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PAPERS PAPERS TEXTES ÉCOLES SOMMAIRE n° 6 ÉDITO - Débora Rabinovich - EOL P 02 6. 1 Raquel Cors Ulloa - NEL P 05 6. 2 Luisella Mambrini - SLP P 09 6. 3 María Eugenia Cora - EOL P 13 6. 4 Guy Briole - ECF P 16 6. 5 Marcelo Veras - EBP P 19 6. 6 Gustavo Dessal- ELP P 22 6. 7 Bilyana Mechkunova- NLS P 25 Transfert et acte analytique dans les psychoses Vers Barcelone 2018 : Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert Comité d’Action de l’École Une / AMP 2016-2018 Paloma Blanco - Florencia Fernandez Coria Shanahan - Victoria Horne Reinoso (coor- dinatrice) - Anna Lucia Lutterbach Holck - Débora Rabinovich - Massimo Termini - José Fernando Velásquez Édition - Conception et réalisation graphique Chantal Bonneau - Emmanuelle Chaminand-Edelstein - Hélène Skawinski Equipe de traduction pour le Papers français Chantal Bonneau (coordinatrice) - Joan Busquets - Geneviève Cloutour-Monribot - Rachele Giuntoli - Anne Goalabré - Jean-François Lebrun - Catherine Massol - Rosana Montani-Sedoud - Pedro Pereira

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SOMMAIRE

n° 6

ÉDITO - Débora Rabinovich - EOL P 02

6. 1 Raquel Cors Ulloa - NEL P 05

6. 2 Luisella Mambrini - SLP P 09

6. 3 María Eugenia Cora - EOL P 13

6. 4 Guy Briole - ECF P 16

6. 5 Marcelo Veras - EBP P 19

6. 6 Gustavo Dessal- ELP P 22

6. 7 Bilyana Mechkunova- NLS P 25

Transfert et acte analytique dans les psychoses

Vers Barcelone 2018 : Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert

Comité d’Action de l’École Une / AMP 2016-2018Paloma Blanco - Florencia Fernandez Coria Shanahan - Victoria Horne Reinoso (coor-dinatrice) - Anna Lucia Lutterbach Holck - Débora Rabinovich - Massimo Termini - José Fernando Velásquez

Édition - Conception et réalisation graphiqueChantal Bonneau - Emmanuelle Chaminand-Edelstein - Hélène Skawinski

Equipe de traduction pour le Papers françaisChantal Bonneau (coordinatrice) - Joan Busquets - Geneviève Cloutour-Monribot - Rachele Giuntoli - Anne Goalabré - Jean-François Lebrun - Catherine Massol - Rosana Montani-Sedoud - Pedro Pereira

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Transfert et acte analytique

dans les psychosesDeborah Rabinovitch – eol

Poursuivons l’avancée vers notre prochain Congrès. Sous différents aspects, nous avons abordé dans les cinq Papers précédents la catégorie de la psychose ordinaire introduite par Jacques-Alain Miller. Dans cet avant-dernier numéro des Papers, nous nous centrerons sur la finale du titre du Congrès : sous transfert.

Il y a du transfert dans les psychoses. Cette affirmation prend son départ de l’ensei-gnement de Lacan. Freud, en revanche, soutenait que le psychotique était incapable d’établir les liens transférentiels requis pour faire une analyse, essentiellement à cause de son narcissisme1. C’est la raison pour laquelle il déconseillait de prendre en analyse un sujet psychotique.

Nous allons travailler l’articulation entre deux syntagmes introduits par Jacques-Alain Miller. Le plus actuel : les psychoses ordinaires. Le plus classique : sous transfert, lequel nous renvoie à sa conférence de 1984 intitulée « C.S.T.2 ».

Dans l’enseignement de Lacan, le transfert « ne se distingue pas de l’amour, de la formule le sujet supposé savoir3 », étant donné que « celui à qui je suppose le savoir, je l’aime4 ». Ceci implique que ces deux versants du transfert sont articulés entre eux dans le sujet supposé savoir. Il sera dès lors essentiel d’élucider quelles sont, dans les psychoses, les caractéristiques spécifiques de l’amour et du savoir. A quoi se réfère le transfert dans les psychoses, s’il ne s’agit ni de demande d’amour ni de demande adressée au sujet supposé

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savoir – laquelle est précisément ce qui sous-tend la demande d’amour. Nous avons à cerner notre façon de penser le transfert ainsi que l’acte de l’analyste, depuis le règne du Nom-du-Père et jusqu’à sa pulvérisation, de l’inconscient au parlêtre, et du langage à lalangue.

Les sujets psychotiques s’adressent aux analystes. La psychanalyse est, par dessus tout, un dispositif de traitement de la jouissance. Pouvons-nous dès lors dénommer cette adresse : demande d’apprendre à faire avec l’irruption de jouissance ? Là où l’on pourrait poser un certain accrochage entre le signifiant et la jouissance, il y a un vide. Faute de l’Autre de la tradition qui viendrait introduire une mise en ordre, le sujet est appelé à inventer5.

La perspective clinique s’est élargie dans notre contemporanéité, et la direction de la cure doit réviser ses références. L’analyste en effet ne se limite pas à suivre l’indication donnée par Lacan en 1958, d’être secrétaire de l’aliéné6. On verra, au cas par cas, sur quoi doit porter l’acte de l’analyste. Comme l’indique Éric Laurent7, ce ne sera pas la même chose selon qu’il s’agisse d’une psychose interprétative ou si le sujet, confronté à un trou, reste dans la perplexité face au vide.

Il y aura lieu d’examiner à chaque fois quel est le style de partenaire-analyste pouvant convenir à la construction du cas qui s’élabore. Nous poursuivrons avec le dernier Lacan l’examen des indications du premier Lacan  : «  la conception qu’il y a à se faire de la manoeuvre, dans ce traitement, du transfert8 ».

Il ne fait pas de doute que le transfert – pointe vive de la psychanalyse – est la voie logique pour traiter la jouissance. Avec la clinique continuiste nous en connaissons la validité tant pour la névrose que pour la psychose. S’agit-il d’un déplacement du transfert à l’analyste-sinthome, c’est-à-dire à un analyste qui fasse partie intégrante du nouage du sujet ?

Le transfert n’a pas été élucidé à partir du noeud borroméen. Sur ce point, nous sommes encouragés à argumenter notre expérience sans nous écraser sur le mur du langage9. Il y a ici tout un champ à investiguer et à explorer pour envisager la possibilité d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Dans Télévision, Lacan dit que « le discours analytique ne peut se soutenir d’un seul10 », et il indique avoir le bonheur qu’il y en ait qui le suivent : « Le discours a donc sa chance11 ». Orientés par ces paroles de Lacan, notre effort consistera à continuer à donner au discours analytique son opportunité d’être à la hauteur de notre contemporanéité.

Dans la présente livraison, les sept auteurs ont choisi d’apporter des textes très cliniques ; le transfert et le singulier qui en découlent ont donné leur empreinte à notre Papers no 6.

Raquel Cors Ulloa accentue l’importance des inventions au cours d’une analyse. Elle nous fait ainsi apercevoir le rôle essentiel de la présence de l’analyste et le calcul qu’il effectue depuis le transfert. Elle interroge comment on analyse aujourd’hui, montrant l’appui pris sur le sinthome, là où le parlêtre ne dispose pas du Nom-du-Père.

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Luisella Mambrini part du terme « traitement » utilisé par Lacan lorsqu’il parle des psy-choses. De là, elle affirme que l’analyste doit exercer une présence et une intervention rendant manifeste l’égalité clinique, non entre les structures, mais entre les parlêtres.

María Eugenia Cora nous propose comme thèse centrale de son texte une formulation originale  : le transfert, opérateur de la solidification de la psychose ordinaire. C’est uni-quement sous transfert qu’un diagnostic et une invention inédite seront possibles.

Guy Briole aborde avec précision le thème complexe du transfert érotomane ainsi que l’attention particulière requise du psychanalyste. Il met l’accent sur une manœuvre cli-nique qui permet dans une analyse de réorienter le transfert érotomane.

