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PAPERS PAPERS TEXTES ÉCOLES SOMMAIRE n° 7 EDITORIAL - José Fernando Velásquez NEL P 02 7. 1 Sérgio de Castro - EBP P 05 7. 2 Yves Vanderveken - NLS P 08 7. 3 Alejandro Reinoso - NEL P 11 7. 4 Esthela Solano-Suàrez - ECF P 15 7. 5 M. Antonella Del Monaco - SLP P 18 7. 6 Patricia Tassara - ELP P 21 7. 7 Ricardo Seldes - EOL P 24 REMERCIEMENTS P 27 Le tout dernier Lacan avec les psychoses, aujourd’hui Vers Barcelone 2018 : Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert Comité d’Action de l’École Une / AMP 2016-2018 Paloma Blanco - Florencia Fernandez Coria Shanahan - Victoria Horne Reinoso (coor- dinatrice) - Ana Lucia Lutterbach Holck - Débora Rabinovich - Massimo Termini - José Fernando Velásquez Édition - Conception et réalisation graphique Chantal Bonneau - Emmanuelle Chaminand-Edelstein - Hélène Skawinski Equipe de traduction pour le Papers français Chantal Bonneau (coordinatrice) - Anne Goalabré - Jean-François Lebrun

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SOMMAIRE

n° 7

EDITORIAL - José Fernando Velásquez – NEL P 02

7. 1 Sérgio de Castro - EBP P 05

7. 2 Yves Vanderveken - NLS P 08

7. 3 Alejandro Reinoso - NEL P 11

7. 4 Esthela Solano-Suàrez - ECF P 15

7. 5 M. Antonella Del Monaco - SLP P 18

7. 6 Patricia Tassara - ELP P 21

7. 7 Ricardo Seldes - EOL P 24

REMERCIEMENTS P 27

Le tout dernier Lacan avec les psychoses, aujourd’hui

Vers Barcelone 2018 : Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert

Comité d’Action de l’École Une / AMP 2016-2018Paloma Blanco - Florencia Fernandez Coria Shanahan - Victoria Horne Reinoso (coor-dinatrice) - Ana Lucia Lutterbach Holck - Débora Rabinovich - Massimo Termini - José Fernando Velásquez

Édition - Conception et réalisation graphiqueChantal Bonneau - Emmanuelle Chaminand-Edelstein - Hélène Skawinski

Equipe de traduction pour le Papers françaisChantal Bonneau (coordinatrice) - Anne Goalabré - Jean-François Lebrun

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7.PAPERS

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Le tout dernier Lacan avec les psychoses,

aujourd’huiJosé Fernando Velásquez – nel

L’engagement et la ténacité du « tout dernier Lacan » sont issus de Joyce et des effets produits sur lui par lalangue, ce dont il a donné témoignage avec son art. Lacan se « dénoue1 » du fantasme, de la linguistique et du Père de la tradition œdipienne et se met à isoler, extraire, rendre compte de parties et ou de morceaux de jouissance, séparés, hors sens, qui sont propres à chaque parlêtre « qui ne s’offrent pas à l’universel ». C’est un Lacan consacré au Un tout seul, au « y a d’l’Un », avec sa jouissance folle soumis à « l’exigence qui ne cesse pas2 ». Dans ce champ où se situe le parlêtre, où l’Autre n’est pas symbolique, il n’y a donc pas de lieu de stabilisation entre le signifiant et le signifié, où prévaut la condition d ‘« objet » dans le trou-matisme nommé par un S1 isolé et inclassable.

Il s’agit d’« unités pré-identitaires3 » constitutives qui prennent la forme d’inscriptions asé-mantiques de lalangue sur le corps, d’images reines et de condensations de jouissance au niveau des orifices pulsionnels, qui sont vécues comme ce que « On le sait, soi4 », imper-sonnel5. Sergio de Castro appelle ces petites choses du un par un, des inventions et arrangements singuliers, et nous rappelle qu’ils demeurent « dans la ténèbre des signi-fications inachevées6 ». Avec elles, dit Sergio notre pratique discrète, située au cœur du monde actuel, propose un travail entre art et artisanat.

Y a-t-il un champ plus fertile pour l’étude de cet inconscient réel, où chemine Lacan au long de son tout dernier enseignement, que celui des psychoses sous leurs différentes formes ?7 La question « comment opérer avec ces morceaux de jouissances dans les psy-

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choses sous transfert » est ce à quoi tentent de répondre les participants de ce Papers 7, avec lequel nous terminons une série qui nous introduit à un effort supplémentaire, à présent, dans la communauté de l’École Une.

Si Lacan nous a offert l’efficience d’un « nouveau visuel » avec les nouages symptoma-tiques de ces pièces, pour « savoir-faire » avec eux transmission, c’est l’École Une qui nous invite maintenant à un travail sous transfert, où la communauté des analystes saura faire avec une clinique dont le trait fondamental sont les singularités absolues, les inventions multiples et les projets sur mesure, pour pallier le trou de la forclusion. Le terme de sin-thome dissout toute idée traditionnelle de classification dans la clinique. C’est ce que souligne le travail d’Yves Vanderveken.

Le travail d’Alejandro Reinoso nous place dans cet au-delà de l’inconscient freudien : le hiatus entre l’imaginaire et le réel, où se manifeste la primauté de la jouissance du corps, celle que Lacan désigne comme la texture sur laquelle opère la psychanalyse8, espace qui est de ordre de l’écrit. Il met aussi en évidence divers éléments illustrant la façon dont les psychoses ordinaires rendent compte de l’une-bévue de cet « inconscient réel », tout en indiquant comment nous pouvons la manier.

C’est là que le domaine des « psychoses ordinaires », qu’Esthela Solano-Suarez appelle les « vedettes épistémiques » de notre travail, gagne en force car il rend compte de l’effet de jouissance qui vient du S1 tout seul, hors sens. Le S1 du symptôme, inclassable et sin-gulier, s’inscrit comme un opérateur de consistance qui maintient ensemble le corps, la parole et le réel, précisément là, au lieu de la non-inscription du rapport sexuel.

Dans les propos de M. Antonella Del Monaco, les psychoses ordinaires mettent en évi-dence le signifiant dans le réel et non pas son articulation dans la chaîne. « C’est un savoir du soi tout seul. […] L’inconscient dans lequel on est sûr d’y être. Ce qu’on sait, soi, tout seul. »9 Cette clinique est celle qui se fonde sur une généralisation de la forclusion, dans laquelle un symptôme peut faire fonction de Nom-du-Père. M. Antonella Del Monaco nous introduit au thème de la pragmatique avec la citation  : « [c’] est une clinique du fonctionnement, plus qu’une clinique du manque10.

La clé de l’efficience de la psychanalyse sous transfert est que « le Réel se caractérisé de se nouer11 ». La possibilité d’être apaisé par l’analyste est que ce réel puisse « se nouer autrement12 », à partir du lien transférentiel.

Faire résonner différemment – métonymiquement – certains signifiants est ce que propose Patricia Tassara tout en indiquant que certains signifiants s’y dérobent, mais ceux qui ne font pas résonner la signification phallique sont précisément ceux qui mènent au trou, où s’initie un « flot » signifiant et les « effets catastrophiques13 » qui en découle. Au contraire, l’analyste visera à stabiliser, en introduisant la fonction de la virgule, une coupure, afin que la langue sorte de son holophrase.

Concernant la prudence, Ricardo Seldes propose d’interroger notre « que faire avec les psychoses ordinaires », à partir du mystère des « portes ouvertes » : « enfoncer une porte ouverte, n’est absolument pas savoir sur quel espace elle ouvre14 ». Il est nécessaire que

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nous nous situions comme les destinataires des arrangements avec les exigences pul-sionnelles que chaque sujet a su faire. Avec cela commence l’installation du transfert, instrument essentiel de la fabrication bricolée du symptôme et de la défense. Il s’agit de garder un œil, dit Ricardo, sur cet élément rare, sur la pièce détachée et de produire un acte analytique, de lui trouver une fonction.

Ce numéro 7 est un Papers provocateur qui, au moyen du « tout dernier Lacan », revient sur l’impossibilité même du discours analytique, sur ses limites et les fonctions viables qui peuvent être données à ce réel singulier, sur lequel les soi-disant psychotiques peuvent nous enseigner.

Faites-en bon usage !

Traduit du brésilien par Pedro Pereira

................................................................................ 1 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », (2006-2007), enseignement prononcé

dans le cadre du Département de psychanalyse de Paris VIII, inédit.2 Laurent É., « Le sentiment délirant de la vie », entrevue réalisée par Silvia E. Tendlarz, sur le blog Hilos de

Ariadna. Consultable ici  : http://hilosde-ariadna.blogspot.com/2011/10/el-sentimiento-delirante-de-la-vida.html

3 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 30 mai 2007, inédit.4 Lacan J. , « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571.5 Miller, J.-A., « L’inconscient réel », Quarto nº 88-89, décembre 2006, p. 7.6 Lacan J., « l’instance de la lettre dans l’inconscient », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 500.7 Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 361-371.8 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op. cit.9 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 13 décembre 2006, inédit.10 Miller, J.-A., La Conversation d’Arcachon, Cas rares : les inclassables de la clinique, Agalma, 1997,11 Lacan, J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 15 avril 1975, inédit.12 Ibid., leçon du 14 janvier 1975, inédit.13 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil,

1966. p. 546.14 Lacan J., « Présentation des Mémoires d’un névropathe », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. P.214.

