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1 DE CHOSES ET D’AUTRES EN DROIT DE LA FAMILLE1 La jurisprudence récente en droit familial 2015-2016 ADDENDA Texte préparé par : Me Michel Tétrault, Ad.E. GILBERT TÉTRAULT ABRAN Bureau d’aide juridique, Sherbrooke 1 Aucune reproduction sans l’autorisation écrite de l’auteur sur Internet ou par tout autre moyen.

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1

DE CHOSES ET D’AUTRES EN DROIT DE LA FAMILLE1

La jurisprudence récente en droit familial 2015-2016

ADDENDA

Texte préparé par :

Me Michel Tétrault, Ad.E.

GILBERT TÉTRAULT ABRAN

Bureau d’aide juridique, Sherbrooke

1 Aucune reproduction sans l’autorisation écrite de l’auteur sur Internet ou par tout autre moyen.

Page 2: Texte préparé par : Me Michel Tétrault, Ad.E.avocatsdeprovince.qc.ca/ateliers2016/Michel_Tetreault... · 2017. 4. 17. · 2 ADDENDA 3.0 DE PREUVE ET DE PROCÉDURE 3.1 Les amendements

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ADDENDA

3.0 DE PREUVE ET DE PROCÉDURE

3.1 Les amendements

Dans l’arrêt Phaneuf c. Poudrette2 , la Cour réitère ses enseignements quant à la

possibilité d’amender une procédure. En l’espèce, les défendeurs recherchent une

permission d'appeler d'un jugement rendu par la Cour supérieure, qui «statue que la

demande introductive d'instance ré-ré amendée du 26 avril 2016 est valablement produite

au dossier et que les modifications qu'elle énonce sont autorisées ».

Les défendeurs plaident que l'examen de leur demande doit se faire selon l'article 31 du

C.p.c.3 et que la Cour devrait l'accueillir puisque les amendements autorisés, comportant

une demande entièrement nouvelle, ne répondent pas aux exigences de l'article 206 C.p.c.

et qu'ils ne sont, au surplus, ni dans l'intérêt de la justice ni respectueux du principe

directeur de la proportionnalité.

Les demandeurs soutiennent que cette permission doit être refusée puisque le jugement

rendu n'est pas susceptible d'appel et qu'il ne s'y trouve, au surplus, aucune erreur. À cet

égard, ils rappellent que le juge de première instance applique correctement l'article

206 C.p.c., en ce qu'il analyse et compare les conclusions existantes à celles proposées et

qu'il retient que ces dernières sont tout simplement plus détaillées que les précédentes. La

permission d’appeler est refusée

3.2 Le secret professionnel et le dossier médical

Dans Nazzari c. Nazzari 4, l'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour

supérieure, qui a rejeté sa demande en cours d'instance visant à ce qu'on lui communique

le dossier médical de son défunt père. La procédure introductive d'instance de l'appelant,

son fils, recherche l'annulation des deux derniers testaments notariés du défunt, l'un signé

2 EYB 2016-269317, 2016 QCCA 1329 (C.A.).

3 RLRQ., c. C-25.01.

4 EYB 2016-269313, 2016 QCCA 1334 (C.A.).

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quelques semaines à peine avant le décès, soit le 30 septembre 2013, et l'autre environ 3

ans plus tôt, soit le 31 octobre 2010. Cette procédure, maintes fois modifiée, allègue la

captation, l'incapacité du testateur de même que sa cécité. Le pourvoi que la Cour doit

trancher s'attaque à deux jugements interlocutoires consignés dans un même écrit. Dans

le premier, le tribunal d’instance rejette la requête de l'appelant sollicitant la permission

d'ajouter des allégations à sa requête pour ordonnance de communication de plusieurs

dossiers médicaux du de cujus5. Dans le second, il rejette cette dernière requête, mais

réserve à l'appelant le droit de réitérer sa demande au juge du fond. La Cour se prononce

comme suit :

21 En l'espèce, l'état de santé physique du de cujus, incluant ses capacités visuelles, de même

que ses capacités cognitives et son libre arbitre sont au cœur même du litige opposant le frère et

la sœur quant à la validité des testaments signés en 2010 et 2013. Sous ce rapport essentiel, je ne

puis voir comment la preuve pourrait raisonnablement être administrée sans l'apport des dossiers

hospitaliers et médicaux dont l'appelant recherche la communication.

22 La réserve en faveur de l'appelant du droit de demander au juge du fond de trancher la

demande de communication me paraît à la fois non fondée et inopportune, dans la mesure où, au

moment du procès, sa mise en œuvre constituerait une importante entrave au bon déroulement de

l'instruction.

23 Au soutien de la thèse du refus de communication, l'intimée invoque également le secret

professionnel auquel sont tenus les médecins. À mon avis, les arrêts Frenette et Pagé précités

suffisent à répudier cet argument, et ce, malgré l'insistance de l'avocat de l'intimée qui, en cours

de délibéré, a attiré l'attention de la Cour sur deux arrêts récents prononcés par la Cour suprême.

Cour renvoie à l'arrêt précédent.

[…]

26 En second lieu, le devoir de confidentialité que l'intimée invoque est celui qui incombe aux

médecins et institutions hospitalières et non celui des avocats et notaires. Je me réfère encore une

fois aux motifs du juge Giroux qui, dans Pagé, souligne les distinctions qui s'imposent :

[41] D'autre part, comme le signalent les professeurs Ducharme et Panaccio, la jurisprudence

québécoise a retenu la thèse du caractère restrictif du secret professionnel dans les professions

autres que celles des avocats et des notaires.

[42] Dans son arrêt Frenette c. Métropolitaine (La), compagnie d'assurance-vie, la Cour

suprême a avalisé la jurisprudence de notre Cour du début des années 80 selon laquelle, pour

déterminer l'étendue du secret professionnel, il faut concilier deux valeurs fondamentales de la

société à savoir le droit au respect de la vie privée et le droit à la justice. La réconciliation de ces

deux droits fondamentaux commande une interprétation restrictive du secret professionnel. La

Cour suprême a été d'avis que ces décisions étaient plus compatibles avec le raisonnement qui

sous-tend l'article 9 de la Charte et le droit à la non-divulgation de renseignements confidentiels

que l'interprétation libérale de cette disposition en cas de conflit avec l'administration de la

justice adoptée par notre Cour dans des arrêts de 1977 et 1989.

5 La demande est faite en vertu de l’article 251 C.p.c. (ancien 402).

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[43] L'arrêt Cordeau c. Cordeau, auquel la Cour suprême a donné son aval dans son

arrêt Frenette, a justement été rendu dans le contexte d'une action en annulation de testament au

cours de laquelle les appelants ont fait entendre le médecin traitant du de cujus. Au cours de son

interrogatoire, le juge de première instance a soulevé d'office la question du secret professionnel

du médecin et a mis fin à son témoignage qui, selon lui, contrevenait à l'article 9 de la Charte. Il

a conclu que cette disposition interdisait au médecin de dévoiler le contenu de ce qui lui avait été

révélé ou déclaré en raison de sa qualité de médecin. Il ne pouvait être libéré de son secret que

par une autorisation de son patient ou une disposition expresse de la loi.

[44] L'appel fut accueilli par un jugement majoritaire et le témoignage du médecin fut jugé

admissible. Selon le juge Turgeon et le juge Paré, l'intérêt de la justice exigeait la découverte de

la vérité. Au surplus, pour le juge Turgeon, il apparaissait contraire à l'administration de la

justice d'interdire au médecin de famille de témoigner sur la capacité mentale de son patient au

cours d'une action en annulation de testament.

[45] L'arrêt Cordeau c. Cordeau n'a jamais été infirmé et notre Cour n'est pas revenue sur cette

interprétation qui, on l'a vu plus haut, a reçu l'approbation de la Cour suprême.

(Nos soulignements; renvois omis)

On aurait pu ajouter l’arrêt de la Cour suprême dans Glegg c. Smith6, qui confirmait

l’importance de la pertinence quant à la demande de divulgation des informations

contenus au dossier médical quant à la nature de questions à solutionner. On réitèrera

que le secret professionnel de l’avocat est plus étanche que celui de autres professions.

3.3 L’intervention de la Cour d’appel Dans

7, la Cour renvoie à la norme d'intervention applicable, et qui est énoncée par les

arrêts de la Cour suprême dans les arrêts Hickey et Van de Perre. La Cour en étudiant le

jugement d’instance conclut qu’en l'espèce : « les erreurs identifiées sont fatales : il s'agit

d'erreurs importantes, significatives et donnant lieu à « la conviction rationnelle que le

juge de première instance doit avoir oublié, négligé d'examiner ou mal interprété la

preuve de telle manière que sa conclusion en a été affectée ». C’est là le critère qu’il faut

retenir, la Cour a rappelé souventes fois qu’on ne peut lui demander de refaire le procès

de première instance sans la présence des éléments mentionnés ci-haut.

La Cour souligne qu’en l’espèce la Procureure générale du Québec était tout fait fondée à

intervenir au dossier en raison de la subrogation en faveur du ministre et de l'absence de

convocation au débat. Sachant que des arrérages s'étaient accumulés et que Madame était

6 EYB 2005-90619, [2005] 1 R.C.S. 724, 2005 CSC 31, J.E. 2005-994 (C.S.C.).

7 EYB 2016-269029, 2016 QCCA 1300 (C.A.).

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prestataire d'aide gouvernementale, alors que les parties ne s'étaient pas chargées de faire

qu'elle intervienne au dossier (ce qu'elles auraient dû faire), le juge devait offrir à la PGQ

l'occasion de faire valoir son point de vue avant de rendre tout jugement susceptible

d'affecter les droits lui échéant en vertu de l'article 92 de la Loi sur l'aide aux personnes

et aux familles.

3.4 La preuve nouvelle

Dans l’arrêt Droit de la famille - 161961

8, Monsieur se pourvoit contre un jugement

ayant confié à Madame la garde des enfants et ayant permis que celle-ci retourne vivre au

Liban avec elles. Le jugement d’instance prévoit également des droits d'accès du père

auprès des enfants.

De plus, Monsieur souhaite présenter une preuve nouvelle indispensable. Monsieur

cherche à introduire en preuve des courriels qui démontreraient l'intention de la part de

madame de déménager au Canada en 1999-2000. Une telle demande est régie par l'article

380 C.p.c., qui est grandement similaire à l'article 509 de l’ancien C.p.c. quoique non

identique9. En conséquence, la preuve doit être nouvelle et indispensable. En l'espèce, les

8 EYB 2016-269028, 2016 QCCA 1301 (C.A.).

9 Les articles se lisent comme suit :

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courriels semblent avoir été en possession de monsieur à tout moment pertinent, de sorte

qu'ils auraient pu être produits en première instance et faire partie du dossier. Ainsi, il ne

s'agit pas d'une preuve nouvelle. Plus important, la preuve, même sous son jour le plus

favorable à la thèse de monsieur, reflète l'intention de madame de résider au Canada 15

ans auparavant. Même si cela a pu être son intention à cette époque, le projet ne s'est pas

matérialisé. Les faits établis par la juge de première instance indiquent qu'à son arrivée au

Québec avec les enfants en 2015, madame n'avait pas l'intention de résider ici, son

intention se résumant à visiter monsieur. En tant que telle, cette preuve est non pertinente

Article 380 Article 509

La Cour d'appel peut autoriser la présentation

par une partie d'une preuve nouvelle

indispensable après avoir donné l'occasion aux

parties de soumettre leurs observations.

Elle décide alors des modalités de présentation

et peut même renvoyer l'affaire devant le

tribunal de première instance pour qu'il y soit

fait quelque preuve s'y rapportant.

509. En appel, un juge entend tous les

incidents prévus au Titre IV du Livre II dans la

mesure où ils sont applicables.

La Cour peut, si l'intérêt de la justice le

requiert, permettre à une partie, en des

circonstances exceptionnelles, de présenter,

selon le mode qu'elle indique, une preuve

nouvelle indispensable.

L'une ou l'autre de ces demandes est soulevée

par requête et la procédure est la même qu'en

première instance, à moins de règles de

pratique contraires.

Lors de l'audition d'une telle demande, toute

partie peut présenter une preuve appropriée et,

le cas échéant, le juge ou la Cour, selon le cas,

peut renvoyer la cause devant le tribunal de

première instance pour qu'il y soit fait quelque

preuve s'y rapportant.

Le juge peut déférer une demande à la Cour,

s'il estime que l'intérêt de la justice le requiert.

Commentaires de la ministre

Cet article reprend essentiellement le droit antérieur, mais il suffit que la preuve nouvelle soit considérée

comme indispensable sans qu’il soit nécessaire, comme auparavant, de démontrer l’existence de

circonstances exceptionnelles.

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à la situation des parties en 2015, de sorte qu'elle n'est pas indispensable. Les conditions

de l'article 380 C.p.c. n'étant pas remplies, la demande à cet égard est rejetée.

Quant aux motifs d’appel, la Cour écarte ceux qui sont purement factuels ou non

pertinents.

Le quatrième motif d'appel, qui a trait à l'intérêt des enfants, est non seulement la

question la plus importante, mais vraiment la seule question pertinente en matière de

garde, comme l'énoncent l'article 33 C.c.Q. et la jurisprudence. La juge d’instance n'a pas

fait d'erreur et elle n'a pas été convaincue par les arguments de monsieur quant à la

préférence de la famille sur l'endroit où la famille devrait s'établir. La juge a donné de

l'importance au fait que les enfants ont toujours vécu avec madame, alors que parfois,

monsieur devait s'absenter pour de longues périodes. Madame était manifestement la

principale figure parentale dans la vie des enfants10

. Or, lorsque l'intérêt des enfants n'est

pas compromis, la décision du parent gardien du lieu de résidence doit être respectée.

La juge a rapidement et correctement exclu la garde partagée compte tenu de la distance

séparant les résidences des parties l'une de l'autre. Elle a également rejeté la prétention de

monsieur que la sécurité et la santé des enfants seraient plus assurées au Canada. La juge

n'a pas ignoré la preuve présentée par madame relativement aux conditions au Liban,

mais a estimé que toute inquiétude cédait le pas aux facteurs irrésistibles favorisant

l'octroi de la garde à la mère. Madame a également refusé de conclure que les différences

culturelles entre le Liban et le Canada pourraient avoir un effet significatif sur l'intérêt

des enfants dans une décision sur leur garde.

10

Au même effet : Droit de la famille – 101199, 2010 QCCA 1018, EYB 2010-174436, paragr. 55.

La Cour indique : « 55 En général, selon la Cour suprême, les raisons qui motivent un

déménagement n'ont aucun rapport avec l'aptitude du parent gardien à agir à titre de père ou de

mère. Ainsi, la décision du parent gardien de vivre et de travailler là où il l'entend doit être

respectée, sauf si elle repose sur un motif injustifié qui nuit à la capacité du parent gardien d'agir à

titre de parent».

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3.5 La scission d’instance

Dans Droit de la famille - 16198311

, la Cour doit se prononcer de l’effet de la scission

d’instance sur le délai d’appel. L'ancien Code de procédure civile à l’article 273.2

édictait qu'en cas de scission d'instance, « le droit d'appeler des jugements rendus sur le

fond de l'instance scindée ne prend naissance qu'à compter du jugement qui y met fin ».

