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Un parcours haptique dans le secteur du Vieux-Port de Québec,
entre qualités spatiales et expériences sensibles.
Essai (projet) soumis en vue de l’obtention du grade de M.Arch.
Justine Thériault-Laliberté
Superviseure :
Myriam Blais ___________________________________
École d’architecture
Université Laval
2013
Hiver 2013
Essai (projet) de fin d’études en architecture Justine Thériault-Laliberté
III
Figure 1. Esquisse générale du projet
Hiver 2013
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V
Résumé de l’essai
Cet essai (projet) s’intéresse à l’architecture sensible comme fondement de la conception architecturale en
s’appuyant sur les théories correspondant à l’expérience haptique pour favoriser l’interaction des usagers
avec leur environnement, c’est-à-dire le toucher, le mouvement et l’orientation dans l’espace. Pour
reprendre les termes de l’architecte Nicolas Gilsoul (2009), il s’agit de concevoir un projet dans lequel le
sujet est immergé et devient acteur, en plus d’être spectateur. Ainsi, le projet représente un parcours
haptique dans le secteur du Vieux-Port de Québec, en continuité avec celui de la rivière Saint-Charles. Le
tout est ponctué de bâtiments propices à la détente et au divertissement, permettant aux usagers d’interagir
avec leur environnement et de redécouvrir les lieux.
La mission de cet essai (projet) consiste à proposer des expériences haptiques qui encouragent des
interactions riches entre les usagers et leur environnement, et ce, par la conception d’un parcours récréatif.
La question de recherche est donc la suivante : comment l’architecture sensible, basée sur l’expérience
haptique, peut-elle favoriser l’interaction des usagers avec leur environnement?
Traiter de l’architecture sensible pose nécessairement un défi en termes d’analyse, de conception, de
représentation et de validation de l’expérience sensible. Conséquemment, une méthode d’approche
particulière a été explorée et sera exposée : celle du dessin à main levée.
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Équipe d’encadrement et membres du jury
Myr iam Bla is (superv iseure)
Directr ice et professeur , École d ’arch itecture de l ’Univers i té Lava l
Rémi Morency
Architecte associé et urbaniste, Groupe A/Annexe U
Simon Brochu
Architecte, GLCRM architectes
Odile Roy
Architecte, Ville de Québec
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Avant-propos
En plus d’avoir eu l’opportunité de concevoir un projet d’architecture m’étant propre et d’en effectuer une
recherche exhaustive, cette session a représenté pour moi la chance d’explorer pleinement une démarche
particulière : celle du dessin à main levée. Du plus loin que je me souvienne, le dessin a toujours fait partie
de mon univers. Il m’a permis et me permet encore aujourd’hui de mettre en évidence mes pensées, mais
aussi de m’amuser. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à réaliser les nombreuses esquisses qui ont conduit à ce
projet et j’ose espérer que je saurai conserver un tel intérêt tout au long de ma carrière.
J’aimerais d’abord remercier ma famille ainsi que Micaël pour leur soutien constant et leur écoute infinie lors
de ces cinq dernières années d’études. Également, un grand merci à mes collègues, mais tout spécialement à
Jérôme et Audrey avec qui j’ai eu énormément de plaisir, et ce, même dans les moments les plus difficiles.
De plus, merci à Myriam qui m’a appuyée dans cette démarche peu singulière ainsi qu’à tous ceux qui ont
contribué de près ou de loin à la réalisation de ce projet.
Figure 2. Esquisse conceptuelle
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Table des matières
Résumé de l’essai V
Équipe d’encadrement et membres du jury VI
Avant-propos VII
Liste des figures X
Introduction 1
Chapitre 1 : Approche et démarche théor iques : l ’arch itecture sens ib le 3
1.1 La perception : entre raison et émotion 3
1.2 Les ambiances 6
1.3 L’expérience haptique de l’architecture 7
1.3.1 Le toucher 8
1.3.2 Le mouvement et l’orientation dans l’espace 9
Chapitre 2 : Démarche de recherche créat ion 11
2.1 Matérialisation de l’expérience haptique 11
2.1.1 Les éléments de composition 11
2.1.2 La matérialité 13
2.1.3 L’ombre et la lumière 14
2.2 Démarche : le dessin comme outil de conception haptique 15
Chapitre 3 : Le projet , un parcours hapt ique dans le secteur du Vieux-Port de Québec 17
3.1 Objectifs 17
3.2 Le programme 18
3.3 Le site 18
3.3.1 Historique et analyse urbaine 18
3.3.2 Analyse sensible 20
3.4 Le projet 21
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Conclusion 28
Bibliographie 31
Annexes
A. Planches réduites du projet 33
B. Schéma de développement de la théorie 44
C. Analyse urbaine 46
D. Photographies des maquettes 50
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X
Liste des figures
F igure 1 Esquisse générale du projet I
F igure 2 Esquisse conceptuelle 1
F igure 3 My wife and my mother-in-law, United States Library of Congress Prints 1
F igure 4 Centre blanc (jaune, rose et lavande sur Rose) par Rothko, gatsbyonline.com 2
F igure 5 Les trois ensembles de mouvements : monter (descendre), être comprimé
(se déployer) et tourner 3
F igure 6 Images de l’Écurie San Cristobal, par Luis Baragan, Barragan Foundation 6
F igure 7 Esquisse d’analyse : Musical Studies Center 8
F igure 8 Image du Musical Studies Center, dont la matérialité s’adapte parfaitement au site,
subtilitas.tumblr.com 19
F igure 9 Échantillon des différentes ambiances pouvant être créées par le jeu de lumière
et d’ombre, Peter Zumthor 10
F igure 10 Exploration par le dessin à main levée 11
F igure 11 Esquisse conceptuelle : les objectifs 22
F igure 12 Esquisse d’analyse : High Line 18
F igure 13 Image du High Line, partir-a-new-york.com 18
F igure 14 Site choisi pour le parcours, en continuité avec celui de la rivière Saint-Charles 19
F igure 15 Échantillon d’esquisses de l’analyse sensible du site 20
F igure 16 Esquisse générale du projet : les quatre zones principales 21
F igure 17 Esquisse conceptuelle : la progression 22
F igure 18 Esquisse de la Descente, vue à partir de l’eau 22
F igures 19 Point de vue dans la descente 23
F igure 20 Vue vers l’autoroute Dufferin-Montmorency à partir du bâtiment 23
F igure 21 Esquisse de la Passerelle, à son arrivée 23
F igure 22 Arrivée vers la Passerelle 24
F igure 23 Matérialité de la Passerelle 24
F igure 24 Esquisse du jardin dans les rails 24
F igure 25 Esquisse de la Rencontre 25
F igure 26 Enveloppe du bâtiment 25
F igure 27 Entre-deux habitables 25
F igure 28 Esquisse, arrivée à la lancée 26
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XI
F igure 29 La lancée, vue d’en bas 26
F igure 30 La lancée, matérialité 26
F igure 31 Carte illustrée des concepts importants 45
F igure 32 Faits saillants et morphogénèse des quais du bassin Louise 47
F igure 33 Vieux-Port de Québec, les principaux usages 48
F igure 34 Vieux-Port de Québec, analyse des éléments naturels 48
F igure 35 Maquettes d’analyse de site 51
F igure 36 Maquettes de travail : composition formelle, matérialité et jeu d’ombre et lumière 51
F igure 37 Maquette conceptuelle : bâtiments ponctuels 51
F igure 38 Maquette de site, étape finale 52
F igure 39 Maquettes des bâtiments 52
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Un parcours haptique dans le secteur du Vieux-Port de Québec,
entre qualités spatiales et expériences sensibles.
