L’Homme invisible (The Invisible Man) États-Unis - 1933 Réalisation : James Whale Scénario : R.C. Shériff d'après L’Homme invisible d’ Herbert G. Wells Image : Arthur Edeson Montage : Ted J. Kent Musique : W. Franke Harling Production : Carl Laemmle Jr. Interprétation : Claude Rains (Jack Griffin) Gloria Stuart (Flora Cranley) William Harrigan (Dr Kemp) Henry Travers ( Dr Cranley) Dudley Digges ( Le chef de la police) Una O'Connor ( Mme Hall) Forrester Harvey (M. Hall) E.E. Clive (Officier Jaffers) Effets spéciaux : John Fulton Durée : 1h11

B.Barette I.Ganon

P. Virmoux CPAV DSDEN 76

L’ Homme invisible est réalisé par le studio Universal en 1933, deux ans après les succès de Dracula et de Frankenstein ( un film déjà à l’actif de Whale) et un an après celui de la momie. Le film appartient à cette série des « Universal Monsters » tournés dans le contexte particulier des années trente et de la crise sociale et économique engendrée par le krach boursier de 1929 dont les films de l’époque et notamment les films fantastiques portent la trace. Le film est réalisé six ans après l’avènement du parlant. Le jeu des acteurs dont les émotions parfois frisent l’exagération témoigne de cette période de transition entre le muet et le parlant. Le film est l’adaptation cinématographique d’un roman d’ Herbert G. Wells écrit en 1897. Wells n’avait pas apprécié l’adaptation faite par les studios Paramount Pictures d’un autre de ses romans, l’île du docteur Moreau et lorsqu'il consent à vendre les droits de l'homme invisible, il oblige les studios à lui laisser un droit de regard. R.C. Shériff signe le scénario. Pour les effets spéciaux, John P. Fulton, à qui l'on doit le travail exceptionnel sur Frankenstein, est sollicité. Il est aidé par le maquilleur Jack Pierce qui œuvrera sur pratiquement tous les grands monstres d'Universal, aussi bien la momie (1932), que le loup-garou (1941), ainsi que sur le Dracula de Tod Browning (1931). La réalisation du film revient à James Whale, encore tout auréolé du succès monumental de son Frankenstein. Il y brosse à nouveau le portrait d'un scientifique dont le complexe prométhéen vire à la folie furieuse. Mais quand le mal venait pour Frankenstein d'un excès du visible (ce qu’est l’image saturée du monstre), il vient dans l’homme invisible de son extrême défaut.

Whale propose une adaptation transposée du roman : il accentue la mégalomanie de l’homme invisible qui devient une des principales singularités et qualités du film. Le sentiment de solitude et d’exclusion ressenti par l’homme invisible du roman n’est pas autant développé que dans le film ; enfin, Whale abandonne un personnage important du roman, le vagabond Marvel, ( l’âme damné de l’homme invisible) et crée les personnages de Flora et de son père. Comme dans le roman, le Kemp du film dénonce l'homme invisible à la police, mais là, pour des motifs bassement calculés : il est jaloux de Griffin, car lui aussi aime la charmante Flora ; il cherche donc à se débarrasser de son rival ce qui causera sa perte : la vengeance de l'homme invisible est implacable. Le Kemp du roman est un homme courageux qui voit en l'homme invisible un mégalomane dangereux, quand le Kemp du film n'est qu'un lâche cherchant avant tout son propre intérêt. Quant au dénouement de l'histoire, s'il s'illustre toujours par la mort violente de l'homme invisible : dans le roman, il est assommé à coups de bêche par un ouvrier, alors qu'il tente d'étrangler Kemp ; tandis que dans le film, il tombe dans un piège : un paysan le dénonce après avoir deviné sa présence dans sa grange. Si dans le roman, la fin de l'homme invisible est pitoyable : en pleine rue, son corps allongé, réapparaît, nu, défiguré et couvert de sang ; dans le film, Griffin redevient visible dans un lit d'hôpital, et expire, l'âme apaisée, la douce Flora à son chevet.