Le nouveau Code de procédure civile ne reprend pas formellement cette règle. La Cour

formule la question soulevée de la manière suivante : « Ce silence du législateur signifie-

t-il qu'un premier jugement sur le fond de l'instance scindée doive désormais être porté en

appel sans délai comme tout autre jugement rendu en cours d'instance, comme le requiert

l'article 31 C.p.c.? »

Les faits de l’espèce sont les suivants : dans le cadre de l'action en divorce intentée par

Monsieur, Madame fait valoir que les fonds accumulés dans son régime de retraite ne

constituent pas des acquêts partageables considérant des conventions signées

(changement de régime matrimonial) lorsque les parties se sont exclues de l’application

des règles relatives du patrimoine (non –assujettissement). Le sort de cette question

risque d'avoir un impact déterminant sur les autres aspects du divorce, dont la demande

de Madame en nullité de l'acte ayant modifié leur régime matrimonial de la séparation de

biens en celui d'une société d'acquêts, celle-ci demande au tribunal de scinder l'instance

afin de la trancher préalablement à toute autre, ce à quoi Monsieur ne s'oppose pas.

Madame possède des droits dans un régime de retraite administré par la CARRA. Se pose

la question à savoir si ses droits font ou ne font pas partie de la société d'acquêts. La

décision aura un impact important quant à leurs réclamations et pour éviter des frais

elles demandent qu'elle soit tranchée avant qu'elles aient administré leur preuve au fond.

Le tribunal d’instance rend les ordonnances suivantes :

11

EYB 2016-269107, 2016 QCCA 1314 (C.A.). Le jugement d’instance est commenté dans Pierre

MORISSETTE, « Commentaire sur la décision M. (P.) c. MO. (C.), sub nom. Droit de la famille –

1616 – La valeur accumulée dans un régime complémentaire de retraite est-elle un acquêt

partageable, en l'absence de patrimoine familial, et peut-on forcer la CARRA à remettre aux époux

le relevé de cette valeur et en demander l'acquittement dans le cadre d'un divorce ? Repères,

Avril, 2016, EYB2016REP1909.

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9

REPORTE l'audition au fond de la requête introductive d'instance en divorce et de sa

contestation à une date à être déterminée, une fois le jugement rendu sur la requête en

intervention de la CARRA;

Le 29 octobre 2015, l'audition portant sur cette question se tient comme prévu et, le 11

janvier 2016, le juge qui l'a présidée rend son jugement. Entre autres choses, il déclare

que les droits accumulés par la requérante dans le régime de retraite administré par

l'intervenante, pendant la durée de la société d'acquêts, constituent un acquêt partageable

entre les parties.

Madame souhaite porter ce jugement en appel. Toutefois, le nouveau Code de procédure

civile ne précise pas que le droit d'appeler d'un jugement rendu sur le fond d'une instance

scindée ne prend naissance qu'à compter de celui qui y met fin. Aussi, pour éviter de

perdre son droit d'appel, Madame dépose une requête pour permission d'appeler de bene

esse, laquelle est déférée à la Cour par le juge d'appel à qui elle est d'abord présentée.

Les règles régissant la scission de l'instance se retrouvent maintenant aux articles 21112

et 3213

du nouveau Code de procédure civile. Ces dispositions se distinguent du droit

antérieur en ce qui a trait à l'appel d'un jugement prononçant la scission d'une instance et

à celui relatif au jugement qui, sans mettre fin à l'instance scindée, se prononce sur le

fond. Dans le premier cas (le jugement qui prononce la scission), le nouveau Code de

procédure civile permet exceptionnellement l'appel, mais avec la permission préalable

d'un juge d'appel si le jugement ordonnant la scission paraît déraisonnable au regard des

principes directeurs de la procédure civile (art. 32 C.p.c.). Dans le second cas (le

jugement rendu sur le fond d'une instance scindée, mais qui n'y met pas fin), le nouveau

12

211. Le tribunal peut, même d'office, scinder une instance si cela lui paraît opportun de le faire eu

égard aux droits des parties. En ce cas, l'instruction des demandes qui en résultent se déroule

devant un même juge, sauf décision du juge en chef. 13

32. Ne peuvent faire l'objet d'un appel les mesures de gestion relatives au déroulement de l'instance

et les décisions sur les incidents concernant la reprise d'instance, la jonction ou la disjonction des

instances, la suspension de l'instruction ou la scission d'une instance ou encore la constitution

préalable de la preuve. Toutefois, si la mesure ou la décision paraît déraisonnable au regard des

principes directeurs de la procédure, un juge de la Cour d'appel peut accorder la permission d'en

appeler.

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10

Code de procédure civile ne contient aucune règle particulière le régissant. La Cour

d’appel indique ce qui suit :

16 Dans ses commentaires sous l'article 211 n.C.p.c., la ministre de la Justice explique que ces

dispositions reprennent le droit antérieur, à l'exception de l'appel des jugements scindant

l'instance, lequel peut désormais être porté en appel sur permission d'un juge d'appel si la

scission paraît déraisonnable au regard des principes directeurs de la procédure. Toutefois, la

ministre ne formule aucun commentaire concernant l'absence d'une règle particulière régissant

l'appel d'un jugement qui, dans une instance scindée, décide d'une question de fond sans mettre

fin à l'instance:

Cet article reprend le droit antérieur. Celui-ci est cependant modifié puisque, d'une part, la

décision du juge de scinder l'instance n'est pas tributaire d'une demande à cet effet, mais peut

également être rendue d'office et que, d'autre part, l'ancien article 273.2, qui prévoyait que la

décision était sans appel, n'a pas été entièrement repris. En effet, si le nouvel article 32 affirme

que la décision de scinder l'instance est sans appel, il ouvre néanmoins une possibilité d'appel sur

permission d'un juge d'appel. Le juge doit alors considérer si la décision paraît déraisonnable au

regard des principes directeurs de la procédure.

17 La doctrine ne semble pas, à ce jour, s'être préoccupée de cette dernière omission. Du moins,

celle-ci n'aurait donné lieu, à ma connaissance, à aucune publication.

18 D'où la question posée en introduction.

(Nos soulignements)

La Cour procède à l’analyse suivante :

19 D'emblée, il convient de préciser que le nouveau Code de procédure civile n'a pas eu qu'une

valeur de refonte. Il constitue une véritable réforme du droit procédural québécois. S'il reprend

de nombreuses règles de la loi ancienne, le nouveau Code de procédure civile en écarte plusieurs

et en énonce d'autres, entièrement nouvelles. Or, pour apprécier la portée d'une loi nouvelle qui a

valeur de réforme ainsi que les modifications qu'elle renferme par rapport à la loi ancienne, il

faut, nous dit le professeur Côté, distinguer trois hypothèses :

Alinéa 2 : Le remplacement ayant valeur de réforme

400. La loi nouvelle peut énoncer des règles différentes de celles que prévoit la loi ancienne. On

a alors affaire à un remplacement qui opère réforme du droit.

401. Pour apprécier les effets de ce type de remplacement, il y a lieu de distinguer trois

hypothèses.

402. Première hypothèse : le texte nouveau ne reprend pas une règle contenue dans la loi

ancienne. L'effet du remplacement est alors assimilable à celui de l'abrogation pure et simple du

texte ancien.

403. Deuxième hypothèse : le texte nouveau contient des règles qui peuvent s'analyser comme

de simples modifications des règles antérieures. Au plan substantiel, un tel remplacement a les

mêmes effets que la modification d'un texte : il opère suppression des règles correspondant au

texte antérieur et édiction des règles correspondant au nouveau texte.

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11

404. Troisième hypothèse : le texte remplaçant édicte des règles entièrement nouvelles. Le

remplacement a alors le même effet que l'édiction d'un nouveau texte : il s'analyse comme

l'édiction d'une nouvelle règle.

20 En l'espèce, la difficulté à laquelle nous faisons face est visée par la première hypothèse

identifiée par le professeur Côté. Le nouveau Code de procédure civile ne reprend pas la règle

qu'énonçait l'article 273.2 a.C.p.c relativement à l'appel d'une première décision rendue sur le

fond d'une instance scindée. À mon avis, la conséquence de ce choix législatif ne porte guère à

interprétation. Une seule conclusion logique en découle : le législateur a choisi d'assujettir les

appels des jugements rendus sur le fond d'une instance scindée aux règles générales édictées aux

articles 30 et31 n.C.p.c.

21 D'un point de vue pratique, cela signifie que le premier jugement qui décide du fond au cours

d'une instance scindée, c'est-à-dire celui rendu après l'introduction de la demande en justice, mais

avant celui y mettant fin, doit maintenant être porté en appel sans délai, avec la permission d'un

juge d'appel conformément à l'article31 n.C.p.c.

[…]

25 En somme, je retiens qu'en ne faisant naître le droit d'appel d'un premier jugement rendu sur

le fond d'une instance scindée qu'au moment où est rendu le second jugement mettant fin à

l'instance, l'article 273.2 a.C.p.c. énonçait une règle d'exception à la règle générale faisant

coïncider le droit d'appel d'un jugement à la date où il a été rendu.

26 Comme le nouveau Code de procédure civile ne reprend pas cette règle d'exception, il faut

s'en remettre à la règle générale.

[…]

28 Si l'appel d'un jugement rendu sur le fond d'une instance scindée est maintenant sujet à un

appel immédiat, cela ne signifie pas pour autant qu'un tel appel doive, dans tous les cas, se

dérouler ou être entendu avant le jugement mettant fin à l'instance. Suivant les circonstances

propres à chaque espèce, et considérant les larges pouvoirs de gestion dévolus au juge d'appel

(art.367 n.C.p.c.), il n'est pas exclu que celui-ci puisse, après avoir accordé la permission

demandée, suspendre le déroulement de l'appel jusqu'au jugement mettant fin à l'instance s'il lui

paraît que la justice serait ainsi mieux servie.

29 En ce sens, le droit nouveau paraît offrir une alternative additionnelle qui sied bien aux

principes directeurs de la procédure civile.

(Nos soulignements; renvois omis)

La Cour autorise l’appel.

4.0 SÉPARATION ET DIVORCE

4.1 La prestation compensatoire et le voile corporatif

Dans Droit de la famille - 161944

14, Madame conteste l’attribution d’une prestation

compensatoire à Monsieur. Il s’agit d’une demande de prestation compensatoire

relativement à des investissements relatifs à la résidence familiale. Dans les faits c’est la

14

EYB 2016-268938, 2016 QCCA 128 (C.A.)

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société par actions de Monsieur qui a contribué plutôt que lui personnellement. Selon la

Cour, dans la situation particulière du présent dossier, il ne s'agit pas de l'apport d'un tiers

ou encore une de ces « situations où un membre de la famille d'un époux ou un ami

apporte aide, services gratuits ou contribution monétaire aux époux ». En l'occurrence, tel

que le juge d'instance le conclut, Monsieur et son entreprise ne font qu'un. Par ailleurs, le

juge d’instance n'a pas conclu à une séparation stricte des personnalités juridiques de

l'entreprise et de Monsieur dans son évaluation de l'obligation alimentaire. Il a appliqué la

même logique pour déterminer le droit à une prestation compensatoire.

4.2 La Loi sur le divorce, l’annulation des arrérages et le lien avec

l’article 596 C.c.Q.

Dans l’arrêt Droit de la famille - 161932

15 où le banc de la Cour est composé de cinq

juges, Madame se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, qui accueille la

requête en modification des mesures accessoires de Monsieur, confirme le changement de

garde des enfants, fixe la pension alimentaire payable à leur bénéfice et annule les

arrérages de pension dus par l'intimé depuis le jugement de divorce.

La question est la suivante : dans le cadre d’une instance régie par la Loi sur le divorce et

qui met en cause l’obligation alimentaire pour un enfant l’application des articles du

Code civil est –elle pertinente ?

Les faits sont les suivants : le jugement de divorce le 21 mai 2008 entérine leur entente

sur mesures accessoires. Celle-ci prévoyait que la garde exclusive des deux enfants était

confiée à Madame avec des droits d'accès pour Monsieur et le versement par ce dernier

d'une pension alimentaire hebdomadaire de 212,88 $ au bénéfice des enfants. La pension

était calculée en fonction des revenus des parties en 2007, soit 45 000 $ pour Monsieur et

26 000 $ pour Madame.

Dès le début de l'année 2009, Monsieur ne parvient toutefois pas à acquitter la pension

alimentaire prévue au jugement. Les parties conviennent alors de réduire celle-ci à 150 $

15

EYB 2016-268866, 2016 QCCA 1262 (C.A.).

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par semaine. Malgré cette baisse, Monsieur est incapable de verser ce montant toutes les

semaines, car son entreprise de construction a dû cesser ses activités. Il quitte alors le

Québec pour aller travailler en Ontario durant sept mois. Au mois d'août 2009, il devient

le père d'un troisième enfant. À compter de décembre 2009, après une rupture avec sa

nouvelle conjointe, il doit verser à cette dernière au bénéfice de l'enfant une pension

alimentaire hebdomadaire de 80 $. En janvier 2010, il retourne vivre chez sa mère. À

compter de mai 2010, il est engagé par son beau-père qui exploite une entreprise de

construction, où il travaillera jusqu'à la fin 2011. Entre-temps, en septembre 2010, il fait

cession de ses biens et perd son permis d'entrepreneur. À ce jour, il n'est pas encore libéré

de sa faillite, ayant fait défaut de rembourser 2 200 $ au syndic. En juillet 2011, il

emménage avec une autre conjointe. En novembre 2011, il dépose une requête en

modification des mesures accessoires par laquelle il demande l'instauration d'une garde

partagée, la révision du montant de la pension alimentaire pour enfants et l'annulation des

arrérages de pension alimentaire de 18 088,82 $. Le 29 mars 2012, cette requête est

continuée sine die et ne sera jamais plaidée, l'intimé n'ayant alors plus les moyens de

payer son avocat.

En début d'année 2012, Monsieur perd sa carte de compétence auprès de la Commission

de la construction du Québec en raison d'une erreur lors de son renouvellement. Il devient

inadmissible à travailler comme salarié dans le domaine de la construction jusqu'à ce qu'il

la récupère en 2014. Il doit, dans l'intervalle, compter sur l'aide financière de sa conjointe

et de ses parents.

À compter du mois d'octobre 2013, les parties se partagent la garde de l'un des deux

enfants. À partir du 1er

janvier 2014, les deux enfants font l'objet d'une garde partagée.

Dès lors, Monsieur cesse de verser la pension alimentaire, mais s'engage auprès de

Madame à lui rembourser la moitié des frais scolaires des enfants. Madame affirme

qu'elle est alors disposée à réviser à la baisse le montant de la pension alimentaire pour

enfants pour tenir compte du changement de garde. Toutefois, le 5 mars 2015, Monsieur

dépose une nouvelle requête en modification des mesures accessoires : il demande à

nouveau l'instauration d'une garde partagée, la révision du montant de la pension

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alimentaire pour enfants et l'annulation des arrérages qui s'élèvent à 56 171,11 $, au 27

mars 2015.

Un mois plus tard, Madame dépose une requête en rejet. Elle soulève le défaut de

Monsieur de joindre à sa requête une preuve de ses revenus et le formulaire de fixation de

pension alimentaire pour enfants. Elle allègue que Monsieur demande l'annulation

d'arrérages qui remontent à plus de six mois sans invoquer son impossibilité d'agir plus

tôt.

