toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–bonsoir, tout le monde. elle se...

283
1 Les vacances s’achevaient enfin. Deux mois s’étaient écoulés dans une ambiance bien particulière pour Franck. Malgré son manque d'enthousiasme au départ, il pouvait à présent reconnaître qu'il avait été bien loin de s'en- nuyer dans cette nouvelle ville. Il est vrai que ses nouveaux amis et lui n'avaient pas vrai- ment eu d'activités ordinaires, comme faire du vélo, jouer aux cartes ou se balader et profiter de la nature. Mais la normalité était une den- rée rare dans le coin. Même le jour de la ren- trée n'avait pas toujours été très anodin ces dernières années. Mais ça, le jeune garçon fini- rait sans doute par s'en apercevoir. Caroline et Stéphanie s’étaient retrouvées 1

Upload: others

Post on 09-Jul-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

1Les vacances s’achevaient enfin. Deux

mois s’étaient écoulés dans une ambiance bienparticulière pour Franck. Malgré son manqued'enthousiasme au départ, il pouvait à présentreconnaître qu'il avait été bien loin de s'en-nuyer dans cette nouvelle ville. Il est vrai queses nouveaux amis et lui n'avaient pas vrai-ment eu d'activités ordinaires, comme faire duvélo, jouer aux cartes ou se balader et profiterde la nature. Mais la normalité était une den-rée rare dans le coin. Même le jour de la ren-trée n'avait pas toujours été très anodin cesdernières années. Mais ça, le jeune garçon fini-rait sans doute par s'en apercevoir.

Caroline et Stéphanie s’étaient retrouvées

1

Page 2: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dans les couloirs. Tout comme Franck qui étaitnouveau au collège, Caroline venait d’entamersa toute première année. À vrai dire, ellen’avait jamais mis les pieds à l’école. Elle rece-vait son enseignement à la paroisse depuistoujours et elle se sentait un peu perdue.

–Alors, comment s’est passé ton premiercours au collège, Caroline ? L’interrogea Sté-phanie qui ouvrait son casier pour prendre sesaffaires. On ne t’a pas trop manqué ?

Caroline fit la grimace.

–Je préfère être enseignée à la paroisse,dit-elle. T'as vu le monde qu’il y a ici ? Com-ment on peut apprendre quelque chose avectous ses élèves qui font tant de bruit ?

Stéphanie referma son casier.

2

Page 3: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Tu finiras par t’y faire, la rassura lajeune fille en lui tapotant l’épaule.

Elles tournèrent la tête. Il y avait de l'agi-tation dans les couloirs. Trois jeunes filles enmini-jupe traversaient l'allée de casiers sousles regards admiratifs d'un groupe de garçons.Le genre de nanas qui avait la cote au sein del'établissement. Lorsqu'elles passèrent présd'elles, Caroline fut brutalement bousculée etmanqua tomber.

Mais tu ne peux pas te pousser? protestal'une des filles en lâchant ses livres aux piedsde Caroline. J'ai failli tomber !

Elle se tourna brièvement vers ses deuxacolytes qui gloussèrent et la fusilla du regard.

Tu devrais t'excuser ! Tu as fait tombermes livres ! Ramasse-les !

3

Page 4: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline s'exécuta sans rien dire, prenantconscience que tous les regards étaient bra-qués sur elle. Partagée entre la colère et l'hu-miliation, elle récupéra un à un les bouquinséparpillés au sol et se releva avec peine. Rubenet Franck arrivèrent à ce moment-là.

–Tiens, mais je rêve ! Caroline de Notre-Dame est au collège ? Le prêtre en a marre dete voir te balancer au clocher ?

Nouveaux ricanements. Parmi elles, ilsreconnurent Cindy Dolini, une jeune fille de laville que Stéphanie et ses amis avaient eu lemalheur de croiser deux ou trois fois. Issued’une famille aisée dont elle était l’unique en-fant, Cindy avait la fâcheuse habitude de seprendre pour une détective et elle savait qua-siment tout sur tout le monde.

4

Page 5: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline lui jeta un regard mauvais et seserait certainement jetée sur elle si Ruben nel’avait pas retenue.

–Mêle-toi de tes affaires !

–As-tu bien appris tes prières ce matin ?Ricana la jeune fille.

Les rires moqueurs résonnaient à traverstout le couloir, à présent. Caroline se seraitbien cachée sous terre.

–Laissez-la tranquille, soupira Franck quine remarqua pas le regard alarmé que lui jetaalors son ami.

La jeune fille planta sur lui un regardpresque bestial. Il ne va pas sans dire queFranck ignorait encore qui il valait mieux évi-ter parmi les collégiens si on tenait à garder un

5

Page 6: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

semblant de dignité. Tout le monde semblaitretenir son souffle. Une provocation avec cettefille lui aurait sans doute valu d'être la risée detout le collège. Mais à la plus grande surprisegénérale, elle se contenta d'observer le jeunegarçon de haut en bas et s'éloigna.

Tu as eu du cran, lança Ruben en regar-dant le groupe de filles qui longeait le couloir.

La sonnerie indiquant le cours suivanttinta et chacun retourna en salle de classe.

C’étaient les vacances de Noël, et Stépha-nie avait invité ses amis chez elle pour lesfêtes. Ses parents s’étant absentés pour la soi-rée, elle fut obligée de tout préparer elle-même. Franck avait amené sa sœur Olivia. Ilétait son aîné d’un an seulement. Chacun avaitamené de quoi grignoter et quelques jeux et

6

Page 7: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

films pour égayer la soirée. Comme à son ha-bitude, Caroline donnait un coup de main àson amie tandis que, étendus sur le canapé dusalon, les deux garçons discutaient stratégiesur le dernier jeu vidéo à la mode. Quant àOlivia, elle s'était portée volontaire pourmettre en place les guirlandes et autres boulesde Noël sur le sapin.

– Caroline et moi, on va faire des courses.J’ai oublié d’acheter les biscuits apéritifs, lançaStéphanie, à travers la porte vitrée de la cui-sine où elle faisait l’inventaire des provisionsachetées la veille.

Dehors, le ciel était inondé d’étoiles scin-tillantes et la lune brillait tellement qu’on l’au-rait presque confondue avec un des lampa-daires qui sillonnaient la rue. La Mairie avaitmis en place de larges guirlandes lumineuses

7

Page 8: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

arborant des pères noël, des branches de houxet des bonhommes de neige aux visages gaieset souriants à presque tous les coins de rue.Les deux filles trouvaient tout cela bien futilevu qu'il n'y avait quasiment personne dans lesrues. Et encore moins des enfants. D'ailleurs,l'une et l'autre savait à quel point il était mal-sain de traîner dans la rue à la nuit tombée.

Il ne neigeait pas, mais l'air était glacial etde la vapeur s’échappait de leurs boucheslorsqu’elles parlaient.

Revenant du centre commercial où ellesavaient fait leurs achats, Stéphanie et Carolinedécidèrent de passer voir l’épicier pour luisouhaiter de bonnes fêtes de Noël.

En arrivant devant le magasin, elles re-marquèrent qu'il n’était pas seul. Caroline se

8

Page 9: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dévissa le cou pour voir avec qui il parlait, ca-mouflée derrière l’un des étalages extérieursnon loin de la porte vitrée restée entrouverte.Elle se retourna brusquement.

–Viens, on s’en va... chuchota-t-elle enrougissant malgré le froid.

–Pourquoi ?

–Il parle avec Mlle Bavent !

–J’ignorais qu’ils se connaissaient …

Caroline hocha lentement la tête, se remé-morant son entrevue avec la sorcière.

-Depuis longtemps, même. Mlle Baventm'a dit qu'ils étaient euh… amis.

Elle fit une grimace.

9

Page 10: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

-Et pourquoi pas, d’abord ? Rétorqua lajeune fille à ses côtés.

Elle haussa les épaules et s’avança prèsde la porte entrebâillée. Elle s’apprêta à l'ou-vrir mais stoppa son geste, brusquement do-minée par un sentiment de curiosité. Elle lançaun sourire à son amie et tendit l’oreille poursavoir de quoi ils discutaient.

–Mais tu le savais ? S’étonna Jean-Charles.

Élisabeth Bavent sourit.

–Oui, bien sûr ! Ça fait un moment que jela suis, tu sais. Elle est si gentille et si belle…dit-elle en étreignant le vide.

–Qu’as-tu l’intention de faire ?

10

Page 11: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je ne sais pas encore.

L'épicier se mit à faire les cents pas. De làoù elle était, la jeune fille pouvait deviner sesva-et-vient.

–Je la vois presque tous les jours... com-ment vais-je faire à présent ? Je ne pourraisplus la regarder comme avant...

Stéphanie fronça les sourcils. Elle ne com-prenait pas grand-chose à leur échange de pa-roles, mais néanmoins, il lui semblait que lesdeux adultes partageaient un très lourd secret.

Derrière elle, Caroline qui s’impatientait,la tira par la manche.

–Allez, on y va ?

–Attends, je vais leur souhaiter de bonnes

11

Page 12: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

fêtes !

Caroline soupira, mais son amie entradans le magasin.

Bien que désuète, Jean-Charles avait sudonner à sa boutique un certain charme. Toutle monde connaissait l'épicerie de Jean-Charles. On y trouvait toutes sortes deconserves, croulants sur des étagères et diversfruits et légumes frais. À vrai dire, on trouvaitquasiment de tout dans cette boutique et il ar-rivait parfois que l’épicier organise des standsde «bonnes œuvres » où il donnait des stocksde vêtements et de nourriture pour les per-sonnes dans le besoin.

Les deux adultes se tournèrent vers elle.Jean-Charles avait une mine assez morose cesoir, quant à Mlle Bavent, elle semblait préoc-

12

Page 13: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

cupée. Elle portait un tailleur violet qui luiseyait à ravir et un long manteau, apparem-ment en peau de buffle, doublé de fourruregrise et blanche. L’épicier portait son éterneljean délavé et la chemise en flanelle blanchequ’il mettait à l’occasion.

–Bonsoir, Stéphanie ! Lui dit Jean-Charlesen la voyant.

–Bonsoir, tout le monde.

Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches.

–Aller, entre, dit-elle en la tirant par lebras. Viens te réchauffer un peu.

–Mais non je te dis ! Il ne fait pas si froidque ça dehors !

13

Page 14: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Jean-Charles sourit.

–C’est vrai ce gros mensonge ?

Caroline devint rouge, presque aussirouge que le rubis qui se balançait à son cou. Ilétait évident qu’elle grelottait dehors, mais ellene voulait pas voir Mlle Bavent.

Brièvement, son regard passa de l’épicierà la sorcière, s’attarda quelques instants puiselle lança un regard à la fois embarrassé et in-terrogateur à Jean-Charles.

Le sourire de l’homme s’effaça. Mêmesans un mot, il avait compris ce que signifiaitce regard. Que faisait la sorcière ici ?

Il déglutit et regarda Mlle Bavent avecune expression indéchiffrable. Puis, il examinala fillette de haut en bas, et sourit de nouveau.

14

Page 15: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Tu es toute belle, ce soir, lui dit-il en luifaisant un clin d’œil.

Caroline baissa la tête et fixa le sol, gênée.Elle n’aimait pas trop être le centre de l’atten-tion générale bien que la remarque de l’épicierla touchait. Mlle Bavent se mit à rire, mais lesdeux filles sentirent tout de suite le malaisequi l’avait submergée. Le malaise qui avait,apparemment, envahi les deux adultes.

–Tu ne devrais pas mentir un soir deNoël, ma petite Caroline, sinon le père noël nepassera pas.

Caroline poussa un soupir. Elle n’avait ja-mais eu de Noël. Pas de cadeau ni de dîner co-pieux. Aujourd’hui était la première foisqu’elle le fêtait. La sorcière ne fut pas longue àsaisir. Elle passa la main dans ses cheveux et

15

Page 16: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

murmura d’une voix douce :

–Tu vas bien t’amuser ce soir. Je passeNoël seule, tu sais, et si tu n’avais rien de pré-vu, je t’aurais bien invitée. Mais ma foi,comme tu es invitée chez ton amie…

Caroline eut un mouvement de recul aucontact de sa main et recula de plusieurs pas.

–Pourquoi ne feriez-vous pas la fête avecJean-Charles ?

Les deux adultes jetèrent un regard éton-né vers Stéphanie puis, ils se regardèrent enriant.

–Jean-Charles fête Noël avec sa femme etson fils... je n'y ai pas ma place...

Caroline se sentit vexée.

16

Page 17: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Est-ce que ça veut dire que je n’ai pas ledroit de fêter Noël ? Parce que je n'ai ni père,ni mère ?

La femme et l’homme échangèrent un re-gard désolé. Mlle Bavent se mordit la lèvre ettenta de remonter le tir.

–Je suis désolée, Caroline, je ne voulaispas dire ça…

Mais la fillette était dans une colère sinoire qu’elle ne semblait plus se maîtriser. Leslarmes affluaient sur ses joues.

–Si tu savais comme tout cela m’afflige. Jevoudrais vraiment que tu aies une vie nor-male.

Stéphanie s’interposa dans la discussion,les bras croisés.

17

Page 18: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je ne veux pas dire, mais je ne vois pasen quoi sa vie peut vous préoccuper…

–Stéphanie ! La réprimanda l’épicier aveccolère.

La jeune fille lui jeta un regard noir.

–Qu’est-ce que vous lui voulez, à la fin ?

–Arrête, Steph… lui souffla Caroline, enjetant des regards inquiets vers les deuxadultes.

–Mlle Bavent n’a pas de compte à terendre, la défendit Jean-Charles.

La sorcière l’interrompit par un geste dela main.

–Tu es bien insolente, dis-moi. fit-elle enrelevant le menton. Et comme Jean-Charles te

18

Page 19: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

l’a dit, tu n’as pas à te mêler de mes affaires…

–Viens, on s’en va…chuchota Caroline entirant son amie vers la porte.

–… mais je vais te faire plaisir, poursuivitla femme en faisant un pas dans sa direction.J’ai beaucoup d’intérêt pour ton amie.

Les deux filles s’étaient reculées.

–Peut-être ai-je certains projets pourelle…

Une ombre passa dans ses yeux.

–Élisabeth… la pressa l’épicier. Arrête, cen’est pas le moment.

–S’il vous plaît, renchérit Caroline en fai-sant mine d’ignorer ses propos. C’est Noël…

19

Page 20: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie battit en retraite. Elle poussaun soupir.

–Tu as raison.

–Je préfère ça, lâcha la sorcière en jetantun regard hautain vers la jeune fille.

–Passez un bon réveillon, acheva l’épicieraux deux filles qui s’apprêtaient à sortir.

–Vous aussi, lança Caroline par-dessusson épaule.

Pendant ce temps, les garçons, toujoursvautrés sur le canapé, commençaient à s’impa-tienter. Le froid extérieur associé à la chaleurde la pièce avait permis la formation de buéesur les vitres.

–Mais qu’est-ce qu’elles font ? S’énerva

20

Page 21: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Franck en se servant du soda pour la dixièmefois.

Ruben lui tapota l’épaule. Il se servit àson tour, se leva et balança la bouteille en plas-tique vide dans la poubelle.

–Ne t’en fais pas ! Je te parie qu’elles sontparties jeter un coup d’œil à la boutique de vê-tements. Les filles raffolent de ce genre dechoses !

–Mais je croyais que le magasin en ques-tion était fermé depuis deux ans ? C'est toimême qui me l'a dit. Et puis, tu m'a dit aussiqu'il ne fallait pas sortir dans cette ville pen-dant la nuit, non ?

Ruben posa la bouteille sur la table basseet vida son verre.

21

Page 22: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

– Tu as raison, admit-il en se laissant re-tomber de tout son poids sur le sofa. Les fillesle savent et elles seront prudentes.

Olivia regardait par la fenêtre. Elle faisaitglisser son doigt sur les carreaux, faisant ainsiapparaître des petits dessins dans la vapeur.Elle s’arracha brusquement à sa tâche et tour-na la tête vers eux.

–Elles sont là !

Les deux filles rentrèrent en se friction-nant les bras et Franck remarqua l’expressionangoissée de Stéphanie. Visiblement, quelquechose s’était produit. Mais tandis qu’elle tour-nait la tête vers eux, elle retrouva son air en-joué et retira son manteau pour le suspendresur le dossier d’une chaise. Caroline s’étaitbaissée pour retirer ses chaussures qui, vu ses

22

Page 23: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

grimaces, lui faisaient mal aux pieds.

–Mais qu’est-ce que vous avez fabriqué ?

–On est passé à l’épicerie de Jean-Charles. Et devinez qui on a vu ?

Franck et Ruben se regardèrent.

–Mlle Bavent ! Coupa Caroline qui s’étaitaffalée sur le canapé et plaçait ses pieds dou-loureux en éventail sur le tapis moelleux.

Ruben et Franck échangèrent un nouveauregard. Mais ils n’ajoutèrent rien et les quatreamis poursuivirent leur soirée en bavardant eten riant. Ils firent plusieurs parties de Brookssur la console de jeux et Caroline, mauvaisejoueuse, ne cessait de rouspéter. Ruben rem-portait toutes les manches. Puis, lassés, ils re-gardèrent un film.

23

Page 24: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

2Caroline et Stéphanie discutaient du film

qu’elles avaient vu le jour précédent en com-pagnie de leurs deux camarades et la discus-sion, comme très souvent, d'ailleurs, aboutis-sait sur une altercation épineuse.

La petite bande s’était installée sur le mu-ret qui s’étalait en face de l’épicerie. Franck etRuben avaient entamé une conversation surles différentes stratégies de leurs jeux vidéo fa-voris et ne cherchèrent pas à intervenir dansl'incartade de leurs amies. Ce qui était sansdoute mieux pour eux vu la tournure hou-leuse que prenaient leurs propos.

24

Page 25: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Le ciel était couvert aujourd’hui, et levent charriait les dernières feuilles encore pré-sente sur la Grande place, de l'autre côté. Entemps normal – si ce mot pouvait encore avoirune signification dans cette ville -, des festivi-tés avaient lieu ici même. Mais cette année nevit pas la moindre patinoire ou stand de barbeà papa, sans doute à cause des nombreuxdrames qui s'y étaient passés ces dernierstemps. Comme d'habitude, rares étaient leshabitants qui se laissaient distraire par cegenre d'attraction.

Stéphanie regarda du côté de l’épicerie.Mlle Bavent venait d’y entrer.

–Mais qu’est-ce qu’elle peut bien y fairedans cette épicerie ? S’interrogea-t-elle touthaut.

25

Page 26: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Elle sort peut-être avec Jean-Charles ?Hasarda Caroline qui fit une grimace presqueaussitôt tant cette idée la mettait mal à l’aise.

–Il est marié, voyons! Tu crois que Jean-Charles s'amuserait à jouer dans deux campsdifférents?

Caroline haussa les épaules et secoua latête.

-Non, il est trop honnête! C'est pas songenre...

–Je voudrais bien savoir de quoi ilsparlent… dit-elle en observant le couple quidiscutait de l’autre côté de la porte vitrée.

–T'es trop curieuse, rétorqua Caroline.C’est pas tes affaires.

26

Page 27: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La jeune fille jeta un regard à son amie.

–Elle parle peut-être des projets dont ellenous a parlés hier ? Tu sais, ceux te concer-nant...

–Tu dis n’importe quoi ! Elle a dit çaparce que tu l’as provoquée. C’est du bluff.

Stéphanie se leva.

–Viens, on va leur dire bonjour.

Caroline croisa les bras sur sa poitrine.

–Non, laisse-les tranquille.

Stéphanie soupira. Elle jeta un regardvers l’épicerie puis se tourna finalement versson amie. Sa curiosité habituelle, pousséequelque fois à l'indiscrétion, avait tendance àl'énerver.

27

Page 28: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je n’avais pas l’intention de lesembêter…

Elle haussa les épaules et reprit sa placesur le muret. Les deux filles restèrent silen-cieuses. Après un moment cependant, Caro-line se tourna de nouveau vers elle.

–Tu crois qu’elle fête réellement Noëlseule ?

–Qui ?

–Ben la sorcière !

–Je n’en sais rien. Pourquoi ?

–Ben parce que ça doit pas être drôle, elledoit pas avoir de cadeau…

–Tu n’en as pas, toi non plus, je te si-gnale, fit remarquer Stéphanie. Enfin, d’habi-

28

Page 29: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

tude.

Pour Noël, les parents de Stéphanieavaient offert à Franck, Ruben, Olivia et Caro-line, une petite bourse contenant quelquespièces.

–Attends-moi là et surveille le magasin,ordonna la fillette qui avait bondi sur sespieds. Si Mlle Bavent sort, occupe-la en atten-dant que j’arrive.

–Où tu vas ?

Mais Caroline était déjà partie. Elle vit sapetite silhouette de l'autre côté de la place,puis elle disparut entre les larges bâtiments ducentre commercial.

De là où elle était, la jeune fille pouvaitfacilement voir ce qu’il se passait dans l’épice-

29

Page 30: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

rie. Apparemment, la sorcière pleurait et Jean-Charles la consolait. Une scène bien étrangequi excita sa curiosité. Mais elle ne bougea pasdu muret et attendit patiemment le retour deson amie. Les deux garçons étaient venus larejoindre.

–Où elle est, Caroline ? L’interrogeaFranck en regardant autour de lui.

–Je ne sais pas. Elle a juste dit que MlleBavent devait être triste les soirs de Noël,seule dans son château.

Elle poussa un soupir sur ses derniersmots. Ruben jeta un coup d’œil en directiondu centre commercial, de l'autre côté de laPlace.

–Qu’est-ce qu’elle mijote ?

30

Page 31: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Elle est peut-être allée lui acheter un ca-deau, hasarda Franck.

Caroline revint après plusieurs minutes.Elle tenait un sac. Bien qu'essoufflée par sacourse, elle semblait ravie.

–Tu as eu ça où ?

Ruben lui indiqua le sachet d’un geste dumenton.

–Je l’ai acheté au centre commercial.

–Il y a des magasins ouverts ? S’étonnaFranck. Pourtant, c'est Noël...

–Jean-Charles a bien ouvert sa boutique,lui fit remarquer Stéphanie.

Caroline hocha la tête. Prés d'elle, Stépha-nie jeta un coup d’œil dans son sac.

31

Page 32: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Qu’est-ce que c’est ?

–C’est un petit bracelet.

Elle fit un pas vers l’épicerie. Ses troisamis, immobiles sur le muret, la regardaientd'un air perplexe.

–Qu’est-ce que tu fais ?

La fillette se tourna vers eux et haussa lesépaules. À ce moment-là, une voiture passa àvive allure, comme toujours par ici, et manqualui rouler dessus. Les pneus crissèrent sur legoudron. Elle se recula juste à temps, le cœurbattant.

Ça va Caroline ?

Ruben se précipita à ses côtés pour l’en-traîner sur le trottoir. Stéphanie jeta un coup

32

Page 33: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

d’œil à l'autre bout de la rue, là où la voiturevenait de disparaître.

C'est toujours pareil, par ici, dit-elle ensoupirant. Les gens prennent la route pour uncircuit de formule un.

Encore une information utile pour lepauvre Franck qui n'était malheureusementpas encore au bout de ses surprises. Le garçonse leva et rejoignit Ruben et Caroline qui trem-blait comme une feuille. De l'autre côté de laroute, Jean-Charles et la sorcière s'étaient pré-cipités hors du magasin. Franck les vit traver-ser la rue pour les rejoindre.

Ma pauvre chérie... souffla la sorcière.

Elle s'avança vers Ruben et Franck quimaintenait Caroline. La fillette tremblait tou-jours et ses yeux étaient révulsés.

33

Page 34: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Elle est choquée, fit remarquer l'épicier,un pli soucieux sur le front.

Leur passant devant, la sorcière entraînala fillette avec elle, tandis que Jean-Charlesadressa un hochement de tête aux trois en-fants.

Cette route est vraiment dangereuse,dit-il à l'intention de Ruben. Faites attentionvous autres, promis ?

L'expression sur son visage leur parut sigrave qu'ils ne purent qu'acquiescer de la têtesans rien dire.

-Élisabeth et moi allons nous occuperd'elle, ne vous inquiétez pas.

Sa voix était plus profonde tout à coup,comme s'il était bien plus troublé par la situa-

34

Page 35: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

tion que Caroline ne l'était. Un peu plus loin,une femme regardait dans leur direction. Ru-ben la remarqua. Peut-être avait-elle vu cequ'il s'était passé ? Bien vite cependant, elle re-prit son chemin et tourna vers le centre com-mercial. Le jeune garçon haussa les épaules.Les accidents de voiture, c'était monnaie cou-rante à Sorrac, malheureusement, bien que lacirculation était assez rare.