Introduction
La thèse soutenue dans cet essai (projet) s’appuie sur le fait que l’architecture sensible prônant l’expérience
haptique du lieu encourage des interactions riches entre les usagers et leur environnement. Afin de qualifier
la richesse des interactions entre le sujet et son milieu bâti ou naturel, ce texte s’inspire de l’approche
d’immersion de Nicolas Gilsoul (2009), auteur et architecte belge. Gilsoul soutient que pour interagir et
participer pleinement à l’œuvre architecturale, le sujet doit progressivement s’immerger au cœur du projet.
Gilsoul, qui s’est grandement intéressé aux mécanismes scénographiques dans les œuvres de Luis Barragan,
considère que le sujet doit passer d’une attitude spectatoriale à une attitude d’immersion lors de
l’expérience de l’architecture. L’attitude spectatoriale signifie la mise à distance du sujet au niveau physique,
par exemple, en termes de hauteur et de distance linéaire entre celui-ci et l’objet. Toutefois, elle suppose
également une mise à distance sensible de l’implication du visiteur. Elle est alors davantage liée à l’esthétisme
et au concept de décor théâtral qu’au désir de se plonger dans un acte de contemplation et de
recueillement. C’est une architecture qui est observée à distance, uniquement pour le plaisir de l’œil. En ce
qui concerne l’attitude d’immersion, elle propose que le sujet soit immergé dans l’environnement et laisse
libre cours à sa créativité. Synonyme de proximité, cette attitude permet de dévoiler l’ambiance d’un lieu et
est appuyée par la vision, mais aussi par les autres sens (Gilsoul, 2009).
Dans l’interaction entre l’usager et son environnement, ces deux attitudes ne sont pas opposées, mais
complémentaires. En passant de l’attitude spectatoriale vers celle d’immersion, le sujet se laisse envahir par
ses émotions et submerger par ses souvenirs. Ainsi, il s’implique physiquement, mais aussi de manière
sensible dans son milieu. Les œuvres architecturales s’assurent de la pleine participation du sujet dans son
environnement, notamment par la provocation de mouvements spatiaux, par les réminiscences (souvenirs)
et par la stimulation des perceptions.
Selon Gilsoul, une interaction riche suppose donc l’implication maximale de l’usager à son environnement sur
le plan physique, mais aussi sensible.
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Le premier chapitre du présent essai (projet) permet d’établir les prémisses nécessaires à la compréhension
de l’approche théorique de l’architecture sensible. Les principaux concepts sont expliqués afin de mettre en
lumière les limites dans lesquelles va s’effectuer la démonstration de la thèse soutenue. D’abord, certaines
théories de la perception seront exposées de manière à mettre en évidence les mécanismes qui la sous-
tendent et qualifient l’architecture comme étant sensible. Dans cette section, il sera possible de comprendre
comment le lieu est perçu aux moyens d’analyses rationnelles, mais aussi émotionnelles. Il sera également
question de l’application de ces théories dans le domaine architectural : la notion d’ambiance du lieu sera
donc traitée. Ces théories permettent d’aborder l’intérêt de l’interaction physique et de la participation dans
la lecture des phénomènes sensibles des ambiances. Le concept d’architecture haptique sera exposé,
présentant comment le toucher, le mouvement et l’orientation dans l’espace peuvent contribuer à
l’expérience sensible du sujet dans son milieu et donc à sa pleine participation.
Ces réflexions permettront de présenter, dans un deuxième chapitre, la démarche de recherche-création
proposée pour l’élaboration de l’essai (projet). Différents principes permettant la matérialisation de
l’expérience haptique de l’architecture seront énoncés et illustrés par des précédents, en vue d’être
ultérieurement développés dans le projet. C’est le cas de la composition formelle, de la matérialité et de la
lumière, qui constituent des éléments récurrents retrouvés dans les lectures portant sur l’expérience
haptique. Ensuite, l’approche méthodologique particulière ainsi que la justification de son choix sont
présentées, ce qui nous amène à comprendre comment le dessin à main levée peut s’avérer un outil à
privilégier dans le cadre de la conception d’un projet sensible.
Le dernier chapitre prend en compte les connaissances acquises dans la partie théorique de cet essai
(projet) pour exposer les objectifs du projet et les qualités recherchées. Par la suite, la démarche présentée
et les fondements retenus lors du deuxième chapitre seront utilisés afin d’analyser le site d’étude et
proposer le programme du projet. L’analyse se divise en deux volets : l’analyse historique et urbaine du
secteur ainsi que l’analyse sensible. Le projet architectural sera ensuite exposé.
Au final, c’est sur la théorie, sur les principes essentiels et sur l’approche méthodologique particulière que
s’appuie le projet, dans le but de proposer des expériences haptiques encourageant des interactions riches
entre les usagers et leur environnement.
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Chapitre 1 : Approche et démarche théoriques : l’architecture sensible
L’architecture sensible s’intéresse au potentiel émotionnel de l’architecture, c’est pourquoi ce terme est
intimement lié à celui d’architecture émotionnelle. C’est en 1954, au Mexique, qu’apparaît pour la première
fois cette expression, que l’on doit au sculpteur et architecte Mathias Goeritz, dans le Manifeste de
l’Architecture Émotionnelle. En réponse à l’approche fonctionnaliste et rationaliste de l’époque, l’objectif de cet
ouvrage était de replacer l’homme au cœur du processus de conception du projet dans sa dimension
affective, en le considérant comme un participant à part entière. Encore aujourd’hui, cette position vise une
alternative à la déshumanisation de l’architecture. C’est une approche dont l’enjeu et les effets vont travailler
en priorité sur les émotions, c’est-à-dire la sensibilité du sujet (Gilsoul, 2009).
1.1 La perception : entre raison et émotion
De manière à saisir comment l’architecture sensible peut être le fondement de la conception en architecture
et proposer des interactions riches entre l’usager et son environnement, il importe de comprendre quels
sont les mécanismes qui sous-tendent la perception et qualifient l’architecture comme étant sensible. Le tout
permettra d’évaluer de quelle manière le sujet peut basculer d’une attitude de spectateur vers une attitude
d’immersion, plus intime, et ainsi interagir de façon maximale dans son environnement.
La perception est un phénomène inconscient qui relie l’être humain à son environnement au moyen de ses
sens. Son objectif est de donner des informations qui permettent à l’individu d’agir de façon appropriée face
à une situation donnée (Norberg Schulz, 1974). Plus encore que les autres formes d’art, l’architecture
engage l’immédiateté de notre perception sensorielle. Les couleurs, les textures, les matériaux et
l’élaboration des détails sont parmi les nombreux éléments qui forment notre expérience sensorielle
quotidienne (Holl, 2006). De ce fait, c’est grâce à la perception que l’humain interagit avec son
environnement bâti.
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Toutefois, la perception est un acte plus complexe qu’un simple phénomène physiologique. À la fin du 19e
siècle, le philosophe et psychologue allemand Franz Brentano affirme que la perception se divise en fait en
deux types, soit la perception extérieure et celle intérieure. Alors que les phénomènes physiques engagent
notre perception extérieure, les phénomènes mentaux s’adressent à notre perception intérieure (Holl,
2006). Par exemple, un phénomène physique pourrait être un bâtiment qu’on perçoit alors que le
phénomène mental représenterait le sentiment d’exaltation qui lui est associé. Bien que la théorie de
Brentano soit beaucoup plus complexe, elle permet de mettre en évidence l’idée qu’il y aurait un volet
rationnel, mais aussi un volet beaucoup plus personnel à la perception. Cette notion est également reprise
par l’architecte suisse Christian Norberg-Schulz dans Genius Loci : paysage, ambiance, architecture (1997), qui
suggère que notre quotidien est composé de phénomènes concrets, tels que les êtres vivants et le bâti, ainsi
que de phénomènes intangibles, c’est-à-dire les émotions. Le lieu n’est donc pas uniquement perçu au
moyen d’analyses rationnelles.