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TonalitésSérgio de Castro – ebp

« Le soleil est une représentation du nom du père1 ». « il faudrait, c’est bien l’image qui convient, n’avoir pas les yeux en face des trous pour s’y embrouiller sur la place respective du signifiant et du signifié, et ne pas suivre de quel centre rayonnant le premier vient à refléter sa lumière dans la ténèbre des significations inachevées.2 »

Le soleil convoqué par Jacques-Alain Miller dans le débat qui a suivi sa conférence sur les psychoses ordinaires pour un public anglophone s’aligne sur la « lumière » réfléchie par le signifiant qu’évoque Lacan à propos de la distinction homme/femme dans son texte « L’instance de la lettre dans L’inconscient ». Ici, le binarisme d’une logique signifiante, articulé par la différence entre un signifiant et un autre, conduira non seulement à la différence sexuelle mais aussi à un binarisme clinique distinguant tout aussi nettement structure névrotique et psychotique.

Nous sommes là au cœur de la célèbre formule lacanienne de l’inconscient structuré comme un langage, composé de matière sonore et articulé en signifiants. On y retrouve (ou pas), ce signifiant privilégié qui soutient la structure symbolique à savoir le Nom-du-Père. Sa résonance religieuse ne servira qu’à indiquer le caractère abstrait et transcendantal d’une telle structure à un moment décisif dans l’enseignement de Lacan, ainsi que sa dimension de communication, puisque sa constitution aura toujours à l’horizon un Autre auquel le sujet s’adresse et duquel il recevra son message sous forme inversée.

Dans le texte cité ci-dessus, sensible aux impasses et aux difficultés de l’époque, Jacques-Alain Miller s’efforcera de dépasser un binarisme clinique (névrose / psychose) résultant d’une clinique pensée dans les limites d’une telle structure. Il convoquera alors, dans le texte cité, le « tiers exclus3 » comme premier recours pour surmonter ces impasses. Or, dans l’histoire de la logique classique, c’est précisément en réponse à une logique ne s’appuyant que sur le juste et l’erroné (ou le vrai et le faux) que ce dénommé « principe du tiers exclus », auquel Jacques-Alain Miller se réfère, sera développé. Ce principe, dépassant donc la logique dualiste soutenue par la contradiction de ses termes, en tentant de se constituer comme une logique à trois termes, pourra affirmer : « Le principe du tiers exclus n’est pas dans les cieux  : il reflète plutôt notre obstination à approuver le plus simple de tous les modes de division et notre intérêt prédominant pour les objets concrets par

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opposition aux objets abstraits.4 » Voilà, avec le principe du tiers exclus, une toute nou-velle perspective convoquée par Jacques-Alain Miller, qui semble suivre une direction que nous retrouverons dans l’enseignement de Lacan. À savoir : le passage de cette trans-cendance abstraite de la structure (bien que, depuis toujours marquée par un meurtre primitif ) à un régime plus sombre, moins net, à certains égards, ce qui rend Jacques-Alain Miller lui-même « plus lourd », comme il le raconte dans un passage amusant de son cours « Le tout dernier Lacan5 ».

Quelque chose qui se traduira par « matérialiser le procès subjectif, […] dans le tout dernier enseignement6 ». Par conséquent, le choix même du terme « tiers exclus » comme introduction à sa présentation de la psychose ordinaire dans cette conférence semble déjà faire vibrer quelque chose d’une pratique plus « lourde » moins reliée à un savoir abstrait. Cette logique non binaire, sera plus adéquate à un environnement (celui de la pratique) où l’ombre même d’une époque, ayant tendance à l’absence de distinction et aux indé-terminations, recommande les mouvements prudents et les tâtonnements. Indistinctions sexuelles, hybridations et « montages » les plus divers ne permettent pas toujours de faire surgir des différences plus claires. Or, dans Le Séminaire, livre XX, Lacan présentera ses élaborations de ce qu’il appellera alors lalangue, ce qui en effet permettra d’avancer un peu sur ces difficultés rencontrées dans la pratique de la psychanalyse. Ce terme, que, je crois, nous ne pouvons pas exactement appeler un « concept », est approprié à ce que nous visons ici. Lacan dit  : « Lalangue sert à de toutes autres choses qu’à la communi-cation.7 » Nous sommes alors clairement informés par Lacan que nous sommes ici en dehors d’une logique représentative / communicative du langage, toujours adressée et faite de la même matière que cet Autre, constitutive de l’inconscient lui-même structuré comme un langage. En outre, « le langage, d’abord, ça n’existe pas8 », « le langage sans doute est fait de lalangue. C’est une élucubration de savoir sur lalangue. Mais l’inconscient est un savoir, un savoir-faire avec lalangue. Et ce qu’on sait faire avec lalangue dépasse de beaucoup ce dont on peut rendre compte au titre du langage.9 »

Nous sommes ici à ce moment du parcours de Lacan, que Jacques-Alain Miller indique comme « le début de son dernier enseignement10 » (à quoi succédera un tout dernier), loin du début structuraliste, plus conforme aux contrastes qu’aux teintes et aux nuances. La structure se prête mal aux tâtonnements et à l’obscurité. Avec lalangue, Lacan évoquera alors un « savoir-faire » qui nous conduit à la finesse du un par un, des arrangements et des inventions singulières, un pragmatisme si souvent évoqué par Jacques-Alain Miller au long de son enseignement. C’est l’orientation qui nous mènera au tout dernier ensei-gnement de Lacan, silencieux, où il sera question, dans un travail entre art et artisanat, au cœur de cette pratique discrète, à L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre et au Moment de conclure. Là, dans cette régression hiérarchique du symbolique commencé au livre XX, c’est l’imaginaire qui tentera, en nuances, de recouvrir le symbolique. C’est sur ce terrain, inauguré dans le dernier enseignement de Lacan, que les élaborations de Jacques-Alain Miller sur la psychose ordinaire trouveront leurs fondements et leur grande pertinence clinique. Le Nom-du-Père rencontré ici ne sera pas vraiment resplendissant. Une fois pluralisé et sinthomatisé, il apparaîtra dans le dessin proposé par Jacques-Alain

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Miller lors de la conférence pour un public anglophone déjà citée, comme un tout petit trait, un presque rien, s’il s’agit d’une névrose. Cela me semble être un corollaire déductible de l’élaboration de Jacques-Alain Miller sur la psychose ordinaire : beaucoup de névroses sont moins claires, et contrastent beaucoup moins avec les psychoses. Des névroses très sombres non ordonnées par un Autre stable et articulé. Et où, il s’en est fallu d’un rien, comme on dit en portugais, pour basculer dans la psychose commune, c’est-à-dire au cœur du monde actuel.

Traduit du brésilien par Pedro Pereira

................................................................................1 Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto nº 94-95, 2009, p. 482 Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 500.3 Miller J.-A., « Effet retour sur  la psychose ordinaire », op. cit., p. 40.4 Lewis C.I., Alternative sistems of logic. Dicionário de Filosofia, Abbagnano N., São Paulo, Editora Mestre

Jou, 1970, p. 918.5 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan » (2006-2007), enseignement prononcé

dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, inédit.6 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 16 mai 2007.7 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1973, p. 126.8 Ibid.9 Ibid.10 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 16 mai 2007.

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Sous transfertYves Vanderveken – nls

Sous transfert. Sans doute convient-il de restituer toute sa place à cette précision qui qua-lifie le titre du congrès. « Les psychoses ordinaires et les autres. » Oui. Mais « sous transfert ». En quoi cette précision est-elle si importante ? Quelles en sont les conséquences ?

Si nous prenons ici le terme de transfert au sens de transfert analytique, cela permet de situer d’emblée où nous posons la question des psychoses : dans le champ proprement circonscrit de la psychanalyse. De prendre la question de la clinique des psychoses sous ou par le registre propre à la psychanalyse, dont Lacan n’a cessé de pointer le caractère artificiel de son dispositif, porte loin.

La conséquence porte sur ce que nous entendons, dans le champ de la psychanalyse, par le terme de clinique. Freud n’a eu de cesse de vouloir fonder une clinique analytique propre. Entendez qui se distingue de la clinique psychiatrique. Si nous sommes déposi-taires, par la mort de la psychiatrie, du savoir d’observation qu’elle a pu, dans sa période dite classique, construire et élaborer avec une finesse inégalable dans son repérage de signes cliniques, Freud cherche à fonder une clinique spécifique à la psychanalyse. Non pas justement à partir de signes cliniques, mais bien en fonction du mode de défense par rapport à… la libido. Il faut aller relire cela avec précision. Jacques-Alain Miller le rappelle et le déplie dans son texte « Schizophrénie et paranoïa1 », paru en son temps dans la revue Quarto.