Marcelo Veras examine en deux vignettes cliniques de sujets paranoïaques le lieu de l’analyste et de son acte. Il montre la subtilité requise pour donner sens, sans pour autant alimenter le délire.

Gustavo Dessal à l’aide de trois vignettes de psychose nous éclaire sur la façon pour l’analyste de se laisser enseigner, « par le sujet qui sait », et à partir de là orienter la direction de la cure.

Bilyana Mechkunova présente un travail clinique sur une mère et son fils, avec les effets de séparation et d’implication que les entretiens ont produit sur l’une et l’autre.

Les lecteurs de ce Papers trouveront des pistes de réflexion tant au niveau épistémique qu’au niveau clinique pour affiner davantage leurs lectures à la veille de notre XIe Congrès de l'AMP à Barcelone.

Traduit de l’espagnol par Jean-François Lebrun

................................................................................1 Freud l’a soutenu à plusieurs reprises. Par exemple, dans «  Le Transfert  », XXVIIe des Conférences

d’introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1988, p. 416, et dans «  Petit abrégé de psychanalyse  », Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1985, p. 111-112.

2 Miller J.-A., « C.S.T. »., Ornicar?, nº 29, 1984, p. 142-147.3 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 64.4 Ibid.5 Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause Freudienne, nº 43, octobre 1999, p. 25.6 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 233 & sq.7 Laurent É., « L’interprétation ordinaire », Quarto, nº 94-95, janvier 2009, p. 144-150.8 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil,

1966, p. 583.9 Miller J.-A., « Orientation. L’inconscient et le corps parlant », Scilicet, Paris, École de la Cause freudienne,

2015, p. 28.10 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 531.11 Ibid.

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Transfert et acte de l’analyste,

le dénouement que chacun invente

Raquel Cors Ulloa – nel

Roland Barthes – cité par Jacques-Alain Miller1 – écrit que Brecht savait d’un même mouvement affirmer un sens en le mettant en suspens, l’offrir en le refusant, et que toutes ses œuvres s’achèvent sur un « cherchez le dénouement ». Chercher le dénouement peut être insupportable pour le thérapeute habitué au confort classique du bouclage d’une classification diagnostique binaire liée au complexe d’Œdipe, en particulier avec des sujets dont la logique est comme un ensemble ouvert, supplémentaire et non complé-mentaire ; il est difficile pour ces sujets de boucler des significations et, même quand ils trouvent place dans la société, la clinique psychanalytique leur offre aussi une possibilité de construire ou de maintenir ce qui grâce au lien social se resserre en eux.

Il y a près de vingt ans, fin des années 1990, Jacques-Alain Miller a proposé au champ d’orientation lacanienne le terme de psychose ordinaire, catégorie aujourd’hui devenue un concept clinique, et cependant toujours à l’étude. Repenser ces catégories – jusqu’alors abordées par la voie royale du premier enseignement cadré par le symbolique, le Nom-du-Père et les mécanismes du fonctionnement psychique tels que la forclusion, le refoulement et la dénégation – c’est repenser notre pratique (qui bien que sans stan-dards n’est pas sans principes) dans les cures que nous dirigeons sous de nouveaux transferts, avec les surprises de l’acte analytique et les effets de son interprétation. Là se pose la question « de savoir si l’effet de sens dans son réel tient à l’emploi des mots ou bien à leur jaculation2 », car la jaculation garde un sens isolable qui n’implique jamais le seul bla-bla-bla de la catégorie signifiante puisque derrière, l’inconscient interprète face à chaque inhibition, symptôme, ou angoisse.

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Ce qui se serre au-delà du symbolique, « consiste » en un « soutien » imaginaire qui confère au parlêtre la dignité de ce qui se fabrique, s’invente, comme le montre Lacan en 19753. Mais l’analyste lui aussi doit inventer, non sans les ressources nées de la cure elle-même et de ses contingences qui lui permettent d’opérer, arrêter, stabiliser ou relier les solutions singulières de chaque cas. L’analyste aujourd’hui se sert de diverses interventions, sous transfert, telles que conversation, traduction, ou ponctuation, obtenant un type d’arrêt, soit par la séparation, soit par la nomination. Nommer peut « consister » à accompagner un « c’est ça » par lequel le flux signifiant s’arrête ; de même qu’il peut « soutenir » l’imagi-naire, cette forme qui enveloppe, dissimule, revêt l’objet ; image qui, dans le meilleur des cas, se constitue sous la dépendance d’un signifiant.

Aujourd’hui, les nouvelles formes d’interventions pour de nouvelles stabilisations sous de nouveaux transferts, requièrent plus que jamais la présence de l’analyste, ainsi que la super-audition en contrôle, qui ne fait pas toujours chaîne avec la paire S1 et S2 mais se centre plutôt sur l’événement de corps que propose l’interprétation imaginaire de la paire (S1, a) en ce qui se réfère au sinthome.

Le sinthome reviendrait à être une référence qui orienterait face à cette interrogation  : comment analyser s’il n’y a pas le Nom-du-Père  ? À présent nous le faisons en nous laissant enseigner par les cures que nous dirigeons et contrôlons  ; c’est là que sont les coordonnées du dernier enseignement, qui pour chaque cas révèlent la fonction supplé-mentaire, dont la consistance se réfère à ce qui fait fonction de Un Père. Sans en arriver à la conclusion hâtive que tout est inclassable, notre pratique – qui toujours devance la théorie – prend le temps préliminaire que le transfert lui offre pour prêter une attention particulière aux détails les plus ordinaires, aux signes discrets, aux pièces détachées que chaque cas nous apporte. Cas qui d’emblée sont hors de la formule œdipienne, ce qui exige que la fonction de l’analyste/analysant se situe comme partenaire d’un inconscient, peut-être non transférentiel, mais réel.

Dans la clinique actuelle nous rencontrons des sujets pour qui il n’y a pas d’Autre de l’Autre, ni dénouements conclusifs une fois pour toutes, mais des rebranchements, des suppléances, des bouclages. Chez ces sujets également nous trouvons des singularités d’invention, qui intéressèrent tant Lacan, montrant pour notre formation qu’avec un « c’est ça » : « C’est bien cette question qui m’a fait commencer mon séminaire des Noms-du-Père […] si j’ai intitulé ce séminaire les, et non pas le, Noms-du-Père c’est que j’avais déjà certaines idées de la suppléance du Nom-du-Père4. »

Si nous faisons un pont entre 1937 et 1975, nous voyons que Freud, dans Constructions dans l’analyse5, avait établi qu’on sautait du vide au délire, tandis que pour le dernier Lacan, il ne s’agit plus de saut vers le délire mais de ressources trouvées par chaque un, avec l’invention la plus singulière du Un. Il y a des cas où l’analyste avec ses solutions sin-gulières – qui peuvent être efficaces ou dévastatrices, peut apparaître comme un Autre méchant, persécuteur, érotomane ; ou bien aboutir à une vie ordinaire, non débranchée de l’Autre, stabilisée, avec un certain point d’arrêt, de solution, d’invention que l’analyste saura loger.

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Il est vrai qu’aucune ponctuation ou conversation ne serait possible sans au moins une séquence de signifiants à traduire, et comme on le sait, quand cette séquence signifiante est névrotique, elle peut trouver un point d’arrêt grâce à la fonction du Nom-du-Père  ; mais quand il s’agit de psychose, ce point d’arrêt ressort de sa propre invention. Le psy-chotique – qui ne croit pas au père – croit en son interprétation originale, et l’impose au moyen de ce que ses paroles lui imposent, mais chaque cas est unique. Lacan a trouvé avec Joyce un cas qui, après avoir reçu une raclée, constate que son rapport au corps se détache comme une pelure, sans l’ego soutenant l’imaginaire corporel et pour qui le symptôme « écriture » lui donne une jouissance dans l’imaginaire – soit un sinthome qui noue, sans le Nom-du-Père.

La fonction de l’analyste sera d’accompagner, séance après séance, chaque psychotique : soit pour qu’il se sépare de l’Autre, pour l’autoriser à choisir, pour lui donner un silence, ou le soutien du regard, un rituel, un semblant, un signifiant, un dire dans l’ordre de l’évé-nement, un geste, ou une poignée de mains. Alors la ponctuation de l’analyste mettra les virgules, les points virgules, ou les points sur les i, et calculera le pouvoir du transfert, par exemple pour qu’il ne soit pas massif comme dans le cas de Schreber avec Flechsig.

