vieillefond (j.-r.). un fragment inédit de julius africanus (revue-des-etudes-grecques-46-1933-4)

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  • TIN FRAGMENT INDIT DE JULIUS AFRICANUS

    Il se trouve dansle Vatcanus graecus 284. Ce manuscritdate peut-tre du x8 sicle, comme le dit le Catalogue de Mer-cati et P. Franchi de' Gavalieri, mais il est plus probable qu'ilappartient au xie; il est l'oeuvre d'un copiste qui possdait unebelle criture mais une connaissance du grec assez courte.

    Comptant 288 folios de parchemin qui mesurent 0 m. 21 sur0 m. 28, il donne d'abord, jusqu'au folio 251 r, les livres VI-XIdu de Simplicim medicamentorum temperamentis ac faculla-tibus attribus Galien, mls des livres de Dioscoride (deMateriamedica). Ensuite, des folios 251 va 264 v, on rencontrele de Venenis de Dioscoride et, immdiatement aprs, un traitde Philoumnos (de Venenalis animalibus eorumque remediis)qui s'tend presque jusqu'au bas du folio 287 r (1).

    Il restait ainsi, dans le dernier quaternion, deux pages etquart en blanc. Comme il arrive trs souvent, le copiste ou sonmodle les a remplies de morceaux dtachs. Ces petits bou-che-trous sont gnralement des proverbes, des recettes pra-tiques, des formules pharmaceutiques, des curiosits d'alma-nach. Ici, les fragments terminaux (qui, ma connaissance,sont indits) comprennent d'abord le mode de prparationd'une antidote compose avec cent lments (ces cent lmentssont numrs pendant une page) ; ensuite, est note une

    (1) Cf. l'dition de Philoumnos par M. Wellmann (Corpus Medicorum Gre-Qrum, XI, i), Leipzig, Teubner, 1908,

  • 198 J.-B. V1EILLEF0ND

    autre recette de contrepoison. Enfin, sans aucune sparation,au milieu du folio 288 v, exactement la quatorzime ligne(chaque page en compte trente-deux), vient l'extrait des Gestesde Julius Africanus, et il occupe ainsi la dernire demi-pagedu manuscrit.

    L'existence de ce fragment a dj t signale par H. Dielsdans son Catalogue des manuscrits mdicaux, mais il est restsans publication (1).

    Au contraire, un autre fragment du mme auteur, qui setrouve galement en fin de manuscrit dans le LaurentianusLXX1V, 23, fol. 204 r, a t dit par Meursius-Lami, puis parBandini et enfin, plus rcemment, avec une traduction alle-mande, par K. K. Millier (2). Il n'offre pourtant pas un intrtextraordinaire : c'est un paragraphe de huit lignes sur les pur-gatifs simples .

    La diffrence de traitement entre les deux fragments s'ex-

    plique une fois qu'on prend en mains le Valicanus. Tandis quele chapitre du Laurentianus est d'une belle criture duXIVe sicle, peine complique de ligatures et d'abrviations,celui du Vaticanus parat, premire vue, illisible. C'est quele manuscrit a t pendant longtemps priv de reliure et,ainsi, le folio terminal lui a servi de couverture. Sa partieextrieure, celle justement qui porte notre texte, a donc ttache, froisse, rpe et puis dchire en partie. Pour comblede malheur, en voulant prserver les lambeaux subsistants, ona eu l'ide de coller par dessus un papier vaguement transpa-rent qui, s'appliquant mal sur les rides, gne encore la lecture,dj trs difficile.

    Toutefois, avec de l'attention, on arrive le dchiffrer entrs grande partie et, sans se hasarder des restitutions qui,

    (1) Die Handschriflen der antiken Aerzte, (11, Erster Nachtrag, p. 43).(2) Ce mme texte est reproduit par le Barroianus d'Oxford 224, fol. 50 v.Voici les rfrences pour les trois ditions : Meursii opra, d. Lami, t. Vil,

    p. 979; Bandini, Catalogus cod. graec. Bibliolhecae Laurentianae, p. 127; Jahrbiicher filr proteslantische Thologie, 1881, p. 759-760*.

  • UN FRAGMENT INDIT DE JUL1US AFRICANUS 199

    tant donn l'esprit et le style capricieux de Julius Africanus,seraient aventureuses, voici ce qu'on peut lire (1) :

    x xwv oepocavo xeortov (irepl) TOU xwapiwpu.TO Se xi.vvaawu.ov ripSoxo; usv Xyst. ouSsva e-ivat,

    t>; (ylyvexai) pvet.; 8 veoxx'. oixoSou-elv eV xpai;xtv 7C-tp x xo xt,vvapuou,ou

    ' TOt>; 8 yyxo-5 pou; ou Suva Ta; axpa; veXQsv 8ii-

    pisyXa Txyiaaxa xal Siau.eXw'avTa; vTTI!7XU(0(7!. xotiso' 'pvia; elvai ya^'l/ovii^ou x-

    et; oL'.v xo; icap' 7|p.v " o; .vas>'pet.v xx l x; axwv xaXi; xal TrXipov SOT' SV U-

