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Vincent DUREUIL JANTHIAL Rien n’est aisé, et surtout pas l’évidence de l’épure. Alors Vincent Dureuil met son cœur, sa foi et ses nerfs dans son art et ses vins. Du coup, ses parcelles de la Côte chalonnaise expriment la noblesse des appellations voisines plus prestigieuses et ses rullys régalent les amateurs sur les plus grandes tables étoilées. Au domaine, un mantra : « Nous aimons nos terres, vous aimerez nos vins. » On confirme. PAR LÉA DELPONT • PHOTOS JON WYAND LA STAR DE RULLY CET ARTICLE EST PARU DANS LE N°32 - PRINTEMPS 2018 V IGNERON

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Vincent DUREUILJANTHIAL

Rien n’est aisé, et surtout pasl’évidence de l’épure. Alors Vincent

Dureuil met son cœur, sa foi et ses nerfsdans son art et ses vins. Du coup, ses

parcelles de la Côte chalonnaiseexpriment la noblesse des appellationsvoisines plus prestigieuses et ses rullys

régalent les amateurs sur les plusgrandes tables étoilées. Au domaine, un mantra : « Nous aimons nos terres,vous aimerez nos vins. » On confirme.

PAR LÉA DELPONT • PHOTOS JON WYAND

LA STAR DE RULLY

CET ARTICLE EST PARU DANS

LE N°32 - PRINTEMPS 2018VIGNERON

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Rarement un domaine aura étéaussi bien sonorisé. Dans la salledes foudres, la cuverie, les cavesvoûtées, la pièce d’étiquetage,l’entrepôt, les bureaux, partoutde grandes enceintes fixées au

plafond diffusent, passé l’heure des infor-mations à la radio, les play-lists de Vin-cent Dureuil, fou de musique et de rock :Placebo, Stereophonics, Coldplay, Ar-cade Fire, Shaka Ponk… À 47 ans, le vi-gneron de Rully vient de commencer labatterie. L’instrument remplit à lui toutseul (de bruit) le vaste réfectoire récem-ment aménagé pour accueillir des fêtes,entre deux vendanges. Il partage l’espaceavec un flipper. “Ça me fait un bien fou”,confie le quadragénaire, autodiagnosti-qué “extrêmement stressé”. Ça ne le défoulepas, ça l’apaise. “Quand je mange, quand jedors, j’ai l’esprit qui traîne à la cave ou dans lesvignes. Il n’y a qu’à la batterie que j’arrive àoublier”, dit-il.Il était moins angoissé quand il a lancé

son domaine en 1994, à 24 ans seule-ment. Son père Raymond, descendant

d’une lignée fièrement attestée jusqu’auXIIIe siècle dans le village de Rully – ber-ceau du crémant de Bourgogne –, luicède alors sans barguigner 3 hectares surles 9 qu’il possède, plutôt que de risquerde se fâcher avec lui dans une explosivecollaboration familiale. Il lui donne unéchantillon de tout : blanc, rouge, Bour-gogne, Rully, et la perle du domaine,dans son intégralité : le solaire Meix Ca-dot, dont les chardonnays octogénairesconnaissent intimement le terroir ar-gilo-calcaire.

“À l’époque, grâce aux herbicides, antifon-giques, acaricides, insecticides et toute la pa-noplie, on ne se posait pas beaucoup de ques-tions. On traitait aux dates indiquées sur lemode d’emploi et on faisait du vin en quantitésuffisante tous les ans”, se souvient le re-penti de l’agriculture chimique. Certifiébio depuis 2009, il compte sur les doigtsd’une main les millésimes “normaux” oùil a pu remplir ses cuves. Qui ne sont pasénormes, dans un domaine dont les ren-dements recherchés demeurent un tiersinférieurs à ceux autorisés. “2012 et 2013