S → Sq

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s (S1, S2, … Sn)

Aujourd’hui, le transfert n’est plus ce qu’il était6 et l’ouverture de l’inconscient non plus. Il faudrait donc s’interroger sur cet algorithme7 en tant qu’il ex-siste à la direction de la cure et à l’École. Comment pensons-nous aujourd’hui le transfert dans le travail d’une com-munauté qui se permet de converser sur les cures que nous menons, les liens que nous établissons, le travail interprétatif, les inventions cliniques, politiques et épistémiques, qui ne seraient pas possibles sans nous en tant que porteurs du discours analytique.

Du point de vue du transfert et de l’acte de l’analyste, sans chercher à conclure mais à localiser les dénouements possibles que les psychoses nous enseignent, s’ouvre pour nous un champ d’investigation poussant le spectateur à chercher le dénouement, comme le suggère le théâtre dialectique de B. Brecht. Et comme nous le rappelle Jacques-Alain Miller à propos du patient, « si nous cherchons l’issue pour lui, à sa place, […] c’est peut-être notre façon à nous d’aller mal.8 »

Traduit de l’espagnol par Anne Goalabré

................................................................................1 Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », La Conversation d’Arcachon, Paris, Agalma,

Seuil, Paris, 1997, p. 289.2 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 11 février 1975, Ornicar?, no 4, rentrée 1975, p. 96.3 Ibid., p. 95-98.

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4 Ibid., p. 99.5 Freud S., L’analyse finie et l’analyse infinie suivi de Constructions dans l’analyse, Paris, PUF, 2012.6 En rappel du titre du VIIIe Congrès AMP 2012 : « L’ordre symbolique au XXIe siècle. Il n’est plus ce qu’il était.

Quelles conséquences pour la cure ? »7 Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001,

p. 248.8 Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », op. cit., p. 289.

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Le transfert et l’acte dans la psychose

à l’époque du parlêtreLuisella Mambrini – slp

Dans Question préliminaire Lacan emploie le terme de traitement pour les psychoses, terme qui se réfère au fait qu’en cas de psychose il doit y avoir un mode de présence et d’intervention différent étant donné que le psychotique est le détenteur du savoir, que l’Autre ne se constitue ni comme trésor de signifiants ni ne se décomplète et que le sujet n’est pas constitué dans un rapport de séparation de l’objet.

Puisque la fonction du transfert articule dans un entrelacement étroit autant le versant sémantique que le versant libidinal, il s’agit de repenser, dans le passage au dernier Lacan, les deux versants du transfert à la lumière des caractéristiques spécifiques de l’amour et du savoir dans la psychose. En raison du défaut radical dans la psychose des valeurs du manque relatives à la signification phallique, à la symbolisation et à la localisation de la jouissance, ce n’est pas son propre être que, dans l’amour, on va chercher dans l’Autre mais c’est plutôt l’être qui manque à l’Autre qu’on trouve dans le sujet. C’est le sujet qui réalise et incarne ce qui manque à l’Autre. D’une part, nous retrouvons l’amour mort qui s’adresse à un Autre qui est une enveloppe vide puisqu’il ne contient pas l’objet, de l’autre, nous retrouvons l’amour persécuteur qui se produit avec la certitude de savoir que l’Autre jouit de lui. Néanmoins, Lacan oriente notre pratique en disant qu’il peut y avoir transfert dans la psychose même si cela peut être persécuteur et érotomane, et donc faire obstacle à l’action de l’analyste.

Toutefois, nous devons également dire que l’amour de transfert dans la psychose n’est pas nécessairement délirant, que les réponses trouvées sont relativement plurielles et que l’amour érotomaniaque dans certains cas s’est avéré avoir une capacité stabilisatrice, c’est-à-dire qu’il fonctionne comme invention qui va traiter le côté persécuteur du désir de l’Autre.

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En outre, si jusqu’au Séminaire Encore l’amour était pensé comme ce mouvement qui va du manque subjectif vers ce qui est caché dans l’Autre – d’où les inévitables impasses dans la psychose –, à partir du moment où l’enseignement de Lacan nous offre une nou-velle définition de l’inconscient comme ensemble de signifiants qui ne font pas chaîne (Uns dissociés) et que l’on considère la production d’une incorporation directe du sym-bolique, il apparaît un nouveau versant de l’amour. L’amour n’est plus pensé à partir de l’objet a mais à partir des corps et de la faille de la jouissance. Il n’apparaît pas comme question du sujet mais du corps parlant1, provenant comme il est de la reconnaissance obscure des « signes toujours ponctués énigmatiquement2 » à travers lesquels les exilés du rapport sexuel se retrouvent. Ce sont des signes qui ne les concernent pas comme sujets mais comme parlants. L’amour, tout en maintenant «  la division irrémédiable3 », fonctionne comme relais parmi les traces, parmi les Uns-tous-seuls sans que la connexion passe à travers l’objet ou l’agalma. En ce qui concerne ce côté de l’amour provenant de l’agalma, il faut au moins interroger, sur l’axe de l’amour du sujet vers l’autre, la coloration que peuvent assumer les impasses spécifiques dans la psychose.

Mais plus généralement, puisque l’amour dans le Séminaire Encore « vise le sujet supposé un signe4 » on peut dire que la croyance transférentielle qui est précisément amour « vise le savoir dans le réel comme un sens qui peut parler, comme un sujet5 ». Un déplacement du registre du sujet supposé savoir se produit par rapport à l’« époque classique, moment où le symbolique est en premier plan6 » vers le registre réel. Le réel de l’inconscient soulève le problème de la possibilité d’un effet de sens qui atteigne le réel ou, en tous cas, un savoir y faire avec ce réel hors sens.

Le dernier enseignement de Lacan s’ouvre donc à une pratique qui n’est pas tant au niveau du savoir que du savoir-faire. L’approche classique de la question pour laquelle dans la psychose l’analyste en position de sujet supposé savoir s’exposait à devenir l’objet d’une érotomanie et à produire des effets de paranoïsation du sujet est donc à ne pas nier mais elle est déplacée.

Du moment que l’on affirme que pour tout le monde quelque chose de la jouissance échappe au traitement d’un opérateur universel, il y a une égalité clinique substantielle parmi les parlêtres et on en déduit un paradigme autre par rapport à celui qui présidait au binôme : psychose / névrose. La question n’est plus de savoir s’il y a ou non un Nom-du-Père mais s’il y a un élément, y compris le Nom-du-Père, qui pourrait fonctionner comme un sinthome, et accrocher le symbolique au réel.

La fonction de l’analyste, dans cet horizon, n’est plus celle du complément du symptôme mais du sinthome, ce qui implique une autre discipline pour l’analyste, une pratique de la psychanalyse « à rebrousse-poil7 », à partir précisément de la consistance absolument singulière du sinthome.

Dans cette pratique « à rebrousse-poil », Jacques-Alain Miller nous avertit que le transfert est le grand absent, tout comme le sujet supposé avoir, au moins dans les séminaires Le sinthome et L’une-bévue. Dans ce dernier, Lacan affirme qu’il est impossible d’offrir l’attribut de savoir à quelqu’un, que celui qui sait en analyse est l’analysant, avec l’aver-

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tissement que ce n’est pas lui qui sait mais le Un. « C’est lui qui sait, et non pas le supposé savoir8 » – c’est-à-dire que ce reste de la jouissance extraite à la fin de l’expérience ana-lytique n’est lié à aucun savoir.

Lacan affirme que : « ce que j’essaye de faire […] c’est à faire quelque chose qui ne compor-terait aucune supposition9 » car avec les nœuds borroméens nous sommes précisément au niveau du réel et non des hypothèses. Pour l’inconscient au niveau du réel, il faut la logique10 qui a pour but la résorption du problème des sujets supposés savoir puisque la logique formalise, fixe ses axiomes et elle déduit le hors sens11. Elle opère dans un champ du langage affranchi de la signification. Dans la pratique du dernier Lacan, la place pré-éminente précédemment donnée au transfert est occupée par l’acte. L’analyste, voulant maintenir la formule de sujet supposé savoir, est celui qui est supposé savoir comment opérer pour s’inclure par son acte dans le nœud, de sorte que les nœuds tiennent. Il s’agira d’opérer dans le sens d’une cristallisation du sinthome là où il fait défaut ou de consolider celui qui vacille pour permettre un arrangement de la jouissance qui évite son retour généralisé ou délocalisé dans le corps, dans la pensée ou dans le passage à l’acte.

