’unrostre. Elle produit au maximum 50 à60 œufs pendant sa vie (qui dure enmoyenne 15 jours dans la nature) ; engénéral, elle dépose un à deux œufs parchâtaigne. La larve, qui se nourrit dansle fruit, n’achève son développementqu’une vingtaine de jours après la chutede ce dernier. Lorsqu’elle a atteint sonquatrième stade, elle sort du fruit et s’en-fouit dans le sol, entre 1 et 60 centimètresde profondeur selon les individus et letype de sol. Elle se confectionne ensuiteune logette de terre et entre dans unepériode de diapause.

Une partie seulement des larvessortent de diapause au début du pre-mier hiver, vivent une période dequiescence, et reprennent leur déve-loppement au printemps ; les autresrestent en diapause prolongée, pen-dant un, deux ou trois ans. Entre sonenfouissement et sa sortie du sol,

l’insecte ne s’alimente pas : il vit sur

Le long sommeil des insectesFRÉDÉRIC MENU • DOM ITIEN DEBOUZIE

Dans certaines populations d’insectes, les individus s’endormentdans le sol pendant des durées variables. L’espèce est ainsi garantie

contre les changements imprévisibles de l’environnement.

Dormir quelques mois

Afin de comprendre la diapause pro-longée du balanin de la châtaigne, com-parons-la à celle d’autres insectes. Àquels états physiologiques correspond-

elle? Dans quelles conditions inter-vient-elle?

les réserves qu’il a constituées pen-dant qu’il était dans la châtaigne.

Pour une population donnée, chaqueannée, 59, 37 et 4 pour cent en moyennedes adultes sortent du sol après res-pectivement un, deux et trois ans ;

quelques individus y séjournent quatreans. La proportion d’individus quientrent en diapause prolongée nedépend pas des conditions de déve-loppement et de reproduction rencon-trées par l’insecte l’année suivante.

Pourquoi l’évolution a-t-elle sélec-tionné ce comportement? La diapauseprolongée du balanin ne procure aucunavantage reproductif aux individus :un insecte qui prolonge sa diapause aug-mente le risque de mourir avant de sereproduire. Nous verrons que la sélec-

tion naturelle semble favoriser unensemble de gènes (génotype) capablede produire une diapause de duréevariable. Cette variabilité garantit lapopulation contre plusieurs facteursimprévisibles : sécheresses estivalesd’intensité exceptionnelle, irrégu-larité de l’abondance des fruits etdes ramassages des châtaignes ausol par l’homme ou de leur consom-mation par les sangliers, les porcs oules moutons. La destruction de 95 pourcent des larves présentes une annéedans les fruits n’a qu’une faible inci-dence sur le nombre d’insectes de l’an-née suivante.

Outre son intérêt en biologie évo-lutive, la compréhension de la diapauseprolongée est indispensable à une lutteefficace et écologique contre les insectes.De nombreux ravageurs, tels la chenilleprocessionnaire du pin Thaumetopea pityocampae, le doryphore Leptinotarsadecemlineata, la mouche de la cerise Rha- goletis cerasi ou le balanin de la noi-sette Curculio nucum présentent unediapause prolongée qui complique leur

contrôle par l’homme.

M A R S

A V R

I L

MA I J U I

F É V R I E R

J A N V I E R

D É C E M B R E N O V E

DIA P

Q U

I E S C E N C E L A R V A I R

E H I V E R N A L E

D É V E

L O P P

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T LA R VA I RE

D I A PA

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E N

LEVÉE

DE DIAPAUSE

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b

I L L E T

A O Û T

T O B R E

S E P T E M

B R E

N Y M P H O S E

A I R E

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E S L A R V

E S D A N

S L E

S O L

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E N T E M

B R Y O

N N A I R E

E T L A R V A I R E

D A N S L E S

C H Â T

A I G N E S

ÉMERGENCE

DES ADULTES

ET COPULATION

PONTE

1. LE CYCLE ANNUEL du balanin de la châ-taigne comprend une période de dormance,nommée diapause : à l’automne, les larvesde quatrième stade (a) s’enfouissent dans lesol (en rouge) et ent rent en diapause (en rose).Une part ie d’entre elles en ressortent au débutde l ’hiver (en v io let ) et restent en quies-cence hivernale (en orange) tant que lestem pératures sont basses. Pour une autre par-tie de la population, la diapause se prolongependant un, deux ou trois ans (en bleu) . Cetétalement est une garantie contre l’ext inctionde la population dans un milieu variable etimprévisible. Les larves qui sort ent de quies-cence au printemps cont inuent à se dévelop-per (en jaune), forment des nymphes (b et vert foncé) qui se métamorphosent en juillet eten août. Les adultes sort ent alors du sol puiscopulent (en vert c lair) sur les châtaignes(c ). Les femelles pondent dans les châtaig nes,dont elles percent la bogue et l’enveloppe avecleur rostre (d) en août et en septembre. Leslarves se développent alors (en marron) dansles châtaignes, jusqu’à la chute de celles-ciet leur ent rée en diapause. Les périodes d’émer-gence, de développement embryonnaire et lar-vai re, d ’enfouissement et de d iapause

automnale se chevauchent en raison d’unefort e variabilité interindividuelle.

d

a

c

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70 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

La dormance la plus simple est la

quiescence : le développement s’arrêtesous l’effet direct d’une baisse de la tem-pérature, d’un assèchement ou d’unmanque de nourriture. Lorsque, parexemple, la température descend au-dessous d’une valeur seuil (qui dépendde l’espèce considérée), les réactions

biochimiques du métabolisme sontarrêtées : l’insecte entre en quiescence.Dès que la température redevient supé-rieure au seuil, le développementreprend. L’entrée et la sortie de quies-cence dépendent directement des condi-

tions environnementales.La diapause, en revanche, n’est pasun simple arrêt de croissance et dedéveloppement, mais un état physio-logique dynamique, contrôlé par desmodifications hormonales. L’entrée endiapause correspond au déclenche-ment de réactions biochimiques, tellela synthèse de glycérol et de sorbitolqui servent d’«antigel» à l’insecte pourrésister au froid hivernal. Le dévelop-pement de diapause a des caractéris-tiques différentes du développementclassique. Ainsi, tandis que la vitessede la morphogenèse diminue avec latempérature jusqu’à s’annuler lors dela quiescence, le développement dediapause est accéléré par des bassestempératures ou complètement indé-pendant de la température, commechez le balanin de la châtaigne.

Contrairement à l’entrée en quies-cence, l’entrée en diapause a lieu avantque les conditions climatiques ou nutri-tionnelles ne se dégradent. Dans lesrégions tempérées, la diapause hiver-nale commence le plus souvent à la fin

de l’été ou en automne, alors que les

températures sont encore favorables

au développement. Les insectes réagis-sent à des signaux annonciateurs telsque la diminution de la durée du jour,qui précède chaque année l’abaisse-ment des températures et la raréfac-tion de la nourriture.

Alors que la fin de la quiescenceintervient dès l’amélioration des condi-tions environnementales, la levée dela diapause n’a lieu que lorsque le déve-loppement de diapause est achevé.Chez le balanin de la châtaigne, la mor-phogenèse est arrêtée entre octobre et

fin décembre, quelles que soient lestempératures subies par l’insecte pen-dant cette période.

Les individus qui sortent de dia-pause avant la fin de l’hiver entrentensuite dans une phase de quiescencepostdiapause. Pendant cette quies-cence, l’insecte garde la plupart descaractéristiques de l’état de diapause(accumulation de graisse, résistance aufroid), mais son développementreprend dès le retour des conditionsfavorables. Les larves du balanin dela châtaigne sont ainsi maintenues dansun état de quiescence postdiapauseentre janvier et février, car les tempé-ratures ne dépassent le seuil de déve-loppement qu’en mars.

Ainsi la diapause est une adaptationdes insectes à des modifications sai-sonnières, prévisibles, de leur environ-nement. Grâce à ce comportement, ilsrésistent à des stress climatiques et nutri-tionnels périodiques. La diapause syn-chronise le développement d’insectesavec celui de la plante dont ils se nour-rissent : beaucoup d’espèces des régions

tempérées entrent ainsi en diapause à

l’automne et ne reprennent leur activitéqu’au début du printemps de l’annéesuivante, en même temps que leur plantehôte recommence à se développer.

Dormir un an, ou plus

À la fin du XIX e siècle, l’entomolo-giste français A. Giard a découvert quedes larves de Lygellus epilachnae, hymé-noptère qui pond ses œufs dans lesnymphes de la coccinelle Epilachnaargus, prolongeaient leur diapause pen-dant un an. Ce comportement, d’abordconsidéré comme anormal, est prati-qué par de nombreuses espèces.

Le record de durée de diapause pro-longée est détenu par le papillon Pro-doxus y-inversus, qui attaque les fruitsdu yucca dans les régions arides desÉtats-Unis : des larves sont restées17 ans en diapause. Une telle durée de

dormance est exceptionnelle : chez lamajorité des espèces étudiées dans lanature, les individus à diapause pro-longée restent inactifs pendant seule-ment deux ou trois années. En général,la proportion d’insectes qui sortent dediapause chaque année diminue lorsquela durée de la diapause augmente. Chezla mouche Rhagoletis mendax, qui attaqueles myrtilles, en moyenne 80 pour centdes individus se réveillent après un hiveren diapause, 16 pour cent après deuxhivers, 4 pour cent après trois hivers et

0,4 pour cent après quatre hivers.La diapause prolongée est à dis-tinguer des très longs développementsconnus chez plusieurs espèces. Parexemple, le cycle œuf-larve-nymphede Buprestis aurulenta, coléoptère qui sedéveloppe dans le bois, se prolonge sur20 à 50 ans. Les nymphes des cigalespériodiques américaines du genre Magi-cicada émergent en masse du sol tousles 13 ou 17 ans, selon les espèces. Chezle hanneton commun Melolontha melo-lontha, en France, les adultes appa-raissent tous les trois ans, après unesuccession de dormances hivernales etde phases de développement.

Quels sont les avantages adaptatifsde la diapause prolongée? On ren-contre ce comportement chez desespèces vivant dans des environne-ments où de longues périodes sontdéfavorables au développement desinsectes (régions arides, milieux d’al-titude et arctiques). Il est aussi fréquentchez des espèces des régions tempé-rées qui se développent dans desgraines ou dans des fruits : l’abondance

de ces habitats temporaires, qui four-

2. Des larves de Megastigm us spermotrophus , un hyménoptère qui attaque les graines desapin de Douglas, prolongent leur diapause pendant un an ou plus. Pendant ce temps,l’autre partie de la population poursuit son développement et entre en nymphose. On voitici, aux rayons X, les deux stades de développement à l’intérieur des graines.

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nissent la nourriture, varie tous les ans.La diapause prolongée existe enfin chezdes insectes qui se développent dansdes larves ou dans des nymphes d’es-pèces présentant elles-mêmes une dia-pause prolongée : le développementdes deux espèces est alors synchronisé.

Tandis que la diapause simple (hiver-nale ou estivale) permet aux insectesde survivre dans un environnement auxvariations régulières, la plupart des dia-pauses prolongées sont des adaptationsà des variations irrégulières des condi-tions climatiques et biotiques. Selon J.A. Powell, de l’Université de Californie,la quasi-totalité des larves des papillonsdu yucca du genre Prodoxus, qui viventdans des régions arides des États-Unis,restent en diapause prolongée pen-dant quatre à huit ans (parfois plus)quand elles sont gardées, au laboratoire,à une température élevée et sans expo-

sition directe aux précipitations. Desrecherches complémentaires seraientnécessaires pour savoir si cette diapauseest prédictive, c’est-à-dire contrôlée pardes signaux environnementaux, tellela pluie qui annonce l’abondance desressources alimentaires végétales futures.Une diapause prédictive stricte, où tousles individus d’une population pro-longent leur diapause si certains signauxannoncent des conditions défavorablesau développement et à la reproductionde l’insecte, n’a pas encore été obser-

vée dans les conditions naturelles, cer-tainement car aucun environnementn’est totalement prévisible.

Chez la mouche du mélèze Strobi-lomyia melania, qui s’attaque aux graineset aux cônes du conifère, la proportiond’individus qui entrent en diapauseprolongée varie de 5 à 50 pour centselon l’année. Plus la production decônes chute d’une année sur l’autre,plus la proportion d’entrées en dia-pause prolongée est élevée. Selon AlainRoques, de l’INRA d’Orléans, des sub-stances chimiques contenues dans lescônes ont des conséquences directessur l’entrée en diapause prolongée desinsectes. L’abondance de cônes uneannée provoquerait des modificationsphysiologiques favorables à la dia-pause prolongée des insectes. La rela-tion entre la durée de diapause et laproduction en graines n’est toutefoispas parfaite et, au sein d’une popula-tion, la diapause simple coexiste tou-

jours avec la diapause prolongée. Ladiapause prédictive n’est donc pas leseul mécanisme responsable de ce com-

portement.

5 000

25 000

15 000

10 30 50 70 90

N O M B R E T O T A L D E L A R V E S

ANNÉE

20 40 60 80 100

0,2

0,4

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0,8

POURCENTAGE DE DIAPAUSE PROLONGÉE

P R O B A B I L I T É D

E P E R S I S T A N C E S U R

2 0 0 A N S

20

40

60

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0 P O

U R C E N T

A G E D

E S U R

V I E

E N D I A P

A U S E

P R O L

O N G É E

3. L’ÉVOLUTION DE POPULATIONS du balanin de la c hâtaig ne a ét é simul ée par ordinat eur.Des génotypes qui produisent des diapauses de durée fixe, de trois mois (en bleu) ou de15 mois (diapause prolongée, en vert), s’éteignent avant 100 ans. En revanche, une popu-lation à génotype mixt e qui prolonge la diapause chez 50 pour cent des larves se maintientfacilement (en rouge) .

4. UN GÉNOTYPE À STRATÉGIE MIXTE, dont chaque année une partie des porteurs seulemententrent en diapause prolongée, a une forte probabilité de persister malgré des variations assezgrandes du pourcentage de diapause prolongée. Si la survie des individus en diapause prolon-gée est, par exemple, de 60 pour cent (en orange), le pourcentage de la population qui entreen diapause prolongée peut varier entre 20 et 50 pour cent sans menacer l’existence de la

population.

La diapause prolongée permet aussià des espèces de s’adapter à des chan-gements cycliques du milieu, de périodesupérieure à un an. L’hyménoptère Megastigmus strobilobius,qui attaque lesgraines d’épicéa en Finlande et en Scan-dinavie, est adapté à la variation pério-dique de la production en graines deson hôte. Alors que cette dernière eststatistiquement cyclique(elle est forte,en moyenne, tous les trois ans), lesinsectes ont une diapause prolongée dedeux à quatre ans, avec un maximum

sur trois ans (plus de 50 pour cent desindividus d’une population). Cette dia-pause prolongée cyclique n’est pas unediapause prédictive : chaque année, desinsectes d’une population émergentaprès deux, trois et quatre ans de dor-mance, indépendamment de la pro-duction réelle de graines par l’épicéa.

La diapause du balanin de la châ-taigne est, en revanche, préventive :la proportion de la population qui pro-longe sa diapause est relativementstable d’une année à l’autre. Aucun

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signal ne permet à ces insectes de

connaître les conditions environne-mentales de l’année suivante. Quelmécanisme génétique peut être à l’ori-gine de ce comportement?

La sélection des gènes

La diapause prédictive (ou en partieprédictive) est explicable par l’exis-tence, chez les insectes, de génotypesqui ajustent la durée de la diapauseaux conditions environnementales. Sides signaux qui annoncent les condi-

tions environnementales futures exis-tent, la sélection naturelle a retenudes génotypes capables de décoder cessignaux et de prolonger la diapausesi les conditions sont défavorables. Uneforte irrégularité dans la variabilité desconditions de l’environnement permet,à moyen terme, que ces génotypesenvahissent la population : leur pro-

babilité d’extinction est beaucoup plusfaible que celle de génotypes qui n’en-traînent qu’une diapause simple.

La diapause prolongée cyclique de Megastigmus strobilobius est explicablepar la coexistence de trois génotypes,qui produisent une diapause de deux,trois et quatre ans. La production degraines par l’épicéa est statistique-ment cyclique avec une période de troisans : une forte production a lieu, le plussouvent, tous les trois ans, mais aussi,plus rarement, tous les deux ou quatreans. À long terme, aucun des trois géno-types n’est éliminé. Les individus queleur génotype conduit à une diapausede trois ans sont toutefois privilégiés.

La diapause prolongée préventive

du balanin de la châtaigne provient-elle,

de la même façon, de la coexistence au

sein d’une même population, de géno-types produisant des durées différentes,mais fixes, de diapause? La méthodela plus rapide pour répondre à cettequestion est de simuler par ordinateurl’évolution de populations de balaninde la châtaigne dans un environnementvariable et imprévisible. Pour simpli-fier, nous ne considérons que deux géno-types, dont les porteurs émergent après,respectivement, un an (diapause simple,noté DS), et deux ans (diapause pro-longée, noté DP).

Comme la variabilité de l’environ-nement provoque des variationsannuelles de la mortalité et de la fécon-dité des insectes, chaque année estcaractérisée par les valeurs de trois para-mètres : le pourcentage de survie deslarves dans les châtaignes pendant lapériode de développement antérieureà la diapause, leur pourcentage de sur-vie pendant l’année qui précède lareproduction (diapause, quiescencepostdiapause, développement post-quiescence) et la fécondité des insectes.Nous avons restreint la variation dechacun de ces trois paramètres à deuxvaleurs, issues des observations dansla nature, correspondant aux annéesfavorables et aux années défavorables.Nous avons attribué à chacune de cesvaleurs une probabilité d’occurrence,aussi calculée à partir des observations.En tirant au sort les valeurs des diffé-rents paramètres pour chaque année,nous avons simulé l’évolution de popu-lations de balanins sur 200 ans.

Dans ces conditions, les probabilitésd’extinction des génotypes DS et DP sont

fortes : en fixant à 60 pour cent la sur-

vie pendant la diapause prolongée, 70

pour cent des populations composéesd’individus à génotype DS et 100 pourcent des populations porteuses des géno-types DP disparaissent avant 200 ans.Autrement dit, dans un environnementimprévisible, un génotype qui ne pro-duirait qu’une diapause prolongée dedurée fixe ne peut pas se maintenir dansdes populations composées, au départ,uniquement de génotypes DS et DP.

Un génotype souple

Les populations de balanins seraient-elles alors composées principalementde porteurs de génotypes à stratégiemixte, qui déclenchent chez certainsindividus une diapause prolongée pré-ventive et chez d’autres une diapausesimple, en fonction de facteurs envi-ronnementaux indépendants des chan-gements futurs de l’environnement?Nous avons testé cette hypothèse parla simulation : quand le pourcentaged’individus en diapause prolongéevarie entre 30 et 50 pour cent et que lepourcentage de survie pendant la dia-pause prolongée est supérieur ou égalà 60 pour cent, la probabilité d’extinc-tion de ces génotypes est beaucoup plusfaible que celle des génotypes à com-portement fixe. Selon nos simulationsnumériques, ils ne s’éteignent que dansmoins de 20 pour cent des cas dans unenvironnement qui varie de façonimprévisible. En ne mettant pas toutesses larves dans le même panier, ungénotype à stratégie mixte souscrit uneassurance multirisque. Il est plus com-pétitif qu’un génotype à diapause

simple et a fortioriqu’un génotype à dia-

5. DES INSECTES RAVAGEURS DES PLANTES, tel le balanin de lanoisette Curcul io nucum (à gauche) ou la c henille processionnairedu pin Thaumetopea pityocampae (au milieu) résistent bien aux varia-

t i ons de leu r env i ronnement e t aux ten ta t i ves d ’é rad ica t ionmenées par l’homme. Leur cycle de vie contient des périodes dediapause prolongée : en permanence, une partie de la population

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pause prolongée cyclique quand l’im-

prévisibilité du milieu est forte.Comment la durée de la diapause

d’un génotype à stratégie mixte est-elle déterminée? Thomas Philippi, del’Université de l’Utah, a démontré la pré-sence de génotypes à stratégie mixtechez Lepidium lasiocarpum, plante desdéserts Nord-Américains : une mêmeplante produit des graines qui présen-tent des dormances de durées variables.Cette variabilité n’est pas due à desdifférences génétiques entre les graines,mais à leur taille et à leur position sur

la plante mère. Dans les régions aridesoù les pluies sont imprévisibles, ces géno-types augmentent leur chance de suc-cès reproductif, car, chaque année, seuleune partie des plantes risque de mou-rir par dessèchement. D’autres étudessur les plantes ont montré que l’âge dela plante mère lors de la productiondes graines intervient aussi sur la duréede la dormance de la descendance.

Les mécanismes d’entrée ou non endiapause simple (estivale ou hivernale)de plusieurs insectes sont aussi bienconnus. L’entrée en diapause d’un œuf du ver à soie Bombyx mori est pro-grammée au stade embryonnaire de lafuture mère. L’âge de cette dernière oules conditions environnementalesqu’elle subit interviennent aussi chezd’autres espèces.

L’expression d’une diapause simpleou prolongée par un génotype à stra-tégie mixte dépend probablement aussid’effets maternels, ou de facteurs cli-matiques ou nutritionnels subis par leslarves avant ou pendant l’entrée en dia-pause. Le pourcentage de diapause

prolongée chez l’hyménoptère Neodi-

prion sertifer dépend probablement

de la durée du jour et de la tempéra-ture au début de la diapause. Chez le

balanin de la châtaigne, la durée de ladiapause pourrait dépendre du poidsde la larve : plus elle a constitué deréserves, plus elle aurait tendance àprolonger sa diapause.