Boris Karloff est pressenti par les producteurs pour incarner le rôle mais James Whale, réalisateur vedette , réussit à imposer Claude Rains, un acteur anglais alors inconnu mais au talent et surtout à la voix exceptionnelle malgré un accent cockney très marqué. Son élocution très théâtrale apporte la dimension intellectuelle que le rôle exige. Le question de la voix apparaît cruciale puisque l’homme invisible est dans pratiquement toutes les scènes et ne manifeste sa présence corporelle que par son discours. Cette omniprésence tronquée du personnage a d'ailleurs quelque chose de paradoxal et l’on ne voit le visage de l'acteur qu'à la toute dernière seconde du film. Ce premier film pour Claude Rains le fait connaître à Hollywood. L’humour n’est pas absent dans le film ( comme d’ailleurs dans le roman) mais ce n’est pas un humour plaqué utilisé pour minorer les passages terrifiants, c’est un humour qui prolonge avec à-propos les situations de terreur et offre une respiration. Le cinéaste avait bien compris qu'il est nécessaire de faire retomber la tension périodiquement dans un film (Hitchcock fera de même dans pratiquement tous ses films), le spectateur ayant besoin de temps pour se remettre entre chaque passage éprouvant. Si James Whale n’est pas ni le plus connu ni le plus respecté des réalisateurs de cette époque ( Tod Browning est arrivé avant et Fritz Lang a anticipé toutes les révolutions de son art), il réussit la prouesse de filmer «L’homme invisible», ce qui pose des questions formelles et théoriques de cinéma, questions absentes des autres films fantastiques. Il s’agit, ni plus ni moins, que d’inventer un hors champ dans le champ, d’adopter le point de vue d’un personnage que ses interlocuteurs ne voient pas… et de repenser la nature même d’un plan de cinéma.

L’homme invisible fait sa première apparition dans le roman éponyme de H.G. Wells publié en 1897 où l'on découvre un scientifique ruiné et désespéré qui invente une potion pour le rendre invisible afin de fuir ses créanciers. La capacité à se rendre invisible est une thématique très répandue dans les cultures. Aux origines, on peut évoquer l'anneau de Gygès dans l'oeuvre de Platon, un anneau qui permet à celui qui fait tourner la pierre de la bague vers l'intérieur de la main de se rendre invisible et de commettre tous les méfaits possibles. Plus récemment, c'est aussi un anneau qui permet à Frodon, personnage principal du Seigneur des anneaux, de se rendre invisible, fuyant ainsi les situations dangereuses. Dans Harry Potter, le jeune sorcier joue des tours et mène l'enquête grâce à sa cape d'invisibilité. Le film de James Whale donnera lieu à toute une série de remakes et de séries TV. Plus récemment, en 2012, dans le film Hôtel Transylvanie, l’homme invisible fait partie des monstres invités par Dracula : le personnage a le pouvoir d'invisibilité mais il est myope comme une taupe et ses lunettes de vue témoignent de sa présence.

Qu’est donc cet homme invisible, désireux avant tout de trouver l’antidote à son invisibilité, pour pouvoir à son aise se soustraire aux yeux de ses contemporains, sinon un homme qui sait le bonheur qu’il y a à pouvoir échapper à sa propre image ? La problématique de l’image projetée par l’individu et de la foule qui s’en empare réside au centre de L’Homme invisible : Whale semble y stigmatiser le paradoxe de l’homme de cinéma, le réalisateur, ou l’acteur à l’image créée, et à qui il n’est bientôt plus possible de se séparer de l’image que la foule a brodée sur sa propre invention. C’est le paradoxe porté par L’Homme invisible : le public d’un des films les plus visuels de son époque, Frankenstein, se ruera sur un film dont le prodige visuel est l’absence – et en retrait, Whale semble déjà mûrir avec ironie sa réflexion sur l’image et sur la différence, qui feront de La Fiancée de Frankenstein l’un des plus beaux films de tous les temps. Vincent Avenel