Compte tenu de la possibilité élastique du nœud, les déformations qui sont nécessai-rement temporelles12 – et que la consistance mentale du corps est travaillée par le temps qui passe13 –, il s’agit d’aider le sujet, à travers la recherche d’une nomination de la jouissance, à se faire un nom qui puisse se fixer pendant un certain temps14 à l’intérieur d’un processus en devenir.

L’analyste-sinthome s’acquitte de sa fonction en prêtant son propre corps pour soutenir l’acte, en incarnant et en dissimulant en même temps la dimension pulsionnelle, et en se prêtant à fonctionner comme une sorte de « dépositoire, une sorte d’organe supplémen-taire qui permet de condenser la jouissance hors du corps.15 » En même temps, puisque le nouage ne se limite pas à la seule dimension signifiante mais qu’il doit inclure l’objet a maintenu par une multitude de nœuds, l’analyste est appelé à prendre en charge l’objet, découpé mais pas séparé, l’obligeant à une pluralité de nœuds.

Traduit de l’italien par Rachele Giuntoli

................................................................................1 La Sagna Ph., « Gli uomini, le donne e l’amore, ancora », La Psicoanalisi, nº 58, luglio-dicembre 2015,

p. 102.2 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 131. 3 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non dupes errent », leçon du 15 janvier 1974, inédit.4 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien » (2000-2001), enseignement prononcé dans le

cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 17 janvier 2001, inédit.5 Ibid.6 Laurent É., L’Envers de la biopolitique, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2016, p. 34.7 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan » (2006-2007), enseignement prononcé dans

le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 14 mars 2007, inédit.8 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 10 mai 1977,

inédit.9 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non dupes errent », leçon du 12 mars 1974, op. cit., inédit.10 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, L’être et l’Un » (2010-2011), enseignement prononcé dans le cadre

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du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 30 mars 2011, inédit.11 Ibid., cours du 25 mai 2011.12 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan » (2006-2007), op. cit., cours du 6 juin 2007. 13 Ibid., cours du 17 janvier 2007. 14 Laurent É., « Les traitements psychanalytiques des psychoses », les Feuillets du Courtil, nº 21, février 2003,

p. 7-24.15 Caroz G., « Quelques remarques sur la direction de la cure dans la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-95,

janvier 2009, p. 59.

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Solidification, un effet du transfert

María Eugenia Cora – eol

Le prochain Congrès nous invite à préciser les usages du terme psychose ordi-naire – usages épistémiques, mais surtout usages cliniques. Les Psychoses ordinaires et les autres, sous transfert. Ce thème, puissant, met en lumière la nécessité de s’orienter dans la pratique autant par la structure que par les notions de continuité et de discontinuité afin de formaliser une clinique en constant mouvement.

Nous sommes partis du projet de recherche que propose la notion de psychose ordinaire et nous nous dirigeons vers la praxis. Il ne s’agit pas de clinique structurelle versus clinique du sinthome, ici le praticien est noyé dans les détails, les signes discrets, les tonalités, et par cette voie, les psychoses ordinaires mettent au premier plan la question diagnostique. Il faudra démontrer la névrose ou la psychose et la preuve peut seulement se faire sous transfert !

Qu’est-ce qui définit la psychose ordinaire ? D’abord qu’elle n’est pas extraordinaire. Mais une telle amplification du concept finit par l’effacer. Qu’est ce qui rend une notion solide ?1 D’abord, l’évidence de son usage. Puis la puissance de sa nomination. Avec cela on par-vient à ordonner la logique des cas qui, sous cette rubrique, trouvent un fonctionnement. Quels sont les operateurs qui permettent un découpage ? S’agit-il de retourner au père et à la signification phallique ? Pouvons-nous nous servir des arrangements et de la solution singulière pour éclaircir la notion ? J’entends que le transfert peut fonctionner comme operateur de solidification de la psychose ordinaire.

La solidification est un processus physique qui consiste dans le changement d’un état liquide ou gazeux de la matière à un état solide – soit par le changement de tempé-rature ou par la compression, soit par l’endurcissement ou la déshydratation.

Á la chaleur du transfert – non sans la présence de l’analyste – ou par la déshydratation de la mer des sens – implique un analyste averti « que votre propre monde, votre propre fantasme, votre propre manière de faire sens est délirante. C’est la raison pour laquelle

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vous essayez de l’abandonner, juste pour percevoir le délire propre à votre patient, sa manière de faire sens.2 »

Au commencement était l’amour3 

Nous savons depuis Freud que le transfert est le pivot de notre expérience  : il vibre à chaque rencontre entre l’analysant et l’analyste. Nous connaissons aussi les avatars du transfert : ce qui fonctionne comme moteur de la cure, se convertit aussi en obstacle.

Lacan a exprimé qu’il avait mis huit ans pour s’occuper du « cœur de notre expérience4 ». Il a constitué une série : le verbe, l’action et la praxis, pour finalement faire du transfert le noyau opaque de l’expérience. Donc, au commencement est l’amour.

Quelle place a le transfert dans la clinique de la psychose ordinaire ? Qu’est ce qui oriente l’acte analytique  dans ces cas  ? Nous partons de l’affirmation  suivante  : les psychoses ordinaires sont des psychoses.

Remarquons une tension dans le fait que les deux cas paradigmatiques de psychoses ne sont pas le produit de l’expérience clinique mais qu’ils proviennent de la lecture de textes, c’est un défi à relever de travailler avec la psychose sous transfert. Telle est la proposition du Congrès et nous nous y employons.

Lacan a commencé son troisième Séminaire en distinguant la question des psychoses de leur traitement : « on ne peut d’emblée parler du traitement des psychoses5 ». Il a indiqué que l’expérience freudienne n’est pas pré conceptuelle, elle n’est pas pure  : « c’est une expérience bel et bien structurée par quelque chose d’artificiel qui est la relation analy-tique6 ».

Il a consacré toute cette année-là au travail avec les psychoses, prenant l’historique freudien à partir des Mémoires d’un névrosé, de Daniel Paul Schreber, un texte qui n’est pas le produit de la clinique, mais de la lecture d’une autobiographie. C’est la période de son enseignement où « il [Lacan] dérive la structure de la psychose de celle de la névrose7 ». A partir de là, nous lisons la psychose avec l’absence du Nom-du-Père (P0) et le manque du phallus châtré qui peut s'écrire (Φo). Le modèle est la névrose, la psychose – défici-taire – restant à la merci de la possible mise en fonction des suppléances.

Vingt ans plus tard Lacan a travaillé sur Joyce, le sinthome. Il montre comment un parlêtre trouve sa solution par son mode singulier de traiter lalangue. Ici la psychose ne se situe pas dans la voie du déficit mais fonctionne comme modèle. Soutenus par ces deux façons de concevoir la psychose, nous recevons des sujets qui viennent à nos consultations. Il reste à mettre au travail, au cas par cas, le transfert.

Irruptions de jouissance et ses traitements, sous transfert

La position de l’analyste vise à être « le soutien de l’invention du sujet dans son travail sur lalangue, dans sa capacité pour trouver une solution singulière qui concilie le vivant et le lien social8 ». C’est-à-dire, favoriser les manières singulières de s’inventer une solution inédite.

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Avec Lacan, nous apprenons à ne pas reculer devant la psychose. Nous savons à quel moment il convient d’occuper la position du secrétaire de l’aliéné, comment travailler pour modérer les effets de l’Autre méchant, pour percer la jouissance de l’Autre. C’est avec cela que nous comptons, à chaque fois.