Les conséquences de la diapauseprolongée sur la variation de la tailled’une population dépendent du typede diapause considérée. Les diapausesprolongées prédictives (ou en partieprédictives) et les diapauses prolon-

gées cycliques conduisent à de fortesfluctuations annuelles des effectifs.En revanche, les diapauses préventivesréduisent l’amplitude des variations.Dans tous les cas, la diapause prolon-

gée favorise la survie des populations

dans un environnement irrégulier.L’existence de la dormance prolon-

gée dans des groupes aussi différentsque les insectes, les crustacés, les versnématodes, les plantes ou certains pois-sons tropicaux témoigne de son impor-tance dans l’évolution des espèces. Lasimilitude des comportements desespèces d’insectes et des groupes pluséloignés résulte certainement d’uneconvergence adaptative sous des pres-sions sélectives semblables, telle l’irré-gularité de l’environnement. La

dormance prolongée réduit le risqued’extinction de nombreuses espèces ani-males et végétales : c’est un mécanismemajeur dans le maintien de la biodi-versité de notre planète.

Frédéric MENU et Domitien DEBOUZIEsont respectivement maître de confé-rences et professeur à l’Université ClaudeBernard Lyon 1, au sein du laboratoirede biométrie, génétique et biologie despopulations (UMR 5558 du CNRS).

Les photographies des balanins et des

doryphores sont de Pierre AUDÉNIS, ser-vice photographique IASBSE de l’Uni-versité Claude Bernard.

M. TAUBER, C. TAUBER et S. MASAKI,Seasonal Adaptations of Insects, Univer-sity Press, Oxford, 1986.H. DANKS, Insect Dormancy : an Ecolo- gical Perspective, in Biological Survey of Canada, National Museum for NaturalSciences, Ottawa, 1987.A. ROQUES, Comment s’ajustent les popu-lations d’insectes phytophages confrontésà des fluctuations saisonnières acycliquesd’abondance de leurs hôtes? L’exemple de

la diapause prolongée chez les insectes inféo-dés aux structures reproductives de coni- fères, in Régulation des cycles saisonnierschez les invertébrés, pp. 113-116, sous ladirection de P. Ferron, J. Missonnier etB. Mauchamp (Colloques de l’INRA,n° 52), INRA, Dourdan, France, 1990.

F. MENU

et D. DEBOUZIE

,Coin-Flip-

ping Plasticity and Prolonged Diapause inInsects : Exemple of the Chestnut weevilCurculio elephas (Coleoptera : Curculio-nidae), in Oecologia, n° 93, pp. 367-373,1993.F. MENU, Strategies of Emergence in theChestnut weevil Curculio elephas (Colep-tera : Curculioniade), in Oecologia, n° 96,pp. 383-390, 1993.T. PHILIPPI, Bet-Hedging Germination of Desert Annuals : Variation among Popu-lation and Maternal effects in Lepidiumlasiocarpum, in The American Natura-list, n° 142, pp. 488-507, 1993.

est enfouie dans le sol et inacc essible aux t raitements. Le doryphoreLeptinotarsa decemlineata (à droite), originaire des État s-Unis, aété int roduit accident ellement en France, dans les années 1920 , à

Bordeaux. Il a envahi l’Europe en moins de 60 ans, probablementgrâce aux diapauses hivernale, estivale et prolongée qui ryt hmentson cycle de vie.

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«Ceux qu ’o nt nommél es Bancs,Les ont bi en nommés.I ls en font des louan ges,I l s n ’ y eut j am ai s été.S’i l s faisaient u ne campagne Comme nous venons de fai re,

I l s dir aient que Saint -Pi erre C’est u n pay s d’enfer,C’est u n pay s d’enfer....» Chanson des t erre-neuvas

Quelle fut l’importance de la pêchede la morue pour l’économiefrançaise? Pour les ports quiont armé pour Terre-Neuve? Quenous apprend l’histoire de cette

pêche, c’est-à-dire celle des hommesqui la pratiquaient, les terre-neuvas?L’étude des documents, archives et

inventaires notariaux révèle que cettepêche a été l’économie dominante deplusieurs ports ; elle reflète l’évolutiondes techniques de pêche et de construc-tion des navires. Ce poisson que l’onsavait conserver dans le sel compen-sait, dans de nombreuses régions, lapénurie de viande et de légumes.

Le nombre de bateaux armant pourTerre-Neuve – les terre-neuviers –n’a cessé d’augmenter du XVIe au XXe

siècle, et ce n’est qu’après la SecondeGuerre mondiale que le déclin a étéirréversible. Toutefois, cette évolutionglobale a été maintes fois perturbée.Pourquoi, certaines années, les bateauxrestaient-ils au port? Une étude minu-tieuse de ces années néfastes indiqueque les périodes de troubles politiqueset de guerres perturbaient l’activitédes terre-neuvas.

Les Normands découvrent l’île deTerre-Neuve à la fin du IX e siècle,mais ils oublient peu à peu le chemindu Nouveau Monde. Au XIIe siècle, lesBasques traversent l’Atlantique à lapoursuite des baleines et découvrent

le Grand-Banc, un haut fond remar-

quablement riche en poissons. Deuxsiècles plus tard, après une nouvellepériode d’oubli, ils redécouvrent Terre-Neuve et nomment l’île Terra-Bacalaos,c’est-à-dire le Pays des morues. Ils s’éta-

blissent sur l’î le du Cap-Breton, en

Nouvelle-Écosse et au Sud-Ouest deTerre-Neuve. Au XVe siècle, les Bretonset les Normands rejoignent les Basques.Le 24 juin 1497, le Génois Jean Cabotet son frère débarquent sur l’île du Cap-Breton. Vers 1500, les Portugais arri-vent à Terre-Neuve. En 1506, JeanDenys, de Honfleur, et Thomas Aubert,de Dieppe, naviguent du côté du capBonavista, à Terre-Neuve. À partir decette date, des marins embarquentrégulièrement à Dieppe, La Rochelle,Honfleur et Saint-Malo, pour aller

pêcher à Terre-Neuve.Au XVIIe siècle, la pêche de la moruedevient un commerce très lucratif.C’est le début d’une période de pêcheintense dans l’Atlantique Nord, qui nediminue qu’au XXe siècle. Cette pêchedifficile, où les marins subissent lesrigueurs du climat et les difficultésde traversée de l’Atlantique, est sourcede nombreux conflits, notamment avecles Anglais ; divers traités d’attribu-tion des zones de pêche ponctuentl’histoire de la pêche à Terre-Neuve.

Le poisson

La morue, Gadus morhua, est un pois-son des mers froides d’Europe, de lamer Baltique, de l’Atlantique Nord-Ouest. Dénommé cabillaud quand ilest vendu et consommé frais, ce pois-son devient morue quand il estconservé après salage et séchage.

On a identifié plusieurs stocks demorue qui ont des couleurs, des pig-mentations, ou encore des vitesses decroissance différentes : celui de Terre-Neuve, celui de l’Ouest du Groenland,des îles Féroé, celui de la mer du Nord,

etc. (voir la figure 1).On a beaucoup étudié l’évolution

des stocks de morue. Le stock cana-dien qui, dans les années 1960, repré-sentait 2,5 millions de tonnes, acommencé à diminuer dans les années

La pêche à Terre-NeuveJACQUELINE HERSART DE LA VILLEMARQUÉ

La pêche de la morue sur les bancs de Terre-Neuve a longtemps été rentableet, pendant près de 500 ans, de nombreux ports ont armé pour cette pêche.Saint-Malo fut l’un des derniers à désarmer, au début des années 1990.

1. PLUSIEURS STOCKS DE MORUE (en vio- l e t ) p a r s èm e n t l e s o c é a ns . L a c ô t e d eTerre-Neuve et l e Grand-Banc ont été sillon-nés par les pêcheurs de morue, du XV I e

au XXe siècle.

TERRE-NEUVE

L'Î LE DE SABLE

BAN

ACADIE

SAINT-LAURENT

Î LE SAINT-JEAN

Î LE DU

CAP BRETON

SAINT-PIERR

ET-MIQUELO

ÉTATS-UNIS

CANADA

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1970. Le stock de la zone arctiquenorvégienne est le plus important del’Atlantique Nord.

La morue vit dans les eaux dont latempérature est comprise entre un etdix degrés sur une trentaine de mètresde profondeur ; dans ces conditionsfavorables, les morues se rassemblentau-dessous de cette couche, où proli-fère l’encornet dont elle se nourrit.Autour de Terre-Neuve, la tempéra-ture de l’eau propice à la morue, l’«eaude morue», est comprise entre trois etcinq degrés au fond, et la pêche a lieuentre 50 et 100 mètres, c’est-à-dire à lasurface des Bancs, où la morue abonde.

Aux XIXe et XXe siècles, ces condi-tions étaient réunies à la fin du prin-temps, entre mai et juin. Au cours dessiècles précédents, du XVIe à la findu XVIIIe, le climat est beaucoup plusfroid dans l’hémisphère Nord : on

nomme cette période, le «Petit Âgeglaciaire». Au cours des annéesfroides, les glaces ne sont pas encorefondues au large de Terre-Neuve enmai et juin, de sorte que les bateauxne peuvent s’y aventurer sans risque

de heurter un iceberg. L’été est alorsplus favorable à la navigation, etl’on pêche de préférence durant cettesaison autour de Terre-Neuve.

Les terre-neuvas du XVIe sièclepêchent à bord du navire, de sortequ’ils ne peuvent pas approcher desrochers ; ils utilisent ensuite des cha-loupes pour s’approcher des récifset pour accoster sur les plages, où ilsfont sécher le poisson. Aux XVIIe etXVIIIe siècles, les terre-neuviers par-tent de France en février, souventaccompagnés de frégates de guerre.Il leur faut un à deux mois pouratteindre les bancs.

Que sait-on de ces pêches? Lesdonnées sur le nombre des bateaux etsur les quantités pêchées sont consi-gnées dans les registres notariaux. Àpartir du XVIIe siècle, la plupart desports arment à la pêche morutière, et

les notaires prêtent de l’argent à la«grosse aventure». Le nom du bateau,le tonnage, le nombre de marins embar-qués sont consignés dans les minutesnotariales. Pour le XVIIe siècle, outreces registres, on dispose d’«Inventaires»

systématiques qui indiquent le nombrede morutiers de chaque port.

Le premier inventaire a été organisépar Colbert en 1664 ; les relevés des ins-pecteurs généraux des pêches lui suc-cédèrent. Ensuite, aux XIXe etXXe siècles,les données proviennent surtout desArchives nationales, des Annales de lamarine, puis, à partir de 1865, des Sta-tistiques de pêches qui donnent deschiffres fiables, mais parfois partiels.

Morue sèche, morue verte

Pour conserver le poisson en bon état,les terre-neuvas le sèchent et le salent.La pêche de la morue sèche, ou pêchesédentaire, est pratiquée le long descôtes : le navire, chargé de sel, mouilledans une baie abritée et est presqueentièrement dégréé. Les hommes des-cendent à terre, construisent des

cabanes pour se loger et l’«échafaud»,la jetée de bois qui permet aux cha-loupes d’accoster, à marée haute ou àmarée basse.

Chaque voilier a deux chaloupes,chacune manœuvrée par cinq ou six

C VERT

GROENLAND

ISLANDE

FRANCE

ESPAGNE

NORVÈGE

SUÈDE

FINLAN

Î LES FÉROÉ

GRANDE-

BRETAGNE

IRLANDE

RE-NEUVE

GRAND-

BANC

A

T A L U S C O NT INENTAL

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hommes qui pêchent de l’embarca-tion. À la fin de la journée, on poseune ligne de deux à trois kilomètres,

que l’on relève le lendemain matin.Le poisson est débarqué sur l’écha-faud, étêté, vidé, nettoyé, salé et misà sécher sur la grève (ou grave) pen-dant l’été (voir la figure 4). Séchées,

les morues sont empilées dans lenavire, qui retourne en France quandles cales sont pleines ou à la fin de la

saison de pêche, vers le milieu du moisd’août. Il n’y a qu’une campagne depêche sédentaire par an.

La pêche de la morue verte, oupêche errante, se pratique en pleine

mer : le navire sillonne les bancs, à larecherche du poisson ; on pêche du

bateau, une ligne à la main. Des demi- barils sont alignés le long du bord desnavires, et un matelot se loge danschaque demi-baril, revêtu d’un grandtablier de cuir. Les matelots mouillentleur ligne, et le bateau dérive. À bord,le poisson est confié aux mousses quile vident, le nettoient et l’envoient dansles cales, où les saleurs le frottent ausel et l’empilent en alternant les couchesde sel et le poisson (on ne le laisse passécher). Le bateau repart pour la Franceà la fin de la saison, en septembre ouen octobre.

Après 1780, on pratique la pêcheaux lignes dormantes, en utilisantune ligne de fond munie de plombset d’une vingtaine d’hameçons garnisd’appâts ; la ligne est tendue entre lenavire et une chaloupe ; cette der-

nière s’éloigne du navire pour tendrela ligne.

Jusqu’à la Révolution, les deuxsortes de pêche sont pratiquées sépa-rément. Dès la fin duXVIIIe siècle, appa-raît un armement mixte : on pêche lamorue verte sur le Grand-Banc et onla sèche ensuite à Saint-Pierre-et-Mique-lon. Au XIXe siècle, la différence entreles deux armements s’atténue encoreet l’on ne distingue plus pêche erranteet pêche sédentaire. À cette époque, àla suite de conflits franco-britanniques,

le Canada est interdit aux morutiersfrançais. L’essentiel de la pêche s’ef-fectue à Terre-Neuve, sur les Bancs,autour de Saint-Pierre-et-Miquelon etde l’Islande, et en mer du Nord.

Au XIXe siècle, les «doris» rempla-cent les chaloupes : ils sont plus légerset plus maniables, et deux hommesmontent à bord. En pêche, chaque dorisdéploie jusqu’à trois kilomètres delignes armées de plus de 1 500 hame-çons appâtés à la «boëtte» (des encor-nets, des capelans...). La ligne esttendue entre le doris et une bouée,maintenue au fond par une ancre.Quand le doris est plein, il regagne le

bord... sauf accident : des centaines dedoris ne sont jamais revenus, empor-tés par les courants, perdus dans les

brumes, chavirés par la tempête.Au début du XXe siècle, les zones

de pêche fréquentées sont essentielle-ment le Grand-Banc de Terre-Neuve etl’Islande. La pêche est fructueuse enIslande jusque vers 1925, et sur les côtesdu Groenland entre 1929 et 1938. Pen-dant les années de guerre, la pêche

est interrompue, et les terre-neuviers

3. LES MARINS TENDENT DES LIGNES entr e le navire et les chaloupes. Quel que soit l’ét atde la mer, ils doivent relever les lignes et charger le poisson sur les chaloupes, lequel estensuite nett oyé, salé et st ocké dans le navire. Les rigueurs climatiques cont raignent par-

fois les marins à naviguer entre les icebergs (ici, à l’arrière-plan) .

2. LE DÉPART DES TERRE-NEUVAS, image d’ Épinal, ét ait t rop souvent un adieu. «Dans le sombr eocéan s’évanouissaient» les marins, emportés par les flots ou perdus dans le brouillard.

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entre 100 et 170 tonneaux, et les goé-lettes. Ces dernières sont des voiliersà deux mâts ; leur tonnage est infé-rieur à celui des senaux, mais leurnombre est supérieur.

La goélette est le bateau morutierspécifique. Il est adapté au «métier dela mer» : son pont dégagé permet d’y

loger les barils et de laisser de la placeaux hommes pour pêcher. La «goélette

à huniers» est gréée d’une voile car-rée au mât de misaine, et le «brick-goé-lette» a jusqu’à cinq mâts.

Pour la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon, on envoie en mars des goé-lettes de 50 tonneaux, avec huithommes d’équipage qui pêchent, trai-tent le poisson, puis le débarquent à

Saint-Pierre pour le faire sécher sur leséchafauds. Ils vont pêcher par trois fois

4. LES SÉCHERIES de morue ét aient aménagées sur la c ôte de Terre-Neuve. Le poisson étaitapporté à t erre par chaloupe (à droite) , préparé sous le hangar, lavé, salé, puis mis à séchersur d es «échafauds» (à gauche) , des plates-formes en bois construites sur pilotis. Après

séchage, la morue ét ait em barquée dans des navires qui appareillaient pour la France.

ne repartent que vers 1945. Après cettereprise, les ports qui continuent à armerpour Terre-Neuve se raréfient.

La pêche de la morue sèche néces-site des bateaux lourds, avec de nom-

breux marins, tandis que celle de lamorue verte requiert des bateauxmaniables et rapides, avec un nombrelimité de marins.

Les flottes

Plusieurs sortes de navires ont étéconstruits pour la pêche : on les sépareen deux types principaux, ceux deconception nordique et ceux deconception portugaise. Les premierssont des bateaux lourds, à largesflancs, puissants, de grande capacité,mais de vitesse réduite ; ce sont lesheux, les hourques, les dogres, lesroberges (voir la figure 5). Ils ont tous

100 à 200 tonneaux et sont utiliséspour la pêche sédentaire à Terre-Neuve ; l’équipage est constitué de50 à 60 marins. Les navires de concep-tion biscaïenne ou portugaise, utili-sés pour la pêche errante, ont destonnages de 30 à 60 tonneaux, etl’équipage se limite à une dizained’hommes. Les pinasses sont desembarcations à fond plat, en pin,utilisées pour la pêche sur le littoralaussi bien qu’à Terre-Neuve. Les cara-velles ont deux ou trois mats et des

voiles carrées : trois fois plus longuesque larges, elles sont adaptées à lahaute mer.

Au XVIIe siècle, des navires lourds,à l’arrière rond, ont un tonnage moyencompris entre 100 et 300 tonneaux etsont destinés à la pêche sédentaire.Ainsi, la galiote est un bâtiment à fondplat, à deux mâts, jaugeant 50 à 300tonneaux, avec l’avant et l’arrièreronds. Des bâtiments plus légers,des pinasses ou des frégates, ont untonnage moyen de 70 à 100 tonneaux.La pinasse du XVIIe siècle a la poupecarrée et jauge 150 à 350 tonneaux. AuXVIIe siècle, le nombre de départs deterre-neuviers augmente notable-ment : 1 153 bateaux partent au XVIe

siècle, 4 344 au XVIIe. Ils s’embarquentd’abord une fois par an, puis, à par-tir de la fin du XVIIIe, deux fois par an,lorsque les conditions climatiques sontfavorables.

Au XVIIIe siècle, les tonnages aug-mentent, mais au cours de la secondemoitié du siècle, des bateaux nou-veaux apparaissent : les senaux, des

bâtiments à deux mâts, qui jaugent

Ce poisson des mers froides est com-mercialisé dès qu’il atteint 50 centimètres et1,3 kilogramme. Les plus gros mesurent 1,4mètre et pèsent jusqu’à 24 kilogrammes.Si le cabillaud peut évoluer entre la surfaceet 450 mètres de profondeur, il préfère res-

ter près du fond. Il se cantonne dans les eauxfroides dont la température est compriseentre trois et dix degrés.

La moruese nourrit decrabes, de pe-tits crustacéset de crevettes,mais aussi de poissons, telsdes capelans ou des lançons. Les femellessont plus grandes que les mâles.

En moyenne une femelle de la régiondu golfe du Maine, au Canada, pond annuel-lement un million d’œufs. À la saison de la

ponte, qui s’échelonne de décembre à maiselon les régions, les morues se concen-

trent en larges bancs au-dessus des frayères.À Terre-Neuve, les principaux lieux de pontesont les bancs et la côte américaine. On alocalisé des zones de ponte au Groenland,en Islande, en mer du Nord.

Les œufs de morue mesurent entre

1,1 et 1,8 millimètre de diamètre ; ils sonttransparents, et leur période d’in-cubation est fonction de la tem-

pérature.À 15 °C,

l’éclosion alieu en une

dizainede jours ; à 6 °C, plus de

20 jours sont nécessaires ;près des deux tiers des œufs

meurent lorsque l’eau est à 0 °C. Beau-coup de ces œufs sont dévorés par despoissons, par de petits crustacés ou ne

sont pas fécondés, de sorte que peu delarves se développent.

La morue, Gadus morhua

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78 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

sur le banc de Saint-Pierre, rappor-tent les prises qu’ils laissent sécher et,la quatrième fois, ils pêchent la morue

verte, qu’ils stockent dans les cales, etfont voile vers la France. Au printemps,de gros brigantins de 100 à 200 ton-neaux, avec 16 hommes à bord, arri-vent à la colonie, déchargent desmarchandises qu’ils troquent contre lamorue laissée à sécher par les marinsdes goélettes, pêchent à la morue sècheet repartent vers la France avec toutela cargaison.

Au XXe siècle, des goélettes à troisou à quatre mâts et des goélettes àhuniers partent encore pour Terre-Neuve. Les goélettes à huniers deSaint-Malo ont une jauge moyenne de180 tonneaux, et le tonnage des troiset des quatre-mâts varie de 300 à 400tonneaux. À partir de 1903 apparais-sent les premiers chalutiers à vapeurqui partent pour l’Islande, puis pourTerre-Neuve. Les chalutiers de laGrande Pêche ont entre 70 et 100 ton-neaux. Après 1918, ils atteignent 400tonneaux et sont équipés de machinesà vapeur d’une puissance de 700 à 800chevaux, qui assurent des vitesses de10 à 12 nœuds (18 à 22 kilomètres

par heure).

Les ports morutiers

De 1500 à 1950, nombre de ports

français arment à la morue. AuXVIe siècle, presque tous les ports dela Manche et de l’Atlantique partici-pent à cette pêche, notamment ceuxoù l’argent abonde : Rouen, Saint-Malo, Nantes, Olonne, La Rochelle,etc. Entre 1510 et 1540, une cinquan-taine de ports envoient des bateauxpêcher la morue. Certains se spécia-lisent dans la morue verte, telsFécamp, Honfleur ou Le Havre,d’autres deviennent des ports demorue sèche, tels Nantes ou Bayonne ;certains ports pratiquent les deuxsortes de pêche. Les Bretons et lesBasques s’embarquent régulièrementdès 1506. Au XVIe siècle, les premiersports morutiers sont La Rochelle etRouen. Bien qu’ils aient été les pre-miers à s’aventurer sur les côtes deTerre-Neuve, les Malouins n’envoientalors que quelques morutiers en pêche.