Cette spécificité de la clinique psychanalytique, c’est au fond ce que nous rappelle Jacques-Alain Miller. La création de l’ECF s’est inscrite, sous son impulsion, sous un mot d’ordre  : celui d’un retour à la clinique, et ce au moment où il s’agissait de sauver l’enseignement de Jacques Lacan. Cela répondait, nous dit-il, à un principe de réalisme : resituer les choses sur l’expérience même de la psychanalyse2. Pourtant, alors qu’il était le maître d’œuvre de ce fameux « retour à la clinique » qui a fondé la marque de l’ECF à ses débuts, il peut aussi dire, dans Choses de finesse3, que « la clinique, ce n’est pas la psychanalyse » – ce à un moment crucial de l’histoire de l’ECF où il s’agissait, à nouveau frais, de sauver la psychanalyse pour qu’elle ne se dégrade pas en une psychologie ou une dimension psy-chothérapeutique. C’est pour lui l’occasion de rappeler que ce focus remis sur la clinique s’est d’emblée accompagné d’une précision, en 1982 : le rappel que la clinique analytique

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a ceci de spécifique qu’elle est une « Clinique sous transfert4 ». Nous voilà revenus au point qui nous préoccupe dans le titre de notre prochain congrès.

Préciser que la clinique analytique est une clinique sous transfert indique que sa clinique est spéciale. Elle s’oppose par ce trait à une clinique substantialiste, objectivante. En ceci, que toute clinique dans le champ de la psychanalyse est d’emblée prise dans une relation, celle qui inclut l’analyste dans le tableau clinique qu’il peut à l’occasion formaliser. Le transfert a, dès lors, je cite J.-A. Miller, une action « dissolvante » qui « limite sévèrement » la perspective clinique, qui « l’invalide5 ». « Quand on franchit le seuil d’une psychanalyse, la clinique est à laisser derrière6 ». Comment saisir ce qui n’est un paradoxe qu’en appa-rence ?

La clinique en tant que telle relève du modèle médical. C’est l’art de classer les phé-nomènes, à partir de signes et d’indices répertoriés. C’est par excellence un exercice d’ordonnancement, de classification et d’objectivation. J.-A. Miller va jusqu’à dire que l’on peut reconnaître – et volontiers laisser – une dimension clinique à l’entreprise DSM, même si, en se fondant sur la statistique et la mesure, elle ne peut qu’être une perspective clinique pauvre.

Dans la psychanalyse, il y a de cela. Des classifications cliniques. Des ordonnancements structuraux. Et c’est ce à quoi nous invite notre prochain congrès : se pencher sur l’archi-tecture de la psychose. Eh bien, si cette dimension est ce qui permet de s’orienter, de se re-pé-rer, on peut néanmoins, propose J.-A. Miller, spécifier la clinique dans la dimension repère qu’elle donne à partir de classifications de signes reconnus du côté du connu, de la routine7. Qu’elle soit sous transfert fait surgir la dimension qui échappe à ce savoir, celle de la tuché qui troue la clinique classificatoire, où surgit au sein même de la classe, en défaut à celle-ci, le à nul autre pareil.

Architecture de la psychose n’est pas sans indiquer ce point d’articulation. C’est d’ailleurs précisément cette dialectique que Lacan introduit directement dans la psychanalyse par l’opération de basculement des classes cliniques (du registre médical, hérité de la tra-dition, des signes communs) vers la dimension structurale. Passer de la classe à la structure n’est pas une simple équivalence, mais introduit un changement de valence. Certes cela s’inscrit historiquement dans le mouvement structuraliste, mais cela opère une trans-formation conceptuelle qui est plus syntone avec la dimension proprement analytique. La structure dépasse la description objectivante des phénomènes pour « accéder à une matrice, dont les phénomènes n’en sont que les manifestations8 ». Sans compter que le concept de structure ajoute à l’ensemble que forme une classe, une articulation. Nous retrouvons ici, sous une autre forme, la dimension du lien que nous évoquions comme étant au cœur de l’expérience analytique. Ce sont des éléments différenciés qui ne valent pas en soi, mais qui entrent en articulation. Conformément à la notion de structure, les éléments sont susceptibles de permuter leur place et d’assurer des fonctions différentes.

Lacan ne se satisfera pas de la notion de structure. Il ira même jusqu’à en défaire la portée, au fil de son enseignement, pour se concentrer toujours plus sur l’élément singulier  : la différence absolue. Au passage, il déclinera la notion de structure en discours, dont il pré-

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cisera que les questions cliniques psychose/névrose trouvent à s’y inscrire. Le passage de la structure au discours ne peut mieux signifier la dimension de la relation à l’autre. Au point de définir les discours comme des formes de liens sociaux. Il faut repenser – c’est une perspective qu’il assignait aux Sections cliniques – nos catégories cliniques dans cette perspective. Remarquons que la désubstantialisation, présente depuis le début dès son schéma L, son graphe du désir, trouve son point d’aboutissement dans les théories des discours. Aucun des 4 éléments qui le composent n’ont de valence en soi, ils ne s’ar-ticulent que l’un par rapport à l’autre, dans leur relation et agencement. Que dire alors du pas supplémentaire qu’il opère encore dans la théorie des nœuds. Il finit là, par le terme même de sinthome, par dissoudre toute idée de clinique.

C’est à la tâche de ce défi, qui articule la clinique psychanalytique comme se repérant d’une clinique tout en la dissolvant, ou encore qui fonde une clinique à partir du trait qui fonde la singularité absolue, que notre congrès nous invite. C’est ce qu’indique à mon sens l’ajout de ce « sous transfert » à son titre.

................................................................................1 Miller J.-A., « Schizophrénie et paranoïa », Quarto nº 10, p. 13-31. 2 Miller J.-A., Le point de capiton, https://www.lacan-tv.fr/video/cours-de-psychanalyse-1ere-partie-le-

point-de-capiton/ 3 Miller J.-A., L’orientation lacanienne, « Choses de finesse en psychanalyse », leçon du 10 décembre 2008.4 Miller J.-A., « Clinique sous transfert », Ornicar? nº 29 5 Miller J.-A., « Choses de finesse », ibid.6 Ibid.7 Ibid.8 Ibid.

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Une pratique analytique de l’Un

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Le tout dernier Lacan, que Jacques-Alain Miller situe au niveau des séminaires L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre et Le Moment de conclure, désigne une pratique analy-tique s’avançant plus loin que l’inconscient freudien, désignant même – sur la voie de l’inconscient réel – des éléments plus spécifiques que le sinthome1.

Lacan s’oriente vers une pratique analytique de l’Un se soutenant de la primauté de la jouissance du corps2. La psychanalyse détermine des « constructions précédentes » qui préexistent à la construction syntaxique et grammaticale du langage3, la structuration imaginaire du désir et les réponses traumatiques de la jouissance pulsionnelle. Ces constructions réelles donnent forme à l’écriture, à la texture de la jouissance du parlêtre.

Pour la jouissance Une, Jacques-Alain Miller souligne la primauté de l’écriture sur la parole, en tant que l’inconscient proprement dit relève de l’écrit4, et que l’écriture est la voie royale pour approcher du réel qui ne parle pas. Au moyen de l’analyse, nous faisons parler le réel par la mise en écho, par le faire équivoque, par le fait de localiser, de nommer ce qui est écrit.

Lacan vise vers lalangue, la consistance imaginaire et la contingence, qui « est tout ce qui soumet le rapport sexuel à n’être que sous le régime de la rencontre et […] c’est un fait de hasard5 ». Ce sont des occasions réelles, imaginaires et symboliques ayant le statut de la détermination, lequel auparavant relevait exclusivement de l’ordre symbolique. Un Lacan hérétique au regard de l’orthodoxie du symbolique.

En quoi ces « constructions précédentes », dérivées de la contingence, contribuent-elles à l’élucidation des psychoses ordinaires ? Ensuite, en quoi les psychoses ordinaires viennent-elles élucider Le tout dernier Lacan ?

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Vers l’inconscient réel. L’une-bévue

L’une-bévue, traduction phonétique néologique de l’Unbewusste freudien, se traduit dans notre champ, en castillan, comme écueil, erreur, faux-pas, et dans le séminaire Le tout dernier Lacan de Jacques-Alain Miller, comme une-équivoque. Il s’agit d’une notion cli-nique introduite dans le séminaire L’insu : c’est la « face de réel de ce dont on est empêtré6 » ; qui vise l’inconscient réel et le Y’a d’l’Un. L’une-bévue est une micro-unité isolée, « unité constitutive […] de l’inconscient7 » – versus la macro-unité du sinthome – et qui se réfère à un fait ténu et discontinu, une irruption, un retour à la chose sans effet de sens.

Dans Le moment de conclure, Lacan précise le lien entre écriture et équivoquer : « user de l’écriture pour équivoquer, ça peut servir, parce que nous avons besoin d’équivoque, pré-cisément pour l’analyse8 ». L’équivoque en tant qu’interprétation dans la névrose consiste à lire d’une autre façon, en s’appuyant de l’écriture. Et dans la psychose, que serait « user de l’écriture pour faire équivoque »? Que faire de l’une-bévue ?