Plus précisément, l’homme dispose d’un supplément créatif qui lui permet d’éprouver ce qu’il perçoit à partir
de ses sens et d’en être émotionnellement affecté. Alors que la sensorialité est la sensation physiologique
qu’on obtient à partir des sens, la sensibilité suppose d’en être affecté émotionnellement (Gilsoul, 2009).
L’image « My wife and my mother-in-law » (figure 3), dessinée en 1915 par un illustrateur anglais du nom
de Hill, constitue un excellent exemple qui permet de comprendre le concept selon lequel la perception se
divise en un volet rationnel, mais aussi émotionnel. Au premier coup
d’œil, plusieurs aperçoivent le visage d’une séduisante jeune femme,
mais rapidement cette image est substituée par celle de la vieille
dame. À ce moment, il est possible de sentir comment nos
émotions changent en fonction du sens que l’on donne à
l’illustration : nous réagissons émotionnellement (Hesselgren, 1975).
« Described in other words: black colour on white papers creates a
form; this form has one meaning or another; each meaning has an
emotional loading of its own; we react » (Hesselgren 1975, 7).
Alors que certains observateurs auraient apprécié l’ambiguïté de cet
exercise, d’autres pourraient éprouver de la frustration de ne pas
avoir remarqué la vieille dame dès le premier coup d’œil.
Figure 3. My wife and my mother-in-law
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Les émotions peuvent ainsi osciller entre deux contraires, soit les sentiments de plaisir et les sentiments de
déplaisir. Ils représentent des états opposés qui passent de l’un vers l’autre en traversant un point
d’indifférence (Dumaurier, 1992). Selon plusieurs auteurs, c’est grâce à cette capacité d’éprouver
sensiblement les choses, positivement ou négativement,
qu’on peut juger de la beauté d’un objet. Par exemple,
dans le domaine de l’art, une toile de l’artiste américain
Mark Rothko (figure 4) peut représenter pour plusieurs la
beauté, mais ce n’est ni la forme ni les couleurs qui
permettent de la qualifier ainsi. C’est plutôt par la
sensation de plaisir qui lui est associée qu’on se prononce
sur la beauté de l’oeuvre. « The depth of feeling that
belongs to the sensation of beauty is not ignited by the
form as such but rather by the spark that jumps from it to
me » (Zumthor 2006, 77). L’appréciation de la beauté est
donc le résultat d’une émotion équivalente à la joie, qui
peut être révélée par la perception. « […] beauty is an
evaluation judgment which can be given to a row of
psychic entities, including feelings and emotions which can
be aroused by a perception » (Hesselgren 1975, 113). En
bref, la sensation provient uniquement de notre
perception et le plaisir qu’on éprouve est viscéral.
Il est à noter que la perception étant en partie intrinsèque, elle peut être influencée par ce que la culture a
produit et par ce qui correspond à notre éducation (Malnar et Vodvarka, 1992). « Lors d’une visite du
château de Kronberg au Danemark, Bohr dit à Heisenberg : « N’est-ce pas étrange la façon dont ce château
change dès que l’on imagine qu’Hamlet vivait ici? […] Brusquement, les murs et les remparts parlent un
langage tout à fait différent » » (Tuan 2006, 8). Cet extrait démontre bien comment les connaissances du
sujet influencent alors la perception qu’il a du bâtiment. Notre conditionnement socioculturel, notre vécu et
notre personnalité sont donc parmi les éléments qui peuvent influer sur notre perception sensible. D’où
l’intérêt des notions de surprise et d’ambiguïté en architecture, qui par l’absence de tout référent
socioculturel, oblige la participation active du sujet afin de comprendre son environnement bâti.
En conclusion, l’expérience, qui désigne les différentes façons par lesquelles une personne conçoit et bâtit sa
réalité, se décline en un volet rationnel et émotionnel. L’émotion affecte l’expérience humaine et toute
sensation, allant du plaisir au déplaisir, est rapidement identifiée par la pensée qui la classe dans une catégorie
Figure 4. Centre blanc (jaune, rose et lavande sur Rose) par Rothko
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(Tuan, 2006). L’expérience sensible peut être influencée par différents facteurs, la perception étant en partie
intrinsèque. Il importe désormais de comprendre quel apport ces théories ont dans le domaine de
l’architecture.
1.2 Les ambiances
En architecture, l’expérience sensible renvoie automatiquement au concept d’ambiance. Par définition,
l’ambiance est la « notion transversale et interdisciplinaire désignant une situation d’interaction sensible
(sensorielle et signifiante) entre le réel (architectural ou urbain) et sa représentation (technique, sociale ou
esthétique) » (Amphoux 2003, 3). En quelque sorte, c’est l’amalgame des phénomènes sensibles perçus
dans un espace.
Le bâtiment (ou l’installation) devient alors un milieu qui influence le sujet, car l’espace architecturale affine le
sentiment et la perception de l’humain. En effet, bien que les individus soient capables de ressentir différents
éléments dans un environnement non construit, le milieu bâti peut réussir à mettre en jeu des sensations
beaucoup plus diversifiées (Tuan, 2006). Selon Rachel Thomas (2008), chercheure française dans le domaine
des ambiances, celles-ci sont influencées par trois catégories d’éléments : la forme et l’échelle spatiale
(matérialité et composition formelle), la forme sensible et sociale (en d’autres mots, la fonction du lieu) ainsi
que la dynamique temporelle et culturelle. L’ambiance se définit en fonction de ces différents éléments et
affectera le sujet, provoquant certaines émotions chez celui-ci. L’architecture agit alors comme une sorte
d’enveloppe sensitive, un réceptacle pour les sentiments du visiteur.
« L’architecture existe dans un domaine qui lui est propre. (…) elle n’est en premier lieu ni un
message, ni un signe, mais une enveloppe, un arrière-plan pour la vie qui passe, un subtil
réceptacle pour le rythme des pas sur le sol, pour la concentration au travail, pour la tranquillité
du sommeil » (Peter Zumthor dans Gilsoul 2009, 529).
Les textes consultés à ce sujet permettent d’établir les grandes lignes de la notion d’ambiance, notamment
en ce qui concerne l’importance de l’action dans la perception sensible de ses phénomènes. « Les propriétés
les plus raffinées de la pensée et de la sensibilité humaines sont des processus dynamiques, des relations sans
cesse changeantes et adaptatives entre le cerveau, le corps et son environnement » (Berthoz 1997, 9). Le
mouvement du corps dans son environnement contribue donc à la perception sensible de l’espace. Suivant
cette logique, Nicolas Gilsoul (2009) soutient que l’ambiance est en fait un territoire qui doit être
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physiquement parcouru afin de permettre la cohésion entre les éléments matériels, les phénomènes et les
intentions perceptives. Il souligne que les relations sensibles entre objet et sujet ont inspiré de nombreuses
études dans différents domaines, dont ceux de l’architecture, de l’urbanisme et plus récemment du paysage.
Plusieurs travaux phénoménologiques démontrent effectivement que les espaces provoquent chez l’humain
des émotions, en particulier lorsqu’ils sont parcourus. Maurice Merleau-Ponty, dans son ouvrage
Phénoménologie de la perception (1945), explique que « toute conscience est conscience perceptive » et que
la perception implique la dimension active du corps (O’Reagan, 2009).
Inévitablement, ces constatations nous amènent au concept d’expérience haptique de l’architecture, c’est-à-
dire à l’importance du mouvement, du toucher et de l’orientation dans l’espace.
1.3 L’expérience haptique de l’architecture
Dans les sous-chapitres précédents, il a été possible de comprendre que l’émotion est intimement liée à
l’expérience sensible de quelque chose et qu’une sensation plaisante représente le concept de beauté. Puis,
tel que mentionné, l’amalgame des phénomènes sensibles (ambiance) prend son sens dans la participation et
dans l’interaction physique.