Le XVIIe siècle marque l’essor dela Grande Pêche, avec une augmen-tation notable des terre-neuviers. Surles lieux de pêche, on assiste à laconcentration de la pêche sédentaire

dans certaines régions et à la création

a b c

d

e

f

g

h

5. DIFFÉRENTS TYPES DE TERRE-NEUVIERS : le plus ancien est une c aravelle (a) qu idate du XVI e siècle. Au XVIIe, le f l ibot (b) et la pinasse (c) remplacent la caravelle. Puis,au XVIIIe, on construit des hourques (d) , des galiotes (e) et des frégates ( f) . Les bateauxdu XIXe siècle sont des bricks (g) et des bricks goélettes (h) .

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de colonies de pêcheurs, bien que leclimat soit particulièrement rigoureuxet que les glaces polaires avancent.L’État encourage la formation dematelots, la France et l’Angleterre selivrant bataille pour acquérir l’hégé-monie des mers en Europe.

Au XVIIIe siècle, bien que les cam-pagnes de pêche soient perturbées pardes guerres, le trafic morutier fran-çais augmente notablement. Pourtant,la révocation de l’édit de Nantes, en1685, ébranle le commerce terre-neuvier de Nantes, de La Rochelle etdu Havre : de nombreux armateursprotestants quittent ces régions. De sur-croît, entre 1688 à 1697, la guerre de laLigue d’Augsbourg dresse l’Europecontre Louis XIV et sa volonté deconquêtes.

D’après l’inventaire Colbert de1664, 17 ports arment alors à la morue:

Dunkerque, Dieppe, Le Havre, Hon-fleur, Cherbourg, Granville, Saint-Malo,Saint-Brieuc, Nantes... Au XVIIe siècle,Saint-Malo est sans conteste devenu lepremier port morutier français. Parmiles 1805 bateaux qui partent pour Terre-Neuve, les trois quarts pratiquent lapêche sédentaire et rapportent de lamorue sèche.

Le XVIIIe siècle est marqué par laguerre de Succession d’Espagne, et lenombre de départs de bateaux dimi-nue : l’insécurité règne sur les mers,

et les Anglais pillent et incendient lesports de Terre-Neuve. Cette guerre seconclut par le traité d’Utrecht, quicontraint la France à abandonnerTerre-Neuve et l’Acadie à l’Angle-terre, laquelle affirme ainsi sa supré-matie maritime.

En 1763, la guerre de Sept Anscontre l’Angleterre s’achève par lasignature du traité de Paris, qui obligeles Français à abandonner le Canada,le Labrador, l’île du Cap-Breton et l’îleSaint-Jean. Il ne reste aux morutiersfrançais que l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et une partie de la côtede Terre-Neuve, le French Shore. Laguerre de l’Indépendance américaine,de 1779 à 1783, freine encore lesdéparts des morutiers français versles Terres-Neuves. En 1783, le traitéde Versailles modifie les limites dela côte de Terre-Neuve concédée auxFrançais : elle se limite désormais àla côte Ouest de l’île.

Durant 25 ans, ces guerres se suc-cèdent ; elles ne s’achèvent qu’avec laRévolution française. Pendant cette

période, le commerce s’intensifie avec

les Antilles, et les capitaux se concen-trent dans certains ports, ce qui modi-fie l’activité des ports morutiers.L’activité de quelques ports diminue,et certains sont même contraints d’yrenoncer, tels Rouen ou Nantes. Cinqports conservent ou augmentent lenombre des navires en pêche, dontSaint-Malo, Dunkerque et Granville.

Le XVIIIe siècle est celui de l’apogéepour l’armement terre-neuvier deSaint-Malo. Premier port morutier depêche sédentaire, Saint-Malo arme

aussi à la pêche errante : la pêche dela morue verte s’intensifie au coursde la seconde moitié du siècle, lors-qu’une loi imposant des droits élevéssur la pêche est assouplie par Louis XV.

Une période de paix et de prospérités’étend de 1749 à 1756.

Saint-Malo, premier portmorutier au XVIIIe siècle

Chaque année, 80 bateaux environ par-tent vers Terre-Neuve et pratiquentles deux pêches. Après la guerre de l’In-dépendance américaine et la Révolu-tion française, et malgré les pertesimposées par le traité de Versailles, lapêche reprend de plus belle. De 1783

à 1792, 482 cargaisons rapportent prèsde 45 000 tonnes de morue. Malheu-reusement, trop abondant, le poissonse vend mal. De surcroît, la crise éco-nomique couve et les troubles politiques

6. RETOUR DES TERRE-NEUVIERS À SAINT-M ALO.

1600 190018001700

G U E R R E D E L A

L I G U E

D ' A U G S B O U R G (

1 6 8 9 - 1 6 9 7 )

G U E R R E D E S U C C E S S I O N

D ' E S P A G N E ( 1 7 0 3 - 1 7 1 6 )

G U E R R E D E S E P T A N S

( 1 7 5 6 - 1 7 6 3 )

G U E R R E D ' I N D É P E N D A N C E

A M É R I C A I N E ( 1 7 7 8 - 1 7 8 3 )

R É V O L U T I O N

F R A N Ç A I S E

1 7 8 9 - 1 7 9 2 )

G U E R R E S N A P O L É O N I E N N E S

( 1 8 0 4 - 1 8 7 1 )

G U E R R E F R A N C O -

A L L E M A N D E ( 1 8 7 0 - 1 8 7 1 )

P R E M I È R E G U E R R E M O N D I A L E

S E

C O N D E G U E R R E M O N D I A L E

ANNÉE

NOMBRE DE

MORUTIERS PAR AN

20

40

60

80

100

120

140

7. L’ÉVOLUTION DU NOMBRE DE NAVIRES ayant appareillé pour Terre-Neuve au départ deSaint-Malo reflète les périodes de troubles politiques qu’a traversées la France. Au coursdes guerres, les pillages en mer étaient fréquents, et les marins expérimentés de Terre-

Neuve étaient réquisitionnés par la Royale, de sorte que peu de navires quittaient le port.

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se multiplient ; aucun morutier ne partde Saint-Malo entre 1793 et 1800.

Au XIXe siècle, le nombre de portsmorutiers diminue encore, bien que lenombre total des terre-neuviers conti-nue à croître. Ce siècle est moins per-turbé que le précédent par les guerres,

exception faite de la Révolution de1848 et de la guerre de 1870. Les bateaux ont de meilleures caractéris-tiques techniques. Certains ports ces-sent définitivement la pêche de lamorue (Le Havre ou Nantes). Enrevanche, dans l’ensemble des portsde la Manche, l’activité morutière estintense.

Les six principaux ports morutierssont Dunkerque, Saint-Malo, Gran-ville, Saint-Brieuc, Fécamp et Paim-pol. Saint-Malo est le deuxième portmorutier du XIXe siècle, avec plus de5 400 départs répertoriés.

Entre 1830 et 1842, 90 terre-neuviers, en moyenne, quittent Saint-Malo. Ensuite, selon les années, lenombre des bateaux en partance variede 31 (en 1847) à 141 (en 1852). Àpartir de 1860 et jusqu’à la fin du siècle,on compte une moyenne de 75 bateauxpar an. Les meilleures campagnes sontcelles de 1867 avec 119 morutiers enpêche et celles de 1874 avec 85 bateaux.La guerre de 1870 semble avoir eu peud’influence sur l’activité morutière de

Saint-Malo. La pêche fléchit irréver-

siblement au cours des 15 dernièresannées du XI Xe siècle, mais lesMalouins continuent à aller pêchersur les Bancs, sur les côtes de Terre-Neuve et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

En 1904, à la suite d’accords avec laGrande-Bretagne, la France est

contrainte d’abandonner ses droits depêche sur la côte de Terre-Neuve. Lesseules zones encore accessibles restentSaint-Pierre-et-Miquelon, les Bancs, l’Is-lande et la mer du Nord. Les voilierssont progressivement remplacés par les

bateaux à vapeur, puis à moteur méca-nique, même si, en 1912, les voiliers sontencore majoritaires.

Jusqu’en 1914, l’activité reste pros-père à Saint-Malo : 56 bateaux par-tent en 1904 et 146 en 1912. LaPremière Guerre mondiale ralentitl’activité du port, mais la reprise a lieudès 1919 : on dénombre 91 terre-neuviers en 1923. À la veille de laSeconde Guerre mondiale, plusieursports, naguère prospères, abandon-nent cette activité. Dunkerque,Dieppe, Granville, Cancale arrêtentla pêche à la morue dès 1940. Troisports reprennent leur commercemorutier après 1944 : Fécamp, Bor-deaux et Saint-Malo, qui reste le pre-mier port morutier de la premièremoitié du XXe siècle. Seuls huit à dixmorutiers partent encore chaque

année, pour les Terres-Neuves

L’irréversible disparitiondes terre-neuviers

Activité pionnière au XVIe siècle, lapêche de la morue a été florissante auxXVIIe et XVIIIe siècles. Les techniquesde pêche ont notablement changé aucours des siècles, et les rendementsont été améliorés : sous l’AncienRégime, il fallait 350 navires et 10 000hommes pour pêcher 56 000 tonnesde morue ; vers 1950, 29 navires et1 600 hommes y parvenaient.

La pêche de la morue a influé surl’architecture des navires, sur le recru-tement des marins et sur le dévelop-pement des ports. Les pêcheurs demorue de Terre-Neuve étaient desmarins expérimentés et étaient recru-tés par la Marine royale en cas deguerre ; on les incitait à partir sur lesmorutiers pour rapporter du poisson,

mais aussi pour servir sur les naviresdu roi, le cas échéant.

Sur la cinquantaine de ports moru-tiers du XVIe siècle, seuls quatre portspoursuivent cette activité, en 1950 :Saint-Malo, qui a la plus longue tra-dition terre-neuvienne, Fécamp, Bor-deaux et La Rochelle. Au début desannées 1990, Saint-Malo a été le der-nier port morutier français, avec lesdeux derniers chalutiers de l’arma-teur Pleven. Aujourd’hui, l’un s’estreconverti vers une autre pêche,

l’autre va devenir un bateau-muséeà Lorient.On n’entendra plus la chanson des

terre-neuvas cité en début d’article.

Jacqueline HERSART DE LA VILLE-MARQUÉ est chargée de recherchesau Laboratoire d’écologie halieutique,au Centre IFREMER de Nantes.Ch. de LA MORANDIÈRE, Histoire dela pêche française de la morue dans l’At-lantique septentrional, éditions Mai-sonneuve et Larose, 3 volumes, 1962.

J. HERSART de LA VILLEMARQUÉ, Les pêches françaises du XVI e au XVIII e siècle.Relations avec le climat, in Équinoxe – IFREMER n°33, pp. 35-41, n°34 (1e par-tie), 1990. J. HERSART de LA VILLEMARQUÉ, Les pêches françaises du XVI e au XVIII e siècle.Relations avec le climat, in Équinoxe – IFREMER, n° 34, pp. 37-43 (2e partie),1991. J. HERSART de LA VILLEMARQUÉ, La pêche morutière française de 1550 à 1950.Statistique, climat, société, in Repèresocéan, n°11, IFREMER, 134 pages, 1995.

«Et puis, il y a les hommes. Ceux desvoiliers, passant des heures à boët-

ter des kilomètres de lignes et des milliersd’hameçons, des heures à souquer sur lesavirons d’un doris que les lames se ren-voient comme un bouchon, pour aller les

poser, ces lignes, à deux ou trois milles dubord ; des heures à dériver dans de l’ouateopaque sans retrouver le navire.

Dur, effroyable métier, pour un maigrepain. Trente-cinq ou quarante hommes blo-qués sur un pont gluant et mouvant, l’in-quiétude du retour, la fatigue, l’éloignementde la famille, en faut-il plus pour que lamoindre querelle, la maladie, le cafardengendrent les rongeantes idées noires?»

Abbé YVON, Les bagnards de la mer

La pêche de la morue était difficile etdangereuse. Avant leur départ, les marins

demandaient la protection des saints et dela Vierge, et les églises bretonnes sont ornéesdes multiples offrandes des marins qui ont

été épargnés et sont revenus des Bancsde Terre-Neuve.

Le recrutement se faisait dans les cam-pagnes ; les mousses étaient embarquésvers 15 ans, corvéables à merci. Ces souffre-douleur devenaient matelots après quelques

campagnes de pêche. L’armateur payait àchacun une avance avant le départ et, auretour, une part proportionnelle à la valeurde la pêche. À bord, on mangeait du biscuit,du pain, du lard gras, des pommes de terre;on embarquait aussi de l’eau et de l’eau-de-vie. La morue apportait des protéineset l’huile de foie, source de vitamines.

Le travail était pénible, la moindre écor-chure se transformait en crevasse et en plaieen raison du froid et du sel. Le rythme detravail ne permettait aucun repos. Pour déjeu-ner, on s’arrêtait au plus une vingtaine deminutes. Les marins, harassés, manquaientde sommeil. Ils n’étaient pas soignés. L’al-cool atténuait l’angoisse de se perdre dansles brumes.

Le Grand Métier

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82 © POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

Les grandes avancées scientifiques

ont parfois des conséquences quidépassent non seulement l’ima-gination de leurs créateurs, mais

aussi leurs intentions. La relativitégénérale a ainsi contribué à établir leconcept de trou noir, malgré Albert Ein-stein. En 1939, Einstein publie un articleau titre décourageant : Sur un systèmestationnaire à symétrie sphérique composéde plusieurs masses liées par la gravita-tion. Avec cet article, Einstein pensaitprouver l’inexistence des trous noirs,objets célestes si denses que leur gra-

vité empêche même la lumière de

s’en échapper.Pour cette démonstration, il uti-

lisa la théorie de la relativité générale,qu’il avait publiée en 1916... et qui estaujourd’hui utilisée pour démontrerque les trous noirs sont non seulementpossibles, mais aussi, l’état final iné-luctable de nombreux corps célestes.D’ailleurs, quelques mois après la paru-tion de cette tentative de réfutation,Robert Oppenheimer et Hartland Sny-der publièrent un article intitulé Surla poursuite de la contraction gravita-

tionnelle, où ils utilisaient la théorie

de la relativité générale pour montrercomment les trous noirs pourraientse former.

Comble de l’ironie, l’étude modernedes trous noirs et, plus généralement,de l’effondrement des étoiles s’appuiesur un aspect différent de l’héritaged’Einstein : la physique statistique. Sansles effets décrits par cette physique,toutes les étoiles finirait par s’effon-drer en un trou noir, ce qui conduiraità un univers très différent de celui oùnous vivons.

Bose, Einsteinet la physique statistique

L’introduction par Albert Einstein dela mécanique quantique en physiquestatistique fut inspirée par une lettrequ’il reçut en juin 1924 d’un jeune phy-sicien indien alors inconnu, SatyendraNath Bose. Cette lettre était accompa-gnée d’un manuscrit qui avait été refusépar un journal scientifique britannique.Après avoir lu le manuscrit, Einsteinle traduisit lui-même en allemand ets’arrangea pour le faire publier dansla prestigieuse revue Zeitschrift für Phy-sik (Revue de physique).

Pourquoi Einstein pensait-il que cemanuscrit était important? Pendant 20,il s’était interrogé sur la nature desrayonnements électromagnétiques,surtout lorsqu’ils sont piégés dans unrécipient chauffé et en équilibre ther-modynamique avec les parois du réci-pient, ce qu’on nomme le corps noir.Au début du XXe siècle, le physicienallemand Max Planck avait décou-

vert la fonction mathématique qui

Einstein, père des trous

noirs malgré luiJEREM Y BERNSTEIN

Les équations de la relativité générale sont les fondements de la théorie

moderne des trous noirs. Pourtant Albert Einstein voulait les utiliser

pour démontrer que ces étranges objets célestes ne peuvent exister.

POUR ET CONTRE : en 1 93 9, Robert Oppenheimer (à droite) avança que les t rous noirs pour-raient se former, alors qu’Albert Einstein essayait de réfuter leur existence. Leurs carrièresse croisèrent à l’Institut d’études avancées de Princeton, à la fin des années 1940, lorsque

cette photographie fut prise, mais l’on ignore s’ils discutèrent jamais de trous noirs.

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83© POUR LA SCIENCE - N° 226 AOÛT 1996

décrivait l’intensité des divers rayon-nements de ce corps en fonction de leurlongueur d’onde (ou couleur). Il avaittrouvé que le spectre du corps noir nedépend pas du matériau de la paroi durécipient, mais seulement de sa tem-pérature. Par exemple, lorsque l’onchauffe un morceau de fer, sa couleurpasse successivement du rouge au

blanc puis au bleu à mesure que la tem-pérature s’élève: la couleur du fer, sonspectre d’émission, dépend unique-ment de sa température.

Bose avait utilisé la physique sta-tistique pour étudier le rayonnementdu corps noir, et il avait retrouvé laloi de Planck à partir des principes dela mécanique quantique. Fidèle à lui-même, Einstein généralisa le procédé :il utilisa la même méthode pour cal-culer le comportement d’un gaz demolécules massives qui obéissent au

même type de loi que celle que Boseavait utilisées pour les photons. Il endéduisit l’analogue de la loi de Planckpour ce cas et prédit un phénomèneremarquable : lorsque l’on refroidit, àune température critique, le gaz de par-ticules qui obéissent à la statistique ditede Bose-Einstein (les bosons), toutesles particules se retrouvent soudaindans un même état quantique «dégé-

néré». Cet état de la matière est aujour-d’hui nommé le condensat de Bose-Einstein (bien que Bose n’ait rien à yvoir directement).

L’hélium 4 subit une telle conden-sation. Cet isotope de l’hélium à unnoyau composé de deux protons etde deux neutrons. À la température de2,18 kelvins (–272 °C), ce gaz devientun liquide aux propriétés troublantes,s’écoulant notamment sans frottement(superfluidité).

Toutes les particules ne se conden-sent pas ainsi. En 1925, juste après lespublications d’Einstein sur la conden-sation, le physicien autrichien Wolf-gang Pauli identifia une seconde classede particules qui se comportent diffé-remment. L’électron, le proton ou leneutron sont des exemples de ces par-ticules nommées fermions. Paulidécouvrit que deux fermions iden-

tiques – par exemple deux électrons –ne peuvent jamais être dans le mêmeétat : cette propriété est aujourd’huile principe d’exclusion de Pauli. Puis,en 1926, Enrico Fermi et Paul Dirac éta-

blirent les lois statistiques du com-portement de ces particules, parallèleà la statistique de Bose-Einstein.

En raison du principe d’exclusionde Pauli, les fermions ne se condensent

pas à basse température. Lorsque l’onrefroidit et que l’on comprime un gazd’électrons, ces derniers sont forcés des’approcher si près qu’ils commencentpar empiéter sur l’espace des voisins.Toutefois, comme ils ne peuvent êtredans le même état quantique, ils s’évi-tent en s’enfuyant à des vitessesproches de celle de la lumière. Pour lesélectrons et pour les autres fermions,la pression créée par la dispersion deces particules rapides, la pression d’ungaz dégénéré, persiste même si le gazest refroidi jusqu’au zéro absolu. Ellene doit rien au fait que les électronsse repoussent mutuellement par leurcharges électriques identiques: les neu-trons, qui ne sont pas chargés électri-quement, ont le même comportement :la pression d’un gaz dégénéré est pure-ment d’origine quantique.

Statistique quantiqueet naines blanches

Quel est le rapport entre la physiquestatistique et les étoiles? Au XIXe siècle,les astronomes avaient identifié unecatégorie d’étoiles particulières, petiteset peu lumineuses: les naines blanches.Ainsi Sirius, l’étoile la plus brillante duciel, a un compagnon dont la masse est

SIRIUS

NAINE

BLANCHE

TRAJECTOIRE

PERTURBÉE

1900

Max Planck découvre le rayonnementdu corps noir.

1905

Dans un article sur le rayonne-ment du corps noir, Albert Einsteinmontre que la lumière peut êtreconsidérée comme un flux de par-

ticules (les photons).

1915

Walter Adams observe le com-pagnon qui donne à Sirius satrajectoire perturbée. C’est unepetite étoile dense et chaude,

une naine blanche.

1916

Einstein publie sa théorie de la rela-tivité générale, dont les équa-tions décrivent la gravitation.

L’histoire des trous noirs

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voisine de celle du Soleil, mais dontle rayonnement est 360 fois inférieur.Quand on divise la masse d’une naine

blanche par son volume, on obtient unedensité considérable : un centimètrecube du centre du compagnon de Siriuspèse 61 tonnes. Que sont donc ces objets

bizarres? C’est Arthur Eddington quile dira.

Lorsque j’ai commencé à étudier laphysique, à la fin des années 1940,Eddington était l’un de mes héros, maispour de mauvaises raisons. Je ne savaisrien de son remarquable travail enastronomie, mais j’admirais ses livresde vulgarisation. Eddington, qui mou-rût en 1944, croyait que toutes les chosesimportantes de l’Univers pouvaientêtre étudiées par la seule force de l’es-prit. De la fin des années 1910, oùEddington dirigea l’une des deux expé-ditions qui confirmèrent que le Soleil

courbe le trajet des rayons lumineux,comme Einstein l’avait prévu, jus-qu’à la fin des années 1930, Eddingtonétait l’un des géants de la science duXXe siècle. Il est un de ceux qui créè-rent la discipline qui conduisit à la com-préhension de la constitution internedes étoiles, titre de son livre de 1926,devenu un classique. Les naines

blanches étaient un affront que le ciellui faisait, au moins du point de vueesthétique, ce qui ne l’empêcha pasde les étudier et d’avoir la bonne idée.

En 1924, Eddington imagina que laforce gravitationnelle qui comprimeune naine blanche pouvait arracherquelques-uns de leurs électrons auxatomes. Ces derniers perdaient ainsileur frontière électronique, et la pres-sion du gaz d’électrons dégénéré auraitagglutiné les noyaux en un amas petitet dense. L’effondrement de la naine

blanche aurait cessé lorsque la forceexercée par la pression du gaz dégé-néré d’électrons (quand le principed’exclusion de Pauli force les électronsà s’écarter les uns des autres) auraitcompensé la force de gravitation.