Il regarda vers l'épicerie. À travers lavitre, il distingua vaguement l'épicier et la sor-cière qui déplaçaient une chaise pour l'offrir àCaroline.

Tiens, Caroline, bois donc un peu.

Un verre à la main, l'épicier se penchavers elle. Mais Caroline secoua la tête. Dansses mains, elle serrait son sachet contre sa poi-

35

Page 36: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

trine.

Tu as eu de la chance, tu sais, poursuivitl'épicier d'un air inquiet.

Prés d'elle, la sorcière lui attrapa le poi-gnet pour vérifier son pouls. Puis, elle lui ca-ressa doucement la tête.

Calme-toi, tout est fini, tu n'as plus rienà craindre, Caroline.

S'il te plaît, il faudrait que tu boives unpeu, insista Jean-Charles en levant le verre àses lèvres. Fais un effort...

Caroline consentit à sa requête et avalaune gorgée.

Qu'est-ce que tu as dans la main, Caro-line ?

36

Page 37: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La sorcière lui prit la main. À sa grandesurprise, Caroline refusa d'ouvrir son poing.

Est-ce que je peux voir ?

Comme elle ne réagissait toujours pas,elle écarta doucement ses doigts. Sa maintremblait et elle la serra dans la sienne pen-dant un instant.

-C'est pour vous, madame, lâcha lafillette, toujours immobile.

La sorcière échangea un regard avec l'épi-cier. Lentement, Caroline leva les yeux. Sesjambes se mirent à battre l'air sous sa chaise.

–J’ai supposé que personne ne devaitvous offrir de cadeaux pour Noël...

Le visage de la sorcière vira au rouge,

37

Page 38: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

bien qu’elle tentait de masquer son émotiondans un sourire. Jean-Charles pencha la têteau-dessus de son épaule, l’air surprit.

–Tu as volé ça où ?

–Je l’ai acheté !

L’épicier sourit. Visiblement, Caroline al-lait mieux. Son regard vide avait repris un peude vie.

–Tu n’as pas d’argent !

–Les parents de Steph m’en ont donnépour Noël.

Mlle Bavent leva un regard choqué.

–Tu as dépensé tes sous pour moi ?

Comme Caroline ne disait rien, Jean-

38

Page 39: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Charles vint la prendre par les épaules.

–Ce n’est pas un mal, miss, bien aucontraire.

–Tu es gentille, Caroline, la remercia lafemme, visiblement émue.

Elle essuya une larme du revers de samain et déposa un baiser sur son front.

–Ton geste me va droit au cœur. Mais tupouvais te faire plaisir à toi avec cet argent.

À ce moment-là, le joyau de Caroline semit à scintiller. Sa clarté semblait augmenterpeu à peu et de manière assez étrange. Aubout de deux secondes, le bijou devint si étin-celant que la femme et l’enfant, aveuglée,durent se protéger les yeux.

39

Page 40: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

L’épicier, qui participait au spectacle, sedécida à agir. Il prit Caroline par la main etl’entraîna vers lui. Le joyau s’éteignit aussitôt.La fillette resta immobile un instant. Puis sonregard se dirigea tantôt vers l’épicier, tantôtvers la sorcière.

–Est… Est-ce que c’est vous qui le faitesbriller ?

Elle n’attendit pas la réponse et poursui-vit :

–Expliquez-moi pourquoi ?

Jean-Charles avait l’air énervé. Il jeta unregard lourd de reproches vers Mlle Baventpuis se tourna et s’enferma dans l’arrière-bou-tique. La porte claqua.

–Mais bon sang, dites-moi ce qu’il se

40

Page 41: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

passe ?

–Ce serait trop long à t’expliquer.

Elle aussi avait l’air énervé. Elle s’adossacontre la tablette du comptoir, l’expressiongrave. Mais comme Caroline semblait at-tendre, elle poussa un soupir.

–Caroline, je t’assure que je ne sais pasnon plus pourquoi ton bijou s’illumine.

La fillette lui adressa un regard noir.

–Pourquoi vous me l’avez donné ?

–S’il ne te plaît pas, je peux toujours le ré-cupérer…

Caroline parut réfléchir. Elle joua un ins-tant avec le médaillon et leva un visage sup-pliant vers la femme.

41

Page 42: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Non, s’il vous plaît, madame, je l’aimebeaucoup.

Mlle Bavent sourit.

–Oui, je vois ça. Ne t’inquiète pas, Caro-line. Tu peux le garder.

Elle se pencha vers elle puis prit le joyaudans sa main. Mais alors qu’elle effleurait lapierre précieuse, une étrange sensation la par-courut.

Elle ferma les yeux et recula, inquiète.

– Bon sang…

–Quoi ? S’enquit Caroline qui remarquases tremblements.

–C’est étrange… souffla la sorcière en semassant les tempes. Je ne comprends pas… j’ai

42

Page 43: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

eu une brève vision... on dirait que...

Elle secoua la tête pour se ressaisir. Caro-line gesticula un instant. Prenant de nouveaule joyau dans sa main, elle l’examina.

–Jean-Charles a dit qu’il contenait un ma-léfice, se rappela la fillette.

À présent, la sorcière paraissait inquiète.

–Sans doute, Caroline. Si tu veux bien,j’aimerais que tu retournes avec tes cama-rades. Il va falloir que j’ai une discussion avecJean-Charles.

Caroline se pinça les lèvres.

–Vous allez le disputer ?

– Bien sûr que non, voyons !

43

Page 44: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La fillette pivota vers la porte, fit un paset s'immobilisa.

-Joyeux Noël, Mlle Bavent. Que Dieuvous garde...

-Joyeux Noël, ma petite Caroline... MaisDieu m'a quittée depuis longtemps, tu sais.

Elle s'interrompit un instant avant depoursuivre:

-... et merci pour ton cadeau.

Caroline haussa les épaules puis sortitsans rien ajouter. Alors qu’elle refermait laporte vitrée, elle jeta un dernier regard dans lemagasin. La porte de l’arrière-boutique grinçade nouveau et elle vit la silhouette de Jean-Charles apparaître aux côtés de la sorcière.

44

Page 45: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Que se passe-t-il ? S’enquit l’épicier àl’intention de la sorcière.

Celle-ci se releva. Elle avait l’air perdu.

Jean-Charles avait jeté un coup d’œil versl'extérieur et suivit un instant la fillette desyeux, l’air perplexe. La sorcière lui jeta un re-gard grave.

–Qu’y a-t-il ?

–Le médaillon que je lui ai offert… soncontact m’a donné une vision…

L’épicier fronça les sourcils.

–Qu’as-tu vu ?

–Du sang, beaucoup de sang...

–As-tu ensorcelé ce bijou ?

45

Page 46: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La sorcière secoua la tête. Elle se mor-dillait les lèvres et faisait claquer ses onglessur la surface lisse du comptoir.

–Il appartenait à ma grand-mère. Mamère me l’a donné mais jamais encore ce phé-nomène ne s’est produit.

Jean-Charles eut tout d’abord un hoquetde surprise à l’annonce d’une telle révélation.Ce pendentif, ce n'était pas rien. Un cadeauqui avait une très grande valeur sentimentale.Un trésor de famille.

Puis de nouveau, il observa la fillette quivenait de rejoindre ses amis.

–Tu ignores alors pourquoi il s’allume ?

La sorcière suivit son regard. Puis, ellejeta un coup d’œil sur le contenu du sachet

46

Page 47: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

qu'elle tenait toujours dans sa main, extirpa lapetite boite et l'ouvrit doucement. Un braceleten or blanc, orné de quelques pierreries. Caro-line avait dû dépenser une fortune pourl'acheter. Elle fit jouer le bijou entre ses doigts,pensive.

–Je n’ai absolument rien à voir avec toutça, Jean-Charles, crois-moi.

Elle regarda de nouveau dehors. Ellevoyait bien que Caroline et son amie les obser-vaient à travers la vitre.

–Il va falloir s’en occuper, lâcha l’épicierd’un air sombre.

347

Page 48: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La nuit tombait et la cloche de la paroissetinta lentement, égrenant les heures dans le si-lence de mort qui enveloppait à présent laville. La lune, pleine cette nuit-là, répandaitune douce lueur sur les toits, comme pour ras-surer les habitants endormis.

Caroline passa une bonne partie de lanuit à finir ses corvées. Elle n’avait même paseu le temps de manger et elle savait, de toutemanière, que Père Sébastien ne lui permettraitpas de manger à cette heure. La journée avaitété éprouvante et plus le temps passait, plus lafatigue s’accumulait. Son corps était doulou-reux, autant à cause de la faim et de l’épuise-ment qu’à cause de la punition qu’elle avaitreçue une fois encore. Mais ce n'était pas sapremière préoccupation. Quel mystérieux se-cret cachait son pendentif ? Et quel était donc

48

Page 49: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ce sortilège dont lui avait parlé Jean-Charles ?

Une fois qu’elle eut fini son travail, elledescendit jusqu’à la petite pièce qui lui servaitde chambre, déambulant sur la pointe despieds pour ne pas faire grincer les vieillesmarches de bois.

Tandis qu’elle refermait doucement laporte derrière elle, un bruit la fit sursauter.Elle se retourna et scruta la pièce qui baignaitdans l’obscurité. Le bruit se fit de nouveau en-tendre.

–Qui… qui est là ?

-Chut !

Là, c’était juste à côté d’elle. Il y avaitquelqu’un. Elle sentit qu’on plaquait une mainsur sa bouche et qu’on l’attirait.

49

Page 50: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–N’aie pas peur Caroline.

C’est tout ce dont elle se souvenait. Lors-qu’elle ouvrit les yeux, elle n’était plus à la pa-roisse. La sorcière était venue la chercher.

–Pourquoi vous m’avez enlevée ? Et oùon est ?

La sorcière l’examina de haut en bas avecune inquiétude non dissimulée. Son état étaitbien plus pitoyable, dans cette mince chemisetrop grande trop elle. Depuis combien detemps ce vêtement n'avait pas vu une machineà laver ? Elle plaqua ostensiblement la maindevant sa bouche. Puis, elle se ressaisit et luisourit tendrement.

–Nous sommes au château.

Un peu déboussolée, la petite fille ouvrit

50

Page 51: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

de grands yeux. Elle balaya la pièce du regardpuis fronça les sourcils.

–Que voulez-vous ?

–Tu ne le quittes pas, n’est-ce pas ? S’en-quit la sorcière en indiquant le médaillon d’ungeste du menton.

Caroline lui adressa un regard suppliant.

–Vous m’avez dit que je pouvais le gar-der…

La femme hocha la tête. De nouveau, elletendit la main vers le bijou. Il ne brillait plusmais un phénomène identique à celui de l’épi-cerie se produisit. Quelque peu sidérée, la sor-cière tenta une autre approche.

–Peux-tu me le prêter quelques instants ?

51

Page 52: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Hésitante, Caroline lui jeta un regard per-plexe. Elle ne comprenait pas l’intérêt que sus-citait ce bijou. Après tout, c’était bien elle quile lui avait donné. S’il contenait un quel-conque sortilège, elle n'y était pour rien. Ce-pendant, elle consentit à sa requête et détachala petite chaîne dorée.

–Merci, souffla la femme en refermant sesdoigts sur le joyau.

Il ne se passa rien pendant un long mo-ment. Mlle Bavent examina scrupuleusementle pendentif, faisant rouler la pierre sanglanteentre ses doigts. La lumière faisait apparaîtredes reflets sur la surface facettée. Mais avantqu’elle ne réalise finalement la situation, lasorcière fut de nouveau secouée par une vi-sion. Le joyau se mit à briller et elle manqua lelâcher.

52

Page 53: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Que se passe-t-il ? Voulut savoir Caro-line en récupérant le médaillon d’entre sesmains.

–Je… je dois... écoute, Caroline, tu de-vrais me le rendre. Je n’aurais pas dû te ledonner.

Une ombre étrange passa dans les yeuxde la petite fille. Mlle Bavent se pinça leslèvres.

–Non, jamais ! Hurla alors la filletted’une voix qui ne lui appartenait pas.

Son corps s’était raidi et ses yeux, exorbi-tés, lançaient des éclairs. La sorcière parut toutd’abord déconcertée, mais elle comprit trèsvite la situation lorsqu’elle vit apparaître l'au-ra se dessiner autour d'elle. Elle frémit.

53

Page 54: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ce n'est pas vrai...

Le visage qui lui faisait face arborait unebien curieuse grimace. Caroline souffrait. Elleavala sa salive et inspira profondément pourne pas trembler.

–Sors de là ! Rugit-elle en fixant les yeuxde Caroline. Tu n’a pas le droit !

Intérieurement, elle espérait être assezmenaçante pour persuader la force maléfiquede quitter le corps de l'enfant.

–Sors où je viens te chercher !

La colère déformait ses traits à présent.L’aura sembla se mouvoir quelques instantspuis, elle glissa au-dessus de la tête de lafillette qui s’effondra. La sorcière regarda lamasse vaporeuse se déplacer lentement vers

54

Page 55: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

l’autre partie du mur. Elle se précipita vers lecorps de Caroline et posa doucement sa têtesur ses genoux. S’assurant qu’elle ne s'était pascognée en tombant, la sorcière leva les yeuxvers l'ombre qui cherchait visiblement à s'en-fuir. Elle tendit une main et prononça deuxmots dans une langue étrangère. Aussitôt, l'at-mosphère se contracta puis se fissura.

–Retourne d’où tu viens !

Une lumière jaillit subitement de la fis-sure et l’aura noire se trouva comme aspirée.La sorcière se protégea les yeux avec son bras.

–Caroline, ma chérie, réveille-toi !

Lorsqu’elle se réveilla, Caroline constataqu’elle était de nouveau à la paroisse. Avait-elle rêvé la nuit passée au château ? Elle serappela soudain l’épisode qui avait précédé

55

Page 56: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

son rêve et lorsque sa main, d’un geste machi-nal, se referma sur son pendentif, elle poussaun soupir de soulagement.

Elle rejoignit Stéphanie dans la matinée etne put s’empêcher de lui raconter ce qu’elleavait pensé n’être qu’un rêve.

–Tu sais, ça c’est peut-être vraiment réali-sé, lança la jeune fille. N’oublie pas que c’estune sorcière et qu’elle peut très bien t’avoir ra-menée dans ton lit avant l’aurore.

Caroline réfléchit.

–Pourquoi aurait-elle fait ça ? Finit-ellepar demander.

–Je ne sais pas, Caro. Elle t’aime bien.Peut-être qu’elle veut juste te faire profiterd'une vie… de château ? Et puis, n'oublie pas

56

Page 57: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

que c'est Noël! Ça doit être une sorte de ca-deau...

–Un cadeau?

–Pourquoi pas?

–Est-ce que tu crois qu’elle pourrait êtrema mère ?

Sur le moment, Stéphanie manquas’étouffer. Où son amie allait chercher desidées pareilles ? Puis, elle se rappela ce qu'elledisait parfois. D’après elle, sa mère viendraitun jour la chercher à la paroisse. La pauvrefille était en train de prendre ses rêves pour laréalité.

Caro, t’es dingue ! C’est une sorcière !

Oui, mais elle est si gentille avec moi…

57

Page 58: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Nous aussi on est gentils avec toi, ça nefait pas de nous tes frères et sœurs… Regarde,Jean-Charles n'est pas ton père et ça ne l'em-pêche pas de t'aimer quand même...

J'aimerais bien qu'il soit mon père… lan-ça Caroline, les yeux rêveurs.

Stéphanie fronça les sourcils. Son amien’avait apparemment rien écouté de ce qu'ellevenait de dire.

–Après, si tu veux vraiment le savoir, rienne t'empêche d'aller le lui demander…

Caroline fit une moue épouvantable. Der-rière elle, un enfant et sa mère traversaient lejardin où elles se trouvaient.

–Non, je peux pas, j’oserais jamais lui de-mander ça.

58

Page 59: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Le gamin passa devant le banc enbraillant, entraîné par sa mère qui n'avaitguère envie de s'attarder plus longtemps dansle coin. Stéphanie se boucha les oreilles un ins-tant puis, haussa les épaules.

–C’est vrai que ce n’est pas une questionbanale. Si tu veux mon avis, je pense que sielle était ta mère, elle te l’aurait déjà dit.

Caroline baissa la tête alors que son amiemimait la scène avec un tel réalisme qu'on s'yaurait cru.

–Tu as raison, admit-elle, d’une voix quimontrait bien qu’elle était déçue.

À midi, Franck invita ses amis à mangerchez lui.

La salle de séjour n’était pas complète-

59

Page 60: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ment aménagée et plusieurs cartons traînaientpar-ci par-là. Bien que les décorations de Noëllaissaient à désirer, le sapin, quant à lui, dontle sommet touchait le plafond, était resplen-dissant. Ils firent très vite la connaissance desparents de Franck qui leur paraissaient fortsympathiques.

Ils ne cessèrent de discuter durant le re-pas de leurs activités hors du collège. Un véri-table challenge qui méritait bien un peu d'ima-gination. Un peu de poterie par-ci, un peu desport par-là.

L’après-midi ils le passèrent à la paroisse.Le prêtre ayant été convié à une réception àl'extérieur de la ville, ils s’amusèrent à fouillerles catacombes de l’église. La petite pièce étaitinondée de poussière. En soulevant un vaseébréché, Franck tomba nez à nez avec une

60

Page 61: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

grosse araignée qui avait élu domicile dans lapetite crevasse du dessous. Un peu plus loin,Ruben, qui avait fait tomber ses lunettes, setraînait à quatre pattes sur le sol. Il n’y voyaitpas grand-chose sans elles. Quant à Stéphanie,elle farfouillait dans une sorte de coffre où onavait disposait des piles de livres poussiéreux.

–Regarde, ça, Caro!

La jeune fille sortit un livre abîmé, souffladessus pour en retirer l'épaisse couche depoussière, et le posa doucement prés ducoffre.

–Qu'est-ce que c'est? S'enquit Ruben enreplaçant ses lunettes sur son nez.

Il plissa les yeux, retira de nouveau seslunettes et les essuya.

61

Page 62: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Un grimoire, ça alors! J'aurais jamaispensé en avoir un dans les mains un jour! s'ex-tasia Caroline.

Stéphanie l’ouvrit et y jeta un rapidecoup d’œil.

–Tu crois qu’il s’agit d’un livre religieux ?Lui demanda Franck en remarquant l’étrangesymbole qui figurait sur la couverture.

Caroline haussa les épaules.

–Un grimoire c'est pas plutôt pour lessorcières?

–Il est peut-être à Mlle Bavent?

Ruben fronça les sourcils.

–Pourquoi l'aurait-elle laissé là? Et puis,qu'est-ce qu'elle serait venue faire ici?

62

Page 63: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–J'en sais rien, rétorqua Caroline qui sesentait visée par la question.

Elle prit le grimoire des mains de Stépha-nie et ramassa la feuille jaunie qui s’en étaitéchappée. Il y avait des symboles dessus etquelqu’un avait inscrit un texte dans unelangue étrangère. L’écriture était soignée, légè-rement en biais. Un véritable charabia de Ca-ractères bizarre!

Contre toute attente, et en vertu del’étrangeté de cette découverte, Caroline n’eutpas la moindre difficulté pour déchiffrer cequ’il disait. D'ailleurs, elle en fit même la lec-ture à ses amis.

–À travers le temps, tu voyageras et tu nepourras…

Elle n’eut même pas le temps de finir sa

63

Page 64: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

phrase. Un éclair jaillit de nulle part et aspirases amis un à un, de la même manière qu’untas de poussières absorbé par un aspirateurgrandeur nature. Leurs cris furent emportésen même temps qu’eux, comme s’ils s’étaientfondus dans le vide.

Caroline resta seule dans le silence, im-mobile et stupéfiée.

Puis, comme brutalement submergée parune vague d’eau glacée, une terreur incontrô-lable lui arracha un grand cri. Elle chancela,puis s’appuya contre le dossier d’un fauteuilpoussiéreux pour se ressaisir. Que s'était-ilpassé? Elle secoua la tête et cligna des yeux àplusieurs reprises. Mais ses amis avaient réel-lement disparu.

Prise de panique, elle dévala à toute vi-

64

Page 65: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

tesse les marches de l’escalier qui menait à lachapelle et se précipita comme une furie à l’ex-térieur. Elle devait trouver la sorcière. Elle re-monta l’allée qui menait en ville et traversacomme une bombe le centre commercial. Ellelongea le parking, manquant de peu passersous un camion, et courut vers l’amoncelle-ment de magasins où Jean-Charles tenait sonépicerie. Elle priait pour que la femme y soit.Elle arriva en trombe à l’épicerie, essouffléecomme un bœuf, des larmes plein les yeux.Grâce au ciel, la sorcière s’apprêtait justementà partir.

–Mlle Bavent ! Attendez-moi !

Élisabeth Bavent se retourna. Elle n’avaitpas du tout l’air surpris de la voir arriver ainsi.En revanche, sa mine éreintée, fit naître sur seslèvres, un petit sourire amusé. Caroline la

65

Page 66: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

soupçonnait de savoir ce qu’il s’était passé.Peut-être même n’était-elle pas tout à fait in-nocente dans cette affaire ? Peut-être l’avait-elle déclenché à dessein ?

–S’il vous plaît, aidez-moi !

La sorcière se pencha vers elle, posa undoigt sur sa bouche et l’invita à lui emboîter lepas.

–Tu cherches tes amis ma petite Caro-line ?

Son sourire, bien qu’inquiétant à cet ins-tant, ne sembla pas affecter la fillette pour au-tant. Elle la devança et se planta devant ellepour l’obliger à s’arrêter.

–Tu as fait une bêtise maintenant, il fautque tu l’assumes.

66

Page 67: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Elle avait adopté un ton dur et son ex-pression se fit plus grave. Caroline s’agita etl’attrapa fermement par le bras, oubliant, uninstant, la véritable nature de celle qui lui fai-sait face. Elle avait fondu en larmes.

–Mais je ne sais pas quoi faire ! Sanglota-t-elle. Il faut que vous m’aidiez !

Élisabeth Bavent ne dit rien pendant unmoment. Elle s’agenouilla à sa hauteur et chas-sa les quelques mèches de cheveux qui recou-vraient son front. Puis, elle se releva et fixa lecouple de jeunes gens qui descendait del'autre côté de la rue, main dans la main. Ellese pinça les lèvres et entraîna Caroline sous sacape.

Qu'est-ce que vous faites ?

Chut ! Souffla la sorcière. Reste calme.

67

Page 68: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Il n'était pas indispensable qu'on les voitensemble toutes les deux, surtout par ici et ça,la sorcière le savait très bien. D'autant plusque sa réputation auprès des enfants n'étaitpas des plus accommodantes. Caroline nebroncha pas. Après un moment, la femme sepencha vers son oreille et lui chuchota :

–Viens.

Caroline ne put s’empêcher de pousserun long soupir de soulagement. ÉlisabethBavent souleva sa cape au-dessus du sol, ba-layant, au passage, un nuage de poussières, etla recouvrit entièrement. Aussitôt, elles s’éva-nouirent dans l’air.

68

Page 69: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

4–Hou là, j’ai dû louper quelque chose !

–Mais qu’est-ce qu’on fait là ? S’inquiétaFranck en jetant un regard vers son ami.

Celui-ci haussa les épaules et chassa,d’un geste de la main, les quelques mouchesqui étaient venues à sa rencontre. Il poussa ungrognement. Stéphanie s’était redressée en gri-maçant. Visiblement, l’odeur l’incommodaitet elle se couvrit le nez avec sa main. Ça sen-tait l'étable, le crottin et la bouse de vache.Mais que faisaient-ils dans un endroit pareil?Où était donc passée l'église?

Franck descendit de la meule sur laquelleil se trouvait et s’avança jusqu’au panneau en

69

Page 70: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

bois. La porte était entrouverte. Stéphanie etRuben le suivirent.

De l'autre côté, un chemin de terre ser-pentait à travers un amas de petites habita-tions désuètes et décaties. Un peu plus loin,'une barrière en mauvais état délimitait unvaste patchwork de champs verts, jaunes etrouges. Un décor qui n'avait rien à voir avecSorrac, ses trottoirs goudronnés et ses im-meubles gris. L’inquiétude leur serra la poi-trine. Balayant les environs d'un regard an-xieux, ils ne discernèrent pas la moindre par-celle reconnaissable.

