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Musique & Mémoire
Œuvre pour récitant, chœur d’hommes et orchestre symphonique.
Qui était Schoenberg ? Arnold Schoenberg est né à Vienne (Autriche) en 1874 et mort à Los Angeles en 1951. Schoenberg était professeur à l'Académie de Berlin lorsque les lois antisémites passèrent en 1933. Il émigra alors aux États-Unis où il prit la nationalité américaine. Schoenberg vécu son exil comme une trahison envers son peuple, et ressentit un devoir absolu de mémoire envers toutes les victimes juives du 3ème Reich allemand.
L’œuvre : Schoenberg l’écrivit presque d’un seul jet en moins de dix jours en août 1947, bouleversé par le récit d’un rescapé de la Shoah. Cette œuvre raconte l’histoire d’un survivant du ghetto de Varsovie pendant la 2de Guerre Mondiale.
1 – Caractéristiques générales de l’œuvre : Cette pièce d’un seul tenant (sans structure classique) joue sur le côté émotionnel de l’interprétation avec l’emploi d’un récitant. Pour évoquer, faire ressentir l’horreur de la situation vécue par le rescapé, Schoenberg utilise différents moyens : ● Un récit proche de la réalité et parlé avec conviction : technique du Sprechgesang (mélange parlé/chanté). ● Choix de mêler 3 langues dans le but de mettre en valeur, de donner plus d’intensité à chacun des personnages, auxquels il a aussi associé une idée musicale :
Langues Personnages Idées musicales, caractéristiques
anglais
Le récitant / le narrateur Parlé /chanté instable et arythmique SPRECHGESANG
allemand
Le sergent nazi Sons très forts, stridents, dissonances Accélérations et changements brutaux Fanfare de cuivres (évocation musique militaire)
hébreu
Le peuple juif du ghetto Chœur d’hommes à l’unisson = voix unie d’un peuple
Un Survivant de Varsovie d’Arnold Schoenberg (1874 - 1951)
● Utilisation maximum des paramètres du son afin de renforcer le caractère violent et sombre :
- un tempo qui se fait en fonction du texte - des nuances extrêmes allant du piano au forte toujours en fonction du texte - l’emploi d’un large ambitus : aigu/grave
● Le rôle de l’orchestre :
- donner, installer le caractère, l’ambiance sonore - illustrer, ponctuer, accentuer le discours…
● La prière finale : « Shema Israël » (Ecoute Israël)
C’est la prière par excellence de la religion juive. Elle doit être récitée chaque matin, chaque soir et une troisième fois avant de se coucher. Le Shema proclame avec force que le Dieu d’Israël est Un et qu’il n’y en a pas d’autre. L’importance de cette prescription est telle, qu'il vaut mieux mourir que la transgresser.
2 – Caractéristiques des numéros d’analyse : 1. Voix du récitant dans le grave (= figuralisme de la mort)
2. Rythme très lent et voix monocorde La musique
3. Orchestre dans l’aigu. Strident et dissonant. Sforzando (= plus fort brutalement) renforce le
4. Rythme irrégulier. L’orchestre « compte » aussi (notes en pizzicato) poids du texte.
5. Crescendo et accélération. Rythme saccadé (= évocation d’un galop)
6. Chœur à l’unisson et dodécaphonisme
Cette œuvre de la période contemporaine s’inscrit dans le courant de la musique dodécaphonique : technique de composition qui donne une importance égale aux 12 notes de la gamme, et évite ainsi toute tonalité, nous sommes donc dans une musique atonale.
Dès les 1ères notes de la pièce, Schoenberg emploi les 12 notes sous forme d’une série.
Repère historique :
1
2
3
4
5
6
Un survivant de Varsovie
d’Arnold Schoenberg
I cannot remember everything. I must have been
unconscious most of the time. I remember only the
grandiose moment when they all started to sing, as if
prearranged, the old prayer they had neglected for so many
years – the forgotten creed! But I have no recollection how
I got underground to live in the sewers of Warsaw for so
long a time.
The day began as usual. Reveille when it still was dark.
Get out ! Whether you slept or whether worries kept you
awake the whole night. You had been separated from your
children, from your wife, from your parents ; you don’t
know what happened to them. How could you sleep ?
The trumpets again. Get out! The sergeant will be furious !
They came out ; some very slowly : the old ones, the sick
ones ; some with nervous agility. They fear the sergeant.
They hurry as much as they can. In vain ! Much too much
noise, much too much commotion – and not fast enough !
The Feldwebel shouts : “Achtung! Stillgestanden! Na
wirds mal ? Oder soll ich mit dem Jewerkolben
nachhelfen? Na jut ; wenn ihr‟s durchaus haben wollt“.
The sergeant and his subordinates hit everyone : young or
old, strong or sick, guilty or innocent. It was paintful to
hear them groaning and moaning. I heard it though I had
been hit very hard, so hard that I could not help falling
down. We all on the ground who could not stand up were
then beaten over the head.
I must have been unconscious. The next thing I heard was
a soldier saying : “They are all dead”, whereupon the
sergeant ordered to do away with us. There I lay aside,
half-conscious. It had becomevery still – fear and pain.
Then I heard the sergeant shouting: “Abzählen !” They
started slowly and irregularly: one, two, three, four –
“Achtung !” the sergeant shouted again, “Rascher !
Nochmal von vorn anfangen ! In einer Minute will ich
wissen, wieviele ich zur Gaskammer abliefere! Abzählen !”