La recherche sur la psychose ordinaire ajoute quelques hypothèses  : le néo-transfert, lalangue du transfert, le psychanalyste comme aide contre…. En partant du fait que, pour le sujet psychotique, le savoir est de son côté « ce qui motive le néo-transfert ce n’est pas le sujet supposé savoir, mais la lalangue en tant qu’elle est ce qui permet qu’un signifiant puisse faire signe […] de quelque chose qui est hors-sens : onomatopée, chiffre, trace.9 »

Pour l’analyste il s’agit de se laisser enseigner : il suppose au psychotique un savoir faire avec lalangue et grâce au désir de l’analyste il pourra faire de ce savoir une élaboration. C’est la position de l’analyste-sinthome. Le défi de travailler le transfert comme pivot implique de nous remettre à la clinique. C’est là que le diagnostic et une invention inédite se solidifient. J’évoquerai ici le cas d’un homme qui consulte pour traiter son impulsivité, c’est l’axe de ses séances. Le diagnostic étant difficile, il réapparaît comme problème dans la direction de la cure. La décision de tenir compte de l’arrangement que ce parlêtre a trouvé face au traumatisme de lalangue, a permis de travailler, à partir de cette impul-sivité, le sinthome, localisant les accrochages et les décrochages avec l’Autre.

L’analyste est devenu pour ce sujet une condition d’existence, permettant un accrochage au plus vital qui trouve sa mesure singulière à partir d’une intervention : « Un homme est ce qu’il fait ». Il m’a appris l’importance du transfert en lien avec deux points : le diagnostic et la présence de l’analyste comme faisant partie de la solution.

Traduit de l’espagnol par Rosana Montani-Sedoud et Chantal Bonneau

................................................................................1 Nous suivons ici les développements de Miquel Bassols dans son texte « Psychoses, ordonnées sous

transfert », Les psychoses ordinaires et les autres, Silicet, Collection rue Huysmans, Paris 2017, p. 23-28.2 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, nº 94-95, janvier 2004, p. 47.3 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, Paris, Seuil, 1975, p. 11.4 Ibid., p. 12.5 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 11.6 Ibid., p. 17.7 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », op. cit., p. 42.8 Ibid.9 Henry F., «  Lalangue du transfert dans les psychoses  », Section clinique d’Angers, Miller J.-A., (s/dir.),

La Psychose ordinaire, La Convention d’Antibes, Paris, Agalma, 1999, p. 150.

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L’invention érotomaniaque

Guy Briole – ecf

Il se transmet invariablement, et certainement avec pertinence, que l’un des risques, l'un des obstacles rencontré dans une analyse, est l’apparition de l’érotomanie dans le transfert. Nous le soulignons presque toujours dans la direction de la cure avec un sujet psychotique, plus rarement avec d'autres analysants.

Mais, en même temps comment s’étonner de ces irruptions érotomaniaques quand on sait, comme Lacan l’a clairement souligné, que dans une analyse on parle d’amour et que, même, dit-il, c’est l’unique chose que nous faisons  ! Il ajoute, et c’est un point clé, que « parler d’amour est en soi une jouissance.1 » Ainsi, l’analysant peut s’y laisser prendre, l’analyste aussi, si ne se fait pas ce déplacement de la personne de l’analyste au savoir qui lui est supposé. C’est dans cet intervalle, dans ces allées et venues entre les deux protago-nistes de la cure et le savoir en jeu dans celle-ci, que se jouent les malentendus de l’amour.

Néanmoins, ces malentendus sont des situations à partir desquelles l’analyste peut orienter la direction de la cure et aussi prendre appui sur eux pour la faire avancer, pour déloger l’analysant d’une position de défense qui lui échappe. L’érotomanie de transfert peut être une de ces occurrences.

C’est l’autre qui aime

Le postulat de départ de l’érotomane c’est que l’autre aime mais il ne peut pas le dire pour des raisons qui, le plus souvent, tiennent à sa position. C’est dans la non déclaration de l’aimant, dit Lacan, que « la situation supérieure de l’objet prend toute sa valeur.2 » Disons-le dès maintenant, cela peut aussi être imputé à l’analyste pour la place qu’il occupe. Enfin, quelle que soit la raison invoquée, c’est ce qui ferait obstacle à ce que l’aimant se déclare.

Dans sa forme morbide et traditionnelle, telle qu’elle fut décrite par de Clérambault, la classique phase d’espoir est suivie, dans des délais plus ou moins longs des phases de

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dépit, puis de rancune. Ce processus n’est pas immuable et il existe d’autres expressions passionnelles qui ont ce même postulat de départ sans en avoir cette fin tragique.

Freud, l’amour et l’érotomanie

Chez Freud il existe, dès le début, cette idée que dans l’amour la perception première est que c’est l’autre qui aime. À l’origine, c’est par une « perception, venue de l’extérieur, que l’on est aimé.3 » C’est une question qu’il considérait surtout du côté féminin.

Dans la psychose où ce qui est forclos de l’intérieur revient de l’extérieur on comprend que l’imputation de l’amour à un Autre ou autre, soit à son comble.

Avec le cas du Président Schreber, Freud se trouve maintenant aux prises avec une éro-tomanie chez un homme et il théorisera ce qu’il nommera l’homosexualité inconsciente. Lacan modifiera l’interprétation freudienne en soulignant que si le sujet vit bien la menace d’être pénétré, c’est surtout quand la libido est mise à la place de l’amour. Il m’aime se transforme en il veut jouir de moi qui finit par s’équivaloir à il veut me détruire.

Avec la théorie de la forclusion généralisée on voit que, pour chaque sujet, peut se produire ce déplacement de l’amour à la jouissance avec ses conséquences dans la colo-ration érotomaniaque qui peut, plus ou moins, concerner tout lien transférentiel. Et c’est là toute l’importance que prennent ces nuances quand on considère la pratique du nouage comme nous y sommes familiarisés avec la clinique continuiste, de laquelle Jacques-Alain Miller a fait ressortir la « psychose ordinaire ».

Avec l’analyste

Il n’y a pas d’analyse sans psychanalyste et pas davantage d’avenir pour la psychanalyse sans une position décidée de celui-ci à occuper cette place, toujours à réinventer. Cette invention touche à l’acte, à la direction de la cure. C’est ainsi que l’on peut entendre la détermination de Lacan à insister sur le désir de l’analyste qu’il ne rabat pas du côté d’un savoir différentiel mais l’amène à insister sur le risque pris au renouvellement de la pra-tique.

Dans le transfert érotomaniaque il y aurait donc un glissement de l’amour – il  m’aime – à  la jouissance – il veut jouir de moi. Ainsi, c’est quand une jouissance non barrée est déplacée par l’analysant sur l’analyste que surgit l’érotomanie de transfert.

La question reste de savoir ce que le désir de l’analyste peut venir contenir de cet excès de jouissance non marqué par la castration. Comment le maintenir hors transfert afin que quelque chose puisse advenir pour ce sujet dans une cure ? Tout d’abord, l’analyste ne doit pas prendre sur lui la place où l’a mis l’analysant : être celui qui veut jouir de lui. Pour cela ce n’est pas, comme dans la névrose, une manœuvre du transfert, impliquant une position de semblant, qui délogerait l’analysant de cette place où, à la fois, il est persécuté et où il jouit d’exister pour un autre.

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La place d’un regard

Dans une cure, à un moment bien particulier, l’analyste a pu faire apparaître à un ana-lysant qui se sentait épié, moqué, insulté, regardé sans cesse par ceux qui partagent son quotidien, un envers à cette place – qui pouvait le conduire au pire – en lui suggérant que ce pouvaient être eux qui se sentaient mal du regard que, lui, porte sur eux ! Cela le surprit, le prit à rebours, l’ulcéra mais, finalement, il voulut bien considérer cette possi-bilité. Il en ressentit alors un allègement et sa vie s’en trouva changée, plus apaisée. La suite dira… jusqu’où, jusqu’à quand !