ont été très compliquées à cause des maladies,2016 catastrophique, 2017 pas bien meil-leure.”À ses débuts, seules les vendangeslui provoquaient un pic de stress. Au-jourd’hui, il est soucieux du 1er avril au31 août, suspendu aux prévisions météo,frénétiquement vérifiées deux fois parjour. Il surveille l’apparition du mildiou,insidieux ennemi du viticulteur bio.“Quand il démarre, c’est une plaie à enrayer.”Au point qu’en 2016, annus horribilis, de-vant une attaque violente et tardive quimenaçait de contaminer toute la récoltegrêlée quelques mois plus tôt, VincentDureuil, “psychologiquement à bout”, a sa-crifié son label et traité aux phosphonatesde synthèse. “Comme la plupart des gens,mais je suis l’un des rares à m’en être expliquépubliquement dans la presse”, se souvientcelui qui a défrayé la chronique. Il a sauvé 5 hectares sur 20. “Il est temps

que la recherche nous trouve autre chose quele cuivre, un remède qui a 100 ans.” La puni-tion est sévère. Le contrevenant est re-parti pour un purgatoire de trois annéesde conversion avant de retrouver sa

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CERTIFIÉ BIO DEPUIS 2009, IL COMPTE SUR LES DOIGTS D’UNE MAIN LES MILLÉSIMES « NORMAUX » OÙ IL A PU REMPLIR SES CUVES.

Avec le tonnelierFlorian Chassin.

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commerçants… qui s’invitent à tour derôle pour les vendanges. Ses amis monta-gnards lui ont offert de nombreux pi-quets de piste en souvenir d’homériquesdescentes, et même une cabine de re-montée mécanique qui trône dans lacour du domaine. Du temps de Raymond, les installa-

tions étaient éclatées entre plusieurs pe-tites caves malcommodes dans le village.En 1988, le voisin des Dureuil, proprié-taire des locaux où Vincent est au-jourd’hui établi, leur propose unéchange : ses caves, rien de moins quecelles de la maison Veuve Ambal, pre-mier producteur de crémant de Bour-gogne, contre un terrain familial où ÉricPiffaut a pu agrandir la florissante entre-prise née à Rully en 1898. Avant de la dé-placer en 2005 à Montagny-lès-Beaune,le long de l’autoroute A6. Les Dureuilont investi la totalité des bâtiments en1998, que le jeune vigneron a progressi-vement rénovés. Il a fait disparaître leshangars en fibrociment et laine de verre,au profit d’un aménagement pierre et

certification. Il réclame, pour les bio, lapossibilité d’un “joker” d’un an en cas decoup dur, sans avoir à repartir de zéro.Malgré sa frustration, il redemandel’agrément, par souci de transparence. “Lepresque-bio, ça me laisse sceptique.”Tout a commencé en 2004 quand,

jeune papa de deux enfants, il a arrêté lesherbicides. “Je n’en pouvais plus de voircette tête de mort sur les flacons, de mettre desgants, des masques, pour ne pas m’empoi-sonner.”Progressivement, il a jeté aux or-ties le reste des traitements chimiques.“Au bout de quatre-cinq ans, le profil du vina changé. C’est sensible en dégustation maisaussi flagrant aux analyses. On constateplus d’acidité, même dans les millésimes so-laires.” Le nostalgique de la vivacité desvins d’antan retrouve une forme de naï-veté originelle qu’il affectionne : uneprécision tranchante, tendue, minéralepour les blancs, un fruité délicatementciselé pour les rouges. Ses vins s’expri-ment dans la verticalité, la longueur, ja-mais dans l’épaisseur ni la suavité com-plaisante. Ils ont le parfum aérien de

l’élégance, de la grâce. Ils fuient la lour-deur, sveltes et frétillants même aprèsdix ans, comme ce Meix Cadot 2007 dé-bouché sur un jambon persillé : nez ai-guisé, à peine beurré du tranchant de lalame, minéral et floral. En bouche, sonterroir solaire et argileux ressort dansune pointe de citron confit et d’amandegrillée, une richesse cristalline et une gé-nérosité rigoureuse. Le lieu-dit Mai-zières se laisse aussi aller à une certainerondeur, tandis que les premiers crusMargotés et En Grésigny, biberonnés aucalcaire, exaltent la matière sèche deleurs terres blanches. L’amertume finalemais parfumée qui signe les cuvées dudomaine Dureuil-Janthial souligne l’ar-chitecture élancée de vins impeccable-ment structurés.