Le 14 mai 2015, les parties signent une entente intérimaire pour suspendre l'exécution et

la perception de la pension alimentaire pour enfants, incluant les arrérages. La requête en

modification des mesures accessoires est entendue par la Cour supérieure le 20 août

2015.

Le 20 octobre 2015, le juge ment est rendu. Il confirme la garde partagée des enfants en

vigueur depuis le 1er

janvier 2014, fixe la pension alimentaire en fonction de revenus de

18 500 $ pour Monsieur et de 22 000 $ pour Madame et entérine le formulaire annexé au

jugement, sans toutefois prévoir d'ordonnance précise pour le versement de cette pension.

Il annule par ailleurs les arrérages de pension alimentaire dus en vertu du jugement de

divorce et ordonne que chacun participe au paiement des frais particuliers des enfants au

prorata de ses revenus.

Sur la foi du témoignage de Monsieur, qui dit gagner des revenus hebdomadaires

d'environ 500 $, le juge établit des revenus totaux de 25 000 $ dont il soustrait des

dépenses de 6 000 $ pour un revenu annuel de 18 000 $. En ce qui concerne Madame, il

retient le montant des revenus déclarés de 22 000 $ qui n'est pas contesté.

Le tribunal ajoute que la situation financière de Monsieur demeure précaire : il n'a aucun

actif, il n'a pas été libéré de sa faillite et il doit également verser une pension alimentaire

hebdomadaire de 80 $ pour un troisième enfant. Cette pension fait d'ailleurs l'objet d'un

autre débat judiciaire.

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Quant à l’annulation des arrérages, le tribunal indique d’entrée de jeu que l'article

596 C.c.Q. en renvoyant à plusieurs arrêts de la Cour d’appel qui indiquaient le pouvoir

discrétionnaire dont est investi le tribunal appelé à annuler ou à réduire des arrérages en

vertu de l'article 17 (1) de la Loi sur le divorce et précise que cette discrétion doit être

exercée judicieusement. Le tribunal d’instance ajoute que «sans devoir expliquer son

impossibilité d'agir, on doit tout de même expliquer le retard à saisir la Cour de cette

demande».

De l’avis du tribunal d’instance Monsieur a fait la preuve de son droit d'obtenir

l'annulation des arrérages. Le tribunal considère qu’il n’a pas été établi que Monsieur

tentait de se soustraire de ses obligations ou diminuer se revenus volontairement et

conclut qu'il y a lieu d'annuler les arrérages qui sont dus depuis le jugement du 21 mai

2008. Il ajoute que le maintien d'une dette aussi importante serait inutile dans les

circonstances. Il prend néanmoins acte de l'engagement de l'intimé de rembourser

1 009,79 $ dus au percepteur des pensions alimentaires. Quant aux frais particuliers, il en

ordonne le partage au prorata des revenus de chacun. La Cour d’appel analyse le tout :

ANALYSE

Le juge de première instance a-t-il erré en fixant la pension alimentaire en fonction des

revenus qu'il a établis à cette fin?

22 L'appelante soutient que le juge de première instance a erré en n'imputant pas à l'intimé des

revenus de 38 000 $, considérant qu'il débourse actuellement 80 $ par semaine pour la pension

alimentaire de son troisième enfant et que le juge n'a pas écarté la possibilité qu'il mente au sujet

de revenus non déclarés.

23 Lors d'une demande de modification d'une ordonnance alimentaire, la Loi sur le divorce

confère un pouvoir discrétionnaire au juge appelé à établir le revenu du débiteur alimentaire à la

lumière des faits présentés.

24 Puisque l'article 825.12 C.p.c. [N.D.R. art. 446 C.p.c.] permet au juge du procès d'imputer

un revenu aux parents «dans tous les cas où il l'estime nécessaire» et lui confère une large

discrétion à cette fin, l'intervention d'une cour d'appel pour substituer son appréciation à celle du

premier juge demeurera exceptionnelle.

25 Ici, les déclarations fiscales de l'intimé témoignent d'un déclin significatif de ses revenus

entre 2008 et 2014. Au moment de l'audience au mois d'août 2015, sa déclaration pour l'année

2015 n'est pas encore disponible. Le juge s'en remet au témoignage de l'intimé. Celui-ci affirme

gagner 500 $ par semaine, une preuve qui n'a d'ailleurs pas été contredite par l'appelante, qui

s'est limitée à faire une allégation spéculative du niveau de vie de l'intimé.

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26 Le juge a conclu que la preuve ne soutient pas l'hypothèse de revenus de 38 000 $ pour

l'intimé. Il a aussi souligné que l'intimé devait compter sur l'aide de ses parents et de sa conjointe

afin de payer la pension alimentaire de 80 $ par semaine pour l'enfant né d'une autre union, et

que des procédures judiciaires étaient en cours pour obtenir la réduction de cette pension.

27 L'appelante ne démontre pas en quoi la conclusion du juge de première instance serait

entachée de quelque erreur justifiant l'intervention de cette Cour.

[…]

(Nos soulignements)

Le juge de première instance a-t-il erré en droit en ordonnant l'annulation des arrérages?

29 Le juge a annulé les arrérages en se fondant sur l'article 17 de la Loi sur le divorce, tout en

précisant que l'article 596 C.c.Q. ne trouve pas application en matière de divorce. Ce dernier

énoncé est inexact.

30 Rappelons d'abord que l'article 596 C.c.Q. limite l'annulation des arrérages de pension

alimentaire à une période de six mois, sauf les cas d'impossibilité d'agir :

596. Le débiteur de qui on réclame des arrérages peut opposer un changement dans sa condition

ou celle de son créancier survenu depuis le jugement et être libéré de tout ou partie de leur

paiement.

Cependant, lorsque les arrérages sont dus depuis plus de six mois, le débiteur ne peut être libéré

de leur paiement que s'il démontre qu'il lui a été impossible d'exercer ses recours pour obtenir

une révision du jugement fixant la pension alimentaire.

[…]

31 Le juge paraît avoir appliqué les enseignements de la Cour dans l'affaire Droit de la famille -

356. Il est vrai qu'à l'époque la Cour relevait une incompatibilité entre le pouvoir discrétionnaire

plus étendu accordé au tribunal appelé à modifier une ordonnance alimentaire pour annuler des

arrérages en vertu de l'article 17 de la Loi sur le divorce et l'ancien article 644 C.c.Q. (devenu

l'article 596 C.c.Q.), lequel imposait la démonstration d'une impossibilité en fait d'agir à celui qui

demande l'annulation des arrérages au-delà de la seule période de six mois. Estimant que la loi

provinciale entrait en conflit avec une législation de compétence fédérale, la Cour énonçait que

la Loi sur le divorce devait avoir préséance de manière à permettre au juge d'exercer le pouvoir

discrétionnaire conféré par l'article 17 de la Loi sur le divorce et de prononcer l'annulation

rétroactive des arrérages dus depuis plus de 6 mois. Il semble que la jurisprudence a, depuis,

suivi cet enseignement.

32 Or, le contexte législatif dans lequel cette affaire a été décidée n'est plus le même.

33 En effet, certaines modifications ont été apportées à la Loi sur le divorce en 1997 par la Loi

modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes

familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine

marchande du Canada. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er

mai 1997.

34 Depuis cette date, lorsqu'il est question d'ordonnances alimentaires pour enfants, les articles

15.1 et 17 de la Loi sur le divorce doivent être appliqués en tenant compte des dispositions

contenues au Titre Troisième du Livre Deuxième du Code civil du Québec, ce qui inclut les

articles 585 à 596.1 C.c.Q., sous réserve évidemment des dérogations ou exceptions prévues par

les dispositions de la Loi sur le divorce.

35 L'article 17 de la Loi sur le divorce énonce en effet :

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17. (1) Le tribunal compétent peut rendre une ordonnance qui modifie, suspend ou annule,

rétroactivement ou pour l'avenir :

a) une ordonnance alimentaire ou telle de ses dispositions, sur demande des ex-époux ou de l'un

d'eux; […].

(4) Avant de rendre une ordonnance modificative de l'ordonnance alimentaire au profit d'un

enfant, le tribunal s'assure qu'il est survenu un changement de situation, selon les lignes

directrices applicables, depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative de

celle-ci a été rendue.

[…]

(6.1) Le tribunal qui rend une ordonnance modificative d'une ordonnance alimentaire au profit

d'un enfant la rend conformément aux lignes directrices applicables.

[…]

(6.2) En rendant une ordonnance modificative d'une ordonnance alimentaire au profit d'un

enfant, le tribunal peut, par dérogation au paragraphe (6.1), fixer un montant différent de celui

qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables s'il est convaincu, à la fois :

que des dispositions spéciales d'un jugement, d'une ordonnance ou d'une entente écrite relatifs

aux obligations financières des époux ou au partage ou au transfert de leurs biens accordent

directement ou indirectement un avantage à un enfant pour qui les aliments sont demandés, ou

que des dispositions spéciales ont été prises pour lui accorder autrement un avantage;

que le montant déterminé conformément aux lignes directrices applicables serait inéquitable eu

égard à ces dispositions.

(6.3) S'il fixe, au titre du paragraphe (6.2), un montant qui est différent de celui qui serait

déterminé conformément aux lignes directrices applicables, le tribunal enregistre les motifs de sa

décision.

(6.4) Par dérogation au paragraphe (6.1), le tribunal peut, avec le consentement des époux, fixer

un montant qui est différent de celui qui serait déterminé conformément aux lignes directrices

applicables s'il est convaincu que des arrangements raisonnables ont été conclus pour les

aliments de l'enfant visé par l'ordonnance.

(6.5) Pour l'application du paragraphe (6.4), le tribunal tient compte des lignes directrices

applicables pour déterminer si les arrangements sont raisonnables. Toutefois, les arrangements

ne sont pas déraisonnables du seul fait que le montant sur lequel les conjoints s'entendent est

différent de celui qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables.

(Nos soulignements; renvois omis)

La décision du tribunal quant à la pension alimentaire pour enfants en matière de

divorce, lorsque les Lignes directrices québécoises s’appliquent, c’est-à-dire lorsque

les ex-époux résident dans la province de Québec ( art. 2(1) et 2 (5) Loi sur le

divorce) au moment de détermination doit se fonder sur les dispositions du Code civil

que l’on retrouve au TITRE TROISIÈME — DE L’OBLIGATION ALIMENTAIRE

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[585 - 596.1] dès lors que ces règles n’entrent pas en conflit avec les dispositions de

la Loi sur le divorce. La Cour poursuit :

36 Comme l'indiquent les paragraphes 4 et 6.1 de l'article 17 de la Loi sur le divorce, le tribunal

qui rend une ordonnance modificatrice d'une ordonnance alimentaire au profit d'un enfant la rend

conformément aux lignes directrices applicables (sauf les exceptions prévues aux paragr. 6.2 et

s.).

37 L'article 2 de la Loi sur le divorce a pour sa part été modifié afin d'inclure la définition

suivante des «lignes directrices applicables»:

2. (1)

lignes directrices applicables» S'entend :

dans le cas où les époux ou les ex-époux résident habituellement, à la date à laquelle la demande

d'ordonnance alimentaire au profit d'un enfant ou la demande modificative de celle-ci est

présentée ou à la date à laquelle le nouveau montant de l'ordonnance alimentaire au profit d'un

enfant doit être fixée sous le régime de l'article 25.1, dans la même province — qui est désignée

par un décret pris en vertu du paragraphe (5) —, des textes législatifs de celle-ci précisés dans le

décret;

dans les autres cas, des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.

38 Cet article, aux paragraphes (5) et (6), prévoit la possibilité de désigner une province par

décret et d'y indiquer les textes législatifs adoptés par celle-ci qui constitueront les lignes

directrices applicables dans cette province :

Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner une province pour l'application de la

définition de «lignes directrices applicables» au paragraphe (1) si la province a établi,

relativement aux aliments pour enfants, des lignes directrices complètes qui traitent des

questions visées à l'article 26.1. Le décret mentionne les textes législatifs qui constituent les

lignes directrices de la province.

[…]

39 L'article 26.1 a également été ajouté à la Loi sur le divorce de manière à fournir les

paramètres de l'établissement des lignes directrices à l'égard d'ordonnances alimentaires pour

enfants en ces termes :

26.1. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des lignes directrices à l'égard des ordonnances

pour les aliments des enfants, notamment pour :

régir le mode de détermination du montant des ordonnances pour les aliments des enfants;

régir les cas où le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il rend des

ordonnances pour les aliments des enfants;

autoriser le tribunal à exiger que le montant de l'ordonnance pour les aliments d'un enfant soit

payable sous forme de capital ou de pension, ou des deux;

autoriser le tribunal à exiger que le montant de l'ordonnance pour les aliments d'un enfant soit

versé ou garanti, ou versé et garanti, selon les modalités prévues par l'ordonnance;

régir les changements de situation au titre desquels les ordonnances modificatives des

ordonnances alimentaires au profit d'un enfant peuvent être rendues;

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régir la détermination du revenu pour l'application des lignes directrices;

autoriser le tribunal à attribuer un revenu pour l'application des lignes directrices;

régir la communication de renseignements sur le revenu et prévoir les sanctions afférentes à la

non-communication de tels renseignements.

Les lignes directrices doivent être fondées sur le principe que l'obligation financière de subvenir

aux besoins des enfants à charge est commune aux époux et qu'elle est répartie entre eux selon

leurs ressources respectives permettant de remplir cette obligation.

Pour l'application du paragraphe (1), ordonnance pour les aliments d'un enfant s'entend :

de l'ordonnance ou de l'ordonnance provisoire rendue au titre de l'article 15.1;

de l'ordonnance modificative de l'ordonnance alimentaire au profit d'un enfant;

de l'ordonnance ou de l'ordonnance provisoire rendue au titre de l'article 19.

40 C'est dans ce contexte, et particulièrement celui du paragraphe 2(5) de la Loi sur le divorce,

qu'une demande de désignation a été adressée par la province de Québec au gouverneur en

conseil au terme d'une demande de consultation législative auprès de l'Assemblée nationale, dont

les détails ont déjà été relatés par notre Cour dans l'affaire Droit de la famille - 139.

41 L'exercice a mené à l'adoption du Décret désignant la province de Québec pour l'application

de la définition de «lignes directrices applicables» au paragraphe 2(1) de la Loi sur le

divorce(«Décret»), entré lui aussi en vigueur le 1er

mai 1997, lequel prévoit :

Aux fins du paragraphe 2 (5) de la Loi sur le divorce, les textes législatifs suivants constituent les

lignes directrices complètes de la province de Québec :

la Loi modifiant le Code civil du Québec et le Code de procédure civile relativement à la fixation

des pensions alimentaires pour enfants, L.Q. 1996, ch. 68;

le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, édicté par le décret 484-97

du 9 avril 1997;

the Regulation respecting the determination of child support payments, made by Order 484-97 of

April 9, 1997;

c) le Titre Troisième du Livre Deuxième du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64;

d) le Chapitre VI.1 du Titre IV du Livre V du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25;

(Soulignements de la Cour; renvois omis)]

43 En somme, l'article 596 C.c.Q. et les autres articles du Titre troisième du Livre

Deuxième du Code civil du Québec trouvent application en matière de divorce, sauf

exceptions prévues à la Loi sur le divorce ou incompatibilité avec celle-ci.