Avec la clinique des nœuds, les psychoses ordinaires révèlent un travail d’écriture subtil au niveau de la lettre ; l’une-bévue dès lors est pensable dans le nœud. Les psychoses ordi-naires montrent la pluralisation des Noms-du-Père dans la stabilisation par une image, avec la substance jouissante de la pulsion ou avec un S1, ce qui vient assurer la consistance du nœud, jusqu’alors en échec9. » Il s’agit d’une orientation de la clinique du sinthome, localiser le registre où ça rate, ou dans lequel le nœud « se trompe ».

Dans certains cas, de l’une-bévue on ne peut rien faire puisqu’elle a une fonction de nouage, et dans d’autres cas, l’une-bévue oriente la manœuvre avec les trois registres, pour faire arrêt à une dérive de la jouissance. En ce lieu, il est possible de faire une ponctuation qui introduise une limite à ce qui s’est dénoué, de telle sorte que faire équivoque serait réparer un registre au moyen de l’écriture. Il s’agit d’un usage de l’équivoque entendu comme réécriture venant faire nouage ou incitant à un autre mode de nouage.

La pratique analytique de l’Un : manœuvrer avec les trois registres

La psychanalyse est une pratique qui pose au centre l’opération de l’analyste avec le par-lêtre, laquelle a des conséquences sur le savoir, et dans le transfert : « Lacan réduit le sujet supposé savoir à supposer savoir comment opérer10 ».

Lacan par la pluralisation des Noms-du-Père effectue un déplacement depuis l’opération symbolique vers une manœuvre des trois registres, que Jacques-Alain Miller dans Le tout dernier Lacan appelle « manipulation » du nœud. Manipuler entendu au sens topolo-gique : manœuvrer avec les S1, avec les images et avec les objets de la pulsion. C’est une pratique du savoir faire avec les usages : « avec ces visuels – la topologie, « on a là une manipulation que l’on pourrait appeler, avec un terme de l’enseignement de Lacan, une manipulation de semblants, qui sont en quelques façons mis en place de réel11 ».

C’est une pragmatique qui par l’acte analytique opère avec des coupures, des résonances, des gestes, soustraire ou mettre en jeu un objet pulsionnel. C’est « une pratique dont

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l’efficacité, malgré tout, tangible12 », implique le corps de l’analyste dans l’acte analytique, misant sur un effet qui pousse à produire un nouveau nouage.

L’importance de l’imaginaire dans sa rencontre avec le réel

La psychanalyse est une pratique d’écriture qui compte avec l’imaginaire comme recours : la fonction de l’image pour le parlêtre, sa place dans la consistance corporelle, et les manœuvres visant à toucher le réel par la voie du semblant.

Jacques-Alain Miller indique que pour la psychanalyse le « fait clinique majeur […] c’est la béance qui demeure entre l’imaginaire et le réel. […] Ce dont il s’agit au sens de Lacan, pour saisir ce qui a lieu dans une analyse, ce qu’il appelle l’étoffe d’une psychanalyse, c’est de surmonter la béance de l’imaginaire et du réel13 » ; Comment opérer dès lors dans cet espace situé au-delà du traumatisme de lalangue et qui ne dispose ni de l’Oedipe, ni de la métaphore paternelle, ni de l’écran du fantasme ? Comment opérer sur des marques traumatiques là où ne s’insère ni l’Autre ni la structure du langage ?

Si l’étoffe dans le domaine topologique est la fonction du corps, surgissent alors quelques questions de recherche  : comment intervenir sur cette étoffe en sorte qu’elle vienne nouer les registres imaginaire et réel mais sans le symbolique ? S’agirait-il quelquefois d’équivoquer au niveau de l’Un-corps dans la jouissance localisée des objets et également dans leur consistance corporelle ?

Produire un effet de vitalisation, en équivoquant au niveau de la consistance corpo-relle laquelle soutient l’existence du parlêtre, impliquerait de réinjecter une jouissance vitale dans l’articulation imaginaire-réel14. Equivoquer, touchant le corps de l’ana-lysant – comme dans le cas Susanne Hommel – sur le mode Gestapo / Geste à peau : une équivoque-écriture d’un événement de corps où quelque chose cesse de ne pas s’écrire.

Les témoignages de passe et les psychoses ordinaires

Les témoignages de passe enseignent que des faits ténus et faisant obstacle laissent une marque dans la rencontre du langage avec le corps, dans lalangue, dans les images reines et dans la substance jouissante du corps pulsionnel. Dans le témoignage de Marie-Christine Giraldo, par exemple, la « grimace de la voix » est une-bévue, une équivoque, un disparate, une coupure d’une pièce discontinue qui engendre un événement de corps, faisant arrêt au sens15.

À la clef de la clinique continuiste, ces constructions minimes qui se révèlent en fin d’analyse apparaissent d’emblée dans les psychoses ordinaires tout en soutenant le nouage ou indi-quant un débranchement. Ces psychoses enseignent sur des signes ténus dans les sons, les phonèmes, les images ou sur le registre pulsionnel corporel. Les signes discrets ont la valeur de montrer cette « face de réel de ce dont on est empêtré », orientant le diagnostic de psychose ordinaire et indiquant aussi des signes qui peu à peu indiquent des solutions discrètes dans le corps, la subjectivité et le lien social16. Devant ces psychoses, l’analyste

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se laisse enseigner par la pragmatique opérationnelle avec les matériaux de l’existence du parlêtre et ses « petites inventions. […] l’invention d’un petit point de capiton, d’une petite identification, et l’identification est la condition pour qu’il y ait du travail17 ».

Traduit de l’espagnol par Jean-François Lebrun

................................................................................1 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan » (2006-2007), enseignement prononcé

dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, inédit.2 Ibid., cours du 30 mai 2007.3 Ibid., cours du 9 mai 2007.4 Ibid., cours du 16 mai 2007.5 Ibid., cours du 23 mai 2007.6 Ibid., cours du 30 mai 2007.7 Ibid.8 Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le Moment de conclure » leçon du 15 novembre 1977, inédit.9 Velasquez, J.F. « Lo borromeo en la practica ». Le séminaire de la NEL, SFL, le 20 janvier 2018.10 Miller J.-A., « Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 6 juin 2007.11 Ibid., cours du 30 mai 2007.12 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 135.13 Miller J.-A., « Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 30 mai 2007.14 Indart J.C., « Sinthoma e imagen corporal », Le Séminaire de la NEL, SFL, le 21 octobre 2017.15 Giraldo M. C., « La voz opaca », Revista lacaniana nº 22, ano XII, 2017. 16 Miller J.-A., « Effet retour sur les psychoses ordinaires », Quarto nº 94-95, janvier 2009, p. 40-51.17 Miller J.-A., « L’invention psychotique », Quarto nº 80-81, janvier 2004, p. 10.

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Psychoses ordinaires et éveil

Esthela Solano-Suàrez – ecf

Nous approchons de la date du XIe Congrès de l’AMP nous convoquant sous le titre « Les psychoses ordinaires et les autres, sous transfert » qui sera sans doute un point de capiton ayant fonction de mise à ciel ouvert d’une élaboration de travail soutenue au sein des Ecoles.

D’une certaine manière, les psychoses ordinaires ont été la vedette épistémique de cette élaboration, et pour cause. Elles nous confrontent dans la pratique à ce qui se trouve au cœur même de son orientation, le réel hors sens et sans loi. Vous pouvez m’objecter qu’il en est ainsi dans le cas des psychoses extraordinaires, où le moment de déclenchement fait venir au jour des phénomènes témoignant du fait que ce qui est exclu du symbo-lique fait retour dans le réel. C’est la thèse classique de Lacan. De même, le symptôme névrotique se présente pour celui qui en pâtit comme ce qui dysfonctionne d’une façon insensée, perturbant le corps ou la pensée. Par voie de conséquence, le symptôme, dans la névrose, est un effet provenant du réel qui se manifeste comme hors sens et dont l’insis-tance fait énigme. Alors, en quoi les psychoses ordinaires nous apparaissent-elles comme étant paradigmatiques du rapport de l’être parlant au réel ?

Rappelons ici que cette catégorie a été introduite par Jacques-Alain Miller répondant à une nécessité qui s’imposait depuis l’étude des cas ne relevant pas de psychoses extraor-dinaires – comme pouvait l’être le cas Schreber – où l’on ne trouve pas un moment de déclenchement proprement dit et où la forclusion n’étant pas à ciel ouvert, n’est repérable que par des indices infimes et discrets. Ce sont les cas rares et inclassables qui ont été à la base d’une élaboration faisant appel à une nouvelle catégorie clinique.

Sur cette base, il a été mis en avant la prise en compte de ce qui fait suppléance non pas aux manques, mais à un défaut fondamental qui fait trou.

Or, du point de vue d’une clinique des suppléances, nous ne pouvons pas négliger de nous poser la question de savoir qu’est ce qui supplée à quoi.

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Comme nous le savons, Lacan propose dans un premier temps une reprise du dire de Freud se servant de l’instrument linguistique. Il formalisera les lois des formations de l’in-conscient à partir des lois du langage, inscrivant le désir dans la métonymie signifiante et rendant compte du symptôme à partir de la métaphore. Dans cette veine, il formalise l’Œdipe freudien sous les espèces de la métaphore paternelle, faisant du Nom-du-Père l’opérateur de stabilisation du signifiant et du signifié. Cette clinique structurale tranche de façon nette la distinction entre névrose et psychose selon l’inscription ou l’absence d’inscription d’un signifiant fondamental. Dans cette perspective, suivant Freud, le délire est considéré comme étant une suppléance par l’intermédiaire de la métaphore délirante qui stabilise le rapport entre le signifiant et le signifié. Dans cette même veine, dans le champ de la phobie infantile, le cheval du petit Hans a le statut d’un signifiant qui vient porter secours à l’enfant confronté à la défaillance paternelle.