“Je n’aime pas le gras”, lâche l’amateur depureté, et de montagne : ski de piste, skide randonnée, rafting, nuits en refuge, il la pratique été comme hiver. Il a fait de Morillon, en Haute-Savoie, sadeuxième maison. Il connaît tous les pis-teurs, perchistes, guides, secouristes et

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SES VINS S’EXPRIMENT DANS LA VERTICALITÉ, LA LONGUEUR, JAMAISDANS L’ÉPAISSEUR NI LA SUAVITÉ COMPLAISANTE.

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bois, contemporain et chaleureux. Etécolo. La nouvelle chaudière est alimen-tée par la sciure de la tonnellerie du vil-lage, l’entreprise de Stéphane Chassin.Ses fûts sont un ingrédient essentiel,

par leur discrétion, du style Dureuil-Jan-thial. “Très peu grillés, ils font ressortir la mi-néralité et apportent juste de la densité”, louele fidèle client (sur allocation !). Chaqueannée, le vigneron incorpore 20% (pourles blancs) à 30 % (pour les rouges) debarriques neuves dans sa futaille. Et onne sent rien, sinon le goût du terroir ! Lastar de Rully n’a rien d’un partisan de latendance “nature” mais il met très peu desoufre dans ses vins. “Simplement, je lemets au bon moment.” Pour lui, “les meil-leurs antioxydants sont déjà dans le raisin,encore faut-il aller les chercher.” C’est la rai-son pour laquelle il pratique sur lesblancs des “presses longues et fortes”, mêmesi les tenants du pressoir pneumatiquevantent les programmes doux. Luipousse les vérins à fonds. “Avec le chardon-nay, il faut taper dans la matière, comme lesanciens avec leurs pressoirs à clic”, soutient-

il. Mais attention : “Ce n’est pas à recom-mander sur un gros rendement et une ven-dange qui n’est pas parfaitement saine, mûre,ramassée à la main. Sinon, on extrait desamers verts exécrables.”Le partisan de la méthode forte, per-

suadé de la “mémoire du moût”, laisse vo-lontairement s’oxyder les jus sous le pres-soir et dans la cuve, jusqu’au moment dudébourbage où il consent enfin à mettreun peu de SO2, douze heures après lapresse. C’est le principe de la vaccina-tion… “Plus tôt le vin est en contact avecl’oxygène, mieux il le gérera par la suite.” Ré-sultat, c’est un liquide marron-noir, clari-fié par la fermentation, qu’il entonnedans les fûts. À l’assemblage seulement,douze mois plus tard, il fait “un calage tech-nique et rigoureux des vins”. Comme ils ontreçu jusque-là peu de sulfites, nul besoind’en rajouter beaucoup pour les protégerefficacement. En rouge, il trie fiévreusement et

égrappe les raisins. Une habitude remiseen question par le travail tout en finessede son compère Sylvain Pataille à Mar-

sannay, et l’exemple de la Romanée-Conti ou de Lalou Bize-Leroy. Il intro-duit progressivement des essais en ven-dange entière. “Il ne faudrait pas que celadevienne un phénomène de mode comme lacouleur dans les années 1980”, met-il engarde. Il vinifie dans de vieux foudresnoircis, amoureusement entretenus, quifont partie des meubles du domaine de-puis cinquante ans, “même s’ils tiennent uneplace folle onze mois par an”. Mais aupara-vant, les baies sont stockées à 6 °Cquelques jours, le temps de terminer lesblancs. Cette macération à froid précèdele démarrage de la fermentation, avec laremontée tranquille des températures,parachevée par une infusion à chaud(jusqu’à 34 °C) de huit jours. Ses deuxpremiers crus de Rully, Chapitre etLa Fosse, expriment le yin et le yang : lepremier profond, musqué, viril, la se-conde tout en broderie ciselée. En mars de l’année suivante, tout est

terminé, rouges et blancs dûment bou-chés, sous les auspices de la même luneque le soutirage et la filtration. Il y tient.