Le terme « haptique », qui découle d’un mot grec signifiant « être capable de saisir », fait référence à
plusieurs aspects sensibles du corps, à partir de sa position physique dans l’environnement. L’expérience
haptique est malheureusement sous-évaluée et parfois même oubliée, parce que ces capteurs sensoriels ne
sont pas localisés à un endroit précis sur le corps humain et que la vision tend à primer dans l’importance
que l’on donne à nos sens (Gibson, 1966). Tel que présenté par Juhani Pallasmaa dans son ouvrage
Hapticity and Time : notes on fragile architecture (2000), l’architecture est donc généralement comprise
comme une syntaxe visuelle, alors que les expériences architecturales les plus authentiques proviennent de
confrontations physiques au lieu d’entités observées.
En effet, l’expérience en architecture est synonyme d’action et s’apparente à un verbe plutôt qu’à un nom. À
titre d’exemple, une porte n’est pas simplement une unité architecturale mesurable, c’est un élément par
lequel on entre et on sort, au même titre qu’une fenêtre n’est pas qu’une percée dans l’enveloppe du
bâtiment, c’est aussi une façon de permettre à la lumière de pénétrer et à l’occupant de contempler le
paysage (Pallasmaa, 2000). Il est donc indispensable de comprendre quels éléments permettent l’expérience
haptique de l’architecture et la participation complète du sujet au projet architectural.
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1.3.1 Le toucher
Le premier élément à considérer dans l’expérience haptique de l’espace est le sens du toucher. Grâce à
celui-ci, on détermine entre autres la texture, le poids, l’intensité et la température des matériaux. La peau
transmet un sens de volume et de masse, ce qui permet de juger approximativement de la forme et de la
taille des objets (Tuan, 2006). Mais encore, Pallasmaa (2000) soutient que le toucher représente davantage
et qu’il constitue le plus sensitif de tous nos organes, étant à la base de tous les autres sens. « The senses are
specializations of the skin, and all sensory experiences are related to tactility » (Pallasmaa 2000, 78). Ainsi,
même le sens de la vision est l’extension du toucher, par l’existence subtile de la cornée, mince couche de
peau recouvrant l’oeil. De plus, la sensation de notre corps dans l’espace est extrêmement riche en
expérience et permet de nous situer physiquement dans un environnement.
« Touch is the sensory mode which integrates our experience of the world and of
ourselves. Even visual perceptions are united and integrated into the haptic continuity
of the self; my body remembers who I am and where I am placed in the world. In the
opening chapter of Combray, Marcel Proust describes how the protagonist wakes up
in his bed and gradually reconstructs his world on the basis of the memory of the
sides, knees and shoulders » (Montagu dans Pallasmaa 2005, 79).
Également, alors que le sens de la vision est celui de la séparation et de la distance, le toucher est synonyme
d’intimité et facilite l’attitude d’immersion du sujet. À titre d’exemple, lors de situations émotionnellement
importantes telles que la caresse d’un être cher, l’homme va fermer ses yeux. « Deep shadows and darkness
are essential, because they dim the sharpness of vision and invite unconscious peripheral vision and tactile
fantasy » (Pallasmaa 2006, 33). Dans le cadre de la conception du projet, il est pertinent de mettre en
évidence certains principes permettant d’exploiter le sens du toucher au maximum, de manière à faire vivre
une expérience immersive de l’architecture à l’usager.
1.3.2 Le mouvement et l’orientation dans l’espace
Les deux autres éléments indispensables à l’expérience haptique de l’architecture sont le mouvement et
l’orientation du corps dans l’espace, qui sont extrêmement liés l’un à l’autre. L’orientation dans l’espace sera
ici traitée sous le thème du mouvement.
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Comme il a été possible de le rappeler, l’expérience de l’architecture ne doit pas se vivre que visuellement,
elle doit avant tout se vivre de manière active. « A real architectural experience is not simply a series of
retinal images; a building is encountered – it is approached, confronted, encountered, related to one’s body,
moved about, utilized as a condition for other things, etc » (Pallasmaa 2006, 35) Le mouvement et
l’orientation dans l’espace sont donc essentiels. Alain Berthoz, dans Le sens du mouvement (1997), fait lui
aussi l’éloge du corps sensible en soutenant qu’il importe d’éliminer la dissociation entre la perception
sensible et l’action.
« Et pourtant, il n’est pas de perception de l’espace, du mouvement, il n’est pas de
vertige ou de perte d’équilibre, il n’est pas de caresse donnée ou reçue, de son
entendu ou émis, de geste de capture ou préhension, qui ne s’accompagne pas
d’émotion ou qui n’en induise » (Berthoz 1997, 13).
Gilsoul (2009) reprend également cette idée lorsqu’il traite de l’importance de la kinesthésie dans
l’expérience de l’architecture. Il affirme que le mouvement participe à la construction de l’ambiance, en
posant la question du rythme, de la direction et du script du parcours. Le mouvement invoque le passage
d’un univers à un autre, d’un état d’esprit à un second. Il serait alors essentiel au passage d’une attitude
spectatoriale vers une attitude d’immersion. Plus précisément, Gilsoul souligne qu’il existe trois ensembles de
mouvements (figure 5): tourner, monter (ou descendre) et se déployer (ou être comprimé).
Ces ensembles représentent des séquences d’actions et des successions. Selon lui, les trois ensembles de
mouvements sont donc extrêmement liés à la notion de narration et plus particulièrement, à celle de
parcours.
Figure 5. Les trois ensembles de mouvements : monter (descendre), être comprimé (se déployer) et tourner
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Le Corbusier partageait également ce concept : l’architecture doit être découverte en cheminant au cœur
d’un projet, principe qu’il a défendu tout au long de sa carrière. Dès les années vingt, il suggère que le
cheminement spatial autorise la perception de chacune des dimensions de l’œuvre architecturale et que le
déplacement physique permet de ressentir le phénomène poétique. La promenade architecturale devient
donc un élément important de ses œuvres puisqu’elle implique un scénario spatial : l’objectif est de guider le
visiteur de façon à lui faire voir et surtout, percevoir, toutes les qualités architecturales (Gilsoul, 2009). De
plus, il importe de mentionner que la vitesse de déplacement influence beaucoup la perception du sujet. Plus
le déplacement est rapide, moins il est possible de percevoir l’environnement, et vice et versa. Alors que la
vitesse comprime les distances, accentue le relief et ouvre des perspectives visuelles, la lenteur permet
l’appréciation des différents détails de notre environnement (LeGallais, 2010).
Ces théories nous amènent à comprendre que l’architecture haptique, qui se base essentiellement sur le
toucher, le mouvement et l’orientation dans l’espace, autorise une expérience sensorielle riche. Ces
éléments permettent à l’usager de participer activement et physiquement au projet, et ce, d’une grande
variété de façons. À travers cette participation physique, le sujet chemine et passe d’une attitude de
spectateur à celle d’acteur à part entière. Nous tenterons désormais de saisir comment ces éléments
haptiques peuvent se matérialiser dans le contexte d’un projet architectural.
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Chapitre 2 : Mise en place de la démarche de recherche création
Ce chapitre présente la méthode de recherche proposée pour l’élaboration de l’essai (projet). D’abord, des
études de cas sont réalisées en fonction des principes récurrents permettant d’expérimenter l’espace de
façon haptique, de manière à comprendre comment il est possible de les matérialiser. Puis, la méthode de
recherche-création suggérée est de type interprétatif (Groat and Wang, 2002) : les phases de recherche et
de conception se déroulent au moyen d’observations, d’analyses et d’interprétations du site et de ses
caractéristiques, tant contextuelles, sociales que naturelles. Tel que mentionné, ces analyses et la conception
sont principalement complétées au moyen de croquis annotés et de maquettes de travail, tel que présenté
plus loin.