44 Quoique le juge n'ait pas recours à l'article 596 C.c.Q., puisqu'il estime cet article

inapplicable en matière de divorce, il prononce l'annulation des arrérages en raison des

difficultés financières de l'intimé au cours de la période en cause.

45 Contrairement à ce que soutient l'appelante, la décision du juge d'annuler les arrérages de

pension alimentaire ne s'appuie pas sur sa seule appréciation de l'utilité de maintenir la dette,

mais bien sur les circonstances qui l'ont privé des ressources financières pour la payer et en

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demander l'annulation. Avant de prononcer l'annulation des arrérages, il relate ainsi les multiples

déboires financiers de l'intimé à compter de 2009 et explique que les circonstances l'ont privé de

la capacité à la fois d'acquitter la pension, mais aussi d'en obtenir la modification. Il précise que

le manque d'argent l'a empêché de mener à terme sa première requête en modification des

mesures accessoires déposée en 2011, faute de moyens pour payer son avocat de l'époque. Il

souligne que l'intimé a néanmoins continué d'acquitter une pension alimentaire qui, bien qu'en

deçà de la somme prévue au jugement, était plus souvent qu'autrement au-delà de sa capacité

financière. Il mentionne la situation financière précaire de l'intimé et la faillite dont il n'est

toujours pas libéré.

46 Cette détermination factuelle n'est pas déraisonnable et elle est certainement compatible avec

la preuve prépondérante. Il n'y a donc pas lieu d'intervenir, d'autant qu'à notre avis, ces

circonstances témoignaient d'une réelle «impossibilité d'exercer ses recours» de sa part au sens

de l'article 596 C.c.Q.

47 La situation n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle du débiteur alimentaire dont il était

question dans l'affaire Droit de la famille - 35620

. Dans ce cas, la juge L'Heureux-Dubé jugeait

opportun d'annuler les arrérages de pension d'un débiteur alimentaire, après avoir souligné les

circonstances particulièrement difficiles auxquelles il avait été confronté et son manque de

moyens pour payer des procédures judiciaires alors qu'il n'avait pas la capacité de payer la

pension alimentaire. Elle signalait :

[48] […] Il ne s'agit pas ici d'un débiteur récalcitrant qui refuse, malgré qu'il en ait les moyens,

de faire vivre sa famille, mais d'un débiteur malheureux qui ne réussit pas à le faire, faute de

ressources. Ceci évidemment ne rend pas meilleur le sort de la famille de l'appelant, avec

laquelle il faut d'ailleurs sympathiser.

[49] Dans cette même optique, sur le plan purement procédural cette fois, même si on peut faire

grief à l'appelant de ne pas avoir procédé plus tôt dans sa demande en annulation d'arrérages de

pension alimentaire, on peut éprouver une certaine sympathie pour un citoyen démuni qui n'a pas

les moyens de se payer des procédures judiciaires pour se faire dire qu'il n'a pas les moyens de

payer une pension alimentaire et dont par ailleurs l'interrogatoire et le rapport de nulla bona sur

saisie-exécution étaient déjà en 1981 connus du percepteur des pensions alimentaires.

48 Ainsi, en l'espèce, même si le juge a semblé écarter à première vue l'article 596 C.c.Q. de son

analyse, il s'en est néanmoins largement inspiré lorsqu'il a exercé sa discrétion et décidé

d'annuler les arrérages, au vu des circonstances. Le deuxième moyen soulevé en appel doit donc

également être rejeté.

(Nos soulignements)

Ce jugement qui est rendu dans la foulée de l’arrêt Droit de la famille – 1659816

quant à

l’application de l’article 595 (nouveau) C.c.Q. en divorce et qui reprend le même

argumentaire quant à l’application des Lignes directrices québécoises en certaines

circonstance, à juste titre on renvoie aux modifications survenues en 1997 quant à la

détermination de la pension alimentaire pour enfants.

16 EYB 2016-263452, 2016 QCCA 464, J.E. 2016-514 (C.A.).

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21

En toute déférence, là où on doit poursuivre le raisonnement c’est dans l’interprétation

de l’article 596 C.c.Q. La Cour renvoie à une décision de Madame la juge L’Heureux –

Dubé dans Droit de la famille - 35617

, alors qu’elle siégeait à la Cour d’appel. Cet arrêt

prononcé avant 1997 est rendu en vertu de la Loi sur le divorce de l’aveu même de la

majorité. Citons les passages suivants :

[Le Juge Monet] Comme le souligne le juge L'Heureux-Dubé, il n'est pas douteux que le juge

du fait, saisi par une requête en vertu de l'article 11de la Loi sur le divorce, exerce un ample

pouvoir discrétionnaire. En ce qui concerne la rétroactivité, je crois que le texte de la loi actuelle

sur le divorce ne fait que consacrer en quelque sorte la jurisprudence dominante sous l'ancienne

Loi sur le divorce.

[…]

Le premier juge (jugement du 26 janvier 1984, Cour supérieure, district de Drummond) constate

d'abord que depuis 1981 l'appelant a été de fait sans ressources:

[…]

La preuve révèle que, au temps où le jugement a été rendu, le requérant était entrepreneur en

revêtements de planchers.

Subséquemment, dans le courant de l'année 1979, ses affaires tournèrent mal, il se blessa et cessa

d'agir comme entrepreneur. De 1978 à 1981, il a fait des travaux non déclarés et pour lesquels il

agissait, selon son propre dire, comme un hors-la-loi.

Depuis 1981, il vit de prestations de bien-être social. Aucune preuve n'a été faite tentant à

démontrer le contraire de l'affirmation de l'intimée à l'effet qu'il est complètement démuni.

Dans les circonstances, vu l'article 644 du Code civil du Québec, de même que la Loi de divorce,

il y a lieu d'annuler la pension.

[…]

C'est contre cette partie du jugement que l'appelant se pourvoit. Il nous propose que le premier

juge a erré d'une part en appliquant les dispositions de cet article à un litige engagé dans le cadre

de la Loi sur le divorce et, d'autre part, compte tenu de sa discrétion en vertu de l'article 11 de la

Loi sur le divorce et de la preuve de son incapacité totale de payer la pension alimentaire depuis

le 1er janvier 1979 et de ses autres circonstances, en n'annulant pas la pension alimentaire à cette

date.

[…]

Opinion du juge L'Heureux-Dubé

[…]

17

Droit de la famille-356, 1987 CanLII 409 (QCCA), [1987] R.J.Q. 764 (QC CA).

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22

Contestant aujourd'hui l'application de l'article 644 C.c. à l'espèce, l'appelant l'invoquait

néanmoins dans sa requête en annulation de pension alimentaire:

"10. Et c'est pourquoi votre requérant demande de plus qu'il soit libéré des arrérages de pension

alimentaire qu'il doit à l'intimée depuis le 1er octobre 1980, le tout conformément à l'article 644

C.c.Q.;"

De plus, lors de l'audition de la requête devant le premier juge, l'argumentation a porté

uniquement sur l'article 644 C.c. (et son prédécesseur l'article 170.1 C.c.). Il n'est donc

aucunement surprenant que le jugement rendu le même jour, présumément séance tenante, ne

discute aucunement de l'application de cet article en matière de divorce.

[…]

Il est reconnu que les articles 10 et 11 de la Loi sur le divorce concernant les mesures accessoires

au divorce sont constitutionnelles (Zacks c. Zacks (1973) 1973 CanLII 137 (CSC); Ruel c.

Thomas (1982) C.A. 357).

De même, il est incontestable que lorsqu'une législation provinciale vient en conflit avec une

législation de compétence fédérale, la législation provinciale est inopérante (Richards c.

Richards (1972) 7 R.P.L. 101 (C.A. Ontario)).

[…]

Le même raisonnement s'applique à mon avis aux dispositions de l'article 644 C.c. au regard des

articles 10 et 11 de la Loi sur le divorce.

[…]

Cet article confère une plus large discrétion au tribunal que ne le fait l'article 644 C.c. et, en ce

sens, les deux législations viennent en conflit. Dans tel cas, c'est la Loi sur le divorce qui doit

avoir préséance.

[…]

Je partage l'avis de M. le juge Charles Gonthier (Gerbeau-Chabot c. Rock (1982) C.S. 136,

aux pp. 139-140):

La disposition de l'article 170.1 [N.D.R. :art. 596 C.c.Q.] imposant un délai de six mois à toute

demande en réduction ou libération du paiement d'arrérages de pension alimentaire limite la

discrétion accordée au Tribunal par l’article de la Loi sur le divorce de rendre "les ordonnances

provisoires qu'il croit justes et appropriées", discrétion qui est encore plus large, s'il se peut, que

celle prévue à l'article 11 de cette loi qui comporte, fût-ce à titre indicatif, une mention de

facteurs dont peut tenir compte le Tribunal soit pour accorder une pension ou modifier ou

révoquer une ordonnance à ce sujet. Il y a donc conflit entre les deux législations et la Loi sur le

divorce doit avoir préséance. C'est ce que décide d'ailleurs le juge Vincent Masson dans son

jugement du 14 avril 1981, dans l'affaire Bellavance c. Lavallée:

Le délai de six mois et l'obligation de faire une preuve additionnelle imposée par l'article 170.1

du C.c., ajoutent à la Loi du divorce et en modifient la substance même de telle sorte que ledit

article 170.1 devient inopérant ou est inapplicable dans un champ déjà occupé par le Parlement

Fédéral qui a juridiction en matière de divorce et en matière de pension alimentaire en découlant.

[…]

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23

En conséquence, nous sommes d'opinion que l'article 170.1 est inopérant ou inapplicable en

l'espèce et nous étudierons les prétentions des parties à la lumière de l'article 11 (2) de la Loi sur

le divorce.

[…]

À n'en pas douter le second alinéa de l'article 644 C.C.Q. restreint la discrétion du Tribunal qui

siège sur une demande de révision même si celle-ci se présente à première vue sous forme de

saisie d'arrérages et limite cette discrétion à six mois seulement à moins d'impossibilité alors

qu'en vertu de l'article 11 (2) le Tribunal révise la conduite des parties ou tous les changements

dans l'état ou les facultés des parties et autres circonstances. La version anglaise fait bien voir

que tous les éléments énumérés par le Parlement sont soumis à l'examen du Tribunal depuis

l'ordonnance jusqu'au jugement de révision ou de révocation lui-même. Dans cette mesure, le

second alinéa de l'article 644 C.C.Q. impose au débiteur alimentaire un fardeau que la Loi sur le

divorce n'a pas voulu lui imposer car dans son ensemble cette loi ne favorise pas une partie au

détriment de l'autre tandis que le second alinéa de l’article 644 C.C.Q. sous le couvert de

favoriser la perception des pensions favorise une partie par rapport à l'autre.

[…]

Et ceci nous amène au dernier point. Le premier juge s'appuyant uniquement sur les dispositions

de l'article 644 C.c. n'a pas eu à user de la discrétion que lui confère la Loi sur le divorce.

Dans ce cas, notre Cour, possédant, en matière de divorce (article 10 et 11), une juridiction

originale d'adjuger au même titre que si elle siégeait en première instance (Askey c. Askey, 1986

CanLII 1318 (BC CA), 2 R.F.L. (3d) 407 (B.C.C.A.)), doit exercer cette discrétion. Ce faisant,

doit-elle accueillir la demande de l'appelant ? Je réponds sans hésitation dans l'affirmative.

Selon la détermination des faits par le premier juge, l'appelant, du moins depuis 1981, est

complètement démuni et vit de prestations d'aide sociale, toute comme son épouse et ses

enfants d'ailleurs. De plus, il a fait cession de ses biens en 1983. Mais même avant 1981, dès

1979, la preuve est à l'effet qu'il a travaillé sporadiquement et que son revenu annuel total se

situait entre 4 000 $ et 5 000 $, qu'il devait s'endetter même pour se nourrir. Sur le plan du droit,

l'appelant n'avait pas, à partir du 1er janvier 1979, les moyens de payer une pension alimentaire

de 150 $ par semaine à son épouse et à ses enfants.

[…]

Dans cette même optique, sur le plan purement procédural cette fois, même si on peut faire grief

à l'appelant de ne pas avoir procédé plus tôt dans sa demande en annulation d'arrérages de

pension alimentaire, on peut éprouver une certaine sympathie pour un citoyen démuni qui n'a pas

les moyens de se payer des procédures judiciaires pour se faire dire qu'il n'a pas les moyens de

payer une pension alimentaire et dont par ailleurs l'interrogatoire et le rapport de nulla bona

sur saisie-exécution étaient déjà en 1981 connus du percepteur des pensions alimentaires.

(Nos soulignements)

Avec égards, la pertinence de cet arrêt n’est pas transcendante, en fait la décision

s’appuie sur les dispositions de la Loi sur le divorce, ni sur l’article 170.1 l’ancêtre de

l’article 644 C.c.Q. lui-même l’ancêtre de l’article 596 C.c.Q.

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24

Il faut donc se prononcer dans un premier temps sur l’impossibilité d’exercer le recours

pour ensuite s’interroger sur la capacité financière lorsqu’il est question des arriérés qui

précèdent le délai de six mois de la signification de la requête du débiteur.

En toute déférence, l’interprétation de l’article 596 C.c.Q. quant à l’impossibilité ne

s’évalue pas sur la bonne foi ou la malchance du débiteur, bien que conscients qu’en

l’espèce les revenus des parties sont minimes et qu’il pourrait être contre-productif de

demander à Monsieur de rembourser plus de 50 000$ d’arriérés, mais les annuler

complètement... Nous reprendrons un principe émis quant à l’interprétation de l’article

596 C.c.Q. énoncé par Madame la Juge L’heureux –Dubé dans l’arrêt Droit de la famille-

356, précité, le législateur a voulu avantager le créancier par le critère de l’impossibilité

d’exercer le recours. D’ailleurs, la Cour d’appel dans son interprétation de l’article 596

C.c.Q. dans l’arrêt A. (Y.) c. B. (M.)18

qui vient établir les balises relatives à l’application

de l’article 596 C.c.Q.

L’arrêt A. (Y.) c. B. (M.), précité, de la Cour d’appel replace les choses dans leur juste

perspective. En l’espèce, les juges devaient se pencher sur l’interprétation à donner à

l’article 596 C.c.Q. et plus particulièrement au concept « d’impossibilité d’exercer son

recours » tel qu’édicté au deuxième alinéa de cet article. Les faits :

A En vertu d’un jugement prononcé en 1993, le débiteur alimentaire doit payer une

pension hebdomadaire de 170 $ pour le bénéfice de son enfant ;

B) Le débiteur n’a jamais payé volontairement la pension alimentaire, il a fait l’objet de

saisies de salaire couvrant une partie des arriérés;

C) Le débiteur, par sa requête, demande l’annulation des arriérés rétroactivement au 5

janvier 1995 ;

D) Les motifs invoqués par le débiteur sont les suivants :

18

A. (Y.) c. B. (M.), C.A. Québec, no

200-09-004406-036, 7 avril 2004, j. Delisle, Benoît et Morin,

[2004] R.D.F. 267, REJB 2004-60431. Commenté dans Suzanne CADIEUX, « Annulation des

arrérages de pension alimentaire et impossibilité d’agir », Collection du juriste, Éditions CCH,

Juin 2004, p. 9.