La masse limite

La compréhension des naines blanchesprogressa à nouveau en juillet 1930,grâce à Subrahmanyan Chandrasekhar,âgé de 19 ans seulement. Ayant lu lelivre d’Eddington sur les étoiles et lelivre de Fowler sur la mécanique quan-tique, Chandrasekhar avait été fas-ciné par les naines blanches. Invité àl’Université de Cambridge (où se trou-

vait Eddington) par le physicien bri-tannique Ralph Fowler, Chandrasekharavait pris un bateau pour relier Madrasà Southampton. Pour passer le tempsau cours de la traversée, il se demandas’il existait une limite supérieure à lamasse d’une naine blanche avant qu’ellene s’effondre sous sa propre gravité. Saréponse déclencha une révolution.

Comme une naine blanche dans sonensemble est électriquement neutre,tous les électrons ont un proton cor-respondant. Le proton étant 2 000 foisplus massif que l’électron, les protonsde la naine blanche engendrent l’es-sentiel de la compression gravitation-nelle. Si la naine blanche ne s’effondrepas, c’est que la pression du gaz dégé-néré d’électrons et la force de gravitédes protons s’équilibrent. Cet équilibrelimite le nombre de protons et, parsuite, la masse de la naine. Aujourd’hui

nommée la limite de Chandrasekhar,Cette masse maximale est égale à 1,4fois la masse du Soleil. Les naines

blanches plus massives sont instables.Le résultat de Chandrasekhar trou-

bla Eddington. Que se passe-t-il si lamasse est supérieure à 1,4 fois celledu Soleil? À moins qu’un mécanismene limite la masse des étoiles ou que

1916

Karl Schwarzschild montre que,dans les équations qui décriventla gravitation d’une quantité dematière concentrée en un point,il existe un rayon ou une singu-

larité apparaît.

1924

Einstein publie le travail de Satyen-dra Bose sur le rayonnement ducorps noir et décrit le comporte-ment statistique de particules nom-mées bosons (tels les photons).

1924

Arthur Eddington propose que,dans une naine blanche, la gra-vitation dissocie les noyaux ato-miques séparant les électrons desprotons.

1925

Wolfgang Pauli formule le principe d’clusion, qui stipule que certaines particune peuvent se trouver dans le même équantique.

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le résultat de Chandrasekhar ne soitfaux, toutes les étoiles massives étaientcondamnées à disparaître dans uneffondrement gravitationnel. Edding-ton trouva cela intolérable et contestal’usage par Chandrasekhar de la phy-sique statistique – à la fois publique-ment et en privé. Ces critiquesaccablèrent Chandrasekhar, mais il tint

bon, soutenu par des physiciens telsque Niels Bohr, qui lui assura qu’Ed-dington se trompait et qu’il ne fallaitpas s’en faire.

Une sensation singulière

Tandis que certains exploraient ainsila physique statistique et les naines

blanches, d’autres examinaient le tra-vail d’Einstein sur la gravitation : sathéorie de la relativité générale. À maconnaissance, Einstein passa peu de

temps à rechercher des solutionsexactes à ses équations de la gravita-tion. Pourtant, des solutions appro-chées décrivaient avec une précisionsuffisante des phénomènes tels que lacourbure de la lumière par les étoiles.Aussi fut-il impressionné quand, en1916, l’astronome allemand KarlSchwarzschild trouva la solution exacte

décrivant le champ gravitationnel pro-duit par un corps à symétrie sphériquedans le vide.

Durant ses calculs, Schwarzschildobserva qu’à une certaine distance ducentre de l’étoile, le champ de gravita-tion semble devenir infini. À cette dis-tance, nommée aujourd’hui rayon deSchwarzschild, la variable temps s’éli-mine des équations et l’espace devientinfini. Les équations possèdent ce queles mathématiciens nomment une «sin-gularité». Le rayon de Schwarzschildest généralement bien inférieur au rayonde l’objet considéré. Pour le Soleil, parexemple, il est égal à trois kilomètres,et pour une boule d’acier de une tonne(60 centimètres de diamètre), il est égalà 10–24 mètre (un millième de milliar-dième de milliardième de millimètre).

Schwarzschild savait que sa formulen’était plus valable pour ce rayon, mais

il décida que ça n’avait pas d’impor-tance. Il construisit un modèle simplifiéd’étoile et montra qu’il faudrait ungradient de pression infini pour la com-primer jusqu’à ce rayon. Cette singula-rité, pensa-t-il, était sans intérêt pratique.

Toutefois Einstein restait gêné, carle modèle stellaire de Schwarzschildne satisfaisait pas certaines conditions

de la théorie de la relativité. Plusieursphysiciens montrèrent que l’on pou-vait réécrire les solutions de Schwarz-schild, afin d’éviter la singularité, maiscelle-ci disparaissait-elle vraiment? Ledébat se poursuivit ainsi jusqu’en 1939dans le petit cercle des physiciens quis’intéressaient au sujet.

Dans son article de 1939, Einsteinattribue son regain d’intérêt pour lerayon de Schwarzschild à des discus-sions avec l’astrophysicien HowardRobertson, de l’Université de Prince-ton. Avec cet article, Einstein voulaitvenir à bout de la singularité deSchwarzschild. À la fin de son texte, ilécrivait : «Le résultat principal de cetterecherche est la compréhension clairedes raisons pour lesquelles les singula-rités de Schwarzschild n’existent pas dansla réalité physique», formulé en langagemoderne : les trous noirs n’existent pas.

Pour sa démonstration, Einsteinconsidéra un ensemble de petites par-ticules qui se déplacent sur des orbitescirculaires sous l’influence de leursforces de gravitation mutuelles, un peucomme dans un amas sphériqued’étoiles. Puis il se demanda si unetelle configuration pouvait s’effondrersous l’effet de sa propre gravité en une

1926

ico Fermi et Paul Dirac édictent les lois statistiques qui décrivent les particules obéissant au prin-e d’exclusion de Pauli, les fermions (comme les électrons et les protons). Lorsqu’elles sont tropmprimées, ces particules s’éloignent les unes de l'autre ; ce mouvement crée une pression.

1930

En utilisant la physique statistique et le travail d’Ed-dington sur les étoiles, Subrahmanyan Chandra-sekhar déduit que les naines blanches ne peuventavoir une masse supérieure à 1,4 fois la massedu Soleil. Les étoiles plus massives devraient donc

s’effondrer indéfiniment.

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étoile stable de rayon égal à son rayonde Schwarzschild. Il conclut par lanégative, car, à un rayon supérieur, lesétoiles de l’amas auraient dû se dépla-cer plus vite que la lumière, afin demaintenir une configuration stable.Bien que le raisonnement d’Einsteinsoit correct, sa conclusion ne l’est pas :peu importe qu’une étoile devienneinstable quand elle se contracte jus-qu’au rayon de Schwarzschild, carl’étoile continuera de s’effondrer au-delà de ce rayon.

Des neutronsaux trous noirs

Pendant qu’Einstein poursuivait cesrecherches, Robert Oppenheimer et sesétudiants bâtissaient la théoriemoderne des trous noirs (voir RobertOppenheimer et la physique théorique, par

John Rigden,Pour La Science, septembre1995). Si l’histoire des trous noirs estcurieuse, celle de son origine ne l’estpas moins : cette théorie fut inspiréepar une idée qui se révéla complète-ment fausse. En 1932, le physicien

britannique James Chadwick décou-vrit le neutron, le composant neutre du

noyau atomique. Peu après, FritzZwicky, de l’Institut de technologie deCalifornie, et Lev Landau (à Mos-cou), imaginèrent que la présence deneutrons dans les naines blanches four-nirait leur énergie aux naines blanches,alors que ce n’est pas le cas.

Lorsque la force gravitationnelledevient suffisamment forte au sein del’étoile, avançaient-ils, les électronspeuvent interagir avec les protons etformer des neutrons. L’étoile seraitalors entièrement composée de neu-trons. Au moment de ces travaux, lemécanisme qui produisait l’énergieau sein des étoiles ordinaires n’étaitpas connu, et l’on envisageait mêmela présence d’une étoile à neutrons aucœur des étoiles ordinaires, toutcomme on suppose aujourd’hui quedes trous noirs sont à l’origine del’énergie des quasars.

Quel était alors l’équivalent de lamasse de Chandrasekhar pour cesétoiles? Cette question était bien plusdifficile que dans le cas des naines

blanches, car les neutrons interagissentpar la force forte, dont nous ne com-prenons toujours pas toutes les pro-priétés. Si l’étoile est suffisamment

massive, la gravitation finira parvaincre cette force, mais la détermi-nation précise de la masse limitedépend naturellement de la force forte.En 1938, puis en 1939, Oppenheimeret ses étudiants Robert Serber et GeorgeVolkoff publièrent deux articles quiconcluaient que la limite en masse, dansce cas, était comparable à la limite deChandrasekhar pour les naines

blanches.Oppenheimer se posa alors le même

problème qu’Eddington à propos desnaines blanches : que se passerait-il siune étoile de masse supérieure à l’unede ces limites s’effondrait? Oppenhei-mer connaissait peut-être le travaild’Einstein puisqu’ils travaillaient àquelque 5 000 kilomètres de là. Toute-fois ce travail ne répondant pas à la ques-tion d’Oppenheimer qui ne voulaitpas construire une étoile stable de rayon

égal à son rayon de Schwarzschild, maisvoulait voir ce qui se passerait si on lais-sait l’étoile s’effondrer au-delà de sonrayon de Schwarzschild. Il suggéra àSnyder d’étudier le problème.

Oppenheimer conseilla quelqueshypothèses simplificatrices : il proposade négliger la pression du gaz dégé-

1932

J ames Chadwick découvre le neutron.Son existence conduit les astrophysi-ciens à se demander si les «étoiles à neu-trons» ne pourraient être une solution au

problème des naines blanches.

1939

Stimulé par des conversations avec des col-lègues, Einstein publie un article dans lesAnnales des Mathématiques pour montrer unefois pour toutes que le rayon de Schwarzschild

est infranchissable.

1939

Utilisant des idées sur l’effondrement gravi-tationnel des naines blanches et des étoilesà neutrons, Robert Oppenheimer et Hart-land Snyder montrent comment peut se for-

mer un trou noir.

«Sur un système stationnaireà symétrie sphérique composé

de plusieurs masses liées parla gravitation» – Albert Einsteinin Annals o f Mathemat ics ,

1939.

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néré ou la rotation éventuelle de l’étoile.Son intuition lui soufflait que ces hypo-thèses ne changeraient pas fonda-mentalement le résultat : bien plus tard,des physiciens d’une autre génération,armés d’ordinateurs rapides, ont mon-tré qu’il avait raison. Snyder trouvaalors que la vision d’une étoile qui s’ef-fondre dépend de la position de l’ob-servateur de manière spectaculaire.

Deux points de vues

Commençons par un observateur aurepos, à une distance prudente de

l’étoile. Supposons aussi qu’un autreobservateur, à la surface de l’étoile,accompagne son effondrement etenvoie des signaux lumineux à son col-lègue stationnaire. À mesure quel’étoile se contracte, l’observateur sta-tionnaire voit les signaux de son homo-logue mobile qui se décalentprogressivement vers l’extrémité rougedu spectre électromagnétique (par l’ef-fet Doppler, qui fait paraître plus aiguëla sirène d’une ambulance quiapproche que lorsque cette ambulances’éloigne). Comme la fréquence d’unsignal est assimilable au rythme d’une

montre, l’observateur stationnaireverra la montre de l’observateur mobileralentir progressivement.

Lorsque le rayon de l’étoile seraégal à son rayon de Schwarzschild,la montre semblera s’arrêter complè-tement. L’observateur stationnaireaffirmera que l’étoile a mis un tempsinfini pour se contracter jusqu’à sonrayon de Schwarzschild, et il ne pourrapas savoir ce qui se passe après, puis-qu’il n’existera pas d‘après. Du pointde vue de cet observateur, l’effon-drement s’arrête lorsque le rayon del’étoile est égal à son rayon de

A

vant les années 1960, la plupart des spécialistes de la

relativité générale pensaient que le champ gravita-tionnel à l’extérieur d’une concentration sphérique dematière (étoile ou atome) était proche de celui que pré-voyait la théorie de Newton. Ce champ était même siproche de celui prédit par la théorie newtonienne, qu’ilétait difficile de trouver des tests qui permettraient desavoir si la gravitation s’accordait plutôt avec la théoriede Newton ou avec celle d’Einstein.

On pouvait toutefois poser un cas d’école : quel étaitle champ gravitationnel d’une énorme sphère de matièresupposée concentrée en un point afin de bien en étudierle champ gravitationnel? Très près du centre, apparais-sait une limite étrange : le rayon de Schwarzschild (égal

à r = 2GM/c2

, où G est la constante de gravitation, M lamasse de la sphère et c la vitesse de la lumière). Beaucoupde travaux ont alors été consacrés à l’étude des proprié-tés de cette sphère. L’opinion répandue – entre 1915 etles années 1960– était qu’il s’agissait bel et bien d’unesin- gularité qui semblait impénétrable, d’une «sphèremagique», pour reprendre le terme d’Eddington.

Un tel objet stellaire ne pouvait se former ; d’unepart, parce qu’il n’existait pas de matériau assez densepour cela, mais aussi parce que la limite de Schwarzschildétait infranchissable. Ainsi, la singularité de Schwarz-schild ne pouvait-elle pas exister dans la réalité physique,et la question restait un cas d’école. Bref, on avait l’esprittranquille. C’est cette tranquillité d’esprit que menacentles travaux d’Oppenheimer et de ses élèves, mais quedéfend Einstein avec quelque entêtement.

La même question posée par Oppenheimer et Sny-der et par Einstein aura – ainsi qu’y insiste J. Bernstein –deux réponses opposées. L’origine de cette différence sesitue sans doute dans l’opinion d’Einstein, qui croit etveut l’impénétrabilité. Cette croyance se traduit par lechoix d’un modèle particulier pour étudier la possibilitéde l’effondrement d’une étoile : tandis qu’Oppenheimeret Snyder choisissent une symétrie radiale (on accepteque cela tombe!), Einstein assujettit les particules consti-tuant son modèle à suivre des cercles (on est loin de lachute!)... C’est un peu comme si vous tentiez de compri-

mer un ressort non pas normalement mais latéralement,

en essayant d’en réduire le diamètre. Bref, Einstein a faitentrer dans son modèle une contrainte qui le conduit inévi-tablement à sa conclusion.

En fait, plusieurs travaux – qu’Einstein n’a probable-ment pas lus – réalisés dans les années 1930, montrentque la limite de Schwarzschild n’est pas singulière; notam-ment des travaux de Robertson, qu’Einstein remercie dansson article. Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veutpas entendre...

C’est qu’il s’agit d’une question essentielle qui concernela cohérence de la théorie. Einstein est, depuis tou-

jours, opposé à ce qu’une solution physique puisse

exhiber une singularité, car, ainsi qu’il l’écrit quelquesannées plus tôt dans un article déjà consacré à cette ques-tion, «une singularité apporte tant d’arbitraire à la théo-rie qu’elle en invalide les lois.» Si une singularité existeen un point, la physique en ce point de l’espace-tempsn’est plus déterminée ; mais, dans la mesure où la phy-sique de la relativité générale modèle l’espace-temps lui-même, une singularité représente une discontinuité del’espace.

On comprendra mieux les difficultés d’Einstein si l’onsait que le vaste problème des singularités en relativitégénérale n’est toujours pas bien résolu, même si, dansles années 1960, l’on a répondu à la question précise surlaquelle Einstein a achoppé.

Toutefois, en 1939, il n’était pas question de trousnoirs ni pour Einstein ni pour quiconque. Pour desraisons qui tiennent à la conception que l‘on avaitalors de la relativité générale, ces objets étranges n’ontpu être imaginés avant les années 1960 ; ils ne serontacceptés que plus tard, et leur existence (astrophysique)n’est pas encore claire. Étrangement, les «corps obs-curs», des objets proches des trous noirs par plusieursaspects, ont été imaginés assez facilement dès le XVIIIe

siècle dans le cadre de la théorie de la gravitation deNewton.

Jean EISENSTAEDT,Laboratoire gravitation et cosmologie relativistes, Paris

Le s e r r e u r s d ’Ei n s t e i n

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Schwarzschild : l’étoile est «gelée»dans l’état de Schwarzschild.

Jusqu’à ce que le physicien JohnWheeler invente le nom «trou noir»lors d’un cours en décembre 1967, cesobjets étaient souvent surnommés desétoiles gelées. Comme Oppenheimeret Snyder l’observèrent dans leurarticle, l’étoile qui s’effondre «tend àse fermer à toute communication avecun observateur distant ; seul persisteson champ gravitationnel». Autrementdit, un trou noir s’est formé.

Que voit, d’autre part, l’observa-teur rivé à l’étoile qui se contracte?Pour lui, le rayon de Schwarzschild n’apas de signification spéciale. Il le tra-verse et, en l’espace de quelques heuresà sa montre, il atteindra le centre.Cependant, quelques temps après cettetraversée, il subira des forces de maréesconsidérables qui le mettront en pièces.

En 1939, le monde était lui-mêmesur le point d’être mis en pièces. Oppen-heimer partit bientôt construire l’armela plus destructive jamais conçue parl’homme, et il ne retravailla jamais plussur les trous noirs. À ma connaissance,Einstein non plus. En 1947, la paix reve-nue, Oppenheimer devint directeur del’Institut des études avancées de Prin-ceton, où Einstein était encore profes-seur. Parfois ils discutaient, mais rienn’indique qu’ils aient parlé de trousnoirs. Les progrès devront attendre les

années 1960, où la découverte des qua-sars, des pulsars et des sources com-pactes de rayons X ravivèrent laréflexion sur le destin mystérieux desétoiles.

Jeremy BERNSTEIN est professeur dephysique à l’Institut de technologieStevens.

A. PAIS, Albert Einstein : la vie et l’œuvre,InterÉditions, 1993.K. WALI , Chandra : A Biography of

S. Chandrasekhar, University of Chi-cago Press, 1991. J.-P. LUMINET, Les trous noirs, Seuil,1992. J. EISENSTAEDT, Trajectoires et impassesde la solution de Schwarzschild, in Archive for History of Exact Sciences, vol. 37,p. 275; 1987. J. EISENSTAEDT, La préhistoire des trousnoirs, Pour la Science, février 1990.K. SUGIMOTO, Albert Einstein, biogra- phie illustrée, Belin, 1990. J. SCHWINGER, L’héritage d’Einstein,Belin, 1988.

ONDES ET ONDELETTESB. Burke Hubbard

L’élaboration des ondelettesest une saga moderne.

Fourier a inventé la décompositiond’un signal en éléments simples ;

pour les besoins de l’analysedu signal, physiciens et mathématiciensont inventé une nouvelle décomposition

en ondelettes. Celle-ci est utiledans de nombreuses applications

et ses richessesne sont pas toutes exploitées.

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elle retrace avec simplicité et chaleurcomment les scientifiques pensent

et hésitent avant que n’éclose une idée,et comment ils coopèrent.

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SCIENCES

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PRIX D’ALEMBERT 1996

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L

e 12 octobre 1994, après 1 468 joursde forage qui ont amené les tré-pans à une profondeur de 9 101

mètres, où la température attei-gnait 275 °C, les géologues allemandsparticipant au programme KTB ontcessé leurs activités. Après trois expé-riences, la phase opérationnelle a cessé,conformément aux prévisions, le 31décembre 1994.

L’idée d’une exploration de lacroûte terrestre par un forage à grandeprofondeur avait été proposée dès 1977,lors de la session de printemps de laSociété allemande de recherche : mal-gré les progrès considérables de l’ex-

ploration profonde, de la pétrochimieet de la géochimie, seule l’étude directedu sous-sol permettrait, espérait-on,d’interpréter sans ambiguïté les imagessismiques, électriques et magnétiquesdu sous-sol.

Comme on prévoyait des modifi-cations notables des propriétés méca-niques des roches et une accélérationdes réactions chimiques aux profon-deurs où la température est supérieureà 250 °C, on décida de forer jusqu’àune profondeur d’environ dix kilo-mètres. En 1986, on choisit le site duforage : Windischeschenbach, dans leHaut-Palatinat, 40 kilomètres à l’Estde Bayreuth.

Les raisons de ce choix étaient nom- breuses. Tout d’abord, cette localité estsituée dans la zone de collision de deuxgrands blocs constitutifs des montsvarisques (voir la figure 2), qui se sontformés il y a 400 à 500 millions d’an-nées (ces monts tirent leur nom de lapeuplade germanique des Varisques,qui vivait dans la région). La géologielocale se caractérise par des complexes

rocheux de diverses origines et qui ont

subi des transformations métamor-phiques variées (le métamorphisme estl’ensemble des modifications minéra-

logiques qui se produisent à tempé-rature et à pression élevées, dans lesprofondeurs de l’écorce terrestre).

D’autre part, les géophysiciensavaient établi, pour la région de Win-discheschenbach, un modèle géolo-gique qui pouvait être testé par unforage à grande profondeur. Des son-dages géophysiques avaient montréque des structures géologiques quiréfléchissent les ondes sismiquesétaient présentes à une profondeuraccessible, et qu’un plan de bonne

conduction électrique se trouvait à uneprofondeur de 9 à 11 kilomètres sousla surface du sol. Enfin, la proximitédu fossé de l’Eger, d’âge géologiquerécent, promettait l’élucidation d’in-téressantes anomalies thermiques etgéochimiques du sous-sol.

Le double forage

Les conditions qui règnent dans lesgrandes profondeurs étant malconnues, un forage pilote fut décidé :ayant une idée du sous-sol, on pour-rait ensuite mettre au point des équi-pements et des instruments d’analysequi tireraient pleinement parti duforage à très grande profondeur. Enoutre, on pourrait tester les modèlesgéophysiques de cette partie du sous-sol, tout en facilitant le début du foragefinal, les prélèvements d’échantillonsétant déjà effectués. Enfin les foreursvoulaient accumuler des renseigne-ments sur les paramètres litho-struc-turaux (types de roches, alternance descouches plissées, angle d’incidence des

couches, etc.), sur la forabilité du

massif et sur la stabilité du trou deforage. Ils voulaient notamment savoirs’il existait des horizons d’apport,

par lesquels des liquides provenant dumassif pénétreraient dans le trou deforage, ou des zones de perte, qui absor-

beraient les boues de forage.Le préforage commença le 22 sep-

tembre 1987. Après 560 jours de forage,la technique de carottage à câble spéci-fiquement mise au point pour ce projetatteignit une profondeur de 4 000 mètres.Pendant un an, les géologues examinè-rent le trou de forage à l’aide de sondesvariées ; la structure géologique du sous-sol fut explorée par l’expérience géo-

physique ISO 89, qui comprenait unsondage sismique tridimensionnel surune surface de 18 × 19 kilomètres, avecle trou de forage au centre.