Néanmoins, on peut remarquer que le sujet a pris sur lui une part de cette jouissance qu’il attribuait à un autre, à d’autres supposés mauvais. La haine de l’Autre peut être de son côté, là où il était aveuglé par la jouissance mauvaise des autres, sous l’égide d’un Autre méchant dont ils n’étaient que les ambassadeurs mal intentionnés. Cela a permis d’introduire un décollage, une distanciation minimale entre celui qui jouit – l’Autre mauvais – et celui qui en est l’objet, s’en pense la victime – l’analysant. L’analyste était dans ce circuit, en position selon l’analysant, de ne pas pouvoir se déclarer pour ou contre… Néanmoins, l’intervention de l’analyste a produit ce bougé qui extrait une part de cette jouissance du face à face.

Un transfert possible, à inventer

Avec Lacan, la problématique posée par le transfert avec le sujet psychotique est celle du décentrement qui permettrait de sortir des impasses que chaque analyste craint comme, d’être celui sur lequel tomberait un transfert libidinal massif qui ferait flamber la psychose ; d’être mis « en position d’objet d’une sorte d’érotomanie mortifiante.4 » L’expérience de l’Autre pour le psychotique fait qu’il lui arrive le plus souvent de nier cet Autre pour ne pas être absorbé, détruit par lui. Cela n’empêche pas l’Autre d’exister et même, souligne Lacan, que cette relation à l’Autre « ne nous apparaisse pas autrement que dans de spo-radiques ébauches de névrose.5 » Une apparente névrotisation du sujet psychotique dans sa relation à l’autre est bien souvent ce que l’on peut, au mieux viser avec ces sujets.

« Ne pas reculer devant la psychose »6 ce n’est pas faire n’importe quoi ; ce n’est pas non plus ne rien faire au prétexte de ne pas déclencher un moment aigu donc, de ne pas déstabiliser un équilibre que le psychotique avait trouvé tout seul. Pour cela il n’a pas eu besoin de l’analyste. Il n’a pas eu besoin que l’analyste s’y mette, pour être de son temps et se construire une entité à sa main où il puisse à la fois loger sa modernité et son atten-tisme théorisé.

................................................................................1 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore [1972-73], Paris, Seuil, 1975, p. 77.2 Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975, p. 264.3 Freud S., « Le président Schreber », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 309.4 Lacan J., « Présentation de la traduction Paul Duquesne des “Mémoires d’un névropathe” de

D. P. Schreber. », Cahiers pour l’analyse, nº 5, 1966, p. 69-72.5 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil,

1966, p. 551.6 Lacan J., Ouverture de la section clinique, Ornicar?, 1977, nº 9, p. 12.

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Interpréter l’Autre dans la paranoïa

Marcelo Veras – ebp

La paranoïa met en évidence une étrange opération qui exile hors du corps ce qui de la jouissance perturbe, ce qui n’est pas traité par la norme phallique. Il s’agit d’une compo-sition qui donne consistance et maintient unis le réel, le symbolique et imaginaire. C’est néanmoins un curieux exil puisque la jouissance phallique va se loger dans le champ de l’Autre. Comme si la jouissance inquiétante n’habitait plus le corps propre, mais seulement l’Autre. L’opération paranoïaque, dans ce sens, est le point culminant de la dénaturali-sation de l’espace mental. Elle est le paradigme d’un clivage radical entre le réel parasite de la jouissance1 dans l’expérience analytique et les sensations de l’organisme, qui inté-ressent les neurosciences. Cela peut expliquer pourquoi la paranoïa est si réfractaire aux traitements psychotropes. En effet, si dans la schizophrénie il est possible de comprendre comment les interventions sur le réel du corps ont une certaine efficience, que ce soit par les médicaments ou avec des méthodes plus agressives et discutables, comme les anciennes thérapies par coma insulinique, la malariathérapie ou même les électrochocs, tout clinicien expérimenté sait combien il est inutile de prescrire un antipsychotique à un paranoïaque.

Dans ce contexte, que serait une interprétation possible face à la persistance du délire ? Quand l’interprétation ne divise pas le sujet, peut-être pourrait-elle diviser l’Autre ? C’est ce qui a été tenté avec une patiente qui rendait les jeunes de son immeuble responsables du mal qui perturbait sa vie. Elle ne pouvait voir un groupe de jeunes sans immédiatement avoir la certitude qu’ils se disputaient, prenaient ou vendaient de la drogue. Certaines fois, elle appelait la police, mais d’autres, elle prenait des risques en allant personnellement affronter les groupes de jeunes réellement dangereux du quartier violent où elle habitait. Vivre avec ses voisins était devenu insoutenable. Progressivement, il a été possible, dans les séances, de déplacer le mal vers les grands chefs du narcotrafic et les organisations internationales du crime. Cette opération permit une relative pacification avec le voi-sinage. Il ne s’agit pas ici d’une expansion centrifuge du délire, tel qu’on la rencontre dans les délires de négation dont le syndrome de Cotard est le paradigme, mais d’un dépla-

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cement de la jouissance dans un espace loin de son jardin, lui permettant de retrouver un monde habitable.

Pour un autre patient, dont les années de traitement ont sensiblement réduit une paranoïa ponctuée de nombreux passages à l’acte préoccupants, un nouvel événement clinique a mis en péril son traitement. Ici, l’opération bien que semblable, fut un peu plus risquée. Ayant consulté un psychiatre, il s’est trouvé convaincu d’être atteint d’un TOC  : une compulsion à regarder de façon insistante les objets de valeur des autres, comme les téléphones portables et les portefeuilles. Dès lors, sa vie est redevenue un cauchemar permanent, affectant ses relations dans la famille et au travail. Cette fois, ce ne fut pas le regard de l’autre, mais son propre regard devint la source de son tourment.

A l’occasion d’un commentaire sur la paranoïa, Jacques-Alain Miller rappelle que c’est l’extraction de l’objet regard qui nous permet d’avoir le sentiment de la réalité perceptive. En découle que l’extraction de l’objet doit être entendue comme une possibilité que cet objet manque autant pour le sujet que pour l’Autre. C’est, en effet, la condition pour qu’al-ternent les rôles dans le mathème du fantasme. Cependant, bien que dans la paranoïa l’objet ne soit pas, comme dans la schizophrénie, collé au sujet, on ne peut non plus parler d’extraction, puisque que l’objet regard ne manque pas à l’Autre. Le regard, dans ce cas, s’impose au sujet et « la présence de l’Autre sévit en permanence.2 ».

En ce qui concerne ce patient, il a été forcé de changer régulièrement d’environnement social, car il croyait que son regard sur les objets serait interprété comme la volonté de voler le bien précieux de l’autre. Dans sa vie, la jouissance troublante du regard de l’Autre a tou-jours été présente, ce qui lui faisait repérer des espions partout, persécuté, éternellement et sans répit, par ce regard. Maintenant c’est lui qui ne cesse de regarder sans toutefois se reconnaître comme celui qui regarde. « Ce n’est pas moi, je suis forcé de regarder », soit une jouissance située dans son propre regard, mais ressentie comme autre.

Lors d'un contrôle, l’idée est née d’une interprétation de l’analyste qui donnerait un sens au réel de cette jouissance, lui permettant de sauver quelque chose de sa subjectivation. Le patient, proche des idées de la gauche et condamnant sans pitié l’Autre capitaliste, s’intéressait aussi à la psychanalyse. Sur le point d’abandonner le traitement, il avait insisté pour savoir comment la psychanalyse pouvait l’aider, que pouvait en dire la théorie. La réponse de l’analyste à sa compulsion scopique fut la suivante  : « Ce n’est pas moi qui le dis, mais je vais vous donner une interprétation freudienne. Si vous vous améliorez, c’est donc que la psychanalyse a raison : le portefeuille que vous regardez représente la politique de droite, le capitalisme, c’est-à-dire tout ce que vous avez toujours critiqué ». Le patient écouta attentivement cette interprétation, et dans les séances suivantes, il me dit qu’il était tout à fait possible que Freud ait raison, car la contrainte avait beaucoup diminué.

Un des aspects du passage à l’acte dans la psychose, comme le commente S. Tendlarz, pointe vers une tentative d’établir une différence symbolique dans le réel, c’est-à-dire, de produire une extraction de la jouissance de l’être, en la localisant dans le champ de l’Autre symbolique3. Dans le cas en question, on observe un équilibre précaire entre une locali-sation de la jouissance dans le champ de l’Autre, qui produisait un délire de persécution,

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et la possibilité de la situer dans l’analyste même, lui faisant endosser l’image de l’Autre persécuteur.