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25

1. Son état de santé (il a été établi que le débiteur est affligé d’une maladie affective

bipolaire) s’est détérioré à un point tel qu’il n’était pas en mesure de s’occuper de ses

affaires financières et il ne réalisait même pas qu’il devait faire une demande pour faire

annuler la pension et les arriérés qui s’accumulaient ;

2. L’incapacité était telle qu’il ne pouvait comprendre la portée de ses obligations et de

l’absence de paiement de la pension alimentaire.

E) En première instance, le tribunal a maintenu en grande partie les arriérés de pension

alimentaire au motif que le débiteur n’avait pas réussi à démontrer « une impossibilité

d’agir » au sens de l’article 596 C.c.Q.

La Cour d’appel commence par réitérer le principe selon lequel une pension alimentaire

est payable tant et aussi longtemps que les circonstances le justifient. Si un changement

survient, la partie concernée peut demander une modification rétroactive de la pension

alimentaire. La Cour s’appuie sur ce qu’il est convenu d’appeler la règle qui sous-tend le

calcul de la pension alimentaire, à savoir la nécessité de prouver des besoins pour le

créancier alimentaire et la capacité de payer du débiteur alimentaire. La Cour interprète

ainsi le deuxième alinéa de l’article 596 C.c.Q. :

15. Le second alinéa de l’article 596 C.c.Q. n’est ni un délai de prescription ni un délai de

déchéance. L’article 596 C.c.Q. s’intéresse exclusivement à deux périodes distinctes pendant

lesquelles se sont accumulés des arriérés de pension alimentaire. L’article énonce les conditions

requises que doit satisfaire le débiteur pour chacune des périodes.

16. Pour les arriérés remontant à moins de six mois, le débiteur doit satisfaire à une seule

exigence : la preuve d’un changement substantiel de sa situation ou de celle de la personne

créancière.

17. Pour les arriérés remontant à plus de six mois, une exigence supplémentaire s’ajoute : le

débiteur doit démontrer qu’il lui a été impossible d’exercer son recours pendant la période où les

arriérés se sont accumulés.

Quant au premier alinéa, la Cour mentionne ce qui suit :

42. Le premier alinéa de l’article 596 C.c.Q. ne pose pas de problème. Il établit simplement le

principe bien connu que le débiteur d’une pension alimentaire ne peut faire réviser celle-ci qu’en

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26

démontrant un changement dans sa condition ou celle de son créancier. Cette lecture des délais

prévus au second alinéa et la nuance qu’il faut apporter quant au fardeau de la preuve en fonction

du délai de plus ou de moins de six mois est en accord avec la jurisprudence actuelle.

Qu’en est-il du concept de « l’impossibilité d’exercer ses recours » auquel fait référence

cet article ? Nous citons la Cour :

18. La locution « impossibilité d’agir » doit recevoir un sens large. Il ne s’agit pas d’une

impossibilité absolue, mais d’une incapacité analysée en fonction des particularités de chaque

cas.

19. Cette impossibilité d’agir doit être présente pendant toute la période d’accumulation des

arriérés.

On constate que la Cour utilise sans distinction les termes « impossibilité d’agir », alors

que le second alinéa traite de l’impossibilité d’exercer un recours. Ce critère qui nous

apparaît moins exigeant.

On notera que le juge Morin se distingue de ses collègues en indiquant qu’il n’opérerait

pas la distinction faite aux paragraphes 16 et 17 du jugement ; il simplifierait en indiquant

que le second alinéa de l’article 596 C.c.Q. : « s’applique à la totalité des arriérés

accumulés pendant que le débiteur ne remplit pas toutes les conditions requises par cet

article [art. 596, al. 1 et 2]. Il n’y a donc pas lieu de distinguer les arriérés des derniers six

mois de ceux remontant à plus de six mois », voir paragraphes 54 et 55 de l’arrêt.

Les faits démontrent : « que l’appelant est affligé d’une maladie affective bipolaire qui,

de 1994 à la fin juin 2001, l’a soumis, tantôt à des périodes d’exaltation, avec la

conviction d’être au-dessus de tout, tantôt à des phases dépressives ». La Cour renvoie à

cette période parce que déterminée par un psychiatre qui a évalué la capacité du débiteur

dans un rapport produit en première instance. De plus, la preuve révèle que pendant cette

période, le débiteur a tenté de se suicider à deux reprises, qu’il a été hospitalisé à

plusieurs reprises et qu’il a dû faire cession de ses biens. De sa tentative de suicide (1996)

jusqu’à ce que sa maladie soit sous contrôle (juillet 2001), la Cour considère que

monsieur a été dans l’impossibilité d’agir. Elle indique que pendant cette période : « toute

la question de la pension alimentaire était absente des préoccupations de l’appelant parce

qu’elle ne faisait pas partie de ses réalités ».

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27

On peut en déduire qu’un débiteur préoccupé par la maladie d’un proche ou pour tout

motif sérieux qui chasse de son esprit la question de la pension alimentaire se trouverait

dans l’impossibilité d’agir ; il y a donc place pour de la discrétion en fonction des

circonstances de chaque cas. La Cour donne l’exemple du débiteur victime d’un accident

de voiture qui serait dans le coma. La Cour « dissèque » comme suit le deuxième alinéa :

44. Les circonstances qui l’enclenchent sont fournies par ses premiers mots : « Cependant,

lorsque les arrérages sont dus depuis plus de six mois, [ ] ».

45. Ces mots signifient que deux dates sont à considérer pour l’application de cet alinéa :

1o la date la plus rapprochée depuis laquelle sont dus les arriérés ;

2o la date à laquelle la requête en réclamation d’arriérés est déposée (en tenant compte, le cas

échéant, de l’article 2892 C.c.Q. [l’interruption de la prescription par une demande en justice]).

46. S’il y a plus de six mois entre ces deux dates, le second alinéa édicte que « le débiteur ne

peut être libéré de leur paiement [des arriérés dus depuis plus de six mois] que s’il démontre

qu’il lui a été impossible d’exercer ses recours pour obtenir une révision du jugement fixant la

pension alimentaire ».

Dès que le débiteur ne se retrouve plus dans une situation où il y a impossibilité d’agir, il

doit faire diligence et exercer son recours :

Il ressort clairement du second alinéa qu’il a l’obligation d’agir [...]. Pour conclure à une

obligation d’agir, le raisonnement de la Cour est que si le débiteur doit démontrer qu’il a été dans

l’impossibilité d’agir, cela implique qu’il avait l’obligation de ce faire ; s’il a fait preuve de

négligence, il doit en supporter les conséquences. En l’espèce, le débiteur a laissé écouler un

délai d’un an sans agir après qu’il n’ait plus été soumis à une impossibilité d’agir, sa maladie

étant sous contrôle, et qu’il avait la capacité d’intenter un tel recours.

Les arrérages accumulés pour les six premiers mois de cette année ne peuvent être

annulés, le débiteur n’étant pas dans l’impossibilité d’agir. Pour les six mois qui

précèdent immédiatement le dépôt de la requête, le débiteur doit faire la preuve d’un

changement significatif démontrant son incapacité de faire face en tout ou en partie à une

ordonnance alimentaire.

Il ressort clairement de cet arrêt que le laxisme que l’on avait pu déceler dans certaines

décisions quant à l’application du concept de « l’impossibilité d’exercer le recours » n’a

plus sa raison d’être. Il appartient au tribunal de déterminer avec précision les périodes

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28

pendant lesquelles un débiteur alimentaire est dans l’impossibilité d’agir. Seule, la bonne

foi du débiteur ne devrait pas constituer, à la lumière du présent arrêt, un motif d’annuler

des arriérés, de même que le fait que le débiteur ait pu par le passé assumer en tout ou en

partie ses obligations de nature alimentaire. La Cour fournit suffisamment de balises pour

permettre aux tribunaux de définir « l’impossibilité d’exercer un recours », tout en

opérant un resserrement de ce qu’est une impossibilité. La preuve doit notamment

démontrer que le débiteur alimentaire a été malade complètement perturbé

psychologiquement ou que l’impossibilité d’agir qu’il allègue a été présente pour

l’ensemble de la période visée par sa demande ou à tout le moins pour certaines de ces

périodes. La négligence du procureur du débiteur alimentaire d’agir en temps opportun

peut aussi constituer une impossibilité d’agir. Il est insuffisant de simplement alléguer

que l’on a été dans l’impossibilité de présenter antérieurement une procédure en raison de

sa situation financière et personnelle précaire.

En terminant, on peut affirmer que non seulement les tribunaux refusent d’annuler des

arriérés lorsque ceux-ci sont causés par la négligence et la mauvaise foi du débiteur, mais

également que l’importance des arrérages accumulés n’est généralement pas un motif

d’annulation ou de diminution de la pension, surtout lorsque le débiteur est le seul

responsable de la situation. Rappelons que le paiement de la pension prime le paiement

des arriérés. Pour devenir un motif valable de diminution ou d’annulation de la pension

alimentaire, la difficulté ou l’impossibilité de payer la pension doit exister au moment où

les sommes sont dues et non après l’accumulation d’arrérages, surtout s’ils sont

considérables.

5.1 L’obligation alimentaire et le statut in loco parentis

Dans l’arrêt Droit de la famille - 16163319

, Monsieur (l’appelant) souhaite par une

requête en intervention forcée souhaite inviter au débat qu’il a avec son ex-épouse

l’homme qui a été marié avec elle et qui a agi comme parent in loco parentis à l’égard de

l’enfant pour lequel l’ex-épouse de monsieur réclame une pension alimentaire. L’enjeu

est clair, Monsieur souhaite convier aux débats tous les débiteurs potentiels de l’enfant

19

EYB 2016-267675, 2016 QCCA 1142, J.E. 2016-1257 (C.A.).

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29

pour qu’il soit disposé en totalité du litige. Sa demande a été rejetée par le tribunal

d’instance suite à une demande en irrecevabilité.

Les faits sont les suivants. En 2003, la mère et le père, alors un couple marié, adoptent

un enfant âgé d'un an. Ils cessent de faire vie commune en 2004 et divorcent en 2005.

Entre-temps, la mère commence à faire vie commune avec un nouveau conjoint (visé par

l’intervention forcée) et ils se marient en 2005.

Dans le divorce de la mère et du père, la garde de l'enfant est attribuée à la mère et il est

ordonné au père de verser pour l'enfant une pension alimentaire mensuelle de 450 $. Bien

qu'une entente à l'amiable accorde des droits d'accès au père, celui-ci n'a eu presque

aucun contact avec l'enfant depuis le divorce.

En 2008, la mère son nouvel «époux» cessent de faire vie commune et divorcent. Le

jugement de divorce ne mentionne pas l'enfant. Néanmoins, de 2008 à 2010, l’ex-époux

(en secondes noces) maintient une relation avec l'enfant. Celle-ci s'estompe pour des

raisons inexpliquées de 2010 à 2012 et reprend à partir de 2012, pour perdurer jusqu'à

nos jours. Celui-ci exerce présentement des droits d'accès à l'enfant une fin de semaine

sur deux.

Selon les représentations de son avocate, l'enfant ne se sent pas lié au père et ne souhaite

pas reprendre contact avec lui. En décembre 2014, la mère, dans le cadre procédural du

dossier de divorce entre elle et le père, dépose une requête demandant une augmentation

de la pension alimentaire pour l'enfant ainsi que d'autres conclusions afférentes à la

déchéance de certains aspects de l'autorité parentale du père afin qu'elle puisse, par

exemple, consentir seule aux traitements médicaux, obtenir un passeport ou voyager à

l'étranger avec l'enfant sans nécessiter l'accord du père. Les conclusions à cet égard ne

sont pas remises en question dans l'appel.

Le père demande, par une procédure d'intervention, la mise en cause forcée de l'intimé,

alléguant que ce dernier agit in loco parentis envers l'enfant, et, en conséquence,

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30

demande que son obligation alimentaire soit «annulée». La Cour regroupe et analyse les

motifs d’appel sous cinq rubriques :

L'ordre public

21 Le père prétend que, puisque le droit de l'enfant aux aliments est d'ordre public, la mère

n'avait pas le droit de renoncer, en ne faisant aucune réclamation, aux aliments potentiellement

exigibles de l'intimé.

22 Cet argument ne résiste pas à l'analyse, car non seulement la mère n'a pas renoncé à ces

aliments possibles (elle ne les a tout simplement pas demandés), mais, surtout, l'argument du

père ne répond pas à la question que nous devons trancher, soit : l'intervention forcée est-elle le

moyen procédural approprié pour déterminer les obligations alimentaires de l'intimé et, s'il en

est, quel est leur impact sur les obligations alimentaires du père envers l'enfant?

23 Ce moyen ne réussit pas à me convaincre de l'existence d'une erreur justifiant l'intervention

de notre Cour.

24 J'en profite pour souligner que sur le plan, de l'ordre public, l'intérêt de l'enfant est

primordial. Les conclusions recherchées par le père, soit l'annulation de ses obligations

alimentaires, sont revendiquées dans son intérêt et non dans ceux de l'enfant.

La Charte des droits et libertés de la personne

25 Selon le père, si l'intimé et la mère avaient été conjoints de fait, il aurait pu faire intervenir

l'ex-conjoint en sa qualité potentielle de parent in loco parentis. À l'appui de sa proposition,

l'appelant cite l'obiter dictum du juge Pierre J. Dalphond, alors à notre Cour :

[87] En résumé, les filles ont droit à l'attention de l'appelante dans le cadre d'une garde partagée.

J'ajoute que l'art. 39 de la Charte me semble leur garantir aussi le droit à des aliments de la part

de l'appelante. La combinaison des art. 10 et 39 de la Charte m'amène à conclure que la notion

«in loco parentis» s'applique tant aux couples mariés que non mariés lorsque le conjoint du

parent de l'enfant tient dans les faits lieu de deuxième parent pour l'enfant.

25 Dans cette cause, la Cour octroyait la garde partagée à un couple de même sexe dont un

seulement était le parent adoptif, l'adoption par des couples de même sexe n'étant pas légalement

permise à l'époque. Par contre, l'adoption était un projet commun. S'appuyant sur l'art. 39 de la

Charte qui fait écho à l'art.32 C.c.Q., la Cour, sous la plume du juge Dalphond, accordait une

garde partagée :[…]

25 Pris en contexte, le passage précité du juge Dalphond n'établit pas une obligation alimentaire

de l'ex-conjoint dans la présente cause, et encore moins supporte-t-il le moyen procédural, dont

le bien-fondé est attaqué dans cet appel.

26 De toute manière, le présent litige ainsi que les procédures entre l'intimé et la mère ont été

entamés en vertu de la Loi sur le divorce, où la notion in loco parentis est déjà reconnue comme

source possible d'une obligation alimentaire au bénéfice de l'enfant. Cet argument de l'appelant

n'est donc ni valable ni utile.

La solidarité

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31

27 Les débitrices et les débiteurs de l'obligation alimentaire y sont tenus solidairement. Le père

soutient par conséquent qu'il aurait le droit de récupérer sa contribution de l'intimé, son

codébiteur solidaire, par voie d'intervention forcée.