Le préforage montra ainsi que lescouches de roches plongeaient demanière abrupte jusqu’à la profondeurfinale atteinte. L’augmentation de latempérature, beaucoup plus rapide queprévu, conduisit à penser qu’on devraitlimiter la profondeur du puits princi-pal à dix kilomètres au lieu des 12prévus initialement.

Le forage vertical

Entre avril 1989 et octobre 1990, les géo-logues installèrent le matériel du forageprincipal (voir la figure 1). La tour deforage, haute de 83 mètres, fut équipéed’un système de manutention semi-automatique des tiges de forage, com-posé d’un système de manutention,de dispositifs de transport et de bas-culement des tiges, de systèmeshydrauliques de vissage des tiges, d’unélévateur et d’un système intégré de

cales de blocage automatique. C’était

Neuf kilomètres

sous l’AllemagneROLF EM M ERMANN

En Allemagne, les géologues ont foré à neuf kilomètres de profondeur,

afin de comprendre la formation et l’évolution du continent européen.

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1. LES INSTALLATIONS du f orage princ ipal KTB, près de Windisches-chenbach, en Allemagne. Dans le grand bâtiment situé à droit e de latour de forage se trouve la stat ion de traitement des f luides deforage. En bas à droite, les cont eneurs bleus et blanc s protègent lesinstallat ions de mesure, tel un tr euil fixe équipé d’un câble d’une lon-

gueur de dix kilomèt res, au bout duquel des sondes de mesures sont

régulièrement descendues dans le puits. Le bâtiment central, sit ué àgauche à l’ arrière-plan, abrite les bureaux, ainsi que le laboratoire prin-cipal où les échantillons de roches sont répertoriés, décrits et ana-lysés dès leur remontée à la surface. Dans les bât iments préfabriquéssur la gauche sont abritées les équipes de forage, ainsi que les ins-

tallations d’approvisionnement.

la première fois qu’un tel système étaitmis en œuvre dans l’histoire du forage.Grâce à l’utilisation de trains de tigesde 40 mètres de long (au lieu des 27mètres classiques), le temps de rem-placement des outils de forage usés a

été raccourci de près de 30 pour centau cours de chacun des 500 remplace-ments effectués (voir la figure 3).

Le système de relevage des tigesétait installé dans un logement spécial,à la base de la tour de forage, et il était

télécommandé à partir de la salle decommande. Trois moteurs actionnaientle tambour de relevage, sur lequel s’en-roulait le câble de relevage des tiges ;lors de la descente du train de tiges, cesmêmes moteurs fonctionnaient comme

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2. ORGANISATION GÉOLOGIQUE des environs de Windischeschenbach. Sur la carte en hautà droite, on voit que le site du forage KTB est à la limite de deux gros blocs continentaux :le bloc saxothuringien et le bloc moldodanubien. Il y a 300 à 400 millions d’années, cesblocs sont ent rés en collision et se sont soudés, alors que s’érigeaient les monts varisques.Windischeschenbach est dans la partie Nord de la zone Erbendorf Vohenstrauss ( ZEV), uncomplexe géologique à l’Ouest du massif bohémien, où le socle affleure. La ZEV est délimi-tée, à l’Ouest, par des sédiments relativement récents, qui correspondent au grand sys-

tème de perturbation de la faille franconienne.

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générateurs d’électricité en freinant letambour. Le système de relevage et lesystème de manutention des trains detiges étaient coordonnés par un sys-tème informatique, ce qui évitait lesfausses manœuvres.

Les concepteurs des systèmesavaient envisagé des sollicitationsconsidérables, mais leurs prévisionsont été dépassées. Pourtant l’installa-tion a parfaitement fonctionné, avecun temps total de réparation et de main-tenance inférieur à quatre pour cent.

Les boues de forage étaient injec-tées sous une pression de 350 atmo-sphères. Une installation depréparation, composée de tamisvibrants, de pièges à sable, de sépara-teurs de gaz, de séparateurs de parti-cules, éliminait les résidus de broyageet les gaz dissous.

Généralement les forages dévientde la verticale, car le trépan suit les for-mations rocheuses ou part dans ladirection de moindre résistance de laroche. Ces déviations augmentent lesfrottements entre les tiges de forage etles parois du puits de forage. Aussile forage principal a été équipé d’unsystème de contrôle de la verticalité(voir la figure 4), composé d’un châs-sis stationnaire, de capteurs d’incli-naison, d’un système électronique decommande et de vannes magnétiques,qui activaient quatre barres de gui-dage latéral. Un moteur à refoulement,actionné par la circulation des bouesde forage, était situé directement au-dessus du trépan, auquel il était reliépar un arbre. Les mesures de l’incli-naison du trou de forage, de la tem-pérature, de l’état de charge de la

batterie et de la pression étaient trans-mises par l’intermédiaire de variationsde pression dans les boues de forage.Au total, la verticalité est restée quasiparfaite sur une profondeur de plusde 7 500 mètres, limite au-delà delaquelle les températures excessivesne permirent plus la mise en œuvre dusystème.

Afin de stabiliser le trou de forageet d’éviter les chutes de roches à par-tir des niveaux supérieurs, un che-misage était placé chaque fois que3 000 mètres avaient été percés. La ver-ticalité parfaite du trou de forage per-mit de réduire à 15 millimètres le jeuentre le tubage et la paroi (dans lesforages classiques, l’espace supérieurqui est ménagé engendre un volumede déblais à évacuer supérieur de 50pour cent).

En avril 1993, pour la première fois

dans l’histoire du forage, on a chemiséle trou jusqu’à une profondeur de 6000mètres : il fallut descendre et visser 469tubes d’un diamètre de 34 et 34,6 cen-timètres dans le trou de forage d’undiamètre égal à 37,5 centimètres. Lepoids total du chemisage atteignait 706tonnes. La vitesse d’assemblage futréduite de 20 à 5 centimètres parseconde, afin d’éviter des pressionslocalisées trop importantes sur lesparois du puits, en raison de l’étroi-tesse de l’espace entre la paroi et le

chemisage, réduite à 15 millimètres.Grâce à l’extrême verticalité du puits,une profondeur de chemisage de6 013,5 mètres a été atteinte en cinq

jours seulement.Au cours du forage, le laboratoire

analysait les roches et les boues. Lesrésultats des analyses étaient compa-rés à ceux donnés par des sondes quidéterminent les propriétés de l’écorceterrestre traversée par le forage.

Structure et évolutionde l’écorce terrestre

Windischeschenbach est au Nord dela zone Erbendorf Vohenstrauss (ZEV),un ensemble géologique situé à l’Ouestdu Massif bohémien, et à l’Est la faillede Franconie. En surface, les rochessont essentiellement des métabasalteset des paragneiss, qui se sont consti-tués par métamorphisme de roches ini-tialement basaltiques ou sédimentaires.Les études préliminaires semblaientindiquer que la ZEV était le reste d’uncomplexe de couverture qui s’étendait

au-dessus de la zone de suture entre

B L O C R H

É N O H E

RC YN I E N

B L O C S A X O T

H U R I N G

I E N

KTB

B L O C M

O L D O D

A N U B

I E N

500KILOMÈTRES

A L P E S

CA R PA

T E S

P Y R É N É E S

FLOSSENBÜRG

WINDISCHESCHENBACH

KTBERBENDORF

F A I L L E

F R A N C O

N I E N N E

WEIDEN

WALDTHURN

VOHENSTRAUSS

0 5

KILOMÈTRES

ROCHES VOLCANIQUESTERTIAIRES

SÉDIMENTSPOSTVARISQUES

GRANITESVARISQUES

BLOC SAXOTHURINGIEN

ZONE ERBENDORFVOHENSTRAUSS (ZEV)

ROCHES DE LA BASEDE LA ZEV

ZONE D’ARDOISE VERTED’ERBENDORF

BLOC MOLDODANUBIEN

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deux énormes blocs continentaux (le bloc saxothuringien et le bloc moldo-danubien) qui sont entrés en collisionet se sont soudés à l’époque de la for-mation du massif varisque. Aussi nousattendions-nous à détecter, une fois tra-versé le complexe de couverture, lasuture cachée, d’une hauteur de troisà cinq kilomètres.

Cette attente fut déçue : le forageprincipal traversa des structures detype ZEV sur toute sa profondeur. Enrevanche, nous avons découvert queles couches rocheuses ont été frag-mentées et cisaillées à un point qu’onn’aurait jamais imaginé, car Windi-scheschenbach est au milieu d’uneplaque tectonique que l’on croyaitrigide et stabilisée.

L’écorce terrestre traversée est unealternance des trois mêmes types deroches qui dominent en surface : les

paragneiss, les métabasaltes et desalternances de gneiss et d’amphibolite(voir la figure 6). Ces couches rocheusesplongent vers le Sud-Ouest avec unangle compris entre 50 et 70 degrés,et la succession des couches ne sembleni s’inverser ni présenter de répétitionsde profil dues à des plissements.

La zone de faille la plus impor-tante se trouve entre 6860 et 7 260 mètresde profondeur. Elle est constituée d’unfaisceau de zones de cisaillement, où lesroches sont fortement ébranlées. Vrai-

semblablement le forage a traversé àce niveau le prolongement en profon-deur du grand système de perturba-tion qui est visible en surface sous laforme de la faille de Franconie.

Les gneiss se forment à partir degrès gris friables, riches en feldspath,qui se sont déposés sous la forme decouches alternées dont l’épaisseur estcomprise entre quelques millimètreset plusieurs mètres. Ces gneiss ont engrande partie conservé la compositionisotopique des roches sédimentairesdont ils proviennent. Il s’agit vrai-semblablement de turbidite, un sédi-ment de granulométrie très fine, déposépar des cours d’eaux troubles et quiaurait glissé du plateau continentalvers le fond de la mer.

Inversement la composition desmétabasaltes laisse penser qu’ilsétaient vraisemblablement d’anciensfonds marins de petits bassins océa-niques du type de celui de la merRouge. Enfin les alternances de gneisset d’amphibolite sont des mélanges deroches d’origine volcanique ou

boueuse comportant des carbonates

(tels que des veines de marbre) : on

suppose qu’elles se sont formées à par-tir de dépôts sédimentaires dans unemer peu profonde, située dans unezone d’activité tectonique.

Toutes ces roches ont subi des trans-formations minéralogiques sous despressions de 6 000 à 8000 atmosphèreset à des températures de 650 à 700 °C.Ce métamorphisme résulte de trans-formations complexes : après leur sédi-mentation sur le plateau océanique quiémergea lors de la collision avec le conti-nent voisin, les roches glissèrent sousle bord de ce dernier au cours d’unesubduction telle celle qui se produitaujourd’hui au large de la côte Ouestde l’Amérique du Sud ou de la côteEst de l’Asie. Les couches sédimentairesse retrouvèrent ainsi dans des régionsprofondes de l’écorce terrestre, où ellesfurent soumises à des pressions et à destempératures élevées.

Ce métamorphisme se produisit ily a environ 410 à 380 millions d’années,mais les premières transformationsminéralogiques, principalement sousl’effet de la pression, semblent dater

de 480 millions d’années, pendant l’Or-

dovicien. Cette hypothèse concordeavec les derniers résultats géochrono-logiques, qui indiquent que des sédi-ments s’étaient déjà déposés à cetteépoque.

Pourquoi les pollens fossiles retrou-vés dans ces roches proviennent-ils duDévonien inférieur (environ 390 mil-lions d’années)? Probablement parcequ’il y a 380 millions d’années, lesroches ayant subi la subduction furentde nouveau soulevées. Ce processusa dû être rapide, car les données dis-ponibles indiquent que la températureambiante n’atteignait plus que 300 °C,il y a 370 millions d’années. Quand laZEV est-elle arrivée dans sa positionactuelle? On l’ignore encore, mais onsait que cette zone a été peu modifiéepar le métamorphisme de la défor-mation varisque, qui s’est déroulé àpression faible et à température élevée,

il y a 330 à 320 millions d’années.Lorsque le massif varisque s’est

formé, la ZEV a été épaissie par com-pression et refoulement, notammentlors du plissement alpin, qui a com-mencé il y a 100 millions d’années eta atteint son point culminant il y a 40millions d’années. Une telle conclu-sion découle d’observations indé-pendantes qui montrent que, dans lazone du forage principal, les pro-priétés des roches traversées changentpeu jusqu’à une profondeur d’envi-

ron 7 500 mètres ; les effets de la tem-pérature croissante ne deviennentvisibles qu’au-delà. La faille franco-nienne, profonde de neuf à dix kilo-mètres, a probablement formé unerampe de glissement le long delaquelle la ZEV s’est trouvée repous-sée vers le haut.

Ainsi les résultats des forages pro-fonds, combinés aux recherches surles zones avoisinantes, apportentdes renseignement précieux sur lagenèse et l’évolution de l’écorcevarisque mésoeuropéenne. Notam-ment on a obtenu des informationssur les interactions de la zone Erben-dorf Vohenstrauss, du bloc saxothu-ringien, du bloc moldodanubien et duquatrième bloc présent dans la région,le bloc bohémien. Ces massifs rocheuxindépendants ou erratiques se seraientégarés sur le bouclier continental euro-péen. Le bloc bohémien aurait glissésous le bloc moldodanubien, et la ZEVcorrespondrait à une partie repous-sée du bloc bohémien ou à un com-plexe de suture entre lui et le bloc

saxothuringien.

3. LE PROGRAMME KTB a suscité la mise

au point de t echniques nouvelles qui ont ét éreprises par les industries pétrolières. Ainsile système de manutent ion automat iquedes tiges (en jaune) comporte des bras à com-mande hydraulique qui saisissent les sec tionsde 40 mètres de t iges de forage v isséesensemble et les déposent dans la t our deforage, au niveau de la plate-forme digit ée( en haut à d ro i te ) . C e t t e i n s t a l l a t i o n aréduit de près de 30 pour cent la durée desopérations de démont age et de réassemblagedes trains de t iges, lors de l ’échange destrépans de forage usés.

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Les fluides

Le programme KTB a également donnéune foule de renseignements nou-veaux sur les profondeurs jus-qu’auxquelles on trouve des fluides(liquides et gaz), sur la mobilité de cesfluides et sur leur rôle dans l’évolu-tion de la vie. Malgré leurs méta-morphismes différents, les roches desdivers types détectés ont conservé desrapports isotopiques du soufre et del’oxygène égaux à ceux des rochesd’origine : autrement dit, les phéno-mènes métamorphiques se sont essen-tiellement déroulés dans des systèmescompartimentés, sans imbibitionsmassives de fluides.

Ces fluides sont en partie inclus,à des concentrations infimes (del’ordre du millionième de milli-gramme par gramme), dans les miné-

raux qui constituent les rochestraversées par le forage. Les inclusionsfluides les plus fréquemment ren-contrées sont des solutions de chlo-rure de calcium (souvent mélangéesà des chlorures de sodium et de potas-sium), qui dateraient de 65 millionsd’années.

Beaucoup plus rarement, et uni-quement dans certaines couches, onrencontre des solutions peu concen-trées de chlorures de sodium et depotassium, qui proviennent vrai-

semblablement du granite de Fal-kenberg et qui auraient été inclusestardivement.

Dans des zones bien délimitées, etavec une fréquence qui augmentenettement avec la profondeur, certainesinclusions gazeuses contiennent dudioxyde de carbone, du méthane etde l’azote en concentrations variables.On ignore encore si ces gaz sont appa-rus lors du métamorphisme sous pres-sion moyenne, mais les zones les plusintéressantes sont celles où les com-posés carbonés dominent et où l’ontrouve souvent du graphite.

Celui-ci est souvent associé au sul-fure de fer et à la chlorite dans leszones fortement perturbées. L’enri-chissement local en graphite est par-fois si spectaculaire, dans des zonesde cisaillement épaisses de quelquesmillimètres à peine, que des veines deconduction électrique apparaissent.Tout porte à penser que le graphites’est déposé là à la suite d’une réac-tion entre le méthane et le dioxydede carbone. Une telle transformation

a été vraisemblablement amorcée et

favorisée par les frottements, lors ducisaillement des roches. Dans cettehypothèse, des veines conductrices degraphite devraient être interconnec-tées dans les régions de forte activitétectonique.

L’association et la combinaison par-fois complexes du graphite avec lessulfures de fer que sont la pyrite et lapyrrhotine, ainsi qu’avec la chlorite,révèlent que ces minéraux se sont vrai-semblablement formés à partir de solu-tions hydrothermales (solutionsaqueuses chaudes et sous haute pres-sion). De telles minéralisations ont éga-lement été rencontrées lors du forageeffectué jusqu’à une profondeur de12 800 mètres sur la presqu’île russede Kola (voir Le forage le plus profonddu monde, par Ye Kozlovsky, Pour laScience, février 1985). Elles semblentêtre caractéristiques de massifs ter-

restres continentaux.En fin de forage, on a extrait

quelque 460 mètres cubes de la sau-mure la plus concentrée. Celle-ci pro-vient-elle d’évaporites (roches salines)qui ont cristallisé au Permien, lors del’évaporation de bassins marins isolés,ou a-t-elle migré vers la région duKTB il y a 290 à 250 millions d’annéesà partir de bassins sédimentaires, lelong de structures tectoniques pro-fondes? Ou bien encore a-t-elle été libé-rée dès la phase de subduction

prévarisque, il y a environ 400 millionsd’années, pour gagner progressive-ment son niveau actuel, lors du sou-lèvement prévarisque et postvarisquede la ZEV?

Nous espérons répondre à cesquestions en analysant les fluidesrecueillis après l’achèvement duforage principal. Une expérience aconsisté à abaisser le niveau de l’eaudans le trou de forage, afin de créerune dépression par rapport à la rocheenvironnante. Les eaux profondes quise déversaient dans le trou de forageont fait remonter le niveau, ce qui aréduit la différence de pression (voirla figure 7). La vitesse de remontéedu niveau était de 4,3 mètres par 12heures, la saumure provenant de lazone située entre 9 030 et 9 101 mètresde profondeur (le reste du trou deforage était étanche, en raison de sonchemisage cimenté).

Après cette entrée de fluide, on afermé la partie supérieure du trou deforage et on a mesuré l’augmenta-tion de la pression; elle révélera la per-

méabilité et la capacité de stockage du

4. CE SYSTÈME DE CONTRÔLE de la ver t i-cal i té a ét é spécialement mis au point pourle projet KTB . En l’absence de guidage, letrépan est dévié par les roches, de sorteque le trou de forage serpente dans le sous-sol . Cet te mauvaise ver t ica l i té du forageprovoque des frottements notables de lat ige de forage contre les parois du puits etengendre des contraintes considérables surtout le train de t iges. Dans le système decontrôle de la vert ical i t é qui a été mis enœuvre à Windischeschenbach, un capteurvéri fie en permanence toute déviat ion et ,lors du dépassement d’une valeur limite, ilact ive une unité de réglage consti t uée dequatre pistons à entraînement électroma-gné t ique , re l i és chac un à une bar re deguidage située direct ement au-dessus dutrépan. En forage normal, les barres sontsor t ies et maint iennent a ins i le t ra in detiges au milieu du trou de forage. Lorsquele capteur envoie une impulsion, on rétract eune barre, af in que le train de t iges bas-

cule vers la barre rétract ée.

GÉNÉRATEURD’IMPULSIONS

CAPTEURSD’INCLINAISON

ÉLECTRONIQUEET BATTERIES

GÉNÉRATEUR

SOUPAPES DE

COMMANDE

MOTEUR DE FOND

BARRES DEGUIDAGE

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massif rocheux. On sait déjà que lesroches situées au fond du puits sont

beaucoup plus perméables qu’on nele prévoyait d’après les expériences delaboratoire. Malgré les contraintesconsidérables qui s’exercent en pro-fondeur, des fluides s’écoulent dansles roches.

La sismologiede l’écorce terrestre

Le forage de Windischeschenbachavait été entrepris parce que l’on vou-lait comprendre l’origine des nom-

breux réflecteurs sismiques que l’onrencontre dans toutes les zones desmassifs continentaux. On a notam-ment étudié la zone de croisementde deux profils sismiques qui avaientrévélé l’existence de réflecteurs sis-miques à une profondeur accessible

(voir la figure 5).Les explorations préparatoires

avaient mis en évidence deux groupesessentiels de réflecteurs : des réflec-teurs plans, plongeant jusqu’à desprofondeurs de plus de dix kilo-mètres, et des réflecteurs quasi hori-zontaux, plus grands et situés à desprofondeurs comprises entre 8,5 et 12kilomètres.

Ces derniers délimitaient des zonesde réflectivité sismique intense, souslesquelles devait se trouver un corps

où les ondes sonores se propagent àplus de sept kilomètres par seconde.Le bord supérieur de ce «corps d’Er-

bendorf» est, dans la zone du forageprincipal, à une profondeur de 11 kilo-mètres.

Les réflecteurs inclinés pouvaientêtre directement reliés à des zonesde perturbation détectables en sur-face ; aussi avait-on supposé qu’ilsétaient des prolongements de ces per-turbations. Le réflecteur le plusintense, qui plonge selon un angle de55 degrés vers le Nord-Est, semble cor-respondre, en surface, à la zone de per-turbation d’Altensteinparken de lafaille franconienne. On avait calculéque le forage principal l’atteindrait àune profondeur comprise entre 6 600et 7 100 mètres et, effectivement, leforage traversa, entre 6 860 et 7 260mètres, un puissant faisceau de per-turbations.

Au total, la comparaison des étudessismiques et du forage montre queles réflecteurs sismiques fortementinclinés révèlent surtout le dessin des

fractures de l’écorce terrestre.