Avec l’introduction du mathème du S(A) qui fait du lieu de l’Autre un lieu non seu-lement incomplet mais inconsistant, Lacan va pluraliser le Nom-du-Père, dans la mesure où, désormais, il sera question de n’importe quel S1 qui viendra s’inscrire à la place du signifiant qui manque dans l’Autre. Dans cette perspective il sera question de déporter la psychanalyse au delà du mythe du père, vers le champ de la jouissance. L’objet petit a comme reste de l’opération du langage sur le corps, vient faire objection au père castrateur freudien s’articulant dans le fantasme au titre de cause du désir et de plus-de-jouir.

Si le fantasme fondamental est un opérateur de suppléance qui vient conjoindre le reste de jouissance et le sujet du signifiant, encore faudra-t-il que Lacan introduise dans son enseignement un bouleversement majeur dès lors qu’il distingue le plus-de-jouir comme étant de l’ordre du semblant vis-à-vis d’une jouissance qui échappe au sens. Cette pers-pective va de pair avec la distinction dans le champ du signifiant de l’effet de sens, résultant de l’articulation signifiante, d’avec l’effet de jouissance provenant du signifiant S1 tout seul, hors sens.

Ainsi s’ouvre la voie pour poser que, si le champ de la jouissance ne s’inscrit que de l’Un tout seul, il n’y a pas de jouissance de l’Autre. Le signifiant fait trou dans le sexuel rendant impossible le rapport sexuel.

Le corps « se jouit » tout seul et la rencontre de la réalité sexuelle fait trou, voire trouma-tisme. Face au réel du sexuel, le symptôme s’inscrit comme un opérateur de consistance qui fait tenir ensemble le corps, la parole et le réel. Autrement dit, à la place de la non inscription du rapport sexuel qu’il n’y a pas, s’inscrit le S1 du symptôme.

Dans cette perspective, le symptôme procure aux parlêtres une suppléance qui assure le nouage borroméen du réel du symbolique et de l’imaginaire et à ce titre, Lacan rend le symptôme équivalent à la fonction du père.

Ainsi, tous les parlêtres se trouvent sous la même enseigne, composant avec ce qui vient suppléer au trou du sexuel.

Ce que nous pouvons appeler « symptômes types » relevant de l’hystérie ou de la névrose obsessionnelle se prêtent à un déchiffrage sous transfert. Or, l’expérience d’une analyse

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nous confronte à chaque fois à ce qui, pour chaque parlêtre est de l’ordre de « l’inclas-sable ». Tout symptôme type se déconstruit dans une cure au profit de la singularité, ce pourquoi il n’y a pas de communauté sémantique des symptômes.

Et dans ce sens, les psychoses ordinaires nous mettent au pied du mur d’une certaine humilité face au réel, nous confrontant à ce qui échappe aux catégories établies pour nous amener à faire preuve de discernement dans l’accueil de ce qu’il y a de plus singulier pour chaque parlêtre au niveau de son rapport au corps, au savoir et à la jouissance. Ceci suppose la prise en compte des détails où « la forclusion, bouchée par un « sinthome », était dénotée par des indices parfois infimes.1 »

Ceci ne veut pas dire que nous allons faire table rase des concepts avancés par Lacan au cours de son premier enseignement pour seulement nous orienter des avancées ulté-rieures, voire dernières. Au contraire, nous sommes plutôt convoqués à nous rompre à cet enseignement suivant sa transformation successive et topologique, aussi bien qu’à ne pas négliger la fréquentation des textes de Freud et bien évidemment à ne pas faire l’économie de se confronter à la lecture éclairante de Jacques-Alain Miller qui nous sert de boussole.

Les psychoses ordinaires nous appellent vers un éveil, vers un questionnement de nos catégories, ouvrant vers le point où il s’avère que chaque cas, dans sa singularité, contredit la norme.

................................................................................1 Miller J.-A., « En ligne avec Jacques- Alain Miller », La Cause du désir nº 80, mars 2012, Navarin Editeur,

p. 13.

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L’incidence du dernier enseignement de Lacan

sur les psychosesM. Antonella Del Monaco – slp

Si l’on compare le renversement de perspective accompli par Lacan dans son dernier enseignement avec ceux qui avaient été les pierres angulaires de la « période symbo-lique1 », on ne peut qu’avoir un effet de retour sur l’approche à la question de la psychose et sur l’opérabilité que l’on peut en tirer. Nous avons un premier témoignage très pré-cieux en étudiant les actes des trois réunions cliniques organisées par les Sections cliniques francophones du Champ freudien2. Ils nous permettent de suivre l’évolution qui s’est développée autour de la question de la psychose ordinaire et qui a formalisé – à partir de l’élaboration réalisée par Jacques-Alain Miller sur le dernier enseignement de Lacan – une nouvelle perspective et une nouvelle pratique dans le contexte de la cli-nique de la psychose.

On peut dire que ce qui était en jeu dans la présentation et la discussion des différents cas c’était l’élaboration d’une clinique visant à isoler la singularité de la réponse de chaque sujet à la rencontre avec une jouissance impossible à supporter. Singularité de jouissance que Lacan avait tirée de son questionnement sur la spécificité de la jouissance féminine : « pas pour tout x, Φx3 », qui l’a poussé à aller au-delà de la jouissance limitée par le sym-bolique et déchiffrable à travers elle. C’est une élaboration qui a ouvert les portes de son dernier et tout dernier enseignement. Lacan, en effet, généralisera cette formule, en arrivant ainsi à isoler le sinthome.

Dans son dernier enseignement, nous assistons à son effort pour isoler et extraire de l’uni-versel la pièce détachée, l’élément de non sens qui, dans chaque être parlant, constitue la singularité de jouissance incarnée dans l’Un.

C’est à partir de cette logique que va s’inscrire le passage – qui a été produit pendant les trois réunions cliniques – d’une clinique du Nom-du-Père à une clinique du symptôme. Passage qui marque une subversion fondamentale : pas de déficit signifiant dans la clinique

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des psychoses. La clinique borroméenne, en effet, comme le dit J.-A. Miller presque à la fin de la Conversation d’Arcachon « est une clinique du fonctionnement, plus qu’une clinique du manque4 ». Au cours de la Conversation, il reprend les deux formalisations de la clinique de la psychose qui proviennent de l’enseignement de Lacan : la première – relative aux années cinquante – structuraliste, discontinuiste en marquant la frontière entre névrose et psychose  ; la deuxième – qui remonte aux années soixante-dix – borroméenne, continuiste, « élastique et fondée sur une généralisation de la forclusion5 ». Si dans la première, la présence ou l’absence de l’opérateur du Nom-du-Père est ce qui constitue l’élément distinctif, en ce qui concerne la deuxième, « la structure du nœud, qui ne se réfère pas au Nom-du-Père, est plus complexe que la première »  ; il est plus difficile de trouver un trait différentiel  ; on y retrouve plutôt une graduation. J.-A. Miller formalise le passage du Nom-du-Père au Point de capiton  ; passage qui vise à « mettre en valeur l’équivalence entre le symptôme et le Nom-du-Père : Σ = NP. Cette formule est un principe cardinal de la clinique borroméenne. […]. Disons qu’un symptôme peut faire fonction de Nom-du-Père6 ».

Dans la mise au point de ce changement de perspective, J.-A. Miller accomplit un passage supplémentaire lorsqu’il introduit le lien signifiant-jouissance comme boussole pour s’orienter. Il s’agit d’une récupération essentielle, qui met au cœur le traumatisme de la langue  ; l’effet de la langue sur le corps, capable de produire des effets énigmatiques. C’est la perspective introduite par Lacan à la fin du Séminaire XX avec la disjonction entre langage et lalangue. Ayant placé la langue comme le mot avant chaque orthographe, elle est ainsi disjointe de la structure du langage, qui devient une élucubration du savoir sur lalangue ; lalangue vient avant le savoir. L’effet de cette opération de disjonction remet en question le langage lui-même, et nous voyons Lacan s’occuper moins des effets du sens que des effets du langage. C’est l’action du signifiant, son aspect parasitaire qui attire l’at-tention de Lacan ; il nous introduit à un inconscient fait de lalangue – dans lequel l’Un est incarné – qui met en évidence comment cette dernière sert à la jouissance.

Le lien entre le signifiant Un-tout-seul et la jouissance constitue le pivot de la clinique borroméenne. Nous pouvons le trouver dans les différents cas qui ont été présentés à la Convention d’Antibes et dans la discussion clinique qui a suivi. Les collègues de la Section clinique de Bordeaux, dans l’exposé d’un cas présenté7, montrent comment « Il existe à partir du signifiant S1, deux voies. L’une est la voie symbolique proprement dite, avec la série : parole, discours, savoir, inconscient. L’autre est la voie du réel, qui est aussi celle de la lettre, foncièrement ininterprétable8 » qui est la voie du « hors effet de signification, hors élaboration de savoir, hors discours9 ».