28 Ce moyen ne peut pas réussir, parce que le rejet de la requête en intervention forcée

n'empêche pas le père d'intenter des procédures indépendantes pour récupérer la contribution de

l'ex-conjoint, le cas échéant. Je ne me prononce pas sur cette question. Je note que le père ne

recherche pas, à strictement parler, la contribution d'un codébiteur solidaire. Il demande plutôt

que l'intimé lui soit substitué pour assumer la totalité de l'obligation alimentaire envers l'enfant,

tel qu'il appert des conclusions recherchées dans la procédure déposée par le père en première

instance.

29 Lors de l'audition devant cette Cour, l'avocat du père a tenté de modifier la demande

exposée dans ses procédures écrites pour prévoir la possibilité d'une conclusion subsidiaire

recherchant la contribution de l'intimé pour les aliments payables à l'enfant, mais aucune

demande formelle d'amendement ne nous a été présentée.

(Nos soulignements et surlignements; renvois omis)

Une porte reste donc entrouverte au cas où il faudrait partager entre les débiteurs la

responsabilité relative à l’obligation alimentaire. Soulignons aussi la réticence des

tribunaux à permettre l’intervention de tiers dans les litiges de nature familiale.

L'autorité parentale et la nécessité d'une solution complète du litige

30 Le père soutient que l'article 586 C.c.Q. lui permet, en tant que titulaire de l'autorité

parentale, d'exercer un recours alimentaire au bénéfice de l'enfant, dont sa requête en

intervention forcée de l'ex-conjoint, qui a, selon lui, agi in loco parentis.

31 Même si l'article 15 de la Loi sur le divorce ne limite pas les droits et les obligations prévus à

l'article 586 C.c.Q., la question dont nous sommes saisis est de déterminer si l'intervention forcée

est la procédure appropriée pour un tel recours. Plus précisément, est-il nécessaire pour la

solution complète du litige, que les obligations du père et de l'intimé, s'il en est, soient

déterminées en même temps, c'est-à-dire, dans les procédures de divorce concernant la pension

alimentaire que le père verse à la mère au bénéfice de l'enfant?

32 Tel que mentionné, la juge a conclu que l'intervention forcée n'était pas nécessaire pour la

solution complète du litige et, en conséquence, que le critère de l'article 216 de l'ancien C.p.c.

n'était pas satisfait.

33 Pour que la présence de l'intimé à titre de parent potentiel in loco parentis soit nécessaire à ce

litige, il faut que son obligation alimentaire ait un impact sur l'obligation alimentaire du père

appelant qui fait l'objet de ce litige. Autrement dit, est-ce que l'obligation du père sera modifiée

ou modulée par l'obligation alimentaire d'un père in loco parentis? Si la réponse est négative, il

est permis de penser que sa présence n'est pas nécessaire à la solution complète de ce litige. Si

oui, la réponse peut être autre.

34 La question s'est présentée devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Il y fut jugé

que l'obligation d'un parent dont la filiation est établie serait considérée en premier, et que celle

d'un beau-parent in loco parentis serait considérée après la détermination de l'obligation du

premier parent. Il faut noter que ces provinces appliquent les Lignes directrices fédérales sur les

pensions alimentaires pour enfants, ou une disposition provinciale équivalente, lesquelles

prévoient que :

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32

5 Si l'époux faisant l'objet de la demande

d'ordonnance alimentaire tient lieu de père ou

de mère à l'égard d'un enfant, le montant de

l'ordonnance pour cet époux est le montant

que le tribunal juge indiqué compte tenu des

présentes lignes directrices et de toute autre

obligation légale qu'a un autre père ou mère

pour le soutien alimentaire de l'enfant.

5 Where the spouse against whom a

child support order is sought stands in

the place of a parent for a child, the

amount of a child support order is, in

respect of that spouse, such amount as

the court considers appropriate, having

regard to these Guidelines and any

other parent's legal duty to support the

child.

[Soulignement ajouté]

35 Le dictum du juge Bastarache au nom de la Cour suprême du Canada dans Chartier, une

cause du Manitoba, s'inscrit clairement dans ce contexte :

42 Le juge Huband, dans Carignan, s'est

également dit préoccupé par le fait que

l'enfant pourrait recevoir une pension

alimentaire tant du parent biologique que

du beau-parent. J'estime que cette

préoccupation ne tient pas. La contribution

du parent biologique doit être évaluée sans

tenir compte des obligations du beau-

parent. L'obligation d'entretenir l'enfant

naît dès que cet enfant est jugé être " un

enfant à charge ". Les obligations des

parents envers l'enfant sont toutes

solidaires. La question de la contribution

de chacun concerne tous les parents qui

ont des obligations envers l'enfant, qu'il

s'agisse de parents biologiques ou de

beaux-parents; elle ne doit avoir aucun

effet sur l'enfant. Le parent qui cherche à

obtenir une contribution d'un autre parent

doit entre-temps verser une pension

alimentaire pour l'enfant en dépit des

obligations de l'autre parent.

42 Huband J.A., in Carignan, also

expressed the concern that a child might

collect support from both the biological

parent and the step-parent. I do not accept

that this is a valid concern. The

contribution to be paid by the biological

parent should be assessed independently

of the obligations of the step-parent. The

obligation to support a child arises as soon

as that child is determined to be a "child of

the marriage". The obligations of parents

for a child are all joint and several. The

issue of contribution is one between all of

the parents who have obligations towards

the child, whether they are biological

parents or step-parents; it should not affect

the child. If a parent seeks contribution

from another parent, he or she must, in the

meantime, pay support for the child

regardless of the obligations of the other

parent.

[Soulignement de la Cour ajouté; références omises.]

Il y aurait donc un ordre priorité ou une subsidiarité quant aux obligations alimentaires.

Soulignons à ce sujet que lorsqu’une obligation alimentaire existait, en droit québécois,

jusqu’au second degré (entre grands –parents et petits enfants), la jurisprudence

majoritaire était à l’effet qu’il fallait démontrer l’impécuniosité du débiteur du premier

degré, son incapacité à générer des revenus avant d’en arriver à la responsabilité du

débiteur au second degré.

La Cour refuse de se prononcer sur l’argument que le parent in loco parentis serait une

ressource pour l’enfant au sens de l’article 587.2 C.c.Q. Nous citons :

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33

38 Nous n'avons pas à décider si la créance alimentaire que détient l'enfant contre un parent in

loco parentis peut être considérée comme une ressource dont dispose l'enfant au sens de

587.2 C.c.Q., bien qu'il soit établi que les revenus d'une nouvelle conjointe ou d'un nouveau

conjoint ne le sont pas et que les revenus indépendants d'un enfant, lorsqu'ils sont substantiels,

peuvent être pris en compte dans le calcul de la pension alimentaire payable par un parent.

39 Cela étant, même en tenant pour acquis, sans en décider que la créance alimentaire du parent

in loco parentis pourrait être ainsi considérée, le débiteur alimentaire «additionnel», soit le

parent in loco parentis, serait le débiteur de l'enfant et non le débiteur du parent. Cela demeure

vrai même si la créance alimentaire de ce parent in loco parentis pouvait, selon les circonstances,

être prise en compte dans le calcul de la pension alimentaire payable par un parent.

40 La question devant nous demeure celle de déterminer si l'intervention forcée dans une

instance en divorce constitue la procédure appropriée.

41 Tel que mentionné plus haut, je suis d'avis que le recours alimentaire au bénéfice de l'enfant

peut, en l'espèce, être exercé pour lui par le parent qui en a la garde, soit la mère, comme la juge

de première instance en a correctement décidé (et ce, que ce soit contre le père ou l'intimé, ou les

deux). Le père invoque son autorité parentale pour exercer un recours alimentaire au nom de

l'enfant.

La Cour indique que l'article 586 C.c.Q. est permissif. La question de savoir qui détient

l'intérêt requis pour intenter le recours dépend des circonstances de chaque espèce.

43 Si un recours alimentaire peut être exercé contre l'intimé comme parent in loco parentis, il

doit l'être par la mère dans l'instance en divorce entre elle et l'intimé. Le père ne peut, dans son

propre dossier de divorce avec la mère, exiger l'intervention de l'intimé pour diminuer ou annuler

son obligation alimentaire envers son enfant.

44 J'hésite à aller jusqu'à dire qu'un tiers ne pourrait jamais être forcé d'intervenir comme partie

dans une instance en divorce. Je ne connais aucune prohibition à cet effet. Par contre, une telle

intervention (volontaire ou forcée) devrait demeurer exceptionnelle. En principe, un dossier de

divorce concerne deux conjoints et leurs enfants, s'il en est.

La saine administration de la justice

46 Quant au dernier argument mis de l'avant par le père, à savoir que la saine administration de

la justice requiert que toutes les questions concernant ses obligations alimentaires et celles de

l'ex-conjoint soient résolues dans une seule et même action, il échoue, à mon avis, en raison du

critère de la nécessité inscrit à l'article 216 de l'ancien C.p.c., soit la nécessité de sa présence

pour une solution complète du litige. En ce sens, je ne considère pas cet argument comme

valable.

La Cour rejette l’appel.

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34

8.0 L’OBLIGATION ALIMENTAIRE

8.1 Le droit aux aliments entre ex-époux et le revenu présumé

Dans l’arrêt Droit de la famille - 16194420

, En première instance, madame réclamait une

pension alimentaire brute de 3 987 $ par mois. Monsieur réclamait l'annulation de la

pension alimentaire octroyée lors des mesures provisoires rétroactivement au 23 avril

2015 et il demandait à n'en payer aucune pour le futur. Au moment de l'audience en

première instance, Monsieur avait cessé de verser la pension alimentaire depuis plusieurs

mois.

En appel, Madame réitère sa demande en y ajoutant une demande pour une somme

globale de 250 000 $, soutenant que Monsieur n'a pas l'intention de remplir ses

obligations alimentaires. C'est en réponse à cette nouvelle demande que Monsieur

présente une requête pour preuve nouvelle qui consiste en la production du dernier état

financier de son entreprise, daté du 30 novembre 2015. La Cour souligne que la demande

de somme globale a pour effet d'initier un nouveau débat. Le mode d'attribution de la

pension alimentaire par une somme globale rencontre des objectifs qui lui sont propres et

ceux-ci n'ont pas été débattus en première instance. Dans le contexte du présent dossier, il

n'est pas opportun que la Cour ouvre ce nouveau débat. La requête pour preuve nouvelle

sera donc rejetée, parce sans objet.

Le juge d’instance a évalué le revenu annuel de Monsieur à 45 000 $ et a maintenu la

pension alimentaire de 1 000 $ par mois qui avait été attribuée lors des mesures

provisoires, estimant qu'« […] il n'y a aucune raison de la réviser ni à la hausse ni à la

baisse ». De l’avis de la Cour, le juge commet une erreur lorsqu'il refuse de réviser la

pension alimentaire octroyée lors des mesures provisoires. D'abord parce que la situation

des parties a évolué entre-temps et aussi parce qu'il fallait tenir compte de leur situation,

au sortir du divorce. Dans son essence, le jugement sur mesures provisoires est de nature

20

EYB 2016-268938, 2016 QCCA 1285 (C.A.).

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35

temporaire. En effet, le juge devait tenir compte qu'au sortir du divorce, Madame doit

verser à Monsieur 226 500 $, découlant du partage du patrimoine familial et de la

condamnation à verser une prestation compensatoire. Ensuite, le juge d’instance n'a pas

tiré les conclusions juridiques adéquates découlant de ses constatations factuelles à

l'égard de la volonté et de la capacité de payer de Monsieur.

Il faut rappeler qu’au moment où est prononcé le jugement sur mesures provisoires

jugement sur mesures provisoires le 29 octobre 2014, Monsieur réclamait l'annulation de

la pension alimentaire, soutenant ne plus avoir les moyens de la payer. Devant le juge

Ouellet, Monsieur n'a toutefois pas manifesté son intention de cesser de travailler. Au

contraire, il a témoigné vouloir « […] planifier une réorganisation importante avec une

autre compagnie dont il deviendrait un représentant rémunéré à commission».

En première instance, la preuve démontre que Monsieur a fait le choix de liquider son

entreprise et de ne pas travailler pour un tiers. Le tribunal d’instance retient que Monsieur

est en âge de travailler et qu'il a profité de la dernière année (donc, après le jugement sur

les mesures provisoires) pour se construire seul une résidence familiale. Le tribunal

d’instance a aussi retenu la preuve non contredite que Monsieur a déclaré qu'il ne paierait

jamais de pension alimentaire à Madame, que la somme de 255 000 $ qui devait assurer

la retraite de l'appelante a dû être utilisée en partie pour combler ses besoins alimentaires

durant l'instance et qu'elle ne possède pas d'autres fonds de retraite.

Au moment de l'introduction des procédures de divorce, Madame, âgée de 54 ans, est

sans emploi, n'ayant pas été sur le marché du travail depuis plus de 30 ans. Elle

entreprend des démarches afin d'évaluer ses compétences et les opportunités pouvant se

présenter à elle.

Pour sa part, au moment de la séparation, Monsieur est âgé de 53 ans et il exploite son

entreprise. Vu la mésentente avec ses fils, il a racheté leurs parts et a décidé de liquider

son entreprise quoique ses opérations généraient des profits. Il témoigne avoir cessé ses

opérations au printemps 2015 et vivre « sur ses actifs ». Par contre, la preuve indique que

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36

la compagnie est toujours en activité, étant propriétaire d'un terrain en location, d'une

terre à bois acquise en 2014 et payée 100 000 $ à même ses liquidités et d'un tracteur

acquis pour l'exploiter.

La société par actions de Monsieur possède des actifs importants. Dans son état des

revenus et dépenses du 22 octobre 2015, Monsieur inscrit que les actions de sa

compagnie valent 250 000 $. La valeur de la compagnie est beaucoup plus élevée,

compte tenu de ses actifs.

Le tribunal d’instance déclare ne pas avoir à s'immiscer dans la décision de Monsieur de

liquider son entreprise. De l’avis de la Cour, il s'agit d'une erreur, car, ce faisant, il omet

de tenir compte de son propre constat que la compagnie et Monsieur ne font qu'un (et

hop, pour le voile corporatif en matière alimentaire), de la preuve non contredite de son

refus de payer une pension alimentaire et de sa décision de ne pas travailler, alors qu'il en

a l'âge et la capacité.

Ce refus d'être actif et de générer des revenus, combiné à l'aveu extrajudiciaire retenu par

le juge, doit engendrer une conséquence juridique, qui se retrouve à l’article 446 C.p.c.

Monsieur a des obligations alimentaires compte tenu du mariage traditionnel des parties

et du fait que Madame se retrouve dans une situation précaire. Elle est dans l'obligation

d'utiliser les sommes prévues pour sa retraite pour assumer ses dépenses courantes, alors

qu'elle n'a que 54 ans. La créance découlant du jugement de divorce est d'ailleurs

supérieure aux liquidités qui lui restent.

Madame n’a donc pas à entamer son capital à son âge et qui doit servir en vue de sa

retraite considérant les sommes réservées.