5. LES ENVIRONS DU SITE DE FORAGE ont été analysés par des techniques sismiques. L’undes objectifs primordiaux du projet KTB était d’étalonner ces techniques dans un massifcrist allin, c’est -à-dire d’identi fier les struct ures géologiques du sous-sol qui réfléchissent pré-férentiellem ent les signaux sismiques. On a représenté sur cett e figure deux profils sismiquesorientés du Nord-Est au Sud-Ouest. Le profil supérieur a été obtenu par une technique nou-velle. La struc ture la plus spectaculaire, à proximit é du forage, est la faille franconienne,qui plonge vers le Nord-Est et qui a été traversée entre 6 860 et 7 260 mètres de profon-deur. Tout près du fond du puits de forage se trouve le corps dit d’Erbendorf, un massif deroches à fort pouvoir réfléchissant, où les ondes sonores se propagent rapidement. Les mêmesstructures se retrouvent sur le profil inférieur, qui a été obtenu par la méthode classique.Sur ce profil, on reconnaît de nombreux autres réflecteurs supplémentaires (ceux qui figu- rent en rouge sont les plus intenses) . Ainsi la méthode de réflexions sismique sous angleélevé indique, dans les roches cristallines, les profils de faille de l’écorce terrestre plutôt

que les frontières entre diverses unités rocheuses et formations géologiques.

Géoélectricitéet magnétisme

Au cours des 20 dernières années, dessondages électromagnétiques profondsont mis en évidence des horizons de

conductivité élevée au sein de l’écorceterrestre. Cette propriété a été attribuéeà l’existence de veines liquides char-gées en sels, ou à des réseaux de dépôtsde graphite et de diverses combinai-sons de celui-ci avec des minerais métal-

SUD-OUEST

SUD-OUEST

FAILLEFRANCONIENNE

FAILLEFRANCONIENNE

KTB

KTB

NORD-EST

NORD-EST

SÉDIMENTSMÉSOZOÏQUES

COMPLEXEZEV

MICASCHISTESGRANITE

CORPS D’ERBENDORF

P R O F O N D E U R

( E N K I L O M È T R E S )

P R O F O N D E U R ( E N

K I L O M È T R E S )

0

0

0

0

5

5

10

10

15

15 20 25

5

10

10

15

20

20

25

30

30 40

DISTANCE (EN KILOMÈTRES)

DISTANCE (EN KILOMÈTRES)

R É F L E X I V I T É

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liques. Les recherches systématiquesréalisées dans le cadre du grand pro-

jet européen Geotraverse ont démontréla présence fréquente d’horizons deconductivité élevée au sein de l’écorceméso-européenne varisque. Leur exis-tence a été établie au cours de sondagespréparatoires pour le choix du site deforage, tant en Forêt-Noire que dansle Haut-Palatinat. Au voisinage de Win-discheschenbach, à une profondeurd’environ dix kilomètres, un conduc-teur électrique se prolonge loin au Nord.

D’après les mesures électromagné-tiques, il est quasi parallèle à la faillefranconienne.

Afin d’explorer cet horizon, les géo-physiciens ont effectué, pour la pre-mière fois au monde, une expériencedite dipôle-dipôle (voir la figure 7) : ilsenvoyaient des impulsions électriquesà partir de dipôles électriques situés àdes distances allant jusqu’à 60 kilo-mètres du puits de forage et ils enre-gistraient les courants entrants à l’aidede sondes disposées dans la partie la

plus profonde et non chemisée dupréforage et du forage principal, ainsiqu’en une trentaine d’autres emplace-ments de surface. Les résultats de cetteexpérience sont en cours d’analyse.

Des sondages électromagnétiqueseffectués dans les environs du site deforage, avant et après le forage, ontégalement retrouvé les horizons conduc-teurs proches de la surface. Ils ont mon-tré que le trou de forage se trouve situéprès d’une anomalie du potentiel élec-trique qui court du Nord-Ouest au Sud-Est : apparemment le sous-sol contientdes zones à des potentiels différents,reliées par des conducteurs, tel le réseaude couches de graphite. Autrementdit, la tour de forage se trouve sur unesorte de pile électrique géologique.

Le programme KTB a également beaucoup apporté à la compréhensiondes sondages magnétiques. De manière

surprenante, c’est le sulfure de fer sousla forme de pyrrhotine qui constitue leporteur principal du magnétisme, tantdans les gneiss que dans les métaba-saltes ; les gisements de magnétite sont

beaucoup plus rares et ne sont res-ponsables du magnétisme que demanière très localisée – par exemple,dans les amphibolites qui conduisentà la formation de marbre. Les concen-trations en pyrrhotine, généralementinférieures à un pour cent en volume,augmentent localement– par exemple,

dans les zones les plus pertur- bées – pour atteindre dix pour cent.Comme nous l’avons vu, ce mineraiest alors fréquemment associé à de lapyrite et autres minerais à base desulfures, et souvent accompagné deveines de graphite et de chlorite.

La pyrrhotine naturelle est ferro-magnétique, avec une températurede Curie (la température à partir delaquelle l’aimantation s’annule) d’en-viron 315°C. Aux températures un peuinférieures, l’aimantabilité de tels miné-raux augmente généralement demanière très forte. Au fond du puitsde forage, où règne une températurede 275 degrés, un tel phénomènedevrait déjà se révéler par un effetimportant sur le champ magnétiqueterrestre, ce qui ouvre une possibilitéd’observer directement son influenceau niveau de l’écorce terrestre.

Géothermie et mécanique

Le préforage avait déjà révélé quel’échauffement de 21 °C par kilomètre

ne se poursuivait que jusqu’à une pro-

6. CE PROFIL orienté du Sud-Ouest au Nord-Est et passant par le t rou de forage a ét é const ruità partir des données du forage principal KTB et des sondages sismiques. Avant l’ exécutiondu sondage profond, on c onsidérait que la zone Erbendorf Vohenstrauss ( ZEV) était le rested’un complexe de couverture épais de quatre kilomèt res, recouvrant la sut ure entre le blocsaxothuringien et le bloc moldodanubien. On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’une formationgéologique beaucoup plus profonde, qui s’est formée bien avant le plissement varisque, aucours duquel le bloc saxot huringien et le bloc moldodanubien se sont heurt és et soudés.Elle est essentiellement constit uée de paragneiss, de métabasaltes, et de couches alt er-nées de gneiss et d’amphibolite ; les roches qui ont engendré la zone se sont déposées ily a 490 millions d’années dans un bassin marin peu profond. Plus tard, ce fond marin aglissé sous le bord du continent voisin, où, dans les profondeurs de l’écorce terrestre, ellesont ét é t ransformées sous des pressions et des températures élevées (métamorphisme). Ily a 380 millions d’années, soulevées par l’intrusion du socle granitique, elles fusionnèrentavec les formations montagneuses voisines, avant de subir deux phases de compression,

dont la dernière remonte à 70 millions d’années, sous l’influence du plissement alpin.

KTBSUD-OUEST NORD-EST

F A I L L

E F R A N C O N I E N N E

P R O F O

N D E U R

( E N K I L O M È T R E S )

1

2

3

4

5

6

7

8

9

Z

O N E E R B E N D O R F V O H E N S T R A U S S

PARAGNEISS

COUCHES ALTERNÉES DEGNEISS ET DE MÉTABASALTE

AMPHIBOLITEAMPHIBOLITE-MÉTAGABBRO

ORTHOGNEISS

NON IDENTIFIÉ

CRÉTACÉSUPÉRIEUR

TRIAS

PERMO-CARBONIFÈRE

GRANITIQUE

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fondeur de 1 000 mètres environ. Cegradient augmente au cours des 500mètres suivants et oscille alors autourd’une valeur de 28 degrés par kilomètre.

Cette observation pose toute unesérie de questions encore ouvertes.Pour l’instant, les mesures de tempé-rature, dans le forage principal, sont

trop rares et trop imprécises, car lesopérations de percement ont perturbéla température de la roche environ-nante. Leur retour à l’équilibre ther-mique prendra un temps de l’ordrede celui de la durée du percement.

Enfin l’un des buts principauxdu programme KTB était d’analyserle comportement mécanique del’écorce terrestre. Les connaissancesdans ce domaine sont fondamentales,car elles expliqueront la tectoniquedes plaques continentales internes, laformation des chaînes montagneuses,la création de bassins sédimentaires,ainsi que les causes et les mécanismesdes séismes.

Notre connaissance actuelle despropriétés de l’écorce terrestre est fon-dée sur des expériences de laboratoirequi ont montré que la résistance de lapartie supérieure de l’écorce terrestredépendrait de la résistance au frotte-ment sur des «surfaces de rupture» ;les contraintes maximales augmente-raient proportionnellement à la pro-fondeur. D’autre part, des expériences

menées à haute température et à faible

vitesse de déformation ont montré quela plasticité des roches augmenteraitde manière exponentielle au-delàd’une certaine température.

À l’intersection de ces deux régimescorrespond la transition fragile-plas-tique. Dans le cas du quartz, omni-présent dans l’écorce terrestre, cette

transition devrait se produire aux envi-rons de 300 °C.La compréhension de cette transi-

tion étant d’une importance considé-rable en sciences de la Terre, lesgéophysiciens du programme KTB pro-cédèrent à toute une série d’expé-riences, afin de déterminer lescontraintes jusqu’au fond du forageprincipal. Ainsi ont-ils découvert queles contraintes mécaniques sont effec-tivement transmises à partir de lapartie superficielle et rigide de l’écorceterrestre. Elles augmentent avec la pro-fondeur jusqu’à ce qu’elles atteignentla limite de rupture des roches.

Pour mieux connaître ce compor-tement, on a fracturé les roches, à desprofondeurs variées, par des moyenshydrauliques, au cours d’une expé-rience de vidage du trou de forage etd’injection de fluides. Un sismographedisposé au fond du préforage a détectéplus de 400 microséismes d’une inten-sité atteignant une magnitude de 1,2.L’expérience a d’ores et déjà démon-tré que des systèmes de fissures exis-

tent également dans les couches

profondes de l’écorce terrestre etqu’elles peuvent s’ouvrir sous l’actionde la pression hydraulique.

Un indicateur approximatif dudébut de la zone fragile de l’écorceprofonde est donné par la profondeur

jusqu’à laquelle des tremblement deterre localisés se produisent. L’ana-lyse des microséismes de la zone KTBà l’aide du réseau local de sismo-graphes a montré que les épicentressont souvent situés à une profon-deur d’une dizaine ou, au maximum,d’une douzaine de kilomètres sousla surface. L’observation microsco-pique et submicroscopique des carac-téristiques structurales de minérauxtels que le quartz, qui subit des modi-fications considérables lors de la tran-sition vers la plasticité, fournit un autreindice qui permet l’identificationdirecte du domaine de transition.

Ces modifications sont aisémentreconnaissables sur les plus petitséchantillons de forage observés aumicroscope électronique, et elles ontrévélé que le forage principal avaiteffectivement atteint le domaine detransition.

Depuis la fin du forage, Windi-scheschenbach est devenu un obser-vatoire géologique. L’ensemble desdeux puits, distants de 200 mètres, per-met d’analyser la roche intermédiaire.On effectue aussi des expériences sis-

miques de «trou croisé», au coursdesquelles une source d’ondes sonoresest placée dans un puits, et une sonderéceptrice dans l’autre ; on a égalementanalysé la communication hydrauliqueentre les deux puits. Windischeschen-

bach est aussi l’amorce d’une collabo-ration internationale pour l’étude del’écorce terrestre. Le programme inter-national de forage continental profonddoit repartir cette année.

7. LORS DE L’EXPÉRIENCE de type dipôle-dipôle, une tension électrique était appliquée à

la surface du sol à une cert aine distance du puits de forage, et le parcours des lignes dechamp était mesuré au fond du puits. L’exist ence de bons conducteurs électriques, dansles couc hes profondes de la Terre, a été révélée par la déformat ion des lignes de cham p, quinormalement sont circulaires.

Rolf EMMERMANN travaille au Centre derecherches géologiques de Potsdam.

The German Continental Deep Drilling Pro- gram (KTB). Site Selection Studies in theOberpfalz and Schwarzwald, sous la direc-tion de R. Emmermann et J. Wohlenberg,Springer-Verlag, 1989.Geodynamik und Plattentektonik , SpektrumAkademischer Verlag, Heidelberg, 1995.Scientific Rationale for Establishment of anInternational Program of Continental Scien-tific Drilling , sous la direction de MarkZoback et R. Emmermann, GeoFor-schungsZentrum Potsdam, 1994.

TENSION

APPLIQUÉE

– +

TENSIONMESURÉE

LIGNES DECHAMPSDÉVIÉES

LIGNES DECHAMPSIDÉALES

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I

l y a sept ans, la presse annonçaitune avancée dans le traitementdes cancers de l’ovaire grâce à un

composé nommé taxol, extrait del’if américain, Taxus brevifolia. Toute-fois, cette découverte faisait surgir ungrave problème écologique : la sub-stance était extraite de l’écorce du troncde l’arbre et obligeait donc à l’abattre.Or, les ifs poussent lentement (un arbreatteint la maturité en une centained’années et il mesure alors environ huitmètres) et ils ne produisent chacunqu’une faible quantité d’écorce : unarbre centenaire ne fournit qu’ungramme de taxol, soit la moitié de la

quantité nécessaire pour le traite-ment d’une seule personne pendantun an. De surcroît, les ifs dont l’écorcecontient du taxol ne se trouvent quedans les forêts anciennes, fragiles etprotégées du Nord-Ouest américain.L’abattage massif des ifs suscita unecontroverse aux États-Unis : les éco-logistes réclamaient la protection desarbres restants, tandis que les per-sonnes atteintes de cancer et leursfamilles réclamaient le médicament.

La chimie a mis fin à cette âpreopposition : en 1994, l’Agence améri-caine du médicament (FDA) a auto-risé l’utilisation du taxol hémi-synthétique, fabriqué en laboratoire etdisponible en quantité illimitée, pourle traitement de divers cancers (voir plus loin). Au début de 1996, une équipemédicale de l’Université Emory apublié les résultats de ses études surles propriétés thérapeutiques de cetagent : sans se lamenter sur la pénu-

rie, les médecins ont insisté sur son effi-cacité inattendue. En effet, les femmessouffrant de cancer avancé des ovaires

et traitées par du taxol associé à unautre médicament anticancéreux (parexemple, du cis-platine) vivaient enmoyenne 14 mois de plus que lespatientes autrement traitées. Aujour-d’hui, le taxol est considéré comme l’undes traitements les plus prometteurscontre les cancers de l’ovaire, mais,aussi, du sein et d’autres types decancer : des études ont montré son effi-cacité contre le cancer du poumon etcontre les mélanomes. Comment cetagent, naguère rare, s’est-il ainsi

imposé?L’histoire du taxol est un belexemple de travail scientifique et tech-nique : les chimistes avaient identifiéce composé il y a près de 30 ans ; puis,progressivement, les biologistes ontdéterminé comment il agissait, et lesmédecins en ont exploré les proprié-tés bénéfiques. Aujourd’hui, de nom-

breux chimistes cherchent à mettreau point toute une famille de compo-sés analogues au taxol – les taxoïdes –qui seraient plus faciles à fabriquer etplus actifs que le taxol.

Redécouvrir le taxol

Si l’on ne s’est intéressé au taxol quevers 1960, les propriétés médicinales del’if sont connues depuis des siècles. Dansl’un des sept livres de La guerre desGaules, Jules César rapportait la mortdu chef Catuvolcus, qui se suicida en

buvant une infusion d’écorce d’if. Les

tribus indiennes du Nord-Ouest desÉtats-Unis, tels les Quinault, les Mult-nomah et les Nez Percés, utilisaient

l’écorce de l’if du Pacifique commedésinfectant, comme substance abor-tive et comme traitement du cancer dela peau. Cependant, au cours de ces 100

Les taxoïdes: de nouvelles

armes contre le cancerKYRIAKOS NICOLAOU • RODNEY GUY • PIERRE POTIER

Après avoir découvert le principe anticancéreux de l’if, les chimistes mettent

au point des composés analogues qui permettent de combattre la maladie.

1. ON UTILISE LE TAXOL contr e le c ancer, en l’inject ant dans les veines, lors de plusieurs séancesqui durent chacune jusqu’à six heures. Les chimist es espèrent que des dérivés du taxol, les

taxoïdes, pourront être administ rés par de simples injections ou m ême par voie orale.

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dernières années, l’arbre fut négligé.Dans le Nord-Ouest des États-Unis, parexemple, les sociétés d’exploitation du

bois brûlaient les ifs qui les gênaientquand ils abattaient les pins et les sapinsdont ils faisaient le commerce.

En 1962, le botaniste américainArthur Barclay déclencha un proces-sus long et tortueux qui devait redo-rer le blason de l’if. À l’époque, l’Institutaméricain contre le cancer avaitdemandé à ses chercheurs d’explorerles milieux naturels, afin d’identifierdes substances aux propriétés phar-maceutiques nouvelles. A. Barclayrécolta toutes les parties de l’if du Paci-fique de la forêt de Gifford Pinchot,dans l’État de Washington, et lesenvoya en Caroline du Nord, où leschimistes Mansukh Wani et MonroeWall découvrirent qu’un extrait pré-paré à partir des écorces du tronc

tuait des cellules leucémiques conser-vées en culture. En 1967, M. Wani etM. Wall isolèrent de ce mélange le prin-cipe actif qu’ils nommèrent taxol.

Aujourd’hui l’appellation «taxol» restelargement utilisée, mais les Labora-toires Bristol-Myers Squibb, qui ontdéposé la marque «Taxol», préfèrentque la communauté scientifique uti-lise plutôt le terme «paclitaxel» (bienqu’un médicament français, mainte-nant disparu, utilisé contre la consti-pation, ait déjà porté le nom de taxol).

Après le travail de M. Wani etM. Wall, le taxol retomba presque dansl’oubli, car l’Institut américain du can-cer n’en avait pas vu toutes les poten-tialités. Au cours des premiers essais

biologiques, d’autres composéss’étaient révélés tout aussi efficacescontre la prolifération cancéreuse ;de plus, le taxol était difficile à obte-nir et fort peu soluble. ToutefoisM. Wall restait convaincu de son inté-rêt et continua d’en vanter les pro-priétés. En 1977, l’Agence accepta

d’approfondir les recherches en lamatière, mais ces travaux supplé-mentaires ne montrèrent pas de supré-matie particulière du composé.

Des microtubules rigides

Cette deuxième série d’essais était àpeine achevée que deux biologistes duCollège de médecine Albert Einstein,à New York, découvrirent une nouvellefacette du taxol : en 1978, Susan Hor-witz et Peter Schiff démontrèrent quel’action anticancéreuse du taxol diffé-rait complètement de celle des autresmédicaments connus à l’époque. Pro-gressivement, pendant dix ans, S. Hor-witz et ses collègues explorèrent leseffets du taxol, découvrant notammentque la molécule se liait à des structurescellulaires nommées microtubules, quifont partie du cytosquelette, ou sque-lette interne des cellules.

Normalement, les microtubules sontdes assemblages souples, qui jouent unrôle crucial au cours de la division cel-lulaire ; ce sont les principaux consti-

tuants du fuseau mitotique, quicontribue à la séparation des chromo-somes, au cours de la mitose. Quandle taxol se lie aux microtubules, ces der-

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niers deviennent extrêmement stableset statiques, de sorte que la division cel-lulaire est bloquée: les cellules sont tuéesau moment où elles commencent à sediviser. Comme les cellules cancéreusesse divisent plus fréquemment que lescellules saines, le taxol attaque surtoutles cellules tumorales, dont les divisionssont anarchiques. Toutefois d’autres cel-lules à division rapide, telles les cellulessanguines ou les cellules intestinales,sont également affectées, de sorte quele taxol a des effets secondaires, affai-

blissant le système immunitaire ou tuantcertaines cellules nerveuses, et provo-

quant des nausées et une calvitie. Mal-

ment, sans que l’on comprenne bien lacause de ces réactions. Les médecinsdurent ajuster les doses ainsi que laméthode d’administration, afin deminimiser ces effets. Cependant,comme avec toute chimiothérapie,les effets secondaires du taxol conti-nuent de troubler les malades et lesmédecins.

Lorsque les potentialités du taxolfurent démontrées, l’Institut américaindu cancer fut confronté à deux diffi-cultés. D’une part, même si le taxolsemblait incroyablement efficace, ilétait loin d’être parfait, ce qui est le pro-

blème de la plupart des nouveauxmédicaments. D’autre part, le taxolétait si rare que les médecins ne purentmener qu’un nombre limité d’essaiscliniques entre 1984 et 1989. En 1989,l’Institut américain du cancer et lesLaboratoires Bristol-Myers Squibb signè-

rent un contrat qui prévoyait la pro-duction du taxol, en échange desrésultats des essais cliniques de l’Ins-titut. Les Laboratoires Bristol-MyersSquibb commencèrent donc à récoltermassivement l’if du Pacifique, mais ilscalculèrent que le filon ne dureraitpas plus de cinq ans. Aussi des agro-nomes, des horticulteurs, des sylvi-culteurs, des botanistes, des biologisteset des chimistes mirent tout en œuvrepour trouver de nouvelles sources detaxol.

Un Everest moléculairevaincu

Les chimistes furent particulièrementintéressés par le taxol, parce que desmolécules si grosses et si complexes (lamolécule de taxol est composée de 112atomes) leur donnent, comme les som-mets des montagnes, des envies d’ex-péditions aventureuses. Commentrésister à la tentation de synthétiserune telle molécule? On savait qu’il fau-drait plusieurs années de travail poursynthétiser le taxol, mais on savait aussique ces études révéleraient d’autrespropriétés du composé : quelles par-ties de la structure sont particulière-ment stables ou fragiles? Comment lamolécule interagit-elle avec d’autresagents chimiques? Ces informationspermettraient d’aborder d’autres ques-tions, plus larges, sur les mécanismesd’action moléculaire du taxol dans l’or-ganisme. Enfin, on espérait concevoirde nouveaux médicaments ayant lesavantages du taxol, mais pas ses effets

secondaires.