    10 TOG papou; Tve-)(_9wo-tv v TO; os va'.pou-ptivou; x xivvu.(

  • 200 J.-R. V1EILLEFOND

    Wvt; olxxt ^pU)|xevoi v TOKTISS ^toptotirt (j>a-J>;i.iv T'I y.'.vijj.ow.v.3-jX/vYr';Avov r/. -.'/j-on IXVSSTOXI i Ta; /Oa.: ytyj.'-. _

    Traduction :

    Extrait des Cestes d'Africanus : Sur le cinname(l). Hrodote dit du cinname que personne ne sait comment il

    se forme. Or il y aurait des oiseaux qui btiraient leurs nidssur des rochers inaccessibles avec du cinname. Les indignes,ne pouvant monter sur ces rochers, sacrifieraient de grossesttes de btail. Puis, s'ils savent que ces oiseaux sont carnas-siers, les gens de chez nous dpceraient les btes et les aban-donneraient la vue des oiseaux. Ces derniers emporteraientles morceaux de viande dans leurs nids qu'ils rempliraient"ainsi jusqu' ce qu'ils s'croulent sous le poids. Les gensramasseraient alors le cinarrime et puis ils iraient le vendre.Cette fable, Hrodote... Quant moi, j'affirme par exprienceque le cinname est une plante peu prs comme un buissonet..... Et cet arbuste ressemble peu prs... au gattilier.Comme hauteur, l'arbuste... lise divise en

    Ce texte peut sembler n'avoir pas grand intrt puisqu'ilne fait que paraphraser inexactement un passage d'Hrodote.Quant l'apport scientifique de Julius Africanus dans la

    (1) Nous employens cet uncien mot parce qu'il dsigne, comme le terme grec, la fois le cannelier et la cannelle qui en est l'corce aromatique.

  • UN FRAGMENT INDIT DE JULIUS AFRICANUS 201

    dernire partie du chapitre, il n'est pas considrable et l'tat

    du manuscrit ne permet pas de l'estimer sa juste valeur. Maiscependant, tel qu'il est, ce fragment prsente une certaine

    importance.Il montre, d'abord, une fois de plus, la culture trs tendue

    d'Africanus. Non seulement, dans les Gestes \\aborde tons les

    sujets'militaires, mdicaux, agricoles, vtrinaires, botaniques,magiques, mathmatiques, etc.). non seulement dans tsiGhro-noqraphie- et. dans ses Let/rfs il fait preuve d'une science histo-

    rique et religieuse peu commune (1), mais il a frquent lesbons auteurs littraires : Homre, Virgile, Philostrate, sans

    compter les scientifiques comme Euclide, Apule, Florentinus,etc. (2). Homre, en particulier, et c'est naturel, parat treson livre de chevet : il est heureux de le citer chaque fois quel'occasion s'en prsente. Il rappelle, par exemple, la lutted'Achille et d'Hector, les noces de Pasithe, la prdiction deschevaux d'Achille, le sommeil tragique de Rhsos, les concoursen l'honneur de Patrocle (3). Il transcrit mme une tirade del'Odysse qui lui semble indite (4). Et dans le passage quenous venons de donner, il montre aussi qu'il connat bienHrodote 6 il puisse des anecdotes curieuses.

    D'ailleurs, le fait qu'il s'amuse de la navet du vieil histo-rien prouve en faveur de son esprit critique. Cet esprit critiques'tait rvl jusqu'ici trs avis dans la Correspondance avecOrigne et Aristide, mais les fragments des Cestes que nousavait conservs la tradition ne le mettaient gure en valeur,tout pleins qu'ils taient de magie ou de apSo^a purils. Ici,

    (1) Cf. H. Gelzer, Sexlus Julius Africanus und die byzanlinische Chronogra-phie, Leipzig, 1880.

    (2) Cf. Fragments des Cestes provenant de la collection des Tacticiens grecs.Paris, Belles-Lettres, 1932, p. 33, 1.1; Geoponica (d. H. Beckh, Leipzig,'l'eubner, 1898). p. 29. I. 4, 24 ; p. 58, 1. 6, 9, 15 ; p. 306, 1. 8, etc.

    (3) Cf. Fragments des Cesles provenant etc., p. 38, 1. 13 ; p. 39, 1. 51; p. 23,1. 22; p. 38, 1. 15; Archives des Missions scientifiques, 3e srie, t. III, p. 378 sqq.

    (4) Oxyrh. papyri, 111, n 412. Cf. aussi les Papyri magicae graecae de Prei-sendanz, t. Il, n XX111.

  • 202 J.-R. V1EILLEFOND

    au contraire, nous voyons Jules Africain rejeter la lgendeavec ddain pour n'accepter que l'explication scientifique.

    D'autre part, s'il est vrai, comme le prtendent les encyclo-pdies modernes, que le cannelier ne pousse que dans l'Inde,

    Ceylan ou en Chine (1), il faudrait enregistrer un voyage deplus l'actif d'Africain, dont nous savons qu'il visita l'Egypte,l'Osrone, la Phrygie, l'Armnie, la Palestine et Rome (2).