À une vingtaine de mètres, accroupieprés d'un large panier empli d'épis de maïs,une femme leur tournait le dos. Ses cheveuxétaient retenus par un foulard sale et les pansde sa jupe trempaient dans le sol boueux. Que

70

Page 71: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

signifiait toute cette mise en scène? Déconcer-tés, ils s'engagèrent sur le sentier et grim-pèrent la pente pour la rejoindre. Où qu'ilspuissent se trouver, il était indispensable poureux de récolter quelques informations.

Bataillant entre les hautes tiges, les troisenfants avancèrent sur le passe-pied entre lesplanches et s'approchèrent prudemment.

–Excusez-nous madame...

La femme se releva, essuya ses mains sursa jupe et se tourna vers eux. Son regard sem-blait les étudier soigneusement les un après lesautres, comme un inventaire quelconque.

-Nous nous sommes perdus, poursuivitRuben en faisant un pas dans sa direction. Et...

Avant qu'il n'achève sa phrase, la femme

71

Page 72: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

poussa un grand cri, retroussa ses jupes et dé-tala comme un lapin.

–Attendez !

Franck retira ses lunettes et les essuyaavec un pan de son pull-over. Il observa uninstant la silhouette en haillons qui traversaitle champ pour rejoindre le sentier.

–Mais pourquoi est-elle partie commeça ? Et c'est quoi cet endroit?

Une charrette passa à ce moment-là sur lechemin. Ruben la suivit des yeux en se grat-tant le menton. Caroline n’était pas avec eux etil la soupçonnait de les avoir, involontaire-ment, transportés en ce lieu insolite. La for-mule prononcée lui revint en mémoire.

–À travers le temps, tu voyageras…, réci-

72

Page 73: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ta-t-il à haute voix.

Devant lui, le visage de Stéphanie s'éclai-ra tout à coup. Elle en était arrivée à la mêmeconclusion, semblait-il.

–Mais oui, bien sûr !

Ruben se pinça la lèvre et leva les mains.

–Elle a dû nous envoyer à une autreépoque.

Cette idée créa en lui un curieux mélanged'excitation et d'angoisse. Une telle chose étaitdonc possible!

–Elle a intérêt à nous sortir de là, mar-monna la jeune fille en frottant ses mains ge-lées l'une contre l'autre.

–Et comment veux-tu qu'elle fasse?

73

Page 74: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie ne répondit pas.

Ils quittèrent le champ boueux pourprendre la direction du petit village un peuplus loin, de l'autre côté d'un amoncellementd'arbres fruitiers. Peut-être trouveraient-ils unpeu plus de renseignements.

Il n’y avait personne dehors, comme si leslieux avaient été subitement abandonnés.D’un côté, ça avait l’avantage de leur éviter dese faire remarquer. Et il valait mieux ne pastrop attirer les regards.

Un hennissement de chevaux se fit brus-quement entendre et l’ombre d’une diligencese dessina peu à peu sur la ligne d’horizon. Lepetit groupe resta un moment immobile, enplein milieu du chemin. Franck éternua à plu-sieurs reprises lorsque le véhicule, soulevant

74

Page 75: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

un nuage de poussières, les devança. Les che-vaux manquèrent les percuter et ils durent sejeter sur le bas-côté.

La diligence s’immobilisa. Le cocher, unhomme vêtu d’un pourpoint bleu roi et d’unlarge col en dentelle, tira les brides et arrêta levéhicule. Il mit pied-à-terre et ouvrit la portede la diligence sans un mot. D’autres hommesen descendirent. L’un d’eux se détachait dulot. Il portait une longue tunique noire et uncrucifix pendait à son cou. Il s’approcha dupetit groupe et les examina attentivement, leregard à la fois intrigué et suspect.

–Vous, suivez-moi !

Stéphanie tenta de fuir mais l’homme quis’était glissé derrière elle, la tenait si fortementque ses efforts ne lui servirent à rien. Les trois

75

Page 76: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

enfants furent entraînés dans le véhicule et onleur ligota les mains.

–Mais où nous emmenez-vous ?

–Sa seigneurie l’évêque d’Évreux désirevous voir.

Les trois enfants échangèrent un regard,perplexe. Évreux? Ruben secoua la tête. S’il serappelait bien ses cours de géographie, Évreuxdevait se situer à au moins huit cents kilo-mètres à vol d'oiseau de leur ville d'origine.Alors non seulement, ils avaient fait un sautdans le temps, mais en plus, ils se trouvaient àdes kilomètres de Sorrac. C'était hallucinant!

La diligence quitta bientôt le petit cheminde terre et roulait à présent sur les pavés enpierre de la ville.

76

Page 77: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ils arrivèrent bientôt devant une im-mense bâtisse de pierre soutenue par de largescolonnes grises. Le long du mur, ils remar-quèrent des gravures inspirées de la Bible ettoutes sortes d’ornements religieux, dont deuxanges de pierres blanches qui semblaient lesobserver de leurs regards éternellement vides.Le cœur battant, Ruben, Stéphanie et Franck selaissèrent entraîner sans opposer la moindrerésistance. Bien que Ruben parût confiant,c’était loin d’être le cas pour ses deux cama-rades dont le visage trahissait une angoisse in-déniable. Un groupe de personnes les dévisa-gea dès leur entrée et on les traîna vers unesorte de tribunal à l’aspect quelque peuétrange. Un homme au visage sévère, les ob-servait d’un œil inquisiteur.

–Qui êtes-vous ? Et d’où venez-vous ?

77

Page 78: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben, le visage inquiet, regarda un ins-tant en direction de l'arcade à sa droite. Del'autre côté un couloir menait on ne sait où.Deux hommes se tenaient immobiles devant lavoûte. Derrière eux, prés de la grande porte,deux autres gardes, droits comme des « i »,semblaient attendre de recevoir des instruc-tions. Ils n'avaient aucune chance de s'enfuir.

Nous... nous sommes perdus... bre-douilla Franck prés de lui.

L'homme fronça les sourcils et les exami-na attentivement.

Et quel est votre pays ? Où fabrique-t-onde si curieuses chaussures ?

Sur le moment, les trois enfants échan-gèrent un regard, intrigués par cette question.Stéphanie jeta un coup d’œil sur ses chaus-

78

Page 79: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sures. Des bottines fourrées en daim marron etnoir. Les deux garçons étaient chaussés debaskets Nike. Qu'y avait-il de si extraordinaireà ça ? Elle ouvrit la bouche pour parler lorsqueRuben, d'un geste de la main, lui indiqua de setaire.

La Scandinavie ! Cria le jeune garçon.C'est en Scandinavie !

À vrai dire, ce nom lui était venu commeça. Ses deux compagnons semblèrent tout aus-si surpris que l’évêque qui se tenait devanteux.

La Scandinavie, dis-tu ?

Il se gratta le menton, les yeux plissés.

Et c'est en Scandinavie qu'ils écriventsur les vêtements ?

79

Page 80: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Sur le moment, personne ne comprit.Franck se pinça les lèvres. Son pull-over arbo-rait son groupe de rock préféré dont l’effigieétait un pentacle ésotérique. Quant à Ruben, leslogan de la marque adiddas était bien visiblesur les pans de sa veste. Quelle que soitl'époque où ils avaient atterris, il savait desource sûre que ce genre de signes ostenta-toires ne se développa qu'à partir de la moitiédu vingtième siècle. En vue des tenues et deleurs regards inquisiteurs, il était plus queprobable que cette mode n'avait pas encore vule jour.

Euh... oui, tenta -t-il de dire bien qu'ilcomprit tout de suite que l’Évêque ne goberaitcertainement pas plus longtemps leurs men-songes.

Ruben, résigné, fit un pas en avant. Lui

80

Page 81: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

aussi avait vu l'incrédulité se peindre sur le vi-sage de leur interlocuteur. Il leva les mains.

–Bon, bon, d'accord ! Nous venons d’uneautre dimension... je sais, c'est un peu tiré parles cheveux mais...

Franck échangea un regard inquiet versStéphanie. Elle grommela quelque chose qu’ilne comprit pas et attrapa Ruben par le bras.

Une vive agitation se produisit parmi lespersonnes présentes et des acclamations furentéchangées. L’homme le dévisagea un momentpuis, il se leva, brandissant un doigt accusa-teur dans leur direction. Son visage, parseméde rides, exprimait une haine farouche, sansdoute destinée à tous ceux qui avaient le mal-heur de se trouver devant ce tribunal.

–Balivernes, que tout cela ! Seule la sor-

81

Page 82: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

cellerie pourrait permettre une telle chose !

Il tourna la tête et s’adressa aux hommesarmés qui gardaient l'entrée.

–Enfermez-les ! Ils seront brûlés désl'aube !

–Ah, bravo…

Ils furent brutalement saisis par les braspar une dizaine d’hommes qui avaient surgiderrière eux et entraînés vers une grandeporte ornée de symboles étranges. Le couloirqu’ils traversèrent était sombre et sentait l’hu-midité. Franck avait tenté de se débattre maisl’homme qui le tenait lui tordit le bras si fortqu’il cessa sur le champ. Ils passèrent de nou-veau une porte et furent poussés en haut d’unescalier en pierre. À cet endroit, l’humidité sefaisait davantage ressentir et la lueur des bou-

82

Page 83: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

gies leur permettait à peine de voir où ils met-taient les pieds. Ils longèrent un autre couloiroù ils furent accueillis par un homme à la car-rure épaisse qui les poussa un par un derrièrede larges barreaux de fer. Alors qu’il refermaitla porte dans un grincement effroyable, il cra-cha par terre et ricana, dévoilant des dents jau-nâtres et inégales. Puis, sans cesser de rire, ils’éloigna d’un pas chancelant vers le couloir.Stéphanie avait enroulé ses doigts autour desbarreaux en gémissant. Quant aux deux gar-çons, ils restèrent silencieux, immobiles dansl’obscurité de leur cachot.

–Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

–J’espère que Caroline va nous sortir delà, soupira Franck. Je n’ai pas très envie d’êtregrillé comme un steak.

83

Page 84: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Mais qu’est-ce qui t’a pris, fulmina Sté-phanie à l’adresse de Ruben. Tu croyais qu’ilsallaient gober cette histoire ?

–De toute façon, on aurait pu dire n’im-porte quoi, ça n’aurait rien changé.

Stéphanie se laissa glissa le long du murfroid en soupirant.

–Qu’est-ce qu’on va devenir ?

5Caroline se retrouva dans le château de la

sorcière. À vrai dire, elle reconnut tout desuite la pièce où elle avait été emmenée.C’était là que la sorcière les avait enfermés,

84

Page 85: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben et elle. La cage n’y était plus, évidem-ment. Mais elle se souvenait clairement dusort cruel qu’elle avait fait endurer à son amiet elle fut subitement saisie d’un doute. Est-ceque la sorcière allait réellement l’aider ous’agissait-il d’un plan machiavélique visant àlui nuire ? Elle gesticula un instant, mal à l’aiseet observa attentivement le visage de la femmedu coin de l’œil. Rien ne semblait laisser sup-poser la nature de ses intentions. Elle avait ou-vert son grimoire et en lut quelques pages. Surune petite table à sa droite, Caroline remarquaplusieurs flacons de forme étrange contenantdes substances noires et blanches, ainsi qu'unebonbonnière où s'agitaient ce qui lui semblaitêtre des crapauds. Un peu plus loin, sur unguéridon, un mortier de couleur blancheconservait une matière rougeâtre qu'elle jugeapréférable d'ignorer la provenance.

85

Page 86: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Écoute-moi Caroline, murmura la sor-cière qui s’arracha brièvement à sa lecture. Jeveux bien t’aider à sauver tes camarades. Maisj’aimerais que tu fasses quelque chose enéchange.

Caroline la dévisagea, l’expression à lafois grave et quelque peu surprise par cette re-quête.

La sorcière sourit.

–En fait, il s’agit d’une mission que jevoudrais te confier. Là où nous allons nousrendre, il y a une personne qui m’est chère etqui se trouve empêtrée dans une mauvaise si-tuation. Je m’occuperais de tes amis mais toi,j’aimerais que tu lui viennes en aide.

La fillette la regarda avec effroi.

86

Page 87: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Quoi ? Vous allez me laisser touteseule ?

Mlle Bavent hocha la tête.

–Je dois te dire autre chose, Caroline.

Elle s’approcha et se pencha vers elle. Ca-roline frémit.

–Tu te souviens de ce que je vous ai ditlors de votre visite ?

Caroline fronça les sourcils un instantpuis hocha la tête.

–Eh bien, je ne vais pas entrer dans lesdétails, car le temps ne joue pas en notre fa-veur. Mais la formule que tu as prononcée n’apu avoir d’effet que si tu possèdes le gêne. Jepense que tu le sais déjà, Caroline, ou que tu

87

Page 88: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

t’en doutes.

Elle s’interrompit un instant.

–Tu es une sorcière.

Caroline ouvrit de grands yeux.

–Je suis une sorcière… souffla-t-elle toutbas, comme si elle avait du mal à y croire.

Mlle Bavent lui caressa un instant les che-veux.

–Tu es une petite sorcière… répéta lafemme.

Puis, elle se redressa et s'avança vers latable où Caroline avait vu les fioles et leurscontenus étranges. Elle en prit une, la noire,l'examina et en versa un peu dans le creux desa paume. Ce n'était pas liquide, mais se pré-

88

Page 89: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sentait comme une sorte de poudre.

–Le temps presse, Caroline, dit-elle en re-venant prés d'elle. Je vais faire en sorte que tupuisses user de tes pouvoirs pour porter tamission à bien.

Sur ces paroles, Mlle Bavent lui tournalentement autour, traçant, à l'aide de lapoudre noire contenue dans sa main, un cerclequ'elle prit soin de bien refermer.

-Ne bouge surtout pas.

Elle se tourna de nouveau vers la table,ouvrit un tiroir, où elle farfouilla un moment,et en sortit une petite craie de la même cou-leur. Caroline l'observait alors qu'elle inscri-vait à l'aide de ses deux mains, une série demots étranges, juste à l'extérieur du cercle.

89

Page 90: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

-Vous faites quoi? Finit-elle par deman-der avec inquiétude.

-Ceci est un cercle magique qui te proté-gera pour le rituel.

Caroline ne dit rien. De toute façon, ellen'avait pas d'autre choix que de lui faireconfiance. C'était bien elle qui était allée lachercher.

La sorcière prononça quelques mots etposa doucement sa main sur le sommet de satête. Puis, laissant la fillette en prise à de mul-tiples questionnements, elle retourna devantson grimoire et récita une nouvelle incanta-tion.

Caroline avait fermé les yeux. Une lu-mière aveuglante avait surgi subitement toutautour d’elle. Cependant, lorsqu’elle les rou-

90

Page 91: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

vrit, la pénombre qui l’enveloppait n’avait riende très rassurant et elle comprit tout de suitequ'elle n'était plus au château. Où donc la sor-cière l'avait-elle envoyée ? Une horrible odeurimprégnait les lieux et elle se plia en deuxpour vomir. Elle entendait un cliquetis régu-lier qui devait provenir de quelque part au-dessus d’elle. Comme elle tentait de bouger,ses mains entrèrent en contact avec ce qui luisemblait être une jambe. Elle manqua pousserun cri. Une petite fenêtre encrassée lui ren-voyait une faible lumière ce qui lui permit fi-nalement de distinguer un corps étendu. Despetits couinements atterrés non loin d'elle luiindiquèrent que l’endroit devait être envahipar les rats. Le corps près d’elle appartenait vi-siblement à une femme. Elle était recouvertede ce qui ressemblait à une robe de religieuse,déchirée à plusieurs endroits et elle avait aper-

91

Page 92: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

çu un semblant de poitrine féminine. Elle de-vait probablement dormir.

L’angoisse la gagna brutalement. Que de-vait-elle faire ? S’agissait-il de la personnequ’elle devait aider ?

Elle se glissa doucement sur le sol hu-mide et observa la silhouette recroquevillée. Ily avait des lambeaux de chair qui pendaient àses mollets et des plaies sanguinolentes auxendroits où le tissu était déchiré. Elle ne voyaitpas son visage, juste ses cheveux emmêlés etcrasseux qui traînaient au sol. Ce spectacle luifaisait mal au cœur. Dans un coin de la pièce,il y avait des restes de nourritures que les ratsavaient apparemment commencé à grignoter.Ça sentait les excréments, la transpiration et lapourriture. De nouveau, elle régurgita abon-damment. Jamais elle n’avait senti pareille

92

Page 93: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

puanteur.

Elle se pencha. La plaie sur son mollet, re-montait sur son tibia jusqu'à son genou et dis-paraissait ensuite sous ses jupes. Elle n'osa pasregarder plus loin. Prenant un forte inspira-tion, elle déchira une bande de tissu de sonpropre tee-shirt et alors qu'elle attrapait lajambe lourde pour l'enrouler autour, elle re-marqua un étrange phénomène. Sous la pulpede ses doigts, la plaie semblait s'atténuer,comme prête à entamer sa cicatrisation. Unfourmillement aigu la saisie au creux de sespaumes. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Alorsqu'elle examinait, avec un intérêt grandissant,la plaie qui se refermait sous ses yeux aucontact de ses doigts, un brusque tournis suivide tremblements incontrôlables la fit chance-ler. Elle secoua la tête. Le monologue de la sor-

93

Page 94: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

cière commençait à prendre forme dans sonesprit. Elle était donc une sorcière. Et une sor-cière avait sans conteste des pouvoirs. Pou-vait-elle guérir ainsi les blessures par unsimple contact ? Tout cela lui paraissait si in-croyable qu'elle en avait presque la chair depoule. À présent, la plaie avait totalement dis-paru. Devait-elle guérir toutes ses blessures ?Était-ce la raison pour laquelle la sorcièrel’avait emmenée ici ?

Elle poussa un soupir et regarda le corpsétendu. La femme ne s’était même pas ré-veillée et si elle n’avait pas perçu le mouve-ment de sa respiration, elle aurait probable-ment pensé qu’elle était morte.

Elle plaqua sa paume, tout entière, cettefois, sur une des plaies. De nouveau, des four-millements se mirent à lui picoter les chairs,

94

Page 95: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

bientôt suivis par un violent tournis et destremblements convulsifs. Jamais elle n'auraitpensé que l'usage de ses pouvoirs pouvait dé-clencher de tels vertiges. Est-ce que la sorcièreavait les même symptômes lorsqu'elle utilisaitsa magie ?

Aussitôt et comme la première fois, lapeau se referma comme par enchantement.D'ailleurs, n'était-ce pas de la magie quis'échappait à présent de ses doigts ? Cette idéela fit trembler de plaisir. Avec ses pouvoirs,elle pourrait faire tant de choses ! Se débarras-ser du curé, retrouver sa mère, sauver la pla-nète de la pollution et les gens de la pauvreté...Mais l'heure n'était pas à l'inventaire de cegenre de chose. Elle avait une mission.

Au fur et à mesure de sa tâche, l'énergievint très vite à lui manquer. Les étourdisse-

95

Page 96: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ments qu'elle ressentait, devaient y être pourquelque chose. Et comme la femme ne sem-blait pas décidée à se réveiller, elle s'accordaun petit moment de répit. Posant sa tête contresa jambe, elle s'allongea et ferma les yeux.Mais très vite et sans s'en rendre compte, elles’endormit brutalement.

6Stéphanie, Ruben et Franck étaient restés

silencieux. Tous se tenaient contre le mur froidet humide, les genoux repliés contre la poi-trine. Leur amie allait-elle réellement leur por-ter secours ? Savait-elle au moins où ils étaient? Stéphanie pleurait silencieusement. Les deuxgarçons pouvaient l'entendre aisément et à

96

Page 97: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

vrai dire, ils ne trouvaient rien à lui dire pourla réconforter. Si Caroline n’intervenait pas, ilsn’avaient aucune chance d’échapper au bû-cher. Et plus le temps passait, plus l’espoir di-minuait.

Un courant d’air tombant d’une étroitefenêtre, trop haute pour qu’on puisse l’at-teindre, agitait la flamme d’une unique chan-delle, fichée dans une petite niche. La cellulecirculaire ne comportait aucun meuble. Unecouche de paille couvrait les dalles humidesdu sol.

-Il fait froid ici, souffla Franck et se fric-tionnant les avant-bras.

- Cela n’a plus guère d’importance, detoute façon, marmonna le garçon à ses côtés.

Il leva les yeux vers la petite fenêtre qui

97

Page 98: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

lui faisait face. À travers les barreaux, la lu-mière du jour déclinait lentement. Il renifla.Demain, dès l’aube, ses amis et lui finiraientleurs jours consumés par les flammes. Jamaisencore il n’avait eu si peur, et ce malgré toutesles épreuves qu’il avait endurées avec Stépha-nie et Caroline. Il demeura silencieux un mo-ment, méditant sur le sort tragique qui les at-tendait. Leur avenir lui paraissait bien sombre.

- Caroline viendra nous sauver, tenta dele rassurer Franck d’un ton qui montrait bienqu’il n’y croyait pas non plus. Ou peut-êtremême la sorcière…

- Mlle Bavent se soucie guère de nous, ditRuben. Et Caroline ne parviendra jamais ànous sortir de là sans son aide. Elle ne doitmême pas savoir où on est.

98

Page 99: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

- Mlle Bavent serait au contraire biencontente de ne plus nous avoir dans les pattes.

Les deux garçons tournèrent la tête versla jeune fille. Les larmes aux yeux, elle se mor-dit la lèvre inférieure pour l’empêcher detrembler.

- Pff, bon débarras !

Aucun des deux garçons ne chercha àcontredire ses propos. Franck fourra sa têtedans ses bras et renifla bruyamment.

Une nappe de brouillard s’éleva non loind’eux. Une fumée dense et grisâtre. Et pour-tant, là où ils se tenaient, il leur était impos-sible de la voir. La silhouette de Mlle Baventse matérialisa dans un coin de la petite pièce,là où la lumière venait à manquer.

99

Page 100: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Allez, les enfants, venez avec moi.

Ruben fut le premier à réagir. Il se redres-sa et scruta l’obscurité. Cette voix, il laconnaissait. Et ce n’était pas celle de Caroline.Une main le saisit par le bras.

–Donnez-moi la main.

À sa gauche, Stéphanie et Franck se le-vèrent à leur tour. Tout se déroula très vite parla suite. Il attrapa la main de Franck, Franck,celle de Stéphanie et Stéphanie parvint àprendre celle que lui tendait la sorcière.

7Caroline fut brusquement réveillée par

100

Page 101: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

une main qui caressait ses joues. Elle poussaun petit cri et tenta de se redresser sans y par-venir. Un visage entra dans son champ de vi-sion.

–J’ignorais que les anges étaient aussibeaux…

De nouveau, la fillette tenta de se redres-ser. La femme l’avait coincée entre ses genoux,ce qui rendait sa tâche impossible. L’odeurnauséabonde qui émanait d'elle était si forte àprésent qu’elle manqua vomir une nouvellefois. Elle se boucha le nez.

–Que tu as la peau douce… et qu’est-ceque tu sens bon !

Puis elle se mit à tâter ses bras et son dosde manière assez brutale.

101

Page 102: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Où sont tes ailes ? L’interrogea la femmequi la força à se plier en avant. Je croyais queles anges avaient des ailes…

Caroline poussa un grognement. La sor-cière lui avait dit de ne pas être brutale avecelle, mais cette femme, en revanche, ne sem-blait pas se gêner pour l’être. Elle avait l’im-pression d’être une poupée entre les mainsd’une fillette aux gestes brusques. La femmeplia davantage les genoux pour rapprocherson visage du sien et elle la regarda droit dansles yeux. Ses lèvres se retroussèrent, dévoilantdes dents tâchées de moisissures. Son soufflefétide lui retourna le cœur.

–Viens-tu pour m’emmener au paradis ?

Caroline fronça les sourcils. Mlle Baventavait dû oublier de lui dire que cette femme

102

Page 103: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

était cinglée. Elle secoua la tête.

–Je suis pas un ange, lâcha subitement lafillette.

La femme cessa enfin son tripotagepresque impudique et caressa son visage. Elleétait belle et Caroline put aisément reconnaîtreles traits fins et familiers de la sorcière. Proba-blement étaient-elles de la même famille. Maiselle ne comprenait pas pourquoi la sorcière luiavait donné cette mission. Elle était beaucoupplus qualifiée pour le faire. De plus, cettefemme la mettait mal à l’aise.