2. ON SYNTHÉTISE LE TAXOL à par t ir de molé-cu les s imp les. À l ’ I ns t i t u t de rechercheScripps, K. Nicolaou et ses col lègues ont

d’abord associé quatre petites molécules,puis ajouté des fragments supplémentairesen une série de 39 étapes. En substituantdivers groupes d’atomes, aux étapes suc-cessives de la synthèse, les chimistes fabri-quent des cent aines de dérivés du t axol, outax oïdes (ici les at omes d’hydrogène ne sontpas représentés, par souci de clart é ; ils com-plètent à quatre le nombre de l iaisons dechaque atome de carbone).

gré ces inconvénients, la communautéscientifique fut très intéressée par lemécanisme d’action original du taxol,

qui pouvait renforcer d’autres traite-ments, lors de l’apparition de résis-tances. En outre, comme le taxol tuaitles cellules cancéreuses d’une manièrenouvelle, il offrait un espoir auxpatients dont le cancer n’était plus

jugulé par les traitements habituels.Dès 1984, les médecins de

quelques hôpitaux américains avaiententrepris la première phase d’éva-luation clinique chez l’homme pours’assurer de l’absence de risques liésà l’utilisation du taxol. Au cours del’une de ces études, Eric Rowinskyet ses collègues du Centre oncolo-gique Johns Hopkins, à Baltimore,obtinrent des résultats sans précé-dent : le taxol avait réduit la taille destumeurs chez plus de 30 pour cent despersonnes dont la maladie résistaitaux chimiothérapies classiques ; l’undes patients était même guéri.D’autres études ayant confirmé cesrésultats, le taxol devint un candi-dat thérapeutique très prometteur.

Ce n’était pourtant pas une pana-cée, et nombre de personnes traitées

faisaient de graves allergies au traite-

TAXOL

OXYGÈNE

GROUPE NH DE L’AMIDE

CARBONE

GROUPE HYDROXYLE –OH

MOLÉCULES INITIALES

GROUPE CYANO CN

CHLORE

GROUPE ACÉTOXY

GROUPE ÉTHOXY(–O–C2H5)

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Entre 1983 et 1993, plus de 30équipes cherchèrent ainsi à synthéti-ser le taxol ou des composés appa-rentés, mais plus simples. La tâche serévéla ardue, voire désespérée. Initia-lement, plusieurs équipes explorè-rent une technique d’hémisynthèse, oùl’on effectue seulement la moitié dutravail : plutôt que d’accrocher ungrand nombre de petits fragments pourobtenir le produit final, on commenceavec une substance voisine de celle quel’on vise ; puis, en modifiant légère-ment cette molécule, on synthétise leproduit intéressant en quelques étapesseulement.

Au début des années 1980, l’und'entre nous (P. Potier et ses collègues),avec Andrew Greene et ses collèguesde Grenoble, réussit les premièreshémisynthèses de taxol. Les chimistesfrançais observèrent alors que le taxol

est constitué de deux parties : le cœurde la molécule, nommé «taxane», etune chaîne latérale, qui y est attachée.En examinant l’if européen (Taxusbaccata) à la recherche de moléculesde type taxol, P. Potier et ses collèguesde l’Institut de chimie des substancesnaturelles du CNRS, à Gif-sur-Yvette,découvrirent que le cœur de la molé-cule de taxol pouvait être isolé à par-tir des aiguilles de cet arbre. Puis ilsmirent au point une méthode simplepour y attacher la chaîne latérale. Les

aiguilles d’if constituant une sourcerenouvelable de produit, le problèmede la pénurie de taxol était résolu.

Aux États-Unis, les LaboratoiresBristol-Myers Squibb renoncèrent ainsià abattre les ifs du Pacifique, en repre-nant un procédé de production dutaxol fondé sur une hémisynthèse pré-sentée comme différente de la versionfrançaise.

La synthèse totale

Alors que P. Potier, A. Greene etd’autres étudiaient l’hémisynthèse dutaxol, deux d'entre nous (K. Nicolaouet R. Guy) s’efforçaient de mettre aupoint la synthèse totale de la molécule.En la construisant à l’aide d’élémentsde base simples, nous espérions êtrecapables de modifier la structure àn’importe quelle position, afin de créerdes dérivés du taxol, les taxoïdes, dontcertains seraient peut-être moins cherset plus efficaces que le taxol lui-même.Au début de l’année 1994, deuxgroupes publièrent, presque simulta-

nément, la synthèse totale du taxol.

appropriée que vers la fin de lasynthèse.

Fallait-il viser une synthèse conver-gente ou une synthèse linéaire? Dansla synthèse convergente, on commencepar fabriquer plusieurs petits frag-ments, que l’on associe pour formerle produit désiré. Dans la synthèselinéaire, au contraire, on part d’un

3. LA FABRICATION DU TAXOTÈRE, à par t ird’une substance présente dans les aiguillesde l’if européen (cartouche), s’effectue enpeu d’étapes. Les chimistes de l’Instit ut dechimie des substances naturelles du CNRSet de l’ Université de Grenoble ont associ é lenoyau taxane à une petite chaîne latéraleen utilisant une technique d’hémisynthèse.Bien que cette m éthode constit ue une voierapide de product ion du taxol et du Taxot ère,elle ne se prête pas facilement aux modifi-cat ions nécessaires pour fabriquer différent stypes de t axoïdes.

K. Nicolaou, R. Guy et leurs collèguespublièrent d’abord leurs résultats dansla revue Nature ; puis Robert Holtonet ses collègues de l’Université deFloride annoncèrent leur succès dansle Journal of the American Chemical Society(Journal de la Société américaine dechimie).

Pour synthétiser le taxol, on doitconsidérer sa «chiralité» : comme nosmains, la plupart des molécules d’ori-gine naturelle ne sont pas superpo-sables à leur image dans un miroir.Souvent d’ailleurs, seul l’un des deux«énantiomères» est pharmacologi-quement actif. Aussi les chimistes ont-ils cherché à ne produire qu’une seulede ces deux formes. On s’y prend encommençant, dès le début du travail,avec des éléments chimiques qui ontla configuration appropriée et en main-tenant cette orientation tout au long de

la synthèse. Toutefois cette procédurelimite le choix des composés initiaux,ce qui réduit les potentialités de la syn-thèse. Pour éviter cette contrainte etpour garder la possibilité de construireles deux énantiomères, nous avons uti-lisé une technique dite de résolution,qui permet de distinguer les énantio-mères. Ainsi avons-nous opéré surun mélange d’énantiomères et n'avons-nous sélectionné la configuration

NOYAU TAXANE

GROUPEPROTECTEUR

CHAÎNE LATÉRALE

GROUPEPROTECTEUR

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petit composé que l’on modifieprogressivement. L’équipe deK. Nicolaou a choisi une syn-thèse convergente, parce que l’onpeut modifier facilement la struc-ture finale en introduisant dif-férents éléments de constructionà n’importe quelle étape de lasynthèse ; on pouvait modifiersystématiquement soit le noyautaxane, soit la chaîne latéralede la molécule.

Les chimistes se livrent cou-ramment à de telles modificationsstructurales des molécules bio-actives, car ils attendent que cesvariations leur révèlent les rela-tions entre les propriétés de cesmolécules et leur organisationmoléculaire. Par exemple, si leremplacement d’un groupe hydroxyle(–OH) par un atome d’hydrogène rend

un composé moins efficace, on enconclut que le groupe hydroxyle inter-vient directement dans les interactionsentre le composé et sa cible biologique ;nanti de cette information, on peut alorsfabriquer de nouvelles molécules enmodifiant ou en supprimant des seg-ments qui ne modifient pas l’effica-cité ou qui provoquent des effetssecondaires nocifs.

C’est ainsi que l’un d'entre nous(P. Potier) et ses collaborateurs (DanielGuénard et Françoise Guéritte-Voege-

lin) produisirent le premier taxoïdenotable, qu’ils nommèrent Taxotère.La structure de cette molécule diffèrede celle du taxol en deux sites ; il enrésulte que le Taxotère est deux foisplus actif que le Taxol. Aujourd’hui desmédecins japonais et européens admi-nistrent régulièrement du Taxotèrecontre les cancers du sein et des ovaires;vers la fin de l’année 1995, l’Agenceaméricaine du médicament a approuvéle Taxotère pour les femmes améri-caines dont le cancer du sein a engen-dré des métastases ou résiste aux autrestraitements. Le Taxotère et le taxol sem-

blent avoir des particularités d’ac-tion. L’utilisation extensive des deuxmédicaments dans le cadre d’essais cli-niques devrait permettre aux méde-cins de définir les avantages respectifsde ces produits.

Deux d’entre nous (K. Nicolaouet R. Guy) et leurs collègues de l’Ins-titut Scripps ont produit deux classesimportantes de dérivés du taxol quipourraient un jour avoir des applica-tions pharmaceutiques importantes.

Tout d’abord, ils ont simplifié la struc-

ture du taxol et produit un taxoïdeun peu plus facile à fabriquer que le

taxol. Au cours des tests préliminaires,il est apparu que ce taxoïde a néan-moins conservé la capacité de tuer cer-tains types de cellules cancéreuses.Ensuite ces chimistes ont mis au pointune classe de taxoïdes qui diffèrentlégèrement du taxol par la région quisemble se lier aux microtubules. Ilscherchent aujourd’hui à augmenterl’efficacité du taxol en jouant sur cesite de liaison, afin d’améliorer sa capa-cité à se lier aux microtubules, et àempêcher la division cellulaire.

Les améliorations récentes

Tous les trois, nous avons égalementtenté de pallier l’un des inconvénientsmajeurs du taxol: son insolubilité dansl’eau, qui gène l’administration dumédicament. Aujourd’hui, les méde-cins effectuent des perfusions par voieintraveineuse, pendant plusieursheures; le milieu liquide utilisé, le Cre-mophor El, a entraîné des complica-tions chez certains patients, de sortequ’un composé soluble dans l’eau seraitpréférable. De nouveaux taxoïdessolubles ont été trouvés à l’InstitutScripps et à l‘Institut de chimie des sub-stances naturelles ; si leur activité anti-cancéreuse est suffisante, on pourra lesemployer en remplacement du taxolou du Taxotère.

D’autres taxoïdes solubles dansl’eau permettent d’examiner en détaille mécanisme de liaison du taxol auxmicrotubules. Très insoluble, le taxola l’avantage de cristalliser, ce qui faci-lite les études de structure. Toutefois,

la forme solide d’une molécule ne repro-

duit pas toujours fidèlement sespropriétés dans l’environnementaqueux de la cellule. En observantla manière dont les taxoïdes dis-sous s’attachent aux microtu-

bules, nous pouvons tenterd’identifier les segments de cesmolécules qui ont la plus forteprobabilité d’interagir dans la cel-lule. Afin de manipuler la struc-ture du taxol pour améliorer sonefficacité, nous devrons décou-vrir où et comment la liaison seproduit. Nous pourrons alors aug-menter sa capacité à s’arrimer auxmicrotubules et, donc, à tuer lescellules.

L’histoire du taxol n’est pasterminée, car la recherche phar-maceutique a peu d«Eurêka!».

C’est un travail qui dure des années,pendant lesquelles on explore les

mécanismes de fonctionnement d’unprincipe actif, afin d’améliorer son effi-cacité. Dans le cas du taxol, les cher-cheurs ont déjà découvert commentproduire de grandes quantités d’unemolécule initialement rare et trouvéde nouvelles applications pour son uti-lisation dans le traitement du cancer.Il reste maintenant à modifier la struc-ture du taxol pour obtenir un médi-cament moins cher et plus efficace.

4. L’IF DU PACIFIQUE a été la source init iale de l’agent ant i-cancéreux nommé taxol.

Kyriakos NICOLAOU et Rodney GUY tra-vaillent à l’Institut Scripps. Pierre POTIERest directeur de l’Institut de chimie dessubstances naturelles.

Hal HARTZELL, The Yew Tree : A ThousandWhispers, Hulogosi Communications,Eugene, Ore., 1991.D. GUÉNARD, F. Guéritte-Voegelin etP. POTIER, Taxol and Taxotere : Discovery,Chemistry, and Structure-Activity Rela-tionships, in Accounts of Chemical Research,vol. 26, n° 4, pp. 160-167, avril 1993.R.C.DONEHOWERet E.K.ROWINSKY, An

Overview of Experience with Taxol (Pacli-taxel) in the U .S. A., in Cancer TreatmentReviews, vol. 19, Supplément C, pp. 63-78, octobre 1993.K.C. NICOLAOU, W.-M. DAI et R.K. GUY,Chemistry and Biology of Taxol, in AngewandteChemie, International Edition in English,vol. 33, n° 1, pp. 45-66, 17 janvier 1994.K.C. NICOLAOU, Z. YANG , J. J. LIU,H. UENO, P.G. NANTERMET, R.K. GUY,C.F.CLAIBORNE, J. RENAUD, E.A.COU-LADOUROS, K. PAULVANNAN etE.J. SORENSEN, Total Synthesis of Taxol,in Nature, vol. 367, pp. 630-634, 17février 1994.

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visio

ns

m

athém

atiques

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Alan Saint George est un architectebritannique à la retraite qui vitau Portugal et qui crée des sculp-tures mathématiques. Il utilise fré-

quemment les propriétés du nombred’or, ainsi que celles d’un cousin moins

prestigieux, le «nombre plastique», qu’ila découvert grâce l’architecte RichardPadovan. Le nombre plastique a unecourte histoire en architecture, mais sonorigine mathématique est au moins aussirespectable que celle de son cousin doré.On ne l’a pas trouvé dans la nature aussifréquemment que le nombre d’or, maispersonne ne l’avait vraiment cherché.

Commençons avec le nombre d’or,qui vérifie l’égalité φ = 1 + 1/ φ ; φ est égalà 1,618034... Ce nombre a des relationsavec les nombres de Fibonacci, que l’onconstruit géométriquement en formantune spirale à partir de carrés (voir la

figure 1 en haut). Le carré initial (en gris)a un côté de longueur égale à 1, demême que son voisin de gauche. Onajoute alors un carré, dont la longueurdu côté est égale à 2, au-dessus desdeux premiers carrés, puis on poursuit

l’ajout des carrés adjacents, en tour-nant : la longueur du côté augmenteselon la suite : 3, 5, 8, 13, 21..., chaquenombre de cette suite étant la sommedes deux nombres précédents. Cettesuite est nommée suite de Fibonacci.Le rapport de deux nombres successifstend vers le nombre d’or φ. Par exemple,5/3 est égal à 1,6666..., et 21/13 est égalà 1,615384...

Ces propriétés résultent de la règlequi engendre les nombres de Fibonacci :pour les grands nombres, elle conduità l’équation φ = 1 + 1/ φ. Quand ontrace un quart de cercle à l’intérieur

de chacun des carrés pré-cédents, les arcs forment unespirale harmonieuse, quiapproche la spirale loga-rithmique, souvent présentedans la nature : les grainesdu tournesol ou les coquillesdu nautile sont enrouléesainsi. Les tours de spiralecroissent en raison dunombre d’or.

LE NOMBRE

PLASTIQUE

Passons maintenant aunombre plastique. On com-mence sa construction en uti-lisant un principe analogue,mais en utilisant des triangleséquilatéraux à la place descarrés (voir la figure 1, en bas). Au triangle initial (en gris), on ajoute des trianglessuccessifs dans le sens desaiguilles d’une montre. Laspirale, à nouveau, estapproximativement logarith-

mique. Les trois premiers tri-

angles ont un côté de longueur égaleà 1 ; les deux triangles suivants ont uncôté de longueur égale à 2 ; puis leslongueurs des côtés sont égales à 3, 4,5, 7, 9, 12, 16, 21... Là encore, la règlede construction des nombres succes-sifs est simple : chaque nombre s’ob-tient en laissant de côté le nombreprécédent et en ajoutant les deux

nombres qui précédaient celui-ci : 21est égal à 9 + 12. J’aimerais donner àcette suite le nom de Richard Pado-van qui l’a étudiée (par une coïncidenceheureuse, «Padovan» a la même ori-gine que «Padoue», ville peu éloignéede Pise, dont Fibonacci était originaire).

Du point de vue algébrique, les règlesde construction des suites de Fibo-nacci F(n) et de Padovan P(n) sont lessuivantes : F(n + 1) = F(n) + F(n – 1),avec F (0) = F ( 1) = 1 ; P(n + 1) =P(n – 1) + P(n – 2), avec P (0) = P (1) =P (2) = 1. En reprenant pour la suite de

Padovan la définition du nombre d’or,nous obtenons le nombre plastique p ,limite du rapport des nombres succes-sifs de Padovan : 1,324718... L’écriturealgébrique permet d’établir l’équationp = 1/ p + 1/ p 2, ou encore p 3 – p – 1 = 0 ;p est l’unique nombre réel qui soit solu-tion de cette équation.

La suite de Padovan augmente moinsvite que celle de Fibonacci, et p estinférieur à φ. Elle a de nombreusespropriétés intéressantes. Par exemple,la figure illustre avec des triangles l’éga-lité 21 = 16 + 5 ; elle donne aussi uneautre définition de la suite de Pado-van : P(n + 1) = P(n) + P(n – 4).

Des nombres tels que 3, 5, et 21appartiennent aux suites de Padovanet de Fibonacci. En existe-t-il d’autres?Si oui, combien? Certains nombres dePadovan, tels que 9, 16 et 49, sont descarrés; en existe-t-il d’autres? Les racinescarrées de ces nombres sont respecti-vement 3, 4 et 7, qui sont égalementdes nombres de Padovan. Les racinescarrées des autres carrés de Padovansont-elles également des nombres dePadovan? Voilà des questions qui méri-tent un peu d’attention.

Une autre façon de construire lesnombres de Padovan consiste à repro-duire l’utilisation des carrés pour lesnombres de Fibonacci, mais avec desparallélépipèdes (voir la figure 2). Par-tons d’un cube de côté égal à 1, etplaçons à côté de lui un autre cube iden-tique, adjacent par une face. On obtientun parallélépipède dont deux côtés sontégaux à 1, et le troisième côté est égalà 2 (parallélépipède 1 × 1 × 2). Contrela face 1 × 2, plaçons un autre parallé-lépipède 1 × 1 × 2. Nous obtenons unparallélépipède 1 × 2 × 2. Puis, contre

une face 2 × 2, plaçons un cube 2 ×

La sculptureet les nombresIAN STEWART

Comme le nombre d’or,

le nombre plast ique inspire le s sculpteurs.

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1. Construct ion géométrique des nombres de Fibonacci

(en haut) et des nombres de Padovan (en bas) .

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2 × 2, afin de former au total un paral-lélépipède 2 × 2 × 3. Contre une face2 × 3, plaçons un parallé lépi pède2 × 2 × 3, afin d’obtenir un parallélépi-pède 2 × 3 × 4, et ainsi de suite enajoutant successivement des parallé-lépipèdes à l ’Est, au Sud, en bas, àl’Ouest, au Nord, et en haut. À chaqueétape, le nouveau parallélépipède a

pour longueur des côtés trois nombresde Padovan consécutifs. En outre, sil’on relie les faces carrées successivesdes parallélépipèdes par des segmentsde droite, on obtient une spirale. Cettespirale reste dans un plan. A. SaintGeorge a fondé ses sculptures sur cettepropriété, en utilisant des tiges rigidesterminées par des boules de liaison (queldiagramme forme l’intersection de ce sys-tème de parallélépipèdes avec ce plan?).

LA SUITE DE PERRIN

Une suite analogue à celle de Pado-van, avec les mêmes règles de construc-tion mais des valeurs initiales différentes,a été étudiée en 1876 par le mathéma-ticien français Édouard Lucas. Commeles idées de ce dernier ont été déve-loppées par R. Perrin en 1899, la suiteest aujourd’hui nommée suite de Perrin.Les nombres de Perrin A(n) diffèrent desnombres de Padovan, parce que A(0)=3,A(1) = 0 et A(2) = 2. Le rapport de deuxnombres de Perrin consécutifs est encoreégal à p , mais Lucas observa une pro-priété plus intéressante : pour tous lesnombres n premiers, n divise exacte-ment A(n). Par exemple, 19 est premier,A(19) = 209, et 209/19 = 11.

Ce théorème donne un test de non-primalité. Par exemple, pour n = 18, ona A(18) = 158, et 158/18 = 8,777, qui n’est

pas entier ; aussi conclut-on que 18 estun nombre composé, c ’est-à-dire nonpremier. Plus généralement, on utiliseles nombres de Perrin pour déterminerla non-primalité : tout nombre n qui nedivise pas A(n) est composé.

Si n divise A(n), n est-il premier? Voilàune fascinante question ouverte. Per-sonne n’a trouvé de nombre composén qui divise A(n), mais personne n’adémontré qu’un tel nombre, nomménombre pseudo premier de Perrin,n’existe pas. En 1991, Steven Arno, duCentre de recherche informatique deBowie, a démontré que les nombrespseudo premiers de Perrin doivent avoir

plus de 14 chiffres. Si vous avez entenduparler de progrès dans l’étude de ce pro-blème, n’hésitez pas à m’écrire.

La conjecture de l’existence desnombres pseudo premiers de Perrin estimportante, car le reste de la division deA(n) par n se calcule rapidement. Si laconjecture était démontrée, on obtien-drait un test de primalité (en 1982, àl’Université du Maryland, William Adamset Daniel Shanks ont trouvé un moyende calculer ce reste en log(n) étapes).Ainsi, la conjecture aurait des applica-tions utiles en cryptographie, laquelleest aujourd’hui souvent fondée sur lesnombres premiers.

2. Les nombres de Padovan s’obtiennent également à l’aide de spirales formées par juxta-position de parallélépipèdes.

Réaction

Richard Delaware, de l’Université de Kansas City, m’asignalé que, en 1992, Rick Norwood, George Poole

et Michael Laidacker ont trouvé une couverture de maman

ver (voirLa couverture

,Pour

la Science, mars 1996) d’aireégale à 0,27523. Cette cou-verture est plus petite quecelle qui avait été trouvéeen 1973 par Gerriets et Poole.