http://www.critikat.com/actualite-cine/critique/l-homme-invisible.html

Point d'orgue du film : cette scène mémorable, intense, où il s'adresse à son entourage, et au spectateur : « Espèces de fous, vous mourez d'envie de savoir qui je suis... je vais vous le montrer. » Retirant ses lunettes, ses bandages, le vide apparaît, une absence infernale qui parvient à envahir l’écran. Cette scène, magnifiquement orchestrée par le spécialiste des effets spéciaux John P. Fulton, marqua les mémoires. Mais jamais James Whale ne se laisse emporter par la prouesse technique. La présence de son homme invisible, il la suggère la plupart du temps en suivant ses déplacements avec sa caméra comme s'il suivait une personne visible. Un procédé simple qui montre la croyance de l'artiste dans le simple pouvoir de suggestion du cinéma. Ou comment avec un simple panoramique accompagné de bruits de pas, il parvient à créer un corps, une présence. Whale, comme il est souvent coutume à l'époque, parsème son film de quelques instants détendus, comiques. Mais à contrario des autres réalisations utilisant ce procédé pour détendre le spectateur et le préparer à un nouvel assaut, ici l'humour acerbe est utilisé pour renforcer la présence maléfique de Griffin, son cynisme face à un monde qui n'est pour lui qu'une fourmilière qu'il convient d'écraser.

Olivier Bitoun http://www.tvclassik.com/notule2.php?id_film=1158

Le film pourrait se diviser en cinq parties, les quatre premières constituant une montée en puissance vers la folie à l’exception de la dernière où l’ homme invisible retrouve son humanité. Whale montre un grand savoir-faire dans l’ exposition de ces cinq parties sans ménager de temps mort et en restant extrêmement cohérent. Première partie : Arrivée de l’homme invisible au village, sous la neige ( hostilité du climat). Installation dans l’auberge. Suspicion des aubergistes et des clients ( hostilité de la population). Deuxième partie : L’ exaspération des aubergistes et leur volonté de mettre à la porte ce client acariâtre et mauvais payeur oblige l’homme invisible à dévoiler son secret. Troisième partie : Son secret découvert, l’homme invisible laisse libre cours à son « inhumanité ». Escalade dans la folie meurtrière. Quatrième partie : La chasse à l’homme invisible s’organise. Cinquième partie : L’homme invisible est piégé et mis à mort. Séquence finale, l’homme invisible en mourant redevient humain.

Avant la projection ● Proposer aux élèves à partir du titre d’écrire un court synopsis possible : une histoire dans ses grandes lignes qui pourra exposer les conditions dans lesquelles le héros est devenu invisible, les aventures occasionnées par ce don… ● Proposer aux élèves d’imaginer des situations rendues possibles par l’invisibilité. Les propositions des élèves pourront donner lieu à un débat visant à la compréhension des grands principes de lʼaction morale.

● Analyser l’affiche du film 1. Décrire ce que l’on voit L’image Les personnages : leur position dans l’affiche, leur taille respective, leur posture, leurs vêtements ; les visages (les regards, les expressions…) Les couleurs Les objet L’écrit Le titre (typographie, couleur, graphisme) Les autres écrits 2. Interpréter Mettre en œuvre des hypothèses dont la validation résidera dans le visionnement du film.

L’homme invisible En haut à gauche, « domine » les autres personnages → un pouvoir très grand ? De ses yeux sortent des éclairs → personnage maléfique ? Le scientifique En bas à gauche ( blouse et tube à essai) → l’invisibilité , fruit d’une expérience ? La jeune femme Une histoire d’amour avec l’homme invisible ou avec l’homme vers lequel elle tourne son regard ? → Rivalité entre cet homme et l’homme invisible ? Le titre Des lettres déformées qui s’affinent à la base : idée de volatilisation renforcée par la ligne blanche tremblotante à l’intérieur des lettres en réponse au titre La mention « fantastic sensation » → film fantastique Les couleurs Contraste dynamique des complémentaires rouge/vert → un film d’aventure avec des rebondissements