Les psychoses ordinaires mettent en évidence le signifiant dans le réel et non son articu-lation dans la chaîne. Ce que montrent les différents cas présentés, c’est qu’il n’y a pas de cohérence de la chaîne signifiante, « la norme n’est pas a priori, mais se constitue à partir de la chaîne brisée. […] la réponse du psychotique contemporain, […], c’est de traiter ce S1, tout seul, dans ses effets de jouissance de l’être10 ». Cela ouvre l’enquête sur les façons subjectives de nouage et dénouage les trois registres, d’investissement et de désinves-tissement pulsionnels. À partir du dernier enseignement de Lacan, nous assistons au

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développement d’une clinique selon le type de nouage, où il s’agit d’identifier, ce qui, pour chaque sujet, est l’élément du nouage qui fait tenir l’ensemble. Et ce qui a guidé Lacan dans cette nouvelle dimension, c’est Joyce.

Dans Pièces détachées, J.-A. Miller se réfère au sinthome – comme l’explique Lacan dans le Séminaire XXIII – en l’indiquant comme une pièce détachée de toute articu-lation signifiante, de tout sens, détachée de l’inconscient lui-même. C’est à partir d’ici que J.-A. Miller va souligner comment la théorie de l’inconscient du dernier Lacan n’est plus élaborée à partir de l’hystérie mais de la psychose. Dans son cours Le tout dernier Lacan, J.-A. Miller indique le moment où se produit le changement de perspective qui amène Lacan à introduire l’inconscient réel. On le trouve dans l’extrait d’u dernier écrit de Lacan da 1976 : « Quand l’esp d’un laps, soit […] l’espace d’un lapsus, n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient. On le sait, soi11 ». J.-A. Miller fait remarquer que Lacan va frapper la liaison S1 avec S2. S1 se révèle être l’Un tout seul, disjoint d’un savoir. C’est ce qui est implicite dans « On le sait – virgule – soi – point ». « C’est un savoir du soi tout seul. […] cela installe […] cet étrange être coupé, qui est seul. […] L’inconscient dans lequel on est sûr d’y être. Ce qu’on sait, soi, tout seul12 ». C’est un savoir qui n’est pas pris dans le mécanisme d’un discours adressé à l’Autre. Lacan, devant Joyce et sa position, « nous présente le paradoxe d’un sujet sans Autre, qui parle pour soi13 ».

Traduit de l’italien par Rachele Giuntoli

................................................................................1 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », (2006-2007), enseignement prononcé

dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, cours du 9 mai 2007, inédit. 2 Le Conciliabule d’Angers, Effets de surprise dans la psychanalyse, Paon collection, Agalma/Seuil, 1997  ;

La conversation d’Arcachon, Cas rares : les inclassables de la clinique, Paon Collection, Agalma/Seuil, Paris, 1998 ; La psychose ordinaire, La Convention d’Antibes, Paon Collection, Agalma/Seuil, Paris, 1999.

3 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul », (2010-2011), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, cours du 2 mars 2011, inédit.

4 Miller J., La conversation d’Arcachon, Cas rares : les inclassables de la clinique, op. cit., p. 258.5 Ibid., p. 153. 6 Ibid., p. 156.7 Dewambrechies-La Sagna C. et Deffieux J.-P., in Miller J.-A., La psychose ordinaire, La Convention d’Antibes,

op. cit., p. 91-111.8 Ibid., p. 95.9 Ibid., p. 95-96.10 Borie J., in Miller J.-A., La psychose ordinaire, La convention d’Antibes, op. cit., p. 254.11 Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571. 12 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », (2006-2007), enseignement prononcé

dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, cours du 13 décembre 2006 – Miller J.-A., « L’inconscient réel », Quarto nº 88/89, décembre 2006, p. 8.

13 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », (2006-2007), op. cit., cours du 13 décembre 2006, inédit.

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Sur l’interprétation du secrétaire de l’aliéné

Patricia Tassara – elp

L’inconscient freudien était un sens caché à dévoiler, et l’interprétation ajoutait une signi-fication au sens sexuel du symptôme ; elle était une traduction du sens œdipien.

La publication de L’interprétation des rêves déclencha dans la communauté analytique une fureur interprétative, qui fut suivie d’une déflation dix plus tard. En 1920 Freud situe ce qui résiste à la guérison du symptôme. Il a repéré une limite qui se répète : « À cette date, les analystes ont éprouvé, dans la douleur […] que le déchiffrage n’était pas par lui-même transformationnel et ils ont tenté de rendre compte de cet écart par le concept de résis-tance1 », ce qui débouche sur l’analyse des résistances. Son invention de la psychanalyse a été marquée par l’époque victorienne. L’époque, et la conception de l’inconscient que l’analyste peut avoir, ne seront pas étrangères à son mode d’interprétation, car « La façon d’interpréter est un mode de jouissance2 ».

Chez le premier Lacan, l’interprétation était un S2 ajoutant du sens dans la recherche d’une relation de cause à effet entre signifiant et signifié. Dans le Séminaire III il considère l’au-tomatisme mental, les mots imposés, les voix « comme une rupture du mécanisme du fonctionnement de la chaîne signifiante3 ». Les troubles du langage étaient un échec du point de capiton du Nom-du-Père causé par l’absence de signification phallique. L’inter-prétation était au service du Nom-du-Père.

L’interprétation métaphorique fait résonner la langue. Elle s’offre à lire chez l’Autre qui existe, renvoyant au sens phallique, et reste du côté de l’analyste. C’est la métaphore phal-lique. Dans la psychose, la métaphore délirante est une réponse, sous forme d’un capiton defaillant, au trou réel. Ne pas mener le sujet vers le trou, l’en préserver, reste aujourd’hui une indication interprétative de la plus grande valeur4. Dans le Séminaire III, Lacan indique qu’il s’agit de faire résonner de façon différente – métonymique – quelques signifiants, mais pas tous, seulement ceux qui ne font pas résonner la signification phallique, afin de ne pas conduire le sujet au bord du trou, ce qui amorcerait « la cascade des remaniements du signifiant d’où procède le désastre croissant de l’imaginaire5». Dans « D’une question

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préliminaire… », Lacan affirme catégoriquement que dans la psychose on ne doit pas interpréter l’homosexualité latente, en tant que celle-ci renvoie à l’Œdipe, car on court alors le risque de faire surgir le pousse-à-la-femme6 ». En ce sens, le secrétaire de l’aliéné aurait une position plutôt passive de non interprétation dans la psychose, à la différence de la position qu’il occuperait – plus active – pour l’interprétation de la névrose.

Dans « L’interprétation à l’envers », nous comprenons que si l’inconscient interprète, portant en lui-même son mode de jouissance, dans la névrose l’analyste tendra à séparer le sujet de l’interprétation qu’il porte, séparation de S1-S2, visant l’impossibilité de rapport entre ces deux termes, S1//S2. De cette manière, isoler le S1 de la chaîne, « c’est reconduire le sujet aux signifiants proprement élémentaires sur lesquels il a, dans sa névrose, déliré.7 »

Mais l’inconscient interprète « et spécialement dans la psychose, puisque la psychose, puisque la psychose plus que la névrose, met en valeur la structure du lieu de l’Autre.8 » De quelle séparation s’agit-il dans la psychose ? Il s’agit de séparer le sujet de ces questions qui lui viennent de là où il n’y a pas de signification. L’analyste devra être attentif aux phé-nomènes de frange, « où l’ensemble du signifiant est mis en jeu », indiquant le bord du trou où il ne convient pas que le sujet se penche : « c’est à prendre au pied de la lettre9 ». « Il y a un silence inclus dans la langue qui fait que le texte inconscient peut trouver une respiration qui permet au sujet, comme le disait le président Schreber, de “ne penser à rien”, de pouvoir souffler. Cela veut dire pouvoir agir, sans être embarrassé en permanence par sa “pensée”, par la formation hallucinatoire qui l’envahit.10 » – avec à l’horizon cet effet de silence, on tentera donc d’apaiser le délire en faisant de la séance un moment possible de pause, de calme, un ne pas penser.

À la fin de son enseignement Lacan modifie le régime de l’Autre ; en s’appuyant sur Joyce, il effectue un virage conceptuel. À partir de l’Autre qui n’existe pas, on repère un en-deçà et un au-delà de l’Œdipe. L’inexistence de l’Autre conduit à la pluralisation du Nom-du-Père, aux nœuds et au parlêtre, ce qui permet d’inclure le corps et sa jouissance. Ainsi la pulsion, exclue de l’interprétation dans la première époque, s’y trouve maintenant incluse.

Si l’inconscient interprète le réel – et la rencontre avec le réel est toujours contingente –, cela ne rapproche-t-il pas la névrose de la psychose, celle-ci étant un mode de réponse particulière à ce réel via le délire, ainsi que cet autre délire qu’est le roman inconscient du névrosé ? La forclusion généralisée est un virage pour la clinique, et par là même pour l’interprétation. Tout sujet se confronte au réel du trou-matisme. J.-A. Miller considère la psychanalyse non pas à partir de la névrose, mais à partir de la psychose. Avec la plura-lisation du Nom-du-Père sa fonction pourra être remplie par tout autre terme, puisque dans la conversation d’Arcachon il fait équivaloir le Nom-du-Père au symptôme11.