Je me suis rendu compte que la tentative de localiser la jouissance réelle au moyen de l’image, au-delà du pousse à l’agressivité imaginaire, remettait le patient dans un conflit constant avec l’Autre. La compulsion scopique cherchait à établir une médiation phallique qui puisse permettre au sujet de s’apaiser dans les échanges avec les autres. La question du regard devenant une menace pour le lien social, une intervention était nécessaire pour replacer, moyennant un risque calculé, la jouissance perturbatrice dans le champ de l’Autre. Comme dans le cas précédent, la manœuvre n’a été possible que parce que l’Autre persécuteur n’était pas proche au point d’être éliminé. Il s’est même trouvé être assez loin, un vague Autre capitaliste ou pays impérialiste, c’est-à-dire, quelque chose de suffisamment consistant pour soutenir la structure mais assez lointain pour ne pas sus-citer de passage à l’acte.

Le nouage des trois registres ne serait pas possible si l’interprétation au sujet du porte-feuille s’était appuyée sur le sens. Ici, ce qui soutient le transfert n’est pas la supposition du savoir de l’analyste. Quand le patient demande à l’analyste une interprétation, il ne s’agit pas d’un désir de savoir. Ce dont il s’agit c’est d’une fixation de jouissance par la lettre.

Au fil des années, j’ai pu comprendre que le patient situait l’analyste dans le transfert comme celui qui interprète quelque chose de son expérience énigmatique. Dans la paranoïa, faire usage de l’interprétation peut être délicat, puisque l’Autre du symbolique est toujours sous le coup de la suspicion. Par conséquent, l’interprétation doit être maniée avec précaution afin de ne pas transformer un excès de sens en délire. Une des dernières fois où il est venu me trouver, il a fait preuve d’une observation très pertinente  : « vos commentaires n’ont jamais ni queue ni tête. Je trouve que vous exagérez un peu, mais je sais qu’ils me soulagent ».

Traduit du brésilien par Pedro Pereira

................................................................................1 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 73.2 Miller J.-A., « L’image du corps en psychanalyse », la Cause freudienne, nº 68, février 2008, p. 104.3 Tendlarz S., Garcia C., ¿A quién mata el asesino?, Buenos Aires, Grama Ediciones, 2008, p. 80.

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Psychose sous transfert (Ou comment se laisser

enseigner par le sujet qui sait)

Gustavo Dessal – elp

Lacan a affirmé à diverses occasions que c’est l’analysant qui est le véritable sujet supposé savoir. Jacques-Alain Miller, dans une lecture très fine, nous a fait comprendre que c’est l’inconscient qui interprète. Ces deux affirmations sont intimement liées, et toutes deux indispensables pour rappeler que – tout spécialement dans les psychoses – ce qui est décisif dans notre action doit être minime, léger, parfois imperceptible. « Je ne te le fais pas dire » est une autre des fameuses formulations qui mettent l’accent sur l’importance de conduire la cure de façon telle que notre présence soit aussi discrète que ces signes auxquels nous donnons tant de valeur pour repérer où se situe le dire d’un sujet.

Voici quelques exemples de ce que m’a appris l’expérience analytique des psychoses.

1) Au bout de quelques brèves rencontres, B. se mit à manifester très clairement un transfert négatif par une vive agressivité verbale envers l’analyse et envers moi-même. Avec un scepticisme hostile à la cure, il m’accusait de ne rien faire pour l’aider, et affirmait que mes interventions étaient totalement inefficaces, ce qui était certainement vrai. Je me suis rendu compte en même temps que le sujet faisait la sourde oreille à tout commentaire de ma part, restant absolument réfractaire au moindre changement de ses convictions. Mes tentatives pour produire une rectification subjective, ou pour réussir à ce qu’il assume une part de responsabilité dans sa souffrance, butaient sur sa dénégation et réveillaient une tension agressive parfois difficile à supporter. Cette période coïncidait avec le maintien d’un doute quant à son diagnostic, car je n’écartais pas complètement la possibilité d’une névrose. Ce fut B. lui-même qui, lassé de constater mon inefficacité, me suggéra de revoir un peu mes connaissances « en psychiatrie » (sic). À partir du moment où j’ai pu conclure que la structure du patient pouvait relever des dénommés «  inclassables », c’est-à-dire

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d’une psychose qui n’avait pas suivi le parcours classique des déclenchements et des pro-ductions délirantes, ma position dans la cure a pu changer. Ce qui permit un apaisement total du transfert et, pour le patient, le début de quelques signes d’amélioration, le plus important ayant été le soulagement de son angoisse chronique. De plus, dès lors que j’avais pris la ferme résolution de ne prétendre le faire changer d’avis sur rien, et d’accepter toutes ses certitudes sans du tout les contester, j’ai obtenu le résultat auquel je n’avais pu arriver jusqu’alors. Le patient commença à questionner certaines de ses convictions majeures, telles que la haine envers ses parents, sa misogynie, et son isolement social. Il commença à admettre que sa personnalité était étrange et singulière, et qu’il avait de sérieux problèmes pour vivre.

Le plus remarquable, et qui a été pour moi un véritable enseignement, fut la façon dont B. lui-même avait su me remettre dans l’écoute qui convient, en m’envoyant revoir la psy-chiatrie…

2) Tout au contraire, J. (une psychose délirante chronique) avait établi d’emblée un transfert positif, que j’avais renforcé par un semblant de cordialité, compte tenu des circonstances dramatiques de son histoire infantile. Je n’avais pas à me forcer beaucoup car le patient était un homme d’humeur agréable. Je faisais en sorte de lui faire sentir que sa visite me faisait plaisir, en lui accordant avant sa séance quelques minutes pour prêter attention à ses commentaires habituels sur le temps, sur un article du journal, ou quelque information sur l’Argentine, pays pour lequel il ressentait une grande affection, bien qu’il n’y soit jamais allé. Alors que ce n’est pas dans mes habitudes, j’ai accepté, dans son cas, de répondre à quelques questions personnelles (si je suis marié, combien j’ai d’enfants, s’ils étudient ou s’ils travaillent). Tout cela avait encouragé un climat de confiance grâce auquel il est venu très ponctuellement à ses séances chaque semaine, amenant concrètement un travail précis à faire, généralement quelque idée, sentiment ou conduite que lui-même recon-naissait comme lui posant problème et qu’il souhaitait examiner à la lumière de l’analyse. De mon côté, je devais rester très prudent pour éviter de me positionner en place de maître, car il m’y convoquait souvent. Je n’essayais jamais de contrer ses vécus persé-cutifs, mais plutôt d’atténuer la virulence de la jouissance imputée à l’Autre. Par exemple, je ne contestais pas quand il affirmait qu’un de ses enfants se moquait de lui, mais je lui rappelais que la jeunesse est parfois irrespectueuse, et qu’il ne fallait pas accorder trop d’importance à cela.

 

Une fois, J. m’avertit qu’il me fallait être prudent dans ma façon de manier le semblant de la courtoisie. Avec une ironie très fine et un grand sens de l’humour, mais sans que le sérieux de sa pensée n’en soit amoindri, il me renvoya ceci : « Je dis toujours à ma femme que j’adore venir parler avec vous, notamment parce que vous êtes une personne qui me traite avec une gentillesse à laquelle je n’ai jamais été habitué. Vous connaissez mon histoire. Et ma femme, qui est très soupçonneuse, me répond toujours la même chose : que je ne sois pas niais, qu’il est clair que mon cas vous intéresse pour vos recherches. Les femmes sont ainsi, de tendance méfiante, vous ne croyez pas ? ».

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Depuis ce jour, j’ai continué d’être aimable, mais pas autant, compte tenu de ses doutes.

3) M. passe de longues heures à faire des comptes. Atteint d’un délire chronique de ruine, il calcule ses retraites à venir, l’inflation des prochaines décennies, les indices de dévalori-sation du pouvoir d’achat, et divers chiffres qu’il combine pour en tirer des conclusions sur son avenir. Il est convaincu qu’au bout de quarante-sept ans (M. a plus de soixante ans), l’inflation aura dépassé la valeur de sa retraite, ce qui le préoccupe beaucoup. Dans ces moments-là, je lui rappelle qu’il aura toujours l’alternative de « partir » (expression qu’il a coutume d’utiliser quand il se réfère à l’idée du suicide), et cela l’apaise.