–Tu n’es pas un démon, dit-elle avec cer-titude. Mais tu as guéri mes blessures…

Enfin une parole sensée.

–Je suis Caroline, souffla-t-elle, à moitié

103

Page 104: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

écrasée par le poids de sa jambe. Je suis un hu-main, comme vous…

Elle regretta amèrement d’avoir prononcéces paroles. Contrairement à ce qu’elle espé-rait, la femme l’étreignit avec fougue, l’enter-rant presque sous elle. Elle lui écrasa le visagecontre son sein et embrassa fiévreusement sonfront. Et dans la position où elle était à pré-sent, elle ne pouvait plus bouger du tout.

–Oh, Jésus, Marie, Joseph ! C’est le sei-gneur qui t’envoie… il me pardonne mes pé-chés et me donne l’enfant dont je rêvais.

–Mlle Bavent ! Parvint à crier la fillette.

La femme la berça un instant, la joue po-sée contre la sienne.

–Non, pas Mlle Bavent. Appelle-moi Ma-

104

Page 105: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

man, mon bébé.

C’en était trop. Elle s’agita et éclata ensanglots. Le but de Mlle Bavent ne devait pasêtre sans intention particulière. Elle commen-çait à comprendre son petit jeu.

–Lâchez-moi, je vous en prie…

–Je suis là pour vous aider, l’informa Ca-roline. Je suis une sorcière et j’ai guéri vosblessures… mais maintenant, il faut partir.Est-ce que vous avez encore mal quelquepart ?

La fillette avait posé sa main sur sonventre et la femme roula sur le dos. Elle plaçasa main sur celle de l’enfant avec douceur,cette fois et la guida sur son côté droit.

–Ici, dit-elle.

105

Page 106: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Elle attendit un instant et fit remonter samain sur son sein droit.

–Et ici, aussi.

Caroline se mordit la lèvre et rougit mal-gré elle. Puis, elle retira sa main et se releva.

–Levez-vous. Il faut partir.

Mais la femme secoua la tête.

–Non, je ne peux pas. Je suis trop faible.

La fillette lui prit le bras et le fit passerau-dessus de son épaule. Puis, elle tenta de lasoulever. La femme était bien trop lourde pourelle et elle perdit l’équilibre.

–Ne reste pas là, mon enfant. Haleta lafemme, le souffle court. Maintenant que je saisque tu existes, je partirais l’esprit tranquille. Je

106

Page 107: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

garderai le souvenir de ton beau visage jus-qu’à mon dernier souffle.

De nouveau, Caroline poussa un grogne-ment. Cette femme délirait. Elle ne pouvaitpas la laisser comme ça, mission ou pas. Etpuis, mis à part son étrange obsession, ellen’était pas bien méchante.

–Je vous en prie… sanglota-t-elle en sefrottant les yeux. Je veux pas vous laisser là,faites un effort.

La femme tendit une main vers elle et ca-ressa sa joue. Ses yeux étaient pleins delarmes. Caroline se pencha au-dessus d’elle etenroula ses bras autour de sa taille pour tenterune nouvelle fois de la lever. Devant ses ef-forts acharnés, la femme consentit à se redres-ser. Debout, elle paraissait gigantesque à ses

107

Page 108: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

yeux et elle songea qu’elle n’aurait jamaisréussi à la soulever toute seule. Elle était dansun piteux état. Et, bon sang, qu’est-ce qu’ellesentait mauvais !

La fillette se boucha le nez une nouvellefois, le cœur au bord des lèvres, et attrapa samain. Puis, elle ferma les yeux. Elle ne savaitpas très bien comment faire fonctionner sespouvoirs. Elle se contenta juste de penser àMlle Bavent et à ses amis et formula le souhaitde les rejoindre au plus vite.

8–Où est Caroline ?

Ils se trouvaient aux abords d'un petit

108

Page 109: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ruisseau, sur une petite étendue herbeuse par-semée de grosses pierres. Bien qu’ils se trou-vassent à l’air libre, une odeur pestilentielleflottait autour d’eux, tenace. Stéphanie se bou-cha le nez.

–Je trouve que tu as une bien curieuse fa-çon de me remercier, souligna la sorcière d’unair hautain.

Franck s’était penché au-dessus du petitcourt d’eau et se nettoya un peu le visage.L’eau était glacée.

–On ne s’attendait pas vraiment à ce quece soit vous qui veniez nous aider…

–Je m’en doute, mon garçon, lui réponditla femme en lui adressant un sourire. Tonamie m’a tout raconté.

109

Page 110: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie lui jeta un regard soupçon-neux.

–Je ne savais pas que Caroline pouvait semontrer persuasive …

Mlle Bavent secoua ses cheveux.

–Nous avons convenu d’un accord.

Ruben, qui demeurait silencieux jusqu’àprésent, se sortit subitement de ses réflexions.

–Comment a-t-elle fait ça ? Est-ce quec’est elle ? Je veux dire, la sorcière ?

Mlle Bavent ne dit rien. Son regard bleuse perdit un instant vers la haute bâtisse enpierre qui s’élevait de l’autre côté du ruisseau.

–Oui.

110

Page 111: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie se ressaisit et échangea un re-gard vers Ruben.

–Elle va vouloir en savoir plus sur ses ori-gines… murmura la jeune fille, l’air pensive.

Ruben opina du chef.

–Et elle va probablement vous question-ner sur, euh… sur l’identité de sa mère.

–Oui, ajouta la jeune fille qui se tenait àprésent prés du garçon. C'est une obsessionchez elle...

L’expression de la sorcière les troubla.Elle souriait toujours, mais une étrange clartéilluminait ses yeux.

–Rien ne dit que je sois en mesure de luirépondre, leur fit-elle remarquer.

111

Page 112: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie resta un moment, songeuse.Elle s’était assise dans l’herbe et jetait des pe-tits cailloux dans l’eau.

–Elle m’avait demandé si vous pouviezêtre sa mère, s’entendit-elle prononcer touthaut. Sa véritable mère.

La femme lui adressa une grimace.

–Je ne sais pas où elle a pu imaginer detelles choses.

–Ce n’est pas vous, alors ? S’enquitFranck, surpris.

La sorcière éclata de rire.

–Non, bien sûr que non.

Alors qu’elle achevait sa phrase, une vivelumière jaillit brusquement, coupant court à

112

Page 113: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

leur conversation. Deux formes se matériali-sèrent.

–Caroline !

La fillette mit du temps à réaliser ce qu’ils’était produit. La voix de son ami la sortitbrutalement de sa torpeur et elle releva la tête.Son regard croisa tout d’abord celui de lafemme à ses côtés puis, elle tourna la tête. Sté-phanie, Franck, Ruben et la sorcière étaient là.Elle se précipita vers eux.

–Quel soulagement ! S’écria Ruben qui lasouleva du sol pour la serrer contre lui.

Caroline chancela brièvement lorsque sonami la reposa au sol puis, elle secoua la tête etjeta un regard noir vers la sorcière.

–Pourquoi vous m’avez envoyée là-bas ?

113

Page 114: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Élisabeth eut un hoquet de surprise.

–Ne me dis pas que tu n’as pas aimé ?Fit-elle, non sans lui dissimuler son amuse-ment. Je sais que tu adores être câlinée.

Elle n’en dit pas plus et s’avança vers lafemme.

–Élisabeth, souffla cette dernière, visible-ment ravie. J’aurais dû me douter que cette en-fant était de toi…

Ruben, Franck et Stéphanie échangèrentun regard. Puis, leur attention passa succincte-ment de Caroline aux deux femmes.

La fillette était devenue toute rouge. De-vant les regards interrogatifs de ses cama-rades, Caroline s’empressa de préciser :

114

Page 115: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Euh… ils parlent tous bizarrement ici,leur dit-elle tout bas. Et puis cette femme estun peu folle. Elle croyait que j’étais un angedescendu du ciel. Et après, elle s’est mise àfantasmer sur Dieu et elle n’arrêtait pas de meprendre pour son enfant…

Ses trois camarades éclatèrent de rire.Mlle Bavent et la femme s’avancèrent verseux, après une longue étreinte.

–Je vous présente Magdeleine Bavent,leur dit-elle.

Ruben ouvrit de grands yeux. C’était ellequi était à l’origine de la malédiction. À vraidire, il était loin de l’avoir imaginée ainsi. Elleétait belle. Près de lui, Caroline s’était mise às’agiter.

–Évidemment ! Soupira-t-elle. C’est une

115

Page 116: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sorcière et j’ai dû user de mes pouvoirs pour laremettre sur pied alors qu’elle n’en avait pasbesoin…

Elle adressa une grimace aux deuxfemmes et croisa les bras sur sa poitrine. Lesdeux sorcières échangèrent un regard amusépuis, Magdeleine éclata de rire.

–Cette enfant est très drôle, fit-elle remar-quer à l’adresse d’Élisabeth.

Celle-ci hocha la tête et remonta sa ca-puche. Des nuages gris commençaient às’amonceler dans le ciel et l’air était frais.

Magdeleine resserra sa robe sale sur sesépaules et les invita à la suivre. Ils prirent lesentier qui longeait la rivière et entamèrentune progression pénible vers la ville. La pentequ’ils gravissaient était raide et les filles, loin

116

Page 117: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

derrière le petit groupe, ne cessaient de râler.

–Où allons-nous ? Demanda Ruben auxdeux sorcières qui marchaient en tête du cor-tège.

Il dut courir au-devant d’elle tant leurspas étaient rapides. Élisabeth faisait mine deretirer une poussière de son œil.

–Je vous emmène au monastère, lui ré-pondit Magdeleine. Vous devez avoir faim etla nuit ne va pas tarder à tomber.

–On ne rentre pas chez nous ? IntervintFranck qui les avait rejoints.

Élisabeth secoua la tête.

–Pas tout de suite.

– Pourquoi ?

117

Page 118: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je vous expliquerais ça plus tard... fit-elle sans se retourner.

–Mais...

La femme leva la main pour leur impo-ser le silence. La route fut longue et davantageéprouvante que la pluie avait commencé àtomber. Ils passèrent devant des habitationsdésuètes et traversèrent des champs d’orges etd’avoines. De temps en temps, au loin, unfiacre passait, propulsant derrière lui unnuage de poussières. De hautes bâtissesavaient pris forme sur la ligne d’horizon alorsque le jour déclinait lentement. Magdeleines’était immobilisée.

–Nous allons devoir traverser la ville, lesinforma-t-elle en se tournant vers eux.

Élisabeth leva un doigt vers Ruben.

118

Page 119: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Stéphanie et Ruben, vous suivez Magde-leine, ordonna-t-elle d’un ton sans appel. Ca-roline et Franck, avec moi.

Magdeleine convia Stéphanie et Ruben àmarcher près d’elle et, alors qu’ils arrivaientaux portes de la ville, elle se baissa et les sou-leva sans peine. Franck et Caroline en res-tèrent sans voix. Ils échangèrent un regardpuis se tournèrent vers la sorcière. De nou-veau, Franck regarda vers la ville. Ils s’étaientévaporés.

Caroline haussa les épaules.

–Moi aussi je peux faire ça, fit-elle aveccertitude. J’ai bien aidé votre, euh… grand-mère à sortir de sa prison…

La sorcière secoua la tête.

119

Page 120: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je n’en doute pas, Caroline. Mais tu ou-blies que nous sommes trois.

Elle se baissa à son tour et, d’un signe dela main, les invita à venir près d’elle.

–… et puis, Magdeleine t’a aidé…

Les deux enfants virent la ville défiler àtoute allure. Impossible de voir si des gens lesobservaient ni même d’apprécier le paysage.Caroline avait fermé les yeux et Franck étaittrop surpris pour les fermer. La sorcière lesserrait très fort et le vent et la pluie leur cin-glaient le visage. Les odeurs de la ville, fétideset croupissantes, contraignirent Caroline à vo-mir copieusement.

Ils retrouvèrent Magdeleine, Ruben etStéphanie sur un sentier. La ville était derrièreeux à présent et les deux sorcières parurent

120

Page 121: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

soulagées.

–Nous ne sommes plus très loin, dit Mag-deleine en reprenant sa marche.

Bientôt, ils arrivèrent en vue du monas-tère de Magdeleine qui apparaissait entre lesarbres. À en juger par l’étendue du regard deleur hôtesse, le bâtiment était très grand. Ilscommencèrent à grimper une pente. L’obscu-rité qui régnait sous les arbres masqua le peude lumière que le soir tombant leur offrait en-core. Plus ils montaient, plus il faisait froid etle vent leur envoyait un crachin glacé dans lafigure. Ils quittèrent le petit bois et traver-sèrent une clairière. À proximité des arbres,l’herbe était plus haute et piquetée de jacinthessauvages. Il faisait plus sombre à présent, lalumière déclinant sur la ligne d’horizon. Ilssuivirent Magdeleine jusqu’à un portail de fer

121

Page 122: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

qui ne leur arrivait pas plus haut que la cein-ture. De l’autre côté, un chemin de gravier ser-pentait entre des tapis de tulipes rouge etjaune. Au bout du sentier, ils gravirent un es-calier aux marches glissantes jonchées demousses et marchèrent sous le cloître exté-rieur, enfin à l’abri des bourrasques et de lapluie. Les colonnes étaient envahies de lierre.

Les deux sorcières marchaient toujoursen tête, loin devant les quatre enfants qui pei-naient dans leurs vêtements alourdis par lapluie. Leurs silhouettes semblaient flotter tantleurs pas étaient silencieux.

Enfin, elles s’arrêtèrent devant unegrande porte en bois vermoulue.

–Nous y sommes.

Le monument paraissait encore plus

122

Page 123: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

vaste vu de l’intérieur avec ses arceaux depierre et ses hautes voûtes. La nef centrale, quimenait aux marches de l’autel, était très large.Chaque statue était dorée à la feuille d’or et lesmurs étaient recouverts de marbre. Rien à voiravec les monastères qu’ils avaient déjà eu l’oc-casion de visiter avec l’école. Des cierges brû-laient à chaque coin. Jamais ils n’avaient vupareils cierges. Plantés dans de gigantesqueschandeliers, ils avaient presque la taille d’unhomme. Caroline s’était immobilisée sur leseuil et ses yeux, grands ouverts, balayaientles lieux avec une sorte de fascination. Puis,elle fit quelques pas à l’intérieur et observa lesreliques, les piliers et les mosaïques qui l’en-touraient. Ruben avait sifflé entre ses dents.

–Le monastère a été déserté, les informala femme.

123

Page 124: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben se tourna vers elle.

–Pour quelle raison ?

–Certaines de nos pratiques sont montéesaux oreilles de l’Évêque et bon nombred’entre-nous ont fini au bûcher...

Caroline s’arracha à sa contemplation etlui jeta un regard noir.

–C’était quoi vos pratiques ?

–Ces choses-là ne te concernent pas, Ca-roline, ce ne sont pas tes affaires, lui dit Élisa-beth d’un ton dur.

De nouveau, Magdeleine les invita à lasuivre. Ils passèrent sous une arcade et traver-sèrent un long couloir dont la pierre jaunedonnait une lumière étrange. La femme s’im-

124

Page 125: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

mobilisa un instant devant une petite niche oùbrûlait une chandelle et s’en empara.

–Suivez-moi, leur dit-elle en poussantune lourde porte qui grinça sur ses gonds.

–En quelle année sommes-nous ? Deman-da Ruben en examinant une des reliques quiornaient le couloir.

–En 1645.

Caroline et Stéphanie en restèrent bouchebée. Immobiles, les deux filles échangèrent unregard. Élisabeth se tourna vers elle d’un airamusé.

–C’est là que tout a commencé…

–Tout quoi ? L’interrogea Stéphanie qui,la première, retrouva l’usage de la parole.

125

Page 126: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben fut plus rapide.

–La malédiction, lâcha-t-il en regardant lasorcière qui hocha la tête. La malédiction deSorrac. C’est elle, la première, à avoir mauditla ville.

Il avait pointé un doigt accusateur versMagdeleine.

–Ne m’accuse pas d’un événement qui nes’est pas encore déroulé. Je n’ai encore rienfait.

Franck secoua la tête pour remettre del’ordre dans ses pensées.

–Mais vous n’êtes pas obligée de le faire,fit-il avec une pointe d’espoir dans la voix.

–Si.

126

Page 127: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Tous les regards se tournèrent vers Caro-line, toujours immobile, les yeux fixés surMagdeleine.

–Elle a pas le choix, poursuivit-elle dansun murmure.

–Pourquoi ?

–Parce que si elle le fait pas, la sorcièreserait pas là…

Stéphanie ricana.

–Ce n’est pas une grosse perte !

Franck lui donna un coup de coude alorsqu’Élisabeth lui adressait un regard glacial.

–… nous ne nous serions jamais rencon-trés, poursuivit-elle. Et… je crois même qu’au-cun de nous ne serait né.

127

Page 128: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Devant la gravité de ses propos, Ruben etFranck jetèrent un regard incrédule vers lesdeux sorcières. Élisabeth avait hoché la tête etobservait la fillette avec fierté.

–Je ne vois pas en quoi le fait que la villesoit maudite pourrait nous empêcher denaître, dit Stéphanie.

–Le destin, ma fille, souffla Magdeleineen leur faisant signe de la suivre.

Des marches en pierre, salies de pous-sière, s’enfonçaient dans les ténèbres. Malgréla lueur de la chandelle, ils n’y voyaient pas àun mètre.

–C’est aberrant, s’écria Ruben alors qu’ilsdescendaient lentement l’escalier en se tenantau mur froid.

128

Page 129: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

On avait placé là une grande table devantune idole en bronze et un vitrail, à peine plusgrand qu’un hublot, formait un petit rectanglede lumière sur le sol carrelé. Les murs étaientnus et constitués de grosses pierres biscornuesnoircies par le temps. Il y avait une cheminéeau centre et les deux filles s’y étaient précipi-tées.

–La vie est une aberration, murmura lasorcière en guise de réponse.

Magdeleine invita Élisabeth et les deuxgarçons à s’asseoir tandis qu’elle déposait lachandelle au centre de la table. La lueur de laflamme projetait, sur les murs et au plafond,des ombres grotesques. Elle tourna son visagevers Élisabeth qui hocha la tête, se leva etavança à son tour vers la cheminée. Elle tenditses mains pour se réchauffer puis, elle resta un

129

Page 130: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

moment immobile, les yeux dans le vague.

Ruben observa un instant Magdeleine. Àla lueur de la petite flamme, les traits de fa-mille qui semblaient si bien caractériser la li-gnée des Bavent, étaient bien marqués. Bienqu’elle dût probablement être plus âgée, iln’en était pas moins que sa beauté égalait cellede sa parente.

–C’est vraiment infect cette odeur, braillaStéphanie en se bouchant le nez.

Caroline tourna la tête dans sa direction,non sans lui adresser une grimace.

–Je suis bien d’accord.

–Les gens ne se lavaient pas souvent auXVIIe siècle, c'était surtout les nobles quiavaient ce privilège, leur expliqua la sorcière

130

Page 131: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

en souriant.

–Les dents non plus, lâcha Caroline, toutbas tandis qu’elle se remémorait le sourireédenté que lui avait adressé Magdeleine.

Stéphanie passa une main sur sa bouchepour étouffer son rire.

–Ils doivent être souvent malades, pour-suivit la fillette.

De nouveau, Élisabeth hocha la tête.

–Oui, évidemment. De nombreux fléauxtels que le typhus et la tuberculose décimentdes familles entières.

Cette fois, Stéphanie lui adressa un re-gard inquiet.

-J’espère qu’on ne va pas être

131

Page 132: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

contaminé…

–Il y a peu de risque, poursuivit la sor-cière. Nous sommes vaccinés contre la plupartde ces maladies.

Caroline fixa son regard sur les bûchesqui crépitaient dans l’âtre. À la table, Magde-leine discutait politique et religion avec lesdeux garçons et Stéphanie était allée les re-joindre. Elle resta silencieuse un moment. MlleBavent était toujours à ses côtés.

–Est-ce que… est-ce que vous connaissezma mère ? Chuchota-t-elle en levant discrète-ment les yeux vers la sorcière.

L’expression qu’elle lut sur son visage lasurprit.

–Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

132

Page 133: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La fillette tourna un instant la tête versses camarades. À première vue, ils ne sem-blaient pas se soucier d’elle, trop absorbés parleur conversation. Elle haussa les épaules.

–Ben, c’est vous qui m’avez dit que j’étaisune sorcière, fit-elle en levant les mains, alors,ben, j’ai cru que vous saviez…

La sorcière se baissa à sa hauteur. Uneétrange lueur l’enveloppait et, lorsqu’elle ten-dit une main pour toucher son épaule, unesensation de douceur envahit son corps,comme si elle se trouvait dans du coton. Mal-gré elle, la fillette recula, parcourut d’un fris-son.

–Ne crains rien, lui dit la femme en sou-riant. Ils ne peuvent ni nous voir, ni nous en-tendre. Mais tu dois rester en contact avec

133

Page 134: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

moi...

De nouveau, Caroline regarda en arrière.La sorcière lui prit la main.

–Qu’est-ce que vous avez fait ?

–Nous nous trouvons entre deux dimen-sions, quelque part dans l’espace-temps…

Caroline poussa une exclamation de sur-prise, mais se garda de faire le moindre com-mentaire. Tout cela la dépassait. La sorcière luifaisait face, agenouillée à ses côtés comme sielle voulait la prendre dans ses bras et elle sesentait mal à l’aise. Mlle Bavent la scruta unbon moment.

–Tu croyais que je connaissais ta mère…

Elle poussa un petit rire.

134

Page 135: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Eh, bien… C’est plus compliqué que ça.

Caroline ferma les yeux. Quand elle lesrouvrit, ils étaient humides.

–Je… je ne comprends pas…

–Disons que… que je connaisse ta mère…

Caroline ouvrit la bouche, mais la sor-cière posa un doigt sur ses lèvres.

–… mais je ne peux rien te dire de plus,Caroline.

Lentement, elle glissa ses doigts dans sescheveux. Ses lèvres étaient pincées dans unsourire forcé et Caroline crut voir de la tris-tesse au fond de ses yeux.

–Pourquoi je peux rien savoir ?

135

Page 136: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Parce que ton cas est très compliqué…

–Mais vous l’avez déjà dit ! C’est compli-qué… mais je peux comprendre, je…

Elle s’interrompit et baissa la tête.

–Je… je croyais que c’était vous…

Mlle Bavent lui attrapa le menton et lafixa intensément. Caroline frissonna.

–Moi ?

–Oui… je…

La sorcière attendit patiemment. Carolinedansait d’un pied sur l’autre et ses yeux ten-taient de l’éviter.

–Que croyais-tu, Caroline ?

–Je croyais que vous étiez ma mère…

136

Page 137: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

murmura la fillette en se mordillant les lèvres.

Le sourire de la sorcière s’effaça. Elle pritune profonde inspiration et se redressa.

–Nous allons rejoindre tes camarades.

–Mais…

–Tu crois trop de choses, ma fille.

La fillette referma sa main sur son bras.

Attendez, Mlle Bavent, s’il vous plaît…

La femme leva un sourcil.

Elle est toujours en vie ?

Sa voix tremblait. La sorcière la fixa unmoment et hocha la tête. La fillette semblaitsoulagée.

137

Page 138: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Et comment est-elle ? Je veux dire, aquoi elle ressemble ?

La femme entortilla les doigts dans sescheveux et lui adressa un sourire.

Tu lui ressembles beaucoup.

Elle n’en dit pas plus et se redressa. Elle regar-da un moment dans le vague puis fixa son at-tention sur la main de Caroline, posée sur sonbras. Elle semblait ruminer de sombres pen-sées.

–Père Sébastien paiera un jour, Caroline.Tu peux en être certaine. J’y veillerais… per-sonnellement.

138

Page 139: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

9Caroline demeurait immobile. Pourquoi

la sorcière éprouvait-elle tant de haine enversson tuteur. Avaient-ils eu quelques différendsde par le passé ? Et pourquoi avait-elle l'im-pression qu'elle cherchait constamment à laprotéger? Est-ce qu'elle avait fait une pro-messe quelconque à sa mère puisqu’elle disaitla connaître ? Son regard se perdit dans lacontemplation de l’idole de bronze qui sem-blait la regardait de ses yeux vides.

–Ça va ?

Franck était là, une main posée sur sonépaule.

–Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

139

Page 140: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline leva les yeux vers lui.