They began again, first slowly : one, two, three, four,
became faster and faster, so fast that it finally sounded
like a stampede of wild horses, and all of a sudden, in the
middle of it, they began singing the Shema Yisroel :
Shem‟a Yisroel Adonoy eloheynu Adonoy ehod
Veohavto et Adonoy eloheycho bechol levovcho uvchol
nafshecho uvechol me‟odecho
Vehoyu hadevorim hoele asher onochi metsavecho hayom
„al levovecho
Veshinontom levoneycho vedibarto bom beshivtecho
beveytecho uvelechtecho baderech uvshochbecho
uvekumecho.
Récitant
Je ne peux pas me rappeler de tout. J’ai dû perdre
conscience presque tout le temps. Je ne me souviens que du
grandiose instant où, comme un fait exprès, tous se mirent à
chanter la vieille prière, négligée depuis tant d’années ; la
foi oubliée ! Mais j’ignore comment j’ai pu me retrouver
sous terre, à vivre dans les égouts de Varsovie pendant si
longtemps.
Journée habituelle. Réveil bien avant le jour.
Sortez ! Que le sommeil ou les soucis aient habité toute
votre nuit. Vous êtes loin des vôtres, de vos enfants, de votre
femme, de vos parents ; vous ignorez où ils sont. Comment
dormir ?
Les trompettes encore. « Sortez ! Le sergent sera furieux ! »
Ils sortaient, les uns au pas, les vieillards, les malades ;
d’autres, nerveux se bousculant. Ils craignent le sergent.
Ils se dépêchèrent comme ils peuvent. En vain ! Beaucoup
trop de bruit, trop d’agitation, et pas assez vite ! Le
Feldwebel crie : « Silence ! Gare à vous ! Alors, vous
obéissez, ou faut-il que je vous aide avec la crosse de mon
fusil ? Eh bien, si vous y tenez absolument ! » Le sergent et
ses subordonnés frappèrent tout le monde : jeune ou vieux,
fort ou faible, responsable ou innocent. Quelle peine de les
entendre geindre et se plaindre. J’ai entendu, bien qu’on
m’ait frappé bien fort ; si fort que je suis tombé malgré moi.
On frappa ensuite sur la tête tous ceux d’entre nous qui ne
pouvaient se relever.
J’ai dû perdre conscience. Je me souviens ensuite d’un
soldat disant : « Ils sont tous mort. » Et puis, le sergent
ordonna qu’on nous enlève de là. Je gisais à l’écart, mi-
conscient. Il y eut un grand calme. Crainte et souffrance.
Puis j’entendis le sergent crier : « Comptez-vous ! » Ils
commencèrent lentement et irrégulièrement : un, deux,
trois, quatre. « Silence ! », cria à nouveau le sergent. « Plus
vite ! Recommencez ! Dans une minute je veux savoir
combien j‟en envoie à la chambre à gaz ! Comptez-vous ! ».
Ils recommencèrent, d’abord lentement : un, deux, trois,
quatre, puis de plus en plus vite, si vite que c’était comme
le bruit d’un galop de chevaux sauvages, et soudain, en
plein milieu, ils commencèrent à chanter le Shema Yisroel :
Ecoute, Israël ! L‟Eternel, notre Dieu, est le seul Eternel.
Tu aimeras l‟Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute
ton âme et de toute ta force.
Et ces commandements que je te donne aujourd‟hui seront
dans ton cœur.
Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu
seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te
coucheras et quand tu te lèveras.
Deutéronome 6, 4-7
Musique & Mémoire Le ghetto de Varsovie Le 1
er septembre 1939, l'armée allemande attaque puis occupe la
Pologne. Varsovie est prise par l'armée allemande dès le début de la
guerre, le 30 septembre 1939.
Dès octobre, les premiers ghettos sont créés un peu partout en
Pologne pour y rassembler les Juifs. Ces ghettos ne seront en fait
que l'antichambre des camps de la mort.
Le ghetto de Varsovie est créé le 12 octobre 1940 au centre de la
ville de Varsovie. Il était entouré d'un mur de 3 mètres de haut et de
fil barbelés, le tout sur 18 kilomètres. Il comptera jusqu'à 380 000
personnes (en 1939, il y avait 1 300 000 habitants à Varsovie, dont
380 000 Juifs).
Les conditions de vie dans ce ghetto sont inhumaines. Il est trop
petit pour accueillir tous les Juifs de Varsovie et des villages
environnants (40% de la population sur 8% de la superficie).
Plusieurs centaines de Tsiganes arrivèrent aussi là.
Beaucoup ont tout perdu (leurs familles et/ou leurs biens) en arrivant dans ce quartier fermé. Et puis, il est mal,
ou presque pas approvisionné en nourriture et combustible. Dès l'hiver 1940-1941, la faim et le froid se font
ressentir. En 1941, plus de 43 000 personnes moururent de faim et de maladie, soit plus de 10 % de la
population de l'ensemble du ghetto.
En été 1942 commence le "repeuplement vers l'est", qui n'est en fait que la déportation vers le camp
d’extermination de Treblinka, situé à quelques 80 kilomètres de Varsovie. La gare de triage de Varsovie
reconvertie en centre de rétention voie s'entasser jusqu'à 8000 personnes en attendant leur déportation.
La première vague de déportations vers les camps de la mort ramène la population du ghetto à 70 000 habitants.
Troupes allemandes amenant des juifs à la déportation (1943). Juifs déportés du ghetto de Varsovie se rendant vers les trains
de marchandise (juillet-septembre 1942).