Pour aborder la psychose ordinaire il s’agit de chercher « les plus petits indices » de la forclusion pour s’orienter dans la pratique, rendant possibles des solutions elles-mêmes discrètes12. Pour la psychose ordinaire, la cure consisterait à privilégier le capiton, la scansion, les ruptures, afin d’éviter au sujet la construction d’un délire : autrement dit, tout comme dans la névrose, isoler le S1 dans son rapport avec la jouissance pour éviter une propagation du S2 qui, dans la psychose, déclencherait le délire.

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Nous voyons alors que « la manœuvre analytique n’est pas un simple enregistrement13 » indique Jacques-Alain Miller. L’analyste visera à stabiliser, en introduisant la coupure, pour que la langue renonce à son holophrase, en y plaçant la fonction d’une virgule. « Qu’il n’y ait pas simplement une seule séquence de signifiants S1, S2… Sn sans les virgules. Il s’agit d’obtenir la possibilité des virgules. Donc, ces virgules, dans la séance, nous les faisons. Nous visons au sinthome » et cela consiste à isoler, à séparer les signifiants des chaînes en se centrant sur l’événement de corps qui va avec  ; ainsi l’interprétation s’en trouvera centrée sur la paire (S1, a)14.

De même que pour la névrose, il s’agit de réduire le délire et le phénomène de corps à un axe central, un signifiant-maître. Loin de faire taire le patient psychotique, nous nous centrons sur les ravinements du signifiant.

Le trou dans le symbolique existe pour tout le monde, c’est son trou-matisme, de même que le sinthome, en tant que nouage particulier de l’équilibre perdu lors de la rencontre avec le réel. Dans la psychose, l’analyste doit se demander en quoi lalangue de l’autre est affectée en observant les ravinements laissés par le signifiant, et en s’offrant avec sou-plesse pour laisser le psychotique l’utiliser en creusant quelques uns de ces ravinements. En définitive, il s’agit d’une « pratique de ravinement », après la pluie délirante du signi-fiant dans le cas d’un délire, ou en en saisissant les signes discrets avant la tourmente15.

Traduit de l’espagnol par Anne Goalabré

................................................................................1 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Tout le monde est fou » (2007-2008), enseignement prononcé

dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 19 mars 2008.2 Miller J.-A., Introducción a la Clínica Lacaniana, Espagne, RBA, p. 424.3 Guéguen P.-G., « Decadencia y renacimiento de la interpretación », Cuadernos de psicoanálisis nº 30,

p. 21.4 Ibid., p. 26.5 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil,

1966, p. 577. 6 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose », op. cit., p. 546. 7 Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne nº 32, février 1996, p. 12.8 Laurent É., « L’interprétation ordinaire », Quarto nº 94-95, janvier 2009, p. 147.9 Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, op. cit., p. 228 & 231.10 Laurent É., « L’interprétation ordinaire », op. cit., p. 147.11 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon. Cas rares : les inclassables de la clinique, Paris, Agalma, 1997, p. 156.12 Miller J.-A, « Effets retour sur la psychose ordinaire », Quarto nº 94/95, 2009, p. 49.13 Miller J.-A., « La psicosis ordinaria », Revista freudiana nº 76, 2009, p. 147.14 Laurent É., « L’interprétation ordinaire », Quarto nº 94-95, janvier 2009, p. 148.15 Miller J.-A., « La psicosis ordinaria », op. cit., p. 296.

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BricolésRicardo D. Seldes – eol

En 1966, Lacan fait l’éloge de Freud pour avoir introduit la dimension subjective dans le texte de Schreber : « ce qui veut dire  ne pas jauger le fou en termes de déficit et de disso-ciation des fonctions1 ». Faire crédit au psychotique et à l’inconscient ne va pas très loin, et il ajoute : « enfoncer une porte ouverte, n’est absolument pas savoir sur quel espace elle ouvre2 ».

La question des psychoses ordinaires parcourt cette logique du mystère des portes ouvertes.

Lacan fait un pas de plus en posant la polarité du sujet de la jouissance et de la chaîne signifiante avec sa suite d’effets de signifiés. L’articulation précise de ces deux dimen-sions permet de saisir, en séance, la manifestation souvent soudaine de phénomènes corporels qui sont cause d’une grande souffrance. Le « cas » Schreber présente l’intérêt de nous indiquer très précisément comment le moment de l’irruption pulsionnelle est situable dans le processus symbolique. Contraint de penser sans cesse, c’est quand cette action s’arrête que se produit l’irruption du phénomène de jouissance, le hurlement catastrophique, que, par la suite, le délire comme élaboration de savoir viendra signifier comme miraculeux.

J.-A. Miller nous a apporté une indication clinique fondamentale pour saisir ce qui se produit dans l’expérience des psychoses : « essayer de restituer ce à quoi nous avons accès de la phase d’aliénation, pour donner leur juste place aux phénomènes relevant de la séparation3 ». C’est là une façon de référer l’expérience à l’inassimilable, au réel. On essaye ainsi de désactiver non pas le noyau de réel, mais l’enveloppe symbolique du délire pour le limiter et en amoindrir les effets afin que celui-ci protège le sujet de la force du noyau de réel, sans toutefois toucher à ce noyau lui-même.4

Dans l’éditorial de ce Papers, José Fernando Velásquez indique qu’« il y a des bouts de jouissance qui sont propres à chaque parlêtre, qui ne relèvent pas de l’universel ». La vraie question est de savoir comment chacun (psychotique ou pas) va s’arranger de ses propres bouts de jouissance, appelons-les pièces détachées. Il est clair que se confronter au défaut du Il n’y a pas (de rapport sexuel), est bien distinct de la rencontre avec le trou qui aspire dans la psychose. En même temps, nous soutenons qu’Il y a des types de symptômes, il y a des types cliniques nous permettant d’anticiper un pronostic, au-delà du fait que l’ex-périence doit continuer même avec la suspension (temporaire) d’un diagnostic certain.

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Il y a des types de symptômes ainsi que des inventions symptomatiques qui sont excep-tionnelles.

De la Conversation d’Arcachon, nous retenons la conclusion de Jacques-Alain Miller à partir du commentaire d'Alain Merlet : « nous sommes tous des bricolés5 ». « Qui n'a pas fait un petit phénomène psychosomatique ? Qui n'a pas été perplexe, à un moment donné de son existence ? Qui n'a pas ébauché un petit délire, ne serait-ce qu'à partir de ses théories sexuelles infantiles ?6 » L'expression « tous délirants » doit être élucidée dans chaque cas. L'analyste vise cette distinction dès lors qu'il accepte de se placer comme destinataire de la demande de celui qui souffre. Dans la pratique des urgences, au-delà des actings ou passages à l'acte qui y sont fréquents, on constate couramment que le fait de se placer comme destinataire constitue le premier pas de l'installation du transfert, ce qui, outre l'obtention d'un soulagement thérapeutique, nous livre des données essentielles sur le symptôme et la défense, des données basiques, comme ce que chacun se raconte pour se débrouiller de ses exigences pulsionnelles.

S’agissant de la clinique continuiste, il n’est pas excessif de nous poser la question suivante : est-ce que la psychanalyse apporte différents bricolages pour les sujets bricolés ?

Il s'agit de se focaliser non sur la dite normalité (celle qui correspond dans la plupart des cas à une normativité, spécialité des cognitivistes comportementalistes), mais, au con-traire, sur cet élément étrange, la pièce détachée. C'est la pièce détachée de l'ensemble, qui peut faire aussi pièce de rechange, comme celle qui, séparée de son emploi naturel, sert à quelque chose de mieux, appelons-les solutions, inventions ou trouvailles contin-gentes d'« un élément qui a des déterminations bien précises mais dont l'emploi reste à trouver7 ». Il est essentiel de saisir en quoi le corps des êtres parlants, au-delà de sa bonne forme, est comparable à un tas de pièces détachées, et donc exposé à se séparer de ses organes. Tout comme les organes sont des pièces détachées, et, dans la schizophrénie, le sujet doit leur trouver une fonction, de la même façon les orifices corporels (y compris même la peau) peuvent cesser d'être le bord logeant les objets a, pour ouvrir sur un infini qui absorbe totalement le sujet, ou, sans aller aussi loin, le laisse prisonnier d'une angoisse illimitée non dialectisable.

Dans la même veine, la significantisation du phallus, et par voie de conséquence de toute opération de significantisation, dépend de la logique du bricolage. Ce qui nous permettra de formuler l'hypothèse que le sinthome est une pièce détachée pour dysfonctionner, une pièce sans fonction qui organise les fonctions de l'individu. Le bricolage que propose la psychanalyse est celui de lui trouver une fonction. L'exemple de Joyce est incontournable, celui d'un sujet touché par un symptôme qui n'est pas un automatisme mental, mais qui dépend des échos dans le langage, comme dit Jacques-Alain Miller dans Pièces détachées. Loin d'en être accablé et de s'en faire l'esclave, il a une marge de manœuvre pour, avec ce symptôme, construire un escabeau, un piédestal sur lequel mettre du beau.