Ce résultat détient sansdoute encore le record, parceque la couverture ABCD (à

droite) que je présentais estmoins bonne que prévue.Richard Kendon, de Not-tingham, a trouvé un ver quela couverture ne recouvre

pas. Il a observé que les angles DAB et ADC sont res-pectivement égaux à 75 et 30 degrés. Son ver EFGH estcomposé de trois segments. Le point G est à une dis-

tancex

sur une droite quifait un angle GDA de 15degrés, et le point F est à ladistance 1 – 2x de G sur ladroite AD. Le point E està la distance x deF, de sorteque l’angle EFA est égal à15 degrés. R.Kendon a cal-culé que, pourx = 0,01, parexemple, l’angle EAD estégal à 75,177 degrés, c’est-à-dire supérieur à 75degrés: le point E n’est pasdans la couverture.

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Tel le titan Atlas, cet insecte semble

porter le Monde sur son dos. Sonfardeau est en fait une minusculegoutte d’eau, l’insecte lui-même

ne mesurant que quelques millimètres.Tel Sysiphe, sitôt la goutte perdue, il sechargera d’un nouveau fardeau. Pourobserver ce curieux portefaix, nul besoinde partir sous les tropiques : ce staphy-lin est commun dans les forêts et les jar-dins d’Europe. C’est pourtant chez uneespèce de Nouvelle-Guinée, Megarthrus auricola (en haut, à droite ), que j’ai décou-vert le comportement «chargeur d’eau».

Cette découverte dut beaucoup au

hasard. Désirant photographier un indi-vidu de cette espèce, je le plaçaisquelques instants au réfrigérateur afin deralentir son activité. Je m’aperçus alorsqu’il accumulait l’eau condensée, formant

probablement une fonction importante.Le pompage et le stockage de l’eau pour-raient faciliter l’hydratation ou la régu-lation thermique du corps de l’insecte,ou encore améliorer la dispersion dessécrétions glandulaires qui le protè-

gent contre les prédateurs, les bactérieset les champignons. Il pourrait aussi s’agird’un mode de nutrition élaboré, l’insectefiltrant ainsi un grand volume d’eau sansavoir à se déplacer. Le stockage de lagouttelette lui éviterait alors de filtrerdeux fois la même eau. Des recher-ches menées au Muséum d’histoire natu-relle de Genève et au Natural HistoryMuseum de Londres permettront de tran-cher entre ces hypothèses.

Qu’il ait fallu se rendre dans l’unedes régions les plus reculées du Globepour découvrir un phénomène obser-vable dans nos jardins souligne la mar-ginalisation actuelle de la rechercheen biologie des organismes.

Giulio CUCCODORO

Muséum d’histoirenaturelle de Genève

Chargeurs d’eau

une goutte sur l’avant de son corps. Par

l’action combinée du labre et des maxilles,il propulsait l’eau, via la face extérieurede ses mandibules, jusqu’à des «gout-tières» situées de part et d’autre de latête, entre l’oeil et l’insertion de l’antenne.Bordés de soies, ces sillons permettentle transfert de l’eau de la base des man-dibules jusqu’au sommet de la tête. Unegouttelette se forma, qui recouvrit bien-tôt l’avant-corps, les élytres et une par-tie de l’abdomen. En quelques minutes,la gouttelette atteignit le double du volumede l’insecte. L’eau fut ensuite rejetée dansle milieu, ce qui nécessite parfois l’ac-

tion des pattes postérieures. Le tout durerarement plus de dix minutes.J’ai retrouvé le même comportement

chez huit autres espèces de staphylins,dont plusieurs sont communes en

Europe (ci-dessous et page de droite ). Detaille modeste (deuxà quatre millimètres),les chargeurs d’eauvivent sur les vieuxchampignons, dans lalitière forestière, lescomposts, les excré-ments et les cadavresd’animaux.

Le comportement«chargeur d’eau» faitintervenir des struc-tures morphologiquescomplexes et remplit

Ces deux photographies de Proteinus brachypterus (Fabricius),pr ises à une minute d ’ interval le, montrent l ’acro issementdu volume de la gouttelet te.

Les individus de l ’espèce néo-guinéenneMegarthrus aur ico la Cuccodoro formentdes gouttelettes hémisphériques (taille del'individu : trois millimètres).

F r é q u e n t e n E u r o p e s u r l e s v i e u xchampignons ( i c i su r de la mousse) ,P r o t e i n u s b r a c h y p t e r u s f o r m edes gout t e let tes sphériques.

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Botan iqueInventai re des plantes protégées en France Philippe Danton et Michel Baffray.Éditions Nathan, AFSEV, 1996.

Ce superbe ouvrage est un pano-rama complet de la flore légale-ment protégée (elle reste ce-pendant menacée) en France

métropolitaine. Il apporte, de façon parti-culièrement agréable et claire, des infor-mations permettant même au non-botaniste d’identifier et de respecter les429 espèces concernées par les disposi-tions légales visant «à prévenir la dispa-rition d’espèces végétales menacées età permettre la conservation des biotopes

correspondants». Il s’agit de l’arrêté inter-ministériel du 20 janvier 1982 interdisanttoutes les formes de destruction, de trans-port et de commerce de ces plantes.L’arrêté modificatif du 31 août 1995 seborne à quelques ajouts, à diverses pré-cisions systématiques, et à de rares sup-pressions résultant d’une meilleureestimation de la fréquence de certainesespèces et des menaces pesant sur elles.

G. Aymonin nous rappelle par quelprocessus de réflexion et de luttes per-manentes ces textes réglementaires ontvu le jour. Les menaces pesant sur telleou telle espèce végétale sont dénoncéesdès le milieu du XIXe siècle par quelquesprécurseurs au sein de la communautéscientifique, mais il faut attendre 1890pour que de courageuses décisions admi-nistratives soient prises à l’initiative desquelques trop rares préfets soucieux dela sauvegarde du patrimoine vivant.Cependant, à cette époque commeaujourd’hui, l’efficacité de ces mesuresdépend de la volonté politique d’appliquerla loi, mais aussi de la faire connaître...

En effet, si nul n’est censé ignorer laloi, il faut constater que, dans le domainede la flore spontanée, le citoyen, quel que

soit son niveau d’études, est largementdémuni : le contenu des programmes sco-laires et universitaires actuels ne peutqu’aggraver les choses. Bien entendu, ilconvient ici de souligner l’effort méritoiredes associations de naturalistes amateurs,mais cette action est, par la force deschoses, limitée à un public restreint. Or,l’ignorance est l’une des raisons premièresde la banalisation du patrimoine naturel ;elle est souvent la cause, par manque d’in-formation, de saccages imprévisibles etirréversibles, parfois accomplis en bonneconscience : l’ouvrage de Michel Baffray

et Philippe Danton s’imposait donc.

Son efficacité repose sur un texte pré-cis, simple et clair, associé à une richeet souvent très belle iconographie : undessin au trait et une photographie réa-lisée dans le milieu naturel décriventchaque espèce (à de rares exceptionsprès, pour des plantes non revues depuisplusieurs décennies, mais dont la survieest espérée). En outre sont précisées larépartition de chacune en France métro-politaine et dans le monde, son écologie(base d’une éventuelle gestion conser-vatoire), les menaces pesant sur sa sur-vie, enfin les plantes pouvant êtreconfondues avec elle.

Si cet ouvrage est diffusé et utilisécomme il le mérite, nul ne devrait pou-voir invoquer sa méconnaissance de laflore pour justifier telle ou telle action des-tructrice ; il lève ainsi l’une des critiquesformulées à l’égard de ces listes, dont l’ef-ficacité a pu être contestée, parfois mêmepar des naturalistes favorables à la pré-servation du patrimoine vivant. Il convient

à cet égard de souligner que l’aspectrépressif ne constitue pas, et de loin, l’ob-

jectif essentiel de ces dispositions légales.Les promeneurs ne sont pas principale-ment visés, bien que le piétinement, lesbouquets, parfois l’arrachage de plantesornementales en vue de l’introductiondans les jardins («vandalisme horticole»)soient autour des grandes villes une causenon négligeable d’appauvrissement dela flore. La mise en garde peut concerneraussi les effets pervers des modes dites«écologiques» fondées sur l’utilisation ali-mentaire, non dépourvue de risques, de

végétaux sauvages, ou sur l’usage de

ceux-ci à des fins para- ou pseudomédi-cales. L’objectif majeur des dispositionslégales n’est pas d’interdire, mais d’in-former, et de placer ainsi devant leurs res-ponsabilités les utilisateurs, gestionnairesou «aménageurs» de l’espace naturel,en leur faisant connaître ces espèces,leur localisation et leurs exigences éco-logiques. Il devrait permettre ainsi d’évi-

ter la destruction fortuite de leurs stations,ou la mise en œuvre de mesures erro-nées, allant à l’encontre de la protectionsouhaitée (par exemple, la réalisationde plantations forestières dans une sta-tion de végétaux rares exigeant la pleinelumière).

Soulignons enfin l’intérêt de ces dis-positions légales pour l’estimation de lavaleur patrimoniale de chaque milieu,en fonction du nombre d’espèces proté-gées qui y vivent. Sur le plan adminis-tratif, ces données objectives permettentde justifier la création d’espaces égale-

ment protégés (réserves naturelles, arrê-tés de biotopes à la diligence des préfets,«sites Natura-2000» soumis au droit com-munautaire européen...). Les respon-sables administratifs ou politiques, garantsde la préservation de notre patrimoinenaturel, trouveront ainsi dans cet ouvragematière à réflexion et à actions.

En dehors de la partie monographiqueconstituant l’essentiel du livre, on lira avecintérêt les pages sur les enjeux de laconservation de la biodiversité, ainsique celles qui précisent le droit de l’en-vironnement, les objectifs des Conser-vatoires botaniques nationaux, les typesde milieux où vivent les espèces proté-gées, le contenu des arrêtés ministé-riels concernant cette protection, sur leplan régional comme sur l’ensemble duterritoire métropolitain.

Rassembler autant de données sousune forme aussi remarquable représenteun travail considérable et tient de l’ex-ploit ; on a donc quelques scrupules àfaire grief aux auteurs de menues erreursmatérielles, par exemple dans les cartesde répartition par département de cer-taines espèces (notamment pour lesplaines du Nord et de l’Ouest de la

France). De même, quelques illustrationssont discutables dans leur choix, parfoisleur identité : ainsi le dessin censé repré-senter le très rare Carex reichenbachii serapporte incontestablement au Carex are- naria , lequel ne mérite nullement cet hon-neur sur le plan national. Ces critiques dedétail n’enlèvent rien aux très grandesqualités scientifiques et esthétiques del’ouvrage de M. Baffray et Ph. Danton ;méritant le plus grand succès, il devraitconstituer l’instrument essentiel de la pré-servation de notre flore menacée et deses derniers refuges.

Marcel BOURNÉRIAS

La linaire à feuilles de Thyum (Linaria t hy- mifol ia), endémique str ictement local iséedans le monde aux dunes litt orales du golfede Gascogne.

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Fanta is iemathémat iqueFlatland

Edwin Abbott (traduit de l’anglaispar Philippe Blanchard). AnatoliaÉditions, 1996.

Comment s’appelait-il, ce pasteuranglican, né dans les années1830, qui avait un rapport étrangeaux femmes et qui a écrit une fan-

taisie à la fois onirique et logico-mathé-matique, grâce à laquelle il est encorebien connu aujourd’hui? À cette question,répondre Lewis Carroll (1832-1898) seraittrop facile. Des collègues me soufflent un

autre nom : Edwin Abbott (1838-1926),dont l’œuvre avait pour titre Flatland .Je ne connaissais pas ce texte bien

connu, et je regrette donc que l’éditeurfrançais impose une lourde préface deGiorgio Manganelli au lieu de donner unminimum d’informations sur Abbott et surson œuvre, ainsi que sur la réception deFlatland .

Au moment de présenter ce livre àmon tour, cependant, je m’aperçois qu’ilest difficile d’en parler sans lourdeur.Car il s’agit d’un texte merveilleux – ausens propre du terme : il crée un mondeimaginaire, enchanté, à l’intérieur duqueltout ce qui se produit a les meilleuresraisons de se produire, mais dont on nepeut guère parler de l’extérieur.

Prenons le passage suivant, parexemple, situé vers le milieu : «Toute unearmée de Polygones venus combattrecomme simples soldats fut anéantie jus-qu’au dernier homme par une armée deTriangles Isocèles supérieure en nombre

– tandis que les Carrés et les Pentagonesdemeuraient neutres. Pire que tout, cer-tains des Cercles les plus éminents furent

victimes de la fureur conjugale. On necompte pas moins de vingt-trois Cerclesqui périrent au cours de disputes domes-tiques, pendant les trois années que durale soulèvement.» Texte absurde si onplonge dedans comme ça, sans prépa-ration, mais parfaitement «naturel» sion le lit dans la continuité de l’œuvre.

Tel est l’exploit réalisé par Abbott.S’étant placé dans un monde à deuxdimensions, Flatland , dont les habitantssont des figures géométriques, il réussità y vivre réellement, et à nous y faire vivre.Avec le plus grand sens pratique. Toutes

les questions que vous pouvez vous posersur la vie quotidienne (comment se direbonjour? comment reconnaître la classesociale d’un interlocuteur?) obtiennentdes réponses sensées – logiques, pourtout dire.

Pays imaginaire, Flatland ? Oui... c’est-à-dire, bien sûr, trop réel! Le passage pré-cédent ne laisse pas d’illusions : lesmœurs, l’histoire, de Flatland ressem-blent à ceux des hommes, et ne sontpas moins sanglants. Parfois pires : lamisogynie de Flatland est impitoyable,définitive. Jusqu’à la question de l’eu-thanasie des êtres mal formés (en l’oc-currence, les Polygones irréguliers),nos débats les plus dramatiques sont éga-lement ceux de Flatland . Mais bien malin

celui qui pourrait dire si les transpositionsopérées par Abbott révèlent de sa partdes positions conformistes (dans une cer-taine mesure, oui : sa misogynie sembleréelle) ou anticonformistes (dans une cer-taine mesure, oui également). Doit-on lireFlatland comme une critique sociale, uneattaque contre la lâcheté et la cruautépropres aux hommes de pouvoir, ou

comme la constatation que ce qui est nepourrait guère être autrement? Doit-onlire Flatland comme une aimable tenta-tive de vulgariser la notion géométriquede dimension ou, plus profondément,comme une critique de la logique, qui peutpousser jusqu’au bout des construc-tions parfaitement cohérentes, mais pour-tant devenues insensées à force des’éloigner du réel?

À chaque lecteur sa lecture : Abbott ales ambiguïtés propres à la richesse. Carce texte merveilleux au sens propre duterme l’est aussi au sens banal.

Didier NORDON

Phys iqueLa physique quantique Étienne Klein. Éditions Flammarion,1996.

L‘«honnête homme» d’antan s’in-téressait au microscopique, emblé-misé par le ciron de Pascal ;aujourd’hui nous nous intéressons

à l’infiniment petit, à la structure intime dela matière. Livres et articles de vulgari-sation, rééditions commentées de textesdes «pères fondateurs», articles, émis-sions de radio ou de télévision sont lar-gement proposés aux non-spécialistesqui veulent comprendre. Peut-on encorefaire œuvre originale de vulgarisation dansce domaine? Et peut-on le faire en 124pages d’un livre de poche? Étienne Kleinrépond brillamment à cette question.

Pourtant il fait d’abord craindre le pire:d’emblée il nous rappelle que la physiquequantique (terme qu’il préfère à celui, plushabituel, de mécanique quantique) est,avec la relativité, une «théorie cadre»de notre époque, sur laquelle reposentpresque toutes les branches de la phy-sique. Elle s’appuie sur un formalismemathématique aussi puissant qu’aride,impossible à transposer dans la languecommune ; délaissant le visuel et lesensible au profit du formel, cette théo-rie impose une rupture nette avec le «senscommun» au point qu’«en physique quan-

tique, toutes les métaphores mènent à«Fi, fi, je vous parle carrément !»

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sDans la seconde partie de l’ouvrage

(«matières à débats»), c’est le problèmedu réel, puis certains aspects des rapportsentre science et philosophie qui sont dis-cutés. Le monde quantique, inséparablede son formalisme fortement mathéma-tisé, échappe à l’intuition sensible, et «laphysique quantique vient rappeler avecinsistance que toute compréhension du

monde suppose des stratégies de détour».Une très belle analogie nous est propo-sée entre le monde quantique et l ’uni-vers complexe, mais si prenant et en finde compte si «réel» qu’a créé dans sonœuvre José Luis Borges: ne peut-on rap-procher une nouvelle comme Le jardin aux sentiers qui bifurquent du conceptdu temps relativiste et du problème de lamesure en physique quantique? Un grandproblème reste celui de la réalité non obser-vée : E. Klein décrit les positions desphysiciens vis-à-vis de ce problème: réa-lisme ou positivisme, agnosticisme phi-

losophique («indifférence polie»), ouvolonté de modifier la théorie quantiqueou d’en proposer une autre lecture ; par-ticulièrement intéressantes apparais-sent les «théories de la déshérence» quisemblent offrir une solution au problèmede la mesure et permettraient d’expli-quer pourquoi les objets macroscopiques

ont presque tous un comportement clas-sique. En attendant, écrit l’auteur, «vivele pluralisme!»

Les dix dernières pages, «physiqueet philosophie» sont d’une grande richesse;nous nous bornerons à esquisser rapide-ment les problématiques présentées.Tout en montrant les difficultés du projet,l’auteur appelle de ses vœux fervents

une«hybridation» des cultures scientifiqueet philosophique. La difficulté est la raretédes «esprits capables de boire aux deuxcultures». D’où la nécessité des rencontres;et, heureusement, «on se parle. Aprèsl’indifférence ou l’affrontement, vient l’heuredu dialogue.» Aprèsêtre revenu sur les dif-ficultés de la vulgarisation de la physiquequantique, E. Klein s’élève contre les tropfréquentes tentatives de récupération quiinvoquent la physique quantique pour cou-vrir une marchandise douteuse, un avatarrécent étant le New Age où l’on aperçoit«la cybernétique planétaire s’entrelaçant

avec la physique des particules, la non-séparabilité quantique, la cosmologie, lechaos, les neurosciences, toutes ces dis-ciplines étant baptisées au passage “nou-velles sciences“.

Fuyez le New Age et plongez-vousvite dans La physique quantique .

George BRAM

8, rue Férou 75278 PARIS CEDEX 06

POUR LA SCIENCE Directeur : Philippe Bou-langer. Rédaction : Philippe Boulanger (Rédac-teur en chef), Hervé This (Rédacteur en chef

adjoint), Françoise Cinotti (Rédactrice - Secré-taire générale de la rédaction), BénédicteLeclercq, Luc Allemand, Yann Esnault, PhilippePajot. Secrétariat de Rédaction : Annie Tac-quenet, Pascale Thiollier, Marion Aguttes. Direc-tion Marketing et Publicité : Henri Gibelin, assistéde Séverine Merviel. Direction financière : PierreLecomte. Fabrication : Jérôme Jalabert, assistéde Delphine Savin. Directeur de la publicationet Gérant : Olivier Brossollet.Ont également collaboré à ce numéro : Jean-Loup Bertaux, Paloma Cabeza-Orcel, FrançoisCornet, Bettina Debû, Paul Decaix, Jean Eisens-taedt, Marie-Thérèse Landousy, Claude Olivier,Pierre Pfeiffer.

SCIENTIFIC AMERICAN Editor : John Ren-nie. Board of editors : Michelle Press (Mana-

ging Editor), Timothy Beardsley, Wayt Gibbs,Marguerite Holloway, John Horgan, KristinLeutwyler, Philip Morrison, Madhusree Muker-

jee, Sacha Nemecek, Corey Powell, Ricki Rus-ting, David Schneider, Gary Stix, Paul Wallich,Philip Yam, Glenn Zorpette. Publisher : JohnMoeling. Chairman and Chief Executive Offi-cer : John Hanley. Co-Chairman : Pierre Gerc-kens. Executive Commitee : John Moeling,Vincent Barger, Robert Biewen.

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AOUR LP

Couverture : American Museum of NaturalHistory. P. 7 : Bruno Vacaro. Pp. 10 et 11 :doc. PLS. P. 12 : Christian Frétigny. P. 13 :George Giusti. P. 14 (haut) : Service d’aéro-

nomie du CNRS (Verrières). P. 14 (bas) :doc. PLS. P. 15 : J.-P. Brun. P. 16 : V. Mau-rice et P. Marcus, CNRS-ENSEP. P. 17 : YvesBérard. P. 20 : RICLAFE /Sipa Press. Pp. 21et 22 : doc. PLS. P. 23 : S.-I. Shoda et PLS.P. 24 : NASA. P. 25 : M.-C. Lévy. P. 26 (pho-tographie) : Don Wilson, West Stock. P. 26(dessins) : Laurie Grace. P. 27 : doc. PLS.P. 28 : Ron Testa, Field Museum of NaturalHistory. P. 29 (haut) : Department Library Ser-vices, American Museum of Natural History.P. 29 (bas) : Ron Testa, Field Museum of Natu-ral History Pp 30 31 et 32 (haut) : Ameri-

Pierre Audénis/ IASBE. P. 70 : AlainRoques/ INRA. P. 71 : PLS - P. Audénis/ IASBE.P. 72 (gauche) : Patrick Lorne/Jacana. Pp 72(droi te) e t 73 (gauche) : RenéDulhoste/Jacana. P. 73 (droite) : P. Audé-nis/ IASBE. Pp 74 et 75 (dessin) : doc. PLS.P. 75 (photographie) : Roger Viollet. P. 76(haut) : J.-L. Charmet. P. 76 (bas) : Roger Viol-let. P. 77 : J.-L. Charmet. P. 78 : Musée de laMarine. P. 79 (haut) : Roger Viollet. P. 79 (bas) :document PLS. P. 82 : International Commu-nication Agency, avec l’autorisation d’EmilioSegrè Visual Archive. P. 83 (Planck) : Ame-rican Institute of Physics, Emilio Segrè VisualArchive. P. 83 (Einstein 1905) : BettmanArchive. P. 83 (dessin) : Jared SchneidmanDesign P 83 (Einstein 1916) : UP/Bet t-

RÉFÉRENCES DES ILLUSTRATIONS