La Cour a rappelé à quelques reprises qu'un débiteur alimentaire qui fait des choix

incompatibles avec ses obligations alimentaires ne peut être exempté de respecter telles

obligations. Pour la Cour, l’obligation alimentaire entre époux est aussi contraignante que

celles à l’égard des enfants. La Cour précise qu’il n'est pas nécessaire non plus de

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37

rechercher la mauvaise foi du débiteur alimentaire, un choix inapproprié aux

circonstances de l'affaire suffit pour permettre au tribunal d'intervenir. En l’espèce,

Monsieur n'a pas atteint l'âge de la retraite ni de la préretraite. Son obligation alimentaire

envers Madame est très claire et son refus de l'assumer est tout aussi évident. Selon la

Cour, le juge doit s'efforcer de bien évaluer la capacité de gain du débiteur alimentaire.

Dans le présent cas, il devait tenir compte non seulement des revenus de l'intimé et des

bénéfices fiscaux découlant du fait qu'il se paie au moyen de dividendes (entre 40 000 et

45 000 $ par année de dividendes) mais également de sa capacité de gain et de ses actifs,

ce qu'il a omis de faire. La capacité de gain de l'intimé se reflète dans le tableau

démontrant les dividendes que lui a versés la compagnie dans les dernières années. La

preuve est claire : Monsieur s'est toujours payé en dividendes et comme il est le seul

actionnaire, il détermine les dividendes selon ses besoins financiers.

La Cour revoie la pension alimentaire octroyée, la preuve est très claire : la somme de

1 000 $ par mois est insuffisante pour combler les besoins alimentaires de Madame et

tout aussi insuffisante pour compenser les inconvénients économiques découlant du

mariage et de sa rupture.

Au sortir du divorce, de la somme reçue en décembre 2014 pour le rachat de ses actions

(250 000 $), il reste à Madame environ 200 000 $. Elle témoigne avoir dû utiliser cet

argent pour subvenir à ses besoins durant l'instance. Elle doit aussi un montant de

22 500 $ à l'un de ses fils, 4 500 $ sur sa marge de crédit et 2 100 $ en taxes municipales.

Elle ne reçoit aucun salaire et Monsieur a cessé de payer la pension alimentaire depuis

plusieurs mois. Elle lui doit maintenant 226 000 $.

Elle est propriétaire de l'immeuble abritant la résidence familiale et le logement y

attenant, d'une valeur de 445 000 $. Elle reçoit un loyer de 400 $ par mois de la part de

son fils mais elle espère en retirer 800 $ dans le futur.

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38

Pour sa part, Monsieur est aussi propriétaire d'actions de catégorie C (non imposables

lors du rachat) qui valent 250 000 $, mais son entreprise possède des actifs bien

supérieurs à ce montant, comme le juge d’instance le retient.

L'état des revenus et dépenses du 28 mai 2015 démontre les besoins de Madame. Le juge

a estimé que les dépenses de 3 276 $ par mois sont réalistes. Il faut toutefois déduire de

ces dépenses personnelles, celles relatives au logement loué, réduisant ainsi les dépenses

de l'appelante de 4 117 $ par année (343 $ par mois). Ainsi, les besoins nets de

l'appelante, à l'exclusion du remboursement de ses dettes, sont d'environ 2 900 $ par

mois. Si l'on exclut la dette relative aux frais d'avocats de 10 000 $ (833 $ par mois) qui

n'est pas une dépense récurrente, ses besoins alimentaires nets s'élèvent à 2 100 $ par

mois. Il faut aussi tenir compte du revenu annuel net de location qui est de 5 483 $26.

Compte tenu de l'impact fiscal, une pension alimentaire brute de 1 950 $ par mois est

donc nécessaire pour combler les besoins de Madame. Étant donné que Monsieur est en

mesure de retirer des dividendes de sa compagnie et compte tenu de sa capacité de gain,

il a certainement les moyens de payer une pension alimentaire brute de 1 950 $ par mois.

Dans Droit de la famille - 16194521

, Monsieur se pourvoit contre un jugement qui

accueille partiellement sa demande et modifie la pension alimentaire de Madame pour la

diminuer de 333,92 $ par mois pour finalement l'établir à 1 000 $ par mois, avec

application rétroactive au 5 février 2015. La Cour est également saisie d'une requête en

rejet d'appel présentée par Madame. Cette procédure contient des conclusions visant à

obtenir contre Monsieur une interdiction de déposer en appel tout acte de procédure sans

l'autorisation préalable de la Juge en chef. Madame recherche également une

condamnation à des dommages-intérêts au montant de 2 500 $ pour abus de procédures.

La Cour rejette l’appel.

Monsieur soulève différents manquements à des exigences procédurales essentiellement

rattachés à l'obtention du jugement de divorce intervenu entre les parties le 16 novembre

21

EYB 2016-268930, 2016 QCCA 1286 (C.A.).

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39

2010. Il ne convient pas de discuter plus longuement de ces prétentions déjà réglées par

un jugement qui a depuis longtemps acquis l'autorité de la chose jugée. C'est d'ailleurs en

raison du fait que l'appelant ignore volontairement cette règle, pourtant rappelée par

plusieurs jugements le concernant, qu'il est maintenant sous le coup d'une demande de

déclaration d'appel abusif. Cette possibilité a d'ailleurs été sommairement établie dans le

cadre d'une ordonnance de cette Cour l'enjoignant à verser à Madame une provision pour

frais de 5 000 $.

Madame a eu quatre enfants avec l'appelant. Elle n'a jamais pu intégrer le marché du

travail durant ses 25 ans de vie commune, notamment en raison de la conception du

mariage qu'entretenait Monsieur selon laquelle il était de la responsabilité de sa conjointe

de demeurer à la maison pour s'occuper de la fratrie. Des problèmes de santé chez

Madame, encore bien présents aujourd'hui, ont aussi contribué à cette réalité. Différents

rapports d'expert au dossier font voir que Madame ne peut espérer intégrer le marché du

travail dans un avenir prévisible. Notamment, elle souffre d'une grande anxiété

nécessitant l'usage d'antidépresseurs. Elle présente aussi un problème d'atrophie

maculaire qui n'est pas sans lui causer d'importants ennuis de vision. Par ailleurs, elle

continue de s'occuper de ses enfants jumeaux qui éprouvent des problèmes de santé

importants. Au surplus, Madame doit s'investir dans le soutien de sa mère inapte, âgée de

88 ans. Nous sommes en présence d’un mariage traditionnel, la Cour conclut aussi que

Madame ne peut satisfaire aux exigences d'employabilité en raison de sa condition

médicale. De plus, compte tenu de l'âge de Madame (56 ans) il est déraisonnable de

forcer cette dernière à entamer son faible capital provenant du partage du patrimoine

familial en vue de réduire d'autant l'obligation alimentaire de Monsieur.

Il ressort des commentaires sévères du juge d’instance que Monsieur cherche à se

soustraire à ses obligations à l'égard de Madame et que son désir de prendre sa retraite

vise ce même but. Il est vrai que l'inclusion dans les revenus de l'appelant d'une pension

résultant du partage du patrimoine familial soulève la question de la double

indemnisation («double dipping») discutée par la Cour suprême dans l'arrêt Boston c.

Boston. Selon la Cour, cet argument, lorsque replacé dans le contexte de la présente

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40

affaire, ne résiste pas à l'analyse. En effet, dès lors que Monsieur est toujours en mesure

de travailler, il ne devrait pas toucher de prestations de retraite et avoir à les utiliser pour

verser la pension à Madame au surplus c’est lui qui a créé cette situation. La Cour retient

que Monsieur a préféré se priver de prestations d'assurance-emploi en s'imposant un

horaire pour une formation en anglais qui l'a rendu indisponible pour le travail. Le juge

d’instance juge était donc bien fondée à imputer à Monsieur un revenu correspondant aux

prestations d'assurance-emploi auxquelles il a volontairement renoncé, d'autant qu'il

continue toujours de maintenir son statut d'ingénieur en payant assidûment sa cotisation à

son ordre professionnel.

Tout récemment, la Cour rappelait qu'un juge était justifié d'imputer un revenu au

conjoint débiteur lorsque celui-ci était inférieur à la capacité réelle de travail de ce

conjoint (maximiser sa capacité de gain). Il s’agit là d’un choix discrétionnaire qui

appartient au juge d’instance et la Cour n’intervient pas. Nous citons :

15 Tout récemment, notre Cour rappelait qu'un juge était justifié d'imputer un revenu au

conjoint débiteur lorsque celui-ci était inférieur à la capacité réelle de travail de ce conjoint :

[26] L'article 825.12 C.p.c. [N.D.R. : 446 C.p.c.] accorde au Tribunal le pouvoir d'imputer un

revenu à un parent aux fins du calcul de la pension alimentaire. Ce pouvoir est généralement

utilisé dans deux circonstances. La première vise les cas où les informations données sur le

revenu du débiteur alimentaire sont incomplètes ou erronées. La deuxième concerne les

situations où, même si les informations sont exactes, le revenu du débiteur alimentaire est

inférieur à ce qu'il devrait être en fonction de sa capacité de travail. Cela vise les cas où le

débiteur alimentaire adopte une démarche professionnelle insouciante ou imprégnée de

mauvaise foi, susceptible de conséquences fâcheuses sur son créancier alimentaire. La

jurisprudence répertorie diverses situations : l'abandon d'un emploi, la diminution volontaire du

revenu, le refus de maximiser ses gains, la prise volontaire de la retraite et la réorientation de la

carrière. Chaque situation est évaluée à son mérite pour vérifier si, au regard de toutes les

circonstances, la décision du débiteur est raisonnable.

8.2 La somme forfaitaire et le droit à la pension

Dans l’arrêt Droit de la famille - 16196022

, la Cour est en présence d’une première

demande d’aliments même si le jugement de divorce a été rendu en 2004, les critères et

facteurs applicables se retrouvent de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce s'appliquent

tout en tenant compte de l'écoulement du temps. Monsieur qualifie la demande

22

EYB 2016-269029, 2016 QCCA 1300 (C.A.).

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41

alimentaire de Madame de tardive. Or, sa prétention voulant Madame n'ait pas droit à une

pension alimentaire en raison de l'écoulement du temps est mal fondée. En l’espèce,

l’écoulement du temps s’explique selon la Cour.

La Cour est en présence d’un mariage traditionnel d'une durée de 15 ans. Les parties ont

connu un train de vie pour le moins confortable. Le juge d’instance et la Cour tiennent

compte l'aveu de Monsieur quant à ses revenus ou ressources financières, de la non

fiabilité du reste de ses propos sur cette question et de l'obstruction et du mépris dont il a

fait preuve à l'égard de toutes les ordonnances alimentaires ou de divulgation

d'informations financières prononcées par la Cour supérieure, il y a lieu de retenir qu'il

possède les ressources financières pour payer une pension alimentaire à Madame, selon

les besoins de celle-ci.

Nous ne le répèterons jamais assez la transparence est toujours de mise. Madame dépend

de prestations versées par l'État depuis 2009. Elle a dû déployer de nombreux efforts pour

finalement obtenir la tenue d'un procès portant sur la mesure accessoire à un divorce

qu'est la pension alimentaire pour conjoint. De l’avis de la Cour, Monsieur n'est pas

étranger aux nombreux obstacles qui se sont dressés sur la route. En l’espèce, la pension

alimentaire à laquelle a droit madame a un fondement compensatoire et non

compensatoire. Les inconvénients économiques de Madame. qui découlent du mariage et

de son échec sont importants, tenant compte notamment des rôles assumés par chacune

des parties dans le contexte des emplois à l'étranger occupés par Monsieur, de la qualité

de pourvoyeur unique assumée par ce dernier tôt dans le mariage et de l'impact que divers

comportements, dont une accusation d'avoir proféré des menaces de mort, accusation

dont Madame sera acquittée après avoir subi du stress pendant trois ans et le fait pour

Monsieur de demander à Madame une pension alimentaire pour enfants malgré son

absence de besoin à cet égard ont eu sur la capacité de Madame de composer avec cet

échec. Dans l'arrêt Leskun, après avoir rappelé que la faute relativement au mariage ne

doit pas être prise en compte dans l'établissement d'une ordonnance alimentaire pour

conjoint, la Cour suprême a cependant précisé qu'il existe « une distinction entre les

conséquences émotionnelles d'une faute et la faute elle-même ». L'objectif de la Loi sur le

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42

divorce de 1985 était que l'accent soit mis sur les conséquences de la faute de l'époux, et

non sur l'attribution d'une faute. En l'espèce, les conséquences émotionnelles des

comportements de Monsieur sur Madame doivent être prises en compte. Au présent

dossier, la preuve contradictoire ne permet pas d'adopter une position spécifique quant à

la consommation d'alcool par Madame, son niveau ou sa nature (alcoolisme ou non),

mais il est certain que les difficultés y étant associées, le cas échéant, ont débuté pendant

le mariage, qu'elles se sont développées ou accentuées par la suite durant le mariage et

que les relations extraconjugales de Monsieur et les façons suivant lesquelles il a interagi

avec Madame n'y sont pas étrangères.

Dans l'arrêt Bracklow, la Cour suprême enseigne que la « difficulté économique que

l'échec du mariage […] cause peut englober […] le simple fait qu'une personne qui

bénéficiait auparavant d'un droit aux aliments à titre d'époux au sein du mariage se trouve

désormais privée de ce droit ». On ne peut parler ici d'indépendance économique de

Madame : elle est loin de l'autonomie, malgré des efforts. Dès 2005, elle a recherché de

l'emploi et, d'ailleurs, occupé certains postes au fil des années 2005-2008, mais sans les

conserver longtemps.

Madame explique avoir fait des dépressions en raison du stress résultant du présent

dossier et les conséquences d'avoir à se rendre à la Cour sur sa disponibilité pour

travailler. À lui seul, depuis le 25 août 2005, le plumitif du dossier de divorce des parties

en première instance comporte près de 300 inscriptions dont 120 entre le 25 août 2005 et

le 29 novembre 2011 (date de l'ordonnance de sauvegarde prononcée par la juge

Capriolo). Dans l'affaire Droit de la famille - 1435323

, la Cour d'appel rappelle « que

l'omission d'acquérir l'indépendance économique ne constitue pas nécessairement

un manquement à une obligation; ce n'est qu'un élément parmi d'autres à

considérer lors de la fixation de la pension alimentaire d'un ex-époux, élément qui

doit être vu à la lumière des autres objectifs de la loi ». La Cour suprême confirme de

plus que l'objectif de favoriser l'indépendance économique des deux ex-époux ne doit pas

être considéré comme étant prioritaire par rapport aux autres objectifs énumérés. Certes,

23

EYB 2014-233775, 2014 QCCA 385, J.E. 2014-425 (C.A.).

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43

Madame doit passer à autre chose et tenter d'acquérir une certaine autonomie, mais en

soupesant les objectifs énoncés à l'article 15.2(6) de la Loi, il y a lieu de conclure que

Madame a droit aux sommes accordées par l'ordonnance de sauvegarde de la juge

Capriolo de même qu'à une pension alimentaire et que le juge d’instance aurait dû lui

reconnaître et accorder le tout.