Bricoler, c’est explorer la psychanalyse comme impossible. C’est trouver une fonction qui puisse s’appliquer au sinthome non comme formation curable de l'inconscient, mais

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comme la pratique d'un usage logique pour atteindre son réel, le Il n’y a pas dont chacun souffre, soit concernant le rapport sexuel, soit concernant le Nom-du-Père.

Les psychoses, ordinaires ou autres, nous révèlent et nous enseignent la voie extrême du sens, soit par son excès, soit par son absence totale. Lorsque Lacan donne primauté au réel sur le semblant (S-I), il sépare le savoir du réel et définit ce dernier d'être sans loi. Nous devons accepter d'être dupes dans le traitement des psychoses et de nous laisser porter par ses modalités d'arrangements quand le point d'arrêt n'existe pas. C’est un ensei-gnement essentiel au traitement des névroses, là où le sens mène à la débilité mentale. Mais c'est aussi une ouverture pour saisir le mode selon lequel chaque sujet doit travailler avec son inconscient pour savoir y faire avec le plus singulier de lalangue et parvenir ainsi à s'y conformer.

L'instrument du transfert est essentiel à la fabrication du bricolage, étant donné que l'an-alyste, destinataire de la souffrance de celui qui se fait objet de la jouissance de l'Autre, se doit d'être averti des détours du sens comme défense face à chaque réel sans loi. Subtilités de l’acte de l'analyste pour savoir quand laisser parler et quand faire silence, détourner un thème, quelques paroles, pour que le sujet invente ses garde-fous.

Le discours analytique, tel que Lacan le formalise dans le Séminaire XVII, nous montre la direction qui amène l'analysant à produire, dans l'expérience, les S1 séparés du savoir et de la chaîne signifiante. Ces moments lumineux dans toute analyse, là où il n'y a pas de sens possible mais glissement d'un mot à un autre, sont finalement ce que nous désignons comme inconscient réel. Et cela nous apprend aussi que, dans les psychoses, il est suffisant d'atteindre un point susceptible d'arrêter la folie métonymique, l'angoisse sans mesure, l'invasion de l'Autre déchaîné, et cela permet d'accomplir le devoir lacanien d’offrir ce discours pour une vie meilleure.

Éclats fugaces d'un effort de poésie pour la satisfaction de chacun et, pourquoi pas, pour celle d'une communauté orientée qui contrôle et qui discute ses cas, les échecs, les découvertes. Ce n’est pas trop demander.

Traduit de l’espagnol par Geneviève Cloutour-Monribot et Joan Busquets

................................................................................1 Lacan J.,  « Présentation des Mémoires d’un névropathe », Autres écrits, Seuil, 2001, p. 214. 2 Ibid., p. 2143 Miller J.-A., « Les inclassables de la clinique », La Conversation d’Arcachon, Paris, Agalma, 1997, p. 250.4 Miller J.-A., “Nuevas inquisiciones clínicas (1998), en Seminarios en Caracas y Bogotá. Paidós, Bs. As. 2015,

p. 477.5 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon, op. cit., p. 275.6 Merlet A., Ibid., p. 275. 7 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Pièces détachées » (2004-2005), enseignement prononcé dans le

cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 17 novembre 2004, inédit.

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REMERCIEMENTS

Ces PAPERS 7.7.7. ont été une aventure multiple et collective. Nous avons fait 7 numéros, chacun donnant lieu à six publications : une multilingue et cinq traduites en espagnol, français, portugais, italien et anglais. C’est-à-dire, 42 numéros en tout. Pour chaque numéro, 7 collègues, chacun issu de l’une des 7 Écoles de l’AMP, y ont écrit. Les PAPERS  7.7.7. comportent donc 49 textes originaux de 49 collègues de l’AMP. Dans chaque École, des équipes de traducteurs et correcteurs ont rendu possible la lecture dans les différentes langues.

Nous voudrions remercier ici tous ceux qui ont pensé, participé et collaboré avec nous pour que ces PAPERS 7.7.7. soient possibles. Auteurs, traducteurs, correcteurs, éditeurs et collègues avec qui nous avons travaillé, en cartel ou pas, afin de produire ce travail.

Nous voulons également remercier tout spécialement l’équipe qui a conçu, réalisé et édité les PAPERS 7.7.7., qui, pendant ces presque deux ans, a travaillé sans relâche. Hélène Skawinski a crée le design original des PAPERS 7.7.7. et a réalisé la mise en maquette de chaque numéro avec l’aide inestimable d’Emma Chaminand Edelstein, qui a été une pièce fondamentale dans l’organisation du travail, supervisant chaque étape et faisant le lien avec le CAEU. Chantal Bonneau a supervisé l’édition avec un soin particulier.

Nous voulons aussi mentionner Claudia González qui, toujours enthousiaste et rapide, a mis les PAPERS dans le site du Congrès et fait les DEDALUS.

Finalement, nous remercions Anna Aromi, Xavier Esqué, Miquel Bassols, Guy Briole et Anne Ganivet, pour nous avoir confié cette tache avec appui et confiance.

Comité d’Action de l’École Une

Paloma Blanco - Florencia Fernandez Coria Shanahan - Victoria Horne Reinoso (coor-dinatrice) - Ana Lucia Lutterbach Holck - Débora Rabinovich - Massimo Termini - José Fernando Velásquez

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Vicente Palomera, Santiago Castellanos, Estela Paskvan, Mercedes de Francisco, Manuel Montalbán, Gustavo Dessal, Patricia Tassara, Fernanda Casagrande, Constanza Meyer, Miriam Chorne, Fe Lacruz, Ana Rosón, Blanca Fernández, Gabriela Medín, François Ansermet, Claudia Iddan, Epaminondas Theodoridis, Anne Béraud, Roger Litten, Bilyana Mechkunova, Yves Vanderveken, Alejandro Betancur Vélez, Felipe Bier Nogueira, Beatriz Caldas, Sabrina Di Cioccio, Thomas Harding, Despina Andropoulou, Jessica Leigh, Gary Marshall, Raphael Montague, Berenice Paulino, Amalia Rodríguez Monroy, Howard Rouse, Samya Seth, Juliana Vieira do Carmo, Natalie Wülfing, Carlo Zuccarini, Gabriel Racki, Gerardo Arenas, Eugenia Molina, Mónica Wons Leonardo Gorostiza, Maria Eugenia Cora, Ricardo Seldes, Dolores Amden, Lore Buchner, Gaby Camaly, Ennia Favret, Ana Cecilia González, Paula Kalfus, Victoria Martin, Silvina Molina, Betty Nagorny, Natalia Paladino, Mariela Praderío, Marina Recalde, Floreana Riccombeni, Paula Vallejo, Sergio Zabalza, Sophie Gayard, Dominique Laurent, Jean-Claude Maleval, Augustin Menard, Anaëlle Lebovits-Quenehen, Guy Briole, Esthela Solano-Suarez, Chantal Bonneau, Adela Bande-Alcantud, Joan Busquets, Geneviève Cloutour-Monribot, Marcelo Denis, Anne Goalabré, Anne-Marie Lemercier, Jean-François Lebrun, Rosana Montani-Sedoud, Anna Cominetti, Brigitte Laffay, Rachele Giuntoli, Pedro Pereira, Luciana Zeraib, Catherine Massol, Nathalie Jaudel, Marina Lusa, Hélène Bonnaud, Hélène Gilbaut, Raffaele Calabria, Giuliana Capannelli, Domenico Cosenza, M. Antonella Del Monaco, Luisella Mambrini, Nicola Purgato, Fulvio Sorge, Stefano Avedano, Maria Bolgiani, Emilio Bolzani, Isabel Capelli, Francesca Carmignani, Silvia Cimarelli, Maurizio Di Pasquale, Bianca Maria Lenzi, Susana Liberatore, Roberta Margiaria, Florencia Medici, Celine Menghi, Mary Nicotra, Laura Pacati, Ilaria Papandrea, Pierangela Pari, Elda Perelli, Maria Laura Tkach, Rosanna Tremante, Monica Vacca, Giuliana Zani, Alba Alfaro, Clara María Holguín, Ana Viganó, Marita Hamann, Raquel Cors Ulloa, Alejandro Reinoso, Juan Luis Delmont, Noemí Cinader, María Victoria Clavijo, Ishtar Rincón, Thamer Prieto, María Cristina Giraldo, Marcela Almanza, Claudia Velásquez, Gabriela Urriolagoitia, Carlos Márquez, Fernanda Otoni-Brisset, Rômulo Ferreira da Silva, Simone Souto, Maria do Rosário Collier do Rêgo Barros, Marcus André Vieira, Marcelo Veras, Sérgio de Castro, Vera Avellar Ribeiro, Andréa Reis Dos Santos, Anna Luiza De A. E Silva, Bartyra Ribeiro De Castro, Beatriz Caldas, Carmen Silvia Cervelatti, Cássia M. R. Guardado, Cristina Duba, Elza Marques Lisboa De Freitas, Heloisa Caldas, Ondina Machado, Maria Do Carmo Dias Batista, Maria Silvia G. F. Hanna, Nohemí Brown, Rachel Amin