–Je suis juste un peu fatiguée…

Le garçon afficha une mine dubitative.

–Allons, bon…j’ai plutôt l’impression quequelque chose te chiffonne.

–Pas du tout.

–On ne va pas tarder à manger, dit-ilaprès un moment. Stéphanie et Ruben sontdans la cuisine avec Magdeleine.

Il jeta un regard autour de lui.

–Et Mlle Bavent ?

Caroline haussa les épaules.

–Je sais pas où elle est.

140

Page 141: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Dans la cheminée, les dernières bûches fi-nissaient de se consumer. Franck s’avança versle petit vaisselier, l’ouvrit et attrapa un stockd’assiettes. Caroline le rejoignit.

–J’en ai marre, souffla-t-elle. Je voudraisrentrer…

–On en parlera à la sorcière. De toute fa-çon, il n’y a qu’elle qui puisse nous ramener.

Caroline poussa un soupir sans rien ajou-ter.

Durant le repas, Ruben et Franck ne ces-saient de questionner Magdeleine sur le modede vie des gens de son époque. Tout était sinouveau pour eux !

–La grande sorcière Caroline daigne en-fin nous faire jouir de sa présence ? Lança la

141

Page 142: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

jeune fille alors que son amie prenait place àses côtés.

Caroline lui jeta un regard noir.

–Ne m’appelle pas comme ça.

Stéphanie n’ajouta rien, haussa lesépaules et reporta son attention sur son as-siette. Contrairement à elle, Caroline n’avalaquasiment rien, à la plus grande inquiétudedes deux sorcières. Elle n’ouvrit pas la bouchede tout le dîner et faisait tourner sa cuillèredans son assiette, l’air absent.

–Cette époque me plaît bien, lança Sté-phanie au bout d’un moment.

–Ah bon? Moi, non...

–Pourtant, souligna la jeune fille en en-

142

Page 143: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

gloutissant le reste de son assiette, on est dansun monastère… le domaine religieux, tuconnais.

–C'est pas une raison. Les gens sont bi-zarres ici, souffla la fillette en jetant un regarddiscret vers les sorcières. Magdeleine n’arrêtepas de me regarder comme si j’étais la réincar-nation du Christ…

–Tu as le chic pour taper dans l’œil dessorcières !

–Est-ce que je suis censée être rassuré ?Maugréa-t-elle d’un ton sinistre.

–Tu es une sorcière et tu es orpheline.C’est normal qu’elles se montrent un peu ma-ternelles avec toi. Tu fais partie de leur lignée.

–Je fais pas partie de leur lignée,

143

Page 144: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

d’abord ! On est juste de la même race. Et puis,j’ai pas besoin d’être maternée…

–Arrête, Caro. Tu adores qu’on s’occupede toi… mais ce n’est pas un reproche. Moi, jetrouve que c’est normal.

Caroline poussa un grognement, maisn’ajoura rien. Elle jeta un coup d’œil vers lachandelle posée sur la table. Elle était presqueentièrement consumée et la flamme lançait sesdernières lueurs.

–Il se fait tard… lâcha brusquement Ru-ben en bâillant.

–Le dortoir est de l’autre côté du cloître,l’informa Magdeleine en se levant. Je vaisvous y conduire.

–Quand est-ce que nous repartons ? Vou-

144

Page 145: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

lu savoir Franck en levant la tête vers la sor-cière.

Mais avant que quelqu’un puisse ouvrirla bouche, on tapa à la porte.

–Tu peux aller ouvrir ? Demanda Magde-leine à Caroline en lui indiquant la porte dufond. J’accompagne tes camarades et j’arrive.

La fillette n’eut pas le temps de riposterque déjà, la femme et ses trois camarades dis-paraissaient vers le cloître. Elle jeta un regardvers Mlle Bavent, poussa un soupir puis seleva.

La pièce devenait plus sombre bienqu’une chandelle brûlait dans le renfoncementque formait le mur à cet endroit. La porte enbois ne semblait pas très solide et commeprête à s’effondrer au moindre souffle. De

145

Page 146: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

nouveau, on toqua, avec plus d’insistancecette fois.

Caroline retira le loquet et ouvrit la porte.Dans l’obscurité de la nuit, elle ne distinguapas tout de suite le visiteur tardif.

–Qui est là ? Questionna-t-elle en plissantles yeux.

C’est alors qu’une chose monstrueuse sematérialisa sous son nez. Elle poussa un grandcri et se recula.

–Euh… Bien le bonsoir, petite demoiselle,lança un garçon affublé d’un lapin qu’il bran-dissait glorieusement.

Il paraissait surpris.

–Euh… ta… ta mère est là ? Fit-il en se

146

Page 147: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dandinant, gêné.

Caroline mit du temps à comprendre.Derrière elle, Mlle Bavent l’avait rejointe, po-sant une main sur son épaule.

–D’abord, c’est pas ma mère, brailla-t-elleen croisant les bras. Et puis, c’est quoi ça ?

Elle lui indiqua la bête sanguinolentequ’il lui avait si gentiment présentée. Le gar-çon l’ignora et s’adressa à la sorcière.

–Pour le lapin, c’est dix sous, lui dit-il. Ilest tout frais.

La sorcière lui adressa un sourire. Elleclaqua des doigts dans son dos et fit appa-raître une petite bourse.

-Tiens, mon garçon, lança-t-elle en pre-

147

Page 148: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

nant le lapin d’une main et en lui tendant labourse de l’autre.

Un large sourire prit forme sur sa petitefrimousse barbouillée. Il soupesa le petit sac ethocha la tête.

Lorsque la porte se referma, Caroline setourna vers la sorcière.

–Il n’y a pas de supermarché, ici, l’infor-ma la sorcière d’un ton amusé.

–On va pas manger ça ?

–Tu l’auras déjà oublié quand il sera danston assiette, répliqua la femme en le balançantsous ses yeux.

Caroline n’ajouta rien.

-Et tu devrais éviter de te faire remar-

148

Page 149: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

quer. Les rumeurs vont vite par ici.

-Mais c'est vrai! Elle est pas ma mère!

-Je sais. Mais tu n'es pas censée être là.

Caroline lui jeta un regard sombre.

-C'est facile pour vous, grogna-t-elle.Vous ressemblez à Magdeleine...

À cet instant, la flamme de la chandellevacilla puis s’éteignit, les plongeant dans lenoir total.

–Ne crains rien…

Sa voix paraissait différente dans l’obscu-rité, plus profonde. Caroline sentit une mainse refermer sur la sienne et un long frisson re-monta sur sa nuque.

149

Page 150: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Qu’est-ce…

–Je vais te conduire au dortoir.

Cette nuit-là, Caroline fut secouée pard’horribles visions. Des cris d’agonie luivrillaient les tympans et d’atroces pratiques sedéroulaient sous ses paupières closes. La sor-cière était parmi eux bien qu'elle ne le remar-qua que bien plus tard. Ses lèvres remuaient,mais elle ne comprenait pas ce qu’elle disait.Lorsqu'elle leva les yeux dans sa direction, Ca-roline entendit ces mots, comme murmurés aucreux de son oreille : « Ne crains rien Caroline,maman est là… »

Elle s’agita furieusement entre les drapsqui la couvraient. Bien évidemment, ses gé-missements réveillèrent ses trois camarades.Ruben la secoua pour la réveiller. Elle sursau-

150

Page 151: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ta et ouvrit de grands yeux.

–Ça va ?

La fillette resta un moment immobile,l’esprit encore brumeux. Lentement, elle se re-dressa et observa le visage de son ami.

–Tu as de la fièvre, lui indiqua Franck quil'avait enroulée dans une épaisse couverture.

–J’ai fait un cauchemar.

–Steph est allée chercher Mlle Bavent…

–Oh, non !

Dans l’obscurité de la nuit, il semblahausser les épaules.

-Ben, tu l’as appelée durant tonsommeil… je pensais…

151

Page 152: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline se tapa le front.

–Tu as rêvé d’elle ? la questionna Rubenen frictionnant ses épaules. Tu suppliais pourqu’elle vienne… on croyait que tu avais unproblème !

–Non, pas du tout, grogna-t-elle en re-poussant ses mains. J’ai juste fait un cauche-mar, rien de plus. Lâchez-moi avec ça !

La porte s’ouvrit dans un grincement etStéphanie réapparut en compagnie d’Élisa-beth, une chandelle à la main. Caroline tournala tête vers le fond du dortoir, là où la piècebaignait dans l’obscurité. Elle se sentait hon-teuse et pleine de colère. Avant qu’elle n’eûtdit quoi que ce soit, des doigts lui attrapèrentle menton et l’obligèrent à tourner la tête. Ellese retrouva nez à nez avec la sorcière qui l’ob-

152

Page 153: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

servait avec amusement. Elles se scrutèrent unlong moment. Dehors, le vent mugissait tel unanimal blessé et la pluie s’acharnait sur lesvitres.

–Eh bien, Caroline, qu’y a-t-il ?

Elle passa une main sur son front. Cettefois, son visage se fit plus grave. D’un gestevif, elle retira la couverture dans laquelleFranck l’avait enveloppée et lui prit la main.

–Tu vas venir avec moi.

–Mais ça va, je vous dis !

La sorcière secoua la tête et récupéra lachandelle posée près de la fenêtre.

–Laissez-moi !

Caroline tenta une maigre résistance,

153

Page 154: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

mais elle sentait que son corps, affaibli par lafièvre, ne lui répondait presque plus. MlleBavent la tenait fermement et, lorsqu’elle re-ferma la porte en bois, la fillette sentit sesjambes se dérober sous elle. La flamme de labougie dansait devant ses yeux, indistinctes.Son cœur s’affola alors que d’étranges formesblanchâtres s’animaient. Elle sentit qu’on lasoulevait du sol.

Puis, quelques instants plus tard, on ladéposait sur une couchette, couvrant sesépaules d’une couverture épaisse. Il se passaun long moment sans qu'elle ne distingue lemoindre mouvement dans la pénombre et ellesongea que la sorcière devait sans doute avoirquitté la pièce. Elle s’agita puis se redressa.Une main la retint par le bras.

–Reste-là, entendit-elle.

154

Page 155: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

À présent, elle pouvait entendre sa respi-ration. Que manigançait-elle ? Et pourquoirestait-elle dans l’obscurité ?

–Bois ça, lui ordonna la voix alors qu’ellesentait qu’on portait un gobelet à ses lèvres.

Elle tourna la tête.

–Qu’est-ce que c’est ?

–C’est un remède à base de feuilles desaule. Ça fait baisser la fièvre. Et ça t’aidera àte rendormir.

–Mais je sais même pas où on est ! Jeveux retourner au dortoir !

–Du calme, ma fille ! Souffla la sorcière,avec une pointe d’agacement dans la voix. Tuvas rester ici, un point c'est tout. Je vais veiller

155

Page 156: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sur toi cette nuit.

–Mais…

–Bois ! Je te dis !

–Non, je veux pas dormir avec vous,c’est… euh ?

–C’est quoi ?

–Euh… étrange ? Bizarre ?

La sorcière semblait attendre la suite.

–Vous êtes une sorcière !

Cette fois, la femme poussa un petit rire.Dans le noir, elle semblait se déplacer. Caro-line perçut un froissement et la couverturedans laquelle elle était enroulée fut légèrementtirée.

156

Page 157: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Tu es une sorcière, toi aussi. Tu croisque je vais te transformer en moucheron du-rant ton sommeil ?

Elle riait à présent. Caroline frémit.

–Je ne peux pas le faire. Même si je levoulais, ce genre de sorts ne fonctionne quesur les humains.

Elle poussa un soupir. La fillette sentitune main lui caresser le visage.

–Tu es partagée entre deux sentimentscontradictoires, poursuivit-elle. D’un côté, tume crains parce que je suis une sorcière, et del'autre, tu apprécies que je m'occupe de toi.Quand on s'est rencontrées il y a six ans, j'aiseulement pris un chiffon et avec un peud'eau, je t'ai nettoyé le visage. Ce n'était pasgrand-chose mais cela a suffit pour que tu me

157

Page 158: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

demandes de t'emmener avec moi.

–J’étais petite…

–Tu n’as pas à t’excuser, Caroline. C’esttout à fait normal. Aller, maintenant, ouvre labouche, s'il te plaît.

Aussitôt dit, aussitôt fait. À peine eut-elleconsentit à en avaler une gorgée, qu’une sou-daine sensation de somnolence la gagna. Ellese laissa retomber mollement sur l’oreiller etsombra dans un sommeil sans rêve.

10Franck, Stéphanie, Ruben et Caroline

s’étaient rejoints à la salle principale. Élisabeth

158

Page 159: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

et Magdeleine s’affairaient aux cuisines depuisqu’ils s’étaient levés et aucun des quatre en-fants n’osait aller les déranger. Après le raffutde la nuit précédente, Caroline préférait leséviter.

–Vous croyez qu’on va rester ici long-temps ? S’enquit Stéphanie en prenant place àla table.

À travers les vitraux, la lumière du jourfaisait naître des lacs colorés sur le bois ver-moulu de la table.

–Je l’ignore, lui répondit Ruben en haus-sant les sourcils. Mlle Bavent a peut-être deschoses à faire ici et…

–Elle a pas l’intention de nous laisser par-tir, lança Caroline d’un ton accusateur. A tousles coups, elle va rentrer sans nous.

159

Page 160: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Pourquoi ferait-elle ça ? Elle est venuenous secourir ! Si elle avait de mauvaises in-tentions, pourquoi nous a-telle aidés ?

–Franck a raison, souligna Ruben en ho-chant la tête. Peut-être que le destin veutque… enfin je veux dire que la sorcière sembley être particulièrement attachée à ces histoiresde destin.

–Arrête avec ça ! Grogna Caroline. Ledestin, moi, j’y crois pas ! Sorcière ou pas,comment veux-tu qu’elle sache à l’avance cequ’il va se passer ?

–Je te rappelle qu’on a quand même faitun saut dans le temps, remarqua Stéphanie. Àmon avis, si c’est possible, c’est que quelquepart, l’avenir peut être prédit.

–C’est une évidence !

160

Page 161: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–À propos, comment tu as su pour l’his-toire de la malédiction ? Voulut savoir Ruben.

Caroline haussa les épaules.

–J’en sais rien du tout. Ça m’est venucomme ça !

Stéphanie poussa un petit rire.

–Et tu refuses de croire au destin !

–Je devrais peut-être demander à la sor-cière de me ramener sur les marches de la pa-roisse, il y douze ans. Juste histoire que je diseà ma mère de ne pas me laisser…

Caroline renifla. Ses yeux étaient hu-mides et elle détourna la tête. Ruben et Sté-phanie échangèrent un regard. Son raisonne-ment était tout à fait légitime mais ni l’un, ni

161

Page 162: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

l'autre ne sut véritablement comment lui ré-pondre sans la contrarier.

–Et pourquoi pas ? Dit Franck en se tour-nant vers son amie. Je suis sûr qu'elle accepte-ra si c'est possible…

Ruben jeta un regard vers son ami et se-coua la tête.

–Elle ne doit pas perturber notre temps…Si elle fait ça, tout ce que nous avons fait en-semble ne sera jamais arrivé…

À ce moment-là, la porte du fond s’ouvritet Magdeleine apparut, un plateau garni depains et de lait, dans les mains. Elle ne portaitplus sa robe de religieuse mais un corset mar-ron et blanc et une longue jupe de la mêmecouleur. Ses cheveux étaient retenus dans unfoulard et quelques mèches s’en échappaient.

162

Page 163: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Bonjour, les enfants, dit-elle en leuradressant un sourire radieux.

Ruben se leva de sa chaise, et vint luiprendre le plateau des mains. En venant à sarencontre, il remarqua l’expression étrange dela sorcière qui se tenait derrière elle. Lorsqueson regard croisa le sien, elle haussa un sourcilet rabattit ses bras contre sa poitrine. Le gar-çon fit mine de rien et se tourna pour déposerle plateau sur la table. Caroline lui avait ditque les deux femmes discutaient dans la cui-sine quand elle les avait rejoints. Mais de quoiavaient-elles parlé ?

–C’est l’heure du petit-déjeuner !

Les deux sorcières vinrent prendre placeà la table et les enfants tendirent les mainsvers les petits pains qu’ils mangèrent de bon

163

Page 164: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

appétit.

-Quand repartons-nous ? DemandaFranck en finissant son verre de lait.

La sorcière leva les yeux.

–Dès que ce sera possible.

Caroline, à ses côtés, s’agita. Elle n’avaitpas encore touché son pain qui gisait sur latable mais en revanche, son verre de lait avaitété vidé d’une traite.

–C’est pas possible maintenant ?

Magdeleine posa son pain qu’elle mâ-chonnait lentement, et tourna son regard danssa direction.

–Ce n’est guère facile à expliquer, lui dit-elle en lui resservant du lait pour la troisième

164

Page 165: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

fois. Il ne s’agit pas de magie, mais de science.

Ruben essuya ses lunettes, les reposa surson nez puis se pencha vers elle.

–Alors on est bloqué ici ?

–Provisoirement, oui.

Stéphanie soupira.

–Génial…

Le clocher tinta au loin. C’était la fin del’après-midi et les deux filles avaient passéune bonne partie de la journée à aider Magde-leine à faire le ménage et préparer le souper.Franck et Ruben, quant à eux, s’étaient prome-nés dans les jardins du monastère en compa-gnie de la sorcière. Bien que mille et une ques-tions leur trottaient dans la tête, aucun des

165

Page 166: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

deux garçons n’osait importuner la femme quimarchait silencieusement.

Dès le début, Caroline avait fait preuved’une grande méfiance envers les deuxfemmes, Ruben l’avait constatée plus d’unefois durant ces quelques jours passés en leurcompagnie. Craignait-elle un danger?

Et alors qu’il songeait à son amie, undoute l’assaillit. Était-il possible que la sorcièreleur ait menti en affirmant qu’elle n’était passa mère ? Pour quelle raison semblait-elle vou-loir tant chercher à s’en rapprocher ? Alorsqu’il ruminait toutes ces pensées, le garçonleva les yeux vers elle.

Ils avaient parcouru un petit sentier gra-villonné et marchaient à présent sous lesarbres, à un mètre environ d’un champ d’au-

166

Page 167: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

bépine.

–Tu te poses beaucoup trop de questions,lâcha soudain la sorcière en s’immobilisant de-vant les racines noueuses d’un saule.

Franck jeta un regard intrigué vers sonami. Élisabeth sortit un petit couteau avec le-quel elle râpa l’écorce de l'arbre devant ellepuis, elle se redressa et fixa ses yeux bleus surle garçon.

–Vous nous avez menti, n’est-ce pas ?

Un souffle de vent fit voler les pans de sacape noire.

–Cela ne te regarde en rien, lâcha-telle enlevant le menton.

À ses côtés, Franck jetait des regards in-

167

Page 168: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

trigués tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre.

–Ça me regarde parce qu’il s’agit de monamie.

–Mais de qui vous parlez ? L’interrogeaFranck en fronçant les sourcils.

Il y eut un long silence. Ruben et la sor-cière se fixaient comme chien et chat. Même levent s’était tu. À travers les branches del’arbre au-dessus de leurs têtes, les derniersrayons du soleil créaient des ombres inquié-tantes sur leurs visages, comme des masquesgrimaçants. Franck était loin de réaliser queleur différend concernait Caroline.

–Tu ferais mal de me provoquer, l’avertitla sorcière en plantant son regard bleu dans lesien.

168

Page 169: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

À ces mots, une flamme inquiétante com-mença à s’embraser au fond de ses yeux. Unelueur malfaisante qui contraignit le garçon àbaisser le regard.

Satisfaite, Mlle Bavent hocha la tête.

–Nous en resterons là, c’est grandementpréférable pour toi, mon garçon.

Elle lui adressa un clin d’œil discrètementet ajouta :

Tu l’aimes, n’est-ce pas ? Murmuradoucement la femme à l’intention du jeunegarçon qui marchait à présent à ses côtés. Tues amoureux d'elle. C'est pour ça que tut’intéresses autant à cette histoire.

Il se sentit rougir et fixa son attention ausol. Elle ferma les yeux un instant, un sourire

169

Page 170: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

amusé aux lèvres.

Je ne pense pas qu'elle soit… intéressée.À défaut de te briser le cœur, je préfère te ledire moi-même.

Ruben hocha la tête à son tour sans leverles yeux.

J’ai cru que si je l’aidais dans sa quête,elle ouvrirait les yeux, ne serais-ce que pours’apercevoir que j’existe…

Peut-être que ça arrivera, lâcha la sor-cière, visiblement émue. Mais en attendant,laisse-la mener son combat.

Comme il s'avançait vers les arbres, lasorcière lui attrapa brusquement le bras pourl'immobiliser. D'un geste du menton, elle luiindiqua ce qu'il prit tout d'abord pour une

170

Page 171: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

branche. À ses côtés, Franck s'était reculé pré-cipitamment, alors qu'il attendait, le pied enl'air, ce qui les avait tant alarmés. Il cligna desyeux. Ce n'était pas une branche, mais un ser-pent. Il s'en était fallu de peu avant qu'il nemette le pied dessus. La sorcière le poussa enarrière et se baissa. D'un geste vif, elle empoi-gna le reptile qui se tortilla en sifflant.

-Hypokindo1!

Ruben et Franck froncèrent simultané-ment les sourcils. Que voulait bien dire cemot? Était-ce une formule magique destinée àapaiser la bestiole qui semblait à présent entranse?

Ah, une vipère péliade, murmura-t-ellealors que son autre main saisissait la gueuleouverte de l'animal. Justement ce dont j'avais

171

Page 172: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

besoin...

Ruben lui jeta un regard interrogateuralors qu'elle faisait apparaître une petite fioleentre ses doigts.

Pour mes potions...

Elle approcha le petit tube incolore sousles crocs du serpent et pressa fermement latête. En quelques instants, la fiole était pleineet le reptile, mort. Elle se redressa et jeta le ca-davre de la bestiole plus loin.

Ils reprirent leur route sans un mot, s’en-fonçant dans les buissons épineux pour sortirdu bois. Mlle Bavent ne fit plus d’autre dé-monstration de ses pouvoirs jusqu’à ce qu’ilsatteignissent le petit portail. Arrivée à sa hau-teur, la sorcière leva simplement la main au-dessus du loquet qui se déverrouilla de lui-

172

Page 173: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

même. Puis, les barreaux rouillés pivotèrentlentement dans un grincement sinistre.

Lorsqu’ils passèrent la porte de la cha-pelle, Caroline se tenait devant l’autel, unebougie posée près d’elle. Ses mains étaientjointes contre sa poitrine et elle s’était age-nouillée, le pan du manteau noir que Magde-leine lui avait prêté traînant lamentablementau sol. Visiblement, elle ne les avait pas enten-dus entrer. Ruben avait déjà fait un pas dansl’allée centrale, que la sorcière, d’un geste ner-veux, vint le retenir par le bras. Elle posa undoigt sur ses lèvres pour lui imposer le silenceet lui fit signe de la suivre. Dans le silence gla-cial de l’église, un faible sanglot se faisait en-tendre et, bien qu’ils ne le remarquassent pastout de suite, les deux garçons comprirent quele moment était mal choisi pour intervenir.

173

Page 174: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Sans bruit, ils avancèrent vers le long couloirsombre qui jouxtait le prieuré et descendirentles marches vers la cuisine et les autres piècesqui leur étaient à présent consacrées.

Stéphanie les attendait devant la chemi-née. La lueur de la petite flamme projetait desombres sur son visage et ses cheveux, légère-ment ondulés, se teintaient de reflets bruns. Enarrivant près d’elle, Franck remarqua destraces de salissures sous ses ongles. Magde-leine avait dû la faire travailler d’arrache-pied.

–La ballade a été sympa ? S’enquit-elleavec une pointe d’amertume.

Franck se laissa tomber sur une chaise.

–Magdeleine nous a épuisées, poursuivit-elle sans leur laisser le temps de répondre. Ona tout récuré, de la cave au grenier…

174

Page 175: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Caroline est là-haut… lâcha le garçon.

–Oui, je sais. Magdeleine lui a dit d’allerprier.

–Pourquoi ?

Ruben et la sorcière vinrent s’asseoir àleur tour.

–Oh, parce qu’elle a dit des obscénités,d’après elle, et qu’elle devait demander par-don au seigneur, un truc dans le genre.

Ses yeux devinrent humides et elle jetaaux deux garçons un regard lourd de re-proches.