2.1 Démarche : l’architecture haptique et sa matérialisation
Parmi les nombreux principes d’architecture permettant l’expérience haptique d’un espace, les éléments de
composition formelle, la matérialité ainsi que la lumière (et l’ombre) ont été retenus puisque retrouvés
régulièrement dans les diverses théories présentées et dans les exemples de projets exposés dans les
lectures correspondantes.
2.1.1 Les éléments de composition
Dans l’analyse des mécanismes scéniques des œuvres de l’architecte Luis Barragan, Gilsoul (2009) a proposé
que certaines composantes architecturales contribuent à la stimulation visuelle, mais aussi tactile, dont les
« éléments de décor ». Ce terme sera ici entendu principalement dans le sens des éléments de composition
formelle du projet d’architecture et il constitue le premier principe à considérer dans la matérialisation de
l’architecture haptique.
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Les éléments de composition formelle sont considérés à plusieurs échelles : d’abord, celle du détail, ensuite
celle du projet et finalement, celle du site. Tous ces éléments doivent faciliter l’expérience haptique, de
manière à faire interagir l’usager dans le projet. Par les éléments de composition, les trois ensembles de
mouvements énoncés par Gilsoul peuvent être exploités : tourner, monter (ou descendre) et se déployer
(ou être comprimé). Ces ensembles représentent des séquences d’actions et des successions qui sont
travaillées dans la réalisation architecturale, tant à l’échelle du site que de l’installation.
Un exemple qui représente bien de quelle façon les éléments de composition peuvent influencer le
mouvement des usagers dans un projet d’architecture est l’Écurie San Cristobal, de Luis Barragan (figure 6). Il
s’agit évidemment d’un projet d’écuries, mais aussi d’aménagement urbain dans le complexe de Los Clubes,
au Mexique. D’un point de vue général, la cour centrale distribue les différents bâtiments et elle est ceinte de
murs monumentaux.
Ce qui est fascinant dans ce précédent, c’est que le mouvement des visiteurs ainsi que celui des cavaliers et
de leurs chevaux sont chorégraphiés de manière très précise grâce aux volumes. À titre d’exemple,
l’organisation spatiale amène le passage obligé des chevaux dans le champ visuel des visiteurs, lorsque ces
animaux entrent ou sortent de leurs écuries. L’orientation des éléments architecturaux induit la position du
cheval. Leurs corps se retrouvent alors parallèles au bâtiment et donc entièrement visibles de profil pour les
Figure 6. Images de l’Écurie San Cristobal, par Luis Baragan.
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visiteurs (Gilsoul, 2009). Bref, grâce aux éléments de composition, il est possible de chorégraphier les
mouvements des usagers à la manière d’une grande mise en scène. Cela permet de mettre l’accent sur
certains éléments que l’on juge, en tant que concepteur, importants à l’expérience sensorielle du projet. Il
s’agit de guider le mouvement et l’orientation du sujet dans l’espace.
En ce qui concerne la matérialité, ce précédent représente aussi un bel exemple des possibilités sensorielles,
notamment grâce à l’utilisation de couleurs vives.
2.1.2 La matérialité
Tel qu’il a été possible de le comprendre, la réalité sensorielle de l’expérience haptique se trouve dans le
sens du toucher. Le travail sur la matérialité du projet devient donc essentiel. « When the materiality of the
details forming an architectural space become evident, the haptic realm is opened up. Sensory experience is
intensified; psychological dimensions are engaged » (Holl et Pallasmaa 1994, 91).
Toutefois, les matériaux industriels commercialisés aujourd’hui ne tiennent pas toujours compte de leur
essence. Selon Pallasmaa (2000), les matériaux parlent et ont un langage à eux seuls. Ainsi, la pierre parle de
son origine géologique, sa durabilité et sa permanence. La brique parle de la terre et du feu, de la gravité et
de la tradition constructive. Le bois parle de deux existences, de deux échelles temporelles. La première, la
vie, en tant qu’arbre grandissant et le deuxième en tant que modification par l’Homme. La matière doit donc
être utilisée de manière à ne pas diminuer sa nature. Gaston Bachelard, cité par Pallasmaa (2000), souligne
qu’il existe en fait une distinction entre « l’imagination formelle » et « l’imagination matérielle » et que
l’imagination qui vient de la matière projette des expériences beaucoup plus profondes.
Figure 7 et 8. Esquisse d’analyse et image du Musical Studies Center, dont la matérialité s’adapte parfaitement au site.
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Le Musical Studies Center d’Ensamble Studio, est un bon précédent témoignant d’une utilisation judicieuse
de la matérialité (voir figure 7 et 8, page précédente). De l’extérieur, le parement d’apparence stratifié et
minéral du bâtiment s’adapte parfaitement à son environnement, comme si l’architecture émergeait tout
bonnement du sol. Le matériau se gorge en fait d’eau, ce qui créer un motif temporaire à l’image d’un
élément minéral provenant de la nature. Toutefois, à l’intérieur, le projet est totalement différent : le design
repose sur les concepts de blancheur et de transparence, ce qui créer un effet d’étonnement saisissant dès
l’entrée du bâtiment (Lafrance-Boucher, 2008). Il est possible d’ainsi jouer avec la matérialité pour créer des
effets de tous types, dont de surprise.
2.1.3 L’ombre et la lumière
La thématique de la lumière revient fréquemment dans l’expérience haptique de l’espace. La qualité
architecturale réside selon plusieurs dans la capacité d’un projet à jouer avec les ombres et les lumières.
Celles-ci peuvent être modelées par la matière, le vide, l’opacité et la transparence (Holl, Pallasmaa et Perez-
Gomez, 2006). Cela permet d’augmenter l’expression de l’architecture et entre autres, de faciliter la lecture
de la progression du temps par l’orientation de lignes d’ombrage sur le bâtiment. Selon Gilsoul (2009), les
ombres et les lumières englobent tous les phénomènes éphémères qui donnent vie au décor.
Figure 9. Échantillon des différentes ambiances pouvant être créées par le jeu de lumières et d’ombres, Peter Zumthor.
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Plusieurs projets de Peter Zumthor peuvent représenter de bons exemples d’utilisation de la matière pour
sculpter la lumière et l’ombre (figure 9). L’architecte apprécie, en effet, penser le bâtiment comme une
masse d’ombre, pour ensuite venir insérer de la lumière à cette pénombre, comme si la lumière était un
élément solide (Zumthor, 2008). Finalement, la lumière peut s’avérer être un élément intéressant en ce qui
concerne le toucher, grâce à sa chaleur.
En conclusion, il est possible de travailler la lumière et l’ombre de diverses façons afin d’exploiter leurs
propriétés haptiques et il est nécessaire de les traiter comme des éléments architecturaux en soi.
2.2 Le dessin comme outil de conception haptique
Tel que mentionné précédemment, traiter de l’architecture sensible pose nécessairement un défi en termes
d’analyse, de conception, de représentation et de validation de l’expérience sensible. La méthode d’approche
particulière développée est celle du dessin à main levée, soutenue par la conception de maquettes.
En ce qui concerne la communication, les nombreuses lectures effectuées mettaient en évidence le fait que
les expériences sensibles, avec des individus ou des objets, sont extrêmement difficiles à exprimer. Les mots,
les diagrammes, les photographies et même la musique représentent des éléments qui peuvent manquer de
précision lorsqu’il est question de sentiments. Dans le domaine de l’architecture, la qualité de l’interaction
entre l’homme et le lieu est difficilement saisissable : pour cela il faudrait notamment qu’on arrive à se mettre
à la place du sujet, au même endroit et au même moment (Tuan, 2006). Par contre, il n’est pas
inenvisageable de suggérer l’expérience intime et certains outils peuvent s’approcher de la réalité, en
particulier le dessin. En effet, par l’observation des réalisations de l’artiste, il est possible d’arriver à mieux
comprendre ce qu’il a perçu. « Je serais en peine de dire où est le tableau que je regarde. Car je ne le
regarde pas comme on regarde une chose. Je ne le fixe pas en son lieu, mon regard erre en lui comme dans
les limbes de l’être. Je vois selon ou avec lui plutôt que je ne le vois » (Merleau-Ponty dans Berthoz 1997,
147). Ainsi, le dessin peut s’avérer être un bon outil de représentation de l’expérience sensible dans le
domaine de l’architecture. Il permet d’emmagasiner et d’analyser des informations sur les éléments existants,
tels que le site ou les précédents architecturaux. Illustrer quelque chose nous force à nous engager de
manière directe, entre autres par la recherche des couleurs, des proportions, des textures et des détails.