Après la projection Vérifier la compréhension du film ; en retrouver la chronologie en ordonnant des photogrammes. Associer à chaque photogramme sa légende. ( voir les 2 fiches suivantes). Travailler sur le ressenti, inviter les élèves à exprimer leurs impressions sur le film : ce qui les a étonnés, ce qui les a dérangés, ce qui les a fait rire, ce qui leur a fait peur, ce qui les a émus, déçus…. S’intéresser aux trucages ( les lister, lire des explications ). Travailler le langage cinématographique : retrouver les différents plans et les angles de prises de vue dans les photogrammes de la fiche suivante (les prises de vue en contre-plongée sont récurrentes dans ce film). L’adaptation cinématographique : comparer la mort de l’homme invisible dans le roman et dans le film. Dresser le portrait des personnages du film : Les personnages principaux Les personnages secondaires Lister les différentes « apparences » de l’homme invisible : invisible, habillé et le visage recouvert de bandelettes, sans tête avec des habits… et ce qui ne le rend plus tout à fait invisible : quand il porte un vêtement, quand il laisse ses empreintes, les gouttes sur la tête et les épaules en cas de pluie, lorsqu’il attrape des objets… sa voix… Trouver d’autres situations dans lesquelles l’homme invisible ne le serait plus tout à fait : il pourrait éternuer, tousser, pleurer … des chiens pourraient sentir sa présence, on pourrait le bousculer….

1. Un homme étrange arrive à l’auberge du village et demande à être logé. Son apparence intrigue les clients et les aubergistes.

2. Excédés par ce client irascible et mauvais payeur, les aubergistes font appel à la police pour l’expulser. L’homme - le professeur Griffin - dévoile son secret : il a mis au point le sérum d’invisibilité. Il retire ses vêtements et invisible, s’enfuit facilement de l’auberge.

3. L’homme invisible trouve refuge chez Kemp, l’un de ses collègues scientifiques. Il lui expose son projet de dominer le monde.

4. Avertis par Kemp, le professeur Cranley et sa fille Flora, la fiancée de Griffin, arrivent. Flora ne parvient pas à raisonner Griffin. Cranley explique les terribles effets du sérum d’invisibilité qui rend fou.

5. Kemp a également averti la police. Griffin le tue.

6. La police essaie d’arrêter l’homme invisible qui réussit à échapper aux pièges qui lui sont tendus.

7. Il vole une banque, provoque une catastrophe ferroviaire et plusieurs accidents mortels.

8. Traqué, il se réfugie dans une grange ; les policiers avertis de sa présence dans ce lieu l’obligent à sortir de la grange où ils ont mis le feu. L’homme invisible, trahi par ses empreintes dans la neige est finalement abattu.

9. L’homme invisible est conduit à l’hôpital. Flora, assiste impuissante à son agonie. La mort lui permet de retrouver son apparence humaine.

« Les scènes où le héros est partiellement vêtu et où les parties nues de son corps demeurent invisibles ont posé de gros problèmes. L’utilisation de fils invisibles était impossible car les vêtements auraient semblé vides et leurs mouvements n’auraient pas paru naturels. Nous avons choisi de superposer plusieurs prises. Ces scènes comportaient des personnages normaux, nous avons effectué des prises de vue ordinaires sans que l’homme invisible ne soit présent dans ces plans (1). Il fallait minuter soigneusement l’action comme c’est le cas à chaque fois qu’on élabore une surimpression. Le négatif fut ensuite développé de manière ordinaire. C’est alors qu’intervenaient les prises de vues spéciales. On tournait dans un décor entièrement noir – tapissé aux murs et au sol de velours noir afin de ne réfléchir aucune lumière. L’acteur était habillé de la tête au pied avec des collants et une cagoule noire. Par-dessus tout ça, il portait le costume du personnage. On avait donc l’impression de voir des vêtements se mouvant au sein d’un espace vide (2). Par la surimpression et le jeu des caches, nous obtenions un assemblage qui pouvait servir de copie finale pour le film .»(3). John Fulton

Les trucages

John Fulton décrit également comment ils firent les traces dans la neige : « Là où les empreintes devaient apparaître, on a creusé une tranchée qu'on a couverte d'une planche dans laquelle on a découpé les empreintes. Dans les trous ainsi obtenus, on a emboîté des pièces de bois découpées à la forme des empreintes. Elles reposaient sur des pitons plantés dans la tranchée. Une corde entourait ces pitons et en tirant dessus, on faisait tomber la pièce de bois. La neige tombait alors dans les trous, et l'on obtenait des empreintes parfaites. »