–C'est votre faute tout ça… Elle a deman-dé à Magdeleine de lui faire remonter letemps…

175

Page 176: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben se pinça la lèvre et observa la sor-cière à ses côtés. Elle ne broncha pas.

-Elle lui a dit que ce n'était pas possible.Caroline s'est énervée et elles se sont disputéestoutes les deux.

Elle regardait à présent en direction de lasorcière, comme pour guetter sa réaction. Maiselle ne fit pas le moindre commentaire.

Franck balaya la pièce du regard.

–À propos, où est Magdeleine ?

–Elle est dans la cuisine, je crois. Ellepleurait tout à l’heure, du coup, je n'ai pas oséy aller.

–À cause de Caroline ?

–Ben, à moins qu’elle se soit mise à éplu-

176

Page 177: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

cher des oignons…

À la table, la sorcière restait silencieuse.Elle contemplait d'un air pensif, la flamme dela chandelle qui vacillait, projetant ses der-nières lueurs sur les murs en pierre.

Caroline a le chic pour faire pleurer toutle monde... marmonna la jeune fille en distin-guant une larme couler sur sa joue.

Sans un mot, la femme se leva et quitta lapièce. Sur le moment, Ruben songea qu’elle al-lait monter à la chapelle rejoindre leur amie,mais elle prit la porte du fond et s’éloigna, fai-sant claquer ses talons sur le sol carrelé.

11177

Page 178: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ils marchaient sur le petit sentier en terrebattue qui contournait les massifs de rosesrouges soigneusement entretenus. Magdeleineles avait autorisés à sortir un peu dans les jar-dins après le dîner. Une des recommandationsles plus farfelues qu’elle leur fit, entre autrecelle de ne pas prendre les chemins boisés, futde rentrer avant que le clocher ne sonne dixheures. Bien qu’ils en ignoraient la raison, ilsse passèrent de commentaires et s’étaient pré-cipités vers la porte extérieure.

Si les derniers rayons de soleil baignaientencore le sommet des collines d’une lueurorangée, les ombres grises du crépuscule s’al-longeaient sous les arbres. Ils commencèrent àgrimper une pente et plus ils montaient, plusil faisait froid. C’était un froid à vous donnerla chair de poule et à vous faire dresser les

178

Page 179: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

cheveux sur la nuque. Un froid annonciateurd’un phénomène anormal.

–J’ai l’impression qu’on nous observe…murmura Ruben en s’immobilisant alors queses yeux scrutaient attentivement les environs.

Caroline qui se tenait à ses côtés, lui attra-pa le bras en grimaçant.

–La nuit tombe. On fait demi-tour et onrentre. Je suis pas à l’aise moi non plus.

Ils marchèrent un moment sous lesarbres, passèrent devant une vieille échellelaissée à l’abandon contre le tronc d’un chêneet s’engagèrent sur un sentier bordé decailloux.

–Je n’imaginais pas le coin si lugubre à latombée de la nuit, fit remarquer Franck en ba-

179

Page 180: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

layant les environs d’un regard inquiet.

Ruben s’arrêta.

–Je ne sais pas, je ne reconnais plus riendans l’obscurité.

Derrière lui, Stéphanie poussa un soupirconsterné.

–Tiens, c’est marrant, dit-elle, amer, je medoutais bien qu’un truc allait nous arriver…

–Quelle heure est-il, voulut savoir Caro-line d’une voix tremblante. J’ai pas entendu leclocher…

Franck jeta un coup d’œil sur sa montre.Lorsqu’il releva la tête, ses lèvres étaient pin-cées.

–Ma montre s’est arrêtée.

180

Page 181: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Au-dessus d’eux, à travers les épais bran-chages, une masse de nuages tourmentés ava-la les étoiles. Le ciel se gonfla puis émit unbruissement sonore.

–Et voilà l’orage qui s’amène…

Ils avancèrent jusqu’à un cercle de saules.C’était un endroit lugubre. Une corde pendaità une des branches.

–Magdeleine nous avait dit de pas nousaventurer dans les bois, lâcha Caroline d’unton de reproche.

Ruben ne lui répondit pas. Il faisait deplus en plus sombre et il se sentait de plus enplus nerveux. Le vent lui jeta au visage unsouffle si glacé, si mauvais que de toutes évi-dences, il ne pouvait être naturel. Le bout desa chaussure cogna le rebord d’une pierre. In-

181

Page 182: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

trigué, le garçon se baissa pour balayer lesfeuilles mortes à son pied.

L’herbe avait été arrachée et au centred’un large cercle de terre nue, il y avait unepierre tombale. Plantée verticalement, ellepenchait légèrement. Devant la stèle, une por-tion du sol était délimitée par des petitespierres.

–Caroline, j’ai besoin de toi !

Il lui prit la main. Déconcertée, la fillettearriva à sa hauteur et se baissa à son tour.

–Donne-moi un peu de lumière…

–Et comment ?

–Tu es une sorcière, tu devrais bien sa-voir faire ce genre de chose, non ?

182

Page 183: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Près de lui, dans la pénombre, elle semblahausser les épaules.

–Oui, je suppose.

Il se passa un long moment. Caroline res-tait immobile et silencieuse. Un éclair fou-droya le ciel, suivit d’un grondement rauque.Le visage de la fillette apparut très distincte-ment au garçon durant ce laps de temps. Sespaupières étaient closes et dans la lumièregrise, elle lui paraissait plus âgée.

Lentement, Caroline leva ses mains encoupe et marmonna quelque chose que per-sonne ne comprit. Aussitôt, une boule de lu-mière jaillit au centre de ses paumes, diffusantune lueur blanchâtre entre ses doigts.

Ruben ouvrit de grands yeux.

183

Page 184: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Ça te va, ça ? S’enquit-elle en posant sesyeux emplis de lumière sur le garçon.

Ruben sentit un frisson lui courir sur lanuque. Il posa une main tremblante sur sabouche pour étouffer un cri de surprise et fixason amie sans parvenir à articuler un mot.Dans la clarté qui naissait entre ses mains, sonvisage ne s’était pas seulement modifié avecles ombres. Il s’était transformé. Elle étaitbelle, ça oui. Mais plus que tout, elle ressem-blait à Mlle Bavent.

–Qu’est-ce qu’il y a ?

–Mlle Bavent… ne put-il s’empêcher dedire.

Stéphanie et Franck, qui les avaient re-joints, observaient la fillette avec des yeuxronds. Caroline poussa un rire amer. L’agace-

184

Page 185: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ment se peignait sur son visage.

–Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?

Elle se retourna et scruta les ténèbres gla-cées autour d’elle, brandissant sa main tel untrophée.

–Mlle Bavent n’est pas là, non, fit-elle aucomble de l’énervement.

Mais à cet instant, un silence surnatureltomba sur le bois. Inquiète, Caroline tendit samain une nouvelle fois pour regarder autourd’elle. Même l’orage semblait en suspend. Adix pas de l’endroit où ils se trouvaient, unestèle était plantée à l’envers. Caroline se pen-cha pour y déchiffrer l’inscription gravée dansla pierre.

–Je veux pas dire, lâcha-t-elle en se re-

185

Page 186: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dressant, mais traîner dans un cimetière enpleine nuit, c’est pas très recommandé !

Ruben déglutit.

–Nous devons quitter ce lieu, dit-il enévitant son regard. La nuit est bien avancée etje doute qu’on puisse regagner le monastèreavant dix heures.

À cet instant, un éclair illumina de nou-veau le ciel, et alors qu’il levait les yeux, legarçon aperçut une silhouette se détacher dansla lumière grise. Et elle se dressait à tout justequatre mètres d’eux, entre deux arbres. À enjuger par sa forme, il ne s’agissait ni d’Élisa-beth, ni de Magdeleine. Il poussa un grand cri,aussitôt imité par ses amis, et se mit à courirdans les fourrés. Ses semelles s’enfonçaientdans la boue avec insistance, manquant à plu-

186

Page 187: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sieurs reprises lui faire perdre l’équilibre. Der-rière lui, Caroline, Stéphanie et Franck ba-taillaient entre les branches des arbres pour sefrayer un passage. Son cœur manqua un batte-ment lorsqu’il vit, à la lueur d’un éclair, la sil-houette noire qui progressait elle aussi der-rière eux, marchant dans les buissons àgrandes enjambées.

–Dépêchez-vous !

Il attendit quelques instants que ses amisle rejoignent et reprit sa course.

–Fais quelque chose, Caroline ! S’écriaStéphanie.

–Mais ça marche pas comme ça ! Toi aus-si tu peux faire fonctionner tes pouvoirs !

Devant eux, un agglomérat de rochers se

187

Page 188: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dressait sous la lueur pâle de l’orage. Rubenentama la première roche avec difficulté, dusable lui tombant dans les yeux. Au bord del’effondrement, il s’essuya la figure avec samain et inspira profondément. Si ses cama-rades étaient plus rapides, son poids lui faisaitdéfaut et il savait que leur poursuivant n’étaitguère loin. Caroline avançait en tête à présent,chevauchant les rochers avec une aisance horsdu commun. La boule de lumière brillait dansla poche de sa veste. En arrivant au sommet,elle s’immobilisa et regarda au loin.

–Le monastère… fit-elle en pointant sondoigt devant elle.

Sans plus attendre, elle dévala la collinerocheuse et disparut de l’autre côté. Stéphaniela suivait de près, mais Franck était redescen-du pour aider Ruben à grimper.

188

Page 189: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Continuez ! Cria le garçon alors que sonami lui attrapait le bras.

À présent, une pluie fine et glacée s’abat-tait sur leurs épaules.

–Dépêche-toi, on y est presque.

Franck regarda par-dessus l’épaule deson ami. Leur assaillant avait entamé sa pro-gression sur les rochers derrière eux. Il tira Ru-ben par la main et l’entraîna au sommet. Caro-line et Stéphanie avaient disparu.

Il lui fallut un moment avant de l’aperce-voir. Surplombant la forêt, un énorme oiseauplanait entre les nuages, poussant des mugis-sements altérés.

Ruben leva les yeux.

189

Page 190: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Regarde !

Sur le dos de l’oiseau, une petite sil-houette se découpait dans la lueur de l’orage.

–C’est Caroline !

L’oiseau tournoya un moment au-dessusde la forêt puis, fondit sur eux dans un cri sur-aigu.

–Hou là ! qu’est-ce qu’il fait ?

Alors qu’il passait au-dessus de leurstêtes, les deux garçons s’affalèrent au sol.

-Venez ! Leur cria la voix de Caroline.

L’oiseau décrivit un dernier cercle au-dessus de la crête puis brandit ses serres versles rochers. Lorsqu’il se posa enfin, Carolines’agita en tendant les mains.

190

Page 191: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Montez, vite !

Franck et Ruben, ahuris, se redressèrent.À l’autre bout de la colline, leur poursuivantgrimpait les dernières roches. Sans attendre,les deux garçons filèrent vers l’oiseau qui lesattendait et, lorsqu’ils furent bien accrochés àson plumage sombre, il décolla de la crête ets’enfonça dans la nuit.

Le vent leur cinglait le visage et lorsquel’oiseau piqua vers le monastère, Carolinepoussa un grand cri d’extase. Les deux gar-çons, qui ne partageaient pas son enthou-siasme, s’agrippèrent comme ils purent. Leclocher, qui partait à l’assaut du ciel, se dessi-nait dans la lumière blafarde. Ruben plissa lesyeux. Comme il s’en doutait, ils avaient large-ment dépassé leur couvre-feu mais ceci dit, ilétait grandement soulagé d’être sorti de ces

191

Page 192: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

bois lugubres.

L’oiseau se posa au milieu du jardin, àquelques mètres du cloître extérieur.

-On n’aurait jamais réussi sans Stéphanie,lança Caroline en posant le pied-à-terre.

L’oiseau battit un moment des ailes encouinant puis inclina la tête vers son poitrail.Ses ailes se replièrent et il s’immobilisa un mo-ment. Petit à petit, ses plumes tombèrent dansles herbes hautes et son dos se courba.

–Oui, ben, je crois que ce n’est pas fini, lâ-cha Franck en pointant son doigt vers la bor-dure des arbres.

Devant eux, vers les jardins Est, desformes blanchâtres sortaient du bois en gémis-sant. Il y en avait des centaines, voire des mil-

192

Page 193: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

liers.

–Des fantômes !

–Caroline, dépêche-toi !

Caroline secoua la tête et rejoignit ses ca-marades, le souffle court. Elle traversa lecloître, passa près du jardinet et se précipitavers la porte de la chapelle. Stéphanie s’achar-nait sur la poignée. Elle était fermée.

–Mlle Bavent ! Ouvrez-nous ! Cria lajeune fille en tambourinant la porte avec sespoings. Je vous en prie…

Ruben se tourna vers Caroline. Son vi-sage était rougi par l’effort et il avait du mal àreprendre son souffle.

–Fais quelque chose !

193

Page 194: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline regarda en arrière. Les fantômesse rapprochaient et déjà, trois d’entre eux pas-saient sous le cloître. Son visage se décomposaet pendant un instant, Ruben crut qu’elle allaitfondre en larmes. Il la prit fermement par lesépaules.

–Concentre-toi ! Tu peux y arriver, je lesais.

La fillette hocha la tête. Elle s’avança de-vant la porte et posa sa main dessus. Elle sen-tit un picotement au bout de ses doigts et unevive lumière jaillit sur sa paume. Elle déglutitet jeta un regard en arrière.

–Ne fais pas attention à ce qu’il se passederrière toi.

De nouveau, elle fixa son attention sur laporte. Sous ses doigts, le bois sembla se ramol-

194

Page 195: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

lir comme du beurre. Surprise, elle retira samain.

–Caroline, grouille ! La sermonna Stépha-nie.

Une deuxième tentative amena ses doigtsà la rencontre du loquet en fer de l’autre côté.Elle le souleva puis, glissa sa main sur la poi-gnée qui céda cette fois.

Caroline passa la porte, suivie de Stépha-nie et des deux garçons qui repoussèrent leslourds battants de bois dans un grincement ef-froyable. Essoufflés, ils restèrent un momentimmobile dans la pénombre glaciale de la cha-pelle.

–Les promenades nocturnes, c’est finipour moi ! Lança Franck en soufflant bruyam-ment.

195

Page 196: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline balaya sa remarque d’un gestede la main et promena son regard autourd’elle. Il faisait sombre dans l’église, mais ellesentait une présence, quelque part, tapie dansle noir. Une colère fulgurante s’empara d’elle.

–Allez, montre-vous ! Hurla-t-elle alorsque l’écho lui répondait. Le jeu est terminé.J’espère que vous avez bien ri…

Franck passa une main sur son épaule.

–Caro, elles ne sont pas là…

–Elles sont peut-être parties à notre re-cherche…

-Non, je ne crois pas, lâcha Ruben en ob-servant le visage de Caroline qui venait defaire apparaître un peu de lumière.

196

Page 197: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

De nouveau, les traits de la sorcièreprirent forme sur son visage souillé de terre. Ilse pinça la lèvre.

–Caroline, je…

Il n’acheva pas sa phrase. Plusieurs bou-gies s’illuminèrent autour d’eux et Élisabeth sematérialisa devant l’autel, le capuchon relevésur la tête. Son visage était parsemé de flaquesd’ombres qui dansaient à la lueur des chan-delles. Ses yeux bleus se posèrent sur le garçonet elle posa un doigt sur ses lèvres. Caroline neremarqua pas leur petit manège. Elle s’étaitraidie, les joues en feu.

-Ça vous amuse, hein, dit-elle avec colère.On a failli y passer à cause de vos blagues stu-pides !

La sorcière leva le menton. Son regard

197

Page 198: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

était glacial.

–Vous vous êtes bien débrouillés à ce queje vois. Magdeleine vous avez prévenus, il mesemble. Vous n’avez pas tenu compte de sesavertissements et vous vous êtes trouvésconfrontés aux dangers contre lesquels ellevous avait mis en garde.

Caroline fit un pas dans sa direction, lespoings serrés, mais Stéphanie la retint par lebras.

–Laisse tomber, Caro…

Élisabeth retira sa capuche et s’avançavers eux.

–Vous n’êtes pas rentrés dans les temps,poursuivit-elle en souriant étrangement. Laporte était fermée et vous le saviez.

198

Page 199: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Mais on a failli mourir, lâcha la filletteen toisant la femme de sa petite hauteur.

Mlle Bavent secoua la tête en faisant cla-quer sa langue entre ses dents. Elle se baissa àsa hauteur et l’observa avec intensité. Carolineresta immobile.

–Je comprends que tu sois en colère...

Elle passa sa main dans ses cheveux.Agacée, Caroline la repoussa.

–Arrêtez de me parler comme à une pe-tite fille !

La sorcière éclata de rire.

–Mais regarde-toi ! Tu es une petite fille !D’ailleurs, vous n’êtes que des enfants. Lapreuve étant que vous n’avez pas respecté les

199

Page 200: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

recommandations qui vous ont été faites.

Franck tendit son poignet. La lueur descierges se reflétait sur le cadran de sa montre.

–Ma montre s’est arrêtée…

Mlle Bavent leva un sourcil.

–Je te croyais un peu plus raisonnableque tes compagnons, Franck. Mais j’avoue quetu me déçois. Pourquoi dis-tu de telles fou-taises ?

Le garçon ne comprit pas tout de suite.Un regard vers sa montre lui indiqua qu’ellefonctionnait parfaitement. Il se pinça la lèvre.

–Je vous assure que…

Ruben l’interrompit. Il posa sa main surson bras.

200

Page 201: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Le clocher n’a pas sonné. Pourquoi ?

–Parce que vous étiez trop loin pour l’en-tendre, probablement.

Elle poussa un soupir.

–Vous vous obstinez à croire que je vousai joué un tour… eh bien, tant pis pour vous.

Elle les considéra d’un air calme et supé-rieur. De nouveau, Caroline lui jeta un regardhostile.

–J’aurais jamais dû vous appeler à la res-cousse, marmonna-t-elle.

Cette fois, la sorcière parut blessée. Ellehaussa légèrement les épaules et pivota en di-rection de la porte du fond. Sans rien dire, elleleur passa devant, traversa l’allée et marcha

201

Page 202: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

jusqu’au panneau de bois. Ses souliers ne fai-saient aucun bruit, comme si elle volait au-dessus du sol.

–Comment aurais-tu sauvé tes amis ?S’enquit-elle brusquement alors qu’elle s’im-mobilisait devant la porte. Les aurais-tu laisséstomber ? Ils seraient morts sans mon interven-tion.

Brûlante de rage, Caroline se précipita àsa suite. Stéphanie tenta de la retenir, mais samain se referma sur le vide.

–Caroline, non !

La fillette s’immobilisa à un mètre de lasorcière.

–J’aurais trouvé une solution. Jean-Charles…

202

Page 203: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Se souvenant du secret que l’épicier luiavait fait promettre de garder, elle s’interrom-pit. Ses joues s’empourprèrent et elle baissa latête.

–Jean-Charles n’y connaît rien !

Sans doute avait-elle lu la confusion surson visage, car elle n’alla pas plus loin. Elle es-quissa un petit sourire. Elle savait. Carolinedéglutit, mal à l’aise. Elle aussi partageait lesecret de l’épicier, il n’y avait pas de doute là-dessus. D’ailleurs, en y repensant, il était pro-bable qu’elle l’y ait initié.

Derrière elle, Stéphanie, Franck et Rubenl’avaient rejointe.

–Qu’est-ce qu’il se passe avec Jean-Charles ?

203

Page 204: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Un long silence accompagna ces paroles.Une expression de profonde perplexité plissale visage de Ruben. Qu’est-ce que l’épicier ve-nait faire dans cette histoire ? La sorcière fixaitCaroline depuis un bon moment déjà, commesi elle la défiait de dire quoi que ce soit.Lorsque la fillette lui jeta un coup d’œil, il vitde la peur dans ses yeux.

–Rien du tout ! S’empressa-t-elle d’ajou-ter.

Stéphanie croisa les bras sur sa poitrine,l’air soupçonneux.

–Ben, voyons ! Tu mens très mal, Caro.

Un éclair illumina les vitraux, accompa-gné presque aussitôt d’un coup de tonnerreassourdissant.

204

Page 205: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Cela n’a guère d’intérêt de toute façon,ajouta la sorcière en soupirant.

Sur ces mots, elle fit volte-face et s’en-gouffra vers le couloir. Caroline jeta un regardinquiet vers ses amis et courut à sa suite.

Ruben la regarda s’éloigner. Elle avait re-tiré ses chaussures en arrivant à la chapelle etses pieds nus martelaient le sol dans unrythme saccadé. Il attendit que le son de sespas se soit éteint avant de refermer le battantde la porte.

–Elle est bizarre, fit remarquer Stéphanie.

Franck hocha la tête.

–Oui, je trouve aussi.

–Et Mlle Bavent nous cache quelque

205

Page 206: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

chose, lâcha Ruben en adoptant un air grave.

–Ce n’est pas nouveau, fit remarquer Sté-phanie. Après tout, c’est une sorcière.

Le garçon balaya sa remarque d’un gestede la main.

-Je crois qu’elle nous a menti.

Franck fronça les sourcils.

–À quel sujet ?

–En ce qui concerne Caroline…

Stéphanie prit un air sombre. Elle parais-sait déçue et inquiète, comme si quelque chosela tourmentait.

Mais il n’alla pas plus loin. Un bruit depas se fit entendre au-dessus de leurs têtes et

206

Page 207: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

la lourde porte en bois qui menait à l’escaliergrinça sur ses gonds.

–Vous êtes là ? S’enquit la voix de leuramie.

Ses pas résonnaient dans l’escalier.

–Oui, par ici.

Derrière eux, une petite silhouette enca-puchonnée fit son apparition. À la fois surpriset inquiet, Ruben fit un pas en arrière.

–Qu’est-ce que…

Il n’acheva pas sa phrase. Rabattant soncapuchon sur ses épaules, le visage de Caro-line se dessina peu à peu à la lumière deschandelles.

Stéphanie gloussa.

207

Page 208: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–C’est quoi cette tenue ?

–J’avais froid, répondit la fillette en rejoi-gnant ses amis. Mlle Bavent m’a prêté sacape…

–Tu es sa chouchoute, ma parole ! Elles’occupe de toi comme une maman !

L’orage grondait toujours dehors et lapluie s’abattant sur les vitres produisait unraffut insupportable.

La fillette n'ajouta rien, visiblement raviepar cette idée. La cape traînait au sol dans sonsillage et elle tira le tissu vers elle pour l’en-rouler sous son bras.

–Il serait peut-être temps qu’on aille secoucher, non, s’enquit Franck à la cantonade.

208

Page 209: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je crois que Magdeleine est déjà cou-chée, ajouta Caroline. Je ne l’ai pas vue.

Les quatre amis s’engagèrent dans le cou-loir et dévalèrent les marches poussiéreuses.Caroline usa de ses pouvoirs pour leur appor-ter un peu de lumière, une fois encore. Stépha-nie s’était accrochée à son bras et les deux gar-çons suivaient derrière.

Il faisait froid, un vent glacial s’engouf-frait par quelques fissures invisibles. En arri-vant au bas de l’escalier, une bougie était allu-mée sur la table et sa flamme dansait sur lesmurs. Mlle Bavent se tenait juste devant, seslongs cheveux accrochant la lumière.

–Eh bien, dit-elle en levant les yeux.N’êtes-vous jamais fatigués ?

Un sourire amusé prit forme sur ses

209

Page 210: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

lèvres. Installée à la table, elle s’était penchéepour voir la petite boule lumineuse qui brillaitdans la paume de Caroline.

–Je vois que tu profites assidûment de tespouvoirs !

La fillette haussa simplement les épaules.

–Tu n’en es qu’à l’étape du crochetage deserrures et de la boule de lumière… très bien-tôt, tu t’apercevras que tu peux faire biend’autres choses. Des choses bien plus intéres-santes, ça va de soit…

Les yeux de Caroline pétillaient d’excita-tion et elle ne put réprimer un sourire.

-En attendant, poursuivit-elle, il est large-ment temps d’aller dormir. Je vous conduis audortoir.

210

Page 211: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Mais alors qu’elle se levait, Caroline la re-tint par le bras.

-Il faut que je vous parle...

Leurs regards se croisèrent et Mlle Baventlui adressa un clin d’œil. Discrètement, elleposa un doigt sur ses lèvres pour lui imposerle silence. Caroline hocha la tête sans rien dire.