Cela demande un effort qui est supplémentaire à la photographie, par exemple (Edwards, 2008). Le dialogue
est plus important puisqu’il ne s’agit plus d’être spectateur : on doit agir physiquement, on devient donc
acteur.
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Au niveau de la conception, en plus de permettre la vérification de l’apparence d’objets imaginés, le dessin
facilite l’exploration sensible qui serait difficilement réalisable à l’aide d’autres outils (figure 10), « By engaging
in the subject, the artist, architect or student developps a sensitivy and understanding difficult to obtain by
other means » (Edwards 2008, 10). D’un point de vue haptique, Douglas Cooper, dans Drawing and
Perceiving (2001), soutient que l’illustration à main levée constitue la meilleure méthode de création pour ce
qui est d’un projet architectural. Il s’agit de considérer le dessin comme un acte qui est analogue à celui du
toucher. De ce fait, il explique que l’on doit en quelque sorte s’imaginer que le crayon touche la surface de
ce qui est dessiné et le module de cette façon et le crayon devient l’outil par prédilection de manipulation
des volumes. Il souligne que les architectes qui font usage du dessin dans leur conception sont ceux qui
seront les plus aptes à représenter le mouvement dans leurs réalisations.
En conclusion, le projet devra mettre l’accent sur la composition formelle, la matérialité et la lumière en vue
de créer des espaces prônant l’expérience sensible (haptique) et donc l’interaction complète de l’individu à
son environnement. La démarche qui guide l’élaboration du projet est caractérisée par la réalisation de
croquis, soutenue par la conception de maquettes (voir Annexe D), entraîne ainsi en un projet sensible.
Figure 10. Exploration par le dessin à main levée
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Chapitre 3 : Le projet, un parcours haptique dans le secteur du Vieux-Port de
Québec
3.1 Les objectifs
Les réflexions présentées précédemment permettent de mettre en lumière certains objectifs qui guident le
développement du projet.
Le premier enjeu à considérer dans la réalisation du projet consistant en un parcours haptique est sans
aucun doute l’ambiance ; c’est-à-dire les expériences sensorielles vécues à travers le projet et les réponses
émotionnelles qui en résultent. De ce fait, il importe de concevoir un projet stimulant les expériences
haptiques de l’architecture, à savoir le toucher, le mouvement et l’orientation dans l’espace. La composition
formelle, la matérialité et la lumière doivent donc être travaillées. Pour ce faire, il peut être intéressant de
créer diverses zones aux ambiances contrastées, dans lesquelles ces éléments sont traités de façons variées
(figure 11).
Puis, l’interaction, tant entre les usagers qu’avec le
projet architectural, est le deuxième enjeu majeur de
l’essai (projet). Pour faire profiter l’expérience du lieu
à la population, il est indispensable de réaliser un
projet dont la fonction principale est publique et non
pas privée. Celui-ci doit représenter un attrait pour
la ville et permettre le déplacement de tous types
d’usagers (mobilité réduite, vélos, poussettes, etc.).
Les fonctions proposées vont au-delà du concept de
contemplation. Au final, l’ensemble va respecter la matérialité ainsi que l’aspect formel de l’architecture
environnante, dans un souci d’introduction complète dans le contexte.
Figure 11. Esquisse conceptuelle : les objectifs
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3.2 Le programme
En fonction des objectifs présentés, le projet consiste en un parcours urbain composé de divers espaces
autorisant l’expérience du lieu. C’est un grand parcours public qui permet la découverte et l’exploration de
l’architecture et de son milieu, avec plusieurs possibilités d’appropriation.
Au niveau programmatique, le parcours s’apparente à la promenade du High Line de New York en ce qui a
trait à la conception d’aires aux ambiances contrastées (voir figures 12 et 13). On y retrouve des activités
parfois de détente, parfois récréatives, rompant ainsi avec la frénésie de la ville. Il importe que les zones
créées se suivent selon un ordre cohérent et qu’elles représentent une évolution en terme d’expériences,
mais aussi formellement.
3.2 Le site
Le parcours haptique se situe dans le secteur du Vieux-Port de Québec, en continuité avec celui de la rivière
Saint-Charles.
3.2.1 Historique et analyse urbaine1
D’une superficie d’environ 330 000 m2, le Vieux-Port de Québec se situe entre le fleuve et la ville. Il avoisine
l’arrondissement du Vieux-Québec et bénéficie donc des services et des activités s’y trouvant. Le port de
1Il est à noter que les informations qui suivent sont issues d’un travail final réalisé à l’automne 2011 : TP3_Analyse d’un site d’intervention : Le bassin Louise du Vieux-Port de Québec, dans le cadre du cours ARC-6033_Concepts et méthodes.
Figure 12 et 13. Esquisse d’analyse et image du High Line.
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Québec a depuis les débuts de la colonie été commercial. Les commerçants avaient construit des remblais
et des quais pour le commerce des fourrures, cependant ce n’est que deux cents ans après la fondation de
Québec que l’exportation massive de bois vers le Royaume-Uni lui donna son essor. L’industrie du bois
florissante fut de cette manière à l’origine d’une croissance économique importante pour la capitale qui
s’accompagnera de la construction de nouveaux quais et le remblaiement de l’estuaire de la rivière Saint-
Charles. Ainsi, les faits saillants de l’histoire du secteur sont graphiquement présentés dans l’annexe C de ce
présent document.
Actuellement, selon les données du Plan directeur, quartier Vieux-Québec et Cap-Blanc (juin 2008), on
remarque que le nombre de personnes par ménage est inférieur dans le secteur, et ce, comparativement
avec le reste de la ville de Québec (1,5 comparativement à 2,2 individus). Parmi les résidents du secteur du
Vieux-Port, 62 % vivent seuls, en comparaison avec 35% dans l’agglomération. « Ce constat démontre la
difficulté d’attraction des secteurs centraux pour les familles qui ont tendance, de manière générale, à opter
pour un mode de vie périurbain » (Plan directeur du quartier du Vieux-Québec, 2008). On peut penser qu’il
serait intéressant d’attirer davantage de familles afin de diversifier la population résidente, ce pour quoi il
devient pertinent de concevoir un projet à vocation récréative (Bélanger Beauchemin Morency, 2009).
L’analyse urbaine permet de mettre en évidence les espaces construits et de rendre compte que plusieurs
aires pourraient éventuellement être aménagées (voir Annexe C). Par ailleurs, de nombreux espaces se
retrouvent à proximité de l’eau (bassin Louise), ce qui ouvre quelques pistes pour de futures installations. Un
Figure 14. Site choisi pour le parcours, en continuité avec celui de la rivière Saint-Charles.
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premier constat est qu’il existe dans le secteur étudié une bonne mixité des usages. Toutefois, on remarque
qu’il y existe des zones qui sont très homogènes.
En ce qui concerne l’analyse des caractéristiques naturelles, les cours d’eau qui bordent le port constituent
les principales limites du secteur. La topographie de la falaise est également une limite physique naturelle
d’importance. Orienté est-ouest, le bassin Louise est un site balayé directement par les vents dominants
ouest, sud-ouest. Ceci est très avantageux lors des journées chaudes d’été, mais est un inconvénient majeur
l’hiver dû aux vents nord-est. L’orientation est-ouest du bassin Louise permet de profiter d’une rive nord
constamment ensoleillée, été comme hiver. Le site serait donc idéal pour implanter un lieu de baignade, où
on peut s’étendre face au soleil et au bassin.