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SES FÛTS SONT UN INGRÉDIENT ESSENTIEL : « TRÈS PEU GRILLÉS, ILS FONTRESSORTIR LA MINÉRALITÉ ET APPORTENT JUSTE DE LA DENSITÉ. »

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Précaution – superstition ? – supplé-mentaire, qui illustre sa conceptiond’une “viticulture mille-feuille”, faite d’uneaccumulation de détails. Il ne laisse ja-mais un trou dans une vigne, replantant5 000 pieds chaque année (autant detrous à creuser durant l’automne) pourremplacer les ceps défunts. Les jeunesplants sont blindés : pot en terre cuite,barre de fer et pieux en bois, pour éviter lacasse. La mortalité du vignoble, généti-quement essoufflé, le préoccupe. Il faitpartie des tenants d’une nouvelle sélec-tion, en revenant aux pépins.Avec les années, le domaine s’est

agrandi. Sur Rully, beaucoup (17 hec-tares en Côte chalonnaise). Mais aussi enCôte-d’Or (3 hectares) grâce à des par-celles récupérées par son épouse Célinesur Nuits-Saint-Georges. Le très beauClos des Argillières a la délicatesse trom-peuse des petits fruits des bois, baies gra-ciles, fragiles, aux arômes puissants etconcentrés. Le seul inconvénient de cepremier cru : les 38 kilomètres qui le sé-parent de Rully. Depuis 2013, Vincent

Dureuil a également des vignes sur Puli-gny, grâce à sa mère. Sans faire injure àcette grande appellation de la côte deBeaune, l’enfant de la Côte chalonnaisereste sur sa faim – pour l’instant – avecces vignes fraîchement converties en bio,qui peinent à se défaire d’une certainelourdeur. “L’herbe ne repousse toujourspas…”Les blancs ont moins de vivacitéque les rullys. Et les rouges… viventleurs derniers millésimes. Il ne tarderapas à arracher ces pinots noirs mal assor-tis à leur terroir, explique-t-il en nous em-portant dans une tournée exhaustive descuves, en primeur. Au lieu d’actionnersimplement le robinet, il grimpe àl’échelle, ouvre le chapeau et tire une lar-michette de vin à la pipette. “J’ai trop peurde mal refermer le robinet”, confie le pru-dent maître des lieux. Le résultat est là. Il est reconnu comme

l’un des meilleurs jeunes Bourguignons,dans un vignoble chalonnais qui a deplus en plus la cote. Il challenge les plusgrands du département voisin. Et il a réa-lisé son rêve de gosse : entrer dans les

meilleurs restaurants. Au Bristol, au Tail-levent, chez Lameloise, Jean Sulpice,Yoann Conte, Emmanuel Renaut.“J’adore les chefs, je passerais des heures à lesregarder cuisiner, en mangeant sur un coin dupasse.” Elles semblent loin les soirées oùVincent et Céline épluchaient les an-nuaires des professions libérales pour sefaire une clientèle. Leur stratégie : en-voyer leurs tarifs aux médecins et avocatsde la région parisienne (et annecienne),appâtés par la livraison gratuite. Taux deretour : 5%. Pas si mal… Le week-end, ilschargeaient la 505 break pour délivrer lescommandes en main propre.Insolite, une amphore traîne dans un

coin de la cuverie. À y regarder de près,elle est en polystyrène et signée par toutel’équipe du film Premiers crus, tourné il y aquelques années à Rully. En voisin, il aprêté des cuves et des tuyaux. Plus ré-cemment, Cédric Klapisch lui a com-mandé du vin pour le repas de fin de tour-nage de son film Ce qui nous lie. Levigneron a aimé son film. Et le réalisateura aimé son vin. e (Bon à savoir, page 176)

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LA MORTALITÉ DU VIGNOBLE LE PRÉOCCUPE. IL FAIT PARTIE DES TENANTSD’UNE NOUVELLE SÉLECTION, EN REVENANT AUX PÉPINS.