Les séances avec M. sont très brèves. La durée n’a pas été imposée par la technique laca-nienne, ni par les débats scolastiques. L’angoisse de M., et sa douleur d’exister, viennent de l’infinitude dans laquelle il est pris. Il se sent condamné à une éternité à laquelle il ne peut échapper que par le suicide. « Mais je n’ai pas le courage suffisant pour le faire. Par conséquent, laissez-moi au moins me charger du temps de mes séances. Je vous dirai moi-même quand c’est le moment de les arrêter ».

Bien entendu, je lui accorde totalement ce pouvoir.

Traduction de l’espagnol par Geneviève Cloutour-Monribot et Joan Busquets

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Questions de transfert et de psychose rencontrées dans la pratique clinique

Bilyana Mechkunova – nls

J’illustrerai, à partir d’un exemple, comment les questions du transfert et de la psychose peuvent se rencontrer dans la pratique clinique d’un service social thérapeutique pour parents et enfants s’orientant de la psychanalyse appliquée. Comment le traitement a-t-il pu être orienté particulièrement dans le cas d’un enfant psychotique où l’enfant, « objet de la mère », bouche tout accès possible à la vérité de son propre manque et de son désir de femme1, et où la fonction paternelle ne fonctionne pas, avec pour conséquence pour l’enfant, des possibilités de construction subjective limitées ? Quelle position le clinicien peut-il occuper de manière à installer le transfert et rendre un traitement possible ?

L’exemple présente un travail clinique qui s’est déroulé durant quatre mois au cours des-quels la mère a été reçue par moi-même et l’enfant par un autre clinicien.

La première rencontre avec Mme I. et M., son fils de sept ans, est une rencontre avec leur souffrance. L’enfant souffre de divers bruits sonores qu’il produit involontairement ainsi que de mouvements très intenses qui agitent tout son corps et peuvent parfois atteindre une « éruption ». Quant à sa mère, elle évoque son trouble et son sentiment d’impuis-sance.

Les cris et les mouvements ont commencé il y a plus d’un an alors qu’elle était « enceinte de sa sœur et séparée de son père  ». Les diagnostics établis par les divers médecins chez qui elle l’avait conduit – « dystonie neurovégétative », « névrose infantile », « épi-lepsie » – avaient rendu son angoisse insupportable. Dans le discours de la mère M. est « comme elle », « très émotif, il aime le climat d’euphorie », pas « comme son père, intro-verti et mélancolique ».

Les cris et les mouvements de M. sont effrayants et énigmatiques pour Mme I. Je nomme ces phénomènes harcelants «  tics », précisant que les tics ne sont pas si rares chez les enfants. Ils ne viennent pas des disputes entre les parents et sont vraisemblablement en lien avec quelque chose de particulier pour l’enfant, que nous ne pouvons pas connaître à l’avance, mais que nous pourrions rechercher. Le signifiant « tics » allège la menace pour

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Mme I. en même temps qu’il préserve la place de l’énigme. Cette nomination, basée sur un signifiant de la langue courante, et au-delà d’un diagnostic médical, demeure dans la dimension de la banalité  ; en même temps il implique et introduit la singularité du symptôme. À partir de là, ses signifiants à elle, « trop d’excitation », pouvaient émerger et être inclus dans l’interprétation, à savoir que « les tics servent à M. pour exprimer l’ex-citation excessive qu’il ressent dans tout son corps », ce qui a pour effet d’apporter un apaisement. Simultanément, à travers ces signifiants, elle a pu commencer à parler d’elle car il est « comme elle ». Le travail clinique avec les deux peut ainsi commencer à partir de ce point.

Au départ M. n’est présent que par son corps et les manifestations de jouissance dans son corps. Mais quand on lui donne l’occasion et l’initiative de s’exprimer, il « s’empare de la parole » et se plaint  : « Mon père ne participe pas à mes jeux », ce qui pointe un défaut supposé de la fonction du Nom-du-Père  : «  Essayons de concevoir maintenant une circonstance de la position subjective où, à l’appel du Nom-du-Père réponde, non pas l’absence du père réel, car cette absence est plus que compatible avec la présence du signifiant, mais la carence du signifiant lui-même. […] Au point où, nous verrons comment, est appelé le Nom-du-Père, peut donc répondre dans l’Autre un pur et simple trou, lequel par la carence de l’effet métaphorique provoquer un trou correspondant à la place de la signification phallique.2 »

Il est manifeste que pendant les séances, lorsqu’il est confronté à un trou, un vide, face auxquels les mots et le sens lui font défaut, son corps répond par une éruption de tics. Le clinicien s’adresse à lui, lui exprimant sa compréhension de son expérience douloureuse et le doute que quelqu’un puisse l’en libérer si lui-même n’y met pas du sien. Cette invi-tation au travail et à l’invention est acceptée par ce garçon qui fait le choix de devenir acteur dans la construction de sa propre subjectivité. Dans le travail clinique sous transfert dans lequel le clinicien est supposé ne pas savoir, « Nous ne sommes pas là pour vouloir quelque chose du sujet, nous sommes là pour qu’il puisse se servir de nous.3 » et puisse faire de nous une aide au transfert4, M. parle de ses découvertes. Il a découvert que les tics pouvaient cesser lorsqu’il écoutait la musique des jeux sur son téléphone avec son casque, mais sans les regarder. Une fois délogé de sa position dans laquelle il réalisait la présence de l’objet a dans le fantasme maternel, le sujet pouvait émerger et faire usage de son nom propre, du nom propre du clinicien, comme s’interposant entre lui et sa mère. Cela n’est pas sans effet sur elle.

Le fait de s’adresser à M. en tant que quelqu’un, capable de prendre des responsabilités, surprend Mme I. Bien que les tics soient plus rares et ne compromettent pas sa sco-larité, elle demande quand ils disparaitront complètement, « quand tout s’arrêtera ». Ma réponse « Je ne sais pas » suscite une grande surprise .On peut supposer que lorsqu’elle est venue pour la première fois, l’enfant était son objet précieux, qui avait été abîmé et avait besoin d’être réparé. Ma réponse comme quelqu’un qui ne sait pas et le manque d’un savoir qui pouvait la compléter, comme un refus de répondre à sa demande initiale de guérison qui introduisait quelque chose de la dimension de l’impossible, peut être considéré comme ayant eu pour conséquence de rendre possible à Mme I. de donner

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à l’enfant une chance de quitter cette place. Elle est alors capable de supporter que cet enfant « tout pour elle » puisse manquer de quelque chose, et de dire, « C’est ainsi que seront les choses, certaines disparaîtront, d’autres apparaitront, tout change. »

Sous transfert, sa relation à l’enfant-objet se révèle être relativement ouverte à une per-turbation, à un changement. Le champ du transfert a ouvert un espace à ses mots qu’elle a pu adresser à l’Autre, en disant : « Il y a quelque chose qui ne concerne que moi, je bois depuis des années, j’ai besoin d’un traitement. » L’alcool, son partenaire, donne la forme du symptôme.

La question qu’elle m’adresse, à savoir si je connais quelqu’un qu’elle pourrait rencontrer, qui ne prescrirait pas de médicaments, à qui elle pourrait parler, ne pourrait-elle pas être entendue comme une demande d’analyse  ? Ma réponse est «  Oui  » sachant que  «  la demande d’analyse […] est à situer comme la conséquence d’un transfert déjà entamé par avant.5 »

Traduit de l’anglais par Catherine Massol

................................................................................1 Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.2 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil,

1966, p. 557-558.3 Zenoni A., « Comment s’orienter dans le transfert ? », Les feuillets du Courtil, nº 22, 2004, p. 25.4 Laurent É., « Les traitements psychanalytiques des psychoses », Les Feuillets du Courtil, nº 21, février 2003,

p.7-24.5 Miller J.-A., « Clinique sous transfert », Ornicar?, nº 29, été 1984, p. 144.