3.2.2 Analyse sensible
Le projet s’inscrit dans une volonté d’enrichir la qualité de la relation entre les usagers et leur
environnement. Afin de mettre en évidence l’emplacement du parcours de manière précise, une analyse
sensible du site a été effectuée, de façon à classifier les ambiances et l’expérience générales du parcours
(figure 15). L’objectif de cette recherche est de cibler les zones à travailler pour compléter la promenade de
la rivière Saint-Charles d’un point de vue sensoriel. Ainsi, l’analyse a débuté à partir de la promenade
existante, pour s’étirer dans le secteur du Vieux-Port.
Figure 15. Échantillon d’esquisses de l’analyse sensible du site.
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Cette analyse a permis de faire ressortir les ambiances et les perceptions haptiques par le dessin, en tant
qu’outil d’analyse et de compréhension du site. Elle démontre qu’il y a plusieurs zones homogènes en terme
d’expériences sensibles à travailler, majoritairement dans le secteur du Vieux-Port. Plus précisément, une fois
l’autoroute Dufferin-Montmorency franchie à partir de la promenade de la rivière Saint-Charles. Ainsi, l’idée
est de proposer un nouveau parcours en continuité avec celui existant, en bonifiant et créant des
expériences sur le site. Ce dernier, hormis des installations portuaires ponctuelles, est actuellement vaste et
plusieurs espaces vacants sont disponibles.
Le parcours débute à l’intersection entre la promenade de la rivière Saint-Charles et l’autoroute Dufferin-
Montmorency, pour s’étendre jusqu’à l’extrémité est du secteur du Vieux-Port. Plus précisément, il s’agit de
mettre l’accent sur les différentes ambiances afin de les faire émerger à travers l’architecture.
3.3 Le projet
À grande échelle, le projet se décompose en quatre zones principales : la Descente, la Passerelle, la
Rencontre ainsi que la Lancée. Ces zones présentent chacune des caractéristiques et des installations
différentes, qui permettent des expériences variées. D’un espace à l’autre, la transition se veut progressive
que ce soit en terme de vitesse de déplacement, d’expériences, d’aspect formel que d’interactions sociales.
Concrètement, l’idée est de passer d’aires actives vers des aires beaucoup plus contemplatives, voire
introspectives (figure 17). L’annexe A de ce document contient les planches condensées de la critique finale
et donc des documents complémentaires à ceux présentés dans cette section, dont un plan urbain.
descente
passerelle
rencontre
lancée
Figure 16. Esquisse générale du projet : les quatre zones principales.
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À partir de la jonction entre le nouveau parcours et celui de la rivière Saint-Charles, on accède d’abord à la
Descente. Ce premier espace expérientiel accueille une installation de mise à l’eau pour les petites
embarcations tels que les kayaks (figure 18). Il est intéressant de penser que cet endroit pourrait devenir un
lieu par prédilection pour éventuellement naviguer sur la rivière Saint-Charles. Comme expérience générale,
cet élément architectural propose un bon rapport aux berges et à l’eau. En ce qui concerne la composition
formelle, le bâtiment se présente comme une grande descente appropriable, ponctuée de pauses pour
l’observation du paysage. Il s’agit de travailler en douceur la descente et la montée (ensemble de
mouvement), tel qu’exposé dans la section théorique de ce présent document.
En termes de matérialité, la minéralité est prédominante (figures 19 et 20). L’idée est d’intégrer le bâtiment à
son site et de limiter le construit, comme si celui-ci émergeait naturellement des berges et y avait toujours
été présent. Comme il a été possible de le comprendre plus haut dans le texte, la pierre parle de son origine
géologique, sa durabilité et sa permanence, d’où le choix du travertin. Au niveau des jeux d’ombres et de
lumières, ceux-ci ne sont ni filtrés, ni travaillés par la transparence. Ils constituent simplement de fins retraits
Figure 17. Esquisse conceptuelle du projet : la progression
Figure 18. Esquisse de La Descente, vue à partir de l’eau.
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dans le volume, qui laissent pénétrer dans la descente de la lumière très franche. Devant ces fentes délicates,
la matérialité change subtilement, ce qui fragmente le parcours et créer ainsi une sorte de séquence.
La promenade entre les différents secteurs se fait sur un chemin de béton blanc de cinq mètres de large, qui
permet à la fois la circulation des piétons et des cyclistes.
Ensuite, le parcours nous amène à la
deuxième installation, soit la Passerelle
(figure 21). Formellement, il s’agit un
élément se détachant légèrement du sol
pour créer une plate-forme d’observation,
sous laquelle se retrouvent les services
destinés à la zone de baignade avoisinante.
Cette installation représente l’expérience
d’un premier geste en hauteur offrant la
possibilité de contempler le paysage. Par les vues proposées, c’est l’expérience de la ville, mais aussi du
bassin Louise qui s’étend non loin. Afin de contraindre l’usager à le découvrir physiquement, par
l’exploration, le bâtiment est traité comme un objet ne présentant pas de référents culturels connus. Le sujet
n’a pas d’autre choix que de circuler aux alentours, sur et sous ce dernier. Il est approché, puis découvert
par le visiteur qui se l’approprie à sa manière par le choix des parcours et des pauses désirées.
Figures 19 et 20. Point de vue dans la descente et vue vers l’autoroute Dufferin-Montmorency à partir du bâtiment.
Figure 21. Esquisse de la Passerelle, à son arrivée.
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En référant à la matérialité, on note une première apparition du bois, bien que le travertin demeure
omniprésent pour ses qualités haptiques intéressantes. Finalement, au niveau de la lumière et de l’ombre,
certaines portions des parois de travertin sont ouvertes de façon régulière, laissant pénétrer les rayons tout
en créant un jeu d’ombres et de lumières digne d’intérêt. Cette « transparence » dans la paroi minérale est
surprenante puisque non perceptible de certains points de vue et elle invite les usagers à venir lui toucher
(figures 22 et 23).
Par la suite, le parcours suggère une pause au niveau du
secteur des rails de chemins de fer. Entre celles-ci sont
insérées de grandes bandes minérales et végétales (des
graminées), tel un grand jardin (figure 24). Tout en continuant
de permettre le transport de la marchandise par trains, ce
jardin propose une appropriation du lieu par les usagers. À
moins qu’un signal n’indique qu’un train approche, les passants
peuvent circuler au sein de cet immense espace végétalisé et
minéralisé pour toucher les divers éléments, les sentir, s’y
asseoir, courir…
Puis, le parcours nous amène au projet Rencontre (figure 25). Il s’agit de l’expérience d’un premier grand
bâtiment construit sur le site, qui se détache du sol en son extrémité : c’est une propulsion franche vers le
paysage de la ville. Cet édifice accueille des fonctions à vocation beaucoup plus sociales, de manière à
permettre l’interaction entre les individus et donc de vivre une ambiance différente. Par conséquent, on
Figures 22 et 23. Arrivée vers la Passerelle et matérialité
Figure 24. Esquisse du jardin dans les rails.
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remarque entre autres la présence de grandes salles communes, de terrasses, d’un café ainsi d’un secteur
pour l’accueil des vacanciers sortant des bateaux de croisières dont un des quais se situe sur les rives de
l’estuaire. La Rencontre agit comme un élément signal dans le paysage du port, invitant les usagers à s’y
rassembler. C’est le moment de faire une pause et de profiter des vues offertes à cet endroit : sur la ville, sur
les silos, sur le bassin … Mais aussi, de susciter le goût de parcourir la promenade et de découvrir les autres
installations.