Le petit groupe suivit la silhouette à tra-vers le couloir qui baignait dans l’obscurité.Tenant la bougie entre ses doigts, la sorcières’engouffra sans bruit sous le cloître extérieur.Les jardins étaient déserts, comme si aucunphénomène ne s'était produit. Où étaient pas-sés les fantômes, et la créature monstrueusequi les avait poursuivis il y a quelquesheures ? Le ciel était voilé par de gros nuages.Malgré l’accalmie, il était probable que l'orage

211

Page 212: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

gronde de nouveau cette nuit. Arrivée à desti-nation, Mlle Bavent s'immobilisa devant ledortoir. Elle poussa la porte et s'effaça afin delaisser entrer les enfants.

Je voudrais vous demander quelquechose… murmura Caroline en s’immobilisantà son tour sur le pas de la porte.

Je sais, Caroline… souffla la sorcièred’une voix douce. Attends un instant.

Tu fais quoi, Caro ? S’enquit Stéphaniequi remarqua que son amie ne s'était pas en-core installée sur sa couchette.

Les deux garçons se redressèrent. Lafillette se dandina.

Je… je dois aller aux toilettes, lança Ca-roline. Je reviens…

212

Page 213: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie croisa les bras sur sa poitrinemais n’ajouta rien.

Lentement, la sorcière referma la porte etrécupéra la chandelle qu'elle avait posée danssa niche. L'orage gronda au loin. Sans riendire, la femme attrapa la main de la fillette etl’entraîna de l'autre côté du cloître. Son silencerendait Caroline nerveuse, mais elle ne se dé-cida à ouvrir la bouche qu'une fois revenuedans la pièce principale.

Que veux-tu savoir, Caroline ?

D’un geste de la main, elle convia lafillette à prendre place sur une chaise. Celle-cis’exécuta sans broncher et lorsqu'elle s'installaà son tour, la fillette se mit à gesticuler. Lafemme sourit. Elle lui attrapa la main par-des-sus la table qui les séparait et avança son vi-

213

Page 214: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sage vers la flamme de la bougie. Éclairés ain-si, ses yeux bleus semblèrent s'illuminer d'unelumière étrange.

-Allons, je ne vais pas te manger, tu sais.

Prenant une forte inspiration, Caroline sedécida à lever la tête.

Aidez-moi à changer mon passé.

La sorcière ferma les yeux un instant,comme si elle venait de recevoir une gifle.

Ce que tu me demandes est impossible.

Son visage s’était durci et elle s’apprêta àse relever lorsque Caroline la retint par lamain.

Cessez donc de me mentir, Mlle Bavent.J’en ai assez de vos petites manigances. Je sais

214

Page 215: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

que vous en êtes capable. Et j'y ai assez réflé-chi pour être certaine de ma décision.

La sorcière lui jeta un regard glacial. Ca-roline quitta sa chaise et la fixa longuement.Elle savait qu’elle allait trop loin.

Mais n'as-tu pas conscience des change-ments que cela va engendrer ? S'écria brusque-ment la femme. Tu dis avoir réfléchis, mais terends-tu compte que tout ce que tu as vécu, tesamis… tout ça, n'existera plus. Tu n'as pas ledroit de faire ça.

À présent, elle faisait les cent pas dans lapièce.

Votre grand-mère m'a dit exactement lamême chose… souffla la fillette.

Rien d’étonnant ! Ce n’est pas parce que

215

Page 216: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

nous sommes des sorcières que nous avons ledroit de changer le cours des choses.

La sorcière poussa un soupir et repritplace sur la chaise qu’elle avait renversée. Elleparaissait plus calme.

Que comptes-tu faire, exactement ?

Je veux parler à ma mère. Je veux lui ra-conter ce que je vis… et la convaincre de megarder...

La sorcière laissa échapper un petit rire.

Si tu fais ça, si tu parviens à… à la fairechanger d'avis, tu vas disparaître.

Caroline ne dit rien.

Tu n’y avais pas pensé, n'est-ce pas ?Tu sais, ta mère avait des raisons de faire ça.

216

Page 217: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Peut-être que si tu les connaissais, tu compren-drais.

Cette fois, elle vit clairement le visage dela fillette se décomposer.

Dites-moi quelles sont ces raisons ? San-glota-t-elle, tournant un visage suppliant versson interlocutrice.

Élisabeth l’observa, tentant un instant depénétrer son esprit. Mais rien n’y fit. Carolineétait douée et elle se questionna sur le fond desa pensée. Que savait-elle, au juste ? La fillettepoursuivit :

Vous, qui savez tout sur tout, dites-moi,pourquoi ?

Élisabeth ne dit rien pendant un momentet le silence s’installa peu à peu. La flamme de

217

Page 218: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

la bougie sur la table avait fini de se consumerdepuis longtemps et seul le feu qui crépitaitdoucement dans l’âtre leur apportait un peude lumière. Bien que légers, les sanglots de lafillette la touchèrent profondément.

Je vais faire quelque chose pour toi, Ca-roline, lâcha la femme après un long moment.

Caroline releva la tête. Ses joues étaientinondées de larmes. Elle essuya ses yeux avecle dos de la main et renifla doucement.

Vraiment ?

Mlle Bavent se pinça la lèvre et hocha latête.

Sache seulement que tu seras seule. Unefois dans le passé, je ne pourrais plus interve-nir. Alors réfléchis bien à ce que tu vas lui

218

Page 219: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dire.

Bien évidement, Caroline ignorait cequ'elle avait derrière la tête. Docile, la petitefille se leva. La sorcière s’approcha d'elle. Ellejeta un regard sur la table et balaya son conte-nu.

Allonge-toi sur la table.

S’aidant d’une chaise et du bras de la sor-cière, Caroline se hissa sur la surface lisse. Au-dessus d’elle, les ombres dansaient. Lesflammes léchaient la dernière bûche encoreprésente dans la cheminée. Le visage de la sor-cière entra dans son champ de vision.

Ferme les yeux, ma chérie… lui ordon-na-t-elle en posant une main sur son torse.

J’ai peur, Mlle Bavent.

219

Page 220: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

La sorcière ne répondit pas. Inquiète, Ca-roline s’agita. D'une main, Elle la vit saupou-drer une curieuse poudre blanche toute autourd'elle. Plissant les yeux, elle mit du temps àréaliser ce que c'était. Cette fois encore, elletraçait un cercle magique, blanc celui-là. Était-ce censé la rassurer? En aucun cas, cependant,cela n'atténua le profond sentiment d'angoissequi lui étreignait à présent le cœur.

Imperturbable, Mlle Bavent la fixait in-tensément, comme fascinée. Ses lèvres re-muaient mais aucun son ne lui parvint. Elletenta de se redresser. La sorcière la tenait sifortement qu'elle ne put faire le moindre mou-vement.

Laissez-moi…

C’est alors qu’elle remarqua que le regard

220

Page 221: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

d’habitude si bleu qui la fixait, avait viré aublanc. Elle ouvrit la bouche pour crier. Jamaiselle ne sut si quelqu’un l'entendit alors. Ellesombra.

12Mlle Bavent se redressa lentement.

Bon voyage, Caroline…

Qu’est-ce qu’il se passe ?

Derrière elle, la lueur vacillante d’unebougie apparue dans l’escalier. Trop absorbéepar son rituel, la sorcière ne les avait pas en-tendus arriver. Se tenant debout sur la der-nière marche, Ruben, Stéphanie et Franck l’ob-

221

Page 222: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

servaient avec stupeur.

Qu…qu'avez-vous fait ? Bredouilla Ru-ben qui, le premier, remarqua le corps étendu de son amie.

D’un claquement de doigt, la sorcière ra-viva la flamme qui commençait à s’éteindredans la cheminée puis elle porta son attentionsur Magdeleine qui descendait à son tour.

Ne la réveillez pas, le rituel n’est pas ter-miné.

Quel rituel ? À quoi jouez-vous ? S’en-quit Stéphanie en regardant tour à tour lesdeux sorcières.

Magdeleine arriva à sa hauteur. Elle fit letour de la table et examina la fillette endormie.Un bref échange de regard avec Élisabeth lui

222

Page 223: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

apprit tout ce qu’il s'était produit alors. D'unevoix forte, elle ordonna aux enfants présentsde lui ramener des couvertures et de l'eau.

Franck, poursuivit-elle, va dans lachambre d’Élisabeth et ramène-nous tous lessachets d’herbes que tu trouveras.

Mais…

C’est un ordre !

Bien qu’un peu surpris par tant d’autori-té, les trois amis obéir sans broncher. Élisabethattendit qu’ils se soient éloignés pour pour-suivre l'opération. Elle retira doucement le tee-shirt de la fillette et traça un pentacle sur sonfront. Magdeleine de son côté, s'était mise entâche de lui retirer son pendentif.

Es-tu sûre de vouloir continuer, Élisa-

223

Page 224: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

beth ? Lui demanda l’aïeule, le visage grave.Pourquoi as-tu tracé un cercle blanc? Tu saisbien que si elle s'aperçoit de quelque chose, turisques de la perdre à jamais...

La sorcière hocha la tête.

Tout se passera bien.

Franck revint rapidement avec les sachetsd’herbes. Derrière lui, Stéphanie arrivait avecune jarre pleine. Sans attendre, la sorcière ver-sa le contenu de deux sachets dans l’eau. Ellefit ensuite apparaître une petite lame dont ellese servit pour se trancher la paume. Son sangvint colorer le mélange.

Ruben tendit les couvertures à Magde-leine. Celle-ci en utilisa une comme oreiller etl’autre, lui permit de camoufler l'intimité del'enfant. Se pinçant la lèvre, elle fit glisser le

224

Page 225: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

pantalon, les mains tremblantes. Dévêtir ainsiun enfant n'était jamais très agréable, surtoutdevant un public si jeune, et ce, malgrél'épaisse couverture. Elle avait vu tant d'hor-reurs effectuées sur de pauvres petits êtres nusau seul titre de sacrifices, dont elle-même, sor-cière, ne croyait pas.

Mais brusquement, elle stoppa son geste,les yeux emplis d'effroi. Sur la peau blanche,elle remarqua un petit croissant de lune, visi-blement gravé dans la chair. Cette marque,elle la connaissait mieux que personne pourl'avoir elle-même imprimée dans les chairs deses sœurs de jadis.

Elle porte la marque du diable, Élisa-beth ! S’écria-t-elle alors en indiquant à sa des-cendante la cuisse de l'enfant.

225

Page 226: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

À ses côtés, Élisabeth leva à peine lesyeux.

Ceci n’est que le fruit du délire d'unprêtre démentiel, marmonna-t-elle en serrantles poings. Cet homme l'a marquée au fer.

La religieuse porta la main à sa poitrineet empoigna son crucifix endommagé.

Pauvre petite, murmura Magdeleine,choquée.

Avec sa lame, Élisabeth coupa une mèchede cheveux et la fit tomber dans la mixture.Elle se mit ensuite à l’ouvrage, réalisant dessymboles sur la peau nue. Dans la lueur dufeu de cheminée, ses doigts, longs et fins, sem-blaient effectuer un ballet magique.

Et maintenant, on peut savoir ce que

226

Page 227: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

vous lui faites ? S’impatienta Stéphanie, der-rière elle.

Elle est malade ? Ajouta Franck qui ob-servait les symboles.

Magdeleine consentit à leur répondre.

Votre amie dort, leur indiqua-t-elle,d’un voix étrange. Élisabeth va créer une illu-sion dans son esprit.

Elle veut changer son passé, poursuivitla sorcière qui plaçait ses mains contre lestempes de Caroline. Je vais l'aider à croirequ'elle l'a fait…ou du moins, qu'elle a essayé.

Puis, elle posa son front contre le sien etferma les yeux, cherchant dans son propre es-prit les images de ce passé qu'elle voulait at-teindre. Les larmes lui vinrent instantanément.

227

Page 228: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

C’est pas sympa de lui faire croire desinepties…lâcha Ruben. Caroline à besoin desavoir la vérité.

Magdeleine se tourna vers lui.

Que crois-tu savoir sur sa vérité ? S’in-surgea l’aïeule d'une grosse voix. De quoi temêles-tu ?

La colère déformait ses traits et Ruben re-cula d’un pas, inquiet. Son attention passa à lasorcière qui s’était redressée.

C’est mon amie...

Je ne veux plus rien entendre, grondaÉlisabeth en essuyant les larmes sur ses joues.Elle a besoin de silence et de calme… si vousn'êtes pas capables de vous tenir tranquille, jevous demanderais de quitter les lieux...

228

Page 229: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben baissa la tête.

Désolé, Mlle Bavent.

Oui, on sera sage ! S’excusa Stéphanie.

Et si je vous reconduisais au dortoir ?Suggéra Magdeleine en voyant l’impatience sepeindre sur le visage de sa petite-fille.

Elle a raison, approuva Franck quin'avait rien dit jusqu'à présent. Il est tard etCaroline va bien… enfin, je crois. Je suis sûrque Mlle Bavent ne lui fera pas de mal...

Il jeta un regard entendu à la sorcière quihocha la tête.

Le ciel s’illumina de l’autre côté de la pe-tite fenêtre et un grondement sourd se fit en-tendre. Un courant d’air traversa la pièce où

229

Page 230: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ils se trouvaient et le feu s'éteignit, les plon-geant dans l'obscurité. Magdeleine alluma unebougie. Avec les ombres qui se mouvaient surson visage, elle ressemblait à une vieillefemme. D'un geste, elle invita les trois enfantsà la suivre dans l'escalier.

Passez une bonne nuit…souffla la sor-cière à l’adresse des trois compagnons. Et nevous inquiétez pas pour votre amie. Je veillesur elle.

Vous l’avez toujours fait, hein ? lançaFranck, dans un murmure si imperceptible,qu’elle fut la seule à l'entendre.

Quoi donc ?

Le jeune garçon emboîta le pas de ses ca-marades, puis, il tourna la tête vers elle. Sesyeux bleus pétillaient derrière les verres épais

230

Page 231: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

de ses lunettes.

Veiller sur elle…

Il n’attendit pas de réponse et disparutdans l’escalier. La sorcière fixa un moment sonattention sur un point imaginaire.

Maman…

13Un bruit assourdissant l’obligea à se bou-

cher les oreilles. Elle mit du temps à recon-naître le tintement si familier de la cloche pa-roissiale. Et il faisait si sombre qu’elle ne putreconnaître l'endroit où elle se trouvait.

231

Page 232: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Sans bruit, Caroline se hissa vers ce quilui semblait être l'encadrement d'une porte.Doucement, elle poussa le panneau de bois etse sentit tout de suite rassurée, en reconnais-sant la sacristie et les bancs de son église. Enlevant les yeux vers l’alcôve de la fenêtre, elleaperçut la forme croissante de la lune. Maispourquoi était-elle là ? Où étaient ses amis ?Sans bruit, elle traversa l'allée centrale, nonsans jeter des regards inquiets autour d'elle. SiPère Sébastien arrivait... mais tout était calmeet silencieux.

Ce ne fut que lorsqu’elle se retrouva surle parvis de l’église qu’elle se rappela ce qu’ils’était passé. La sorcière l’avait renvoyée dansle passé. Elle lui avait accordé son consente-ment, lui avait donné sa chance. Elle ne devaitpas la laisser passer. Ses pieds s'enfonçaient

232

Page 233: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

dans la neige et elle prit soudainementconscience qu'elle grelottait. La ville était re-couverte d'un tapis neigeux. Du plus loinqu'elle s'en souvienne, il n'avait jamais neigé àSorrac. C'était la première fois qu'elle voyaitun tel phénomène. Cependant, elle ne pouvaitpas s'aventurer plus loin sans risquer l'hypo-thermie. Hésitante, elle resta immobile un mo-ment. Et si sa mère arrivait ? Comments'étaient passées les choses ?

Brusquement, elle fut saisie d'une peurincontrôlable. Que fera-t-elle lorsqu'elle se re-trouvera face à elle ? Que lui dira-t-elle ?

Mlle Bavent, j’ai peur… souffla-t-elle enplongeant son regard dans le ciel nocturne.

Seul une bourrasque glaciale semblait ré-pondre à son appel et elle se décida enfin à re-

233

Page 234: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

tourner dans l’église, frigorifiée. Elle repoussale battant et fixa son attention sur le christ sus-pendu à sa croix. Elle avait besoin de prier.Lentement, elle avança vers le bénitier et se si-gna. Puis, elle s’avança vers les cierges, hési-tant à utiliser sa magie pour allumer son of-frande. Elle n'avait guère le choix, de toute fa-çon. Son regard se porta sur la peinture qui luifaisait face. Le Christ et sa mère, Marie. Elle re-nifla et se signa de nouveau. Portant sa bougieau creux de la main, elle s'avança lentementvers la sacristie. Elle mit genou à terre et posason cierge prés d'elle. Joignant ses mains, elleferma les yeux et demanda pardon.

À cet instant, un bruit de pas se fit en-tendre et on tapa brutalement à la porte. Prisede panique, Caroline regarda autour d’elle,cherchant un endroit où se dissimuler. Elle

234

Page 235: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

souffla la bougie et se hissa derrière un banc.De nouveau, la porte s'ébranla.

Père Thibaut, je vous en prie…

Elle entendit un bruit de pas précipité au-dessus de sa tête et la lumière principale éclai-ra l’église.

Qu’y a-t-il ?

Une voix. Cette voix, elle la reconnaîtraitentre mille. C’était celle de père Thibaut, sontuteur, son bienfaiteur. Les larmes lui mon-tèrent aux yeux, tant son souvenir était encoreprésent dans son cœur. L'homme apparut aubas des marches.

Qui est là ? Dit-il, surpris.

Caroline n’entendit jamais son nom. Le

235

Page 236: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

prêtre poussa le panneau de bois tandis qu’uncourant d'air froid s’engouffrait brutalementdans la chapelle.

Prenez-la, mon père, et protégez-la.

Il n’y eut plus le moindre échange de pa-role, et intriguée, Caroline tendit son visagevers la porte. Un long frisson la parcourue etsa tête se mit à tourner. La silhouette sombrese tenait là, à quelques mètres d’elle, devantl'encadrement de la porte. Son visage, dissi-mulé par son capuchon était indistinct. Laseule chose visible était les quelques mèchesde cheveux qui s'en échappaient. À cet instant,elle sentit son cœur s’emballer et sa vision setroubla. Un torrent de larmes jaillit sur sesjoues. Il y eut de nouveau un échange de pa-roles, à peine murmuré, que Caroline, à cettedistance, ne put comprendre. Puis, le prêtre fit

236

Page 237: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

étrangement résonner sa voix à travers la cha-pelle, comme s'il s'adressait directement à elle.

-Je m’occuperais d’elle comme ma propreenfant, n’ayez crainte.

La fillette secoua la tête. Ce n’était pas cequ'elle avait souhaité. À vrai dire, la sorcièreavait eu raison de la mettre en garde. Elle étaitseule, elle avait peur et plus que tout, elle vou-lait retourner auprès de ses amis. Elle se frottales yeux et fixa son attention sur le christ der-rière elle, le visage ravagé.

- Aidez-moi…

Caroline ?

Surprise, la fillette se sortit de sa contem-plation et tourna de nouveau la tête en direc-tion de l’entrée, prise d’une frayeur extrême.

237

Page 238: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Qui l’avait appelée ?

Maman…

Caroline ?

La sorcière se pencha de nouveau versl’enfant endormi. Ses mains, toujours colléescontre ses tempes, étaient devenues moites.Sous ses paupières closes, l'esprit de Carolinesemblait en émoi.

Mlle Bavent, sortez-moi de là, je vous enprie…

Caroline luttait. Son front était bouillant.Derrière elle, Magdeleine était réapparue. Sonsouffle sur son épaule la fit frissonner.

Tu devrais arrêter maintenant, murmu-

238

Page 239: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

ra Magdeleine en observant les mouvementsnerveux de la fillette. Ce n’est pas très bonpour elle.

Élisabeth laissa échapper un petit rire.Une de ses larmes roula le long de sa joue,descendit vers son menton et vint s’écraser surles paupières closes. Elle renifla et essuya sonvisage. Il était bien connu que les larmes desorcière pouvaient brûler la peau.

C’était son idée…

Mais, tu n'y étais même pas. Ce ne sontpas tes souvenirs. Pourquoi fais-tu ça ?

Tu les as partagés avec moi, il mesemble... souviens-toi, Magdeleine, souviensde la nuit où tu m'as pris mon enfant...

Elle ne répondit pas. Durant un instant, la

239

Page 240: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sorcière semblait ruminer ses pensées.

… allez-vous-en, maintenant, récita-t-elle alors en fermant les yeux, ignorant volon-tairement son aïeule. Ne revenez plus jamais,il n'en sera que plus bénéfique pour elle…

Dans son sommeil agité, Caroline poussaun gémissement. Puis, sa main attrapa le brasde la sorcière au-dessus d’elle, comme si elleavait conscience de sa présence. Surprise, lafemme la lâcha et recula. La chaise derrièreelle se renversa et elle éclata brusquement ensanglots.

-Allez, Élisabeth, la pressa alors Magde-leine en l'attrapant par les épaules. Elle va seréveiller et il vaut mieux que nous ne soyonspas là…

D’un pas résolu, elle l’entraîna vers la

240

Page 241: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

cuisine. La sorcière, épuisée et en larme, selaissa guider sans protester.

14Caroline aspira une grande goulée d’air.

Dans son agitation, elle roula sur la table ettomba lourdement au sol. La sensationd’émerger de l’eau la saisie à la gorge, commesi elle avait cessé de respirer trop longtemps.Mais alors que ses mains se posèrent sur ledallage qui recouvrait le sol, une douleur vi-brante à l'épaule l'obligea à revenir à la réalité.Dans un effort, elle parvint à se redresser etjeta des regards perdus autour d'elle. Plu-sieurs chaises avaient été renversées et ellemanqua se cogner la tête à la table où elle se

241

Page 242: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

trouvait étendue quelques minutes avant.

Lentement, elle s’assit. Les souvenirscontinuaient à embrouiller son esprit.

Mlle Bavent ! Cria-t-elle à la pièce vide.

Sa voix se brisa.

Où êtes-vous ?

Ses yeux se posèrent sur la cheminée.Quelque part dans la maisonnée, un bruit sefit entendre. Rassurée, elle se releva et avançavers la porte du fond. Le lourd panneau debois émit un grincement sinistre lorsqu'elle lepoussa pour pénétrer dans la pièce. Il faisaitsombre dans la cuisine malgré la lueur duchandelier posé au centre de la table. Elle fitdeux pas et s’immobilisa. Une ombre se déta-cha à quelques mètres de l'endroit où elle se

242

Page 243: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

trouvait.

Caroline ?

Une main se posa sur son épaule et Caro-line sentit son cœur s’accélérer. Elle se retour-na et se précipita contre la silhouette qui s’étaitmatérialisée.

Mlle Bavent…

Euh... oui et non, Caroline, je ne suis passûre d'être celle que tu cherches ! chuchota lavoix à son oreille.

Magdeleine ?

Elle leva les yeux. La femme la regardait,sourire aux lèvres. Elle se sentit brusquementstupide, à enlacer cette femme qu'elle neconnaissait presque pas avec tant d'ardeur.

243

Page 244: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

J’apprécie énormément cette étreinte,ma douce enfant, dit-elle en lui caressant lescheveux.

Je… je suis désolée, bredouilla-t-elle ense dégageant tout doucement.

Quelque part dans la pièce, elle crut voirun autre mouvement. Magdeleine se penchavers elle, un sourire satisfait sur les lèvres.

Pourquoi ? Parce que tu m'as prisepour…ton amie ?

Ce n'est pas mon amie, s'empressa dedire la fillette qui scrutait la pièce. C'est juste…euh.

Et bien, Caroline, ajouta une voix dansla pénombre. Je suis juste, quoi ?

244

Page 245: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

C’est là qu’elle la vit. Son visage apparutà la lueur des chandelles. La fillette se précipi-ta vers elle.

J’ai eu si peur, Mlle Bavent, je n’auraisjamais dû vous demander ça…

La sorcière poussa un petit rire. Devantelle, Caroline gesticulait, visiblement gênée.

As-tu fais ce que tu voulais, au moins ?As-tu parlé à ta mère ?

Non, je ne pouvais pas. Je... j'ai assistéà... euh, je veux dire... c'était la nuit où mamanm'a abandonnée... je...

Elle parlait à toute vitesse, comme si elleavait peur d’oublier un détail. La sorcière sou-rit.