    Mais surtout ce fragment apporte une contribution assez int-ressante pour fixer l'origine de notre auteur. Jusqu' ces der-nires annes elle restait fort mystrieuse. Suidas, recopiantHesychius, l'appelle philosophe libyen . Un fragmentalchi-miqu reproduit par un manuscrit du xive sicle le qualifie de

    j3a6uXwv!.o;. Eusbe dit qu'il vcut Emmasen Palestine. EnfinDenys Bar Salibi et Ebed Jesu ajoutent qu'il fut vque de cetteville (3).

    Heureusement qu'un passage des Cestes dcouvert Oxyrhyn-chus fournit une prcision donne par l'auteur lui-mme : il

    parle, en effet d'Aelia-Capitolina (c'est--dire Jrusalem) enl'appelant TT; p-^aa; TcaxpSo; (4). Et presque tous les historiensont aussitt pens qu'il s'agissait de la patrie de l'auteur.

    Cependant, l'absence d'adjectif possessif a pu laisser croire auxditeurs-traducteurs des Oxyrhynchus papyri, Grenfell et Hunt,qu'il tait question de la patrie des lecteurs : your old home.Cette opinion ne saurait gure se soutenir, tant donn qu'uneencyclopdie d'une valeur universelle comme les Cestes et

    rdige en grec ne peut pas s'adresser uniquement des Juifs.Quant Blass, il a pens que Jules Africain dsignait ainsi lapatrie d'un Juif auquel il s'adresserait. Cette thse n'est pas

    (1) En tous cas, le prix extraordinairement lev du cinname (pretia quondamfuere in libras denarium inilia), son caractre prcieux (coronas ex cinnauiointerrasili auro inclusas priinus omnium in templis Capitolii atque Pacis dicavitVespasianus Augustus) prouvent bien que c'tait un produit fort rare et exotique(cf. Pline, XII, 82-95, qui nous empruntons ces dtails).

    (2) Cf. Fragments des Gestes provenant etc , p. ix-x.. (3) Cf. ibid., p. XXII, vmet'xi.

    (4) Oxyrh. papyri, 111, n 412.

  • UN FKAGMENT INDIT DE JULIUS AFKICANUS 203

    admissible, non plus, car les Cestes sont ddis l'empereurAlexandre-Svre (1).

    Il reste donc admis que Julius Africanus fait allusion, dans

    le papyrus, sa propre ville, Jrusalem. Qr dans le fragmentsur le cinname, l'auteur parle des gens de chez nous : xo;

    Tcap'Yifxv. Le mot correspond xo; yv^wpou; de la phrase pr-cdente et xo; 'Apaou; dans le texte d'Hrodote. Cependant, notre avis, il ne faudrait pas voir de contradiction avec l'in-dication du papyrus. Les'Aptoi d'Hrodote reprsentent des

    peuples dtermins d'une faon assez imprcise. D'autre part,la citation de Jules Africain, visiblement faite de mmoire(2),est assez lche pour que l'auteur ait pu oublier le nom exactdu peuple, se souvenant simplement qu'il s'agissait d'Asia-

    tiques mridionaux et mditerranens. Enfin l'expression xouap' T|[xv est suffisamment vague, son tour, pour pouvoirdsigner un peuple voisin. Car l'Arabie tait limitrophe de la

    Syrie-Palestine qu'elle enserrait de deux cts : elle commenait, l'Est, immdiatement aprs la mer Morte et le Mont Nbo,c'est--dire moins de cinquante kilomtres de Jrusalem, et,au Sud, nous dit Hrodote (III, 5), les Arabes arrivaient jusqu'Kadytis (Gaza), c'est--dire quatre-vingts kilomtres de Jru-salem. Par consquent, ce texte montrant que Julius Africanusest un Asiatique du Sud-Est, vient plutt corroborer le papyruso l'auteur parlait de sa ville natale : Aelia-Capitolina.

    J.-R. VlEILLEFOND.

    (1) Cf. Georges le Syncelle, Chronographie, dit. de Bonn, 1829, I, p. 616. Blass(Arehiv filr Papyrusforschung, \il, 1903-1906, p. 291-298) n'ignore pas le rensei-gnement du Syncelle, mais comme celui-ci ne connat-que neuf livres des Cesteset que le papyrus est extrait du XVIIIe Ceste, il en conclut que le dernier, tiersde l'oeuvre aurait t ddi, un autre personnage. En ralit, si le Syncelle neparle que de neuf livres et Photius de quatorze livres sur les vingl-qualre de l'di-tion primitive, si nous-mmes nous, n'avons que des dbris, c'est que cettenorme encyclopdie fut de bonne heure rduite et morcele. Mais il n'y aaucune raison de croire que la ddicace ne portait pas sur l'ensemble de l'ouvrage.

    (2) Remarquer, en particulier, qu'Hrodote parle des cadavres d'animaux mortsnaturellement que les Arabes donnent en pture aux vautours. Or Africanus pr-tend que, d'aprs Hrodote, on tuerait exprs des animaux pour obtenir de lacannelle.