Concernant la matérialité, le bâtiment est ici encore traité comme un élément minéral. Par contre, son
enveloppe en lattes de bois ajoute à l’expérience haptique du lieu (figure 26). En effet, celle-ci créer des jeux
de lumière intéressants sur la façade en travertin. De plus, entre cette enveloppe et le mur extérieur du
bâtiment, viennent s’insérer de petits cubes expérientiels habitables (figure 27). Ils permettent de vivre
l’entre-deux créé par les deux murs et de ressentir pleinement l’expérience, notamment en terme de
lumière et de textures.
Figure 25. Esquisse de la Rencontre.
Figure 26 et 27. Enveloppe du bâtiment et entre-deux habitables.
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Au fur et à mesure que les différentes zones du parcours sont traversées, il est possible de constater que le
rapport physique à l’eau diminue. Ainsi, alors que les grands emmarchements se font présents près du
bâtiment Rencontre, ils disparaissent progressivement dans le chemin le reliant à la toute dernière
installation : la Lancée.
La lancée représente le point culminant du parcours, dans lequel
le concept de contemplation prend tout son sens. Tout en
hauteur, il s’agit d’un belvédère qui suggère un détachement
presque complet du site, ses points d’attache au sol n’étant que
de fines colonnes (figure 28). L’effet d’ambiguïté est inévitable.
De loin, on remarque une grande tranche minérale, soutenue
par des éléments presque imperceptibles. Le sujet ressent la
finesse des colonnes et cette sensation est nécessairement
transposée dans son corps : l’instabilité est ressentie, ce qui
ajoute à l’expérience haptique du parcours. C’est toutefois en
approchant la tour qu’il est possible de se rendre compte que
l’installation est majoritairement conçue de bois, dont les parois
sont discrètement ajourées (figure 29 et 30). Cela créer une
texture agréable au toucher qui autorise également des jeux de
lumières variées, de l’intérieur, en fonction de l’ensoleillement. L’ambiance ainsi créée contribue à une
expérience intime du lieu. Le sujet est immergé au cœur du projet.
Figure 28. Esquisse, arrivée à la Lancée.
Figure 29 et 30. La lancée, vue d’en bas et sa matérialité.
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En résumé, le projet propose différents bâtiments et installations architecturaux formant un ensemble
cohérent. Il s’agit d’un long parcours expérientiel, en continuité avec celui de la rivière Saint-Charles, dans
lequel on fait la découverte d’ambiances variées. Ces ambiances sont influencées par divers éléments, dont la
composition formelle, la matérialité ainsi que la lumière et l’ombre, ce qui vient affecter les sens. En terme de
représentation, les ambiances sont avant tout suggérées par les croquis.
À l’intérieur de ce parcours urbain, on découvre des bâtiments, essentiellement de services, qui contribuent
à la bonification du paysage, en passant de l’expérience active (récréative) jusqu’à contemplative. Des
expériences haptiques sont proposées, encourageant des interactions riches entre les usagers et leur
environnement.
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Conclusion
La thèse soutenue dans cet essai (projet) est que l’architecture sensible prônant l’expérience haptique
encourage des interactions riches entre les usagers et leur environnement. Elle nous ramène à de véritables
considérations et il est possible d’en tirer des bénéfices importants, qui ont été en grande partie démontrés.
Cet essai (projet) prouve que l’architecture sensible peut être le fondement de la conception architecturale
en s’appuyant sur les théories correspondantes à l’expérience haptique. Elle peut contribuer à l’interaction
des usagers avec leur environnement, en se basant sur la notion de cheminement entre l’attitude
spectatoriale et immersive, selon l’approche de Nicolas Gilsoul (2009). Grâce à un travail favorisant le
toucher, le mouvement et l’orientation dans l’espace, le sujet est immergé dans le projet et devient acteur,
en plus d’être spectateur.
Le parcours haptique dans le secteur du Vieux-Port de Québec témoigne de la maîtrise des éléments de
composition formelle, de la matérialité et du jeu de lumière et d’ombre en vue de faire profiter l’expérience
haptique du projet. Par la ponctuation de différents bâtiments propices à la détente et au divertissement, le
parcours proposé permet aux usagers d’interagir avec leur environnement et de redécouvrir des espaces
parfois oubliés. Effectivement, il est crédible de relier le nouveau parcours à celui de la rivière Saint-Charles,
afin de faire découvrir aux usagers des lieux de grandes qualités dans le Vieux-Port de Québec. De manière
générale, il est donc juste d’affirmer que les principaux objectifs de cet essai (projet) ont été atteints.
Quelques difficultés ont toutefois été rencontrées lors de l’élaboration de l’essai (projet) et certaines
améliorations pourraient l’enrichir. Bien que le secteur du Vieux-Port ait un grand potentiel d’aménagement,
il présente des défis urbains, en particulier par sa taille et par les activités portuaires s’y trouvant. De ce fait,
beaucoup de temps a été consacré à définir le plan urbain général et à mettre en évidence le tracé du
parcours. Compte tenu de cela, certaines échelles devant être considérées dans la réalisation du projet n’ont
pas été traitées de manière optimale. À titre d’exemple, en fonction du sujet d’étude choisi, la conception
aurait sans nul doute nécessité d’être plus développée à l’échelle du détail, notamment par un travail
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approfondi sur les textures et les matériaux. Un site moins vaste aurait fort probablement permis d’exploiter
pleinement toutes les dimensions du projet ainsi que les concepts théoriques exposés dans l’essai (projet).
En fonction du thème d’étude sélectionné, il importait évidemment d’avoir une excellente connaissance des
concepts clés et de la démarche de recherche-création utilisée avant d’en arriver à la conception
architecturale. Bien que la phase de conception soit arrivée un peu tard dans la session, l’essai (projet) a
permis d’excellentes applications de ces théories dans le projet architectural et témoigne d’une bonne
maîtrise du cadre théorique. Par ailleurs, l’ensemble de ces recherches a autorisé le développement d’une
démarche extrêmement intéressante et prometteuse. L’essai (projet) propose manifestement une approche
de grand intérêt pour l’analyse du site et des précédents, pour la conception ainsi que pour la présentation
du projet. En particulier, la démarche par le dessin à main levée a été extrêmement bien reçue lors de la
critique finale, ce qui permet entre autres de valider l’idée selon laquelle il est possible de communiquer ce
que l’on perçoit grâce à l’outil que constitue le dessin. Au final, le lien entre le sujet, la thèse et la méthode
d’approche demeure très pertinent et pourra certainement guider de futurs projets.
D’un point de vue personnel, beaucoup de fierté se dégage du travail accompli lors de cette session. Alors
qu’une méthode de travail courante aurait pu être utilisée, j’ai tenté de sortir des sentiers battus afin de me
pencher sur une démarche singulière. Selon moi, l’essai (projet) doit représenter une occasion pour ce type
d’exploration. Malgré les améliorations pouvant y être apportées, cet essai (projet) est très certainement la
réalisation qui m’a procuré le plus de fierté au cours de ces cinq dernières années d’études, puisque j’ai osé
m’intéresser à une nouvelle manière de faire de l’architecture.
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Annexe A Planches réduites du projet
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Annexe B
Schéma de développement de la théorie
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Figure 31. Carte illustrée des concepts importants.
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Annexe C Analyse urbaine
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Figure 32. Faits saillants et morphogénèse des quais du bassin Louise
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Figure 33. Vieux-Port de Québec, les principaux usages.
Figure 34. Vieux-Port de Québec, analyse des éléments naturels.
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Annexe D Photographies des maquettes
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Figure 35. Maquettes d’analyse de site.
Figure 36. Maquettes de travail : composition formelle, matérialité et jeu d’ombre et lumière.
Figure 37. Maquette conceptuelle : bâtiments ponctuels.
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Figure 38. Maquettes de site, étape finale.
Figure 39. Maquettes des bâtiments