245

Page 246: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

C’est ce que tu voulais, il me semble,non ?

Cette fois, Caroline secoua la tête. Elle pa-raissait à deux doigts d’éclater en sanglots.

J’étais toute seule…

Je te l’avais dit.

… elle était là à quelques mètres de moi,et…

La sorcière l’interrompit d’un geste de lamain. Elle avait l’air soucieux.

Tu l’as vue ?

À présent, il y avait une réelle inquiétudedans ses yeux.

Oui…

246

Page 247: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Secouant la tête, la femme se maintint uninstant contre le rebord de la table. Elle ne di-sait rien mais scrutait attentivement son vi-sage.

Et euh… elle m'a laissée à Père Thibaut,et… Mais qu'est-ce que vous avez ?Pourquoivous me regardez comme ça ?

Caroline fronça les sourcils et recula len-tement. Derrière elle, Magdeleine donnait ladésagréable impression de lui barrer le che-min. Elle se sentit prise au piège.

Vous… vous me faites peur, bre-douilla-t-elle. Qu’est-ce qui vous prend ?

C’est juste que ce n’est pas possible. Tun’as pas pu la voir.

Comment le savez-vous, d'abord ? S'em-

247

Page 248: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

porta Caroline en serrant les poings. Vous n'yétiez pas, que je sache…

En fait, la réaction violente de Caroline larassura plus qu'autre chose. Cela confirmaitbien que l'individu présent devant la paroissecette nuit-là ne lui avait pas été dévoilé,comme elle l'espérait.

Je suis désolée, Caroline, fit-elle au boutd’un moment. Tu as raison. Je n’y étais pas...

Elle attendit. Caroline s’était détendue.Elle se massa les tempes et se laissa tomber surune chaise.

Que vous arrive-t-il ? S'inquiéta lafillette qui remarqua son anxiété. Vous n'avezpas l'air dans votre assiette…

Je suis fatiguée, Caroline. J’ai utilisé

248

Page 249: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

beaucoup d'énergie pour t'aider dans ta tâche.Et à présent, il est tard.

Nous devrions aller nous coucher, ren-chérit Magdeleine en attrapant la fillette parles épaules.

Mais avant qu’elle ne puisse l’entraînervers la porte, Caroline se précipita vers MlleBavent et l’enlaça fortement. Surprise, lafemme resta immobile.

Bonne nuit, Mlle Bavent.

La nuit fut secouée par l’orage et lescoups de tonnerre qui éclataient au-dessus dumonastère.

Caroline ne parvenait pas à trouver le

249

Page 250: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sommeil. Un étrange sentiment d’angoisse laterrassait, comme si elle sentait que quelquechose de terrible allait se produire.

Elle s’extirpa des draps sans bruit. Leséclairs illuminaient la pièce par intermittence.Elle s’approcha de la fenêtre et s’immobilisa.Dehors, les arbres, secoués par la tempête,donnaient la désagréable impression de s’ef-fondrer à chaque bourrasque. Cependant, iln’y avait rien d’alarmant dans les jardins.

Caroline poussa un soupir et regagna len-tement sa couchette. Bien que soulagée, l’an-goisse la saisissait toujours et ses oreilles bour-donnaient. Elle tenta de se calmer en fermantles yeux. Peut-être était-ce les ombres pro-duites par l’orage qui se répercutaient sur lesmurs, qui l’inquiétaient ? Sur le lit voisin, Ru-ben poussa un petit gémissement qui la fit sur-

250

Page 251: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sauter. Il bougea deux ou trois fois avant des’immobiliser pour de bon cette fois.

Au bout de cinq minutes, Caroline seleva. Impossible de fermer l’œil. Autant ne pasrester là. Sur la ponte des pieds, elle avançajusqu’à la porte et fit tourner le loquet. L’obs-curité l’envahit dès qu’elle poussa le panneaude bois et un nouveau sentiment d’inquiétudela prit à la gorge.

Elle inspira lentement, jeta un derniercoup d’œil à la pièce derrière elle et s’engouf-fra dans les ténèbres du couloir. Tout danscette atmosphère lugubre la poussait à fairedemi-tour et à se précipiter sous ses couver-tures. D’ailleurs, elle ignorait la raison qui lapoussait à continuer. Ses mains caressaient lemur décrépit de chaque côté. Ses pieds nusfoulaient la pierre froide dans un frôlement à

251

Page 252: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

peine audible. Elle entendait sa propre respira-tion et le martèlement désagréable de sonpouls qui battait ses tempes. Elle se demandasi les deux sorcières étaient endormies et sielle serait capable de retrouver le chemin quimenait à leur chambre. C’était sur sa droite,lui semblait-il, après un petit escalier qui par-tait vers le nord. Elle se pinça les lèvres et en-treprit de se guider dans le noir. Pourquoiirait-elle dans leur chambre ? Si on la décou-vrait en ce lieu, elle n’était pas certaine depouvoir se justifier. Et si elles lui jetaient unsort, histoire de lui faire passer l’envie d’êtrecurieuse ? Elle laissa échapper un soupir etavança lentement jusqu’à ce que ses pieds at-teignent le loquet de la trappe en bois qui des-cendait dans la grande salle.

Hors de question de faire apparaître une

252

Page 253: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

boule lumineuse tant qu’elle ne serait pas sûreque personne ne la remarquerait.

Les marches craquaient sous ses pas bienqu’elle eût pris toutes les précautions pourfaire le moins de bruit possible. Elle grimaça,s’attendant à voir surgir la sorcière derrièreelle. Aucun bruit ne semblait perturber lecalme de la nuit, au-dessus de sa tête. Ellepoussa un soupir de soulagement et poursui-vit son chemin. L’unique fenêtre devant ellelui renvoyait une succession d’éclairs telsqu’elle se serait crut en plein jour. De nou-veau, l’angoisse la submergea. Il y avait uneforme sombre dans un coin et elle n’y auraitpas fait attention si elle ne s’était pas brusque-ment mise en mouvement. La silhouette s’ap-procha et Caroline eut un geste de recul.S’agissait-il de Mlle Bavent ?

253

Page 254: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Au-dessus de sa tête, il y eut un bruit dechaise qu’on fait tomber et des talons cla-quèrent de manière précipitée. Elle ne sut pasvraiment ce qui se passa par la suite. Un voilenoir s’abattit sur elle et quelque chose lui en-trava la bouche. Elle poussa un cri étouffé et seretrouva soulevée du sol. Sa tête se mit à tour-ner et elle tenta une maigre résistance alorsqu’elle perdait conscience peu à peu. La der-nière chose dont elle se souvenait fut la voixpaniquée de Mlle Bavent qui l’appelait.

15Ruben, Franck et Stéphanie observèrent

les deux sorcières qui arpentaient la pièce delong en large. Le cri qu’avait poussé Mlle

254

Page 255: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Bavent ainsi que le raffut produit dans la mai-sonnée les avaient sortis de leur sommeil et ilsavaient quitté le dortoir en toute hâte. Bien en-tendu, l’absence de leur amie les inquiétait,mais ils n’eurent pas besoin de questionner lasorcière à ce sujet, car ce fut la première chosequ’elle leur dit.

–Qui l’a enlevée ? Questionna Ruben. Etpour quelle raison ?

Devant lui, la sorcière se massait lestempes. Elle leva les yeux vers Magdeleine, leslèvres pincées.

–Impossible de l’atteindre… son psy-chisme m’est totalement inaccessible !

–Réessaie, bon sang, lui renvoya Magde-leine qui semblait tout aussi perturbée par lasituation.

255

Page 256: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Voyant que ni l’une, ni l’autre ne semblaitl’avoir entendu, Ruben réitéra sa question, unbrin agacé. Cette fois, Magdeleine se tournavers lui.

–Leur but est d’inspirer la crainte et des’octroyer plus de pouvoir… souffla-telle en seremémorant sa prison et les actes de torturesqu’elle eut à endurer. Quoi de mieux qu’unepetite fille terrifiée pour montrer à la popula-tion ce dont ils sont capables…

–De qui parlez-vous?

–De l'Inquisition, mon garçon!

–Mais c’est monstrueux !

Magdeleine hocha la tête, le visage grave.À ces côtés, Élisabeth tapa du poing sur latable. Son geste fit dégringoler son contenu et

256

Page 257: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

plusieurs objets se fracassèrent sur le sol.

–Vont-ils l’immoler par le feu ?

Sa question fit tressaillir les deux sor-cières qui échangèrent un regard. Sans douten'y avaient-elles pas songé?

–Caroline est une sorcière, tenta de lesrassurer Ruben. Elle est capable de se dé-fendre…

–Et puis, je croyais que c’était fini le bû-cher ? Ajouta Stéphanie.

Élisabeth secoua la tête. La lueur de labougie posée devant elle créait des ombres surson visage.

–Crois-tu qu’elle serait en mesure de seconfronter à l’inquisition avec une boule de lu-

257

Page 258: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

mière dans les mains ?

Elle laissa échapper un petit rire tant cetteidée lui paraissait ridicule.

–Aidez-la alors ! Intervint Stéphanie.Avec vos supers pouvoirs, vous pouvez la ra-mener…

De nouveau, Élisabeth secoua la tête.

–C’est ce que je cherche à faire…

–Nous ne devons pas intervenir, renché-rit Magdeleine. Le destin…

Ruben poussa un soupir, exaspéré.

–J’en ai plus qu’assez de ces histoires…Qu’est-ce que la mort de Caroline peut chan-ger à votre foutue destinée ? On ne devraitmême pas être là ! Si elle n’avait pas lu cette

258

Page 259: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

formule, on serait toujours à notre époque etrien de tout ça ne serait arrivé !

Magdeleine attrapa une bougie poséedans la niche prés de la porte et l’alluma. Elleregarda la flamme durant un instant.

–Elle ne mourra pas, voyons !

–Ça ne doit pas se passer comme ça, je nepeux pas la laisser, c'est mon enfant!

D’un geste vif, elle attrapa sa cape coin-cée sur le dossier d'une chaise et avança versl’escalier. Ses doigts effleurèrent ses tempesune nouvelle fois.

–Non, Élisabeth !

Déjà, la silhouette de la femme disparais-sait dans l’ombre.

259

Page 260: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Suivons-la ! Lança Ruben en se levant.

–Mais...

Le garçon interrompit la jeune fille. Luiaussi avait entendu les dernières paroles de lasorcière.

-Ce n'est pas le moment...

Pendant ce temps, Caroline fut mise à nudevant les yeux des pénitents de la prison.Sous des acclamations glorieuses, ils remar-quèrent la marque rouge sur sa cuisse. Ils latraitèrent d’enfant du diable. Puis, ils se li-vrèrent ensuite à une série de tortures qu’ilspratiquèrent à l’aide d’aiguilles qu’ils plan-taient sans vergogne dans la chair délicate. Onl’emporta ensuite sous une galerie souterraineoù plongeait une cave et sous cette cave, on lajeta dans une basse fosse. Caroline poussait de

260

Page 261: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

grands cris, se débattait, tentait de mordremais cela ne faisait qu’empirer sa misérable si-tuation. Pourquoi ne parvenait-elle plus à userde ses pouvoirs ? Et pourquoi personne ne ve-nait la secourir ? Elle fondit en larmes et selaissa retomber lourdement sur le sol froid ethumide de sa prison. Les menaces de mortque lui avaient soufflées les pénitents conti-nuaient à résonner dans sa tête. Elle était unesorcière. Et ce statut, loin de la remplir de joieet d’excitation comme ça l’avait été, entraînaen elle, un profond sentiment de vide. Elleétait une sorcière et elle allait être brûlée. Brû-lée parce qu’elle était ce qu’elle était. Et qu’ellene l’avait pas choisi.

–Mlle Bavent, je vous en prie… murmu-ra-t-elle entre deux sanglots.

La douleur des coups d’aiguilles qu’elle

261

Page 262: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

avait reçus était insupportable. Elle sombra.

Des bras la saisirent par les épaules. L’es-pace d’un instant, perdue dans les méandresopiniâtres de ses espérances, elle crut recon-naître le visage de la sorcière qui venait la se-courir. Et elle garda cet espoir en elle, à moitiéconsciente, alors que les pénitents accompa-gnés par ses geôliers, la traînaient à travers lesgaleries souterraines.

Le mouvement de la foule la sortit de satorpeur. La grande place était inondée de gensqui la regardaient avec un mélange de dégoût,d’excitation et de haine. Certains lui cra-chèrent au visage et d’autres lui jetèrent despierres.

On la fit monter sur une estrade et on luienroula les bras autour d’un poteau. Puis, un

262

Page 263: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

homme, apparemment un religieux, tenta delui faire avouer des choses abominables aux-quelles elle refusa obstinément de répondre.

–Cette enfant porte la marque du diable !Cria-t-il alors en se tournant vers la foule. Elleporte en elle tous les péchés de la création, néede l’union des créatures de l’enfer !

Ses paroles entraînèrent de vives accla-mations approbatives. Puis, un garde mit feuau bûcher.

Des flammes jaillirent autour d'elle. Caro-line sentait le feu lui lécher la peau et ses pou-mons prêts à exploser. Elle hurla. L’air luimanquait et la douleur, trop atroce pour êtresupportée, la fit sombrer dans l’inconscient.

Elle ne sut jamais ce qu’il se produisit parla suite.

263

Page 264: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Mlle Bavent… s’entendit-elle murmuréen voyant son visage se détacher dans la pâlelueur de l'aube. J’ai… j’ai fait un horrible cau-chemar…

Il y avait de la lumière dans ses yeux etdes larmes avaient laissé des traces sur sesjoues. Caroline sentit son étreinte se resserrer.

–Vous…vous avez pleuré ? Ce…Cen’était pas un cauchemar ?

Mlle Bavent secoua la tête.

–Tout va bien maintenant.

Derrière elle, Caroline voyait défiler unciel gris et brumeux, signe que l’orage n’étaitpas loin. L’air était humide, chargé d’uneétrange odeur de roussi.

264

Page 265: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Laissez-moi descendre, s’il vous plaît ?

Ils se trouvaient à présent prés du bois oùils avaient été poursuivis l’autre nuit et Caro-line frissonna. Ses trois amis vinrent à sa ren-contre.

–Ça va ? Lança Franck en lui étreignantfermement les épaules.

–Que s’est-il passé ?Voulut savoir Caro-line qui remarqua la fumée noire qui avait prisforme un peu plus loin.

–Il était moins une, lui répondit Ruben enposant une main rassurante sur le sommet desa tête. On croyait t’avoir perdu.

–La sorcière t’a sauvé la vie encore unefois ! Lança Franck, comme si c’était la nou-velle du siècle.

265

Page 266: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Stéphanie leva les mains. Ses yeux pé-tillaient d’excitation alors qu’elle tentait denarrer avec précision ce qui les avait menésjusqu’ici.

–On a cru qu’elle allait tout casser… Elleétait dans une colère, Caro, si tu l’avais vue…

–… mais elle a tout cassé… l’interrompitFranck d’un ton lugubre en levant le doigtvers le nuage noir de l’autre côté du bois qu’ilstraversaient.

–Oui, c’est vrai, avoua la jeune fille en ob-servant les deux sorcières, qui, bien que silen-cieuses ne semblaient pas perdre une miettede leur discussion.

Puis, ils éclatèrent de rire.

–Heureusement que tu as deux sorcières

266

Page 267: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

pour veiller sur toi !

Les deux sorcières s’arrêtèrent. Elles setenaient devant une pierre tombale. Juste de-vant la stèle, quelqu’un avait creusé un trou,presque aussi profond qu’un puits. Il y avaitune large grille en fer rouillée, posée dessus.Ruben essuya ses lunettes et se pencha pourdéchiffrer l’inscription gravée. Caroline quantà elle, s'était avancée au bord du trou.

Brutalement, la sorcière l’attrapa par lepoignet et la contraignit à se reculer.

–Ne reste pas sur la grille !

–Qu’y a-t-il dans ce trou ? S’enquit Rubenen levant le menton.

Magdeleine avança lentement vers lastèle et caressa la pierre. Son expression en di-

267

Page 268: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

sait long sur son propriétaire.

–Un démon, fit-elle, les yeux dans levague. Un être redoutable et sans conteste, leplus craint de tous.

Caroline gloussa doucement.

–C’est votre chéri ?

–Il est bien plus que ça, ma douce enfant.Il est l’amant et le père de toutes les sorcièresde notre lignée.

Les deux filles échangèrent un regard in-crédule.

-C’est du grand n’importe quoi… soupiraCaroline à l’intention de son amie.

–Qu’y a-t-il d’écrit ? Voulut savoir Ru-ben. Ce n’est pas du français… et ça ne res-

268

Page 269: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

semble pas à du latin, non plus.

Magdeleine poussa un petit rire.

–C’est écrit que lors de leur premièrelune, à leur douzième anniversaire, vingt-neufgénérations de sorcières de même lignée se-ront fécondées par lui.

–… et que la trentième mourra en don-nant la vie, acheva brusquement Élisabethdans un murmure à peine audible.

Les deux garçons, gênés, baissèrent lesyeux.

-C’est quoi la première lune ? S’enquitCaroline.

La sorcière se pencha vers elle avec unsourire.

269

Page 270: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–C’est ce que les filles d’aujourd’hui ap-pellent les règles, il me semble.

Magdeleine renifla l’air un instant. Unvent glacial s’était levé.

–Mais ce n’est qu’une légende, précisa lasorcière en observant son aïeule du coin del’œil.

Caroline se pencha de nouveau vers letrou. Le vent, qui faisait voler ses cheveux, lafaisait frissonner et elle se frotta les avant-bras.

–Il est là-dedans ?

Magdeleine hocha la tête. Elle fit un pasdans sa direction et attrapa fermement sonmenton. De nouveau, elle renifla.

–Quel âge as-tu, ma fille ?

270

Page 271: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Caroline la repoussa, la mâchoire endolo-rie. Une flamme étrange dansait dans les yeuxde l’aïeule et Caroline, inquiète, chercha Mllebavent du regard.

–J’ai douze ans, dit-elle.

–Oui, bientôt, ajouta la sorcière en enve-loppant la fillette avec les pans de sa cape.

–Elle sent…

–Je sais ! L’interrompit brusquement lasorcière en lui jetant un regard mauvais.

Les nuages au-dessus de leurs têtes en-flèrent subitement et une pluie glacée s’abattitsur leurs épaules.

–Dis donc, elle ne s’est pas sentie, elle !Lâcha Stéphanie avec amertume.

271

Page 272: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Ruben leva la main pour la faire taire.Autour d’eux, les arbres s’agitaient en toussens.

–Pourquoi nous avoir amenés ici ?

–Parce que nous rentrons, mon garçon.

–Il était temps, lâcha Stéphanie. Je rêvede prendre une douche !

Élisabeth s’avança dans leur direction,Caroline à ses côtés. Puis, alors que les quatreenfants s’étaient réunis, elle leva une main de-vant elle.

Un amas de poussière se souleva et unevive lumière transperça le paysage.

–Qu’est-ce qu’il se passe ? S’écria Ruben.

–N’ouvrez pas les yeux, les avertit la voix

272

Page 273: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

de la sorcière.

16La voix résonna un long moment, comme

un écho.

Bien plus tard, cependant, la mémoireleur faisait défaut. Ils se trouvaient étendusdevant les marches de l'église.

–Aïe, ma tête…

Ruben venait d’ouvrir les yeux. Son sangbattait contre ses tempes.

–Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Ses trois amis se tenaient debout, et ba-

273

Page 274: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

layaient les environs d'un air égaré.

–Pourquoi sommes-nous là ? DemandaStéphanie à l’intention de Caroline.

–Mais comment veux-tu que je le sache !Cracha cette dernière. Je ne suis pas devin !

Franck se pencha pour aider son ami à selever et regarda l'église avec perplexité.

–Tout ce dont je me souviens, c’est qu’onavait trouvé un grimoire. Ensuite, plus rien.

Caroline jeta un coup d’œil vers le par-king de l’église. La vieille Rolle-Royce duprêtre n’était pas là. Donc, il n’était pas encorerentré. Elle invita ses amis à la suivre dans lachapelle et ils descendirent vers la crypte.Tout était sombre. Elle se glissa au sol pourchercher le grimoire. Il restait introuvable.

274

Page 275: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

–Je ne comprends pas, finit-elle par dire,j’étais pourtant sûre que le grimoire se trou-vait là…

Stéphanie aida son amie à chercher. Legrimoire avait apparemment disparu.

–L’important, souligna Ruben qui se te-nait debout au pied des escaliers, c’est de sa-voir ce qu’il s’est passé entre le moment où ona trouvé ce fameux livre et celui où on s’est re-trouvé devant la paroisse !

Caroline plissa les yeux.

–Je n’ai pas le souvenir d’avoir perduconnaissance, pourtant, ajouta Franck.

Stéphanie se releva et épousseta ses vête-ments. Elle tira le col de son tee-shirt et grima-ça.

275

Page 276: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

-J'ai l'impression d'avoir dormi dans unedécharge ! Vous avez vu mes bottines ?

Ruben regarda les chaussures de la jeunefille et constata non sans surprise, qu'ellesétaient pleine de boue. D'ailleurs, ses basketsneuves avaient visiblement subi le même trai-tement à en juger par la terre collée sur ses se-melles.

Oui, c'est curieux, dit-il en examinant lasalopette de Caroline qui se tenait devant lui.

Moi aussi j'ai de la boue sous les bas-kets, fit remarquer Franck en soulevant seschaussures. Mes vêtements et mes cheveuxsont humides et poisseux, comme si je venaisde me prendre une averse...

Caroline haussa les épaules.

276

Page 277: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Pourtant, il pleut pas...

Stéphanie, à ses côtés, huma l'air un ins-tant et pivota vers elle.

Vous sentez cette odeur ?

Les deux garçons en firent autant. Assissur les marches poussiéreuses, ils échangèrentun regard intrigué.

Ça sent le lilas... constata Franck enfronçant les sourcils.

En tout cas, ce n'est pas moi, ajouta lajeune fille. J'ai plutôt l'impression de ne pasavoir pris de douche depuis une semaine ! Enplus, ça me gratte partout !

Caroline poussa un petit rire.

Ce n'est pas le parfum de Mlle Bavent ?

277

Page 278: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Questionna Ruben en plissant les yeux der-rière les verres de ses lunettes.

Il fixait Caroline depuis un bon momentdéjà, comme s'il la soupçonnait de quelquechose. Cela lui paraissait assez étrange qu'ellesoit la seule à ne pas avoir de terre sous leschaussures, ni où que ce soit d'autre,d'ailleurs. Comme il posait cette question, ilremarqua alors que son amie avait enroulé sesbras autour d'elle, comme un geste protecteur.Il était persuadé qu'elle aussi l'avait senti et iljurerait que l'odeur émanait d'elle. D'ailleurs,son regard fuyant en disait long sur ses pen-sées.

-Oui, peut-être, approuva Franck. Mais jedoute qu'elle soit disposée à nous donner desinformations sur ce qu'il nous est arrivé !

278

Page 279: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

-Elle va nous rire au nez ! Renchérit Sté-phanie.

Ruben hocha la tête.

-Elle nous a effacé la mémoire ? Question-na Caroline, qui avait visiblement du mal à lecroire.

Stéphanie frissonna.

Ça fait froid dans le dos !

Elle a sans doute ses raisons, poursuivitFranck.

Il se tourna vers Caroline.

C'est toi qui sens le lilas... remarqua lejeune garçon.

Caroline s'immobilisa. Elle se pinça les

279

Page 280: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

lèvres et hocha lentement la tête.

Je sais pas pourquoi...

Elle a dû te faire un gros câlin, ma pa-role !

La jeune fille ricana en lui donnant un pe-tit coup de coude. Caroline poussa un grogne-ment contestataire.

-Quoi qu'il en soit, finit par dire Ruben,nous sommes sûrs que quelque chose s'estpassé.

Oui, mais quoi ?

Si seulement je le savais...

280

Page 281: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

à suivre :

La Malédiction:

Les enfants de l'oubli

281

Page 282: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

Collection la malédiction :

1 : Bienvenue en enfer

2 : Course contre lamontre

3 : À travers le temps

4 : Les enfants de l'oubli

5 : La nuit d'Halloween

6 : Volak

282

Page 283: toujours et elle se sentait un peu perdue. affaires. …...–Bonsoir, tout le monde. Elle se retourna. Caroline attendait de-hors, les mains dans les poches. –Aller, entre, dit-elle

7 : La Fin

0: Journal d'une sorcière

283