Reste à déterminer la forme que devra prendre les aliments. Au procès, Monsieur

confirme que l'état utilisé par la juge Capriolo pour rendre son ordonnance de sauvegarde

de novembre 2011 demeure représentatif de sa situation (besoins et dépenses), sauf à en

retirer les dépenses qui concernent son fils, alors que ce dernier est devenu entre-temps

autonome. Selon son propre aveu, Monsieur dispose minimalement de 125 000 $ nets par

année (soit d'une somme équivalente à un revenu annuel d'emploi brut de 250 000 $). La

Cour est persuadée qu'il possède d'autres ressources. Le dossier d'appel ne comporte pas

la reproduction d'un état récent des dépenses de Madame. La Cour conclut qu’il n’y a pas

de doute les besoins de Madame se chiffrent tout au moins à 1 500 $ par mois, eu égard :

1) au niveau de vie de Madame au cours des années de mariage;

2) aux seuils de faible revenu 2012-2013 pour une personne seule selon les données de

l'Institut de la statistique du Québec;

3) à l'ordonnance de sauvegarde prononcée en 2003 par la juge Trahan pour une pension

alimentaire de 1 500 $ par mois, somme que les parties ont reprises dans un consentement

à l'été 2003, sur mesures provisoires, que la juge Claudette Picard a entériné par jugement

du 23 septembre 2003; à la valeur en 2015 de cette pension alimentaire de 1 500 $ par

mois fixée en 2003, tenant compte de l'indexation annuelle prévue à l'article 590 C.c.Q.,

qui se chiffre à 1 886,91 $ par mois;

4) à l'ordonnance de sauvegarde prononcée en 2011 par la juge Capriolo qui accorde une

pension alimentaire de 1 500 $ par mois;

5) à la fourchette de pension alimentaire pour conjoint variant, en l'espèce et pour 2015,

entre 45 327,48 $ et 60 436,45 $ par année selon les Lignes directrices facultatives en

matière de pensions alimentaires pour époux, tenant compte d'un mariage d'une durée de

14 ans, de l'âge des parties au moment du divorce (madame est quinquagénaire), d'une

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44

absence de revenus de Madame et d'un revenu annuel net de Monsieur de 125 000 $. À

la date du jugement de première instance (le 8 mai 2015), les arrérages de pension

alimentaire découlant de l'ordonnance de sauvegarde de la juge Capriolo du 29 novembre

2011 s'élevaient à un peu plus de 40 000 $, dont 19 576 $ donnant lieu à la subrogation

en faveur du ministre. Dans les circonstances de l'espèce, procéder au « clean break » (la

rupture nette) et ordonner le paiement d'une somme globale s'impose. Après autant

d'années de débats devant les tribunaux, sachant que Monsieur. a toujours esquivé ses

obligations de communiquer l'état de ses ressources financières, il est inutile de retourner

le dossier en première instance, alors que dans ces circonstances le dossier d'appel permet

de trancher de l'affaire.

Nous soumettons qu’accorder une pension alimentaire sous la forme d'une somme

globale est notamment indiqué pour :

– parer […] au camouflage des biens ou de revenus par le débiteur, notamment si les

parties vivent dans deux pays distincts et qu'il y a lieu de craindre des difficultés

d'exécution; la somme forfaitaire est aussi appropriée lorsque le débiteur a fait défaut de

respecter ses obligations par le passé ou a clairement laissé entendre qu'il n'honorerait pas

ses obligations […]

10.0 LE LITIGE FAMILIAL ET L’ENFANT

10.1 La garde partagée : la figure parentale principale

Dans Droit de la famille - 16193424

, Monsieur se pourvoit contre un jugement de la Cour

supérieure qui accorde à Madame la garde exclusive de leur enfant âgée de quatre ans. Le

jugement contient diverses autres conclusions, mais seule l'ordonnance de garde

exclusive est l'objet d'une contestation en appel. Les faits sont les suivants : l'enfant des

parties est née en 2011. Les parents se sont séparés une première fois en septembre 2012.

Le 18 décembre suivant, un jugement de la Cour supérieure octroie à Madame la garde

exclusive de l'enfant. En juillet 2013, cette dernière décide de revenir habiter chez

24

EYB 2016-268924, 2016 QCCA 1271 (C.A.).

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45

l'appelant en compagnie de l'enfant, rendant ainsi caducs les effets de ce premier

jugement25

.

Dès octobre 2015, les parties décident à nouveau de se séparer, mais cette fois de manière

définitive. Madame choisit alors de retourner vivre près de sa famille dans sa ville natale

à Ville A, alors que Monsieur demeure près des siens à Ville B. À compter de ce

moment, les parties ont convenu à l'amiable de se partager la garde de leur enfant.

Puis, problème de plus en plus fréquent, en raison de l'entrée prochaine de l'enfant à la

maternelle, les parties en sont venues à la conclusion que la distance entre leur résidence

respective rendait impossible le maintien d'une garde partagée. En prévision de l'année

scolaire qui s'annonce, chaque partie a revendiqué devant la Cour supérieure la garde

exclusive de l'enfant. Chacun des parents soutenait alors que sa situation était plus

avantageuse que celle de l'autre aux fins de mieux servir l'intérêt de l'enfant.

Monsieur invoque l’argument voulant qu'il ait été pour l'enfant la figure parentale

dominante. Monsieur indique que durant la vie commune des parties, soit de septembre

2010 au mois de septembre 2012 et du 1er

juillet 2013 au mois d'octobre 2015, il s'est

occupé principalement de l'enfant puisque Madame travaillait de soir et que l'enfant

fréquentait la garderie pendant le jour. La Cour analyse la situation :

10 La jurisprudence reconnaît que le fait pour un parent d'avoir pu jouer le rôle de figure

parentale principale dans le passé ne constitue pas pour autant un indicateur certain pour le futur.

Ce critère doit être relativisé selon les circonstances de l'affaire :

[49] Que l'enfant soit jeune, personne n'en disconviendra (il avait un an au moment du jugement

de première instance, il a maintenant 23 mois). Que la mère ait été la figure dominante est exact

aussi, encore qu'il faille ici relativiser la chose. L'intimée a en effet profité d'un congé de

maternité/congé parental de 11 mois (de juillet 2007 à juin 2008). L'appelant, de son côté, a

continué de travailler bien qu'il ait pris un mois de congé après la naissance. On ne peut guère lui

reprocher de n'en avoir pas pris davantage, vu les obligations financières du couple dont les

revenus n'étaient pas très élevés et qui avait acheté une maison moins d'un an auparavant.

L'intimée a aussi allaité l'enfant, ce que l'appelant ne pouvait évidemment pas faire et qui a

forcément donné à la première une préséance avec laquelle le second pouvait difficilement

rivaliser. À mon avis, la preuve révèle cependant, quoi qu'en dise l'intimée dans son témoignage

25

Nous citons la Cour : « 3. Michel Tétrault, Droit de la famille, 4e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions

Yvon Blais, 2010, p. 987. «Il faut toutefois noter qu'aucun jugement d'appel n'est venu confirmer

cette opinion.». Soyez prudents !

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et dans son exposé, que l'appelant s'est beaucoup – et bien – occupé de l'enfant. Les

circonstances ont voulu qu'il ne soit pas la figure quantitativement dominante dans la vie de

l'enfant, si l'on évalue les choses en termes d'heures de présence, mais cela ne signifie pas que sa

contribution ait été secondaire, au contraire.

11 En l'espèce, cette affirmation de l'appelant n'est pas dénuée de fondement. Cependant, la

question de la figure parentale dominante n'éclipse pas, à elle seule, les autres éléments de

preuve acceptés par le juge pour conclure comme il l'a fait. Or, ce dernier a notamment retenu

que l'intimée avait également été pour l'enfant une figure parentale importante au moment

d'assumer durant neuf mois sa garde exclusive survenue après leur première séparation. Cette

détermination prend tout son sens lorsqu'appréciée au regard du très jeune âge de l'enfant.

[…]

13 Il s'infère de ses motifs que le juge a trouvé chez l'intimée une plus grande disponibilité pour

s'occuper de l'enfant que celle montrée par l'appelant. Or, la preuve au dossier permettait de tirer

cette conclusion.

14 En fait, un retour sur la preuve ne permet pas de conclure que la décision d'accorder à

l'intimée la garde exclusive de l'enfant repose sur une erreur d'interprétation manifeste et

déterminante, allant à l'encontre de son intérêt. Encore tout récemment, notre Cour s'exprimait

ainsi relativement à la norme élevée d'intervention à laquelle doit s'astreindre une cour d'appel en

matière de garde d'enfants […].

(Nos soulignements; renvois omis)

Cet arrêt est représentatif de la tendance actuelle jurisprudentielle. Le critère de la figure

parentale principale n’est plus un déterminant si ce n’est que dans les situations où

l’enfant est en très bas âge et qu’un parent en assume de façon plus importante la charge.

Il en sera de même dans le cas ou des parents est peu impliqué dans la vie de l’enfant et

que l’autre parent doit répondre sur une base quotidienne aux besoins de l’enfant sans

réel soutient de l’autre parent. On peut aussi penser que dans les situations où un enfant

souffre d’un handicap ou d’autres difficultés physiques ou psychologiques et qu’un

parent (tout en laissant la place à l’autre) a développé avec le réseau d’intervenants des

liens privilégiés de par sa plus grande implication.

10.2 Le déplacement

Dans Droit de la famille - 161930

26 , il est question de suspendre l’exécution provisoire

dans le cadre d’un déplacement. Doit-on autorisée le déplacement d’un enfant de huit ans

soit en Finlande ou au Chili. Les faits sont les suivants :

26

EYB 2016-268809, 2016 QCCA 1242 (C.A.).

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47

3 La juge de première instance a rendu un jugement fouillé qui brosse un tableau complet de la

situation et qui tranche entre deux points de vue opposés : permettre au père d'amener l'enfant en

Finlande ou à la mère de l'amener au Chili. Il faut préciser toutefois que le juge a rendu

l'ordonnance en ajoutant qu'elle s'applique «même si madame D... ne déménage pas au Chili tel

que prévu à l'été 2016».

4 Pour comprendre cette précision, il faut savoir qu'en cours de procès (qui a duré 5 jours entre

février et avril 2016), la requérante a déclaré avoir l'intention de déménager au Chili «même si le

Tribunal ne l'autorisait pas à y déménager avec l'enfant». Il faut aussi savoir qu'au moment de

faire cette affirmation, en février 2016, madame D... n'avait pas encore visité ce pays. À cet

égard, la juge décrit bien, aux paragraphes 80 à 85 du jugement, le caractère totalement

improvisé de ce déménagement, dont le père n'a d'ailleurs entendu parler que par l'enfant. Il faut

aussi ajouter qu'en 2010, Mme D... avait déjà quitté la France avec l'enfant sans en aviser M.

G....

5 La requérante fait plusieurs reproches au jugement de la Cour supérieure : la juge aurait

commis de multiples erreurs factuelles; le déménagement en Finlande serait inacceptable,

puisque l'enfant ne connaît pas ce pays; la juge aurait fait preuve de partialité; elle aurait erré

dans son interprétation du droit. J'estime qu'aucun de ces reproches ne fait voir une faiblesse

apparente dans le jugement.

[…]

7 La juge a recherché la stabilité, dans le meilleur intérêt de l'enfant. Elle a retenu le projet du

père qui, plusieurs mois par année depuis 2012, a eu l'enfant avec lui. Je ne vois pas en quoi cette

décision serait si manifestement erronée qu'elle constituerait une faiblesse telle que je devrais

suspendre l'exécution provisoire du jugement.

8 La requérante dépose une preuve nouvelle faisant état d'une visite à l'urgence d'un hôpital avec

l'enfant le 18 juillet dernier. Cette preuve sera peut-être pertinente demain, dans le cadre d'une

autre requête en Cour supérieure, mais elle ne change rien à la présente requête. Cette preuve est

trop imprécise pour justifier la suspension recherchée. Je souligne au passage que cette visite à

l'hôpital a eu lieu le même jour où Mme D... a fait la valise de l'enfant, une semaine avant la date

prévue.

9 Il est vrai que l'avocate de la requérante dit que sa cliente est maintenant prête à s'engager à ne

pas déménager au Chili tant que l'appel ne sera pas décidé. D'une part, cet engagement tranche

avec les propos tenus au procès, qui ne laissaient place à aucune interprétation. D'autre part, il

signifierait tout au plus une autre forme changement, si son appel était accueilli, mais seulement

plus tard.

10 En somme, la requérante ne me convainc pas qu'il y aurait préjudice irrémédiable si je ne

suspendais pas le jugement ni que ce serait dans le meilleur intérêt de l'enfant de retarder encore

les choses. Le jugement a été rendu nécessaire par le choix des parents. La juge a décidé de

confier l'enfant au père. Sa décision mérite la déférence, à ce stade des procédures, en l'absence

de démonstration d'une faiblesse apparente et de préjudice irrémédiable.

(Nos soulignements)

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48

Dans Droit de la famille - 16196127

, Monsieur se pourvoit contre un jugement ayant

confié à Madame la garde des enfants et ayant permis que celle-ci retourne vivre au

Liban avec elles.

Avant de statuer sur les moyens d'appel, la Cour doit se pencher sur la demande de

Monsieur de présenter une preuve nouvelle indispensable. Monsieur cherche à introduire

en preuve des courriels qui démontreraient l'intention de la part de madame de déménager

au Canada en 1999-2000. Une telle demande est régie par l'article 380 C.p.c., qui est

grandement similaire à l'article 509 a.C.p.c. quoique non identique. En conséquence, la

preuve doit être nouvelle et indispensable. En l'espèce, la Cour conclut que les courriels

semblent avoir été en possession de monsieur à tout moment pertinent, de sorte qu'ils

auraient pu être produits en première instance et faire partie du dossier. Ainsi, il ne s'agit

pas d'une preuve nouvelle. La demande de Monsieur est rejetée.

La Cour étudie le quatrième motif d'appel, qui a trait à l'intérêt des enfants qui de l’avis

de cette dernière est vraiment la seule question pertinente en matière de garde, comme

l'énoncent l'article 33 C.c.Q. et la jurisprudence. La juge d’instance a donné de

l'importance au fait que les enfants ont toujours vécu avec Madame, alors que parfois,

Monsieur devait s'absenter pour de longues périodes. Madame était manifestement la

principale figure parentale dans la vie des enfants. Or, lorsque l'intérêt des enfants n'est

pas compromis, la décision du parent gardien du lieu de résidence doit être respectée.

La juge d’instance a également rejeté la prétention de Monsieur que la sécurité et la santé

des enfants seraient plus assurées au Canada. Elle n'a pas ignoré la preuve présentée par

Madame relativement aux conditions au Liban, mais a estimé que toute inquiétude cédait

le pas aux facteurs irrésistibles favorisant l'octroi de la garde à la mère. Madame a

également refusé de conclure que les différences culturelles entre le Liban et le Canada

pourraient avoir un effet significatif sur l'intérêt des enfants dans une décision sur leur

garde.

27

EYB 2016-269028, 2016 QCCA 1301 (C.A.).

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Monsieur avait le fardeau de convaincre que la juge d’instance a commis une erreur

manifeste et déraisonnable dans l'exercice de sa discrétion d'accorder la garde à Madame.

Ce fardeau est particulièrement onéreux en matière de garde alors qu'une grande

déférence est donnée par les instances d'appel à l'endroit des juges du procès. Monsieur

ne s'est pas acquitté de son fardeau et l'appel est rejeté.